1. Votre hérésie personnelle

CETTE hérésie qui vous est personnelle, je l'ai exposée et expliquée dès le 22 février 1965 et durant les mois suivants 3Lettres 197, 199, 200, 202, 204, 206, 208, 219, 231, 235-236-238, 240, 242, et ensuite à bien des reprises 4CRC 1 p. 4, 3, 6, 20 p. 4, 24 p. 11, 28 p. 3, 35, 42 p. 8, 52 p. 4, 47, 57, 59, 60. C'est une nouvelle théorie de la religion comme “ MOUVEMENT D'ANIMATION SPIRITUELLE DE LA DÉMOCRATIE UNIVERSELLE ”, en abrégé : MASDU... C'est une utopie politico-religieuse. Elle vous vient, dit-on 5Lettres 148 p. 2, 180 p. 2, 200 p. 2; cf. CRC 50 p. 4, de votre ascendance familiale mais aussi des penseurs que vous avez admirés et fréquentés assidûment pendant un demi-siècle. Vous auriez pu, accédant au Souverain Pontificat, les renier. Vous avez voulu, au contraire, autant qu'il vous serait possible, les imposer à toute l'Église, sous le couvert de votre Magistère authentique, indûment présenté comme Ordinaire. C'était chose relativement facile, parce que le monde actuel est imprégné de pareilles chimères contre lesquelles l'Église seule, les Souverains Pontifes presque seuls luttaient encore. C'est le Messianisme révolutionnaire de Lamennais, c'est la Démocratie chrétienne de Sangnier, tout cela repris et mis en système par Jacques Maritain votre ami : L'HUMANISME INTEGRAL 6Lettres 172, 197, 200, 238, 245 p. 7; CRC 9 p. 11, 17 p. 9, 24 p. 15, 26 p. 9-11, 42 p. 5, 59-61.

On peut décomposer ce système en trois parties et un important corollaire :

1° – L'HUMANITÉ, au lieu de l'Église et de sa Chrétienté, est la société de salut universelle.

2° – La Charte des DROITS DE L'HOMME en est l'ÉVANGILE nouveau, avec sa trilogie de Liberté, Égalité, Fraternité.

3° – La Construction de la DÉMOCRATIE MONDIALE est la forme terrestre du ROYAUME DE DIEU. Elle se fera par l'avènement de la Justice et de la Paix, dans la Vérité et dans l'Amour...

Corollaire : la RELIGION, toutes confessions réunies, sera l'inspiratrice et l'ANIMATRICE SPIRITUELLE de l'Humanité ainsi régénérée.

1° – AU LIEU DE L'ÉGLISE, L'HUMANITÉ

Votre vision du monde, Très Saint Père, abolit la différence et l'opposition irréconciliable qu'affirmaient avec autorité vos Prédécesseurs, tel Léon XIII dans Humanum Genus : « Le Genre humain est partagé en deux camps ennemis, lesquels ne cessent de combattre l'un pour la vérité et la vertu, l'autre pour tout ce qui leur est contraire. L'un est la véritable Église de Jésus-Christ... l'autre est le royaume de Satan » 7Encyclique du 20 avril 1884; cf. Lettres 189 p. 4. Dès votre Ecclesiam Suam, vous refusez le ghetto catholique, comme dit le Père Congar, et tout autant la domination de l'Église sur la société temporelle devenue ainsi “ Chrétienté ”. Vous ne voulez connaître qu'un Monde profane, défini comme un corps social universel, légitimement autonome, extérieur à l'Église, pleinement humain, ni chrétien ni satanique. Au cours de cette Encyclique, vous omettez intentionnellement, dans la citation que vous faites de Saint Paul aux Corinthiens, ces deux passages : « Quelle entente entre le Christ et Bélial ? ... Quel accord entre le temple de Dieu et les idoles ? » 8II Cor. 6, 14-16; DC 64, 1078; Lettres 199 p. 1, 218 p. 8. Vous ignorez délibérément les forces adverses avec lesquelles Vous ne pourriez décemment prêcher la réconciliation. Vous supposez le problème résolu, Satan définitivement réconcilié, exclu ou inexistant !

LES HOMMES SONT TOUS FRÈRES.

Toutes divisions, guerres, rivalités, ne sont pour Vous que malentendus, malheurs qui durent “ encore ” entre “ hommes de bonne volonté ”, mais sont en voie de résorption. Le monde s'unifie, les hommes sont en train de découvrir leur communauté d'origine, d'aspirations et de destin. Le mal et le bien sont également mêlés en tous, mais tous désirent également la régénération globale de l'humanité :

« L'homme doit rencontrer l'homme, les nations doivent se rencontrer, comme des frères, comme des sœurs, comme les enfants de Dieu. Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans cette communion sacrée (sic), nous devons également œuvrer ensemble pour l'avenir commun de l'humanité... Une telle union ne peut être édifiée sur la terreur universelle ou la peur de la destruction mutuelle, elle doit être édifiée sur l'amour commun qui s'étend au monde entier et s'enracine en Dieu qui est amour », disiez-vous à Bombay le 2 décembre 1964 9DC 65, 6; CRC 47 p. 11.

C'est le premier article de votre nouveau Credo humaniste : Les hommes sont tous frères parce qu'ils ont Dieu pour Père : « L'homme se dévoue pour l'homme, parce qu'il le reconnaît pour son frère, comme le fils d'un même Père » 10Discours à la FAO, 16 nov. 1970, 1056; CRC 40 p. 5, et encore : « Voici donc quel est Notre message pour l'année 1971. Il fait écho, voix nouvelle née de la conscience civilisée (?), à la Déclaration des Droits de l'homme : “ Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits ; ils sont doués de raison et de conscience et doivent se comporter les uns envers les autres comme des frères ”. À ce sommet est arrivée la doctrine de la civilisation. Ne retournons pas en arrière. Ne perdons pas les trésors de cette conquête axiomatique. Donnons plutôt une application, logique et courageuse, à cette formule, ligne d'arrivée du progrès humain : “ Tout homme est mon frère ”. La paix, en essence et en devenir, c'est cela. Et cela vaut pour tous » 11Message pour la Journée de la Paix, 14 nov. 1970, DC 70, 1103; CRC 40 p. 4.

C'est la transposition en termes humanistes des merveilles de la grâce, de l'adoption filiale et de la Communion des Saints. Vous dépouillez de tous ses biens l'Église du Christ pour en orner l'humanité “ civilisée ” d'aujourd'hui.

LES HOMMES, AU FOND, SONT BONS.

Bien plus, tous les hommes sont bons, tous désirent la paix, la justice, le progrès. “ Expert en humanité ” 12Discours à l'ONU, 4 oct. 1965; Discours p. 323; Lettres 2l5-218, vous vous en portez garant : désormais, tout est possible aux hommes parce qu'ils sont bons.

« Oui, la paix est possible, parce que les hommes, au fond, sont bons, sont orientés vers la raison, vers l'ordre et le bien commun ; elle est possible parce qu'elle est dans le cœur des hommes nouveaux, des jeunes, des personnes qui comprennent la marche de la civilisation... » 13Message pour la 1ère Journée de la Paix; DC 68, 100; CRC 4 p. 2, 47 p. 12. « À l'heure actuelle, la fraternité s'impose : l'amitié est le fondement de toute société humaine moderne... il faut que la démocratie, à laquelle les groupes humains font tant appel de nos jours, s'ouvre à une conception universelle, de manière à renverser les barrières qui s'opposent à une fraternité humaine effective » 14Message de Noël 1964; DC 65, 131; Lettres 200 p. 3; CRC 47 p. 8. C'est l'un des grands axes de votre pensée : l'homme est bon, les peuples désirent la paix, la forme démocratique des sociétés modernes leur permet d'imposer aux grands et aux puissants cette volonté pacifique dont ils ne veulent pas. Et cela Vous amène parfois à... divaguer :

« Vous, le peuple, vous avez le droit d'être entendu... Mais vous avez le droit légitime et sacré de réclamer que les chefs conduisent les choses de telle façon que vous n'ayez pas à souffrir... Eh ! bien, nous sommes en démocratie... Cela veut dire que le peuple commande, que le pouvoir provient du nombre, de la population telle qu'elle est. Si nous sommes conscients d'un tel progrès social qui se répand dans tout le monde, nous devons donner à la démocratie cette voix prédominante : le peuple ne veut pas la guerre. Les masses doivent imposer l'idée qu'il ne doit plus y avoir de guerre dans le monde » 15Discours du 1er janvier 1971; DC 71, 65; CRC 41 p. 10.

Ainsi, toutes les vertus surnaturelles que la société chrétienne puise dans les mérites du Christ, la grâce des sacrements et l'obéissance aux Commandements de Dieu, Vous les attribuez comme naturellement aux hommes, globalement aux masses, d'où résulte cette DÉMOCRATIE UNIVERSELLE dont Vous attendez un bond en avant de l'humanité. Comme si le démon n'y régnait pas ! Ni le péché originel ! ni tant de désordres et de crimes ! Comme si la bonté était dans la nature et dans le cœur de tous les hommes d'aujourd'hui !

L'ONU, VOTRE UNIQUE ESPÉRANCE.

Alors Vous proclamez, en lieu et place de la Sainte Église de Dieu, l'ONU comme le grand, le suprême espoir de l'humanité. Vous y voyez la réplique temporelle de ce qu'est l'Église au plan spirituel ! Vous admirez comme un autre mystère et un autre miracle, ce que vos Prédécesseurs dénonçaient comme une caricature antagoniste et irréconciliable, souverainement malfaisante, de l'Unité fondée sur le Christ et conservée par l'Esprit-Saint. Et vous mettez votre confiance, votre espérance, votre dévouement en cette Tour de Babel maçonnique, plus que dans l'Église. C'était le 4 octobre 1965 à Manhattan :

« Les peuples se tournent vers les Nations-Unies comme vers l'ultime espoir de la concorde et de la paix. Nous osons apporter ici, avec le Nôtre, leur tribut d'honneur et d'espérance » 16Discours à l'ONU; Discours p. 323; Lettres 215 p. 5; cf. 200 p. 7.

« Vous existez et vous travaillez pour unir les nations, pour associer les États. Adoptons la formule : pour mettre ensemble les uns avec les autres. Vous êtes une association. Vous êtes un pont entre les peuples... Nous serions tenté de dire que votre caractéristique reflète en quelque sorte dans l'ordre temporel ce que notre Église catholique veut être dans l'ordre spirituel : unique et universelle. On ne peut rien concevoir de plus élevé, sur le plan naturel, dans la construction idéologique de l'humanité...

« Ici, s'instaure un système de solidarité, qui fait que de hautes finalités, dans l'ordre de la civilisation, reçoivent l'appui unanime des peuples, pour le bien de tous et de chacun.

« C'est ce qu'il y a de plus beau dans l'Organisation des Nations-Unies, c'est son visage humain le plus authentique. C'est l'idéal dont rêve l'humanité dans son pèlerinage à travers le temps ; c'est le plus grand espoir du monde. Nous osons dire : c'est le reflet du dessein de Dieu — dessein transcendant et plein d'amour — pour le progrès de la société humaine sur la terre, reflet où Nous voyons le Message évangélique, de céleste, se faire terrestre » 17Discours à l'ONU; Discours p. 325-330; Lettres 215; 236; cf.189 p. 6, 202 p. 7.

Ainsi, dans votre rêve, l'ONU, cette Tour de Babel jacassante, inefficace pour le bien, efficace pour le mal, se substitue à l'Église, la dépasse, la déborde de toutes parts. C'est elle qui réalise sur terre le dessein de Dieu, qui accomplit les prophéties. Elle, la dernière chance de l'humanité ! Quel mépris de l'Église !... et du Christ en dehors duquel se construit toute cette organisation mondiale, ONU, UNESCO, FAO, agressivement antichrists ! Votre “ culte de l'homme ” vous égare. Vous dépouillez Dieu de toutes ses œuvres, courtisan de ses ennemis, pour en parer abusivement les ridicules, les dangereuses, les corrosives créations de Satan !

« Nous n'avons pas à démontrer, écrivait Saint Pie X, dans sa Lettre sur le Sillon, que l'avènement de la démocratie universelle n'importe pas à l'action de l'Église dans le monde... La réforme de la civilisation est une œuvre religieuse, au premier chef, car pas de vraie civilisation sans civilisation morale et pas de vraie civilisation morale sans la vraie religion : c'est une vérité démontrée, c'est un fait d'histoire » 17'Lettre sur le Sillon; CRC 47; No 31 et No 36; p. 8, p. 10.

C'est une hérésie de prétendre que l'humanité est bonne, généreuse, fraternelle, pacifique, en dehors du Christ. C'est une impiété de dire que l'ONU est la réplique politique de l'Église, le reflet terrestre de l'Évangile céleste, l'expression réelle et universelle du dessein de Dieu. C'est un mensonge qui déshonore le Christ et c'est d'ailleurs une absurdité. S'il y a une réalisation temporelle de l'Évangile, c'est la civilisation chrétienne des peuples catholiques, toute fondée sur Jésus-Christ, prolongement social de l'Église, œuvre de grâce et de foi. Ce ne sera jamais la maçonnique ONU.

2° – AU LIEU DE L'ÉVANGILE, LA CHARTE DES DROITS DE L'HOMME

L'Église et la Chrétienté, depuis deux mille ans, vivent de la grâce de Dieu et des vertus théologales, dont les vertus morales ne sont que les effets dérivés. Selon notre Évangile, point de charité fraternelle sans amour de Dieu et point d'amour de Dieu sans la grâce du Christ que donne seule l'Église. Sur quoi sera fondée cette humanité régénérée que vous appelez à un si glorieux avenir ? Là, vous suivez Maritain dans ce que son “ Humanisme intégral ” a de plus pervers. Cette Démocratie Universelle, cette Cité mondiale désacralisée sera fondée sur la “ Conscience ” et régie par la Loi de la civilisation moderne, la “ Charte des Droits de l'Homme ”. Avec Maritain, mettant ainsi votre foi en accord avec votre “ nouvel humanisme ”, vous pensez que les Droits de l'Homme sont tout simplement la transposition en langage moderne et profane... du Message évangélique ! Vous confondez la conscience morale avec la force morale que donne seule la grâce divine, et la solidarité humaine avec la charité chrétienne... Voilà donc le Christ et l'Église encore dépouillés au profit de l'incroyance. Et c'est le Pape qui parle ainsi ?

LA CONSCIENCE, SOURCE DE VIE ET DE PERFECTION MORALE.

« Cet édifice que vous construisez, Messieurs, ne repose pas sur des bases purement matérielles et terrestres, car ce serait alors un édifice construit sur le sable ; il repose avant tout sur nos consciences... Jamais comme aujourd'hui, dans une époque marquée par un tel progrès humain, n'a été aussi nécessaire l'appel à la conscience morale de l'homme » 18Discours à l'ONU; Discours p. 333; Lettres 215 p. 5.

Cette « conscience civique du monde » 19Disc. du 8 déc. 1965; Discours p. 258, vous en faites une lumière et une force capables de guider et de soulever l'humanité perpétuellement au-dessus de ses passions, de ses intérêts, de ses désordres...

Dans l'une de vos Allocutions du mercredi, celle du 2 août 1972 20DC 72, 754, vous exposez cette théorie de la conscience considérée comme une force morale souveraine sur laquelle se greffe le “ sentiment religieux ”, en des termes stupéfiants :

« C'est en exprimant sa conscience morale que l'homme s'affranchit des tentations qui l'assaillent, parce que son organisme complexe est déréglé par une tare héréditaire : le péché originel. Il retrouve alors, du moins, la notion et le désir de sa perfection. C'est cette conscience morale qui lui fait surmonter les tentations avilissantes pour sa dignité, écarter les craintes qui le rendent lâche et sot, entretenir les sentiments qui font de lui un homme honnête et fort.

« C'est de cette conscience que tirent leur énergie les grandes figures du drame humain : les innocents, les héros, les saints. Pensez à Antigone. Pensez à tant de figures admirables qui émergent de l'histoire et de la chronique quotidienne parce que leur conscience morale est inébranlable, spécialement lorsque le sentiment religieux lui donne la vigueur que lui seul peut donner. Pensons à Thomas More, à Saint Augustin, aux deux saintes Thérèse, d'une façon générale aux saints qui nous ont donné le récit de leur vie, comme Édith Stein, et, dans la littérature, à un célèbre passage des Aldechi, de Manzoni » (je ne savais pas qu'Édith Stein fût canonisée ! Quant à Manzoni, vraiment qu'a-t-il à faire ici parmi les saints ?).

Et la suite du texte corrobore l'impression de naturalisme qui se dégage de ce long passage, avec la pénible certitude d'un subjectivisme selon lequel la religion n'ajoute à la force de la conscience que le secours accessoire du “ sentiment ”, de la puissance du cœur. Où est la grâce du Christ Rédempteur sans laquelle nous ne pouvons rien ? Où sont les sacrements ? et la prière, où est-elle ?

LE NOUVEL ÉVANGILE DES DROITS DE L'HOMME.

Qu'exprime donc cette conscience avec une telle énergie ? Les Droits de l'Homme ! « La conscience de l'humanité s'affirme toujours plus forte. Les hommes retrouvent cette part inaliénable d'eux-mêmes qui les réunit tous : l'humain dans l'homme » 21Message à l'ONU, 4 oct. 1970; DC 70, 902; CRC 40 p. 4.

« La Charte des Droits de l'Homme demander pour tous, sans acception de race, d'âge, de sexe, de religion, le respect de la dignité humaine et les conditions nécessaires à son exercice, n'est-ce pas traduire haut et clair l'aspiration unanime des cœurs et le témoignage universel des consciences ? » 22

Message à l'ONU, 4 oct. 1970; DC 70, 903; CRC 40 p. 4Tout un DÉCALOGUE HUMANISTE jaillit de la conscience universelle. Décalogue strictement humain, social, “ personnaliste ” si l'on veut, dont le seul Dieu est l'homme. C'est, de fait, la morale qui convient à ce Culte de l'Homme auquel Vous vous êtes rangé. Tant de grands mots enivrent : vérité, justice, dignité, solidarité, égalité, fraternité, etc. etc. Vous comptez sur tout cela qui foisonne dans la conscience de tous pour changer les rapports humains, pour vaincre laïquement la chair, le monde et le démon ?

Ainsi, dans votre Bref aux Nations-Unies du 4 octobre 1965 : « Pour assurer le bien public qui intéresse tout le genre humain, il ne peut y avoir d'autre organisation que la vôtre qui est fondée sur le respect du droit, de la juste liberté, de la dignité de la personne, le rejet de la funeste folie de la guerre et de la fureur néfaste de la tyrannie » 23DC 65, 1746.

Excusez-moi, Très Saint Père, je ne vois là que du vent, un entassement de mots d'où ne sortira jamais le plus petit acte de vertu, le plus mince renoncement, un sacrifice, un éclair de pardon, le pardon de quelque injure, rien !

Relisez-vous donc : « L'homme n' est vraiment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences ». Et maintenant, veuillez lire Saint Pie X : « D'après lui, l'homme ne sera vraiment homme, digne de ce nom, que du jour où il aura acquis une conscience éclairée, forte, indépendante, autonome, pouvant se passer de maître, ne s'obéissant qu'à elle-même et capable d'assumer et de porter sans forfaire les plus graves responsabilités ». On dirait qu'il parle de Vous ! Or, voyez ce qu'il pense de cette doctrine qui est la vôtre : « Voilà de ces grands mots avec lesquels on exalte le sentiment de l'orgueil humain » 24Populorum Progressio No 34; Lettre sur le Sillon No 25, cf. CRC 47 p. 7 !

MORALE PAÏENNE.

Mais vous êtes engagé à fond dans ce naturalisme. Vous y croyez ! Tenez, à Bombay, le 2 décembre 1964, vous constatez une attente de l'humanité : « L'humanité subit de profonds changements et cherche les principes directeurs et les forces nouvelles qui la conduiront dans le monde de l'avenir ». Que lui offrez-vous alors ? Le Christ ? La loi de l'Évangile ? La grâce des sacrements ? Nullement. Mais ceci, qui est dérisoire : « Nous devons nous rapprocher les uns des autres, non pas uniquement par la presse et la radio, les bateaux et les avions à réaction, mais nous devons nous rapprocher avec nos cœurs, dans la compréhension mutuelle, l'estime et l'amour » 25DC 65, 5-6. Toujours l'humain ! La religion n'a aucune part à cet élan. C'est le culte de l'homme qui doit engendrer l'amour de l'homme dont vous attendez tout bien. Vous êtes franc-maçon... de religion chrétienne. Mais c'est le franc-maçon qui parle et jamais le chrétien.

On l'avait pressenti, une fois, le 1er septembre 1963. Cela vous avait échappé. Vous aviez dit : « Nous sommes dans la période consécutive à la Révolution Française avec toutes les catastrophes et toutes les idées désordonnées et chaotiques, et en même temps frémissantes et encore confiantes... On remarquait quelque chose de nouveau : c'étaient des idées vivantes (!), des coïncidences parmi les grands principes de la Révolution qui n'avait rien fait d'autre que de s'approprier quelques concepts chrétiens, fraternité, liberté, égalité, progrès, désir d'élever les classes humbles. Donc, tout cela était chrétien, mais avait revêtu alors un signe anti-chrétien, laïque, antireligieux, tendant à dénaturer cette partie du patrimoine évangélique visant à développer la vie humaine dans un sens élevé et noble » 26DC 63, 1372; CRC 47 p. 1. Ce jour-là, un frémissement de stupeur, de frayeur, avait parcouru l'Église. Vous en avez su quelque chose et vous vous êtes tu. Mais c'est là le fond de votre pensée. Les principes de 89 sont votre véritable Évangile.

3° – AU LIEU DU ROYAUME DE DIEU, UNE DÉMOCRATIE UNIVERSELLE

Faudrait-il vous expliquer que les chrétiens pratiquent les vertus morales sous l'influx de la grâce et dans la lumière des vertus théologales, parce qu'ils veulent « mourir avec le Christ pour ressusciter avec Lui » 27Rom. 6, 8; passim ? Et qu'il n'y a d'avancement pour l'ordre temporel, comme l'ont enseigné tous vos Prédécesseurs, que dans la mesure où les chrétiens « cherchent d'abord le Royaume de Dieu et sa Justice », c'est-à-dire la vie de la grâce et sa sainteté qui doivent les introduire à la Béatitude de Gloire du ciel ?

Car, là encore, Vous dépouillez le Royaume du Christ de tous ses attributs lumineux : la paix, le repos, la douceur, la joie, la Gloire, le Bonheur total pour tous les élus. Et vous en revêtez votre chimère du Monde Nouveau, comme d'un paradis terrestre reconstruit par la seule invention et la seule force des hommes !

ET VOUS CHANGEREZ LA FACE DE LA TERRE.

« Quelque chose de grand et de nouveau s'accomplit et se prépare qui peut changer la face de la terre » 2819 juil. 1971; CRC 47 p. 4. Je ne voudrais pas être sarcastique, mais il y a en Vous un messianisme trop personnel, qui Vous porte à croire que, partout où Vous passez, le miracle d'un Salut suprême et définitif se met en marche au seul appel de votre fervent humanisme. Ainsi, parlant à l'ONU, Vous avez cru que votre Discours ouvrirait l'ère nouvelle de la paix universelle. Vous démarquez le Christ et Vous annoncez une Bonne Nouvelle, pour tout de suite, ici-bas, et comme une œuvre purement humaine à laquelle préside seulement, de haut, impotent mais favorable, un Dieu Inconnu.

Écoutez-vous prophétiser : « Citoyens du Monde, Vous qui vous éveillez à l'aube de cette nouvelle année 1970, pensez un instant : où mène le chemin de l'humanité ? Un regard d'ensemble est aujourd'hui possible, un regard prophétique. L'humanité est en marche, elle tend vers une maîtrise plus grande du monde... Et à quoi sert-elle, cette conquête ? À vivre mieux, à vivre plus intensément. L'humanité, limitée par le temps, cherche sa plénitude de vie, et elle l'obtient... Elle tend vers l'unité, vers la justice, vers un équilibre et une perfection que nous nommons la Paix...

« La Paix est la fin logique du monde présent ; c'est le destin du progrès ; c'est l'ordre final vers lequel tendent les grands efforts de la civilisation... Nous annonçons la Paix comme le fruit principal de la vie consciente de l'homme, qui veut voir la perspective de son itinéraire prochain et futur. Une fois de plus, Nous annonçons la Paix, parce qu'elle est en même temps, sous divers aspects, principe et fin du développement normal et progressif de la société. » 29

Message pour la Journée de la paix, DC 70 p. 3-4; CRC 28 p. 3-6Vous êtes le type du faux prophète. Vous mentez aux hommes et vous trahissez votre Dieu. Votre crédulité est sans bornes si toutefois Vous croyez un mot de ce que Vous dites. Mais votre incrédulité est alors effroyable. Car la Parole de Dieu dément toutes et chacune de vos assertions. il n'y a pas de paix, nul repos, pour les constructeurs impies de la Tour de Babel. C'est le Christ qui nous donne la Paix, et non pas même comme le monde la donne.

Là encore, prenez des leçons de Saint Pie X, dans sa Lettre sur le Sillon : « Non, Vénérables Frères, — il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d'anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et législateur — on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l'a bâtie ; on n'édifiera pas la société, si l'Église n'en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n'est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c'est la civilisation chrétienne, c'est la cité catholique. Il ne s'agit que de l'instaurer et de la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l'utopie malsaine, de la révolte et de l'impiété : omnia instaurare in Christo » 30No 11; CRC 47 p. 3-4.

DE LA PAIX À LA JUSTICE

D'abord, Vous avez annoncé la PAIX comme un fruit mûr de la civilisation et de l'ONU. Votre prospective restait courte. Elle n'allait pas plus loin que l'annonce d'un apaisement de tous les conflits locaux qui vous paraissaient les séquelles de la dernière Guerre Mondiale. Votre idéal était la négociation substituée à la force des armes, l'établissement de la paix et alors, dans la collaboration de tous les peuples, la prospérité inouïe d'un monde heureux. C'était un idéal petit-bourgeois, conservateur !

Mais déjà une autre idée commençait à interférer avec celle de la paix : l'idée de JUSTICE. « Nous tous, disiez-Vous aux Pères Conciliaires le soir du 4 octobre 1965, persuadés que la paix doit avoir pour fondement la justice, nous nous ferons les avocats de la justice. Parce que le monde a grand besoin de justice et c'est de justice que le Christ veut que nous soyons affamés et assoiffés » 31Discours, p. 337-338. En fait, le Christ bénit ceux qui ont faim et soif d'une tout autre justice, la justice de l'homme envers son Dieu, la sainteté, dont la justice sociale n'est qu'une suite. Là encore, Vous défigurez l'Évangile pour en faire le message de votre messianisme nouveau, révolutionnaire.

Promouvoir la Justice

Car votre pensée, courant sur cette piste de la justice à promouvoir, de conservatrice se fait bientôt subversive. Au lieu d'avoir pour but la paix et pour idéal la prospérité formidable qui s'ensuivrait, maintenant vous reculez la perspective de la paix et en subordonnez l'avènement à l'instauration première de la justice. C'est toute la dialectique de votre Encyclique POPULORUM PROGRESSIO du 26 mars 1967 32Lettres 245; CRC 3. Votre analyse (marxiste !) de la situation internationale aboutit à une prospective menaçante : ou bien les peuples nantis partageront leurs biens avec les peuples déshérités, ou bien ceux-ci leur feront la guerre. C'est à choisir : ou la “ Justice ” qui est, selon Vous, l'Égalité, ou la guerre !

On peut dire que dès lors vous ne cesserez d'exciter les convoitises de tous les peuples du Tiers-Monde en leur proposant “ le développement ” comme le but essentiel et premier de tous leurs efforts, et, comme moyen d'y atteindre, la pression sur les peuples riches pour qu'ils partagent leurs biens..., qu'ils leur rendent ce qu'ils leur ont volé. « Le développement est le nouveau nom de la paix » 33Lettres 245 p. 3; Populorum Progressio No 87, ce slogan dans lequel vous résumez tout l'argument de votre doctrine sociale, est le point majeur de tout programme crypto-communiste actuel. Il résume une étape essentielle de la révolution mondiale. Il sous-entend que la condition des peuples pauvres est sous-humaine, intolérable, et qu'elle aura pour dénouement la guerre, si une solution rapide — mais chimérique — n'est pas trouvée et réalisée par les peuples riches...

RÉVOLUTION NON-VIOLENTE

Vous avez, à Bogota surtout, à Manille, en Australie, dressé les pauvres contre les riches, les peuples misérables contre les peuples d'Occident, selon la dialectique de la lutte des classes étendue à la planète. Là-dessus, décevant les uns, tranquillisant les autres, Vous avez recommandé la solution évangélique (de votre évangile) : l'Amour, et vous avez répudié la violence. Ainsi, le 21 août, au moment de partir pour Bogota :

« Qu'en d'autres temps, en d'autres circonstances toutes différentes, l'Église, les Papes eux-mêmes aient recouru à la force des armes et du pouvoir temporel, même pour des causes bonnes et dans d'excellentes intentions, Nous ne voulons pas aujourd'hui en juger ; pour Nous, le temps est révolu où l'on usait de l'épée et de la force, fût-ce pour promouvoir la justice et le progrès. Nous avons confiance que tous les bons catholiques et que toute la saine opinion moderne partagent nos sentiments. Nous sommes au contraire convaincu — et Nous le dirons là-bas — que le temps de l'amour chrétien entre les hommes est venu. C'est cet amour qui doit changer le visage de la terre ; c'est lui qui doit porter dans le monde la justice, le progrès, la fraternité et la paix » 34DC 68, 1582; CRC 11 p. 1, 12 p. 1.

Mais comme pareil règne de l'amour est de toutes les utopies la plus irréalisable dans un monde sans Dieu, votre prédication est une justification a priori de la violence. Il suffira que la preuve soit faite que rien n'est obtenu par “ l'amour ”, par la non-violence, pour que la haine et la révolution prennent le relais avec votre bénédiction !

Vous avez fait le principal, en présentant l'état des masses humaines et de maints peuples comme inhumain et violent, insupportable. Tous auront vite fait de se considérer dans ce cas ou vous autorisez « l'insurrection révolutionnaire » : « le cas de tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait au bien commun du pays... » 1Populorum Progressio No 31; Lettres 245 p. 3 et 4. D'avance votre analyse marxiste des faits leur ouvre la voie de la violence, quand celle de “ l'amour ” aura manifestement échoué.

L'IDÉAL S'ÉLOIGNE, LA GUERRE SE RAPPROCHE

La paix joue maintenant dans votre pensée la même fonction que la Béatitude dans une âme chrétienne et que la société sans classes dans la pensée marxiste. C'est loin et pratiquement inaccessible. Ce qui est sûr, et proche, c'est le combat. Pour le chrétien, celui du renoncement à soi-même, de la charité, et enfin de la sainte mort qui le transportera au Ciel où est le Christ. Pour le marxiste, c'est la révolution. Pour Vous, Très Saint Père, c'est “ le combat pour l'homme ”, qui ressemble à l'héroïsme de la vertu chrétienne dans vos Discours mais qui rejoint merveilleusement le terrorisme révolutionnaire dans les faits.

Votre programme ? « Réduire les inégalités, combattre les discriminations, libérer l'homme de ses servitudes, le rendre capable d'être lui-même l'agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral et de son épanouissement spirituel » 36Populorum Progressio No 34; Lettres 245 p. 7. C'est idéalement un programme de philanthropie mondiale à réaliser par “ l'amour ”. C'est ce que vous appelez souvent, d'un mot qui devrait être réservé au mystère de notre Rédemption, “ le Salut ”. Mais c'est concrètement un programme de socialisme intégral à réaliser par la force. Vous êtes devenu le plus efficace propagandiste-agitateur de la révolution communiste dans le monde.

Saint Pie X dirait de Vous, comme il disait du Sillon : « Il convoie le socialisme, l'œil fixé sur une chimère » 37Lettre sur le Sillon No 38; Lettres 245 p. 10; CRC 47 p. 11, 24 p. 15, 36 p. 6, 42 p. 5-10, 45 p. 10. Et tel serait le “ dessein de Dieu ” ? C'en est en réalité la contradiction. C'est l'effort le plus cohérent qui ait jamais été entrepris pour détourner les hommes du Ciel et pour les rendre esclaves du Maître de la Terre, celui qu'annonce l'Apocalypse 38Titre d'un livre d'anticipation de Mgr Benson; Le Maître de la Terre est l'Antéchrist; CRC 28. Votre Encyclique Populorum Progressio, mises à part les invitations idylliques à l'amour, pourrait être le Mein Kampf de l'Antéchrist. Et d'autant plus que, dans cette construction d'un monde pleinement humain, une place est faite aux religions, un rôle est reconnu aux Églises, toutes mortellement confondues.

COROLLAIRE
LA RELIGION, ANIMATION SPIRITUELLE DE LA CITÉ IDÉALE

La religion, oui, la religion, Très Saint Père, quelle place a-t-elle dans cette construction ? L'humanisme partout le proclame : l'Homme se suffit à lui-même. La Tour de Babel n'a rien d'une Cathédrale ; elle est un prodige d'énergie, de solidarité, de fraternité humaines, tout humaines.

Un appel explicite à Dieu, à la transcendance, un recours à une Révélation céleste, à une Rédemption surnaturelle, la reconnaissance d'un culte, d'un dogme, d'une Église particulière, tout cela est exclu ou tout au plus toléré comme activité culturelle. Et c'est précisément à cause de cette exclusion de Dieu, du Christ, de l'Église, que vos Prédécesseurs avaient jeté l'anathème sur cette folle entreprise de l'orgueil humain.

Vous, audace nouvelle de la part d'un Pape, Vous l'acceptez, Vous vous en faites même le propagandiste : « Il n'y a plus d'isolement permis : l'heure est venue de la grande solidarité des hommes entre eux pour l'établissement d'une communauté mondiale unie et fraternelle » 39A Sidney, le 3 déc. 1970; DC 71, 16; CRC 41 p. 8. Et vous êtes d'accord pour que cette communauté n'ait rien de religieux et n'accepte aucune discrimination religieuse : « L'œuvre de paix n'est pas limitée à une croyance religieuse ; c'est l'œuvre et le devoir de tout être humain indépendamment de ses convictions religieuses. Les hommes sont frères, Dieu est leur Père, et leur Père veut qu'ils vivent en paix les uns avec les autres, comme le feraient des frères » 40Aux Organisations Religieuses de l'ONU, 4 oct. 1965; Lettres 218 p. 6; cf. 211 p. 11. Ah, bien ! C'est Dieu qui ne veut pas être source de disputes entre les hommes ! C'est Dieu qui veut la tolérance, l'indifférence, le libéralisme le plus total de la société par rapport à toute religion ! C'est Dieu qui veut le mépris de Dieu !

« Il s'agit de construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion (je souligne), de nationalité puisse vivre une vie pleinement humaine... » 41Populorum Progressio No 47; Lettres 245 p. 8. « Toute discrimination est injustifiée, inadmissible, qu'elle soit ethnique, culturelle, religieuse (je souligne), politique... » et plus loin : « à cause de la race, l'origine, la couleur, la culture, le sexe, ou la religion (je souligne encore) » 42Oct. Adv. 23 et 16; CRC 45 p. 7. C'est le Pape qui, pour bien affranchir ses auditeurs, mêle ainsi la religion à la couleur, au sexe, à la culture, à n'importe quoi. La religion n'introduit pas plus de différence que tout ça. La religion n'a-t-elle donc là rien à dire, rien à faire ?

L'ANIMATION SPIRITUELLE

Étant entendu que cette société mondiale ne reconnaît aucune religion, elle n'est la servante d'aucun dieu. Mais Vous espérez cependant que la religion pourra se faire accepter comme la servante de ce Monde qui prétend l'ignorer, car elle se sent apte à lui apporter un secours non-négligeable.

« L'Église ne peut se désintéresser de l'animation idéologique, morale et spirituelle de la vie publique... Travaillez avec confiance, oui, avec confiance dans les Institutions qui forment la norme et l'histoire de notre société, et qui sont aujourd'hui les institutions démocratiques » 43Disc. du 30 janv. 1965, DC 65, 293- 296; Lettres 200 p. 1. Dans ces mots, toute votre pensée se découvre, à celui du moins qui connaît l'idée de Sangnier : la Démocratie sera chrétienne ou ne sera pas ! Et celle de Maritain : l'Humanisme Intégral ne peut trouver ses assises idéologiques que dans une transposition profane de l'Évangile.

Ainsi la religion, qui était jadis la Reine, dont toutes les autres réalités humaines étaient les servantes, maintenant ne se voit plus reconnu ni de nécessité ni de statut particulier dans la Démocratie Nouvelle. Eh ! bien, elle s'en fera la servante et elle trouvera là une belle œuvre à accomplir, pour l'homme, pour l'humanité, dans l'anonymat du monde profane. « Nous nous sentons responsables. Nous sommes débiteurs envers tous. L'Église en ce monde n'est pas une fin pour elle-même ; elle est au service de tous les peuples, elle doit rendre le Christ présent à tous, individus et nations » 44Disc. du 14 sept. 1965; Discours p. 205; Lettres 213 p. 6; CRC 47 p. 11. De quelle « présence du Christ » ? Présence de serviteur. « Servir l'homme ! Il s'agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins. L'Église s'est pour ainsi dire proclamée la servante de l'humanité » 45Disc. du 7 déc. 1965; Discours p. 250; CRC 47 p. 12, 61 p. 9.

Dans ce service de l'Humanité par l'Église, discret, anonyme, tout sécularisé, Vous n'avez tout d'abord envisagé qu'un rôle assez conservateur : « Tandis que d'autres courants de pensée ou d'action, proposent pour bâtir la cité des hommes en des principes bien différents, comme la puissance, la richesse, la science, la lutte, l'intérêt, etc., l'Église, elle, proclame l'amour » 46Disc. du 14 sept. 1965; Discours p. 206; Lettres 213 p. 6; CRC 61 p. 8.

Un texte capital, celui de votre Homélie pour la Fête-Dieu à l'E.U.R. de Rome, le 17 juin 1965, explique parfaitement quel service les chrétiens peuvent apporter en toute discrétion à la société profane, laïque et laïciste. Permettez-moi de Vous le rappeler malgré sa longueur :

« Vous savez comment ce problème fondamental du caractère social de la vie humaine, de nos jours, prime tous les autres, grâce aux idéologies, aux politiques, aux cultures, aux organisations, avec lesquelles les hommes de notre temps travaillent et besognent, dont ils rêvent et dont ils souffrent, en vue de créer la cité terrestre, la société nouvelle et idéale. Et tous, nous savons comment, par cet effort aux multiples aspects, les hommes engagés dans la construction démesurée parviennent à réaliser des progrès notables ; dignes d'être admirés et soutenus, oui. Mais nous savons aussi comment ils trouvent en eux-mêmes, à chaque pas, des obstacles et des contrariétés qui deviennent des divisions, des luttes, des guerres, précisément parce que leur manque un principe unique et transcendant qui unifie cet ensemble d'hommes, parce que leur manque une énergie morale suffisante pour donner à cet ensemble sa cohésion tout à la fois libre et consciente, solide aussi et heureuse, la cohésion qui convient à de vrais hommes. La cité terrestre manque d'un supplément de foi et d'amour qu'elle ne peut trouver ni en elle-même ni par elle-même, et que la cité religieuse qui existe en son sein, que l'Église peut lui conférer dans une mesure non négligeable ; et cela, sans offenser en quoi que ce soit l'autonomie et — disons le mot — la juste laïcité de la Cité terrestre ; simplement par une osmose silencieuse d'exemple et de vertu spirituelle...

« Citoyens de ce quartier moderne, vous avez ici même un exemple typique de vie nouvelle et idéale. Ne la laissez pas manquer de l'animation intérieure qui peut la rendre vraiment unanime, bonne et heureuse, de l'animation qui lui viendra de la source qu'est la foi catholique vécue dans la célébration communautaire de la liturgie eucharistique » 47Alloc. pour la Fête-Dieu à l'E.U.R., 17 juin 1965; DC 65, 1168-1169; Lettres 208, 214 p. 2.

Sur le champ, j'ai trouvé là une claire profession de votre adultère spirituel, de votre trahison de la charge qui vous est confiée par le Christ, mais j'ai été apparemment le seul. Ce Discours est si habile ! Prenons-le à rebours, il pourrait être excellent : l'Eucharistie unifie, fortifie, sanctifie l'Église ; l'Église rayonne sur la cité la charité, la paix, la loi de Jésus-Christ et elle repousse toujours plus loin les ténèbres et la puissance de Satan... Telle est bien la Chrétienté. Mais ce n'est pas cela ! Au contraire, il s'agit d'abord de la cité des Hommes, du Royaume de Satan et des prodiges que l'orgueil de l'homme y réalise. C'est cette Cité nouvelle, idéale... et laïque, que vous voulez fortifier par l'osmose d'une sève chrétienne au lieu de la maudire comme une construction qui défie le Seigneur. Et le joint de cette ferveur eucharistique avec ce culte humaniste, le joint où réside toute l'impiété, se trouve à l'endroit précis où vous évoquez ce « supplément de foi et d'amour » dont la Tour de Babel a besoin. C'est simple : la foi en Jésus-Christ et l'amour de Dieu des fidèles que Vous embarquez dans l'aventure, se changeront — par osmose — en Foi en L'homme et en Amour du Monde ! ! !

L'Église se sert des biens divins qui lui sont donnés par son Seigneur et pour son Seigneur. Vous voulez maintenant qu'elle s'en serve dans l'adultère, pour faire réussir le projet de l'Homme qui se fait Dieu ! « La religion du Dieu qui s'est fait homme » est engagée par Vous au service de « la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait dieu ». Mais c'est une œuvre d'Antéchrist !

DÉVALUATION DE LA RELIGION

Il faudra évidemment une sérieuse “ remise à jour ”, une véritable “ reconversion ” pour rendre la religion catholique apte à ce nouveau “ service ”. Mais Vous n'avez pas désespéré d'y réussir et, apparemment, Vous n'avez pas eu tort puisque tous vous ont laissé faire et vous ont emboîté le pas. « Nous devons assurer à la vie de l'Église une nouvelle façon de sentir, de vouloir et de se comporter » 48Discours p. 267; Lettres 250; CRC 1 p. 7, disiez-Vous à Bethléem, dès le 6 janvier 1964. Personne ne pouvait deviner où irait cette si totale mutation que Vous parliez alors d'imposer à tous au nom du Christ.

Vous le direz plus audacieusement le 12 août 1970 : « La religion doit être rénovée. Tous ceux qui aujourd'hui s'occupent encore (sic) de religion en sont persuadés, qu'ils soient ou non insérés dans une religion telle qu'elle s'exprime concrètement dans une foi, une observance, une communauté. Le tout est de voir ce que l'on entend par renouveau » 49DC 72, 756; CRC 36 p. 8. Une telle parole laisse supposer que Vous avez perdu la foi catholique, chrétienne, religieuse tout simplement. « La religion » y paraît un phénomène humain doué d'une certaine puissance d'émotion, de sentiment, d'énergie morale à utiliser au mieux pour la réussite de la société humaine. Vous êtes sans doute de « ceux qui aujourd'hui s'occupent encore de religion », mais qui ne savent plus exactement pourquoi ni dans quel sens.

Et voilà que toutes les religions sont appelées à fraterniser dans l'œuvre temporelle qui leur est une nouvelle et commune raison d'être. Les querelles dogmatiques sont désuètes, « les guerres de religion sont finies pour toujours » 50I.C.I., 15 fév. 1965; Lettres 200 p. 6, le fanatisme est mort, le prosélytisme éteint. Il ne s'agit plus de s'arracher les âmes et de les passionner pour « les choses suprêmes » 51Disc. du 7 déc. 1965; Discours p. 248; Lettres 238 p. 7, mais de les mettre au service de l'humanité. Voici les dieux réconciliés de force par leurs prêtres, attelés ensemble à l'œuvre de la réussite du monde moderne. C'est l'Œcuménisme !

Cette confusion de toutes les religions comme de multiples et convergentes expressions des mêmes « valeurs spirituelles et morales » offertes aux « hommes de bonne volonté » pour les aider au « salut » intégral « de tout homme et de tous les hommes » sur la terre, Vous l'avez affichée, enseignée, prônée pendant tout votre voyage en Orient. J'en ai rassemblé le florilège dans La Contre-Réforme Catholique n° 41. Vous faites même du Bouddhisme une religion ! N'était-ce pas le but principal de votre périple : susciter « des fruits d'entente plus étroite entre les communautés de toutes origines et de toutes confessions religieuses de cette partie du monde, un encouragement à une action solidaire pour le progrès, pour la justice et pour la paix »52À Téhéran, 26 nov. 1970; CRC 41 p. 4 ?

« Sans aucune distinction de caste, DE FOI, de couleur ou de langue », disiez-Vous à Ceylan 534 déc. 1970, DC 71, 20; CRC 41 p. 9. Et, parce que l'Amour pour vous bannit toute différence, c'est alors que vous avez poussé au plus loin cet appel à toutes les forces spirituelles, sans aucune exception, sans excepter même celles de la Chine communiste pour laquelle aussi Vous n'éprouviez que de l'Amour 53'4 déc. 1970, DC 71, 20.

Je ne vous rappellerai sur cette coexistence et cette coopération des religions qu'un seul de vos discours, celui du 9 août 1970, et je ne vous demanderai à son sujet qu'une chose, comme Juge de la Foi : celui qui parle ainsi est-il encore catholique, n'a-t-il pas renié le Christ et abandonné l'Église ? Voici ce texte ; Vous y parlez du conflit du Moyen-Orient et de vos espoirs de paix :

« Nous avons aussi un espoir qui peut sembler utopique parce qu'il n'est soutenu par aucun élément concret mais qui pourrait même être un point de discorde et que, au contraire, Nous estimons fondé sur un argument réel et réalisable.

« Le conflit engage trois expressions ethnico-religieuses qui reconnaissent toutes un unique et vrai Dieu : le peuple hébraïque, le peuple islamique et, au milieu d'eux, répandu dans le monde entier, le peuple chrétien. Il s'agit de trois expressions qui professent un identique monothéisme par ses trois voix les plus authentiques, les plus anciennes, les plus historiques, et même les plus tenaces et les plus convaincues. Ne serait-il pas possible que le nom du même Dieu, au lieu d'irréductibles oppositions, engendre un sentiment de respect mutuel, d'ententes possibles, de coexistence pacifique ? La référence au même Dieu, au même Père, SANS PRÉJUGER DES DISCUSSIONS THÉOLOGIQUES, ne pourrait-elle un jour servir à la découverte si évidente, mais si difficile et si indispensable, que nous sommes fils du même Père et que nous sommes donc tous frères ? » 54Angélus: la trêve au Moyen-Orient, DC 70, 759; CRC 35 p. 2; cf. 36 p. 5.

Or voici la réponse : « Étranges, effrayantes et attristantes à la fois, sont l'audace et la légèreté d'esprit d'hommes qui se disent catholiques, qui rêvent de refondre la société dans de pareilles conditions et d'établir sur terre, par-dessus l'Église catholique, “ le règne de la justice et de l'amour ”, avec des ouvriers venus de toutes parts, de toutes religions ou sans religion, avec ou sans croyances, pourvu qu'ils oublient ce qui les divise : leurs convictions religieuses et philosophiques, et qu'ils mettent en commun ce qui les unit : un généreux idéalisme et des forces morales prises “ où ils peuvent ”. On est effrayé... Le résultat de cette promiscuité en travail, le bénéficiaire de cette action sociale cosmopolite ne peut être qu'une démocratie qui ne sera ni catholique, ni protestante, ni juive : une religion plus universelle que l'Église catholique, réunissant tous les hommes devenus enfin frères et camarades dans “ le règne de Dieu ” — “ On ne travaille pas pour l'Église, on travaille pour l'humanité ” — ....C'est l'apostasie organisée » 55Lettre sur le Sillon 38-40; CRC 47 p. 11.

La réponse est de Saint Pie X. Qui l'emporte dans nos âmes, de sa Parole ou de la Votre ? Qui est apostat, de nous autres qui le suivons ou de Vous ?

LA RELIGION, FORCE D'UTOPIE ET DE CONTESTATION

Enfin, pour aller jusqu'au bout de l'absurde, évoluant avec les passions des masses, Vous attribuez maintenant aux chrétiens dans le Monde un tout autre rôle qu'il y a dix ans. Alors, ne sentant pas le bouillonnement révolutionnaire et prenant Satan pour le constructeur pacifique d'une Démocratie bourgeoise, Vous assuriez que l'Église contribuerait à l'édification de ce Phalanstère à direction onusienne... Maintenant, vous mettez en valeur le caractère anarchiste, contestataire, révolutionnaire des “ communautés chrétiennes de base ”, comme on dit, parce que Satan manifeste son intention de tout détruire ? Pourquoi le suivre pas à pas ?

C'est votre appel aux Gardes Rouges de la Révolution culturelle et c'est votre Lettre au Cardinal Roy : « L'Église invite tous les chrétiens à une double tâche d'animation et d'innovation afin de faire évoluer les structures pour les adapter aux besoins actuels » 56Oct. Adv. 50; CRC 45 p. 8. Et de toutes les attitudes politiques que vous envisagez, c'est l'UTOPIE qui vous paraît la plus conforme au dynamisme créateur de l'Esprit :

« Si elle ne refuse aucune ouverture, l'utopie peut aussi rencontrer l'appel chrétien. L'Esprit du Seigneur, qui anime l'homme rénové dans le Christ, bouscule sans cesse les horizons où son intelligence aime trouver sa sécurité, et les limites où son action s'enfermerait ; une force l'habite qui l'appelle à dépasser tout système et toute idéologie, etc. » 57Oct. Adv. 37; CRC 45 p. 10 C'est clair ! “ L'Esprit ” qui engageait le citoyen démocrate-chrétien de l'E.U.R. de Rome à participer à la démocratie du bien-être, du confort moderne et du progrès, il y a sept ans, agite aujourd'hui ses fils et les pousse à la destruction de cette abominable “ société de consommation occidentale ”... Alors, Vous suivez le mouvement.

C'est la déchéance de la femme adultère, de se donner finalement à n'importe qui.

LA MORT DE TOUTE RELIGION

Cet exclusif et chimérique intérêt que Vous portez à la Construction du Monde, ce primat de la politique la plus indéfinie, la plus irresponsable, la plus déracinée qui soit, opère depuis dix ans dans l'Église entière, que vous ne laissez pas respirer, que vous intoxiquez et entraînez de force à votre suite, une affreuse, une effroyable destruction. Les dogmes deviennent tous, dans leurs arêtes vives, des obstacles à la compréhension universelle, des gênes pour la fraternité. Les sacrements, d'abord considérés comme des prises de force, des sources d'énergie spirituelle pour l'engagement temporel, ont bientôt cessé d'avoir aucune utilité puisque les autres hommes nous valent sur le chantier du monde sans y recourir vraiment. Les Commandements de Dieu sont infléchis autant que faire se peut dans le sens souhaité par les architectes du Monde à construire et puis, finalement, rejetés comme des freins insupportables.

Enfin, toute l'Institution de l'Église s'effondre. À part des autres, distincte par ses manières de vivre, de penser, d'éduquer, elle est battue en brèche par vos consignes d'intégration des chrétiens dans le monde, dans la communauté séculière, comme d'un levain en pleine pâte, non à côté. Et puis, un jour, on trouve orgueilleux et pharisien de se prétendre un levain. Ce jour-là, le chrétien renie sa singularité et, sans le savoir, il achève l'apostasie dont Vous lui avez tracé le chemin. L'Humanisme intégral a définitivement étouffé son ennemie, la Religion, pour se muer en Humanisme athée.

J'ai comparé, dans La Contre-Réforme Catholique du mois d'août 1971, n° 47, un ensemble de vos discours à la Lettre sur le Sillon. D'un côté, la Religion catholique, de l'autre votre Utopie politique. N'importe quel lecteur pourra consentir à ma brève conclusion : « Pie X a été canonisé d'abord pour la pureté de sa doctrine et sa force d'âme à défendre la Foi catholique. Il reste le Grand Docteur de la Foi au XXe siècle... DONC... Paul VI sera un jour déclaré Anathème principalement en raison de son utopie du MASDU déjà condamnée. Il est le Grand Corrupteur de l'Église au XXe siècle ».

Qu'en dit votre Magistère infaillible ?

  • Pour l'Église, tome 3 : Contre la dérive schismatique, Frère François de Marie des Anges, Chapitre 6 : le libelle d'accusation contre Paul VI
Avec le libelle sont publiés ces éditoriaux de La Contre-Réforme Catholique :
  • Mille catholiques, CRC tome 5, n° 64, janvier 1973
  • L'ultime recours, CRC tome 5, n° 65, février 1973
  • Rome, CRC tome 5, n° 67, avril 1973, p. 1-4
  • La leçon de Rome, CRC tome 5, n° 68, mai 1973, p. 1-3
  • Appel au clergé romain, CRC tome 5, n° 75, décembre 1973, p. 13-14
Voir aussi une controverse :
  • Critique du libelle (notes de Mgr Rougé, évêque de Nîmes), CRC tome 6, n° 84, Septembre 1974, p. 3-12
Audio/Vidéo :
  • L 13 : La Contre-Réforme à Rome. 9-12 avril 1973. 2 h. (aud.)