XI. Les vertus chrétiennes

Oui, Dieu existe. Il nous aime. Par son Fils Jésus-Christ et son Église qu’anime l’Esprit-Saint il répand en nous, baptisés, sa vie divine pour nous élever jusqu’au partage de sa Pensée, de ses Desseins, de ses Amours, faisant dès ici-bas vraiment société avec Lui. Cette « divinisation » est réelle, elle produit en nous la « grâce sanctifiante ». Celle-ci est, dit saint Thomas, « entita­tive » ; c’est le fond de notre être qui est sanctifié, divinisé. Comme on dirait d’une sève miraculeuse vivifiant le tronc d’un arbre mort. Poursuivant sa montée, la sève gagne les branches maîtresses, pousse jusqu’aux mille rameaux et ramilles, pour former feuilles et fruits. Ainsi la grâce, d’abord « infuse » au centre de l’âme, diffuse sa vie, sa force, autrement dit ses « vertus » divines dans les maîtresses facultés de notre âme et s’en va, de là, réveiller, revitaliser, féconder ses vertus naturelles, apprises ou acquises précédemment.

Cependant qu’elle inonde nos facultés, la grâce invisible se laisse voir davantage par les actes de ces vertus, par les œuvres de ces habitudes saintes qui excèdent étonnamment les capacités naturelles de l’intelligence, de l’affectivité, de la volonté de l’homme ordinaire, sans parler du développement nouveau, pres­que plus frappant encore, de ses facultés morales.

C’est un épanouissement de tout l’être dans le Christ et dans l’Église, par le moyen de la prière et de la pratique des sacrements, qui tend à lui rendre sa perfection originelle, « à l’image et à la ressemblance de Dieu », son Créateur, et plus encore, en participation de sa vie, en union constante à son être, en communion avec ses trois divines Personnes. Quel étrange homme que le chrétien ! Quel transfiguré !

LES VERTUS THÉOLOGALES

Couronnement de la ViergeComme le soleil levant commence par toucher et illuminer les cimes, la grâce divine touche l’homme par les trois sommets de ses facultés spirituelles les plus proches de Dieu, si l’on ose dire ! les plus aptes à s’émouvoir à son contact, à s’habituer à lui, à le saisir pour en user et en jouir (“ uti et frui”, dit saint Thomas avec l’audace d’une sainte familiarité). Ces premières et ces plus hautes vertus qui élèvent jusqu’à Dieu l’intelligence, l’affection et la volonté de l’hom­me, la foi, l’espérance et la charité, sont dites théologales, parce qu’elles viennent de Dieu, elles nous ouvrent à Dieu, elles nous conduisent de tout leur mouvement à la Vie éternelle auprès de Lui.

On peut rapporter leur triade à la Trinité des Personnes divines : Au Père est revenu de créer la foi dans les âmes justifiées, en leur faisant entendre la Parole de son Fils et en leur prouvant sa divinité par le grand miracle de sa résurrection, le jour de Pâques. Au Fils, de former en nous l’espérance par le salut qu’il nous a mérité sur la Croix et le désir de le rejoindre qu’a déclenché en nous son Ascension, fixant nos regards au Ciel où il est avec sa Sainte Mère. Au Saint-Esprit de répandre en nos cœurs l’Amour même de Dieu, nous faisant aimer tout ce qu’Il aime, comme il donna aux Apôtres le jour de la Pentecôte. Croire, espérer, aimer, commencement terrestre de la joie et de la béatitude chrétiennes !

LA LUMIÈRE DE LA FOI

« La foi est une vertu surnaturelle par laquelle nous croyons fermement toutes les vérités que Jésus-Christ nous a révélées et qu’il nous a enseignées par son Église. » (quest. 300)

On prend trop la foi pour un sentiment personnel, une libre opinion, voire un pari. Elle est, beaucoup plus solidement, un acte de l’intelligence embrassant la vérité qui lui est annoncée, enseignée de la part de Dieu. Et, à partir du jour où elle accepte, où elle croit, cette foi divine demeure en l’âme comme une vertu, une inclination de plus en plus facile et forte à retrouver cette certitude première et à renouveler l’acte qui l’affirme et qui en jouit ; c’est en effet la « joie de la vérité »qui caractérise la certitude intellectuelle.

Il a fallu évidemment que Dieu par sa grâce, par une lumière spéciale, élève l’intelligence et la rende capable de saisir la vérité de sa Révélation. Non qu’elle puisse la démon­trer par raison et science, non qu’elle la pénètre avec évidence. C’est plus mystérieux. Elle acquiert la certitude que Dieu a parlé, par l’interprétation des signes et des miracles ; et la certitude qu’en parlant ainsi il ne trompe pas et, Lui-même, qu’il ne peut se tromper. Mais enfin, mais bien plus, le chrétien, ce « fils de Dieu », saisit par « connaturalité »la vérité même des mystères divins, les savoure et pénètre comme dignes de Dieu, vrais de Dieu, beaux et bons, définitifs, absolus comme Dieu.

Aussi la foi, quoiqu’elle ait des préliminaires et des aides naturels, rationnels, scientifiques, est-elle l’acte le plus élevé que puisse en ce monde obscur produire l’intelligence humaine. Sa vertu plane dans les hauteurs de Dieu, son regard découvre des espaces infinis. Sa certitude dépasse toutes les autres et les enveloppe toutes.

Une autre erreur de notre époque est de penser qu’un chrétien peut “ perdre la foi ”, sans même y faire attention, et sans le vouloir. Comme on perd un portefeuille ou son chapelet, par distraction, sans faire exprès. Rien n’est plus faux. D’abord, Dieu n’ôte pas sa grâce quand une fois il l’a donnée. À moins de trahison ! Ensuite, la certitude de la Vérité qui habite l’âme ne se perd pas plus qu’un palais de marbre ne disparaît d’une ville un beau matin sans laisser de trace. Il faut un rude labeur pour démolir en soi la foi ! Et comme elle répond à toute question, terrasse toute critique, on perd la foi par un acte aussi sauvage, aussi pernicieux qu’un fou, un sadique s’arracherait les yeux.“ Les yeux de la foi ”, déjà ouverts sur les magnificences de Dieu, ne peuvent s’en détourner et se fermer sans grand mal. C’est un véritable suicide spirituel. Au contraire, tenir ses yeux ouverts, leur regard intensément fixé sur sa beauté, c’est plaire à Dieu et s’acquérir toutes ses grâces et ses bontés salutaires. « Car le juste vivra par sa foi. » (Hb. 10, 38)

Disons donc avec toute l’Église : « Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous avez révélées et que vous nous enseignez par votre Église, parce que vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper. » (quest. 304) Et sachons que la foi est une douce union de la cime de l’âme avec Dieu, dans un nourrissement et un abreuvement continuels par ce pain et ce vin de la Parole divine qui est Jésus-Christ vivant et venant. C’est Lui qui, rencontrant la foi en notre âme, y suscite l’espérance de dons nouveaux et ineffables, et enfin l’amour de tout Dieu et de tout ce que veut Dieu.

LA FORCE DE L’ESPÉRANCE

« L’espérance est une vertu surnaturelle par la­quelle nous attendons de Dieu avec une ferme con­fiance, sa grâce en ce monde et le bonheur éternel dans l’autre. » (quest. 305)

Cette seconde vertu théologale est branchée sur la première, la foi, comme toujours nos affections proviennent du choc sur notre sensibilité spirituelle, sur notre être tendanciel, de la connaissance des autres. Bons mais lointains, nous les désirons ; mauvais nous les craignons. Présents, nous aimons les bons et en jouissons ; nous détestons et haïssons les mauvais. Tels nous sommes aussi au choc de la Révélation divine. Ce que notre foi nous montre de Dieu et de ses promesses est si merveilleux que nous désirons encore et encore cette grâce qui nous tient unis déjà à Lui par la foi, et la grâce que suppose la force surhumaine de ce désir même, et toujours plus, encore plus, la charité, tous les biens surnaturels qui nous attachent plus étroitement à Lui, et les bonnes œuvres qui Lui plaisent. Qu’enfin Il nous prenne complètement avec Lui, dans son Ciel, à jamais.

C’est une polarisation de nos affections qui peut aller à une sainteté parfaite, nous portant à désirer tout ce qui concourt à cette espérance et craindre tout ce qui nous en pourrait détourner ou ralentirait notre marche.

Comme ce bien désiré est hors de notre portée, Dieu ! le ciel ! la grâce ! les vertus ! c’est par la foi aux promesses divines contenues dans la Révélation que nous osons espérer tenir tous ces biens, jour après jour, de la pure bonté et fidélité de Dieu. Mais déjà ses promesses sont en cours de réalisation, et c’est «en vertu des mérites de Jésus-Christ notre Sauveur »que malgré nos impuissances et nos fautes, nous avons la ferme confiance d’être des prédestinés pour lesquels le Sang d’un Dieu n’aura pas coulé en vain. Ce qui n’empêche pas, au contraire ! de s’efforcer en même temps de faire tout notre possible pour aider à l’œuvre de notre propre salut.

On ne perd pas, non plus que la foi, l’espérance par hasard, sans le vouloir. Pas plus qu’on ne se la procure par ses propres forces. C’est un don de Dieu, qu’Il ne nous enlève que si nous nous acharnons contre lui. Soit par arrogance et présomption. Soit par découragement et désespoir. S’arracher la véritable vertu d’espérance est aussi fou que serait de s’arracher la tête. Disons donc humblement, filialement : « Mon Dieu, j’espère avec une ferme confiance que vous me donnerez, par les mérites de Jésus-Christ, votre grâce en ce monde et le bonheur éternel dans l’autre, parce que vous l’avez promis et que vous êtes bon et fidèle dans vos promesses. » (quest. 308)

On peut ajouter l’incise, conditionnelle : « si j’observe vos commandements ». Et il est vrai qu’assuré de mon salut, il faudrait encore « que je me le gagne », comme disait sainte Bernadette. Mais j’aime mieux ne pas mêler mes obligations à mon acte d’espérance. Parce que, serais-je aussi chargé de péchés que Caïphe et que Judas, je n’en cesserais pas pour autant et malgré tout de crier à Dieu ma sûre espérance, à cause de sa miséricorde, contre toute justice et raison !

Gardons cette douce confiance en Dieu, qui nous fait désirer, demander, attendre de lui ces biens qu’il veut lui-même nous donner, car déjà dans cette union des affections commence à poindre dans nos volontés l’Amour, l’amour surnaturel de Dieu, de ses bienfaits, de sa pure bonté et beauté, de sa Gloire. C’est le mouvement d’invasion de la vie divine en nous qui nous porte de la foi à l’espérance, et de celle-ci à l’Amour.

L’ARDEUR DE LA CHARITÉ

« La charité est une vertu surnaturelle par la­quelle nous aimons Dieu plus que toute créature, et le prochain comme nous-mêmes pour l’amour de Dieu. » (quest. 309)

Quoiqu’il soit souverainement aimable en Lui-même et très bon dans toute son œuvre créée, mise à notre disposition, Dieu n’est pas aimé, Dieu n’est pas apprécié par l’homme naturel, blessé par le péché originel, inerte et stupide même en présence de tant de merveilles. Le déisme est la chose la plus raisonnable mais la plus froide du monde. On voit bien qu’il faudrait aimer et on n’aime pas pour autant.

C’est la foi, mais la vraie et unique foi chrétienne, la foi catholique, accompagnée d’une grâce nouvelle qui seule engendre l’espérance et, partant, aidée d’une autre grâce encore, la charité.

Déjà notre froideur naturelle, coupable, change lorsque Dieu nous fait connaître son être intime, sa Trinité, vie débordante de Sagesse et d’Amour, son Incarnation du Verbe et notre Rédemption, enfin ses grands des­seins de miséricorde. Il y a là de quoi nous émouvoir ! Mais voici qu’Il s’approche et éveille notre désir de Lui, de sa grâce, de sa présence, par toutes les bontés de l’Église, ses beautés, ses inoubliables et attachantes sollicitudes qui attirent notre cœur et augmentent notre espérance de jouir de Lui dans toute sa grâce, dès maintenant, et dans sa gloire éternellement ! Alors s’éveille en notre âme, enfin ! la volonté souveraine de le chérir et d’en être chéris. Mais c’est encore une grâce que cette ardeur d’amour pour un Être si saint, si haut, si loin de nous ! « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. » (Rom. 5, 5) Ce n’est pas tellement nous qui aimons Dieu ; c’est bien plutôt lui qui se fait aimer de nous à la mesure de sa grâce... Cela monte comme la mer, par ondes successives.

D’abord nous sommes heureux, par une grâce intime, de tout ce qui dans le monde visible nous vient de Dieu intime, non pas l’air, l’eau, la lumière, le pain et le vin, mais les instruments de sa grâce, les sacrements de l’Église, le dé­vouement de nos proches, la charité d’inconnus, le sourire des saints. À travers leur beauté, leur bonté mystérieuses, ce que nous aimons déjà, c’est la bonté de Dieu pour nous. Charité encore imparfaite.

Puis, les ardeurs de l’amour croissant, notre volonté se porte sur Dieu lui-même, tel que sa Révélation nous le fait connaître et nous voulons sa gloire, nous chérissons sa Vie trinitaire, sa sainteté. Notre amour se fait admiratif, adorant, excellent, préférant. C’est alors seulement la charité parfaite.

S’ensuit une union plus profonde des volontés, la nôtre embrassant celle de Dieu quelle qu’elle soit. Tout ce qu’il veut, tout ce qu’il fait est adorable à celui qui est devenu son fils et le disciple de son Verbe, le confident de son Esprit-Saint. Or, si Dieu aime mon prochain, comment pourrais-je ne pas l’aimer avec Lui, comme Lui, pour Lui plaire et Lui demeurer uni ? S’il le veut avec moi, s’il lui pardonne comme à moi, s’il le sauve autant que moi, comment ne l’accepterai-je pas, ne lui pardonnerai-je pas ? Comment ne désirerai-je pas pour lui le même bien qui est pour moi le vrai bonheur de la vie et de l’éternité : la grâce divine en vue de la béatitude du Ciel ?

Aussi la marque de la charité envers Dieu est-elle bien la charité envers le prochain, jusqu’à y accueillir et garder l’adversaire, le malfaiteur, le persécuteur, l’ennemi. La mesure de la charité est le pardon des injures, avec Jésus qui nous pardonne à tous : « Si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. » (Mtt. 25, 40) Jésus souffrit Judas jusqu’au bout, jusqu’au baiser de Gethsémani, et il pardonna à ses bourreaux. Tous étaient encore à cette Heure dans le Cœur du Père qu’Il aimait.

Enfin, comme l’amour de Dieu n’étreint pas son objet, il se nourrit de dévouement et de miséricorde envers le prochain. Et ces grandes « œuvres de miséricorde » touchent le Seigneur comme si elles lui étaient faites à lui-même (Mtt. 24). Disons donc : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et plus que toutes les créatures, parce que vous êtes infiniment bon, infiniment aimable, et j’aime mon prochain comme moi-même pour l’amour de vous. » (quest. 312)

D’un tel amour découlent toutes les vertus...

TOUTES LES VERTUS NATURELLES

«Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. »(Mtt. 6, 33) La foi, l’espé­rance et la charité sont tout orientées vers la connaissance de Dieu plutôt que du monde, vers l’accueil de la grâce et de la vie de Dieu dans l’oubli des autres choses et personnes, vers l’union pleine et entière au Père, au Fils et au Saint-Esprit, de préférence à aucune créature. Théologales, mystiques devrait-on dire, ces trois vertus ont Dieu pour cause et pour motif, pour objet et pour unique fin.

Il n’empêche que connaissance, espérance et amour de Dieu diffusent leur sainteté, sagesse et perfection en tout l’appareil naturel de l’être humain et l’orientent dans toutes ses actions selon les volontés de Dieu proclamées et les inspirations secrètes de son Bon Plaisir. Il en résulte que toutes les vertus morales, apprises et acquises, déjà commandées par l’éducation et pratiquées par tout homme honnête vivant en société, en reçoivent un « surcroît » de justesse et de force. De spontanées qu’elles étaient et naturelles, elles entrent dès lors dans la sphère de la grâce chrétienne et participent à la vie surnaturelle, recevant leur forme du Christ lui-même par l’Esprit-Saint qui opère en nous et les affine encore de ses sept dons.

Les quatre vertus cardinales et tout leur cortège de vertus secondaires en deviennent au premier chef des vertus chrétiennes. Les voici, sous leur robe neuve, don divin.

LA PRUDENCE, nouvelle et combien plus attentive du fait de la foi chrétienne ! conduit l’âme à distinguer et choisir en toutes circonstances ce qu’il convient de faire pour conserver l’état de grâce, pour gagner la vie éternelle, pour aider le cher prochain à grandir dans l’amour de Dieu. Bon sens, discernement, discrétion, circonspection en découlent, sous la mouvance évidente de la charité filiale et fraternelle.

LA FORCE, nouvelle quand il s’agit de gagner des biens qui occupent tous nos désirs et nourrissent notre espérance, fournit l’énergie des décisions et des actions qui triomphent des obstacles, tendances, sentiments et raisons contraires, pour l’accomplissement de toute volonté divine et la poursuite de tout ce qui peut concourir au bien, au salut du prochain et au nôtre, à la gloire de Dieu. Magnanimité, patience, constance s’y rattachent. Mais ce sont les trois vertus théologales qui suscitent cette force neuve, capable d’héroïsme et de sainteté.

LA JUSTICE estime ce qui est dû à chacun et le lui procure. Mais il ne s’agit plus seulement de « justice com­mutative » ou commerciale, contractuelle, ni de « justice distributive » ou sociale, honorant chacun selon ses droits et dignités, ni de « justice légale », acquittant les obligations et charges du citoyen vis-à-vis de l’État. Sous la motion des trois vertus théologales, la justice est tout orientée vers le Royaume de Dieu, le salut des âmes et d’abord le nôtre, par une charité sans limites envers Dieu et envers le cher prochain. C’est dire qu’une telle justice ira bien au-delà des prescriptions légales et des exigences naturelles.

Son premier souci sera la religion, qui est la première et souveraine justice, justice envers Dieu, et sa mesure, dit saint Bernard, est d’être sans mesure ! Son second souci, bientôt associé au premier, c’est la charité envers tout prochain « pour lequel le Christ est mort ». C’est dire qu’elle se tournera en dévouement et bonté, eux-mêmes sans mesure. Oui, sans mesure et pourtant juste encore. Sans mesure dans le cœur du chrétien qui ne veut mettre aucune limite à sa charité. Mais cependant mesurée, limitée dans ses actions par les nécessités de la vie, les équilibres des choses et le droit des gens. Ainsi règne l’océan de la charité dans les mille alvéoles de la justice.

LA TEMPÉRANCE du chrétien, en devenant surna­turelle, change totalement de règle pour sagement pourvoir à la satis­faction des besoins naturels et modérer la recherche des jouissances de la chair, des yeux et de l’esprit. Au lieu de s’occuper à bien vivre sur terre dans l’harmonie des satisfac­tions, joies et plaisirs que la diversité des choses lui offre, le chrétien est tout absorbé dans les œuvres de sa triade théologale, la pensée, l’espérance, l’amour des choses du Ciel. C’est assez dire qu’il réduira, le plus qu’il pourra, l’espace et le temps laissés aux joies et plaisirs terrestres, pour s’employer davan­tage et mieux aux joies surnaturelles.

Ainsi feront florès, dans les âmes chrétiennes, ces chers excès de tempérance que sont les belles vertus d’abstinence, de sobriété, de chasteté, de virginité, de continence, de mansuétude, et de pénitence. Odieuses à la nature, chacune s’inscrira facilement dans la tempérance surnaturelle de l’âme toute dévouée à Dieu et au cher prochain plus qu’à elle-même.

Tel est l’équipement de vertus, c’est-à-dire de «forces » et d’«habitudes » saintes, donné par le Christ à son disciple pour mener victorieusement le combat chrétien et accomplir l’œuvre de son salut en même temps que de celui de ses frères. La paix et la joie qui ruissellent en lui de la grâce sanctifiante et de la lumière, de la force, de la chaleur des trois vertus théologales, le poussent au combat, à la gloire, avec le sentiment d’une liberté qui ne demande qu’à se déployer.

En effet l’être surnaturel entraînant dans son mouvement toutes les facultés et toutes les fonctions, psychiques, orga­niques, le chrétien fait le bien, évite le mal spontanément, librement et doit parvenir à la sagesse, à l’héroïsme des vertus, à la perfection de la sainteté. Il ne se sent plus esclave, ou alors esclave volontaire ! Il se sait fils, et disciple, et ami de Dieu. Or «si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? »(Rom. 8, 31) Il goûte dès ici-bas à «la sainte liberté des enfants de Dieu. »