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Contre-révolution mariale (5)

par frère Bruno de Jésus-Marie

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ANNONCIATION

Nous méditons ce premier mystère de notre Rosaire trois fois par jour, en récitant la prière de l’Angélus. « L’ange Gabriel annonça à Marie qu’elle serait la Mère du Sauveur. »

L’ange Gabriel est l’un des trois archanges dont la Sainte Écriture nous rapporte l’intervention dans l’histoire. Son nom signifie « force de Dieu ». Après avoir annoncé à Zacharie que sa femme Élisabeth, malgré son grand âge, va concevoir un fils, précurseur du Messie, auquel il donnera le nom de Jean, saint Gabriel s’en vient à Nazareth pour annoncer à Marie de la part de Dieu qu’elle a trouvé grâce auprès de Lui et qu’elle sera la Mère de son Fils. Elle lui donnera le Nom de Jésus, qui signifie « Yahweh sauve », parce qu’il sera le Rédempteur du monde. En lui répondant : « Qu’il me soit fait selon votre parole », la Vierge Immaculée, sans péché, « pleine de grâce », donne son consentement au nom de tout le genre humain, pécheur, que le Fils de Dieu vient délivrer de son péché.

En disant à la Vierge Marie que « rien n’est impossible à Dieu », l’archange cite ce que le Seigneur dit jadis à Abraham auquel il promettait que Sara lui donnerait un fils (Gn 18, 24). Sara était stérile, son sein était donc “ mort ”, mais Abraham eut foi en « Dieu qui redonne vie aux morts et qui appelle ce qui n’est pas comme étant déjà » (Rm 4, 17). C’est ainsi qu’il est devenu le père d’une multitude aussi nombreuse que les grains de sable de la mer (Gn 13, 16).

Marie, l’Immaculée, en vraie fille d’Abraham, par son Fiat devient la Mère du nouvel Israël, l’Église, et de tous ses enfants.

Par sa foi, l’Immaculée Mère de Dieu mérite de nous être donnée comme « le siège de toutes les grâces divines, comme ornée de toutes les faveurs de l’Esprit divin ; bien plus, comme un trésor presque infini de ces mêmes faveurs, comme un abîme insondable de grâces, de telle sorte qu’elle n’avait jamais été soumise à la malédiction, mais avait partagé avec son Fils la perpétuelle bénédiction qu’elle avait mérité d’entendre de la bouche d’Élisabeth, inspirée par l’Esprit-Saint : “ Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. ” » (Pie IX, bulle Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854)

« Vous êtes vraiment bénie parmi les femmes puisque la bénédiction du Père s’est levée par vous sur les hommes, et les a délivrés de l’antique réprobation. Vous êtes vraiment bénie parmi les femmes, puisque vos ancêtres trouvent par vous le salut : car vous enfanterez le Sauveur qui leur procurera le salut divin. » (saint Sophrone)

Le récit de saint Luc montre dans l’événement de l’Incarnation du Verbe prenant chair dans le sein de la Vierge Marie l’accomplissement de la prophétie de Sophonie (3, 14-15) annonçant la venue de Yahweh Sauveur en son peuple, en la Fille de Sion comme en une nouvelle Arche d’alliance.

L’Annonciation est en effet l’accomplissement de l’ancienne Alliance passée par Dieu avec Noé, Abraham et Moïse. Les prophètes avaient montré que cette Alliance sainte avait été rompue (Jr 31, 32) par l’adultère d’Israël (Os 2, 4 ; Ez 16, 15-43), c’est-à-dire son alliance avec les dieux étrangers, qui est une « fornication ».

Mais le dessein divin subsistait et était destiné à triompher « à la fin des temps », dans une Alliance nouvelle scellée d’un cœur nouveau.

« Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle de Yahweh. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur [et non plus sur des tables de pierre]. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : “ Ayez la connaissance de Yahweh ! ” Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands, oracle de Yahweh, parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché. » (Jr 31, 33-34) Ce qui signifie non seulement « oublier » le péché, mais l’effacer :

« Je leur donnerai un cœur pour connaître que je suis Yahweh. Ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur cœur. » (Jr 24, 7) Donc, d’un seul mouvement :

« Je leur donnerai un seul cœur et une seule manière d’agir, de façon qu’ils me craignent toujours, pour leur bien et celui de leurs enfants après eux. » (Jr 32, 39)

Cette “ crainte ” ne sera plus celle de l’esclave qui craint le châtiment, mais celle de l’enfant qui craint de faire de la peine à son Père :

« Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. » (Ez 36, 26-27)

Ce « Cœur nouveau » en lequel l’Annonciation scelle cette Alliance nouvelle est le Cœur Immaculé de Marie.

« L’Esprit-Saint viendra sur toi et la Vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » (Lc 1, 35)

Et Fils de Marie, Fils aîné de la multitude des enfants de Marie.

« Tu l’as entendu, ô Vierge, dit saint Bernard dans son Sermon sur les louanges de la Vierge Marie, tu concevras un Fils, non d’un homme, tu l’as entendu ! mais de l’Esprit-Saint. L’ange, lui, attend ta réponse ; il est temps pour lui de retourner vers celui qui l’a envoyé. Nous aussi, nous attendons, ô Notre-Dame. Accablés misérablement par une sentence de condamnation, nous attendons une parole de pitié. Or, voici, elle t’est offerte, la rançon de notre salut. Consens ! et aussitôt nous serons libres. » De prendre part à la grâce dont vous êtes remplie par notre dévotion à votre Cœur Immaculé. Comme Jean-Baptiste au jour de la Visitation.

VISITATION

Ce deuxième mystère joyeux de notre Rosaire est la contemplation de la visite rendue par la Sainte Vierge à sa cousine Élisabeth à qui, dans sa vieillesse, l’archange saint Gabriel avait annoncé à son mari qu’elle serait enceinte de saint Jean-Baptiste.

« En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda. » (Lc 1, 39)

Seule ? « Était-elle seule pour ce voyage ? Je ne puis le croire. Et quoique l’Évangile garde le silence sur ce point, j’ose affirmer que Joseph était là », pour accompagner Marie (Gerson, † 1363-1429)

« Elle entra chez Zacharie et salua Élisabeth. Et il advint, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie de l’Esprit-Saint. Alors elle poussa un grand cri et dit : “ Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! ” » (Lc 1, 39)

Élisabeth proclame que Jésus et Marie sont l’objet de la bénédiction promise à Abraham à l’origine de toute l’histoire sainte.

« Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai et je rendrai grand ton nom. Tu seras une bénédiction : je bénirai ceux qui te béniront, et celui qui te maudira, je le maudirai, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » (Gn 12, 2-3) Marie est donc entrée chez Élisabeth en la « saluant », comme l’ange Gabriel était entré chez Marie en disant : « Réjouissez-vous », χairé !

« Dès que mon oreille a perçu ta salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. » (Lc 1, 44)

Commentaire du cardinal de Bérulle :

« La Vierge est comme une plante vivante qui porte le fruit de vie, le donne à sa cousine et à cet heureux enfant ; fruit d’une vie bien différente de celle que donnait l’arbre du paradis. Car ici Jésus est la vie, vie des hommes et des anges, vie divine et humaine, et la Vierge est la terre qui a donné ce fruit : “ La terre produisit son fruit ”, dit saint Jacques citant le psaume 85, 13 (Jc 5, 18). Ce fruit donne vie nouvelle à l’enfant qui n’est pas encore né et à la mère qui le porte en ses entrailles ; il donne vie à cet enfant, et double vie, car il lui donne la vie humaine en lui donnant la raison qu’il n’avait pas encore, il lui donne la vie de grâce opposée à la mort du péché dans lequel il était. Il est le premier à avoir goûté ce fruit de vie donné au monde et planté en la Vierge.

« Quand elle eut révélé à Élisabeth ce que l’ange lui avait dit dans le secret [et non pas Zacharie rendu muet], et que celle-ci l’eut proclamée bienheureuse parce qu’elle avait cru à la réalisation de la prophétie et de l’accomplissement qu’elle avait entendus, alors Marie fit jaillir ce fruit suave des paroles de l’ange et d’Élisabeth : “ Bénis, mon âme, le Seigneur. ” »

« Marie dit alors :

« Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante. »

Cet « abaissement » n’est pas celui du péché, puisqu’elle est l’Immaculée Conception. Mais il est celui de la « petitesse » que « Dieu n’a pas », disait notre Père, et qui le ravit, lui, le Tout-Puissant... qui peut ainsi faire de l’Immaculée l’instrument docile de sa Toute-Puissance... Quel mystère !

« Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.

« Saint est son nom, et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. » Qui, eux, sont pécheurs de naissance.

« Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au cœur superbe. Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides.

« Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon qu’il l’avait annoncé à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais ! » (Lc 1, 46-55)

Ces versets sont tissés de citations des prophéties de l’Ancien Testament : la « Parole de Dieu » dont Marie était pénétrée ne fait désormais avec elle plus qu’une chair, elle a épousé le Verbe fait chair, et elle en exprime toute la pensée divine :

« À ce que disait Élisabeth : “ Bienheureuse celle qui croit ” (Lc 1, 45), Marie répondit : “ Désormais toutes les générations me diront bienheureuse. ” (Lc 1, 48) Marie commença donc à prêcher le royaume nouveau ! » (saint Éphrem)

Tel est le mystère de la Visitation dont le Père de Foucauld fera l’âme de son apostolat. Celui-ci ne consiste en rien d’autre que d’entrer dans le Cœur Immaculé de Marie en enfant de Marie et d’en répandre la dévotion dans le monde entier en « frère universel » pour le salut des âmes et la paix du monde.

NATIVITÉ

Dans sa quatrième homélie, De la naissance de Jésus-Christ, saint Amédée de Lausanne, Abbé de Hautecombe (1110-1159), dit :

« Dans l’enfantement de Jésus par Marie, les cieux se sont réjouis et la terre a exulté ; l’enfer même, ébranlé, fut épouvanté. Dans leur joie, les cieux ont donné l’étoile étincelante et la glorieuse armée des anges qui chantent.

« Dans son allégresse, la terre a donné les bergers qui glorifient et les mages qui adorent en offrant leurs présents. »

« Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté ; et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : “ Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. ”

« Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant : “ Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! ”

« Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux : “ Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître. ”

« Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. Ayant vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant ; et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. » (Lc 2, 8-18)

« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem en disant : “ Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage. ” L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ. “ À Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël. » (Mt 2, 1-6)

« L’enfer, dans son trouble, a donné le roi impie et a excité la colère des soldats s’élançant pour massacrer les Innocents. »

« Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, et les envoya à Bethléem en disant : “ Allez vous renseigner exactement sur ­l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage. ” Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. À la vue de l’astre, ils se réjouirent d’une très grande joie. Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays.

« Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : “ Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. ” Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte ; et il resta là jusqu’à la mort d’Hérode ; pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :

« “ D’Égypte, j’ai appelé mon fils. ”

« Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie :

« “ Une voix dans Rama s’est fait entendre, pleur et longue plainte : c’est Rachel pleurant ses enfants ; et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. » (Mt 2, 7-18)

« Ainsi, l’enfantement de Jésus par Marie a réjoui les bons et troublé les mauvais, car celui-là naissait qui rendrait le bien aux bons et ferait périr les mauvais par une juste vengeance. » (saint Amédée de Lausanne)

PRÉSENTATION

Porté par Marie et Joseph, l’Enfant-Jésus vient dans son Temple pour « purifier les fils de Lévi » et les « affiner comme or et argent » (Ml 3, 4), c’est-à-dire pour purifier le peuple, les prêtres et le Temple lui-même.

« Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification, selon la loi de Moïse, ils l’emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. » (Lc 2, 22)

Non seulement il n’est pas question de “ purification de Marie ”, mais Marie disparaît ici, parce qu’elle est seule Immaculée, n’ayant donc pas besoin de “ purification ”.

Cette venue dans le Temple marque le « Jour » du Seigneur, annoncé par le prophète Daniel comme étant l’avènement du « Fils de l’homme » (Dn 9), et par Malachie comme celui du Seigneur lui-même (Ml 1 – 3).

C’est alors que le vieillard Syméon reconnaît dans ­l’Enfant, le Messie, et fait une seconde annonce à Marie qui est la première annonce de la Passion, après avoir chanté son “ Nunc dimittis ” :

« Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : “ Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. ” (Lc 2, 34-35)

Dans son cantique, Syméon a dit que Jésus est « la Gloire d’Israël ». La Gloire de Dieu qui avait déserté le Temple privé de l’Arche d’alliance, le réintègre lorsque « Marie vient y porter Jésus. »

DOUCE RENCONTRE

Le cinquième mystère joyeux est celui du recouvrement de Jésus au Temple de Jérusalem par ses saints Parents. Marie et Joseph se sont rendus en pèlerinage à Jérusalem pour la Pâque avec Jésus âgé de douze ans. L’Enfant y est resté à leur insu.

« Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et lorsqu’il eut douze ans, ils y montèrent, comme c’était la coutume pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances. Ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem.

« Et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. » (Lc 2, 41-46)

Jésus perdu et « trouvé » au bout de « trois jours » dans la maison de son Père, c’est déjà la préfiguration des mystères douloureux et glorieux de la Passion et de la résurrection de Jésus.

« Et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. À sa vue, ils furent saisis d’émotion, et sa mère lui dit : “ Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés. ” (Lc 2, 47-48)

Si Jésus a voulu souffrir la déréliction au point de s’écrier sur la Croix avec le psaume : « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46), nous comprenons qu’il fait participer sa Mère à cette souffrance comme à toutes les autres : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? »

« Et il leur dit : “ Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? ” Mais eux ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire. » (Lc 2, 49-50)

Marie comprendra au pied de la Croix. Nous le comprenons, nous, en lisant que Marie exprime sa douleur par le mot adynomenoi, anxieux, en grec, qui signifie une douleur mortelle.

Mais « l’heure » n’est pas encore venue :

« Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et il leur était soumis. Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur. Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. » (Lc 2, 51-52)

AGONIE

En commentant la prière du Pater noster, notre Père faisait remarquer que la troisième demande : « Que votre volonté soit faite » se trouve au début de l’Évangile, au premier chapitre de saint Luc, quand la Vierge Marie dit :

« Fiat mihi secundum verbum tuum »,

« Qu’il me soit fait selon votre Parole. »

« Si la volonté de Dieu n’avait pas trouvé dans le Cœur de Marie une adhésion, une confiance spontanée, une obéissance, jamais le règne de Dieu ne serait arrivé sur la terre. Si Marie avait refusé, le règne de Dieu ne serait pas arrivé, et le Nom de Dieu serait inconnu, méprisé et ne serait pas sanctifié. C’est donc de ce Fiat de notre Mère et de notre Reine que date le commencement du règne et de la glorification du Nom divin.

« Mais n’oubliez pas qu’il y a un autre Fiat tout à la fin de l’Évangile. Au soir de l’agonie, à Gethsémani, Jésus a dit : “ Fiat voluntas tua, non mea ”, “ Que votre volonté soit faite, et non la mienne ”, au terme de ce débat unique, tragique, angoissant, qui opposa la volonté humaine, l’instinct de conservation humain du Christ, et la douleur, la mort, surtout l’ignominie de se trouver dans la condition du pécheur chargé de tous les crimes de l’humanité, océan de honte et d’amertume, entre la volonté humaine du Christ tenté de refuser la charge accablante, et la volonté divine du Fils de Dieu de se soumettre à la volonté de son Père. Jésus disait : “ Que votre volonté soit faite, et non la mienne. ” »

« Jésus, arrivé à l’agonie, dans cette dernière nuit où il prie son Père, seul, a tout de même voulu être entouré d’une présence proche, fraternelle. Donc, sa nature était dans un désarroi profond. Pierre, Jacques et Jean étaient là, pas loin de lui, qui ont entendu, qui en témoignent. Jésus leur dit : “ Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation. ” Donc, quand il nous fait dire, dans le Notre Père : “ Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, et ne nous laissez pas succomber à la tentation ”, nous savons que, pour cela, il ne faut pas dormir, il faut veiller, il faut prier. »

« “ Prolixius orabat ” (Lc 22, 43), Jésus priait avec abondance de paroles, parce qu’il était dans l’angoisse, au jardin de Gethsémani, dans son agonie, et il priait pour que son Père lui envoie du secours, si mystérieux que cela soit. Si Jésus a prié et qu’il est venu secouer ses Apôtres qui dormaient, en leur disant : “ Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la tentation à l’heure suprême de l’épreuve, parce que l’esprit est prompt, mais la chair est faible ”, c’est dans ce même esprit que nous devons dire : “ Ne nous laissez pas nous enfoncer dans l’épreuve, dans la tribulation d’aujourd’hui, que nous puissions porter notre croix sans tomber ! ”

« Et nous le disons pareillement à la Sainte Vierge : “ Priez pour nous, pauvres pécheurs ”, vulnérables aux tentations de Satan, faibles devant la souffrance et la douleur morale. Sainte Vierge, soyez là aujourd’hui près de moi pour intercéder, afin que je ne tombe pas. Que Dieu ne nous livre pas aux puissances mauvaises, que Dieu ne nous abandonne pas aux tribulations, afin que nous ne péchions pas aujourd’hui, qu’aujourd’hui nous passions cette journée dans l’état de grâce, dans l’union à Dieu, afin demain de recommencer le combat avec de nouvelles forces, et ainsi, avec notre pain quotidien, de jour en jour, jusqu’au moment final, jusqu’à l’heure de la mort.

« Dans l’agonie de Notre-Seigneur, nous connaissons sa prière. Pour une fois que nous la connaissons, nous la connaissons très bien ! En cette agonie, c’est Jésus qui est dans le désarroi le plus profond, en face de cette mort imminente.

« C’est Jésus qui dit aux Apôtres : “ Priez afin de ne pas entrer en tentation. ” “ Veillez et priez, car l’esprit est prompt, mais la chair est faible. ” Jésus lui-même est dans un moment où son esprit est prompt, mais sa chair est faible. Dans cette agonie, il est triste à mourir : “ Et factus in agónia, prolíxius orábat ” (Lc 22, 43), “ Et entré en agonie [c’est-à-dire en lutte contre sa propre faiblesse], il priait avec beaucoup de paroles. ” Or, dans cet abattement, il dit : “ Mon âme est triste jusqu’à la mort. ” C’est la reprise du psaume 41-42.

Jésus est dans un état que le psalmiste a connu. N’oubliez pas que les psaumes 41-42, c’est une joie, c’est le psaume que le prêtre récitait au début de toutes ses messes quotidiennes : “ Quare tristis es ánima mea, et quare contúrbas me ”, c’est exactement ce qui nous est demandé de réciter chaque matin au pied de l’autel, c’est la parole même de Jésus en agonie, au moment où il se couvre, à la Face de son Père, de tous les péchés de l’humanité, lui, le Saint de Dieu !

« C’est l’exilé qui aspire à se retrouver dans le Temple de Yahweh. Donc, c’est Jésus qui aspire à se retrouver dans le sein du Père. Il est là sur la terre dans un exil affreux, dans cette nature humaine qui n’a pas encore connu, si on peut dire, la gloire du Ciel. C’est mystérieux ! Il est en butte aux moqueries et humilié, comme jadis le psalmiste. Lui, le Fils de Dieu, plein de gloire au Ciel, est humilié en cette terre étrangère, persécuté, accusé, condamné injus­tement. C’était exactement la situation du psalmiste, qui devait son exil à la fureur d’un impie déchaîné contre lui. C’était peut-être un prêtre du Temple ou un chantre, un homme important qui, maintenant, est exilé dans l’Hermon, dans les pays sauvages et impies, chez les païens. Il implore de Dieu sa lumière et sa vérité, sa fidélité, son conseil, il espère revenir. “ Pourquoi es-tu triste, ô mon âme ? Pourquoi me troubles-tu ? ” Saint Marc et saint Matthieu emploient les mêmes mots grecs : “ Mon âme est triste, angoissée jusqu’à la mort. ” (Mc 14, 34, Mt 26, 38).

« Ce n’est pas la première fois. Lors des Rameaux, en saint Jean (12, 27), Jésus est en plein triomphe, les Grecs demandent à le voir. À ce moment-là, nous dit saint Jean, son âme fut troublée. C’est la même chose ! “ Maintenant, mon âme est troublée ”, dit Jésus à haute voix. Et il ajoute cette parole stupéfiante : “ Père, sauvez-moi de cette heure ! ” En plein triomphe ! Mais ça nous arrive à nous aussi : en pleine joie, tout à coup, nous pensons à une chose horriblement triste ou à une menace, une douleur, et nous fondrions en larmes, là, tout d’un coup ! En pleine fête des Rameaux, en pleine gloire, Jésus pense à ce qui l’attend, moins de huit jours plus tard, et tout à coup, pour ainsi dire, il fond en larmes. Il fait appel à son Père ! Voilà encore une prière que nous n’avions pas retenue. Il a toujours besoin de son Père, alors, cet enfant ? C’est alors que le Père parle et que la foule croit que c’est le tonnerre. Le Père dit : “ Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore, mon Fils. ” Il manifeste sa voix pour Jésus. La preuve, c’est que la foule ne sait pas ce qu’il dit. La foule entend le tonnerre simplement.

« Alors les exégètes disent : saint Jean ne parle pas de l’agonie, alors il a placé là l’agonie. Cela veut dire : chacun des Évangélistes a inventé son tableau. L’un a inventé Gethsémani, l’autre, Jean qui ne savait pas ça, a placé l’agonie un autre jour.

« Ne pourrait-il pas y avoir eu dans la vie de Jésus deux événements ? Jean, voyant tous les Synoptiques raconter l’agonie, lui, a préféré raconter un événement dont il avait été plus directement témoin, ou plus exactement dont il était aussi le témoin direct et oculaire, mais que les autres n’avaient pas pensé à raconter. Ah ! non, les exégètes modernes ne peuvent pas penser des choses comme ça, c’est trop compliqué pour eux !

« Mais nous, nous en tirons quoi ? Je vais aller plus loin. S’il y a eu une, deux agonies, pourquoi ne pas supposer qu’il y en a eu tout le temps ? Et que Jésus n’a laissé paraître le fond de son cœur qu’une ou deux fois, comme un avocat très maître de lui ne vient pas nous dire qu’il a le trac chaque fois qu’il plaide ? Mais enfin, comme me disait Tixier-Vignancour : “ Il n’y a pas de grand avocat qui n’ait le trac à chaque fois qu’il plaide. ” C’est évident ! On ne peut pas faire un acte tragique, on ne peut pas être dans une situation redoutable, pour soi ou pour les autres, sans être élevé comme au-dessus de soi-même, et donc être pris de vertige, être pris de crainte, de tremblement. C’est humain ! Il n’y a pas d’âme bien née qui ne connaisse la crainte et l’angoisse ! Jésus qui, depuis le début de sa vie publique, est dans cette fonction de juge, de prêtre, de roi, dans sa nature humaine est ébranlé. Et il a besoin de prier et d’implorer le secours de son Père. »

FLAGELLATION

« Pilate prit alors Jésus et le fit flageller. » (Jn 19, 1) Chose atroce, dont nous lisons les stigmates sur le Saint Suaire. Mais surtout, chose absolument injuste de la part d’un Romain qui incarne la Loi, pour ainsi dire, le Droit romain, et qui vient de le montrer en disant, après avoir interrogé Jésus : « Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. »

Alors pourquoi cette terrible punition de la flagellation ? Parce que c’est Jésus qui le veut, qui attire sur lui le châtiment dû à nos péchés dont il s’est recouvert à la Face de son Père. « Le motif de [notre] condamnation » est là, et Jésus l’endura pour nous, à notre place en se servant de Pilate. C’est lui qui dirige le cours des événements. En Roi. Il vient de le dire à Pilate qui lui demande :

« Donc, tu es roi ?

 Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jn 18, 37)

COURONNEMENT D’ÉPINES

Précisément ! Voici que ses bourreaux se muent en serviteurs de “ la Vérité ”. Les soldats le revêtent d’insignes royaux : cette couronne d’épines cruelle a, elle aussi, laissé sa marque sur le Saint Suaire, en forme de “ chapeau ”, comme diront les clarisses de Chambéry. Elle fait le plus noble des diadèmes au plus noble des rois. Jésus fonde et confirme sa royauté en souffrant les coups et les outrages de sa Passion rédemptrice. Il révèle plus que jamais son origine divine par son obéissance héroïque au Père. Il semble que Pilate lui-même, et non pas seulement l’Évangéliste, en a l’intuition.

« Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : “ Salut, le Roi des juifs ! ” Et ils lui donnaient des coups. » (Jn 19, 2-3)

Après ces outrages, Pilate tente d’apitoyer les juifs :

« De nouveau, Pilate sortit dehors et leur dit : “ Voyez, je vous l’amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. ” Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre ; et Pilate leur dit : “ Voici l’homme ! ” » (Jn 19, 4-5)

Ce spectacle pitoyable ne fait qu’exciter la haine des juifs. C’est toute la force de l’enfer qui se déchaîne contre “ l’homme ” que son obéissance à Dieu son Père constitue vraiment « roi », réparant la désobéissance du vieil Adam et renversant le pouvoir de Satan, Prince de ce monde.

« Lorsqu’ils le virent, les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant : “ Crucifie-le ! Crucifie-le ! ” Pilate leur dit : “ Prenez-le, vous, et crucifiez-le ; car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation. ” » (Jn 19, 6)

PORTEMENT DE CROIX
Vendredi 7 avril 30

« Alors il le leur livra pour être crucifié. Ils prirent donc Jésus. Et il sortit, portant sa croix, et vint au lieu dit du Crâne – ce qui se dit en hébreu Golgotha. » (Jn 19, 16-17)

« Et il sortit. » C’est Jésus qui a l’initiative. Livré aux juifs par Pilate, il va à la mort de son propre chef.

« Portant pour lui-même la Croix » : le latin de la liturgie du Vendredi saint (bajulans sibi crucem) traduit exactement le texte grec. L’expression ne signifie pas seulement que Jésus « portait lui-même sa croix », mais qu’il la portait « pour Lui », dans son intérêt, « avec bonheur » commente notre Père.

DEUXIÈME STATION DU CHEMIN DE CROIX.

« Voici l’instrument de notre salut. Ô doux Sauveur, vous vous en saisissez avec ardeur et avec joie, ce que nous ne saurions faire nous-mêmes si vous ne nous en aviez donné l’exemple et la force encore chaque jour, à cause de l’amour que vous avez de nous et du grand désir que vous ressentez pour notre salut. Parce qu’elle est notre seule espérance, cette Croix vous est chère et vous tendez les mains vers elle, vous l’embrassez dans une secrète exaltation et la chargez sur vos épaules déjà meurtries.

« Mais quel terrible instrument de notre vie et de notre félicité que cet instrument de torture et de mort ! L’esprit est prompt mais la chair est faible. L’esprit qui vous anime est un esprit de bonté et de miséricorde pour nous autres pécheurs, mais votre chair n’en est pas moins sensible, passible ; et c’est une terrible épreuve pour vos membres, vos nerfs et toute votre sensibilité que ce poids de la Croix qu’il faut porter ; c’est une horrible peine pour votre imagination et votre pensée de tenir cet instrument du supplice proche.

« Que vous êtes adorable, ô Cœur sacré de Jésus, dans cet instant où l’amour vous rend vainqueur des troubles de la sensibilité et des répulsions de l’esprit, quand vous embrassez cette Croix et vous en chargez résolument pour mon salut et celui du monde entier ! »

« Et il vint au lieu dit du Crâne, ce qui se dit en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent. » (Jn 19, 17-18)

MORT ET RÉSURRECTION DE JÉSUS

« Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : “ C’est achevé ” », en grec tetelestai. C’est fini ! Tout est consommé.

« Et inclinant la tête, il remit l’esprit. » (Jn 19, 30)

Selon saint Marc, Jésus « expire » (15, 37).

Selon saint Luc, il « remet son esprit » entre les mains du Père et « expire » (23, 46).

Selon saint Matthieu, Jésus « rend l’esprit » (27, 50).

Le verbe employé par saint Jean, paradidômi, signifie remettre, livrer, transmettre... Saint Jean marque par ce verbe que c’est dans sa mort que Jésus donne l’Esprit.

Le dernier souffle du mourant deviendra le souffle animateur de la nouvelle création le soir de la Résurrection, lorsque Jésus dit à ses Apôtres : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Puis, « il souffla sur eux et leur dit : “ Recevez l’Esprit- Saint ” ». Le verbe grec emphysân (souffler) est employé dans le texte grec du récit de la création, pour désigner le souffle de Dieu qui constitua Adam en être vivant :

« Alors Yahweh Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7)

La mort de Jésus n’a donc pas été un “ accident ”. Annoncée aux disciples à maintes reprises, il l’a désirée comme le « baptême » qui le plongerait dans les eaux infernales :

« Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé ! » (Lc 12, 50)

Il a frémi devant la mort : « Maintenant, mon âme est troublée. » Il a supplié le Père de l’en préserver : « Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ! » Il a pourtant accepté : « Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure. » (Jn 12, 27) Pour faire la volonté du Père, il a été « obéissant jusqu’à la mort » (Ph 2, 3), comme nous l’avons chanté à toutes les heures des jours saints : « obediens usque ad mortem ».

Quoique innocent, comme le proclame Pilate au moment où celui-ci l’abandonne à ses bourreaux ! Jésus est mort selon la loi fixée par Dieu en châtiment du péché originel, dans l’arrachement de son âme à son corps. C’est pourquoi, en mourant, il expie le péché et lui enlève tout pouvoir (Rm 6, 10). Son âme poursuit son œuvre en descendant prêcher le salut aux Enfers, annoncer aux morts que la vie va leur être rendue (1 P 3, 19 ; 4, 6).

Son corps est mis au tombeau, enseveli comme une semence jetée en terre :

« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24)

Imposée aux fils d’Adam comme un châtiment, cette mort volontaire de Jésus, Fils de Marie Immaculée, lui-même sans péché, est un sacrifice expiatoire accomplissant la prophétie :

« Yahweh a voulu l’écraser par la souffrance ; s’il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et par lui la volonté de Yahweh s’accomplira. » (Is 53, 10)

Jésus est mort « pour nous » (1 Th 5, 10), non pas à notre place, mais pour notre bénéfice ; car mourant « pour nos péchés » (1 Co 15, 3 ; 1 P 3, 18), « il nous a réconciliés avec Dieu par sa mort » (Rm 5, 10), si bien que nous pouvons recevoir l’héritage promis : « Voilà pourquoi il est médiateur d’une nouvelle alliance, afin que, sa mort ayant eu lieu pour racheter les transgressions de la première alliance, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel promis. » (He 9, 15)

LA RÉSURRECTION

D’où vient que la mort du Christ ait pu avoir cette efficacité salutaire ? De ce qu’ayant affronté la vieille ennemie du genre humain, la mort, il en a triomphé par sa résurrection. De son vivant perçaient déjà les signes de cette victoire future, lorsqu’il rappelait des morts à la vie. Dans le royaume de Dieu qu’il inaugurait, la Mort reculait devant celui qui était « la résurrection et la vie », comme il le dit à Marthe, au moment de ressusciter Lazare :

« Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ? » (Jn 11, 25-26)

Il est devenu « le premier-né d’entre les morts » (Ap 1, 5).

« La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne. »

« Mors et vita duello conflixere mirando ; dux vitæ mortuus, regnat vivus. » (Séquence Victimæ paschali laudes, que nous venons de chanter, strophe 3)

À la fin des temps, son triomphe connaîtra une consommation éclatante lors de la résurrection générale. Alors, la Mort sera détruite à jamais, « engloutie dans la victoire » (1 Co 15, 26. 54 sq.). Car la Mort et l’Hadès devront restituer leurs proies, après quoi « ils seront jetés avec Satan dans l’étang de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort » (Ap 20, 10, 13 sq.).

Tel sera le triomphe final du Christ :

« Ô Mort, je serai ta mort ; Enfer, je serai ton aiguillon. » Comme l’annonçait la première antienne des laudes du Samedi saint : « O mors, ero mors tua : morsus tuus ero, inferne. »

ASCENSION

La descente de Jésus aux Enfers est suivie d’une remontée qui mène le Christ au-dessus de tous les cieux, quarante jours après. Saint Paul fait la théologie de cette Ascension historique, physique, trente ans après, dans l’Épître qu’il adresse aux Éphésiens, de Rome où il est prisonnier :

« “ Il est monté ”, qu’est-ce à dire, sinon qu’il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre ? Et celui qui est descendu, c’est le même qui est aussi monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. » (Ep 4, 9-10)

Dans l’Épître aux Philippiens, c’est une effusion du cœur, et un appel à l’unité dans l’humilité :

« Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus, Lui, qui de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus-Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 5-11)

La montée du Christ au-dessus de tous les cieux a été une prise de possession de l’univers qu’il « remplit » (Ep 4, 10) comme il le « récapitule » à titre de « Chef » pour « ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (Ep 1, 10).

« Oui, c’est incontestablement un grand mystère que celui de la piété : Il a été manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit, vu des anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, enlevé dans la gloire. » (1 Tm 3, 16)

PENTECÔTE

Le Christ mort, ressuscité et exalté à la droite du Père, achève son œuvre en répandant l’Esprit sur la communauté apostolique, comme saint Pierre l’explique aux foules accourues au bruit de la tempête de cette descente du Saint-Esprit, dix jours après l’Ascension :

« Cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité, le délivrant des affres de l’Hadès. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir ; car David dit à son sujet :

« “ Je voyais sans cesse le Seigneur devant moi, car il est à ma droite, pour que je ne vacille pas. Aussi mon cœur s’est-il réjoui et ma langue a-t-elle jubilé ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance que tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès et ne laisseras pas ton Saint voir la corruption. Tu m’as fait connaître des chemins de vie, tu me rempliras de joie en ta présence. ”

« Frères, il est permis de vous le dire en toute assurance : le patriarche David est mort et a été enseveli, et son tombeau est encore aujourd’hui parmi nous. Mais comme il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône un descendant de son sang, il a vu d’avance et annoncé la résurrection du Christ qui, en effet, n’a pas été abandonné à l’Hadès, et dont la chair n’a pas vu la corruption : Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes tous témoins. Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père ­l’Esprit-Saint, objet de la promesse, et l’a répandu. C’est là ce que vous voyez et entendez. » (Ac 2, 23-33)

L’Esprit est donné en vue d’un témoignage à porter jusqu’aux extrémités de la terre ; Jésus les en avait prévenus avant de les quitter :

« Mais vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit-Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8)

Ce qui s’accomplit dès le jour de la Pentecôte lorsque les Apôtres s’expriment, pour chanter les merveilles de Dieu, en « langues » comprises de tous les assistants, signe de la vocation universelle de l’Église, car ces auditeurs viennent des régions les plus diverses :

« Or il y avait, demeurant à Jérusalem, des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome. Ils étaient stupéfaits, et, tout étonnés, ils disaient : “ Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous ­Galiléens ? Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et d’Asie, de Phrygie et de Pamphylie, d’Égypte et de cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, Romains en résidence, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu ! ” » (Ac 2, 5-11)

Notre-Dame est là au milieu d’eux. Elle qui, pourtant, est « du Ciel », comme son Fils.

ASSOMPTION

« Je suis du Ciel » : parole de la Sainte Vierge répondant à la question de Lucie, le 13 mai 1917. Cette belle dame est pourtant bien une “ femme ” appartenant au genre humain. Elle n’est pas un ange comme l’ange du Portugal venu à trois reprises l’année précédente. Elle donne aussitôt le moyen de comprendre ce mystère : récitez le chapelet. Les mystères du Rosaire racontent comment l’ange Gabriel annonça à Marie qu’elle serait la Mère du Sauveur, et comment celui-ci, sa mission accomplie, est remonté au Ciel pour y « préparer une place » pour la divine Mère de ce Sauveur et venir la soustraire à son Adversaire :

« Se voyant donc rejeté sur la terre, le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l’enfant mâle. Mais elle reçut les deux ailes du grand Aigle pour voler au désert jusqu’en sa place où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d’un temps. » (Ap 12, 13-14) Au terme duquel, « à la fin » son Cœur Immaculé triomphera.

COURONNEMENT

« Qui est celle-ci qui surgit comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, redoutable comme des bataillons ? » (Ct 6, 10)

« Qu’est-ce là qui monte du désert, comme une colonne de fumée, vapeur de myrrhe et d’encens et de tous parfums exotiques ? » (Ct 3, 6)

La « belle Dame » dont l’éclat ne peut pas se dire, suscite l’étonnement, l’admiration et, pour le dire avec les paroles du Cantique des cantiques, elle « ravit » (Ct 4, 3) Lucie, François et Jacinthe. Ces enfants personnifient le Peuple de Dieu ou, pour mieux dire, le Corps mystique du Christ qui se reflète comme dans un miroir dans la gloire divine qui habite en Marie.

François et Jacinthe paraissent dans les rayons de cette gloire qui s’élèvent vers le Ciel, Lucie dans ceux qui se répandent sur la terre.

Tous trois renouvellent à eux seuls l’histoire sainte. « À ma cavale, attelée au char de Pharaon, je te compare, ma bien-aimée », dit l’Époux du Cantique des cantiques (Ct 1, 9). Telle est la « belle Dame » descendue sur la terre il y a cent ans :

« Tes joues restent belles, entre les pendeloques, et ton cou dans les colliers. Nous te ferons des pendants d’or et des globules d’argent. »

À Fatima, la Vierge Marie porte un collier auquel est suspendue une boule d’or. Ce bijou signifie que Marie est la Reine-Épouse à qui l’Époux-Roi l’a offert.

« Tandis que le roi est dans mes bras, mon nard donne son parfum. Mon Bien-Aimé est un sachet de myrrhe, qui repose entre mes seins. Mon Bien-Aimé est une grappe de cypre, dans les vignes d’En-Gaddi.

« Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes.

 Que tu es beau, mon Bien-Aimé, combien délicieux ! Notre lit n’est que verdure. » (Ct 1, 10-16)

À Fatima, la Vierge Marie montre son Cœur et promet à ceux qui auront la dévotion à ce Cœur Immaculé de les « placer comme des fleurs devant le trône de Dieu », pour lui faire « comme un lit de verdure ».

Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, et la « bannière qu’il dresse, c’est l’amour » à l’enseigne de cette Reine (Ct 2, 4). Se consacrer au Cœur Immaculé de Marie signifie dès lors entrer dans la partie la plus intime de ce sanctuaire de la ­Présence divine, de ce lieu de repos de la Sainte Trinité, Triclinium totius Trinitatis, comme l’appelle saint Thomas d’Aquin dans son Expositio Salutationis Angelicæ. Le triclinium était un lit de table pour trois personnes dans l’Antiquité.

Ce Cœur Immaculé est donc « le chemin qui mène jusqu’à Dieu », selon la promesse faite à Lucie. Le Cœur Immaculé de Marie est le Saint des saints, ou le « cellier » des bien-aimés (Ct 2, 4). Loin de nous éloigner du “ christocentrisme ”, la dévotion au Cœur Immaculé de Marie conduit à la Maison de Dieu dont le nom est l’amour :

« Il m’a menée au cellier, et la bannière qu’il dresse sur moi, c’est l’amour. » (Ct 2, 4)

La dévotion à ce Cœur Immaculé que Dieu veut établir dans le monde n’est donc pas une dévotion surérogatoire, qui s’ajouterait à toutes celles qui existent déjà, mais elle est l’entrée dans la Maison de Dieu. C’est le lieu le plus sûr, où l’amour peut s’épanouir, sans être dérangé :

« Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, avant l’heure de son bon plaisir. » (Ct 2, 7)

Le Temple de Salomon était construit avec du bois du Liban, cèdre ou cyprès, que Salomon avait fait venir du Liban.

Ce Temple contenait l’arche d’alliance, confectionnée en bois d’acacia ou, selon les Septante, en « bois incorruptible », incorruptible comme le Cœur de l’Immaculée Conception.

« Les poutres de notre maison sont de cèdre, nos lambris de cyprès. » (Ct 1, 17) Marie est ce noble bois du Liban, le bois d’arbres qui sont toujours verts, même en hiver ! « Viens du Liban, mon épouse ! » (Ct 4, 8) Le sanctuaire où habite le Seigneur est le Cœur Immaculé de Marie qui ne cesse jamais de battre et de veiller, même quand il dort :

« Je dors, mais mon cœur m’avertit. J’entends mon Bien-Aimé qui frappe : “ Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite ! Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit. ” »

C’est l’heure du sacrifice.

Dans le Cœur Immaculé de Marie, le grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech, le Christ, célèbre le sacrifice d’expiation et il invite ses amis à sa table, en donnant sa Chair en Pain nourrissant et son Sang en Boisson enivrante, dont la Bien-­Aimée chante les couleurs : « Mon Époux est blanc et vermeil. » (Ct 5, 10)

Cette Chair livrée, ce Sang répandu en prix de notre Rédemption ont été pris de la chair et du sang de la Vierge Mère, son Épouse, en laquelle il a voulu demeurer pendant neuf mois, comme jadis « le pain du ciel », la manne conservée dans l’arche d’alliance.

En Marie, « Fille de Sion », s’accomplissent les promesses faites par les prophètes à Jérusalem, la cité sainte où s’élève la montagne du sacrifice d’Isaac dont Abraham fut finalement dispensé. Tandis que Marie consentit à celui de son Fils en s’unissant à Lui au pied de la Croix, sur la montagne escarpée du Golgotha. Elle est véritablement l’Immaculée, dont le Cœur transpercé devient le refuge des pécheurs, en laquelle nous redevenons enfants de Dieu pour former le Corps mystique du Christ dont elle rend visible la sainteté. Elle est la Jérusalem céleste où Dieu habite avec nous.

frère Bruno de Jésus-Marie.