La confession d'Augsbourg, 
une utopie anticatholique

La confession d'Augsbourg

VÉRITÉ SUR LES ÉVÉNEMENTS ET SUR LE TEXTE

LA dite « Confession d’Augsbourg », luthérienne, est due à Mélanchthon. Il est parfaitement établi qu’il la rédigea dans une intention de conciliation et de compromis, allant jusqu’au travestissement de la doctrine du docteur Martin Luther, à la grande fureur de celui-ci, comme aussi dans l’esprit de modération humaniste qui lui était propre et l’éloignait de son maître. Il voulait par-là persuader le jeune empereur que la foi nouvelle, condamnée par Rome, n’était que l’expression, la plus pure et la plus évangélique, de la foi commune et universelle de l’Église chrétienne, telle qu’elle était comprise avant tant d’étranges abus que maître Martin Luther avait entrepris de corriger (...). Il n’empêche que ce texte est né dans la secte, de la secte, pour imposer à l’Église universelle les doctrines de la secte luthérienne (...) !

LA FOI LUTHÉRIENNE CONTRE LA RELIGION

Philippe Mélanchthon
Philippe Mélanchthon

Lisons le texte de la Confession de foi luthérienne, posément, sans passion, sans parti pris. Nous sommes catholiques. Nous savons quelle est notre foi. Nous allons confronter l’une à l’autre, selon le texte présenté par le luthérien Pierre Jundt, et donc, texte qui fait foi (...). Sur les 28 articles, les 21 premiers sont dits « Articles de foi et de doctrine » ; les 7 derniers, « Articles contestés où sont énumérés les abus qui ont été corrigés. » Nous les examinerons tous, et presque tous dans l’ordre de leur présentation.

LA FOI CATHOLIQUE

Article premier : De Dieu.

Cet article premier est catholique. Je n’ai rien à objecter, mais nos évêques doivent être gênés, par ce vieux texte intégriste qui « rejette les hérésies contraires » à la foi des chrétiens, parmi lesquelles « les mahométans et tous leurs semblables » ! Voilà qui, déjà, rend peu souhaitable à nos œcuménistes une reconnaissance littérale de la Confession luthérienne d’Augsbourg, au moment où ils ouvrent partout des mosquées.

Article II : Du péché originel.

C’est encore la doctrine catholique, un peu poussée au noir. Je ne vois pas que nos évêques acceptent de confesser cette foi-là, tant leur enseignement est ordinairement pélagien et aucun d’eux ne paraissant plus croire au péché personnel d’Adam, homme historique, ni aux suites de ce péché dans tout le genre humain, « infection innée et péché qui les voue à la colère éternelle de Dieu ». Pour nous, une seule restriction concernant l’Immaculée Conception de la Vierge Marie serait à apporter à ce texte. Et puis, je crois que l’Église adoucirait finement ce qui est dit là de massif et d’écrasant.

Article III : Du Fils de Dieu.

On aimerait que nos évêques en inspirent leur prédication. Jésus-Christ, « vrai Dieu et vrai homme... a été crucifié, est mort... afin d’être une victime offerte en sacrifice non seulement pour le péché originel mais aussi pour tous les autres péchés, et afin d’apaiser la colère de Dieu ». Nos évêques y croient-ils vraiment ? Xavier Léon-Dufour dénonce ces vieux mythes cruels, leurs catéchèses n’enseignent rien de tel (...).

Article XVII : Du retour du Christ pour le jugement.

Ici encore nous retrouvons notre foi chrétienne, avec une atroce rigueur il est vrai, sur le jugement dernier, la résurrection des morts et la vie éternelle des bons et des méchants. Là s’arrête notre accord. C’en est assez tout de même pour leur reconnaître le titre de chrétiens. Mais de catholiques, non.

L’HÉRÉSIE PROTESTANTE

Article IV : De la justification.

Car voici déjà, et tout à fait, la division entre nous, la divergence absolue et, pourquoi ne pas le dire ? la contradiction venimeuse de notre foi : « Ensuite, on enseigne que nous ne pouvons obtenir la rémission des péchés et la justice devant Dieu par nos mérites, par nos œuvres et par notre satisfaction, mais que nous recevons la rémission des péchés et que nous devenons justes devant Dieu par grâce, à cause du Christ, par le moyen de la foi... » (...).

Alors, ça y est, c’est fait ! Si je crois au pardon du Christ, je suis pardonné ? Automatiquement. Croire suffit. Tu crois au pardon divin (général), tu reçois le pardon (particulier) de tes péchés, Dieu te considère comme juste, te donne la vie éternelle, et toc ! (...). Si l’on s’en était tenu à « la foi seule » de Luther, c’était évidemment la rupture et la confirmation des excommunications et mises au ban de l’Empire pour Luther et ses partisans. Il fallait feindre encore une certaine estime de l’Église et des sacrements. Mélanchthon, « l’homme de l’habileté et des faux-fuyants » (Paquier, D.T.C. Luther, col. 1167), mais aussi l’homme de la modération et du compromis, va s’en charger.

Article V : Du ministère de la prédication.

La seule activité qui puisse subsister dans l’Église de Luther, c’est la prédication. Elle est ici déclarée d’institution divine. Mention est faite aussi des sacrements, et à lire un peu rapidement on croirait y reconnaître nos sacrements catholiques, causes efficaces de la grâce, nécessaires au salut ! Mais le texte est celui-ci : « Comme par des moyens, il (Dieu) donne le Saint-Esprit, lequel opère la foi où et quand il veut en ceux qui écoutent l’Évangile. » C’est malin. Les sacrements sont « comme » des moyens. Mais la grâce ne passe pas par eux. Elle vient de Dieu à ceux qui ont la foi seule... On nage dans l’hypocrisie.

Article VI : De la nouvelle obéissance.

Il fallait tromper l’empereur ; il fallait dire que les luthériens ne rejetaient pas les sacrements, « les bonnes œuvres que Dieu a commandées ». Justement ! Luther veut qu’on les accomplisse, et « par amour pour Dieu ». Toutefois, « sans mettre sa confiance dans de telles œuvres en vue de mériter par-là la grâce devant Dieu », mais en les tenant bien pour inutiles au salut et sans mérite devant Dieu.

SIMULACRES D’ÉGLISE ET DE SACREMENTS

Article VII : De l’Église.

Puisque plus rien ne compte que la foi, l’Église et ses sacrements ne subsistent ici que par tromperie et puis par tradition, par convention sociale, par routine, vidés de leur réalité surnaturelle d’instruments et de causes efficaces de la grâce. L’Église n’est que « la réunion de tous les croyants parmi lesquels l’Évangile est prêché purement et les saints sacrements conférés d’une manière conforme à l’Évangile ». Mais tout cela n’est ici que de pure forme : l’Église est le peuple de ceux qui croient et font ce que Luther déclare bon.

Article VIII : Ce qu’est l’Église.

Luther prétendait que son Église, où tout était bien « conforme à la Parole divine », était une Église de saints, d’élus, de purs croyants ! Mélanchthon répond à une objection trop évidente, en admettant que « néanmoins, dans la vie présente, un grand nombre de faux chrétiens et d’hypocrites, et même de pécheurs notoires », puissent en être et y demeurer ! (...).

Articles IX-X-XI-XII : Du baptême. De la sainte Cène. De la confession. De la pénitence.

Ce sont les trois sacrements qui restent encore, en 1530, aux luthériens. Mais sous la malignité trompeuse des propos, ce ne sont plus que des apparences de sacrements. La juxtaposition de l’idée catholique et de la contradiction protestante manifeste l’intention d’égarer un court moment l’empereur.

Le baptême est « nécessaire », mais seulement pour « offrir » la grâce ; et celui des enfants, pour qu’ils soient « remis à Dieu », qui « les agrée ». Ainsi est-il « admissible » !

Dans la Cène, « le vrai corps et le vrai sang du Christ sont, en toute vérité, présents sous les espèces du pain et du vin ». Quatre versions différentes de ce court article insisteront plus ou moins, contre Zwingle, sur cette présence réelle, mais toutes seront absolument muettes sur l’efficacité de cette présence !

Enfin, « l’absolution privée » doit être « maintenue », mais seulement comme le signe de ce que le croyant obtient de Dieu par sa foi (...). Croire suffit pour être absous par Dieu. Et le geste du prêtre ? C’est un simulacre, un geste vide.

Article XIII : De l’usage des sacrements.

Les catholiques accusaient les luthériens d’avoir vidé les sacrements de toute leur réalité, et de les conserver « seulement » comme « des signes permettant de reconnaître extérieurement les chrétiens ». Mélanchthon s’en tire avec une nouvelle malice, grosse comme une corde : « Ils ont été institués pour être des signes et des témoignages de la volonté divine à notre égard, en vue de susciter et d’affermir notre foi. » Ils ne donnent pas la grâce, ils n’affermissent pas la foi, non ! Mais par eux, « on affermit sa foi ». Ils ne sont pas des actes de Dieu, mais ils sont des signes qui montrent sa bienveillance. Entre l’être et le néant, Mélanchthon pose l’apparence.

Article XIV : Du gouvernement de l’Église.

Même forme vide. Du sacrement de l’Ordre, il ne reste que le fonctionnariat : « Au sujet du gouvernement de l’Église, on enseigne que dans l’Église nul ne doit enseigner publiquement ou conférer les sacrements sans vocation régulière. »

Mais qu’est-ce que cette vocation régulière ? C’est un simulacre d’appel pour un simulacre d’ordination par un simulacre d’Église en vue d’un simulacre de ministère.

DU CULTUEL AU CULTUREL

Article XV : Des cérémonies ecclésiastiques.

« Au sujet des cérémonies ecclésiastiques d’institution humaine, on enseigne qu’il faut maintenir celles qui peuvent être observées sans péché et qui sont utiles à la paix et au bon ordre dans l’Église. » Nous comprendrons plus loin ce que cela veut dire. « Telles sont certaines solennités, fêtes et choses similaires. Cependant, on donne, à cet égard, cette instruction... » (...).

« ... qu’on ne doit pas en charger les consciences comme si ces choses étaient nécessaires au salut. À ce sujet, on enseigne que toutes les prescriptions et les traditions instituées par des hommes dans le dessein d’apaiser Dieu et de mériter la grâce sont contraires à l’Évangile et à la doctrine de la foi en Christ. C’est pourquoi les vœux monastiques et les autres traditions qui distinguent entre les aliments, entre les jours, etc., et au moyen desquels on s’imagine mériter la grâce et satisfaire pour les péchés sont sans valeur et contraires à l’Évangile. » (...).

C’est fou, car dans le grand sac et saccage des « cérémonies » dites « ecclésiastiques », il faut mettre les sacrements, les sacramentaux et les autres rites, beaucoup plus importants que les traditions secondaires que cite Mélanchthon ! Il faut ranger la confirmation, l’ordre, le mariage, l’extrême-onction, que ces gens-là déclarent, de leur propre infaillibilité, de pures inventions humaines, « contraires à l’Évangile ». Et toutes les pratiques du culte, les dévotions, les états de perfection, la discipline pénitentielle, institués ou préparés par le Christ, promulgués par l’Église et illustrés par l’exemple de myriades de martyrs, docteurs, confesseurs et vierges !

Tel est le fond révolutionnaire, destructeur, diabolique, du luthéranisme ici mis à nu. C’est la négation de la religion, du culte chrétien institué pour recevoir et mériter la grâce en ce monde et la vie éternelle dans l’autre. Pour Luther et ses sectateurs, la foi suffit, tout le reste est inutile, sans valeur ; bientôt Mélanchthon va écrire : trompeur et impie. Cette critique de la religion, c’est donc la démolition de l’Église, de son ministère, de ses sacrements, de son culte et de la vie chrétienne faite de prières, dévotions, vœux, pénitences en vue du salut éternel ! (...).

RETOUR À L’HUMANISME PAÏEN

Par quoi vont-ils remplacer ce culte, ces fêtes qui faisaient l’honneur et le mérite, le bonheur et même l’agrément de la vie des peuples chrétiens jusqu’à la Réforme ? Dès la proclamation de la rébellion luthérienne contre Rome, dès 1520, c’est un formidable chambardement politique et social par toute l’Allemagne. Révolte des chevaliers, guerre des paysans, atroce, répression princière, plus atroce encore, pillage des couvents, errements de moines et de moniales sortis de leurs monastères, mariage scandaleux de Luther, en 1525, débauches immenses... (...).

Après avoir dévalué et discrédité les œuvres cultuelles, les voilà qui surélèvent et surexaltent le culturel. Finis la Religion et ses soucis ! Commencent l’humanisme et ses passions. Pessimiste, le luthéranisme ? Certes, jusqu’à l’article 15, première face du diptyque, pour détruire les prétentions de toute religion à la sanctification des hommes. Mais optimiste à partir de l’article 16, seconde face de son dualisme essentiel, pour construire un monde laïc où « la liberté du chrétien » doit être totale, où la raison, la volonté, la force de l’homme suffiront à réaliser l’utopie de la société parfaite. Théorie pélagienne, mère de toutes les idéologies modernes, rarement décrite, jamais avouée, qui a valu pourtant au protestantisme son succès et aux peuples protestants la domination du monde.

ABAISSEMENT DE L’ÉGLISE, ÉLÉVATION DE L’ÉTAT

Article XVI : De l’État et des affaires du monde.

« Les chrétiens peuvent, sans pécher, exercer des fonctions de magistrat, de prince et de juge, prononcer des sentences et rendre la justice selon le droit impérial (on fait sa cour à l’empereur !) et les autres droits en vigueur, punir par le glaive des malfaiteurs, mener de justes guerres, combattre, acheter et vendre, prêter les serments requis, posséder des biens, être mariés, etc.

« On condamne ici les anabaptistes, qui enseignent que tout cela n’est en rien chrétien. » (...). On se démarque des anarchistes de Wittenberg. On restaure l’ordre public, la bonne vie temporelle. Mais on va beaucoup plus loin. À peine a-t-on vanté cette vie profane, séculière, ou plutôt depuis dix ans profanée, sécularisée, décléricalisée à outrance, voici qu’on l’exalte au-dessus de tout et contre l’Évangile de Jésus-Christ lui-même : « On condamne aussi ceux qui enseignent qu’il est de la perfection chrétienne de quitter à la lettre (sic), sa maison et ses biens, sa femme et ses enfants et de se détacher de ce qui est dit ci-dessus... »

Ah ! les voilà bien, ces mirobolants « évangélistes », qui en viennent à condamner la pratique de l’Évangile « à la lettre » ! Voilà certes qui est abominable ! de prendre l’Évangile « à la lettre »... (...).

Articles XVII, XVIII, XIX : Du retour du Christ pour le jugement.
Du libre arbitre. De la cause du péché.

Philippe Mélanchthon
Mélanchthon

Ces trois articles sont rusés, partant difficiles. Mélanchthon y édulcore le luthéranisme à la sauce érasmienne. Luther déclarait anéantie toute liberté humaine. Mélanchthon trouve le joint qui va lui permettre de réconcilier son pessimisme luthérien avec son humanisme érasmien. Là-haut, Christ règne, sauvant « les croyants et les élus », c’est-à-dire les luthériens, damnant « les impies et les diables », ces diables de papistes qui refusent la vraie foi. Mais ici-bas, Christ ne règne pas. Le prétendre, c’est, pour Mélanchthon, tomber dans le millénarisme :

« On rejette certaines doctrines judaïques (!) qui, aujourd’hui encore, se font jour sous nos yeux, et d’après lesquelles, avant la résurrection des morts, des saints, des justes auront seuls un empire terrestre et extermineront tous les impies. »

Évidemment il s’agit là d’un étrange fanatisme, délirant, sanguinaire. Mais ce qui est visé, par-dessous, c’est « l’augustinisme politique », doctrine de mille ans de Chrétienté, c’est l’Église proscrivant l’hérésie et le schisme, maniant le glaive spirituel et faisant donner du glaive temporel par les rois et les empereurs chrétiens. Finie la régence du monde par le Pape de Rome !

Car ici-bas il n’est nul besoin de religion et de Christ même pour vivre honnêtement : « Au sujet du libre arbitre, on donne cet enseignement que l’homme possède, dans une certaine mesure, un libre arbitre pour mener une vie extérieurement honnête et pour faire un choix que la raison saisit. » (...). Ainsi la vie naturelle, tranquille, ne réclame ni sacrements particuliers (pour se marier), ni confréries (pour les métiers), ni dévotions (pour les moissons), ni prières (avant et après les repas)... Et pourtant tout cela, vécu à la païenne, est l’œuvre de Dieu ! Mélanchthon triomphe. Hélas pour sa mauvaise cause, l’éditeur se voit contraint d’indiquer en note : « Pseudo-Augustin. Hypomnesticon... » (p. 67). Il ne s’agit que d’un faux et non d’un véritable ouvrage du docteur d’Hippone. Et un faux, un apocryphe, précisément semi-pélagien ! (...).

Reste une dernière difficulté : Si l’homme est fort et libre en toute chose séculière, comment se fait-il qu’il pèche ? Eh ! c’est simple (...). Il n’y a pas de péché pour les protestants. Ils n’ont ni l’occasion, ni l’idée, ni le goût d’en commettre dans leur vie mondaine, bien ordonnée par l’État, bien sage, bien industrieuse, rapporteuse et bien jouisseuse. Mais les « contempteurs de Dieu », ceux qui se sont « détournés de Dieu », en refusant « la vraie foi », ce n’est pas pareil ! Ils sont « portés vers le mal » et promis à la damnation. Luther a donc raison : ce n’est pas le péché qui compte, c’est d’avoir ou de ne pas avoir la foi qui sauve !

DES « BONNES ŒUVRES » ET DES « ŒUVRES BONNES »

Article XX : De la foi et des bonnes œuvres.

Cet article termine, en fait, la première partie dite « dogmatique » de la Confession de foi. C’est la réitération du thème obsessionnel de Luther sur la justification par la foi sans les « bonnes œuvres » du culte catholique, prolongé par le thème mélanchthonien de la nécessité des « œuvres bonnes » d’un sain humanisme mondain. C’est toujours la condamnation du cultuel et la surestimation du culturel. Mais quelle haine et quel mépris de l’Église catholique, de sa prédication et de ses œuvres ! En revanche, quel utopisme dans l’éloge de la vie séculière ! (...).

Article XXI : Du culte des saints.

Application de la doctrine qu’on vient de lire, il ne faut pas prier les saints, croire à leur intercession, mais imiter leurs vertus (humaines, naturelles)... « Ainsi, il est possible à Sa Majesté Impériale, dans son âme et devant Dieu, de suivre l’exemple de David pour guerroyer contre le Turc, car tous deux sont investis de la fonction royale qui exige qu’ils protègent leurs sujets et qu’ils les mettent à l’abri. » « Mais il n’est pas possible de prouver par l’Écriture qu’on ait le devoir d’invoquer les saints ou de chercher secours auprès d’eux. »

DESTRUCTION DE L’ÉGLISE ET DÉCADENCE DU MONDE

La deuxième partie de la Confession luthérienne, sur un ton d’une virulente, d’une insupportable et basse polémique qui rappelle l’Éloge de la folie, d’Érasme, et ses sarcasmes anticléricaux, s’attaque aux grandes institutions, pieuses et saintes, de l’Église millénaire, en exige la destruction, et leur substitue l’utopie d’un humanisme purement mondain. Sous la raison générale de « la correction des abus » !

Article XXII : Des deux espèces du Sacrement de l’autel.

Nous n’insisterons pas sur cette polémique dépassée. L’Église est accusée d’avoir désobéi au Christ en supprimant pour le peuple la communion au calice. Mais quelle mauvaise querelle, au moment où les mêmes luthériens vont faire la paix avec d’autres protestants qui refusent la Présence réelle, c’est-à-dire l’essentiel du sacrement ! (...). « On s’abstient également chez nous de porter le Sacrement en procession comme il est d’usage. » (...).

Article XXIII : Du mariage des prêtres.

C’est une basse polémique. Mais attention ! ici la critique est soutenue par le thème luthéro-mélanchtonien de l’impiété de toute « bonne œuvre ». Il en reçoit une puissance de déflagration mille fois plus destructrice que les amusements graveleux d’un Érasme ou d’un Rabelais que nul ne prenait au sérieux. Ici, on veut détruire le sacerdoce catholique (...).

C’est d’abord une lamentation sur « la grande immoralité, les vices abominables, les scandales odieux des prêtres incapables d’observer la chasteté ». C’est pourquoi, ah ! les saintes gens, « un certain nombre de prêtres, chez nous, sont entrés dans l’état de mariage » ! Ceux-là, tel Luther, ont obéi ainsi à « la Parole et au commandement de Dieu » car « peu de gens possèdent le don de vivre dans la chasteté »... (...) Là-dessus, pluie d’arguments pastoraux, moraux, psychiatriques qu’on dirait sortis du Monde d’avant-hier. Tel celui-ci : « À l’avenir, on manquera certainement de prêtres et de curés si cette rigoureuse interdiction du mariage devait durer plus longtemps. » C’est un appel angoissé à l’empereur (!) pour qu’il supprime cette loi du célibat sacerdotal, immorale et dangereuse pour l’avenir de l’Église ! Décidément, ils se ressemblent tous au long des siècles, les « réformateurs » ! (...).

Mais voilà que, montant d’un degré, la Confession d’Augsbourg accuse la loi du célibat sacerdotal d’être une « doctrine diabolique » (...).

Article XXIV : De la messe.

Comme aujourd’hui nos réformateurs postconciliaires, les protestants de 1530 se vantaient d’avoir accompli un merveilleux renouveau liturgique. « C’est à tort qu’on a fait aux nôtres le grief qu’ils auraient aboli la messe. Car il est manifeste, soit dit sans vanterie, que la messe est célébrée avec plus de recueillement et de sérieux chez nous que parmi les adversaires de notre cause. Ainsi les gens sont instruits avec le plus grand soin, et aussi souvent que possible, de ce qu’est le saint Sacrement, de la fin en vue de laquelle il a été institué et de la manière dont il faut en user, c’est-à-dire pour le réconfort des âmes effrayées. » (...).

Et là-dessus, réquisitoire violent contre les incroyables abus de l’Église : « On a mésusé de la messe de bien des manières : on en a fait une braderie, on l’a achetée et vendue ; dans toutes les églises, les messes ont été dites, en majeure partie, pour de l’argent... messes vénales et dites dans un coin... » Et d’où vient ce scandale ? de « l’erreur abominable selon laquelle on a enseigné que par sa mort Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a satisfait que pour le péché originel et qu’il a institué la messe comme un sacrifice offert pour les autres péchés. Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait ainsi fait de la messe un sacrifice pour les vivants et pour les morts, un moyen d’ôter le péché et d’apaiser Dieu... » Notre vicelard de Mélanchthon prête à l’Église catholique cette énorme sottise, pour la mettre en mauvaise position et en triompher aisément par l’erreur contraire, l’hérésie luthérienne :

« C’est pourquoi on a enseigné, évidemment sous la pression de la nécessité (!), comment user du Sacrement, à savoir : Premièrement, il n’est d’autre sacrifice que la seule mort du Christ... Deuxièmement, c’est manifestement s’opposer à la doctrine de saint Paul sur la foi sans les œuvres, qu’abuser de la messe en s’imaginant que par cette œuvre on obtient la grâce... Troisièmement, le saint Sacrement n’a pas été institué comme un sacrifice à offrir pour le péché – car ce sacrifice a déjà eu lieu – mais pour réveiller notre foi et pour consoler les consciences. Par ce sacrement elles comprennent (sic) que la grâce et la rémission des péchés leur sont promises (sic) par le Christ. » (...).

Mélanchthon a l’incroyable tartuferie d’ajouter : « En cela, on n’a entrepris aucune nouveauté, rien qui n’ait existé autrefois dans l’Église. Aucun changement notable non plus n’a eu lieu dans les cérémonies publiques de la messe. » (...).

Article XXV : De la confession.

Mêmes subterfuges, mêmes vantardises et tromperies sur la confession. On l’a maintenue « chez nous » mieux que partout ailleurs... Mais c’est pour en évacuer toute la réalité et en faire un pur geste de « consolation », avec le résultat prévisible de l’abolir complètement. En attendant, il n’est nullement nécessaire « d’énumérer nommément ses péchés, un à un ». Car c’est « par la foi que nous obtenons la rémission des péchés », non par la confession qui n’est que « pour consoler les consciences effrayées, et de plus, pour plusieurs autres motifs », lesquels, pris de court, Mélanchthon ne dit pas.

Article XXVI : De la distinction des aliments.

Sous ce titre bénin, c’est une nouvelle charge à fond contre la religion, et toute la vie de l’Église avant la première (et la seconde) Réforme. C’est le thème obsessionnel de l’une et l’autre réforme : Mort à la religion, et que vive l’homme ! Tenez, en voici le texte essentiel dont on ne saurait dire s’il est une défense de Luther ou de la Constitution pastorale de l’Église dans le monde, du Concile Vatican II !

« De telles traditions (les jeûnes, les cérémonies, les ordinations et choses du même genre) ont obscurci les commandements de Dieu ; car on les a mises bien au-dessus des commandements divins. On considérait (avant Luther ? avant Vatican II ? on ne sait plus) que seule était chrétienne la vie menée en observant les fêtes de telle manière, en priant de telle manière, en jeûnant de telle manière, en étant vêtu de telle manière ; voilà ce qu’on nommait une vie spirituelle, une vie chrétienne. »

J’entends encore les cris horribles du Concile Vatican II : Juridisme ! formalisme ! ritualisme ! ghetto !

« D’autre part, on considérait comme des activités séculières, étrangères à la vie spirituelle, les autres œuvres, les œuvres bonnes et nécessaires, celles que chacun est tenu de faire selon sa vocation (il s’agit bien évidemment ici de vocations séculières, nous dirions : de situations), le père de famille qui travaille pour nourrir sa femme et ses enfants et qui les élève dans la crainte de Dieu, la mère de famille qui met au monde ses enfants et qui les entoure de ses soins, un prince et des autorités qui gouvernent un pays et ses habitants, etc. Ces œuvres, que Dieu a commandées, passaient nécessairement pour des activités séculières et imparfaites ; en revanche, les traditions jouissaient de la réputation pompeuse d’être les seules à porter le nom d’œuvres saintes, d’œuvres parfaites. Ainsi fabriquait-on, sans mesure ni fin, de telles traditions. »

C’est toujours la même dépréciation, ici et là, en 1965 comme en 1530, de la vie cultuelle catholique, et la même exaltation idyllique de la vie culturelle séculière. Avec les résultats que l’on sait, les mêmes à plus de quatre siècles et demi d’intervalle : toujours décadence, déchéance, corruption et révolution générale (...).

Article XXVII : Des vœux monastiques.

Les vœux monastiques ou autres choses semblables vont contre « la vraie discipline et la vraie doctrine de l’Église ». Voici pourquoi :

« Premièrement, que ce sont la création de Dieu et l’ordre établi par lui, outre son commandement exprès (I Cor. 7), qui pressent, contraignent et poussent au mariage, tous ceux qui, sauf un acte spécial de Dieu (?), n’ont pas été gratifiés du don de virginité. » Contre de tels volonté, ordre et commandement de Dieu, « les vœux ne lient pas, ils ne sauraient prévaloir contre lui » ! (...).

Mélanchthon trouve en sus de bonnes et multiples raisons pour les moines et les religieuses de quitter le cloître, défroquer et se marier, comme pour l’Église de permettre leur sécularisation... « Il suit de tout cela que le plus grand nombre dispose d’une excuse et d’un motif pour sortir des couvents. » À la bonne heure !

Deuxièmement, voici la preuve décisive, l’argument inébranlable, de pure doctrine luthérienne celui-là : « Les nôtres allèguent d’autres raisons encore selon lesquelles ce vœu est nul et ne lie pas. Car tout culte qui n’est pas prescrit par un commandement et un ordre de Dieu, mais qui est établi arbitrairement par les hommes dans la folle idée d’obtenir ainsi la justification et la grâce de Dieu, est une offense à Dieu et contraire au saint Évangile et à l’ordre de Dieu... Or, en vérité, il est évident que les moines ont enseigné et prêché que la spiritualité, telle qu’ils l’ont imaginée, satisfait pour le péché et obtient la grâce de Dieu et la justification. Qu’est-ce que cela, si ce n’est amoindrir la magnificence et la gloire de la grâce du Christ et nier la justice de la foi ? Il suit de là que ces vœux, tels qu’ils ont été habituellement pratiqués, constituent un culte incorrect, un faux culte (...).

C’est se marier et faire des affaires qui est agréable à Dieu (p. 107) : « Bon et parfait est, en vérité, le genre de vie qui a pour lui le commandement de Dieu, mais dangereux celui qui ne l’a pas. Il était nécessaire de bien instruire le peuple de ces choses. » (...).

L’ÉGLISE SERVANTE DE L’ÉTAT

Article XXVIII : Du pouvoir des évêques.

Le texte de cet article vingt-huitième et dernier de la Confession d’Augsbourg présente « une nouvelle figure d’évêque », précisément la même que nos réformateurs postconciliaires ont prétendu faire prévaloir dans l’Église depuis quinze ans, celle d’un « serviteur du peuple de Dieu » et d’un indulgent ami des hommes, ouvert au monde, animateur culturel. Il faut donc voir enfin cela de très près.

Avant Luther, déclare Mélanchthon, le pouvoir des évêques, qui est de prêcher la doctrine et de conférer les sacrements, était vraiment exagéré, avec une « outrecuidance blâmée dans la chrétienté il y a longtemps déjà, par des hommes savants et craignant Dieu », et cela de trois façons :

1) « Certains ont indûment confondu ce pouvoir avec le glaive temporel » ;

2) « ils ont même osé installer et déposer des empereurs et des rois, selon leur bon plaisir » ;

3) « ils ont osé instituer de nouveaux cultes et accabler les consciences » par leurs innombrables et abusives prescriptions, sanctions et excommunications (...).

Isolement du pouvoir spirituel.

Voulant ramener l’épiscopat à son pouvoir spirituel, Mélanchthon fait à celui-ci la part la plus large, jusqu’à retrouver la pleine affirmation catholique du pouvoir d’ordre (110-112). Mais c’est, en définitive, pour l’isoler complètement et le renvoyer hors du domaine de l’État. Donc, conclut-il, « il ne gêne en rien le régime politique et le gouvernement temporel. Car celui-ci s’occupe d’affaires tout autres que celles dont il s’agit dans l’Évangile ». Ici, le pouvoir sur les corps et les biens, et là sur les âmes et leur vie éternelle. Pensez à Mgr François Marty et, à mille lieues, Giscard d’Estaing notre Président avorteur : deux mondes qui se voient sans se rencontrer (...).

Évidement du pouvoir spirituel.

« Le pouvoir de l’Église ou des évêques de conférer des biens éternels, avait-il écrit, s’exerce dans la pratique uniquement par le ministère de la prédication. » (...) « Mais si les évêques enseignent, prescrivent ou instituent quelque chose de contraire à l’Évangile, dans ce cas nous tenons de Dieu l’ordre de ne pas obéir. » Évidemment, ici, le « nous » qui se fait le juge des juges, c’est le parti luthérien (...). Pauvres évêques de la première (et de la seconde) Réforme. Quelle autorité leur reste-t-il, et pour quoi faire ? Au même moment où ils livrent leurs peuples à l’esclavage des princes ou de l’État moderne totalitaire !

Ultime amputation, financière.

« Si les évêques possèdent, par ailleurs, un pouvoir de juridiction et de contrainte dans certaines affaires, notamment en matière de mariage ou de dîmes, ils les possèdent en vertu du droit humain. Mais si les Ordinaires sont négligents dans ces fonctions, les princes sont tenus, bon gré mal gré... » de quoi faire ? Mélanchthon rappelle aux princes le pénible devoir qui serait le leur, en pareille difficulté, de faire main basse sur les sources de revenus des évêchés. « ... de rendre la justice en la matière parmi leurs sujets, dans l’intérêt de la paix, pour prévenir des discordes et de grands troubles dans leur pays. »

À cet appel hautement évangélique, les princes ont répondu avec un sens touchant de leur devoir de suppléance et se sont emparés des biens ecclésiastiques, partout où les évêques ne les avaient pas pris de court en se défroquant et se changeant eux-mêmes en princes pour mieux administrer leur temporel, et convolant pour assurer une dynastie à ces biens menacés de déshérence !

ORDONNATEURS DE CÉLÉBRATIONS

Que reste-t-il aux évêques de la « religion prétendue réformée », comme disait Bossuet ? Plus d’argent, plus de pouvoirs souverains, une administration restreinte au minimum, des sacrements fantômes, une prédication sans infaillibilité, une autorité sans obligation ni sanction, quoi ? Ordonnateurs de cérémonies, organisateurs de fêtes, « afin que tout se fasse en ordre dans l’Église ». Et encore, tout doit venir du peuple, être selon ses désirs. Lisez ce texte de Luther que l’honorable éditeur a voulu adjoindre en note à l’article 28 :

« L’évêque, en tant qu’évêque, n’a nul pouvoir d’imposer à son Église aucune tradition ou cérémonie sans l’accord exprès ou tacite de l’Église. Parce que l’Église est libre et souveraine. Et les évêques ne doivent pas régner en maîtres sur la foi des Églises ni les accabler ou les opprimer contre leur gré ( !). Ils ne sont en effet que des serviteurs et des administrateurs, non des maîtres de l’Église. » (...).

Nos évêques postconciliaires ne répondent-ils pas point par point à la définition qu’en donnait Luther ? Serviteurs du peuple de Dieu, animateurs de célébrations, administrateurs de l’Église, ils n’ont plus l’autorité du docteur de la foi, du dispensateur de la grâce, du garant de la loi morale : démocratie. En revanche, tyranneaux dans leurs diocèses en tout ce qui relève de la Réforme conciliaire, pour l’ouverture au monde et l’engagement œcuménique : absolutisme. C’est Luther à Wittenberg, et Calvin à Genève : forts pour détruire, trop faibles pour rien édifier.

LUTHER, LE PREMIER ANTÉCHRIST

La clé de l’utopie luthérienne est celle-ci : à supposer que Jésus soit un autre Moïse, en tout semblable au premier, et l’Église le peuple de son Alliance, de sa loi, de son culte, avec tout ce que cela devait véhiculer de traditions vétustes et de fardeaux insupportables, Luther se présenterait par rapport à lui comme un nouveau Christ, le vrai et le dernier prophète, venu pour libérer le peuple des croyants de la servitude ancienne. Libérer l’Église des traditions ecclésiastiques qui l’emprisonnent et la détériorent. Ce que Jésus a été à Moïse, Luther l’a voulu être pour Jésus-Christ (...).

Extraits de la CRC n° 156, août 1980

  • La confession d'Augsbourg. Une utopie anticatholique, CRC tome 12, n° 156, août 1980, p. 5-14
En audio :
  • AS 9 : Les grands affrontements du siècle. (I) La confession d'Augsbourg, division des chrétiens, mutualité 1980, 1 h (aud.)

Références complémentaires

  • Les grandes crises de l'Église. Humanisme, Réforme, Contre-Réforme : Érasme, Luther, saint Thomas More, CRC tome 7, n° 94, juillet 1975, p. 3-14 (En audio : E 5 : Humanisme, Réforme, Contre-Réforme, 1 h 40)
  • A 26 : La confession d'Augsbourg (1530), mars 1980, 1 h 30 (aud.)