L’exhortation apostolique Amoris Lætitia

SOUS ce titre, l’exhortation apostolique Amoris lætitia signée le 19 mars 2016, en la fête de saint Joseph, par notre Saint-Père le pape François, est le fruit des deux synodes sur la famille tenus par le Saint-Père en 2014 et 2015, mais aussi de ses catéchèses prononcées en audiences générales sur la famille entre le 10 décembre 2014 et le 15 septembre 2015.

D’emblée, le Pape pose en principe que, sur ce thème, « tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles » (n° 3). Telle était précisément la pensée de l’abbé de Nantes, notre Père, exprimée en particulier au moment de la publication par Paul VI de l’encyclique Humanæ vitæ.

« Au confessionnal ou dans mon bureau », disait-il. Et le pape François de même, regrettant l’abondance désordonnée des débats publics qui entourent ces questions difficiles. (n° 2)

CHAPITRE PREMIER : À LA LUMIÈRE DE LA PAROLE

Le pape François commence par poser ce que Dieu, par son acte créateur, a inscrit dans la personne de l’homme et de la femme : « l’image de Dieu », selon les « deux grandioses premiers chapitres de la Genèse » où, « de manière surprenante, l’image de Dieu tient lieu de parallèle explicatif précisément au couple homme et femme » (n° 10)

Ici, il croit devoir payer tribut au “ saint ” pontife et docteur de l’Église conciliaire, son prédecesseur : « Les paroles de saint Jean-Paul II nous éclairent : “ Notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour. ” »

Définir l’amour comme une “ essence ” ? Aussitôt Jean-Paul II ajoute : « “ Cet amour, dans la famille divine, est l’Esprit-Saint ” », troisième Personne de la Sainte Trinité. Mais l’Esprit-Saint est une Personne, non ? Alors « l’essence de la famille » est une Personne ? Papa, maman, mes frères et sœurs sont une seule personne ? Je ne sais pas si Jean-Paul II était un saint, ou plutôt je sais que non ! Mais il n’est point philosophe, encore moins théologien !

Et la question de l’ « aspect trinitaire du couple » (n° 11) reste entière.

Heureusement, pour l’éclairer, François revient vite à la « lumière de la Parole ». Il remarque que l’homme inquiet « cherche “ une aide qui lui soit assortie ” (Gn 2, 18 et 20), capable de combler cette solitude qui le perturbe et qui n’est pas comblée par la proximité des animaux et de toute la création. L’expression originelle en hébreu nous renvoie à une relation directe. » À la bonne heure ! Ce Pape qui passe pour n’être point philosophe, nous délivre du galimatias “ essentialiste ” de son prédécesseur pour rejoindre Georges de Nantes dans la considération de la « relation » comme « rencontre avec un visage, un “ tu ” qui reflète l’amour divin ».

De manière générale, les références à “ saint Jean-Paul ” qui parsèment cette longue encyclique n’ont que peu ou pas d’incidence sur la pensée personnelle du Pape François. Ainsi lorsqu’il énumère assez froidement les textes du magistère sur le mariage et la famille (n° 67 à 69), lorsqu’il traite de « la dimension érotique de l’amour » (nos 151-152), de la virginité consacrée, citant Redemptor Hominis (n° 161), ou bien de la fécondité du mariage (n° 165 et 167). Dans ce dernier cas, la longue citation employée n’évoque même pas l’intervention de Dieu dans la procréation, il faut qu’il la rajoute lui-même, ce qu’il fait tout naturellement, sans remarquer la lacune...

C’est que le Pape François est “ franciscain ” : aux définitions et arguties philosophiques, il préfère l’Histoire sainte.

Et il est relationnel : ce qu’il pose au chapitre premier, c’est l’indissolubilité du mariage comme résultant de la relation de création, relation première à la Sainte Trinité, constitutive de la créature.

CHAPITRE DEUXIÈME : LA RÉALITÉ ET LES DÉFIS DE LA FAMILLE.

Ce chapitre puise une abondante documentation dans les Relations des Synodes 2014 et 2015. Il dresse le désastreux bilan des “ bergeries ” du concile Vatican II, cinquante ans après. La famille s’en va, battue en brèche par « un individualisme exaspéré », ses ennemis sont partout, dénatalité, démoralisation, perte de la foi, exploitation sexuelle, avortement et suicide assisté... Il ne suffit pas pour la défendre, dit le Pape, d’insister sur « les questions doctrinales, bioéthiques et morales ». Il nous faut « encourager l’ouverture à la grâce », sous peine de rester inopérants. (n° 37).

Cependant, il n’indique pas la cause aggravante de cette situation. Par « l’ouverture au monde » décrétée au concile Vatican II, le laxisme ambiant encouragé par les lois a envahi l’Église et abouti à son “ divorce ” d’avec son premier Mari ! Mgr Le Couëdic, évêque de Troyes, l’a affirmé sans ambages dans la semaine religieuse de son diocèse : « L’Église a, en quelque sorte, épousé le monde » ! C’était au retour de la première session à l’automne 1962.

Ce chapitre est donc la vérification littérale de l’accusation de l’abbé de Nantes contre la prétendue « réforme » du Concile. C’est le constat réaliste de la ruine annoncée de loin par lui. Mais c’est aussi la méconnaissance des véritables causes et, partant, l’insuffisance quasi certaine du remède proposé : « Si le Concile n’avait déifié la Personne humaine et encensé toutes les associations laïques, socialistes, qui se préoccupent du progrès de l’humanité, il aurait pu réclamer des pouvoirs publics la répression des requins, des bandits, pervers qui travaillent dans le vice, en grandes bandes voraces, cruelles, criminelles. Au lieu de cela, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ; ce sont les “ structures ”, ce sont les tensions, c’est la trop rapide extension, et d’accuser ainsi des trucs et des machins, les bons sont envoyés contre des moulins à vent pendant que leurs voisins les réduisent en esclavage. » (Autodafé p. 511)

CHAPITRE TROISIÈME : LE REGARD POSÉ SUR JÉSUS :
LA VOCATION DE LA FAMILLE

La force de ce chapitre est ce souhait exprimé dès le premier paragraphe par le Saint-Père : “ toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme ”. » (n° 58)

C’est précisément ce qu’enseignait l’abbé de Nantes : « La théologie de notre époque doit être kérygmatique. La Prédication (kérugma) de la Parole de Dieu, aujourd’hui, c’est l’annonce franche, brutale, paradoxale, du Salut évangélique sans la médiation rationnelle, universelle et intemporelle d’un système philosophique, dans la particularité des situations humaines et des questions que se pose celui qui écoute et qui, interpellant, se trouve interpellé à son tour et pressé de répondre à cette Parole qui bouleverse son existence et son projet. »

L’ardeur du Saint Père est communicative : « L’incarnation du Verbe dans une famille humaine, à Nazareth, touche par sa nouveauté l’histoire du monde ». (...)

« C’est cela le mystère de la Nativité et le secret de Nazareth, plein de parfum familial ! C’est le mystère, qui a tant fasciné François d’Assise, Thérèse de l’Enfant-Jésus et Charles de Foucauld, où se désaltèrent aussi les familles chrétiennes pour renouveler leur espérance et leur joie. » (nos 65-66)

Sachant que le mariage chrétien non seulement imite celui du Christ et de l’Église, mais l’accomplit, cette infidélité de l’Église à son Époux se traduit par un tarissement de la grâce qui est la source de la fidélité conjugale parmi les fidèles.

C’est ce qui ressort du chapitre troisième : « Dans la foi, dit le Pape, il est possible d’assumer les liens du mariage comme des engagements plus faciles à tenir avec l’aide de la grâce du sacrement. » (n° 73).

« Dans la foi », mais jamais sans elle, cette précision est absente du chapitre consacré au mariage par le concile Vatican II dans la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps. Au contraire, selon l’affirmation introduite par le jeune évêque de Cracovie, Karol Wojtyla : « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme... » (G. S. 22, 2), baptisé ou non.

Aux numéros 77 et 78, Le Pape mentionne à deux reprises cette référence, mais il l’assortit d’un renvoi au prologue de saint Jean :

« Le Verbe est la lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme venant au monde. » (Jn 1, 9)

Et cela change tout ! Lui, la vraie Lumière, est déjà dans le monde, et les hommes qui y paraissent, de génération en génération, sont appelés à naître par ce Verbe, Parole de Dieu. Et pourtant, loin d’être, par le fait même, « en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (G. S. 22, 2), voici l’étouffement tenté par les ténèbres diaboliques : « Ce monde ne L’a pas connu ! » Il ne l’a pas remarqué, pas vu... C’est consternant, c’est même effrayant pour le salut du monde. Tels sont bien les ravages opérés par l’ignorance, l’impiété, l’idolâtrie, qui se rencontrent à toutes les pages de la Bible.

CHAPITRE QUATRIÈME : L’AMOUR DANS LE MARIAGE.

Mais alors, que reste-t-il de « la joie de l’amour » dans le mariage ? C’est l’objet du chapitre quatrième : « Dans la vie de famille, il faut cultiver cette force de l’amour qui permet de lutter contre le mal qui la menace. »

Ce mal, c’est « la rancœur, le mépris envers les personnes, le désir de faire du mal ou de se venger. » (nos 119) auquel répond le commentaire de “ l’hymne à la charité ” (nos 89-119).

Ici, le Saint-Père met magistralement en œuvre sa méthode kérygmatique, faisant de ce grand texte de saint Paul la charte d’une vie familiale parfaite :

« La charité est patiente ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, elle ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. (1 Co 13, 4-7). »

Par une exégèse longue et attentive du texte, retrouvant les nuances du grec original, il montre une compréhension profonde et concrète du mystère de la charité, fruit évident de son immense expérience pastorale de Père, de Mère, d’Époux de son peuple. Du jamais vu dans les documents pontificaux, encore moins dans les livres d’exégèse ! Un trésor capable de réconcilier les mariages les plus menacés de l’irrémédiable discorde, et de les faire « grandir dans la charité », c’est-à-dire dans l’imitation progressive de « l’union qui existe entre le Christ et son Église ».

Et ainsi il donne toute son épaisseur à la définition théologique de saint Thomas : « vis unitiva », « force unitive ». L’amour ne survit qu’en s’accroissant toujours, « reflet de l’Alliance inébranlable entre le Christ et l’humanité qui culmine dans le don total, sur la Croix » (n° 120)

Les numéros 126 à 130 définissent « la joie de l’amour », que le Saint-Père a choisi pour titre de son encyclique. Elle est « dilatation du cœur », d’un cœur libéré « du désir de possession égoïste » et qui « se renouvelle dans la souffrance »

« Les joies les plus intenses de la vie jaillissent quand on peut donner du bonheur aux autres, dans une anticipation du Ciel [...]. Cette satisfaction, effet de l’amour fraternel, n’est pas celle de la vanité de celui qui se regarde lui-même, mais celle de celui qui aime, se complaît dans le bien de l’être aimé, se répand dans l’autre et devient fécond en lui. » (n° 129)

CHAPITRE CINQUIÈME : L’AMOUR QUI DEVIENT FÉCOND.

Le chapitre cinquième serait de nature à redresser le taux de natalité de notre société malthusienne. (n° 165)

Il pénètre dans la vie et l’histoire concrète des familles. Personne ne s’y sent oublié. Le Saint-Père pense à la jeune mère qui attend son premier enfant, et qui doit « protéger sa joie », il pense aux couples qui affrontent l’épreuve de la stérilité, et qui doivent mettre en œuvre leur fécondité autrement, il pense à l’enfant qui a besoin de découvrir dans l’amour mutuel de ses parents la source de sa propre existence, et aux grands-parents, à qui revient d’être la mémoire vivante et le liant de la famille.

Et il pense aux autres, jusqu’aux lointaines périphéries, que les familles chrétiennes doivent insérer dans le cercle élargi de leur parentèle : « les mères adolescentes, les enfants sans pères, les femmes seules qui doivent assurer l’éducation de leurs enfants, les personnes porteuses de divers handicaps qui ont besoin de beaucoup d’affection et de proximité, les jeunes qui luttent contre l’addiction, les célibataires, les personnes séparées de leurs conjoints ou les personnes veuves qui souffrent de solitude, les personnes âgées ainsi que les malades qui ne reçoivent pas le soutien de leurs enfants, et “ même les plus brisés dans les conduites de leur vie ”. »

Merveilleuse sollicitude pastorale !

Encore faudrait-il que nos Pasteurs paissent agneaux et brebis en suivant les directives du pape François...

CHAPITRE SIXIÈME : QUELQUES PERSPECTIVES PASTORALES

Car le chapitre suivant s’adresse à l’Église, au clergé, qui doit accompagner les familles par ses rites, ses sacrements, son attention bienveillante. Cela commence dans la préparation et la célébration du mariage lui-même, mais se poursuit tout au long de la vie commune, et surtout quand survient l’épreuve.

C’est ici que le Saint-Père analyse en sa racine les causes profondes de tous les échecs et ruptures matrimoniales :

« Un défi de la pastorale matrimoniale est d’aider à découvrir que le mariage ne peut se comprendre comme quelque chose d’achevé. L’union est réelle, elle est irrévocable, et elle a été confirmée et consacrée par le sacrement de mariage.

« Mais en s’unissant, les époux deviennent protagonistes, maîtres de leur histoire et créateurs d’un projet qu’il faut mener à bien ensemble.

« Le regard se dirige vers l’avenir qu’il faut construire quotidiennement, avec la grâce de Dieu, et pour cela même, on n’exige pas du conjoint qu’il soit parfait. Il faut laisser de côté les illusions et l’accepter tel qu’il est : inachevé, appelé à grandir, en évolution. » (n° 218)

L’abbé de Nantes expliquait à nos jeunes gens et jeunes filles que le mariage était « une entreprise ». C’est toute la pensée du Pape François, déployée ici sous la forme d’une véritable direction de conscience.

Celui et celle qui suivront ces paroles d’or ne se laisseront pas “ voler l’espérance ”.

Depuis la préparation des fiancés au mariage jusqu’à la cruelle séparation de la mort, il comprendra que le mariage est une « vocation » à laquelle doit répondre « la ferme et réaliste décision de traverser ensemble toutes les épreuves et les moments difficiles ». (n° 166)

CHAPITRE SEPTIÈME : RENFORCER L’ÉDUCATION DES ENFANTS.

Le Saint-Père livre à l’intention des enfants des conseils à nouveau remplis de sagesse. Il faut « créer la confiance », « orienter avec fermeté » – sans exaspérer ! – pourvoir à « une éducation morale », mais en favorisant l’adhésion volontaire et libre de l’enfant.

Il souligne le bienfait naturel de la famille d’être « le lieu de la première socialisation », où l’on « brise la première barrière de l’égoïsme mortel pour reconnaître que nous vivons à côté d’autres, avec d’autres, qui sont dignes de notre attention, de notre amabilité, de notre affection. » (n° 276)

Bienfait naturel qui est porteur d’un autre bienfait, surnaturel : la famille est le lieu privilégié de la « transmission de la foi », quand « les parents vivent eux-mêmes l’expérience réelle d’avoir confiance en Dieu, de le chercher, d’avoir besoin de lui ». (n° 287)

C’est un bonheur vraiment encourageant et enthousiasmant de retrouver sous la plume du Pape ce que l’abbé de Nantes, notre Père, nous a enseigné et que nous essayons de transmettre à nos familles : « Toute invitation faite aux adolescents pour qu’ils jouent avec leurs corps et leurs sentiments, comme s’ils avaient la maturité, les valeurs, l’engagement mutuel et les objectifs propres au mariage, est irresponsable. » (n° 283) Il vaudrait mieux dire : “ est responsable ” des malheurs qui en sont les conséquences inéluctables. Jacinthe, en son innocence, l’avait appris de Notre-Dame : « Maman ! Notre-Dame a dit que le péché de la chair est celui qui conduit le plus d’âmes en enfer. » (Francisco et Jacinta, p. 390)

« Mais qui parle aujourd’hui de ces choses ? » Nous, Très Saint Père ! l’abbé de Nantes a créé des camps d’été, et des sessions de Toussaint et de Pentecôte pour « prendre les jeunes au sérieux », « les aider à se préparer sérieusement à un amour grand et généreux » : pureté de la jeune fille, inaccessible à toutes les entreprises de la séduction, fermeté de la foi du jeune homme qui le rendra capable d’être un chef de famille accompli.

Faute de quoi, le jeune homme et la jeune fille se préparent à tomber dans tous les égarements que le Pape est bien forcé d’envisager dans son chapitre suivant.

CHAPITRE HUITIÈME : ACCOMPAGNER,
DISCERNER ET INTÉGRER LA FRAGILITÉ

« Il est préoccupant que de nombreux jeunes se méfient aujourd’hui du mariage et cohabitent en reportant indéfiniment l’engagement conjugal, tandis que d’autres mettent un terme à l’engagement pris et en instaurent immédiatement un nouveau. » (n° 293)

C’est dans ce chapitre que le Pape François aborde la question controversée de l’attitude pastorale envers les divorcés remariés.

L’état de délabrement moral de nos sociétés inspire au Pape une révolution sans équivalent dans l’histoire bimillénaire de l’Église :

« Les baptisés divorcés et remariés civilement doivent être davantage intégrés dans les communautés chrétiennes selon les diverses façons possibles, en évitant toute occasion de scandale. »

Il a soin de limiter aussitôt la portée de cette déclaration :

« Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, [...] on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du Synode ou de cette Exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas. »

Certes ! Mais cette Exhortation apostolique fait plus : elle remplace la « législation canonique » en vigueur par « un nouvel encouragement au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers » (n° 300).

En vérité, cette “ casuistique ” fut de tout temps pratiquée par l’Église au cas par cas, en prenant garde de ne pas provoquer le scandale. Mais la nouveauté tient ici à cette affirmation du pape François, encore une fois, dictée par la situation morale lamentable de son troupeau cinquante ans après Vatican II :

« Il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite “ irrégulière ” vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. »

C’est vrai, si l’on songe à tous les baptisés qui vivent dans des “ situations irrégulières ” parce qu’ils n’ont pas été bien formés, bien mariés. Avant le Concile, un catholique divorcé “ remarié ” n’avait pas ces “ circonstances atténuantes ”, mais aujourd’hui...

Par ces paroles prononcées du haut de sa cathèdre, le Saint-Père veut donc ouvrir la porte à un véritable discernement du travail de la grâce dans l’âme du “ divorcé remarié ”, manifesté par la conversion et le repentir pour le passé – encore que le Pape ne rappelle pas nettement cette nécessité –, suivis d’une application actuelle à une vraie vie chrétienne. L’impossibilité de rompre le second lien permettrait de lui accorder les sacrements ; à condition qu’il n’y ait pas de publicité sur son cas, sous peine de remettre en cause la sincérité du repentir.

Mais il ne suffit pas que le Saint-Père place cette nouvelle “ pastorale ” sous l’égide de la Sainte Famille, pour qu’elle parvienne à ramener à l’Église tant de familles égarées, il faut s’en prendre à la cause réelle du désordre.

Il n’y a plus de remède depuis que, en 1965, le concile Vatican II a proclamé la liberté religieuse comme un droit de l’homme. Par ce nouveau “ dogme ”, l’Église affranchit les parents de leurs devoirs envers les enfants, et les enfants de leurs devoirs envers les parents, envers Dieu, envers quiconque. Elle-même adultère, l’Église est passée du culte de son Époux Jésus-Christ au « culte de l’homme », “ défini ” par le pape Paul VI dans l’aula conciliaire, le 7 décembre 1965. C’est la divinisation de l’homme dans le mépris de Dieu, du Christ et de la religion révélée.

Comment s’étonner de la généralisation de l’adultère, cinquante ans après ?

Parce qu’il ne discerne pas dans cette apostasie la cause du mal qu’il déplore et veut combattre, le pape François, en partant à la recherche des quatre-vingt-dix-neuf brebis égarées, compromet le salut de celle qui est restée au bercail.

À la pastorale si évangélique du pape François, il ne manque donc plus qu’une chose : qu’il rétracte la déclaration conciliaire Dignitatis humanæ sur la liberté religieuse, et rappelle à tous, oui : tous ! “ bons ” et “ mauvais ”, que c’est une question de vie ou de mort... éternelle ! Il n’y a pas de “ liberté ” qui tienne. La Vierge Marie, notre Mère à tous, a montré à trois enfants de six, sept et dix ans, à Fatima, il y a cent ans, l’enfer ouvert sous leurs pieds et tous les pauvres pécheurs qui y brûlent, afin d’avertir ceux qui y marchent et les empêcher d’y tomber.

Alors que l’Église conciliaire qui a “ divorcé ” d’avec le Christ pour épouser le monde n’est qu’une marâtre. Elle est la seconde femme d’un homme qui cède aux caprices des enfants, afin qu’ils restent auprès d’elle au lieu de retourner à leur mère. Vous voulez être protestants, musulmans ? Libre à vous ! Je suis large parce que vous ne m’appartenez pas ! Quant à l’enfer éternel, je n’y crois pas !

La liberté religieuse ? On ne peut pas proclamer une chose aussi contraire à la charité de Dieu, qui veut nous sauver tous, sans être possédé par un Esprit mauvais. Les Apôtres se sont laissés juger, condamner à mort par les autorités juives, mais ils n’ont jamais invoqué la liberté religieuse. Ils ont dit : « Nous ne pouvons pas ne pas parler. » Quant à saint Paul, à Corinthe, il a commandé avec toute la puissance des sanctions temporelles et éternelles : « Chassez-moi cet incestueux de votre communauté ! » (1 Co 5, 13)

CHAPITRE NEUVIÈME : SPIRITUALITÉ MATRIMONIALE ET FAMILIALE

Cela dit, il est bien déplorable que les médias, fixés sur cet unique chapitre huitième, aient réduit cette magnifique Exhortation apostolique à « une pastorale des échecs », alors que tout l’effort qui la sous-tend est de « consolider les mariages et prévenir ainsi les ruptures » (n° 307).

Le Pape François prévoyait le coup : « Afin d’éviter toute interprétation déviante, je rappelle que d’aucune manière l’Église ne doit renoncer à proposer l’idéal complet du mariage, le projet de Dieu dans toute sa grandeur. »

C’est pourquoi il réserve pour la fin son chapitre sur la spiritualité matrimoniale, qui contient les nourritures nécessaires à la vie et à la fidélité des familles.

Cette spiritualité doit vivre de « communion surnaturelle », dans la prière en commun (ici on regrette de ne pas trouver une mention explicite de la récitation du chapelet en famille, pourtant demandée avec insistance par Notre-Dame de Fatima), dans un « amour exclusif et libre », c’est-à-dire où les époux se donnent tout entier l’un à l’autre mais en sachant qu’ils n’appartiennent qu’à Dieu, et finalement dans une « spiritualité de l’attention, de la consolation et de l’encouragement », ouvrant sur un amour social :

« L’amour social, reflet de la Trinité, est en réalité ce qui unifie le sens spirituel de la famille et sa mission extérieure, car elle rend présent le kérygme avec toutes ses exigences communautaires » (n° 324)

Entre une religion individuelle, personnaliste, et son antithèse sociale et communautaire, c’est la même synthèse kérygmatique notre Père réalisait en 1972, réfutant Teilhard de Chardin :

« Au “ Christ cosmique ” de Teilhard, il faut opposer le Christ Catholique, entendu selon la richesse totale de la Tradition apostolique, comme une nature individuelle terrestre, historique, limitée dans l’espace et dans le temps, et comme une nature sociale, céleste maintenant, transhistorique, revêtue par sa résurrection d’une puissance universelle illimitée. »

C’est bien à cette ampleur de vue “ cosmique ” qu’aboutit la famille humaine “ catholique ” « rêvée » par le pape François :

« La famille vit sa spiritualité en étant en même temps une Église domestique et une cellule vitale pour transformer le monde. » (n° 324)

« Les paroles du Maître (cf. Mt 22, 30) et celles de saint Paul (cf. 1 Co 7, 29-31) sur le mariage sont insérées – et ce n’est pas un hasard – dans l’ultime et définitive dimension de notre existence, que nous avons besoin de revaloriser. Ainsi, les mariages pourront reconnaître le sens du chemin qu’ils parcourent.

« En effet, comme nous l’avons rappelé plusieurs fois dans cette Exhortation, aucune famille n’est une réalité céleste et constituée une fois pour toutes, mais la famille exige une maturation progressive de sa capacité d’aimer. Il y a un appel constant qui vient de la communion pleine de la Trinité, de la merveilleuse union entre le Christ et son Église, de cette communauté si belle qu’est la famille de Nazareth et de la fraternité sans tache qui existe entre les saints du Ciel.

« Et, en outre, contempler la plénitude que nous n’avons pas encore atteinte, nous permet de relativiser le parcours historique que nous faisons en tant que familles, pour cesser d’exiger des relations interpersonnelles une perfection, une pureté d’intention et une cohérence que nous ne pourrons trouver que dans le Royaume définitif. De même, cela nous empêche de juger durement ceux qui vivent dans des conditions de grande fragilité. » (n° 325)

CONCLUSION LA SAINTE FAMILLE, MODÈLE UNIQUE

En achevant cette Exhortation apostolique par une prière à la Sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph, le Pape fait inclusion et tourne nos regards vers la source de la grâce et de la miséricorde qui rendent possible « l’amour vrai ». L’Exhortation apostolique Amoris lætitia est tout entière bâtie sur le modèle de la Sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph, pour « faire de nos familles un lieu de communion et un cénacle de prière, d’authentiques écoles de l’Évangile et de petites Églises domestiques ».

Le pape François avait ouvert ainsi la série de ses catéchèses sur la famille, le 17 décembre 2014 : « Jésus est né dans une famille », et celle-ci n’était pas « une famille artificielle, irréelle ». La Sainte Famille illustre « la vocation et la mission de la famille, de toute famille », qui consiste à « accueillir Jésus, l’écouter, parler avec lui, le protéger, grandir avec Lui ; et ainsi de rendre le monde meilleur ».

Chaque fois qu’une famille vit cela, « même à la périphérie du monde », le mystère du salut est à l’œuvre. Et grâce à cette famille, c’est l’amour, l’aide mutuelle, qui deviennent « normaux » et non « la haine, l’indifférence ».

Dans la « bataille décisive » que Satan livre à la Sainte Vierge, selon les avertissements donnés par sœur Lucie au Père Fuentes, le 26 décembre 1957, la famille est l’objet d’assauts particulièrement redoutables. Le cardinal Caffara, archevêque de Bologne, en reçut la claire prophétie de la plume de la voyante :

« L’affrontement final entre le Seigneur et le règne de Satan sera sur la famille et sur le mariage. N’ayez pas peur, parce que quiconque travaille pour la sainteté du mariage et de la famille sera toujours combattu et contrarié de toutes les manières, car c’est le point décisif. Mais la Madone lui a écrasé la tête. »

Peut-être méditait-elle cette pensée depuis qu’elle avait contemplé la Sainte Famille dans le ciel de Fatima le 13 octobre 1917 : « Notre-Dame ayant disparu dans l’immensité du firmament, nous avons vu, à côté du soleil, saint Joseph avec l’Enfant-Jésus, et Notre-Dame vêtue de blanc avec un manteau bleu. Saint Joseph et l’Enfant-Jésus semblaient bénir le monde avec des gestes qu’ils faisaient de la main en forme de croix. »

En tout cas, elle nous montre nos armes pour tenir dans ce dernier combat :

« Il y a deux moyens pour sauver le monde : la prière et le sacrifice. Et donc, il y a le saint Rosaire. Regardez, Père ! la Très Sainte Vierge, en ces derniers temps que nous vivons, a donné une efficacité nouvelle à la récitation du Rosaire.

« De telle façon qu’il n’y a aucun problème, si difficile soit-il, temporel ou surtout spirituel, se rapportant à la vie personnelle de chacun de nous, de nos familles, que ce soient des familles qui vivent dans le monde ou des communautés religieuses, ou bien à la vie des peuples et des nations, il n’y a aucun problème, dis-je, si difficile soit-il, que nous ne puissions résoudre par la prière du saint Rosaire. Avec le saint Rosaire, nous nous sauverons, nous nous sanctifierons, nous consolerons Notre-Seigneur et nous obtiendrons le salut de beaucoup d’âmes.

« Et donc, ayons la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, notre très Sainte Mère, en la considérant comme le siège de la clémence, de la bonté et du pardon, et comme la porte sûre pour entrer au Ciel. »

Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Il appartient au Pape de mettre en œuvre cette “ pastorale ” divine sans laquelle toute pastorale, aussi évangélique soit-elle, restera inopérante :

1° en recommandant la dévotion réparatrice des cinq premiers samedis du mois demandée par la Vierge et son Enfant Jésus à Pontevedra, en 1925 ;

2° par la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie demandée à Tuy en 1929.

frère Bruno de Jésus-Marie
Extraits du commentaire complet de l’encyclique : « La joie de l’amour »,
Il est ressuscité ! tome 16, mai-juillet 2016, n° 163, p. 9-20, n° 164, p. 5-26, n° 165, p. 4-26