XII. La Loi divine

« Or voici que maintenant, en dehors de la Loi, s’est manifestée la justice de Dieu, à laquelle Loi et Prophètes rendent témoignage, je veux dire la justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient en lui. Car il n’y a pas de distinction à faire : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a affiché comme instrument de propitiation par son propre sang, moyennant la foi. Ainsi montre-t-il sa justice, après avoir, au temps de sa divine patience, laissé impunis les péchés de jadis ; ainsi montre-t-il sa justice maintenant, pour être tout ensemble juste et source de justice pour qui a la foi en Jésus. » (Rom. 3, 21-26)

Jamais nous n’insisterons assez dans notre catéchèse sur cet enseignement de saint Paul, qui renverse de fond en comble l’édifice sans cesse reconstruit et renforcé du moralisme et du légalisme puis, au choix, du pharisaïsme ou du culpabilisme qui s’ensuivent.

Nous n’avons pas encore parlé de la Loi de Dieu. « Car nous estimons que l’homme est justifié par la Foi sans la pratique de la Loi. » (ibid. 28) La loi est chose secondaire...

Voyez plutôt. Nouveau-né de famille chrétienne ou adulte bouleversé par la rencontre de Jésus, nous avons été baptisés et dès ce moment adoptés pour fils par Dieu même. Sa grâce sanctifiante nous a transformés à son image et à sa ressemblance. Puis nous avons parcouru les étapes de l’initiation chrétienne, et notre âme s’est élevée de degrés en degrés, « grandissant en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52). La foi, l’espérance, la charité se fortifiaient, les vertus morales y répondaient, aidées par l’éducation chrétienne et la pratique de la vie civilisée de notre famille, de notre nation. Un seul principe guidait toute notre conduite : l’amour de Dieu et du prochain, expri­mé hautement dans les demandes du Pater noster et de l’Ave Maria. Nous étions heureux.

Que célébrer d’autre que la louange de la grâce de Dieu dans le Christ, avec saint Paul ? De quoi nous louer ? de quoi aussi bien nous inquiéter ? « Où trouver dès lors le droit de se montrer fier ? C’est exclu. En vertu de quelle loi ? Celle des œuvres ? Non, mais la loi de la Foi» (ibid. 27-28) Cela veut dire : aucune raison de se vanter ou de s’inquiéter. Qu’avons-nous fait ? Qu’est-ce que cela fait ! Cela compte peu.

Dieu dans sa toute-puissante miséricorde, ayant décidé de manifester sa grâce, aujourd’hui remet toutes choses à zéro, les affaires de conscience du juif et celles du païen, le péché du nouveau-né et les crimes du converti. À tous il pardonne. Tous, tous, il les justifie par le sang de son Fils, à la seule condition, qu’il leur donne encore par sa grâce, d’avoir foi en Lui. Les justifiant, il les sanctifie, il les orne de vertus et de dons, il les rend libres par rapport à l’ancien esclavage du péché et de toute condamnation portée par sa propre Loi.

«Détruisons-nous donc la Loi par la Foi ? Non, certes. Au contraire, nous donnons à la Loi toute sa valeur. » (ibid.,31) Cela veut dire : maintenant que Dieu nous a sanctifiés et adoptés pour fils, disciples de son Christ et temples de son Esprit-Saint, la Loi enfin cesse de se dresser contre l’homme pour tenir le compte exact de ses prévarications. Au contraire, elle va connaître son vrai rôle d’assistante de l’homme pour le guider, l’assurer dans le bien et se dresser en monument d’honneur exaltant ses bonnes œuvres.

Enfin l’homme dans le Christ est si intimement sanctifié, s’il est fidèle ! qu’il suit les chemins de la Loi de son plein gré, et comme les yeux fermés, conduit plus encore par les vertus divines que Dieu crée en lui, que par les préceptes qui lui sont formulés par les autorités humaines. Et s’il manque à ceux-ci, c’est d’abord et plus profondément par une défaillance ou une révolte contre l’Esprit qui est en lui.

Comme il en est d’un bon homme et bon conducteur qui s’en va de Paris à Marseille par la grand-route. Ni les accidents du terrain ni la signalisation, limites de vitesse, lignes continues, glissières, interdictions de doubler, ne l’étonnent, ne l’exaspèrent, n’excitent en lui la tentation de les enfreindre. Il va, content de son voyage, attentif à bien conduire, sans nervosité ni dis­traction ; les variations des paysages l’enchantent, et le code de la route lui est une assurance de sécurité et de rapidité.

Ainsi, par rapport à la grâce et à la charité qui seules méritent tous nos soins, la loi n’est plus rien d’important. Est-ce là nous en émanciper, nous révolter ? Point du tout ! C’est consa­crer la loi par l’usage, un usage plein de grâce et de vérité. Non plus dans la crainte mais dans la spontanéité de l’amour. Voilà pourquoi nous excuserions vraiment Pierres vivantes de ne pas parler de lois, de commandements, de préceptes et de péché... si ce catéchisme parlait plutôt de grâce, de foi et de justification en termes vigoureux. Mais ne soufflant mot ni de foi ni de loi, ni d’amour ni de crainte, ni de grâce ni de mérite, il renvoie les hommes plus démunis que des païens,“ sans foi ni loi, tels des brutes.

Mais voyons donc ce qu’est cette terrible Loi mo­saïque et ces accablants Commandements de l’Église. Voyons-les, dans l’esprit du catholique que la grâce de Dieu a sauvé et orné, équipé, armé de vertus...

DIEU PREMIER SERVI

En présence de la Toute-Puissance de Dieu, qui se révèle à nous comme le Créateur de toutes choses et en réponse à tant de sollicitude de la part des trois si aimables et attachantes Per­sonnes divines qui se révèlent à nos âmes éblouies, un sentiment d’adoration s’empare de la créature et la jette le visage contre terre, la main sur la bouche. Dans notre saisissement, nous n’oserions peut-être même plus nous adresser à ce Grand Dieu, s’il n’avait lui-même la bonté de nous en donner l’ordre comme il nous oblige, par une grâce élevante, à l’aimer :

Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement.

C’est nous commander ce que notre religion veut faire et ce que notre charité désire porter à son comble, l’adoration, l’amour ! Adorer Dieu, c’est lui rendre un culte par des actes sacrés, reconnaître son pouvoir sur nous et lui prouver notre servitude, notre attachement, notre dévouement, notre amour. Et ce culte, de lâtrie, ne peut que s’étendre de la Très Sainte Trinité à la Bienheureuse et toujours Vierge Marie, dans un culte de bienheureux dévouement et suprême esclavage d’hyper­dulie, ainsi qu’à tous les saints de la cour céleste, culte plein de dévotion et de confiance, de simple dulie.

Adorer Dieu et l’aimer, c’est aussi rendre un culte à ses Images, adorer la Croix, signe de notre rédemption, vénérer les représentations de la Vierge, les reliques des saints. Vestiges, signes et beautés, qui nous donnent à savourer et à vénérer comme autant de reflets et d’étincelles, la Présence de Dieu dans le monde.

Ce premier commandement, toute la vie théologale du chrétien y aspire, le précède, l’appelle et le met en pratique avant même de le connaître. Et aussi bien, plus encore, le deuxième :

Dieu en vain tu ne jureras ni autre chose pareillement.

Comment un fils de Dieu pourrait-il manquer de respect à son Père, invoquer pour rien, pour mieux mentir, son Nom sacré, ou blasphémer par colère, haine, provocation, un Nom si doux, si saint, si vénérable ! « Votre Nom, ô Père, c’est votre être le plus intime, c’est votre Paternité ! C’est votre être miséricordieux, lent à la colère, prompt à pardonner et riche en grâces. » (Comm. du Pater, CRC 182)

Crime inimaginable, de porter ainsi la main sur son Père, sur sa Très Sainte Mère au Cœur Immaculé ! Au contraire, le chrétien veut avoir le loisir de lever la tête vers le Ciel et de prier, de louer, de vénérer, d’acclamer le Nom divin, les noms très saints de Jésus et de Marie, ce que lui ordonne heureusement le troisième commandement pour qu’il en prenne largement le temps et s’en voie reconnue par ses maîtres la liberté.

Les dimanches tu garderas en servant Dieu dévotement.

Ce n’est pas à proprement parler une loi naturelle. C’est une loi positive de notre Dieu, se réservant jadis le Sabbat et, par une modification de l’Église apostolique, le premier jour de la semaine, jour de la résurrection du Seigneur, le dimanche. En outre, avec l’interdiction de travailler et le devoir de penser aux choses de Dieu et de prier, l’Église a précisé la manière d’honorer Dieu, à sa façon chrétienne, qui est de célébrer la messe ou d’y assister. Cela, avant d’être une loi, était la pratique spontanée des premiers chrétiens, et les bons fidèles, prêtres et moines y ajoutèrent à travers les siècles d’autres offices et prédications, vêpres, saluts du Saint-Sacrement, complies, plus par foi que par loi, par amour et dévotion sans obligation !

CRÉÉS PAR DIEU, PROCRÉÉS PAR NOS PARENTS

Parce que « toute paternité vient de Dieu » et en quelque manière découle de la sienne, le quatrième comman­dement découle des précédents, et comme eux appartient à la première table de la Loi. Il applique aux parents quelque chose de la piété que l’homme éprouve envers Dieu :

Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement.

Nos père et mère nous ont donné la vie naturelle et nous ont au moins ainsi préparés, mais souvent plus encore portés et consacrés aux fontaines baptismales de la vie éternelle. Or, comme l’enseigne notre métaphysique : « Tout être relatif est fait pour honorer, développer, parfaire ses relations avec les autres. » C’est pourquoi le chrétien, de toute la force de ses vertus théologales et morales, de charité, de justice, aime ses parents, avec respect, sollicitude, dévouement, il est aveugle à leurs défauts, attentif à leurs vertus et à tout leur long dévouement envers lui, plein de reconnaissance et d’obéissance.

Seule la loi de Dieu l’emporte dans son cœur sur les volontés de ses parents. Là-dessus, il ne transigera jamais.

Mais rien ne peut mieux honorer des parents, pour de bons enfants, que d’imiter leurs vertus, de propager la vie qu’ils leur ont donnée, et avec elle la vie de la grâce, les traditions chrétiennes et familiales, le service de la Patrie qui est la terre des Pères et l’amour de la Nation qui est le plus large cercle de la communauté humaine organisée.

« Chacune de nos personnes étant toute relative à Dieu et relative à son entourage, leurs diverses relations sont autant d’arches lancées entre elles et sur lesquelles tendent à courir nos amours. » Les enfants sauront continuer la famille...

C’est normalement que la soumission aux autorités temporelles, fussent-elles persécutrices, se range sous le titre de ce quatrième commandement de Dieu, comme l’a toujours, envers et contre toute tentation de sédition, rap- pelé, parfois héroï­quement, le magistère ecclésiastique.

MEMBRES LES UNS DES AUTRES DANS LA CHARITÉ DU CHRIST

La foi nous a conduits, par le joint de l’espérance, à la charité. La charité envers Dieu, à la charité envers le prochain, et celle-ci à la volonté d’accomplir toute justice. La justice envers Dieu, c’était l’adoration et l’amour, la soumission et le service. Envers nos parents, c’était tout de même, hormis l’adoration transposée en admiration. Envers notre prochain quel qu’il soit, que sera-ce ? La charité nous l’inspire spontanément, mais sans claires limites ; la justice précise les limites, les circonstances, les conditions, peut-être trop étroitement.

Moïse recevant le DécalogueJésus n’a pas tant donné des lois qu’il n’a voulu parfaire celles qui existaient, contenues dans le Décalogue mosaïque. Et les parfaire par le grand commandement de la charité, éclairé par ces deux recommandations, l’une naturelle, l’autre divine : de toujours faire aux autres ce que nous voudrions qu’en semblables circonstances on nous fasse à nous-mêmes ; et de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, c’est-à-dire en allant jusqu’à sacrifier notre vie pour eux !

Les Commandements de Dieu sont, sur cette grand-route, les glissières qui nous retiennent de tomber dans le péché en nous blessant ou en nous tuant spirituellement et avec nous nos passagers, ou les autres qui empruntaient la même route.Ainsi se comprend le cinquième commandement :

Homicide point ne seras, de fait ni volontairement.

Tout assassinat volontaire, prémédité ou par imprudence – être imprudent à ce point ! – est un crime. Tel l’avortement et aussi, contre ce vieux frère qu’on ne supporte plus, à savoir soi-même, le suicide et l’euthanasie. Par haine, par vengeance... et toujours bon débarras. Du même genre sont les coups, blessures, nuisances corporelles et spirituelles, maléfices, ruines, scandales. Le scandale surtout : « Malheur à celui par qui le scandale arrive ! Il vaudrait mieux pour cet homme qu’on lui attache une meule au cou et qu’on le précipite à la mer. » (Mt 18, 6-7) [Par exemple, le scandale d’un catéchisme moderniste, progressiste, communiste. Et par qui nous arrive-t-il, sinon par la malice de théologiens hérétiques, par la lâcheté de ce troupeau d’évêques conciliaires et par l’effroyable autolâtrie de papes adultères et prévaricateurs ? ].

En revanche, il est permis de tuer ou blesser, de frapper et torturer si nécessaire, en cas de légitime défense, de soi ou des autres, en cas de guerre déclarée pour tout soldat d’une armée régulière, en cas de sanction légale et juste portée par un tribunal officiel. En cas de châtiment corporel, en éducation, sans aller... à “ l’irréversible ” !

Somme toute, de même genre sont les sixième et neuvième commandements, imbriquant les deux charités envers soi-même et envers les autres, comme elles le sont dans la vie, inséparables à long et à court terme :

Luxurieux point ne seras, de corps ni de consentement. Œuvre de chair ne désireras qu’en mariage seulement.

Contraire à la justice et à la charité, honteux mensonge de surcroît, toute jouissance sexuelle en acte ou en désir, hors de l’amour conjugal auquel il appartient par nature et par sacre­ment est coupable et gravement, s’il est conscient, pleinement délibéré. « Je vous dis que quiconque regarde une femme jusqu’à la désirer, a déjà commis l’adultère avec elle (avec elle !) dans son cœur. » (Mtt. 5, 28)

C’est là un des rares péchés, tels le blasphème, l’avorte­ment, qui soient intrinsèquement mauvais : Aucune circonstance, aucune raison ni intention n’en peuvent changer la nature criminelle et l’offense faite à soi-même, au prochain, cet autre soi-même, et à Dieu qui est à chacun en soi-même plus soi-même que soi. Car ce genre de gourmandise, ou de goinfrerie, ne souille pas le ventre seul mais tout l’appareil délicat des sens, de l’imagination, des pensées et du cœur de l’homme voués par nature et par grâce aux plus pures et saintes affections, de l’amour conjugal et de l’amour mystique.

Le bien d’autrui tu ne prendras ni retiendras à ton escient.
Biens d’autrui ne convoiteras pour les avoir injustement.

Moins graves qu’en matière charnelle, l’envie des biens matériels et le vol blessent la charité et la justice, ébranlent l’ordre social, en compromettent la stabilité et la sécurité. Donc ne pas receler le bien volé, ne pas s’emparer par ruse ou violence du bien des autres, ne pas le détruire ni l’endommager par vengeance ou par rage. Ne pas même le désirer de cette envie si forte qu’elle est déjà, dans le cœur, égale à l’acte.

Ne pas extorquer par l’usure le bien du miséreux, de l’étourdi, de l’imprévoyant, en venant à son secours par des prêts à intérêt, et surtout à des taux exorbitants ! [Toute différente est la location de l’argent, considéré comme un bien non fongible analogue aux autres biens naturels, terres, ma­chines, maisons, fonds commerciaux, etc., de valeur locative reconnue et producteurs de fruits à partager entre prêteur et utilisateur.]

Et voici le huitième commandement, lui aussi constitutif du lien social :

Faux témoignage ne diras, ni mentiras aucunement.

Car la loyauté fonde la confiance et la foi, sans lesquelles il n’y a plus d’amitié sociale ni d’ordre humain. Le mensonge et le soupçon, se répondant l’un à l’autre, dissolvent les sociétés. Contre la charité et la justice les plus élémentaires, sont les faux témoignages devant les tribunaux, et les diffamations, fausses (calomnies) ou vraies (médisances), et d’autant plus graves si elles sont faites auprès des autorités judiciaires en vue de nuire au prochain (délation).

Mais dans les cas de fautes publiques ou de vices mettant en péril le bien des personnes ou l’ordre social (cas du pape hérétique, du traître à son pays, du notaire véreux, de la femme de mauvaise vie, du suborneur, etc.), la “ diffamation ”, la “ délation ” deviennent des devoirs, même au risque des plus grands dangers et au péril même de la vie.

LES COMMANDEMENTS DE L’ÉGLISE

Paternels, nobles et sages, les Commandements de Dieu sont naturels, sévères, infrangibles. Et peu nombreux. Ceux de l’Église maternelle sont accessoires, faciles et doux. Moins nombreux encore. Ils ne font que préciser de manière pratique les deux recommandations de la Sainte Vierge en toutes ses apparitions : Priez. Faites pénitence ! Les voici :

1. Les fêtes tu sanctifieras, qui te sont de commandement.

2. Les dimanches messe ouïras, et les fêtes pareillement.

3. Tous tes péchés confesseras, à tout le moins une fois l’an.

4. Ton Créateur tu recevras, au moins à Pâques humblement.

5. Quatre-Temps, Vigiles jeûneras, et le Carême entièrement.

6. Vendredi chair ne mangeras, ni le samedi mêmement.

J’ai laissé sans changement cette liste qu’ont apprise des générations de catholiques, et qu’elles ont scrupuleusement, amoureusement pratiquée. Depuis, même cela a changé. Et, de fil en aiguille, cela aussi a disparu dans le “ grand trou noir ” de la religion antéconciliaire : abrogé, obrogé, négligé, oublié.