Le Père Jongen, apôtre du règne de Marie

LE Père Hubert Jongen est décédé le 26 août 2007 à l’âge de cent ans, son âme s’est envolée vers sa Reine.

« Priez pour moi Notre-Dame de Fatima, je vous en serai reconnaissant », avait-il dit à nos amis de la CRC flamande venus le visiter à Valkenburg, le 4 janvier 1996, visiblement épuisé par sa longue vie de labeurs apostoliques, en Belgique, en Autriche et au Brésil.

Nos amis l’avaient interrogé sur le combat qu’il mena en faveur de Fatima, avec une remarquable compétence, dans les années 1940, en réfutant les théories du Père Édouard Dhanis. Sa critique fut décisive : elle met en pleine lumière l’erreur de ceux qui s’obstinent à considérer le jésuite belge comme un « éminent spécialiste » de Fatima, tel le cardinal Ratzinger dans son Commentaire théologique du Secret.

CONSOLEZ VOTRE MÈRE !

Le Père Jongen en 1996

Grand admirateur de l’abbé Poppe, le Père Jongen fut très actif à Louvain au sein des Œuvres mariales, dans les années 1930 : prédicateur, directeur de pèlerinages, il était aussi la cheville ouvrière du nouveau périodique Médiatrice et Reine et secrétaire de rédaction de Standaard van Maria ; L’étendard de Marie.

Dès cette époque, on avait en Belgique de la dévotion pour Notre-Dame de Fatima puisque c’est en ayant recours à son intercession que le chanoine Dessain obtint en 1930 la conversion de la reine Astrid : son abjuration de l’hérésie luthérienne et sa profession de foi catholique.

Pendant la guerre, malgré la pénurie de papier, le Père Jongen réussit à maintenir la parution de ses deux périodiques et, ensuite, il multiplia les initiatives pour développer leur diffusion qui atteignit les deux cent cinquante mille exemplaires en 1946.

Dans Consolez votre Mère ! premier ouvrage en langue française sur la dévotion des premiers samedis du mois (1944, 175 pages), il prêchait, avec le Pape Pie XII, le « règne de Marie » comme « un idéal concret dont la réalisation est proche ».

Mais il dénonçait également l’emprise du démon sur nos sociétés démocratiques et laïques : « Que d’âmes se perdent éternellement à cause de la politique funeste des hommes d’État ! Que d’âmes tombent en enfer parce que, dans les écoles, elles ont été élevées dans la haine de la religion ! »

AU SERVICE DE LA REINE

Sa brochure Au service de la Reine (1946, 48 pages) fut son manifeste : « Les uns veulent construire sur l’Organisation des Nations unies, les autres sur le socialisme, le communisme, l’anarchie. Mais tout cela se révèle fragile. L’édifice s’écroule avant même que les fondements soient achevés. »

Et d’affirmer : « L’heure du choix décisif a sonné : le Christ ou Satan, la vertu ou le péché ? Dieu a fixé une condition au règne du Christ. Montfort l’indique dès la première phrase de la première page de son magnifique Traité de la vraie dévotion : “ C’est par la très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner dans le monde. ”

« Propagandiste, comprends-tu ce que cela veut dire ? Tu dois être animé de la conviction profonde que la réalisation du règne de Marie est absolument voulue par Dieu. »

Le Père Jongen prêchait la « consécration parfaite » à la Sainte Vierge : « Je me suis consacré à Marie. Je suis devenu par là sa propriété, son serviteur. Or, le service de Marie est un service militaire. Parce qu’elle a été chargée par Dieu d’écraser la tête du Serpent. Elle s’acquitte de cette charge par l’intermédiaire de sa “ race ”, c’est-à-dire de ses fidèles enfants et serviteurs. Ils sont le talon de la Femme, instrument de son triomphe sur l’ennemi. »

C’est par la presse qu’il voulait conquérir les esprits et les cœurs : « Nos ennemis nous donnent à cet égard des leçons. Au dix-huitième siècle, les libres penseurs veulent déchaîner en France la Révolution. Que font-ils ? Ils se servent de la presse. Si, en 1779, il n’existait que quarante et un journaux, de 1789 à 1793, il en paraît mille quatre cents ! Et la Révolution française dépassa toutes leurs espérances.

« “ Il n’y a pas de levier plus puissant pour soulever la masse, et pour faire jouer ses intérêts et ses passions, que la presse ”, disait Mgr Freppel.

« Si notre mouvement a pris en peu d’années une extension si considérable, c’est parce que nos propagandistes ont largement répandu nos éditions mariales. La Belgique possède un climat marial qui est peut-être unique au monde.

« Propagandiste, sache apprécier la revue ! Lis ta revue ! Conserve la revue ! Surtout : répands la revue ! »

Et de conclure : « De cette façon, notre phalange de propagandistes aura fourni une contribution nouvelle et magnifique à la réalisation de la promesse de Notre-Dame de Fatima : “ Mon Cœur Immaculé triomphera. ” »

LA PURETÉ DU MESSAGE

La sincérité des voyants n’a jamais éveillé en lui le moindre doute :

« Ils étaient à l’école de la Sainte Vierge ! Son Cœur Immaculé fut le chemin qui les conduisit à Dieu, sûrement et rapidement. La vie des petits voyants est une nouvelle confirmation de la parole de Pie X : “ Il n’est pas de chemin plus sûr et plus court pour conduire tout le monde à l’union au Christ que le chemin de Marie. ” » (Notre-Dame de Fatima, missionnaire de Dieu !)

Aussi se porta-t-il à la défense du témoignage de Lucie, dès qu’il le sut altéré ou mis en doute.

En 1942, au moment de la consécration du monde par Pie XII, pour faire la lumière sur les demandes de Notre-Dame il publia deux versions du Secret : la version « autorisée (sic) par Rome » et le « texte original ».

En 1944, le Père Jongen mit sa bibliothèque personnelle sur Fatima à la disposition du Père Édouard Dhanis, jésuite belge, professeur de théologie à Louvain. Or, quelques mois plus tard, à la stupéfaction du montfortain, Dhanis publiait deux longs articles où il insinuait que, dans ses Mémoires, sœur Lucie avait défiguré les apparitions de 1917 parce qu’elle avait une propension à la fabulation inconsciente.

Le Père Dhanis laissait même entendre que la voyante avait plagié des récits d’apparitions du Sacré-Cœur, que les enfants avaient “ imaginé ” la vision de l’enfer, et que les prophéties “ politiques ” de Notre-Dame de Fatima étaient irrecevables et erronées. (Streven, 1944, p. 197)

CINGLANTE RÉPLIQUE

Le Père Jongen dénonça cette perfidie avec force dans trois articles publiés en néerlandais dans L’étendard de Marie.

« On peut se demander s’il est justifié d’écrire une critique de la version communément acceptée des événements de Fatima, seulement à partir des sources déjà publiées.

« Il y a, en effet, tant de sources non publiées qui présentent cependant le plus grand intérêt. Nous pensons, par exemple, au procès canonique des apparitions, aux comptes rendus d’audition par la Commission épiscopale, de Lucie, de la famille des voyants et de nombreux autres témoins, aux Mémoires que la voyante écrivit en 1936, 1937 et 1941, à sa correspondance avec l’évêque de Leiria au sujet des événements de Fatima.

« Le Père Dhanis ne tient aucun compte de tous ces éléments importants, parce qu’il n’est pas à la hauteur de son sujet.

« Nous sommes en présence d’un ensemble de faits communément acceptés. Leur crédibilité est directement ou indirectement garantie par des personnes de grande autorité morale. Ces personnes disposent de toutes les données nécessaires pour se forger un jugement sur les faits en question. Ce jugement est positif, c’est-à-dire qu’il n’est pas incertain mais conclut à la pleine véracité de Fatima, telle qu’on la trouve maintenant exposée. (...)

« En un certain sens, l’incertitude et le doute nuisent davantage à une affaire qu’une opposition déclarée. Quand quelqu’un manifeste son opposition, on peut examiner ses arguments et on sait à quoi s’en tenir. Mais quand quelqu’un émet seulement un doute, et qu’il l’émet à partir d’informations lacunaires, on ne sait plus ce que l’on doit croire.

« Une étude comme celle du Père Dhanis en dit trop ou trop peu : trop pour croire encore à Fatima, et trop peu pour condamner l’ensemble de ces faits prodigieux. Après une telle lecture, on est mal à l’aise. Et pour la piété du lecteur ordinaire, Fatima a perdu toute signification. » (Standaard van Maria, 1946, p. 181-186)

ENQUÊTE AU PORTUGAL

Après la guerre, le Père Jongen voulut faire lui-même son enquête.

Accueilli à Leiria par Mgr Da Silva en janvier 1946, il demeura plus d’un mois, consultant les manuscrits de Lucie, interrogeant les personnes les mieux autorisées comme le docteur Formigao, le docteur Galamba qui ordonna à Lucie d’écrire ses Mémoires, et le docteur Carlos de Azevedo qui l’a connue et suivie depuis son enfance.

Le zélé montfortain questionna en outre les parents de François et de Jacinthe, la sœur aînée de Lucie, le docteur Preto qui soigna Jacinthe à l’hôpital d’Ourem, mère Godinho, ainsi que des témoins du miracle du soleil.

QUATRE ENTRETIENS AVEC SŒUR LUCIE.

Sœur Lucie en 1946

De plus, Mgr da Silva l’autorisa à rencontrer la messagère du Ciel, sœur Marie-Lucie des Douleurs, dans son couvent de Dorothées, à Tuy, les 3 et 4 février 1946.

« Lucie était absente à notre arrivée, raconte le Père Jongen. Elle donnait une leçon de catéchisme. Elle parle en effet l’espagnol aussi bien que le portugais. Lucie fait beaucoup de bien aux enfants et à tous ceux qui l’approchent. (...)

« Voici ce qui caractérise la voyante, poursuit le Père Jongen, un culte passionné pour la vérité. Sa véracité va de pair avec un dédain profond du respect humain. (...) C’est surtout son extraordinaire simplicité qui nous frappa.

« Nous lui présentons nos excuses d’avoir à lui poser tant de questions, en l’avertissant qu’un Père jésuite belge venait de publier des articles mettant en doute certaines de ses affirmations. Elle répondit aussitôt : “ Et alors ? ”

« Cette attitude désintéressée et sereine à l’égard de ceux qui critiquent ses écrits fera impression sur tout homme impartial et sans préjugés. » (Médiatrice et Reine, 1946, p. 9-10)

DES RÉPARTIES DIGNES DE JEANNE D’ARC.

« Je prends mon crayon pour prendre des notes. Lucie voit qu’il n’est pas affilé. Elle le saisit pour le tailler.

Nous demandons à la sœur :

Êtes-vous sûre, tout à fait sûre, que l’Ange vous est apparu ?

Je l’ai vu.

« Elle prononça ce mot “ vu ” avec le calme, la tranquillité, l’assurance de quelqu’un qui dirait qu’il a vu le lever ou le coucher du soleil.

– L’ange a-t-il vraiment dit : “ je vous offre... la divinité de Jésus-Christ... ”

– Oui.

– Plusieurs disent que c’est là une innovation dans la manière de parler de l’Église. D’après eux, vous devez vous tromper ici.

– Peut-être l’ange s’est-il trompé ! dit la sœur malicieusement.

– N’est-il pas possible que vous vous soyez trompée ? Ne pouvez-vous pas avoir oublié les paroles précises de l’ange ?

– Nous avons commencé immédiatement après l’apparition de l’ange à réciter les prières qu’il nous avait enseignées.

– Quand avez-vous reçu “ la permission du Ciel ”, comme vous dites dans vos Mémoires, de révéler le Secret ?

– En 1927, ici, à Tuy, dans la chapelle. Cette permission ne s’étendait pas à la troisième partie du Secret.

– En avez-vous parlé à votre confesseur ?

– Oui, tout de suite après.

« Nous faisons remarquer :

– Dommage que le Secret n’ait pas été publié avant la guerre. Ainsi la prédiction aurait eu plus de valeur. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait connaître davantage ?

– Parce que personne ne me l’a demandé.

« Tout à coup, Lucie a une idée :

– Ce Père jésuite pourrait écrire à mes confesseurs, pour demander ce que je leur ai communiqué vers 1927. C’étaient les Pères Aparicio et Gonçalves.

– À qui avez-vous révélé encore le Secret avant la guerre ?

– À la supérieure provinciale, à l’évêque de Leiria et au docteur Galamba.

– Avez-vous voulu vous borner, en révélant le Secret, à rendre la signification de ce que la Sainte Vierge vous a dit, ou avez-vous cité ses paroles littéralement ?

– Quand je parle des apparitions, je me borne à la signification des mots. Quand j’écris, je tâche de tout rendre littéralement. J’ai donc voulu écrire le Secret mot pour mot.

– Êtes-vous certaine d’avoir tout retenu ?

– Je le pense.

– Les paroles du Secret ont-elles donc été révélées dans l’ordre où elles vous furent communiquées ?

– Oui.

– La Sainte Vierge a-t-elle vraiment prononcé le nom de Pie XI ?

– Oui. Nous ne savions pas alors ce que signifiait un Pape ou un Roi, ou Pie XI, mais la Sainte Vierge a bien parlé de Pie XI.

– Mais la guerre n’a pas commencé sous Pie XI !

– L’annexion de l’Autriche à l’Allemagne en fut l’occasion. Quand l’accord de Munich fut conclu, les sœurs jubilaient parce que la paix était sauvée. Moi, je savais bien mieux.

– Mais ce Père jésuite fait remarquer que “ l’occasion d’une guerre n’est pas la même chose que son commencement ”.

« Cette remarque ne fait apparemment aucune impression sur la sœur.

– D’après le texte du Secret, la Sainte Vierge aurait dit : “ Je viendrai demander ”... Est-elle vraiment venue demander ?

– Oui, le 10 décembre 1925, Notre-Dame m’apparut avec l’Enfant-Jésus, dans ma chambre. Elle me dit : “ Regarde, ma fille, mon Cœur entouré des épines que les hommes ingrats m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler par la pratique de la dévotion réparatrice des premiers samedis du mois. ”

– On a fait remarquer que Notre-Seigneur a demandé à peu près dans les mêmes termes la dévotion du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie Alacoque. On dirait une réminiscence de Paray-le-Monial. ”

« La sœur rit, et son rire traduit l’innocence et la candeur d’une enfant : “ Puis-je prescrire à la Sainte Vierge la façon de s’exprimer ? ” »

Reparties dignes de sainte Jeanne d’Arc dont on ne trouve, hélas ! aucun écho dans la biographie officielle.

La voyante rappela au Père Jongen l’apparition de Tuy : « La Sainte Vierge demanda la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie par le Pape, en union avec les évêques du monde.

– N’a-t-elle pas parlé de la consécration du monde ?

Non. »

Le Père Jongen attira l’attention de sœur Lucie sur les prophéties du Père de Montfort : le règne du Christ viendra, par le règne de Marie, après la diffusion de la vraie dévotion dans le monde. Sœur Lucie réagit immédiatement :

« Et après la conversion de la Russie. »

LA VÉRITÉ PURE ET SIMPLE

Le Père Jongen, dès son retour à Louvain, publia les comptes rendus de ses entretiens.

« Nous ne doutons pas, affirmait-il, que tout ce que Lucie a écrit dans ses Mémoires est la vérité pure et simple. » (Médiatrice et Reine, 1946, p. 112)

De plus, il poursuivait la rédaction d’une série d’articles intitulés “ Brouillard sur Fatima ”, répondant systématiquement aux objections de Dhanis.

Cependant, dès l’année suivante, ses supérieurs l’envoyaient à Salzbourg, en Autriche mettant fin à ses travaux.

Quant au Père Dhanis il était promu professeur à la Grégorienne, à Rome. Ainsi se vérifiait ce que Lucie écrira à une amie très éprouvée, le 20 septembre 1950 :

« Quant aux persécutions et aux contrariétés dont vous me parlez et qui surgissent autour de cette œuvre et de vous-même, n’en soyez pas accablée. C’est le signe le plus évident que l’œuvre est de Dieu et qu’elle lui rend gloire.

« S’il n’en était pas ainsi, le démon ne la combattrait pas tant. Au lieu de nous décourager, cela doit au contraire nous donner force et courage pour lutter jusqu’à vaincre. »

Il est ressuscité ! n° 66, février 2008