Apologétique catholique

Le Saint-Sacrifice de la Messe

Le Saint-Sacrifice de la MesseSelon la conception de Proclus, la création consiste en une sortie de Dieu, EXITUS, et l’histoire en un retour à Dieu, REDITUS, deux mouvements comme symétriques et complémentaires. Mais ce grand retour serait théorique, idéalement beau mais impraticable à notre humanité misérable et pécheresse, si ne nous était venu, dans une nouvelle sortie de Dieu, un Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, fondateur de l’Église, instituteur des sept sacrements, donateur de l’Esprit-Saint. (…)

Nous allons montrer à ceux qui ne croient pas comment le Saint-Sacrifice de la Messe est le principe de toute notre vie chrétienne, la ressource de toute sainteté, le centre et le sommet du Catholicisme, et donc le principe du principe du salut de l’humanité entière. La Messe est le cœur de l’Église catholique. La Messe fait vivre le monde. La Messe est le mystère central et le secret ultime de l’histoire universelle...

LE SACREMENT DU SACRIFICE PERPÉTUEL

Restituons à la Messe son vrai et son plus beau nom : la Messe est le sacrifice du Christ perpétué, le Saint-Sacrifice. La Messe est le Mémorial de la Croix, c’est-à-dire qu’elle est réellement la représentation et le renouvellement du Sacrifice du Calvaire par lequel notre Rédempteur nous acquit définitivement le salut. Or l’essentiel de la conversion de l’homme à Dieu, du passage de la nature à la grâce, c’est le sacrifice. On voit donc que le Saint-Sacrifice de la Messe est le type même, le modèle, et en même temps le « sacrement », le moyen adéquat de notre conversion, de notre salut, de notre sanctification, comme l’extension à chacun d’entre nous et au monde entier du très nécessaire Sacrifice rédempteur.

LE SACRIFICE, ACTE HUMAIN ESSENTIEL

Le sacrifice est inscrit au cœur même de la condition humaine. C’est le rite essentiel de toutes les religions, païennes, juive, avant de l’être de notre religion chrétienne. L’ethnologie le prouve. Mais la sociologie, la psychologie et même la psychanalyse l’expliquent profondément. L’homme ne peut se suffire de son semblable, il ne peut trouver son assurance dans le tissu de ses relations horizontales. Pour garder et protéger son bonheur, pour fonder sa famille, pour bâtir une ville, l’homme a toujours éprouvé le besoin de se concilier les forces supérieures, d’unir et de lier Dieu à son projet. Or, à travers tous les siècles, en tous les peuples, le seul moyen qu’on ait trouvé pour cela, c’est le sacrifice. Ce n’est pas une invention gratuite, c’est une issue nécessaire, la solution unique, dans la condition de l’homme terrestre : à la parole de la prière, il est indispensable d’ajouter un acte qui en exprime la loyauté, qui en donne la mesure : le dépouillement volontaire, l’immolation sont inscrits au plus profond de la nature humaine.

L’humanisme athée veut ignorer tout ce qui dépasse ou contredit le strict intérêt individuel, mais il demeure une vue de l’esprit et une contrainte meurtrissante dont le résultat le plus certain est la décomposition de la société et l’effondrement de la morale. Vouloir tout pour soi sans jamais rien sacrifier contredit et étouffe les plus beaux mouvements de l’âme. Au contraire, l’amour aspire au sacrifice, il aspire à la souffrance et à la mort. Dire que toute la philosophie moderne est passée à côté de ces vérités essentielles sans même les remarquer ! L’accès à une vie supérieure exige toujours quelque renoncement. L’oblation dans la jouissance laisse l’être humain insatisfait, de lui et des autres. C’est une nécessité de notre nature que l’oblation se prouve dans l’immolation d’un amour jusqu’à la mort. « Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission », dit l’Épître aux Hébreux (9,22) et Jésus résume toute la sagesse des peuples en cette simple sentence : « II n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ce qu’on aime » (Jn 15, 13).

LES SACRIFICES DE L’ANCIEN TESTAMENT

Cet élément fondamental de la psychologie et de la sociologie religieuses trouve une large place dans la Révélation de l’Ancien Testament. (…) Rappelons succinctement les trois grandes formes de sacrifices institués par la Loi Mosaïque :

L’HOLOCAUSTE, dans lequel la victime est toute offerte à Dieu ; égorgée puis consumée par le feu, elle est donc entièrement sacrifiée, enlevée aux hommes et transférée dans le domaine divin. La fumée de l’holocauste monte dans le ciel comme un encens d’agréable odeur. L’holocauste est un sacrifice d’adoration, d’action de grâces, de forme très simple mais déjà très parfaite.

LE SACRIFICE D’EXPIATION, dans lequel la victime est immolée aussi mais son sang sert à l’aspersion des fidèles pour la purification des péchés. Le sang, chez les sémites, a toujours signifié la vie. Parce que la victime est considérée comme passée de l’homme à Dieu, sa vie, son sang, retombant de Dieu sur l’homme devient bénédiction et propitiation, procurant aux pécheurs leur réconciliation avec Dieu.

LE SACRIFICE DE COMMUNION, tel celui de l’Agneau Pascal, dans lequel la victime offerte à Dieu mise à mort, par l’effusion du sang, est ensuite partagée. La meilleure part en sera consumée, c’est la part de Dieu ; une partie sera balancée au-dessus de l’autel et réservée aux prêtres ; le reste sera rendu aux fidèles pour être mangé dans un repas cultuel, selon un rite de communion. (…)

Dans la plénitude des temps devait être célébré le sacrifice parfait, en lequel tous les sacrifices de l’histoire et, plus que tous les autres, ceux de l’Ancien Testament que Dieu avait institués lui-même, allaient trouver leur perfection, leur accomplissement définitif. Préfiguré par eux de diverses manières (par exemple, l’agneau pascal), il les dépasserait tous par sa perfection, dans la ligne même de leur imperfection, marquant ainsi leur inachèvement. (…)

LE SACRIFICE PARFAIT DE L’HOMME-DIEU

Jésus-Christ est venu enfin, homme comme nous mais Fils de Dieu fait chair. Son Père est Dieu. Un Dieu peut sacrifier son Fils premier-né, son unique, en substitution aux hommes, substitution inouïe de l’innocent aux coupables et du plus parfait aux moins parfaits ! Et ce nouvel Isaac, en sa personne divine, peut livrer à l’immolation cette part de lui-même passagère qui est sa nature corporelle, sa vie temporelle. Voilà comment le Christ sur la Croix a livré sa vie « pour nous autres hommes et pour notre salut ». En vertu de l’immense Sagesse de ce Verbe fait chair, nous trouvons dans sa Sainte Passion, portées au sublime, toutes les formes de sacrifices que Dieu avait instituées dans l’Ancienne Alliance.

L’HOLOCAUSTE, le don total de l’être à Dieu en témoignage d’adoration et de soumission parfaite, en action de grâces infinie, certes, car tels étaient les sentiments du Christ sur la Croix, s’offrant à son Père pour parfaire son obéissance de trente-trois ans, pour exprimer son oblation à sa Volonté souveraine. Il se donne totalement, sans rien réserver de son être charnel, c’est un holocauste.

LE SACRIFICE D’EXPIATION trouve ici sa perfection, selon la prophétie d’Isaïe au chapitre 53 : « S’IL OFFRE SA VIE EN EXPIATION, il verra une postérité, il prolongera ses jours et le dessein de Yahweh s’accomplira par Lui » (53, 10 ; cf. Lv 14, 1-32). Le Serviteur de Dieu devait se livrer à la mort pour l’expiation et la guérison de la lèpre du monde ; son sang devait arroser la terre, comme dans une aspersion liturgique, afin qu’elle soit toute lavée par ce Sang rédempteur jailli de son Côté transpercé. Ainsi, Jésus est-il bien l’Agneau Pascal de la Nouvelle et Éternelle Alliance. C’est le très solennel sacrifice qui devait réconcilier réellement, et non plus en figure, en effigie, toute la terre avec son Dieu.

LE SACRIFICE DE COMMUNION lui aussi trouve ici, de manière combien insolite et stupéfiante, cependant annoncée par Jésus aux Juifs (Jn 6), sa forme la plus haute, la seule vraiment digne et salutaire. (…) Le Saint Sacrifice du Christ crucifié donnera donc lieu à un banquet, repas cultuel où la chair et le sang de la victime, notre doux Sauveur mort et ressuscité, deviendront nourriture et breuvage de vie éternelle, divine et fraternelle, sacrement de la sainteté et de l’unité du Corps Mystique. Notre Agneau Pascal dépasse de toutes manières les figures de l’Ancien Testament qu’il accomplit en vérité, car c’est son « Corps livré pour nous » et son « Sang répandu pour la multitude », donc sa vie et sa grâce, qui seront partagés et communiqués à la famille, au clan, à tout le peuple rassemblé de ses élus. (…)

Quand vint la plénitude des temps, une seule fois, en sa propre chair et son sang, le Christ accomplit donc comme prêtre et victime le Sacrifice parfait de l’Alliance Universelle et Éternelle. Il avait été prédit, préfiguré et déjà monnayé dans le passé par tous les sacrifices de l’Ancien Testament et même tous les sacrifices que les païens faisaient au Dieu Très-Haut, tous n’ayant de signification et de prix que par lui. Inefficaces, ils n’en furent pas moins de réelles occasions et moyens de la sanctification des hommes. Ainsi le Christ venait-il reconquérir tout le passé religieux de l’humanité pour le présenter à son Père en son propre mystère liturgique de mort et de résurrection.

LE SACRIFICE PERPÉTUEL DE LA SAINTE MESSE

Symétriquement, mais de manière tellement plus parfaite, les hommes devaient conserver encore, après le Sacrifice Unique du Christ, quelque rite de sacrifice qui leur permette de faire retour par la foi à ce seul Sacrifice et de puiser par ce sacrement à cette source salutaire des mérites infinis de la divine Victime. (…) Ce que nul esprit créé n’aurait pu concevoir ni espérer, le Christ lui-même l’a institué, c’est le Sacrifice Eucharistique, que saint Thomas appelle justement « LE SACREMENT », le Sacrement par excellence. La Messe. C’est la réactualisation, la représentation, le renouvellement de ce Sacrifice unique de la Croix, véritable sacrifice lui-même qui pourtant ne fait pas nombre avec celui dont il est le Mémorial... (…)

Cette réactualisation peut être expliquée - quelque peu - par la théologie spéculative selon deux schèmes, l’un classique, l’autre moderne, entre lesquels on ne devrait pas susciter de discordes. L’un fixe bien l’événement de la Croix dans un espace et un temps, dans l’histoire, et considère toute messe comme le resurgissement de cet Acte du Christ pour ainsi dire recommencé chaque fois en un autre point de l’espace et du temps. C’est le même sacrifice, dit saint Thomas, quant à la substance mais c’en est un autre quant à la manière... Ainsi répondons-nous à l’objection des protestants sur l’unicité du Sacrifice de la Croix.

Dom Cassel, en 1924, suivi par toute l’école moderne, propose une autre conception, assurément subtile mais féconde, selon laquelle, par le “ Mémorial ” - entendu au sens fort - les chrétiens se retrouvent contemporains de l’événement du Calvaire qui, du côté du Christ ressuscité, transcende l’espace et le temps. (…) L’acte du Christ Crucifié, quoique contenu une fois dans le réel historique, existe dans l’éternel de Dieu et c’est là que nous le rejoignons par notre acte sacramentel. Ce n’est pas un autre sacrifice, mais c’est un acte nouveau, non-sanglant, par lequel nous nous retrouvons contemporains de lui, nous le réactualisons pour nous sur nos autels.

Jésus a voulu, en mourant sur la Croix, tout à la fois accomplir le Sacrifice prescrit par son Père et instituer le Sacrement de l’Eucharistie pour nous. Il l’a voulu son sacrifice unique, définitif, et il l’a voulu perpétuel, universel, offert à tous. C’est pourquoi il a anticipé son sacrifice lors de la Cène et en a appris aux Apôtres le rite sacramentel : « Faites ceci en mémoire de moi ». Stupidité donc, irréflexion ou hérésie formelle, de faire de l’Eucharistie le mémorial de la Cène. Autant vaudrait dire que ma messe de ce matin était le mémorial de ma messe d’hier ou de ma première messe ! Si la messe est le mémorial de la première messe, celle-ci, de quoi sera-t-elle le mémorial ? ou alors que sera-t-elle donc d’autre qu’un mémorial ? Mais si la première Messe, la Cène, a été, sous la forme particulière d’une anticipation, le mémorial de la Croix qui allait venir, toutes les messes qui en reprennent les paroles et les gestes sont elles aussi le mémorial de la Croix. La Messe est le Sacrement de la Passion du Christ, distribuant ses fruits de rédemption et de grâce dans le repas cultuel qui termine le Sacrifice ainsi objectivement réalisé sous les apparences du pain et du vin.

Ce sont les protestants qui font de la messe, de la « cène », un mémorial de la première Cène, où rien n’indique qu’un sacrifice réel soit nécessaire...

Ce sont les catholiques qui tiennent à la nécessité d’une véritable présence du Christ sous mode de victime immolée pour qu’à la Messe comme à la Cène ce repas soit vraiment le mémorial de la Croix et donc le sacrement du salut. La Messe est d’abord un sacrifice, mais ce sacrifice se termine en repas de communion. (…)

CE SACRIFICE EST UN SACREMENT

Le trait de génie du Christ, si j’ose dire, a été de prendre du pain et du vin pour signifier l’objectivité du sacrifice sacramentel et lui donner les apparences expressives d’une nourriture et d’un breuvage. Le pain et le vin ne sont rien, ils n’ont aucune importance, aucun rôle dans le sacrifice. Ils ne sont pas anéantis, ni immolés ni offerts en sacrifice ; ils ne demeurent pas non plus. Par les paroles consécratoires, ils sont changés, “ convertis ”, transsubstantiés, et à l’instant de la consécration, « cela » devient Corps et Sang du Christ. (…)

La vraie et seule Matière du sacrement, ce sont donc le Corps et le Sang du Christ en leur état d’immolation ; l’un est l’hostie à partager, l’autre, trop digne pour l’aspersion, et vie véritable du Sauveur, répandu jadis sur le Calvaire, sera bu par nous pour nous intégrer par sa force à la vie et à la personne même du Sauveur. C’est donc bien un repas, ces apparences en sont la preuve. Mais les réalités qui nous sont livrées et communiquées, le Corps et le Sang, évoquent davantage encore, selon le langage des mystiques, l’union nuptiale dans laquelle la communion dans la chair et le sang est plénière et féconde.

Il me semble donc que le mariage est le symbole le plus parfait, dans l’ordre de la nature, plus parfait que la manducation d’un aliment, de ce qu’est la Communion sacramentelle : une union atteignant jusqu’à la fusion, non des personnes qui demeurent distinctes mais de leurs chairs devenues une seule chair, de leurs deux vies, de leurs cœurs et de leurs esprits... Une différence subsiste, capitale, et qui nous tient au plus loin de toute imagination indigne ou impure : pareille union nuptiale au Christ ressuscité s’accomplit sous le signe du Sacrifice, dans une condition de victime.

C’est dire que cette union ne se fait pas à une chair glorieuse et un sang bienheureux qui nous communiqueraient dès ici-bas leur joie, mais à une chair immolée, torturée, mise à mort, et à un sang répandu. Pareille union se fait, comme disent les mystiques, non dans la béatitude et le partage de la jouissance charnelle ou spirituelle, mais sur ce lit nuptial de la Croix, dans le partage de la Passion et l’identification du fidèle à l’état de victime de son Sauveur crucifié. Ce repas sacré ne nous introduit pas directement dans la béatitude du Ciel mais dans le renoncement et la mort au monde du Christ, pour parvenir ainsi, selon ses sentiers, à la gloire de sa Résurrection.

Telle est la réalité de la Messe, Sacrifice de la Croix renouvelé qui se termine en repas de communion cultuelle.

L’INSTITUTION DE LA SAINTE EUCHARISTIE

Comment le Christ a-t-il institué l’Eucharistie ? En cela encore, j’aime l’admirer entièrement... comme un athlète, en sage et puissant fondateur de religion. Il a su instituer ce Sacrement définitif dans des formes d’une extrême robustesse. (…)

Le Sacrifice de la Croix se trouve donc ici ramassé et évoqué dans les quelques signes et paroles que Jésus-Christ a fixés en les opérant lui-même au soir du Jeudi-Saint et en donnant l’ordre à ses Apôtres de les reproduire tels qu’il les avait faits. Et l’Église a scrupuleusement obéi à son Seigneur. Ne voulant que lui obéir, elle s’est contentée de raconter à la lettre l’événement de la Cène, puis de faire prononcer au prêtre sur le pain et le vin nouveau de chaque messe les paroles mêmes du Seigneur, afin qu’elles aient comme au premier jour leur pleine efficacité sacramentelle. (…)

“ Hoc est enim corpus meum ”. Le prêtre, en prenant le pain comme avait fait le Christ, le désigne par ce terme : « ceci » et affirme : « Ceci est mon Corps ». L’idée ne peut pas lui venir ni à personne que ce puisse être son corps à lui, ministre du sacrement. Tous savent qu’il agit et parle alors en vertu de son Pouvoir d’Ordre, sur ordre, au nom du Seigneur, en son lieu et place. La consécration du pain, commente saint Thomas, vise à signifier principalement la présence réelle du Christ. (…)

“ Hic est enim calix sanguinis mei, novi et æterni testamenti, mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum... ” “ Ceci est le calice de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, le mystère de la foi, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. ” Toute cette parole exprime à son tour la présence réelle du Sang du Christ dans le calice, mais comme d’un Sang répandu, séparé du Corps. A-t-on jamais vu du sang humain dans un calice, sinon pour une liturgie de sacrifice ? Ainsi est-il signifié précisément que l’état du Christ est ici celui de la Victime. Le sacrifice est donc contenu dans les paroles mêmes qui le réalisent et qui sont de ce fait la forme complète et suffisante du sacrement. (…)

Du seul fait que les prêtres disent et qu’ils font ce que le Christ a dit et fait, qu’ils joignent au geste la parole, le Christ agit par leur ministère selon la plénitude de son Sacerdoce et revit son Sacrifice parfait.

“ Hæc quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis. ” “ Chaque fois que vous ferez ces choses, vous les ferez en mémoire de moi. ” (…) Pour comprendre et admirer jusqu’au bout la sagesse et la force du Christ, notre Athlète dans l’institution de ce Sacrement, nous devons faire ici une remarque importante sur la vérité du sacrement, conçue et imposée par Jésus-Christ.

Il a si fortement disposé toutes choses, paroles et gestes, qu’à elles seules elles suffisent, quelles que soient la distraction, la malice ou l’ignorance de ses prêtres passés, présents et futurs ! Du moment qu’ils auront fait ce que j’ai institué, les malheureux, les misérables, je revivrai tout le mystère de ma Croix et j’en distribuerai les fruits à tous mes bons fidèles ! Rien ne pourra m’en empêcher ! C’est Moi qui suis là et, plus fort que mon prêtre prévaricateur, hérétique ou incrédule, c’est Moi le vrai et souverain Prêtre qui réitère mon sacrifice et en procure la grâce, du seul fait que ce serviteur remplit exactement la fonction que je lui ai assignée, si méchant soit-il en son cœur ! (…)

LA MESSE, CAUSE DE TOUTE SAINTETÉ

Quels sont les fruits du Saint-Sacrifice ? Saint Thomas résume l’enseignement de la Tradition en disant que l’effet du Sacrement, c’est l’unité de l’Église, l’édification du Corps Mystique. (…) Sur cette lancée peut-être, mais certainement dans un sens trop humain, nos modernes répètent indéfiniment que la messe est un repas de partage fraternel et social pour unir les hommes dans une amitié universelle. Cette idée n’est pas fausse mais elle néglige et parfois conteste le principal : comment allons-nous être unis ? humainement ? autant vaudrait alors “ casser la croûte ” et “ trinquer ” ensemble, et c’est à cela qu’ils aboutissent ! Mais la première Cène ni la messe n’ont jamais été considérées ni vécues comme un repas quelconque, ni dans leur rite ni dans leurs finalités. Parce que l’effet du sacrement doit être la constitution de l’unité surnaturelle d’un Corps Mystique ayant pour lien la foi, l’espérance, la charité chrétiennes, et véritablement la vie divine en nous, celle-ci ne pourra se répandre que par l’union des membres de ce Corps social à la Tête sainte qui est le Christ.

Le Sacrement de l’Eucharistie a donc deux finalités, subordonnées l’une à l’autre. La première est de nous unir profondément au Christ et par Lui au Père, dans l’Esprit-Saint, la seconde de nous souder les uns aux autres, de nous relier tous, comme « christifiés », pour ne plus former qu’un seul Corps spirituel et social. Notre charité fraternelle sortira rénovée et fortifiée de ce sacrement, mais ce sera dans la mesure où nous aurons été unis d’abord à Dieu par la Victime Sainte, devenus nous-mêmes victimes avec Jésus et crucifiés pour le monde avec Lui ! (…)

Cette union d’amour au Christ crucifié est transformante. Cela n’est plus du tout enseigné de nos jours. C’est pourtant le point... crucial de tout le Mystère chrétien de la conversion et de la grâce dans la condition présente de l’homme et c’est aussi la grande leçon de l’histoire à laquelle vient aboutir toute notre Apologétique Catholique. Dans la mesure où la Messe est la réitération sacramentelle des souffrances du Christ, de sa mort expiatoire en vue de notre résurrection, ce qu’il nous donne dans ce sacrement est en rapport avec ce sacrifice, ce doit être donc, de toute nécessité, une conformité à son état, à ses sentiments dans cet état, et enfin par là à ses mérites. (…)

Les fruits sublimes de la Messe sont de plaire à Dieu en devenant victimes de tout cœur avec la divine Victime : UNA CUM CHRISTO HOSTIA, COR UNUM, une seule hostie avec le Christ et ne faisant avec lui qu’un seul cœur ! Il faut mettre la croix partout. En recevant ce Corps et ce Sang, non pas comme un époux et une épouse se donnent une jouissance mutuelle dans la gloire, mais comme des associés d’amour vivent la même mort pour être plus unis encore dans la même sainteté. Il est impensable qu’un chrétien oublie, dans la seule préoccupation de gagner des mérites, que l’essentiel de la vie chrétienne est de mourir avec le Christ, en ce monde, dans la chair, pour ressusciter avec lui dans le Ciel. On passe de la vie temporelle et charnelle à la vie divinisée à travers cette transformation qui se fait par amour et sur la croix, que le Christ réalise dans nos âmes par la force du Sacrement, transformation où l’homme quitte le péché et devient « comme les anges dans le Ciel » (Mt 22, 30).

Quelles sont particulièrement les vertus que produit dans le fidèle, dans le communiant surtout, la configuration à Jésus-Christ qui est le fruit de ce Sacrifice ? Ce sont toutes les Béatitudes évangéliques. Mais il me paraît bon d’en mettre trois en valeur, parce qu’elles sont les vertus éminentes du divin Crucifié.

L’OBÉISSANCE de celui qui « a faim et soif de justice » c’est-à-dire, dans le langage biblique, de sainteté et de perfection. Jésus sur la Croix souffre et meurt par obéissance à son Père. « Voici que je viens, Seigneur, pour faire votre volonté ». Au lieu de la révolte d’Adam et de sa désobéissance qui avaient perdu l’humanité, voici que nous sont enseignées et communiquées, sur la Croix et dans ce Sacrement, la vertu d’obéissance filiale et sa soif de perfection.

LA VIRGINITÉ ou au moins LA CHASTETÉ de notre état. Dans ce mystère, le Christ immole sa chair et brise sa sensibilité en d’atroces souffrances. Il nous en donne et l’exemple et la force. On ne peut communier sans perdre l’attrait que tout fils d’Adam et d’Ève ressent pour l’idolâtrie de son propre corps et la divinisation de la chair. Le corps est un bien dont le mieux qu’on puisse faire est de l’immoler. Telle est, dans le Christ, la source de toute mortification. Sa mort devient mortification de la chair en tout chrétien. La pureté des vierges est ainsi liée à travers l’histoire de l’Église au sacrifice de la Croix, au Sacrement de la Messe. Et la chasteté conjugale imite dans son ordre cette union nuptiale sur le lit douloureux de la croix. Si le mariage est le symbole de cette union, c’est précisément parce qu’il est sacrement de sanctification mutuelle dans la mortification de la chair et la victoire de l’amour spirituel. La Croix est une source, la source unique de toute pureté dans le monde ...

LE MARTYRE. C’est la dernière et la plus haute des béatitudes, c’est une grâce particulière de configuration littérale de l’homme à son Dieu mourant sur la croix, c’est le plus grand témoignage de foi et d’amour qu’il soit possible à un chrétien de rendre à son Père du Ciel grâce à l’exemple et à la force du Christ. C’est pourquoi, selon la tradition, le martyr monte au Ciel directement. (…)

D’où cette conclusion, qui est d’une force extraordinaire et de conséquences incalculables pour notre pensée et pour notre action : LA MESSE EST LE RESSORT DE LA VIE CHRÉTIENNE, LE PRINCIPE MOTEUR DE L’ÉGLISE, LA FORCE IMMANENTE DE L’HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE ROYAUME ESCHATOLOGIQUE, parce que la Messe est perpétuellement un ferment d’héroïsme, de sagesse, de sainteté. (…)

Les chrétiens ont été des modèles et des pionniers de la civilisation humaine parce qu’au lieu d’être des révoltés comme Adam leur père, ils ont été des soumis, des obéissants, comme leur Sauveur Jésus-Christ dont l’exemple leur est encore prêché et représenté chaque jour à la Messe. Parce qu’au lieu d’être vendus au péché et asservis à leur propre chair et à toutes ses convoitises, comme dit saint Paul, ils ont appris du Christ crucifié et de sa Mère virginale au pied de la Croix la mortification de la chair et la pureté du cœur. Parce qu’ils ont rompu avec tous les scepticismes et tous les syncrétismes religieux, toute idolâtrie et tout fanatisme collectif, pour embrasser la Vérité Révélée jusqu’à la mort, jusqu’au martyre... (…)

Voilà comment la Messe a été à travers les siècles, le ferment dans la masse, le générateur de toute sainteté, le ressort de l’humanité. (…)

Abbé Georges de Nantes
Extrait de la CRC n° 82, juillet 1974, p. 3-16

  • Dans le tome 6 de La Contre-réforme Catholique : Apologétique catholique,
    • Au cœur de l'Église, le Saint-Sarifice de la Messe, CRC n° 82, juillet 1974, p. 3-16
En audio :
  • Ap 7 : Le Saint-Sacrifice de la messe, mutualité 1974, 2 h (aud.)

Références complémentaires :

  • Les saints mystères du Corps et du Sang du Seigneur : nouvelle théologie de l'Eucharistie, CRC tome 9, n° 116, avril 1977, p. 3-14
  • Les grands débats de ce temps. La réforme de la messe, chimère ou réalité, CRC tome 8, n° 101, janvier 1976, p. 3-14