THÉOLOGIE TOTALE

6. Le Dieu donné

INTRODUCTION

DEPUIS le péché originel, face aux tentations du Diable, tout être humain subit une étrange fascination (un prestige) qui le conduit, comme sans résistance, aux pires péchés. Le Christ a beau lui apparaître dans toute sa gloire (cf. Marc, 9, 2-10), il n’empêche que saint Pierre va renier le Christ quelques semaines plus tard. Le Christ a beau vivre avec lui, Judas va le trahir, pris et possédé par le démon (...).

Les saintes femmes (je ne parle pas de la Vierge Marie, elle est à part) ont certes toutes fait preuve, y compris Marie-Madeleine, de beaucoup d’amitié, d’affection... mais elles ont perdu la foi (...). Et si Marie-Madeleine est revenue à la foi au contact du Christ ressuscité, ainsi que les Apôtres, ce n’était pas encore un changement tel qu’ils s’attachent à Lui jusqu’à prêcher la foi avec courage jusqu’au martyre (...) !

Qu’on ne nous demande pas par conséquent d’être fidèles au Christ par notre cœur. Notre cœur est mauvais, blessé par le péché originel et subissant l’influence du démon. Il fallait bel et bien que quelqu’un vienne, se fasse comme notre compagnon de chaque moment, pour nous guider vers le bien, et nous donner la force de l’accomplir (...).

L’ESPRIT-SAINT PARACLET

C’est pour cette raison que le Christ avait annoncé aux apôtres la venue d’un autre Paraclet, d’un autre Défenseur. Cet « Esprit de vérité » envoyé par le Père est destiné non seulement à leur faire comprendre toutes les vérités enseignées par Lui tout au long de sa vie publique (cf. Jn 14, 26 ; 15, 26 ; 16, 13), mais aussi à leur donner le courage d’en témoigner face au monde (...). Mais qu’est-ce que cet Esprit-Saint que les apôtres allaient recevoir ? Eux-mêmes n’en savaient rien (...).

Aussi lorsque souffle tout à coup comme un vent dans le Cénacle (alors que portes et fenêtres sont fermées) et que l’Esprit-Saint descend sur les disciples comme des langues de feu (...), les apôtres sont remplis d’un autre être, d’une autre Personne aussi vivante, aussi réelle, aussi puissante que le Christ lui-même, et ils sortent du Cénacle sans avoir peur des juifs pour annoncer la Vérité (...). Quoiqu’on dise, cette intervention de l’Esprit Paraclet a été une nouveauté absolue que nul homme n’aurait pu inventer. À partir de cette Pentecôte, c’est incontestable, “ quelqu’un ” est intervenu dans l’histoire du monde. À cause de la dénomination que lui a donnée le Christ, nous l’appelons : le Saint-Esprit (...).

L’ACTION DE L’ESPRIT-SAINT SELON LES PÈRES GRECS ET LATINS

Selon les PÈRES GRECS, nous vivons en contact et en amitié intime avec ce Consolateur, cet Avocat, ce Conseiller intime qu’est l’Esprit-Saint, de telle manière que nous sommes divinisés à ce contact (...). Saint Thomas (cf. Ia, q. 43, art. 3) et les PÈRES LATINS enseignent que lorsque l’Église nous baptise, Dieu nous donne la grâce qui est non pas le don incréé (le Saint-Esprit), mais le don créé (grâce sanctifiante et grâce actuelle). C’est une modification radicale de notre être – un habitus entitatif – qui nous rend capables d’user de Dieu et d’en jouir : uti et frui. La grâce ressemble un peu à un appareil de TSF qui nous donne la capacité de capter les ondes porteuses de telle ou telle information (divine en l’occurrence). À quoi nous serviraient en effet toutes ces “ ondes ”, tous ces dons du Saint-Esprit, si nous n’avions pas “ d’appareil ”, si nous n’avions pas la grâce pour les capter ? Ce que Dieu nous donne dans les sacrements, c’est donc la grâce par laquelle nous sommes capables : de connaître Dieu par la Foi, d’espérer en lui, et de l’aimer (...).

J’ai longtemps défendu la position de saint Thomas, puis j’ai changé d’avis (...). Car les Pères grecs nous rendent ce service immense de nous faire comprendre, dans cette vision mystique et très biblique de l’envoi du Saint-Esprit par le Père et le Fils, que le don incréé qu’est l’Esprit-Saint vient d’abord (...). À tout moment le chrétien sait qu’il a auprès de lui un Être mystérieux, une Personne réelle attelée à son œuvre de sanctification en lui (Rm 5, 5). C’est cette personne divine qui nous donne sans cesse un flot d’inspirations, de bons mouvements, et qui finalement va jusqu’à créer en nous un être nouveau (...).

Et rappelons-nous que la Sainte Vierge est le Temple du Saint-Esprit, la créature en qui l’Esprit-Saint demeure en plénitude. Par son union au sacrifice de la Croix, nous ayant enfantés au salut avec son Fils, veillant maternellement sur nous depuis et médiatrice de toutes grâces, c’est Elle qui va nous le donner à aimer, et qui va travailler à notre sanctification. Cette manière de vivre dans l’Esprit-Saint (Ga 5, 25), religieuse et surnaturelle, me semble préférable à l’habitude prise par les enfants de ma génération : « Je suis en état de grâce, tout va bien, je peux communier ! Mais si je ne suis plus en état de grâce, il n’y a plus rien ! » ; dans cette optique, l’action indispensable de notre Mère à tous (et du Saint-Esprit dont elle est le Temple) est négligée. (...).

II. QUI EST L’ESPRIT-SAINT ?

Le Père et le Fils sont UN ; tellement que l’un (le Fils) est la Parole de son Père en laquelle se résume tout son être et toute sa sagesse de Fils. Mais cette dualité de Personnes dans l’unité (...) est un tel miracle, une telle merveille, que va rayonner un Témoin de la joie de leur unité, une troisième personne divine : le Saint-Esprit (...). Les théologiens enseignent que l’Amour en Dieu est « spiration active » et « spiration passive ».

Spiration, cela veut dire mouvement ; dans la Bible, le vent c’est l’Esprit (Ac 2, 2). Quand le Père et le Fils, de toute éternité, sont l’un en l’autre dans l’exultation, cette exultation est comme un grand vent de tempête qui sort de ce foyer (comme les milliards de calories que le soleil déverse sur l’univers), parce que c’est le rayonnement de son être. Le rayonnement du Père et du Fils, c’est le Saint-Esprit : une Personne divine égale au Père et au Fils. Et puisqu’elle est la manifestation de leur amour, elle ne fait que revenir à eux.

Cette personne divine est distinguée du Père et du Fils dans son transport en nous, car elle “ vient ” du sein du Père, à la demande du Fils, comme esprit de l’épouse, comme avocat, aide... Il résulte de cette spiration dite « active » (car c’est la sortie, la projection d’une troisième personne à l’extérieur) une affinité de l’Esprit-Saint avec la Vierge Marie (l’Immaculée Conception, conçue la première), puis avec la création, et en elle la femme (...).

Cependant la raison d’être, la caractéristique du Saint-Esprit, nous disent les théologiens, c’est la spiration « passive » : Il ne veut, ne cherche qu’à retourner, à se précipiter dans ce Père et ce Fils dont il est la joie. C’est ce qu’il fait de toute éternité, par rapport au Père et au Fils. Lorsque le Père et le Fils le “ jettent ” un peu plus loin (si j’ose dire !) jusqu’à nous, l’Esprit-Saint allume en nos cœurs le feu dont il brûle, et il nous tire alors vers le centre même de la Sainte Trinité. Il nous ramène forcément au Père et au Fils (...).

À quoi comparerons-nous les allées et venues du Saint-Esprit ? Aux mouvements incessants de diastole et de systole d’un cœur vivant (...), ou encore à la ressemblance d’un boomerang : Il sort de Dieu (il vient, il s’élance), puis il retourne (ramène, réunit) à Dieu. Or ce mouvement lui est venu du Père, par le Fils, prolongeant ainsi son œuvre de salut (...). C’est autrement plus vrai et enthousiasmant que ce principe inventé par les platoniciens : « Bonum diffusivum sui » (le bien est diffusif de soi), qui n’a aucun sens, mais dont on a fait la source de toute une science de la morale (...) !

LA QUERELLE DU FILIOQUE

Lorsqu’au temps de Charlemagne, les Occidentaux ont commencé à affirmer dans le Credo que « le Saint-Esprit procède du Père et du Fils » (« qui cum Patre filioque procedit »), ce filioque a mis les Grecs en fureur. Ayant depuis longtemps une attitude très schismatique par rapport aux Latins qu’ils méprisaient, ils ont donc prétendu que c’était une hérésie de dire que le Saint-Esprit procédait du Père et du Fils (...). Pour eux, le Père seul engendrant le Fils, pareillement du Père seul procède l’Esprit-Saint (...).

Saint Thomas (cf. Ia, q. 36, art. 2-4 ; q. 39, art. 7-8) va génialement expliquer aux Grecs que s’ils affirment que le Père engendre le Fils, et que le Père, par ailleurs, produit aussi l’Esprit-Saint, alors ils n’arriveront jamais à faire une différence entre le Fils et l’Esprit. Dieu le Père est la parfaite simplicité. S’il y a deux actes de production à partir du même être simple, alors, il y aura un Fils aîné, Jésus-Christ, et un autre Fils, le Saint-Esprit. Mais s’il y a deux Fils... chacun n’a qu’une moitié de la paternité ! Cela ne va donc pas.

Pour comprendre qui est l’Esprit-Saint, il faut absolument dire, toujours selon saint Thomas, qu’il procède du Père et du Fils, parce qu’ainsi on discerne bien que la nouveauté du Saint-Esprit provient, précisément, de l’union poussée jusqu’à l’unité de ces deux Personnes divines. Que se passe-t-il lorsque deux personnes sont parfaitement unies ? Ce qu’elles sont capables de produire, c’est un acte d’amour (...).

LE DON DE L’ESPRIT À L’ÉPOUSE

De la même manière qu’il y a eu venue du Fils de Dieu sur terre pour épouser la créature... pécheresse, de même il va y avoir descente du Saint-Esprit : en la Vierge Marie d’abord pour y opérer l’incarnation du Verbe-Epoux, et en l’Église ensuite afin de la rendre épouse du Verbe divin (...). Sur la terre comme au Ciel les trois personnes divines œuvrent pour notre salut : Le Père, le Verbe incarné (Jésus-Christ) et l’Esprit-Saint en l’Épouse.

L’ÉGLISE, ÉPOUSE DU VERBE

Jaillissant du sein de Dieu, l’Esprit-Saint procédant du Père et du Fils est envoyé dans le monde pour faire de l’humanité chrétienne une Église, afin d’en être l’Âme incréée ; Il est autre que les membres qui la constituent, mais Il s’identifie à leur communion, les rassemblant en un seul Corps mystique pour le Christ. S’identifiant ainsi à l’Église (comme l’âme au corps qu’elle organise et vivifie), l’Esprit-Saint lui donne existence, figure et beauté, et il en assume et en corrige les lenteurs et les rébellions. Enfin, il la rend sainte et sans tache pour la présenter à son Époux « comme une vierge pure parée » (cf. Ap 21, 2) pour ses noces. [CRC n° 133, septembre 1978, p. 13]

L’IMMACULÉE MÈRE DE DIEU, MODÈLE DE L’ÉGLISE,
ÉPOUSE DU VERBE, TEMPLE DU SAINT-ESPRIT

Ainsi s’éclaire d’une nouvelle lumière le modèle de l’Église : Marie ! Elle est la première privilégiée de l’amour divin, pleine de grâces, dans l’embrassement de son Seigneur, car c’est « par l’opération du Saint-Esprit » qu’Elle se trouve concevoir et enfanter son Dieu en la chair (...). Remarquons bien que le Saint-Esprit est du côté de Marie, avec Elle, face à face avec le Verbe divin en la chair (...). On est donc prié de ne pas en conclure que la Vierge (ou l’Église en Elle, après Elle) est de ce fait l’épouse du Saint-Esprit. Car cette figure est aussi malencontreuse, ici, que pour rendre compte de l’union des deux natures en Jésus-Christ.

L’Esprit-Saint, ni ne forme avec nous une seule et unique personne, ni n’est en nous si distinct de notre élan intime, de nos aspirations, que nous puissions discerner sa présence et son œuvre en nous, en l’Église, comme d’un époux dans son épouse. Il est l’hôte intérieur, l’ami intime qui ne montre pas son visage, mais qui aime et qui aide en secret. Nous l’avons en nous quand, sans le voir ni le savoir, suivant son impulsion, nous faisons retour au Verbe notre Époux et, par Lui, avec Lui, en Lui, au Père.

Les deux protagonistes de l’Alliance nouvelle et éternelle sont donc l’Église habitée par l’Esprit-Saint, et le Verbe divin revêtu d’une nature d’homme pour les besoins de cette union. L’Esprit-Saint élève l’Église jusqu’à la dignité d’Épouse de Dieu. L’humanité du Christ l’abaisse jusqu’à l’humilité de sa créature et jusqu’à la nécessité de son expiation pour en être, dans sa condition charnelle et dramatique, l’Époux (...).

Dans la révélation de cette Alliance nouvelle et éternelle de la créature avec Dieu (O admirabile commercium !) dont l’union de Jésus et de Marie est le modèle initial, dont les noces du Christ et de l’Église sont le mystère achevé, toute âme fidèle, toute communauté sainte trouve sa juste attitude et la forme supérieure de sa vocation (...). »

VIVRE DANS L’ESPRIT SAINT

Qu’apprenons-nous lorsque nous écoutons le Christ nous parler de l’envoi du Saint-Esprit ?

Le Saint-Esprit est Feu (Lc 12, 49), ce sont des flammes de feu (Ac 2, 3) ; c’est aussi une source d’eau vive sans cesse jaillissante (Jn 7, 37-39). La pluie ou la neige qui tombe, une source jaillissante, on ne se lasse pas de les regarder : c’est toujours la même chose, mais cela change toujours, comme la vie. Le Père et le Fils sont une source jaillissante d’un être vivant qui jaillit, qui bouge et bougera toute l’éternité : le Saint-Esprit est la vie d’amour de Dieu (...), qui jaillit du Père et du Fils éternellement, et qui revient sans cesse à ce centre du Cœur de Dieu, dans la joie et l’allégresse ! (...)

Nous voici donc loin de cette conception héritée de la philosophie grecque (et de la conception chrétienne qui en est dérivée), selon laquelle Dieu est l’Acte pur et immobile. La vie chrétienne ne consiste pas à se dire : « Je suis en état de grâce, donc ça va bien comme ça ; je n’ai plus qu’à attendre d’aller au Ciel pour voir Dieu perpétuellement ! », mais c’est de vivre dans l’Esprit-Saint (...).

Or « vivre dans l’Esprit-Saint », c’est se donner toujours plus à Jésus-Christ comme à un Époux unique, s’ouvrir à lui par la foi, désirer entrer dans son étreinte unifiante et se laisser envahir alors par l’Esprit-Saint qu’il peut seul donner, répandant en l’âme, avec la paix et la joie qui l’accompagnent toujours, la charité qui conquiert les cœurs, la lumière qui veut dissiper les ténèbres et sauver les âmes par tout l’univers, bref : la vie féconde en fruits spirituels et vertus de toutes sortes (cf. Ga 5, 22-25 ; 6, 9-10). Telles sont les œuvres privilégiées du Saint-Esprit, criant par la bouche d’un saint François de Sales : « donnez-moi des âmes et gardez le reste », d’un saint François-Xavier : « Aún más » (« encore plus ! »), ou d’une sœur Lucie de Fatima : « sauver des âmes, beaucoup d’âmes, toutes les âmes ! », en réponse à la demande de Jésus crucifié lui-même : « J’ai soif ! » (...). [cf. CRC n° 133, septembre 1978, p. 13]

SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU (Jn 4, 10)...

On comprend mieux alors comment le Saint-Esprit peut renouveler toute créature (Ps 104, 30), si avilie et pécheresse qu’elle soit. Il va venir habiter en elle, peu à peu la réchauffer comme un kinésithérapeute travaille patiemment un muscle endolori, la transformer (si elle veut bien correspondre à ses inspirations, ses illuminations, ses grâces, ses consolations continuelles !), l’éduquer (Sg 1, 5) de telle manière qu’à travers les années d’une vie humaine, cette créature atteigne le degré de perfection pour lequel elle a été créée. C’est à ce moment-là qu’elle méritera d’entrer dans les chœurs éternels où nous serons perpétuellement dans une exultation à voir, à aimer et à contempler ce Dieu trois fois Saint qui est mouvement, qui est gloire, qui est lumière et qui est flamboiement d’amour.

Abbé Georges de Nantes
Extrait de la conférence du 9 avril 1987

En audio ou en vidéo seulement :
  • Th T 7 : Le Dieu donné, mutualité 1987, 1 h (aud./vid.)

Références complémentaires :

  • Toute notre religion, 1re partie : Foi catholique (CRC n° 183, novembre 1982)
    • p.37-38 : X. Je crois au Saint -Esprit, Volonté du Père et du Fils
  • Les 150 points de la phalange, point n° 24 : Le don de l'Esprit-Saint
  • Dans Bible archéologie histoire, tome 3 :
    • Le témoignage de Jean au procès de Jésus-Christ. IV. La Mission du Saint-Esprit (CRC tome 30, n° 348)
Méditations :
  • Pour des méditations écrites sur le Saint-Esprit voir les volumes suivants :
    • Lettres à mes amis, tome 1 (nos 15-16, 34, 49, 54 à 56)
    • Lettres à mes amis, tome 2 (n° 142)
    • Pages mystiques, tome 1 (n° 59)
    • Pages mystiques, tome 2 (n° 70, 92, 106-107)
Une étude polémique, contre Taizé :
  • L'Église et l'Esprit, CRC tome 5, n° 72, septembre 1973, p. 3-12 (En audio : S 24 : L'Église et l'Esprit, Pentecôte 1974, 5 h)