3. La Chrétienté trahie

L E scandale de la corruption des mœurs relève de l'incontesté et de l'incontestable. Le scandale d'une trahison politique de la Chrétienté par votre Sainteté est aussi incontestable, mais il sera contesté par Vous-même et par tous ceux qui ont choisi comme Vous et avec Vous de « passer aux barbares ». Tout ce qui touche à la politique relève en effet aujourd'hui, en Occident, de l'opinion et de la liberté individuelle. C'est fou, mais c'est ainsi. Le scandale n'existe donc ici que pour les « gens de droite », mais les « gens de gauche » y applaudissent. Il n'en est pas moins criminel.

En effet, nous sommes Catholiques avant tout, et Vous-même, Très Saint Père, au suprême degré. Notre fidélité à Dieu et à son Christ nous fait lier partie avec le monde chrétien, et tout particulièrement la Latinité, la vieille Europe, ce reste d'une Chrétienté battue par les assauts de l'intérieur et de l'extérieur. Notre amour de l'Église se reporte sur les pays où abondent les églises, où le peuple est catholique, dont les États professent ouvertement notre foi catholique. Et, au-delà de ce cercle malheureusement devenu trop étroit, nous avons une préférence pour les peuples chrétiens, une plus étroite solidarité avec les États où notre sainte religion s'exerce librement et peut être ouvertement prêchée à tous les hommes. C'est le Monde Libre. L'épopée coloniale et missionnaire allait bientôt étendre à toute la planète ce monde chrétien, ce Monde Libre — nous ne pouvons l'oublier — quand l'ennemi est survenu.

Pardonnez-moi ce rappel comme d'évidences, de fidélités sacrées que Vous ne reconnaissez pas...

Cet ennemi, ce n'est ni le peuple russe ni le peuple chinois, admettons-le, c'est le communisme russe et le communisme chinois, LE COMMUNISME ATHÉE, esclavagiste, impérialiste, qui, par le mensonge et l'homicide, conquiert le monde et y instaure la pire tyrannie humaine et la plus systématique persécution anti-chrétienne que l'histoire ait jamais connues.

Le communisme occupe l'Est européen et le Centre asiatique, d'où il domine l'Europe Centrale et gagne l'Extrême-Orient et le Moyen-Orient en vue de tourner l'Europe par le Sud-Asiatique et par l'Afrique. Et puis, déjà, il a pris pied à Cuba et — par l'aide de l'Église, par Votre permission — au Chili. Ailleurs, dans le monde libre, il se répand sous le couvert des fameuses libertés démocratiques « et avant tout la liberté religieuse » 20Discours à l'ONU; Disc. p. 331; Lettres 214 p. 3, 215, 218; cf. CRC 38 p. 8, 57 ! À la faveur aussi des doctrines fumeuses du neutralisme et de la coexistence pacifique, éminemment favorables aux bonnes affaires financières et commerciales. La gangrène est là, le péril majeur pour l'avenir absolu de l'humanité est cette menace communiste sur le monde libre.

L'autre ennemi, étroitement coalisé avec lui, c'est l'ANTICOLONIALISME DU TIERS-MONDE, cette passion tout à la fois raciste, nationalitaire, autonomiste et révolutionnaire qui, longuement ensemencée, hélas ! par nos propres coreligionnaires laïques et socialistes, a jeté les peuples colonisés dans des guerres de libération gagnées sur notre faiblesse, par notre démission.

Le Monde Libre s'est ainsi rétréci, rapetissé, en face d'un Monde communiste en pleine expansion “ colonialiste ”. Et il s'est cassé, effectivement, mentalement, laissant se former un Tiers-Monde plein de jalousie et de révolte contre lui, son colonisateur de jadis, mais attiré par les manœuvres et la pression idéologique du communisme mondial. Il était si facile de prévoir que toutes les terres perdues par l'Occident chrétien seraient à terme des zones d'expansion pour l'Est et pour l'Orient communistes ! Bloquée sur son glacis d'Europe Centrale, la force subversive et militaire communiste mène sa guerre de mouvement, d'enveloppement, par le truchement des mouvements de libération anticolonialistes à travers tout le Tiers-Monde. La menace directe et prochaine contre l'Europe est celle d'une invasion  ; mais celle de la subversion pèse aussi sur l'Amérique du Nord, avec le risque continuel de la guerre totale.

Dans ce péril universel, pour la Cause de l'humanité menacée, que fait le Pape ? Quelle est sa prédication dans cette lutte idéologique ? Quelle est sa diplomatie dans ce « tumulte des peuples contre le Seigneur et contre son Oint » 21 ?...

Le Pape trahit la Chrétienté !

VOTRE NEUTRALISME DE FAÇADE.

Le 29 janvier 1965, Vous avez eu un geste insolite, énigmatique, un de ces actes, pontificaux d'apparence, que je nomme “ scandales ” : Vous avez rendu aux Turcs l'étendard de Lépante. Ce trophée insigne était conservé depuis presque quatre cents ans à Sainte-Marie Majeure en ex-voto à la Vierge tutélaire, Protectrice assurée de la Chrétienté. Ce drapeau avait été enlevé de haute lutte sur une felouque amirale durant la célèbre bataille navale du 7 octobre 1571 qui sauva l'Occident de la menace musulmane. Saint Pie V avait eu au même moment la vision de la victoire et il avait institué la fête de Notre-Dame du Saint Rosaire pour perpétuer le souvenir de ce véritable miracle dû à son intercession. C'était dans le temps où les guerres de religion divisaient et dévastaient l'Europe, l'ouvrant aux barbares.

Vous avez eu ce geste et Vous l'avez accompagné d'un Bref aux autorités turques qui en dévoile en partie le sens : « Les guerres de religions sont terminées pour toujours » 22I.C.I., 15 fév. 1965; Lettres 200 p. 6; cf. CRC 59 p. 1 et 7. Ce geste et cette parole, voilà bien le type du scandale aux répercussions infinies, irréparables.

Quant au passé, c'est remettre en question la légitimité de cette Croisade prêchée par Saint Pie V, la réalité de cette victoire et son caractère miraculeux, le mérite du Pape, seul artisan de cette lutte, seul vaillant, et la vérité de sa vision ; enfin, c'est bafouer la Vierge du Rosaire et couvrir d'une chape de honte Sa fête du 7 octobre. Rendre l'étendard, c'est faire amende honorable aux musulmans et cracher sur le passé de l'Église. C'est ce que Vous avez délibéré de faire.

Quant au présent — là est l'énigme cachée de votre geste —, c'est l'annonce que la Papauté nouvelle se refuse désormais à prendre parti dans les conflits de ce temps, qu'elle ne reconnaît plus à personne le droit de revendiquer dans sa lutte le nom de chrétien et qu'elle ne voudra voir en aucun peuple ni État, même persécuteur, l'ennemi de Dieu contre lequel tous doivent s'unir en Croisade.

Il n'y a plus de guerres de religion ? Laissons les Turcs, qui n'ont rien compris à votre geste et s'y sont montrés complètement indifférents, irrités même comme d'une insulte. Nous pensons à d'autres ! Vous ne condamnez plus le barbare persécuteur, Vous ne bénissez plus les drapeaux des chrétiens qui les combattent !

Au moment où l'Occident, une nouvelle fois oublieux du péril, attiédi dans sa foi, endormi dans ses vices, aurait besoin du Pape pour être réveillé, excité, persuadé de résister à l'agression, à l'invasion — car enfin la situation de 1971 est semblable à celle de 1571 et la flotte russe en Méditerranée renouvelle en mille fois pire la menace des barbaresques — au moment où un autre Saint Pie V devrait se lever pour ordonner des pèlerinages romains à Sainte-Marie Majeure, condamner les infiltrations communistes dans l'Église, dans le monde libre, mettre en garde le Tiers-Monde contre la séduction marxiste, se faire l'avocat des peuples opprimés, des chrétiens persécutés, des martyrs catholiques, bénir enfin les armées de l'Occident en lutte contre les armées communistes ou prêtes à en soutenir et en repousser l'assaut...

À ce moment tragique de l'histoire du monde, le Pape, Vous, Très Saint Père, rendez à grand fracas aux barbaresques de jadis un vieux carré de tissu qui dormait sous les pieds de la Vierge Romaine, en ex-voto de la Chrétienté sauvée et reconnaissante !

Je rappelle ce geste parce que, ne m'occupant pas de politique ni de diplomatie, je n'ai pas noté la série innombrable de vos actes de neutralisme, de vos éloges sentis des apôtres de la coexistence pacifique dans le monde actuel. Parfois j'y ai fait allusion dans mes Lettres à mes Amis, puis dans la Contre-Réforme Catholique où j'irai bien les rechercher si ce Procès l'exige. Ces paroles et ces gestes n'ont tous été qu'un nuage de fumée pour dissimuler le mouvement trop réel de votre diplomatie et de votre cœur, en direction de Moscou et de Pékin comme en faveur des guérilleros et terroristes de tous les pays du monde...

Vous avez reçu Martin Luther King ! Vous avez fait l'éloge répété de Gandhi et de Nehru ! Sourd et aveugle aux campagnes procommunistes du premier et à son excitation du racisme noir, sourd et aveugle aux violations de la paix et du droit des peuples commises sans scrupules par les deux autres, les faux apôtres de la non-violence, quand ils annexaient les villes françaises des Indes et Goa chrétienne des Portugais ! Quel cœur froid que le Vôtre ! il reste de glace devant les malheurs de ses fils injustement réduits en esclavage. Connais pas, dites-Vous ! Vous ne connaissez rien ni personne, quand votre politique en serait gênée.

En revanche, Vous élevez la voix contre toute “ injustice ”, toute condamnation à mort, toute torture, où que ce soit dans le monde quand elles sont imputables aux Pouvoirs chrétiens et manifestent leur résistance légitime à la rébellion. Je me rappelle votre démarche, parce que c'était l'une des premières, de concert avec “ Monsieur H ”, Président de l'ONU, et “ Monsieur K ”, en faveur de trois “ syndicalistes noirs ” condamnés à mort et dont Vous demandiez la grâce au Président de la République Sud-Africaine 23Lettres 189 p. 3 ! C'était en septembre 1964, peu après Ecclesiam Suam. Vous vouliez Vous inscrire parmi les “ défenseurs de la justice ” et Vous enrôler dans les “ forces de paix ”. Alors, Vous souteniez la cause des droits civiques pour les noirs des États-Unis. Et Vous vous proposiez en “ ami de l'homme ” pour réconcilier les adversaires au Vietnam, à Chypre, partout où il y avait la guerre...24

ibid. p. 4; cf. 191... Mais décidé à ignorer les « guerres de religion » de l'époque, Vous ne voyez nulle part l'agression communiste, l'idéologie athée en action, la subversion révolutionnaire. Vous êtes “ neutre ”, Vous établissez l'égalité a priori des raisons et des droits entre le Monde Libre et le Monde Communiste, entre l'Agresseur et l'agressé, entre le persécuteur et les opprimés. Vous êtes non-violent, partisan de la négociation. Vous vous autorisez de cette haute conception des rapports humains pour faire un devoir au Monde Libre de renoncer à la lutte et de chercher la paix à tout prix en sacrifiant quelque chose, en faisant sa part à l'ennemi. Grâce à Vous, à votre neutralisme apparent, à votre pacifisme, l'agression, la subversion, la violence sont toujours payantes et le Monde Libre ne connaît jamais plus que des défaites et des retraites devant la Barbarie. ... Sauf là où l'on ne Vous a pas écouté, où l'on s'est battu et on se bat toujours, malgré Vous, contre un monde, mais sûr de son bon droit et fier de sa foi catholique. J'ai nommé le Portugal des Présidents Salazar et Caetano.

Nous ne sous-estimons pas les lèpres du Monde Libre, ses injustices, sa corruption, ses divisions religieuses et sa coupable apostasie grandissante. Mais il n'en reste pas moins UN MONDE CHRÉTIEN où l'Église est libre, entièrement libre de travailler au salut des âmes et à la Réforme de la Société. En face de la barbarie communiste et de l'anarchie famélique du Tiers-Monde, il reste un monde civilisé, prospère, et pacifique. Un monde heureux.

Ce qui est scandaleux, c'est que Vous le flattez dans son incroyance, son indifférence religieuse, son immoralité, son irrespect de la Loi et des Droits de Dieu. Vous ne faites rien pour qu'il se reprenne. Avez-Vous jamais bousculé son orgueil, son égoïsme sensuel, son matérialisme, son laïcisme affligeant, en le rappelant à sa vocation chrétienne, à son nécessaire retour au catholicisme ? Jamais. En revanche, Vous excitez les peuples contre lui, au nom de la justice. Vous lui faites soudain d'impossibles devoirs de partage des biens, d'égalité des richesses. Vous stigmatisez son racisme. Vous protestez contre ses violences, non pas pour son propre avantage spirituel (ou temporel), mais pour sa condamnation sur la scène internationale. Votre justicialisme n'est pas guidé par le zèle de Dieu ni la soif du salut des âmes, mais par la marche de la révolution.

Ce monde libre, Vous ne l'aimez pas. Si Vous l'aimiez, Vous seriez beaucoup plus dur, plus exigeant envers lui, sans souci de l'impopularité. Et Vous lui feriez le bien immense dont il a un urgent besoin. Mais aussi, Vous le mettriez en garde contre la menace des barbares. Vous lui feriez un devoir de défendre sa liberté, sa vie et le sort des peuples sur lesquels il exerce depuis des siècles un bienfaisant protectorat. Ainsi seriez-Vous pour notre siècle, comme St Grégoire, comme St Pie V en leur temps, LE DÉFENSEUR DE LA CITÉ, LE SAUVEUR DE LA CIVILISATION.Mais Vous ne nous aimez pas. Vous aimez mieux le Tiers-Monde et le Monde Communiste ? Si Vous les aimiez, au lieu de pactiser avec leurs oppresseurs, Vous travailleriez à leur libération et d'abord à leur évangélisation. Vous vous aimez Vous-même jouant un rôle sur la scène internationale, allant toujours dans le sens de la victoire pour être idolâtré des foules et comblé d'honneurs par les grands de ce monde pourri, en invoquant la justice, la liberté, l'égalité, la fraternité, le bien-être, le développement, la paix. Ces idées interchangeables couchent toujours finalement dans le lit des vainqueurs. Votre neutralisme, c'est cela.

UN ANTICOLONIALISME VIRULENT.

Plus que le flot des paroles et des décisions que je ne peux ici recenser, je retiens les gestes, insolites, énigmatiques. Les scandales que Vous calculez traumatisent l'opinion : ils sont trop rapidement exécutés pour soulever des oppositions, pour rencontrer des obstacles, mais ils fermentent par l'impression trouble qu'ils ont causée et les implications qu'ils révèlent progressivement.

Ainsi, en janvier 1965, Vous avez créé cardinal, parmi tant de Pasteurs méritants, l'Archevêque d'Alger, Monseigneur DUVAL. Ce fut une grande émotion en France et surtout chez nos malheureux “ rapatriés ”. Mais nos amis qui vous portaient encore un religieux respect et une absolue confiance, se persuadèrent que cette haute distinction lui était faite sur la demande impérative de MM. De Gaulle et Ben Bella. Une telle interprétation, sans compter qu'elle était pour Vous peu honorable, montrait que vos fils butaient sur l'énigme. Comment le Pape pouvait-il nommer cardinal un Évêque qui avait préféré les terroristes musulmans aux placides, trop placides chrétiens de son troupeau et qui, récompensé de ses efforts, venait de perdre un million de fidèles pour n'en plus garder qu'une poignée, oublieux d'autres égorgés, d'autres souillés, des églises profanées, des cimetières bouleversés, bref, devenu Pasteur d'une Chrétienté ruinée, dévastée par ses soins et ceux de ses amis fellaghas. Du complice des assassins, du naufrageur, Vous faisiez un cardinal !

J'expliquai votre pensée profonde, l'intention “ pastorale ” cachée dans cette énigme : « C'est, hélas ! la vérification irrécusable de mes analyses sur l'Église Nouvelle : elle s'est choisi pour modèle ce rêveur triste qui conduit sa chrétienté au tombeau » 25Lettres 195 p. 8; cf. 133 p. 2, 197 p. 8. Je disais par euphémisme : l'Église. Il fallait lire : Vous !

L'anticolonialisme a toujours existé à Rome. Vous l'y avez retrouvé, après votre exil de dix ans, plus chaud encore que Vous ne l'aviez laissé... Mais Vous lui avez apporté tout le surcroît de votre inlassable diplomatie et de vos innombrables propos. Il suffit d'ouvrir le dossier de vos discours africains.

Ainsi, le 29 juillet 1969, Vous vous rendez en Ouganda « dans un but essentiellement religieux » 26CRC 23 p. 3. Vous y manifestez mille respects et affections — et largesses d'aumônes pour ses pauvres — à ce sinistre coquin d'Obote, sanguinaire et voleur, qui était “ Premier Ministre ” et dont le pays s'est justement débarrassé peu après. Vous lancez alors, de ce centre de l'Afrique, un message de libération et d'égalité raciale qui constitue un appel non équivoque à l'insurrection générale de l'Afrique contre l'homme blanc, en Rhodésie, en République Sud-Africaine, au Mozambique... Il ne pouvait y avoir pire agent de subversion pour des peuples que Vous.

« Paul VI, lui (par opposition aux Évêques d'Afrique), n'a pas eu peur de se compromettre, publiait La Croix. C'est ainsi qu'il rappelle avec force, à l'encontre du Portugal et de la Rhodésie, que l'Église soutient sans réserve la liberté des territoires nationaux. Même si des étapes sont parfois nécessaires. L'Église, pour sa part, a contribué à l'accession à l'indépendance des pays africains en affirmant la dignité des personnes et des peuples et en leur faisant découvrir leur dignité. Elle donne du reste l'exemple en africanisant sa hiérarchie et en se préparant à le faire là où cela n'a pas encore été possible. Aucun État africain n'a rien à craindre de l'Église, bien au contraire » 27La Croix, 4 août 1969; CRC 24 p. 13; cf. Lettres 189 p. 5.

Vous ne songiez pas qu'en traitant Obote comme un frère, et le portugais voisin comme un samaritain, votre racisme anti-blanc, votre racisme nègre Vous faisait complice et coopérateur de la barbarie ! Ô disciple candide de Jean-Jacques Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre, prenant parti pour le “ bon sauvage ” contre l'européen, pour le païen et le musulman insoumis contre le chrétien...

« Ce discours courageux (?!) a suscité non seulement les applaudissements redoublés de l'assistance, mais aussi une grande joie parmi les journalistes africains qui se sont précipités sur les téléphones et les téléscripteurs pour le “ répercuter dans l'Afrique entière ” selon l'expression finale du discours », conclut La Croix, et je commentai : « sainte joie ! » 28

La Croix, 4 août 1969; CRC 24 p. 13; cf. 26 p. 13Ces discours africains constituaient une très habile et redoutable manœuvre contre les Blancs. Vous réclamiez l'indépendance des noirs et la fin de toute discrimination raciale, comme des exigences absolues de la Justice et de la Paix. Mais Vous demandiez que cela se fasse par obéissance aux Institutions Internationales et non par violence. C'était réclamer l'arrêt des combats et la soumission inconditionnelle des parties adverses à la décision de l'ONU. Très malin ! En préconisant l'arbitrage du Droit, Vous mettiez au pilori ceux qui le refuseraient et continueraient de combattre. Mais Vous saviez et Vous vouliez faire comprendre aux noirs que la règle démocratique de l'ONU mettrait, à tous les coups, le Droit du côté de leur révolte et de leurs revendications les plus absolues ! Votre médiation “ évangélique ”, au nom de la Justice et du Droit, de la Non-Violence et de la Paix, était une trahison des États existants et légitimes, ne Vous en déplaise, au profit des maquis de libération et de tous les terrorismes de couleur.

Ces discours étaient-ils si braves, si courageux ? Non, vraiment pas ! Votre anticolonialisme rejoint celui de l'ONU, du grand capitalisme international, tout absorbé par son intérêt immédiat et mercantile, celui de l'impérialisme communiste, russe et chinois, celui de l'intelligentsia gauchiste. Hélas, celui des jeunes missionnaires progressistes, persuadés que l'Église aura un grand rôle à jouer après qu'elle aura aidé les peuples “ opprimés ” a se libérer et qu'elle sera délivrée de l'hypothèque “ coloniale ”. Que de monde ! Vous êtes l'ami de tout le monde. Quel courage y a-t-il à se “ compromettre ” avec le Monde ? et contre les chrétiens ?

Le Monde aime, soutient, arme, justifie les terroristes, les égorgeurs de femmes et d'enfants, les sauvages. Eh ! bien, Vous les recevez donc au Vatican. L'événement, insolite, énigmatique, est le type même du parfait scandale qui débloque une situation et avance vos desseins. Le 1er juillet 1970, trois chefs des mouvements terroristes d'Angola, Mozambique, Guinée-Bissau et Cap-Vert, étaient reçus au “ baisemain ” qui suivait l'audience générale.

Aussitôt, l'Osservatore Romano, fidèle à votre tactique éprouvée, démentait l'intention profonde, le calcul : « toute interprétation, de surprise ou d'approbation, n'avait pas de raison d'être » ... Il expliquait benoîtement : « Le Pape, de par sa mission, reçoit tous ceux qui demandent le réconfort de sa bénédiction (sic !!!). C'est ce qui s'est produit pour les personnes en question... » Et la Secrétairerie d'État d'élever l'hypocrisie à la hauteur sublime d'un instrument diplomatique : « Il ne s'agissait pas d'une audience au sens propre : dans le cadre des rencontres de caractère général... en sa qualité de Pasteur universel... le Saint-Père ne pouvait opposer un refus absolu... sans référence à la qualification politique que s'attribuaient ces personnes, mais en tant que catholiques ou chrétiens, ainsi qu'ils avaient été qualifiés dans la requête... Le Saint-Père... qui ne connaissait pas concrètement leur activité et bien qu'il ne fût pas de sa compétence de formuler un jugement politique sur la situation concrète de la zone (sic) d'où ils venaient, etc... etc... » Le mensonge compagnonnait l'assassinat.

Le Portugal ainsi débouté de sa plainte — mais laissez-moi admirer en passant la foi, la loyauté limpide, la hauteur de vue, la condescendance, la sagesse du Professeur Caetano, homme d'État portugais, par contraste —, le poison du scandale pouvait donner son plein effet. Dès le 9 juillet, La Croix : « On doit observer... que le Portugal, tout en se proclamant pays catholique, ne tient nullement compte dans sa politique coloniale des enseignements répétés des Papes sur les droits de l'homme et des peuples. Il est significatif que Paul VI ait remis aux trois leaders africains un exemplaire de l'Encyclique Populorum Progressio. D'autre part, il est clair que les trois hommes ne se sont pas “ infiltrés ” au Vatican et que le Pape a personnellement voulu les rencontrer. Il va de soi que ce geste n'équivaut pas à bénir le terrorisme, pas plus que le fait d'entretenir des relations avec le gouvernement portugais n'implique une approbation de l'action, en Afrique, des forces armées du Portugal... Mais l'audience du 1er juillet garde, vis-à-vis du gouvernement portugais, la signification d'un avertissement : en effet, elle manifeste aux nationalistes qu'ils ne sont pas considérés comme des réprouvés, exclus de la communauté chrétienne, et que l'Église n'apporte pas sa caution à l'ordre colonial établi dans les “ territoires portugais ” (les guillemets sont de La Croix) » 29DC 70, 718; CRC 34 p. 14, 45 p. 13.

Votre neutralisme de façade n'a même plus à dissimuler pour personne votre aide à la subversion, au mépris du droit international et j'ajoute, en pesant mes mots, au mépris de la morale évangélique et de la Loi de Dieu. Je ne connais rien de pire que le mensonge ecclésiastique mis au service de l'homicide politique. Je préfère encore l'homme au couteau entre les dents aux plumitifs du Vatican attelés à pareille besogne !

VOTRE PRO-COMMUNISME INCONDITIONNEL.

Un Pape est, doit être, ne peut qu'être ANTICOMMUNISTE INCONDITIONNEL, c'est l'évidence même. Mais pareille attitude serait un obstacle absolu à Votre Grand Dessein d'ouverture au monde et de réconciliation universelle. Donc Vous serez pro-communiste avec d'infinies précautions, nécessairement : CRYPTO-COMMUNISTE. Je ne referai pas l'histoire de ce renversement des alliances, de ce retournement d'Ouest en Est de la diplomatie pontificale, de cette lente, très précautionneuse, subtile réhabilitation du marxisme athée qui aboutit aujourd'hui à autoriser le chrétien d'Occident à adhérer au Parti Communiste et qui installe dans un évêché de Tchécoslovaquie un président de l' “ Association Pacem in terris ”, donc un agent certain du communisme infiltré dans l'Église 30Conf. de Mgr Matagrin, 16 janv. 1973, Mutualité; CRC 66 p. 3 — DC 73, 343.

Au point de départ, Vous aviez un atout : la fameuse distinction, faite par l'auteur de Pacem in terris, entre le mouvement historique et l'idéologie. Celle-ci est fixe, mais celui-là évolue 31DC 63, 541; CRC 45 p. 9; cf. Lettres 181 p. 6, 214 p. 6. Vous pourrez donc, supposant que le communisme évolue et qu'il se bonifie, tendre les bras vers lui, recevoir ses émissaires, coopérer avec lui « pour la justice et la paix dans le monde »... Au simple énoncé de ces mots lourds de trahison, se lèvent en Votre mémoire et en la nôtre tous les grains du chapelet de scandales que fabriquent votre Casaroli et son brain-trust depuis dix ans.

Les plus petits scandales sont quelquefois ceux dont la signification est la plus vaste et le secret le plus lourd. Telle, en 1965, cette “ sanatio in radice ” du mariage civil du R. P. Tondi, votre ancien collaborateur à la Secrétairerie d'État, qui passa au communisme, voyons, quand exactement ? avant de vous quitter ou après ? Cette dispense extraordinaire de la forme religieuse, canon 1138, est insolite. Ce service exceptionnel à un ancien collaborateur — de Vous et de Moscou — pose une énigme 32Lettres 200 p. 8. J'en ai la solution. Vous aussi...

Un autre gros scandale, si méthodiquement accompli qu'il est passé des faits dans les livres sans fâcheuses conséquences pour son glorieux auteur et pour Vous qui le couvriez de votre ombre : le détournement frauduleux de la Pétition des 300 Évêques réclamant en septembre 1965 la condamnation du communisme par le Concile 33Comm. de Gaudium et Spes, Coll. Unam Sanctam t. II p. 120 note 120; CRC 6O p. 7 et 11. On a toujours et partout pensé que Mgr Glorieux ne se serait pas permis pareille faute s'il n'avait été “ couvert ” et “ mis au parfum ” ; que d'ailleurs il ne serait jamais puni... Ainsi le scandale fait toujours son effet : le Pape n'a pas voulu que le Concile condamne le Communisme. Donc, le Communisme n'est plus condamné !

J'ai montré en son temps comment votre manière d'en parler dans votre première Encyclique était si bien enchevêtrée qu'elle ouvrait la porte de l'Église au dialogue, à la réconciliation, à la coopération avec les communistes 34Lettres 180 p. 6, 181 p. 6. Et de plus en plus largement dans la suite de vos Documents sociaux 35Lettres 245 p. 5.

Il faudrait une étude attentive et complète de vos allusions aux persécutions, de vos témoignages d'affection aux persécutés, pour conclure sur preuves comme le populaire a conclu d'instinct : que Vous voulez au maximum oublier ces malheureux, ignorer ce problème, pour ne pas être arrêté dans votre politique de rapprochement et de coopération avec les États Communistes. Mais la vérité fulgurante des faits a crevé soudain les ténèbres du Vatican, en octobre 1971. Ce fut l'enlèvement forcé, moralement forcé par Vous, du Cardinal Mindzenty ramené de Hongrie — où il gênait — à Rome où Vous deviez l'empêcher de publier ses Mémoires...

Et ce fut le cri bouleversant du Cardinal Slipyi devant le Synode atterré, bouleversé, honteux ; ce Confesseur de la foi, ce rescapé des bagnes soviétiques « clamant son indignation — excusez-moi de me citer moi-même 36Séance du 25 oct. 1971, DC 71, 1027; CRC 51, Tract 5 p. 2 — aux traîtres, de Rome et d'ailleurs, qui font la paix avec les persécuteurs sans souci des millions de leurs frères et fils que le Communisme soviétique traque, déporte et martyrise : « Sur cinquante quatre millions d'Ukrainiens catholiques, dix millions sont morts à la suite de persécutions ! Le régime soviétique a supprimé tous les diocèses ! Il y a une montagne de cadavres et plus personne, même dans l'Église, ne défend leur mémoire. Des millions de fidèles sont encore incarcérés ou déportés.« Mais la diplomatie vaticane (c'est Vous !) préfère qu'on n'en parle pas, car cela gêne ses tractations. Nous en sommes revenus au temps des Catacombes. Des milliers et des milliers de fidèles de l'Église d'Ukraine sont déportés en Sibérie et jusqu'au cercle polaire mais le Vatican Ignore cette tragédie. Les martyrs seraient-ils devenus des témoins gênants ? Serions-nous un boulet que traîne l'Église ? »

Hélas !

On aurait cru un instant que l'Église du Silence allait troubler le silence de l'Église. Mais non ! Les apparences de parlementarisme de ce Synode ne trompaient pas les Évêques sur l'illusion de leur force en face du Pouvoir Absolu de votre Secrétairerie d'État pro-communiste. Depuis, le Cardinal Slipyi n'en a plus fini avec les tracasseries de Vos Services et la pierre du tombeau est retombée sur ces témoins gênants qui se font égorger pour le Christ... Mais cela Vous condamne, Très Saint Père, devant Dieu et devant les hommes.

Cette ouverture au communisme, ce passage aux barbares, c'est un monde d'événements, de déclarations, d'intrigues, de consignes. Ce sont vos rencontres avec Gromyko, avec Podgorny... Ce sont ces longues séances secrètes accordées au fameux et vraiment trop jeune archevêque de Léningrad, Mgr Nikodim, agent soviétique de première grandeur 37CRC 27 p. 2, passim; cf. Lettres 215 p. 8, 242 p. 1. Qu'est-ce que Vous avez donc tant à dire à ces gens-là ? Vous pourrez prétendre que Vous leur réclamez l'amélioration du sort affreux de vos fils persécutés. Mais alors pourquoi tant de mystère ?

Et quand nous apprenons aujourd'hui que depuis six ans l'actuel Secrétaire du Parti communiste italien, Berlinguer, était votre agent secret diplomatique auprès du gouvernement communiste de Hanoï 38Déclarat. du Vatican, 21 fév. 1973, nous comprenons sans peine que le Vatican est devenu une plate-forme de la propagande et de l'activité diplomatique du Communisme mondial dans sa conquête de l'Occident. Relais de diffusion, base logistique, demain Quartier Général ? L'aventure du Chili, passant de Frei, votre ami, à Allende le communiste qui n'est pas votre ennemi, est là pour nous instruire.

Les gestes insolites se font de moins en moins énigmatiques, parce que l'opinion est de plus en plus disposée à les encaisser. Quand Vous décidez de bâtir un hôpital au Nord-Vietnam en guerre, le geste parle d'affreux bombardements américains, de pauvres corps disloqués, de victimes civiles innocentes 39Lettres 246 p. 3. Votre neutralisme est singulièrement sélectif mais il va dans le sens de la propagande communiste mondiale. Et les gens réfléchis de conclure : « Le Pape est un fourrier du communisme et de la révolution mondiale » 40“La Gauche du Christ”, J. Duquesne p. 15; CRC 66 p. 4, cf. 42 p. 5, 50 p. 12, Lettres 189 p. 5. Je l'avais dit en 1964, Lettres 189 !

Comment justifier ce pro-communisme évident, qui Vous transforme en agent, en propagandiste et en courroie de transmission de toute campagne “ pour la paix ” ? Comment ? Est-ce un “ ralliement ” analogue à celui que tenta Léon XIII, dans l'espoir d'obtenir la fin des persécutions ? Mais ce serait d'une naïveté incroyable ! Et tous vos Prédécesseurs n'ont-ils pas condamné absolument pareil calcul ! Est-ce la prévision d'une victoire et d'une expansion mondiale du communisme, et alors le souci de préparer la survie de l'Église en lui prêtant la main, comme a été l'anticolonialisme “ prophétique ” de Rome ? Mais les déboires de l'Église dans un Tiers-Monde, pourtant décolonisé avec son concours, ne sont rien en comparaison de l'implacable persécution qui tomberait sur elle au lendemain du triomphe communiste, quand bien même Elle y aurait aidé de toutes ses forces ! Alors, pourquoi ? L'énigme ne se laisse pas encore résoudre totalement.

Votre appel à la Chine, votre allégresse à l'annonce de la Révolution Culturelle, de ses saccages et de ses profanations, rappellent le Lamennais de la dernière période. Est-ce chez Vous l'attrait du chaos ? Je n'ose le croire.

Rappelez-Vous votre Épiphanie 1967 : « Nous voudrions faire savoir à la jeunesse chinoise avec quel émoi et quelle affection Nous considérons son exaltation présente vers des idéaux de vie nouvelle, laborieuse, prospère et de concorde... Nous adressons Nos vœux à la Chine si éloignée de Nous géographiquement, mais si proche spirituellement... Nous voudrions aussi parler de paix avec ceux qui président aujourd'hui à la vie de la Chine continentale. Nous savons combien cet idéal humain et chrétien est celui-là même du peuple chinois » 416 janv. 1967, DC 67, 219; Lettres 240 p. 5.

Je commentai : « Révélation des cœurs ! Cette concorde de Paul VI et de Mao, des novateurs dans l'Église et des Gardes Rouges, les chiens enragés de l'Asie, révèle et précipite la discorde entre civilisés, entre catholiques. Pourquoi le dissimuler ? Comment nier plus longtemps qu'il existe entre ce Pape, ce Concile, cette Église Nouvelle et nous une sorte d'excommunication permanente ? » 42Lettres 240 p. 5; 242 p. 1.

Fait significatif, mon Évêque d'alors, Mgr Le Couëdic, et beaucoup d'autres avec lui, citèrent cette dernière phrase dans de sévères Avertissements et Mises en garde contre notre mouvement de CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE 43DC 67, 457. Tous ces textes cités dans Lettres 243 p. 3-4. Mais aucun, aucun ! n'osa citer le contexte où s'inscrivait cette phrase exclamative. Ils ne pouvaient faire connaître à leurs fidèles la raison de cette « sorte d'excommunication permanente » ! Menteurs d'Évêques ! Il aurait apparu trop clairement à leurs ouailles abusées que la honte, le crime, le calcul insensé y sont Vôtres et non pas nôtres. Tous les catholiques, en face de ce choix, Vous excommunieraient plutôt, Vous et vos Gardes Rouges, pour rester fidèles à l'Église des Martyrs.

Mais il faut chercher plus profond les ultimes raisons de votre haine de l'Occident Chrétien, de votre anticolonialisme aveugle, de votre pro-communisme inconditionnel. Il faut descendre de l'insolite à l'énigmatique, et de l'énigmatique à l'occulte.

  • Pour l'Église, tome 3 : Contre la dérive schismatique, Frère François de Marie des Anges, Chapitre 6 : le libelle d'accusation contre Paul VI
Avec le libelle sont publiés ces éditoriaux de La Contre-Réforme Catholique :
  • Mille catholiques, CRC tome 5, n° 64, janvier 1973
  • L'ultime recours, CRC tome 5, n° 65, février 1973
  • Rome, CRC tome 5, n° 67, avril 1973, p. 1-4
  • La leçon de Rome, CRC tome 5, n° 68, mai 1973, p. 1-3
  • Appel au clergé romain, CRC tome 5, n° 75, décembre 1973, p. 13-14
Voir aussi une controverse :
  • Critique du libelle (notes de Mgr Rougé, évêque de Nîmes), CRC tome 6, n° 84, Septembre 1974, p. 3-12
Audio/Vidéo :
  • L 13 : La Contre-Réforme à Rome. 9-12 avril 1973. 2 h. (aud.)