La circumincessante charité

Le Cœur et la Croix de Jésus

VII. Le chemin du Ciel

COMME bouquet spirituel ou point d’orgue de cette deuxième partie de retraite consacrée à Jésus, lisons le poème récapitulatif du chemin vers le Ciel, que nous propose notre Père.

Il y a dans l’Église, différents itinéraires spirituels proposés par les saints : La Montée du Carmel, de saint Jean de la Croix, le Traité de l’amour de Dieu, de saint François de Sales.

Au défilé de sainte Jeanne d'Arc, le 11 mai 1997.
Notre Père l'abbé de Nantes
au défilé de sainte Jeanne d'Arc,
le 11 mai 1997.

Notre Père a écrit La route de la forêt des croix1. Il y a mis toute sa science et son cœur.

Ce poème mystique figure notre vie : c’est une transcription de La nuit obscure, de saint Jean de la Croix avec quelques ajouts : l’intervention d’un guide, de la Sainte Vierge, des anges et des saints. Chacun peut, d’une strophe à l’autre, penser avancer dans la vie d’une année à l’autre pour continuer ce cantique éternel au-delà de la mort, dans le Ciel.

Ière strophe

Par une nuit noire, écrasée de pluie,
Un soir, folle d’amour, je partis,
Ô ma chance unique, extraordinaire !
Il démarra sans bruit
M’enlevant, saisie, éperdue,
De ma maison déjà endormie.

Le départ pour le voyage se fait dans une mystérieuse automobile avec un chauffeur : cela parle à nos imaginations modernes !

Dans la grisaille, la pluie désespérante, il y a cette folie d’amour, ce départ qui est une grâce, qui est une chance unique, extraordinaire ; comme dit le psaume : « Aujourd’hui, si vous entendez son appel, n’endurcissez pas vos cœurs. » Nous décidons de nous dégager de nos liens, de quitter la maison. C’est souvent à refaire, car nous ne sommes pas parfaits et sommes revenus en arrière.

Puis, stupéfaction : « Il démarra... » Quand je décide de courir vers le Christ, en fait, c’est Lui qui est là, qui m’emporte. C'est une nouveauté par rapport au poème de saint Jean de la Croix, car ici quelqu’un conduit... et ce chauffeur, c’est Jésus ! Mais Il n’est jamais seul. Les saints, les prêtres sont d’autres Jésus. Un époux est un autre Jésus pour son épouse. Celui qui m’a prise de la part de Jésus est, pour moi, Jésus. Ainsi, saint François d’Assise a été Jésus pour sainte Claire, saint François de Sales pour sainte Jeanne de Chantal, etc. Chacun peut répondre pour lui-même.

IIe strophe

Par la route de la forêt, c’est plus sûr,
Il monta longtemps, feux éteints,
Et moi, cachée sous le voile de ma mère,
Semé de myriades d’étoiles et de lunes,
Suivant tous ses mouvements, étonnée,
J’oubliai ma maison endormie.

À peine je suis partie, je me suis quitté pour répondre à cet amour divin, que je me sens conduite par quelqu’un. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est là, dans l’auto, devant moi. C’est Lui qui circule, qui me guide, et il y a cette présence mystérieuse de la Mère, de la Vierge Marie, chaleur douce et maternelle à côté de moi, réconfort, encouragement, ainsi que les saints et les anges figurés par “ les étoiles et les lunes ”. Moi, je suis attentivement tous les mouvements du conducteur. Je ne suis que la passagère, c’est Lui qui veut, qui fait. Je n’ai qu’à correspondre, et déjà admirer et faire confiance.

IIIe strophe

Longtemps, montant dans la nuit noire,
Cette route sinueuse, follement dangereuse,
Je ne voyais et ne voulais voir rien,
De plus en plus perdue, éperdue,
Que Celui qui me conduisait,
Silencieux qu’une pâle lumière seule éclairait.

Expérience d’un voyage nocturne en auto : on fait confiance au chauffeur, surtout si la route est difficile, dangereuse. Dans les épreuves de la vie spirituelle, entourée des démons, on ne peut faire que de plus en plus confiance à Jésus qui passe devant nous, nous ouvrant le chemin.

IVe strophe

De dos je le voyais, les yeux fixés sur la sombre route,
Mon salut ! m’inspirant confiance et me donnant courage,
Plus que nul autre jamais sur terre,
Lui qui me conduisait à mon Père.
De telle sorte que fort étrangement je voyais
Que lui de Lui possédait pour moi le secret.

Je suis pris d’un amour sans borne pour cet homme fort que je vois de dos, conduire sur une route pénible, risquée. C’est Dieu que je cherche et peu à peu mes yeux se fixent sur le dos de mon conducteur. Je transfère en lui tout l’amour que j’ai pour Celui que nous allons voir : le Père. Mon conducteur possède le secret du Père. Prenons un exemple : il y a Dieu, notre Père Céleste, là-haut dans le Ciel. Et sur la terre, il y a le Fils en saint François de Sales et l’Esprit Saint en sainte Jeanne de Chantal. Et auprès de sa Mère fondatrice, il y a la créature, cette petite Marguerite-Marie, pleine d’espoir dans la conduite de son Père fondateur, pour aller jusqu’à Dieu, pour être sauvée.

Ve strophe

Dans cette nuit bénie tu me conduis,
Couverte du manteau de ma Mère,
En secret blottie sur son sein
De miséricorde et de perpétuel secours.
Je n’ai plus ni goût ni crainte d’aucune chair,
Ni désir au cœur ni peine. Rien ne sais plus.
Oh ! Va doucement, ou accélère ! vers ton Père.

L’âme s’adresse maintenant directement à Jésus, sous la garde de sa Noémi, cette sainte femme de l’Ancien Testament qui conseilla Ruth dans ses épousailles avec Booz et qui représente ici la Mère-Église, la Vierge Marie en qui je me blottis pour recevoir son secours maternel. C’est toute l’assurance de cette traversée : je suis mené par Jésus-Christ sous la protection de la Vierge Marie. L’âme voudrait tout à la fois qu’Il accélère pour être plus vite dans les bras de son Père Céleste et qu’Il freine parce qu’elle L’aime tellement dans cet état voyageur qu’elle voudrait faire durer encore le voyage. Celui qui communie, celui qui a trouvé sur terre son Père qui le mène à Dieu et sa Mère qui l’encourage dans cette voie, sa Noémi et son Booz, connaît déjà dans la foi, dit saint Jean de la Croix, la béatitude du Ciel.

VIe strophe

Ô nuit ! Ô route que Lui seul connaît,
Ô mâle conduite qui me devins plus chère
Que le port ! Ô périls, dangers encourus,
Ô nuit qui as uni la voyageuse secrète à son Amour,
L’ayant en Lui, par Lui trouvé, à Lui confondue !

Route « plus chère que le port », parce que c’est l’union au Christ dans le mystère de la foi. Toutes ces péripéties de notre pauvre petite vie humaine vécues avec Jésus, sous sa gouverne, ont un mérite infini et seront les aliments de notre action de grâces dans le Ciel.

Son « Amour », c’est celui qui la guide, mais c’est aussi le Père qui l’attend dans les cieux. Ils ne font plus qu’un. Lorsqu’on a compris que Jésus, proche de nous, que nous mangeons dans la sainte Communion, auquel nous nous unissons sans cesse dans l’oraison, ne fait qu’un avec Dieu, et que l’ayant trouvé, nous sommes déjà unis à Dieu, le temps vient où la vie n’a plus rien à nous apprendre. Dans ce chauffeur qui nous guide – ce saint, ce prêtre – laissons tomber l’humain ; le divin est présent, déjà nous sommes comme au Ciel. C’est déjà l’entrée du Ciel.

VIIe strophe

Sur la montagne sans chemin Il s’arrêta.
De sa face infiniment lasse émanait une douce lumière,
Comme des rayons de soleil avant qu’il ne paraisse.
Et moi, le rejoignant, je Lui donnai tous mes soins
L’entourant et Le servant si bien qu’Il me pria
De Lui accorder de dormir et reposer sur mon sein.
Le soleil alors se levant resplendit sur le miroir de sa Face,
Me faisant admirer en mon guide Celui que je cherchais.
À ce dévoilement du Père en mon Époux je défaillis
Tandis que doucement tourné à demi vers moi, ses yeux
Me regardaient, achevant une conquête gagnée dans la nuit.

Expliquons un peu :

« Sur la montagne » : c’est le Ciel !

« De sa face infiniment lasse » : Il a souffert.

« Reposer sur mon sein » : c’est l’union mystique dite selon le symbole de l’amour nuptial que saint Jean de la Croix chante dans ce poème que notre Père ne fait que recopier, plagier. Nous voyons la sainte Face du Christ, nous en avons l’image, la photo sous les yeux. Si nous savions voir, si le soleil divin éclairait nos yeux, nous découvririons sur la Face de notre Époux, la Face même, le mystère, l’Infini de Dieu. C’est le face à Face éternel commencé durant les épreuves de la terre et qui va s’achever dans la lumière.

VIIIe strophe

Pour un empire je ne bougerais. Retenant mon souffle,
Je rapprochai de son Visage divin ma face empourprée.
Quelle était loin ma maison ! Oubliée, mais non la route
Où déjà mon Père en mon Époux m’enlevait, de nuit,
Et portait en son Paradis de délices où j’étais,
À Lui, en Lui, par Lui et pour Lui ensevelie dans l’Amour,
Et pour jamais ravie.

Voilà quelle définition nous est donnée du Paradis, après la montée du Calvaire : l’entrée au Ciel, vers le Père ! comme conclusion normale d’une vie terrestre bien menée.

Comme notre âme est nourrie de biens réels, tangibles par « ces offres » d’amour sur ce chemin des croix où Dieu nous conduit pour nous introduire dans son Paradis ! Notre vie mystique est extraordinairement fondée. En aucune autre religion, en aucune autre philosophie nous n’avons autant de témoins, d’objets qui nous signifient de quel amour nous sommes aimés et en vue de quelle union céleste ! L’Évangile, la sainte Eucharistie, le saint Suaire, les révélations du Cœur de Jésus aux saints, la présence du Christ au Tabernacle ! Quand le Christ nous prend, Il nous emmène dans une grande aventure, celle que toute l’humanité doit vivre : Jésus m’aime et j’aime Jésus. C’est là le centre de notre religion. À nous d’en vivre !


(1) Pour un autre commentaire du poème mystique de notre Père La route de la forêt des croix, consulter la retraite sur les poèmes mystiques de saint Jean de la Croix.