Consécration de la Russie :
lettres apocryphes de sœur Lucie

LE 13 juin 1917, Notre-Dame révélait sa mission à Lucie : « Toi, Lucie, tu resteras ici pendant un certain temps. Jésus veut se servir de toi afin de me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. »

Étant restée ici-bas jusqu’à l’âge de 98 ans, sœur Lucie a pu fermement témoigner des authentiques demandes de Fatima explicitées à Pontevedra, en 1925-1926, et à Tuy, en 1929 : Notre-Dame voulait, et veut encore aujourd’hui, que le Pape effectue une consécration solennelle de la Russie à son Cœur Immaculé, en union avec tous les évêques catholiques. « Non pas une consécration du monde, mais de la Russie, et de la seule Russie », a souvent précisé sa messagère (Frère François de Marie des Anges, Sœur Lucie, confidente du Cœur Immaculé de Marie, éd. CRC, 2014, p. 424-426).

Si elle a parlé d’une consécration du monde, dans sa lettre à Pie XII du 2 décembre 1940, c’était pour obéir aux ordres et aux directives de Mgr Manuel Ferreira da Silva, évêque de Gurza, et de Mgr José Correia da Silva, évêque de Leiria, et non pour transmettre une requête de Notre-Dame de Fatima.

Après la consécration du monde accomplie par le pape Jean-Paul II le 25 mars 1984, sœur Lucie déclara nettement aux carmélites de Coïmbre, à ses parents et familiers, à des religieux, évêques et cardinaux : « Non, la consécration n’a pas été faite comme le veut Notre-Dame. » J’ai personnellement recueilli et publié de nombreux témoignages à ce sujet (ibid., p. 428-431).

1989 : TRAVESTISSEMENT DU TÉMOIGNAGE DE SŒUR LUCIE.

Cependant, ennuyé de recevoir encore de nombreuses requêtes en faveur de la consécration de la Russie, le pape Jean-Paul II prit une décision à peine croyable en 1989 : il ordonna à sœur Lucie de dire désormais le contraire, en affirmant que la consécration avait été faite et agréée par le Ciel.

De plus, Mgr do Amaral, évêque de Fatima, et Mgr Luciano Guerra, recteur du sanctuaire, rédigèrent et diffusèrent à partir de l’été 1989 quatre lettres, dites de sœur Lucie, où il est affirmé : « La consécration est faite. » Nous les avons aussitôt publiées dans le mensuel La Contre-Réforme catholique, en démontrant leur caractère apocryphe : sœur Lucie n’a pas pu les rédiger elle-même tant ces lettres contiennent de grossières erreurs qui aboutissent à falsifier l’authentique message de la très Sainte Vierge.

Les exigences du Ciel concernant la Russie y sont occultées : « La consécration du monde, telle que Notre-Dame l’a demandée », peut-on lire dans la lettre adressée à Maria de Bélem, datée du 29 août 1989. Or, redisons-le, la requête de Notre-Dame est une demande de consécration, non pas du monde, mais de la Russie et de la seule Russie !

LA LETTRE À WALTER NOELKER, DITE DE SŒUR LUCIE.

Voici les passages essentiels de notre article intitulé “ Quant aux lettres dites de sœur Lucie, ce sont des faux ”, publié en mai 1990 dans La Contre-Réforme catholique :

Le journaliste Stefano Paci annonce que sœur Lucie a envoyé à la revue Trente jours trois lettres traitant de la consécration de la Russie, et il cite intégralement la lettre au Père Paul Kramer, datée du 21 novembre 1989, reproduite dans La Contre-Réforme catholique de janvier 1990. Cette lettre est un faux ; nous l’avons démontré.

La deuxième lettre est, à coup sûr, celle adressée à Maria de Bélem, du 29 août 1989, toujours la même. Et l’autre, adressée à Walter Noelker, n’a jamais été publiée, mais nous en possédons la photocopie. Elle est écrite en portugais, dactylographiée, datée du 8 novembre 1989.

La voici traduite par nos soins :

J. † M.

Sr. Walter M. Nœlker

Pax Christi.

J’ai reçu votre lettre et je viens répondre à votre question : « Has the Collegial Consecration of Russia to the Immaculate Heart of Mary been made, according to the Blessed Mother ? La consécration collégiale de la Russie au Cœur Immaculé de Marie a-t-elle été faite selon les demandes de la Vierge Marie ? »

Oui, elle a été faite, telle que Notre-Dame l’a demandée, le 25 mars 1984.

Cette consécration a été faite par S. S. Pie XII, le 31 octobre 1942, avec une mention voilée de la Russie, mais que Dieu a bien comprise. L’on me demanda après coup si elle avait été faite comme Notre-Dame l’avait demandé. Je répondis que non, car il lui manquait l’union avec tous les évêques du monde, et comme cette consécration est un appel à l’union de tout le Peuple de Dieu, cette condition est indispensable.

Le Saint-Père Paul VI l’a faite ensuite à Fatima, le 13 mai 1967. On m’interrogea après coup pour savoir si elle avait été faite comme Notre-Dame l’avait demandé. J’ai répondu que non. Il lui manquait l’union avec tous les évêques du monde.

Le même Souverain Pontife Paul VI l’a faite lors du Sacré Concile avec la participation de nombreux évêques. L’on m’interrogea ensuite pour savoir si elle avait été faite comme Notre-Dame l’avait demandé, je répondis que non, car elle ne devait pas être faite avec tous les évêques réunis dans une salle, mais il fallait que chaque évêque dans son diocèse la fasse avec le peuple de Dieu dont il est le guide, en union avec le Saint-Père qui est le représentant suprême et universel du Christ sur la terre ; elle est faite au Cœur Immaculé de Marie, Mère du Christ et de tout le peuple de Dieu, le Corps mystique du Christ dont elle est la Mère, le peuple de Dieu qui lui est consacré pour que, par Elle, avec le Christ, elle soit offerte au Père pour le salut du Monde.

Elle fut faite aussi à Fatima par le Saint-Père Jean-Paul II, le 13 mai 1982. Ensuite l’on me demanda si elle avait été faite dans les conditions demandées par Notre-Dame. J’ai répondu que non. Il manquait, comme précédemment, l’union avec tous les évêques du monde, et comme la consécration était un appel à l’union de tout le peuple de Dieu, cette condition était indispensable.

Finalement, ce même Souverain Pontife Jean-Paul II écrivit à tous les évêques du monde pour leur demander de la faire chacun dans son propre diocèse avec le Peuple de Dieu confié à sa garde, en union avec Sa Sainteté. Il ordonna que la statue de Notre-Dame de Fatima fût apportée à Rome et, devant cette image, en union avec tous les évêques du monde, unis à Sa Sainteté, avec tout le Peuple de Dieu, il fit cette consécration, à Rome, publiquement devant l’image de Notre-Dame de Fatima, le 25 mars 1984.

Après, l’on me demanda si elle avait été faite comme Notre-Dame l’avait demandé. Je répondis que OUI.

Coïmbre, 8 – XI – 1989
Sœur Lucie (signature)

NOS REMARQUES ET CRITIQUES.

Cette lettre, dans ses premières lignes, est semblable à celle qui fut adressée à Maria de Bélem, le 29 août 1989. On y retrouve la mention de cette consécration que le pape Paul VI aurait faite à Fatima en 1967 : une pure invention !

Vient ensuite un complément. Il semble en effet que le rédacteur de ces lettres apocryphes ait appris, entre le mois d’août et le mois de novembre de cette année 1989, qu’à la fin de la troisième session du concile Vatican II, Paul VI avait rappelé l’acte de consécration du monde effectué par Pie XII en 1942. D’où cette addition afin de montrer que ce n’est pas Paul VI en 1964, mais Jean-Paul II en 1984 qui a répondu à la demande de Notre-Dame. Seul Jean-Paul II aurait accompli la consécration en union avec les évêques comme le veut Notre-Dame. Voyons par quel raisonnement l’auteur de cette lettre tente de l’établir.

« Le même Souverain Pontife Paul VI, écrit-il, a fait la consécration lors du Sacré Concile avec la participation de nombreux évêques. L’on me demanda, ensuite, si elle avait été faite comme Notre-Dame l’avait demandé, et je répondis que non, car elle n’aurait pas dû être faite avec tous les évêques réunis dans une salle... »

Une telle affirmation est stupide. Les dirigeants de l’Armée bleue, comme les experts de Fatima, ont toujours considéré que la consécration de la Russie aurait pu et même aurait dû être faite lors de la réunion du concile Vatican II. Ainsi John Haffert, l’abbé Richard, le Père Simonin, etc. Citons le Père Antonio Maria Martins, qui a publié de nombreux documents, ainsi que des commentaires historiques et théologiques du message de Fatima : « La Providence divine offrait au pape Paul VI une opportunité excellente avec la réunion du Concile, de faire la consécration demandée, avec tous les évêques réunis à Rome à cette occasion. » (Fatima e o Coraçao de Maria, éd. Loyola, 1984, p. 102)

Jusqu’en ce mois de novembre 1989, jamais sœur Lucie n’avait exposé le message de Tuy en affirmant que l’acte de consécration devrait être fait obligatoirement par les évêques chacun dans son diocèse, et non pas lors de la réunion d’un Concile ; elle avait toujours expliqué que le Pape pourrait choisir l’une ou l’autre solution. Le Père Joaquin Alonso connaissait tous les documents de Fatima. Or, il précise que sœur Lucie a simplement indiqué que, pour accomplir la demande de Tuy, les évêques devraient faire la consécration « en même temps » et il envisage qu’elle puisse être effectuée par le Pape et tous les évêques réunis en Concile (Fatima ante la Esfinge, éd. Sol de Fatima, p. 107 et 115).

De plus, lors du parloir du 21 mars 1982, sœur Lucie a dit au nonce apostolique, Mgr Portalupi, que pour accomplir la demande de Notre-Dame, le Pape pourrait, s’il le désire, réunir tous les évêques en un lieu de la terre !

Il est clair que la condition exposée dans cette lettre adressée à Nœlker : « Les évêques devaient obligatoirement faire la consécration dans leur diocèse... », est absolument étrangère au message de Fatima. Un tel texte ne peut donc être attribué à sœur Lucie. Ce seul détail prouve le caractère apocryphe de cette lettre.

Si l’acte du 21 novembre 1964 n’a pas correspondu à la demande de Notre-Dame, c’est avant tout parce que le pape Paul VI n’a pas accompli l’acte qui lui était demandé, de réparation et de consécration de la Russie et de la seule Russie.

Le Père Alonso écrivait : « Finalement, le 21 novembre 1964, lors du discours de clôture de la troisième session du Concile, il manquait quelque chose d’essentiel à cette consécration : la consécration de la Russie. » Mais cela, le rédacteur de cette lettre ne pouvait le signaler, puisque c’est aussi ce qui a cruellement manqué dans l’acte du 25 mars 1984 !

Pressé d’en finir avec son travail de faussaire, le rédacteur de ce texte, très probablement Mgr Luciano Guerra, a oublié d’assurer “ son correspondant ” de ses prières, comme le faisait habituellement sœur Lucie. La lettre s’achève brutalement sur le “ Oui ” mensonger !

(Ces lettres sont des faux, CRC no 267, mai 1990)

SANS RÉPLIQUE DE PERSONNE !

Telle est la démonstration que nous avons publiée en mai 1990, et demeurée jusqu’à ce jour sans réplique de personne.

Néanmoins, dix ans plus tard, dans le dossier romain du 26 juin 2000, qui accompagna la divulgation au monde du troisième Secret, Mgr Tarcisio Bertone cita une phrase de cette lettre apocryphe, comme si elle exprimait la pensée de sœur Lucie.

Ce qui est totalement occulté dans ces documents apocryphes et mensongers, c’est la raison d’être de la demande de consécration de la Russie, à savoir établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

On ne le soulignera jamais assez, dans les authentiques révélations de Fatima, « en 1929, comme déjà en 1917, la consécration de la Russie est mise en conjonction nécessaire avec l’œuvre de pure dévotion et charité réparatrice des premiers samedis du mois, l’une et l’autre demande ayant pour intention la gloire et la consolation, la louange et l’amour du Cœur Immaculé de Marie, établis dans le monde entier. » (Georges de Nantes, Cet adorable Secret, notre unique espérance, CRC no 279, janvier 1992, p. 3)

Frère François de Marie des Anges