Il est ressuscité !

N° 248 – Octobre 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


In memoriam

Jacques Mourot (1931-2023) 
ami fidèle, disciple accompli

Le 13 mai 1993, l’abbé de Nantes, entouré de ses amis, dont M.  Mourot.
Le 13 mai 1993, l’abbé de Nantes, entouré de ses amis, dont M.  Mourot, vint à Rome remettre, au Souverain Pontife et au cardinal Ratzinger, son troisième Livre d’accusation à l’encontre de l’Auteur du Catéchisme de l’Église Catholique.

AUJOURD’HUI 6 septembre, en paroisse, la messe est célébrée à l’intention du repos de l’âme de Jacques Mourot, décédé le 25 août ; la première lecture est de saint Paul aux Colossiens, et s’achève par un bel éloge d’Épaphras, le fondateur de la petite communauté de Colosses : « Notre cher et bien-aimé compagnon de service » (Col 1, 7).

Aussitôt se présente à mon esprit la figure si droite, le sourire si accueillant de Jacques Mourot. De retour à la maison, je poursuis la lecture de l’Épître et, jusqu’au bout, il me semble voir un autre Épaphras, « compagnon de service » d’un autre saint Paul, au service inconditionnel de l’Église et de la Chrétienté, avec le même esprit de sacrifice, la même joie intime, le même amour et la même espérance.

Il fut l’irremplaçable ami qui mit son intelligence, son courage, sa valeur professionnelle, au service de la plus belle des causes, « Dieu et le Roi », avec un total oubli de lui-même et l’humilité du véritable disciple.

Il fit « la joie de son maître », qui ne se démentit jamais, même si, une fois, il fit très loyalement observer à notre Père, son incapacité à préparer l’ouverture d’une soirée, grande salle de la Mutualité, comme le lui demandait notre Père depuis la première “ Grande Mutu ” et qu’il accomplissait avec beaucoup de talent, d’intelligence et de cœur. Ce soir-là notre Père avait pris pour sujet : “ Goulag ou Chrétienté ”, et pour sous-titre : “ Réponse aux Nouveaux Philosophes ”. Jacques Mourot était désarmé !

« Qu’allez-vous tirer de ces gens avec qui nous n’avons rien de commun ? Qu’avons-nous besoin de céder à la mode qui, comme toutes les modes, est faite pour se démoder ? Pourquoi aller récupérer Clavel, Glucksmann, Bernard-Henry Lévy et Cie ? »

Réponse de notre Père : « Voilà tout trouvé le thème de votre discours d’ouverture. Vous poserez, toute chaude, cette question et nous aurons là une excellente introduction. Sérieux ? demanda Mourot. Tout à fait sérieux ! répondit notre Père. – Entendu ! »

Il racontera lui-même : « Évidemment, mon inquiétude ne fut pas pour autant dissipée, bien au contraire... J’étais pris au jeu et sans être philosophe il me fallait devenir subitement procureur !

« Tout ce que j’entendais, tout ce que je lisais me semblait venir alimenter mon réquisitoire » :

« Pourquoi, mon Père, devrions-nous faire appel pour illustrer notre foi catholique, si sûre et si solide, et notre nationalisme français si riche d’un passé de civilisation, de gloire et d’héroïsme, oui pourquoi faire appel à une bande de jeunes parvenus, tous ou presque tous athées, anticléricaux, hostiles à l’Église avec passion, pour lesquels la France n’est rien, absolument rien, et qui n’ont que mépris et ignorance “ bétonnés ”, comme ils disent, pour la droite, pour l’extrême-droite, à laquelle nous sommes fiers d’appartenir ? »

Cependant, c’était entendu et ce fut fait. Lisez la CRC de décembre 1977, numéro 124, vous découvrirez un “ Monsieur Mourot inconnu ”, et en même temps le secret d’une profonde amitié, pleine de confiance mais de labeur insoupçonné pour préparer ces introductions, si dignes de notre Père, qui put lui confier encore l’organisation de nos grandes manifestations publiques, qui demandaient une préparation professionnelle, nos pèlerinages à Fatima (1996) et Turin (1998), mais aussi les démarches à haut risque, à Paris pour l’honneur de Jeanne d’Arc, et à Rome où il fallait « réveiller nos Pasteurs » et sauver la foi. Irremplaçable ami de Dieu et des hommes !

SON TÉMOIGNAGE

Le samedi 12 mai 1990, Jacques Mourot secrétaire général de notre Ligue de Contre-Réforme catholique, introduisait notre journée phalangiste à Paris, en rappelant les circonstances qui avaient conduit notre Père à la fondation de cette Ligue, vingt ans auparavant, et il donnait son témoignage :

« Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, chers amis,

« Il y a vingt ans, l’abbé de Nantes décidait de fonder la Ligue de Contre-Réforme catholique. Vingt ans exactement : c’était au printemps 1970. Plusieurs d’entre vous ont vécu les premiers pas de cette Ligue et une gerbe de souvenirs leur reviendra spontanément en mémoire... Pour moi, ce soir, il ne s’agit pas de m’attarder sur les années passées.

« Je voudrais, en revanche, témoigner de ce que fut mon adhésion à la Ligue, dire en quoi elle s’inséra tout naturellement dans une tradition bien vivante et rappeler que la Ligue de Contre-Réforme catholique fut le fruit accompli d’une doctrine se développant, s’enrichissant au gré des années et des événements. Enfin, j’insisterai sur la nécessité qu’il y a, vingt ans après, à garder vivante notre fidélité. En 1990 comme en 1970, le fondement de la renaissance catholique est toujours : “ Ni hérésie de gauche, ni schisme de droite, mais l’Église, l’Église seule ! 

« Bien entendu, si j’ose parler de mon expérience personnelle, ce n’est pas pour me mettre en avant, mais pour présenter un témoignage que je sais être partagé par la majorité d’entre vous.

« En 1970, nous étions au cœur des premières conséquences de Vatican II, le “ funeste Concile ”, que vous aviez été le seul, mon Père, à dénoncer publiquement et avec force. Vous ne vous étiez pas dressé contre la décision de convoquer un concile, bien au contraire, mais vous aviez immédiatement vu et révélé ce qu’il allait provoquer : la destruction de l’Église... Après l’abaissement de la France, la longue suite des trahisons subies, les reniements imposés à notre armée, l’Église était touchée à sa tête. De mois en mois, vous vous appliquiez à nous le démontrer. À vos dénonciations incessantes, fondées sur la doctrine la plus solide, personne ne répondait... Votre passion de convaincre devenait pour vous, de plus en plus, un engagement total au service de l’Église. Vous n’attendiez rien de personne, vous n’espériez aucune gratitude, mais vous répondiez au plus beau devoir de charité : celui de défendre la Vérité !

« Peu de temps avant de prendre contre vous les sanctions que l’on sait, l’évêque de Troyes, Mgr Le Couëdic, ne disait-il pas à mon père dans le secret de son évêché : “ Cher monsieur, l’abbé de Nantes, c’est du roc ! ” Quelque temps après, il ordonnait à son cher abbé de quitter le diocèse... Et à Rome en 1968, après l’instruction de votre procès, c’était la “ disqualification ” qui n’a jamais été une sanction juridique, qui ne se trouve dans aucun code de droit canonique, et qui n’est que le verdict d’un jury face à un sportif qui ne respecte pas les règles du jeu et que l’on place hors concours ! C’était ridicule...

« Vous rendant parfaitement compte du désarroi de vos amis, vous avez voulu leur éviter le piège du désespoir et de la révolte stérile. D’où votre consigne en 1970 : ni hérésie ni schisme !

« Ce fut là le point de départ de la Ligue. Pour nous, les fidèles, il fallait demeurer de Contre-Réforme tout en restant dans l’Église. Et plus notre opposition à la Réforme serait forte, plus notre résistance s’affirmerait, plus grand devait être notre attachement à l’Église. Vous nous demandiez de travailler, de lire, d’étudier, sous votre direction et en nous appuyant sur votre œuvre, et surtout de prier. Que la charité règne entre nous et que notre Ligue devienne une véritable famille ! Il y avait déjà là le germe de notre Phalange. Comment, à ce moment, rester en dehors de ce grand mouvement, comment tourner le dos ou rester indifférent à cet appel providentiel ?

« Mon Père, pendant des années, je ne connus de vous que vos écrits, sur bien des sujets : mystiques, philosophiques, politiques... Écrits toujours étincelants d’intelligence ! Et en vous lisant, je retrouvais le prolongement d’un enseignement familial encore à parfaire ! J’admirais la consécration d’une tradition d’Action française chère à ma famille, mais cette fois baptisée à la source de la foi catholique la plus pure et la plus rigoureuse.

« Mon adhésion à la Ligue ne fut pas pour moi la soumission à une personne mais bien l’accord le plus total donné à une pensée, à un corps de doctrine. En 1970, je crois pouvoir affirmer, mon Père, que la décision de fonder cette Ligue ne correspondait pas à un désir “ paranoïaque ” de vous entourer de fidèles inconditionnels qui vous seraient soumis aveuglément, mais bien au contraire, à la nécessité de sauver vos amis des pires aventures où les conduiraient leurs caprices et leurs impulsions, derrière des chefs au charisme des plus discutable ! Et c’est ainsi que, depuis vingt ans, vous nous maintenez sur cette ligne de crête d’où, sans votre constante vigilance, nous serions tombés dans le schisme et nous nous serions enflammés pour une utopique “ bonne République ”, démocratie cocardière et démagogique !

« Mon Père, à aucun moment je ne fus surpris par vos choix. Mon accord avec votre enseignement fut toujours sans faille parce que cet enseignement se situait très naturellement dans la ligne du catholicisme intégral et dans la tradition vivante d’Action française. Cet accord fut toujours spontané, immédiat, au risque parfois de se laisser surprendre et de commencer à faire miennes ce que vous qualifiez si honnêtement d’erreurs : telle la thèse de la survivance de Louis XVII !

« Mon Père, en évoquant ces vingt ans de Ligue de Contre-Réforme catholique, en rappelant tout ce que nous devons à votre doctrine, je ne voudrais pas donner l’impression que je dissocie le corps de ces idées de leur auteur. Au cours de ces années si riches en événements, votre passion, votre véhémence firent que jamais nous n’eûmes la sensation de défendre des monuments en ruine. Sans vous, sans votre intelligence, notre traditionalisme ne serait peut-être aujourd’hui que nostalgie et routine... Avec vous, dans votre éclatante santé et vigueur, il retrouve la vie ! Il y a vingt ans, notre jeune enthousiasme avait répondu “ présent ! ” à votre appel. Aujourd’hui, nous sommes toujours avec vous !

« Ce soir, je tiens à vous redire notre fidélité : fidélité d’abord à la doctrine de Contre-Réforme et de Renaissance catholiques, mais aussi fierté d’être toujours derrière vous, à travers toutes les embûches, sur cette voie royale que vous avez tracée et d’où il n’est plus question de sortir. Nous savons que la tentation de cesser le combat pourrait un jour nous séduire, par lassitude... nous savons que l’ignoble indifférence de nos frères les plus proches pourrait nous conduire à la révolte, par faiblesse... nous savons que, demain peut-être, nous aurons à souffrir la persécution... Mais je tiens, mon Père, à vous redire au nom de tous nos amis : merci pour ces vingt ans de bon combat ! Mon Père, que Dieu nous garde toujours dans la fidélité ! »

UNE JOURNÉE À PARIS

Au printemps 1971, notre Père mobilisa la Ligue pour une tournée de conférences sur le thème : “ Demain, Vatican III ”, et annonçait : « Nous ne voulons pas revenir à Vatican I, ni au concile de Trente... Nous voulons que Vatican III décante Vatican II, isole et élimine le poison, sauve la Tradition dont l’Église a si bien vécu des siècles durant. Mais il marquera un progrès. L’Église sortira de cette formidable épreuve comme toujours plus forte, plus sainte et plus conquérante. »

Notre ami Jacques Mourot réagit avec enthousiasme : « Nul de ceux qui ont suivi les travaux de la CRC ne pourra dire qu’on s’y épuise en criailleries stériles et en vains regrets d’un passé tout à fait mort. » La CRC est « le seul mouvement de l’espérance théologale, fondée sur Dieu, appelant à une œuvre proportionnée au mal ».

C’est précisément pour répondre à cette nécessité de progrès que, dès l’année suivante, sur la suggestion de Jacques Mourot, notre Père entreprit ses “ Mutualités ” mensuelles, qu’il assurera vingt-quatre ans durant pour un public assidu et enthousiaste ! D’abord un point d’actualité politique et religieuse chaque mois et, en seconde heure, un cours magistral de théologie kérygmatique, d’histoire de France...

Pour achever la préparation de ses “ Mutus ”, notre Père se rendait en train à Paris et passait la journée à l’hôtel Bradford, dont M. et Mme Mourot étaient les gérants. Ils le recevaient toujours avec un vif contentement. Notre ami remettait à notre Père la presse qu’il avait mise de côté ou bien le livre qui venait de sortir ; notre Père travaillait alors toute la journée. Ainsi, d’une visite à l’autre se nouait une solide amitié intellectuelle. Que de fois, dans ces Mutus, notre Père fit allusion à ces services rendus par son ami :

– « Aujourd’hui, M. Mourot m’a donné le Figaro d’il y a quinze jours, un article : Gorbatchev, une mystification ? Un plan pour tromper l’Occident. C’est un certain Golitzin ; toute la démarche actuelle de M. Gorbatchev est annoncée là point par point. »

Ou encore :

– « Ce soir même, M. Mourot m’apportait Match du 29 mai s’il vous plaît – nous sommes en avance ! [c’était le 25 mai !] – et dans ce Match qui est absolument stupéfiant, on voit le Pape embrasser tendrement M. André Frossard qui vient d’écrire un livre sur le Père Kolbe. C’est absolument capital, »

Cette amitié, c’était une entente de deux esprits, notre ami sachant redire ou prolonger la pensée de notre Père. Ainsi le 25 mai 1993, salle de la Mutualité, dans sa conférence d’Histoire de France, notre Père reprit la démonstration de cette vérité, tirée du Kiel et Tanger de Maurras, selon laquelle tous nos malheurs n’ont qu’une cause : la République, mais que le pire ne vient pas de la gauche, mais de la droite ! Or, en 1993, nous étions sous le gouvernement de droite de M. Balladur. Et notre Père de commencer ainsi sa conférence :

« Curieusement, M. Mourot, cet après-midi, s’est dit : “ Tiens ! Je vais lire pour préparer la conférence ! ” [le livre Kiel et Tanger] et il est tombé sur cette même page 28 dans votre édition (23 dans la mienne) où il dit qu’il n’y a rien de pire qu’un gouvernement conservateur de droite. Et en lisant cette page, lui comme moi, nous nous sommes dit : “ Mon Dieu, c’est la définition dans mon livre du gouvernement Balladur. ” Ah, non, mais ne riez pas ! C’est tragique. ” »

Puis, en fin de journée, notre Père rejoignait la Mutu avec son irremplaçable chauffeur qui recevait ses confidences, et surtout la clef de son inconfusible espérance qu’il s’efforcera de donner à ses auditeurs durant toutes ces années et à nous encore aujourd’hui :

« La conclusion de ma conférence d’Actualités en une minute : c’est désespérant ? Non, ce n’est pas désespérant ! Pourquoi ? Parce que nous vivons encore aujourd’hui, j’y pensais comme ça en traversant Paris avec M. Mourot pour venir à cette conférence. Quand même, depuis que nous annonçons les malheurs, les gens disent : “ Vous avez tort, puisque rien ne vient. ” Je dis : “ Remerciez Dieu, parce que, depuis des années, ça aurait pu nous tomber dessus comme sur tant de malheureux peuples. Si nous vivons encore heureux et tranquilles, il faudrait tout de même remercier Dieu, c’est une protection de Dieu jusqu’à aujourd’hui !  Je vous dirai mon secret : je pense que cette protection, Dieu nous la continuera. Seulement quand même, il nous la continuera à l’échelle mondiale si nous sommes fidèles à Fatima et aux promesses de Fatima. »

Frère Gérard de la Vierge