LE GOUVERNEMENT DE VICHY

Annexe 2 
Quand Vichy fusillait des espions nazis

LA chose était connue, elle est désormais bien établie : de 1940 à 1942, dans la zone non occupée et dans les colonies françaises, les services spéciaux de Vichy ont fait arrêter environ deux mille espions allemands et fusiller une quarantaine d'entre eux. Tel est le résultat d'une enquête très fouillée, effectuée dans les archives du contre-espionnage français par un jeune historien anglais, Simon Kitson (Vichy et la chasse aux espions nazis, 1940-1942, janvier 2005, éditions Autrement).

UN NOUVEAU FONDS D'ARCHIVES

L'auteur a eu accès en particulier au “ fonds de Moscou ” : 1 400 cartons de documents saisis par les Allemands lors de l'invasion de la zone libre, (…) maintenant disponibles au Service historique de l'armée de terre, au château de Vincennes. Kitson raconte sa passionnante investigation : « (...) La chasse aux espions allemands sous Vichy est une histoire parfois surprenante et souvent complexe. »

Elle remet surtout en cause beaucoup de poncifs de l'histoire officielle, de préjugés à l'encontre du Maréchal et de sa politique dite de “ collaboration ”. Étrange collaboration en effet de fusiller, pour motif de trahison, des agents du pays avec lequel on est censé collaborer ! (...)

FACE À L'ESPIONNAGE ALLEMAND

Au lendemain de l'armistice, les Allemands tissent une véritable toile d'araignée de façon à contrôler le pays qu'ils ont vaincu : la zone nord qu'ils occupent militairement et administrativement, la zone sud où siège le gouvernement du Maréchal, et surtout l'Afrique du Nord dont ils savent qu'elle reste un enjeu capital pour la France et ses anciens Alliés. La rivalité de leurs services (l'Abwehr pour l'armée, la Gestapo pour la police) explique la multiplication de leurs agents, auxquels ils s'efforcent de donner une couverture officielle.

Ils soupçonnent fort les Français de vouloir faire ce qu'ils ont fait eux-mêmes en 1919 pour tourner les conventions du traité de Versailles. Le vainqueur se méfie du vaincu, qui demeure l'ennemi héréditaire. Profitant des moyens financiers illimités qui leur sont octroyés, les services de renseignements allemands (SRA) recrutent du personnel à tour de bras : 80 % de leurs agents seront de nationalité française, attirés par l'appât du gain, le goût de l'aventure ou encore par l'idéologie collaborationniste. Ils chercheront par tous les moyens à noyauter l'administration française afin d'y récolter le maximum d'informations, y semer des germes de division, jusqu'à tenter de fomenter une insurrection arabe en Algérie ! et empêcher tout redressement de l'esprit national.

Pour lutter contre cet espionnage corrosif, le gouvernement français fait appel à l'Armée d'armistice, qui retrouve une des prérogatives que la République lui avait ôtée au moment de l'affaire Dreyfus : la poursuite des espions de l'intérieur. Deux organismes, qui ont leurs entrées à Vichy, organisent ce contre-espionnage : les “ Travaux ruraux ” (TR) du commandant Paillole et le “ Bureau des menées antinationales ” (BMA) du lieutenant-colonel Guy d'Alès. Le premier, sous couvert d'une société agricole établie à Marseille, cachera un réseau de contre-espionnage offensif ; le second, affecté à la répression des menées communistes, gaullistes ou alliées, déploiera une puissante activité antiallemande.

La surveillance du territoire (ST) n'est pas en reste. Armée et police se retrouvent ainsi au coude à coude dans la lutte contre l'espionnage allemand, même si, de temps à autre, des différents surgissent entre les deux corps de la nation. Kiston peut affirmer, sans craindre aucun démenti : « L'espionnage allemand était leur principale cible, et de loin. »

LE CONTRE-ESPIONNAGE AU QUOTIDIEN

Ce contre-espionnage se faisait dans le cadre des institutions françaises, sous les ordres et le contrôle du chef de l'État. (...) Paillole déclarait en avril 1942 : « Nous voulons être maîtres chez nous. » Admirables Français patriotes qui, dans des situations souvent périlleuses, préparèrent la revanche en contrant les entreprises les plus sournoises de l'occupant. Collaboration, résistance ? Ces mots avaient peu de sens pour eux. Ils servaient la France, « la seule France », incarnée dans la personne du Maréchal. (...)

Tous se sentaient en communion de pensée avec le chef de l'État. Malgré certaines réticences, touchant la politique étrangère de Darlan, plus encore celle de Laval, car cette politique n'était pas sans incidence sur leur travail, « les services spéciaux ont choisi de rester dans le cadre vichyste, note Kitson. (...) »

Comment s'organisa cette lutte au quotidien, qui consistait à réprimer l'action des espions allemands, à combattre leur propagande, mais aussi à prévenir le risque de fuites et de retournements ? C'est là l'intérêt palpitant de l'ouvrage de Kitson, qui nous fait pénétrer dans l'univers mystérieux du contre-espionnage, nous faisant mesurer ses difficultés techniques : comment dépister les agents de l'ennemi et trouver les preuves nécessaires pour procéder à leur arrestation ? Sans oublier les complications diplomatiques : une fois arrêtés, comment faire juger les coupables par une justice française, sans que les services allemands s'en mêlent ?

Les chefs ne cessaient de recommander à leurs subordonnés la plus grande discrétion : « Se taire, c'est servir. » Les missions étaient précises, comme celle de « faire le vide » autour des commissions d'armistice, afin de barrer la route aux solliciteurs trop intéressés. Il fallait faire accepter par les Allemands la présence de militaires et de civils français auprès desdites commissions. (...)

Les services du contre-espionnage français ne s'en tenaient pas là. Ils avaient l'œil aussi sur les réseaux de résistance, dont Paillole déplorait le manque de professionnalisme. (...)

DES RÉSULTATS APPRÉCIABLES

Même si le contre-espionnage français fut loin d'être partout efficace, les chiffres ne laissent pas d'être impressionnants : en l'espace de vingt-huit mois, plus de deux mille espions au service de l'Axe furent arrêtés, mis au secret afin que leurs chefs ne sachent pas leurs lieux de détention. Prévenus « d'atteinte à la sûreté extérieure de l'État pour avoir entretenu des relations avec une puissance ennemie [sic] », un bon nombre furent jugés devant des tribunaux militaires français, et plus de cent condamnations à mort furent prononcées.

Certains cas de trahison étaient tellement flagrants qu'un recours en grâce n'était même pas envisageable. Cependant, le maréchal Pétain fut souvent sollicité. (...)

Le Maréchal put ainsi, jusqu'en novembre 1942, réduire le nombre d'exécutions capitales de cent à quarante, non pas sous la pression de l'occupant, mais par souci de justice et d'humanité, comme en 1917, lors de la crise du moral de l'armée, où il avait réduit des neuf dixièmes le nombre des exécutions.

GARANTIE DE SOUVERAINETÉ FRANÇAISE

« Il faut que vous sachiez que de l'efficacité des services de contre-espionnage dépend le libre exercice de notre souveraineté nationale », expliquait Paillole à ses subordonnés en avril 1942. Cette souveraineté territoriale n'était pas une fiction : le Maréchal était maître chez lui, « en son royaume », écrit Kitson. Souveraineté administrative également, de la plus grande importance quand il s'agissait de contrer, tout au moins de limiter les exigences allemandes. Souveraineté enfin de l'État sur chacun des Français. Une politique de “ collaboration ” est trop périlleuse pour que chacun s'adjuge le droit de collaborer au gré de ses caprices ou de ses intérêts particuliers, jusqu'à trahir son pays.

Cette souveraineté nationale est un bien précieux que le Maréchal, « bon Français », sut préserver de tout transfert et limitation, durant les années noires de l'occupation. En voilà une nouvelle preuve. Quand lui reconnaîtra-t-on ce mérite ?

frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours
Extraits de Il est ressuscité ! n° 31, février 2005, p. 29-30