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Pétain à Douaumont ! Verdun 1916

Pétain au défilé de la Victoire

L’AN dernier, nous étions en Artois. Ce sont les noms de Notre-Dame-de-Lorette, Vimy, Souchez, Thélus qui ont sonné à nos oreilles... Ce sont les noms de Foch, d’Urbal, Pétain. Cette année c’est Verdun, la sœur cadette de Notre-Dame-de-Lorette, avec d’autres noms de souffrance, de gloire et de sacrifice : le Mort-Homme, le fort de Vaux, le Bois des Caures, la cote 304, Douaumont... l’enfer de Verdun. D’autres hommes : Driant, Raynal, Doncœur, Détrie, Nivelle, Pétain. Le cas “ de Gaulle ” est réglé : il s’est rendu aux Allemands au plus fort de la bataille, le 2 mars, devant Douaumont, à l’encontre des ordres formels reçus. Nous n’en parlerons pas.

Jusqu’à ce moment, Pétain avait eu un avancement fulgurant dû au constant succès de ses offensives dont il avait su adapter les moyens aux objectifs. Sa renommée avait grandi, elle n’était pas encore exceptionnelle. Brusquement son nom est lié à la bataille de Verdun, la plus grande et affreuse bataille de l’histoire de France.

Certes à la guerre l’héroïsme est partout, éclatant ou obscur. Il n’a pas manqué dans les siècles, dans les victoires et les défaites. Mais nulle part autant d’héroïsme n’avait été exigé des hommes. Aussi le nom de Verdun est-il devenu le symbole de la France en guerre. Il apparaît comme le résumé sanglant de tout le conflit, de ses souffrances et de ses hécatombes, au cours de luttes acharnées pour quelques mètres de terrain.

Le vainqueur de cette bataille titanesque entrait aussitôt dans le Panthéon des gloires. Pour Joffre, c’est Nivelle... nous en jugerons.

LA BATAILLE DANS SON CONTEXTE

D’après les conclusions de la conférence de Chantilly, siège du GQG, le 6 décembre 1915, la décision devait être recherchée en 1916 par des offensives concordantes sur les divers fronts. Les Russes ne pouvant être prêts avant le mois de juin, c’est vers cette époque qu’étaient primitivement prévues ces offensives alliées.

Une deuxième réunion à Chantilly le 14 février 1916 avait décidé qu’une offensive franco-anglaise serait exécutée à cheval sur la Somme, vers le 1er juillet suivant, si toutefois l’ennemi nous laissait jusque-là l’initiative des opérations.

L’arrivée en France d’une troisième armée anglaise avait d’ailleurs permis le retrait du front de la IIe armée, général Pétain, et sa mise en réserve.

Mais nos ennemis, décidés à rechercher une solution rapide de la guerre, voulurent à tout prix prévenir notre offensive, qu’ils présumaient devoir se déclencher au printemps. Aussi n’hésitèrent-ils pas à attaquer en plein hiver, et le front d’attaque choisi par eux fut celui de Verdun.

Les raisons qui semblent avoir motivé ce choix sur un front éloigné de Paris et Calais, leurs objectifs naturels, peuvent se résumer ainsi :

Verdun était la grande place forte qui, depuis des siècles, hantait les imaginations germaniques.

Notre front constituait en ce point un saillant prononcé, attaquable par conséquent à la fois par le nord et par l’est.

Le plan allemand était d’y obtenir, par une offensive foudroyante, une rupture brutale et de vive force à l’est de la Meuse.

La Meuse, dont la vallée est inondée chaque hiver sur 1 km de large, coupait en deux les positions de la défense, ce qui était pour nous un inconvénient grave.

Enfin, les Allemands disposaient en arrière du front de nombreuses voies ferrées, alors que la place de Verdun, privée de la ligne Châlons -Verdun sous le feu des canons de l’Argonne, et de la ligne de Saint-Mihiel, ne disposait que d’un chemin de fer à voie étroite de Bar-le-Duc à Verdun, le Tacot.

En vue de cette offensive, les Allemands rappellent du front oriental, à la suite de leurs victoires sur ce front, une partie de leurs effectifs et de leur grosse artillerie. En même temps, ils cherchent à nous donner le change sur leurs intentions en attaquant sur divers points de notre front : Champagne (janvier-février), Nieuport (janvier), Arras (janvier-février), Ypres, Alsace, etc. Néanmoins, dès le mois de janvier, des indices d’attaque sur le front de Verdun se précisent. Mais l’absence de travaux d’approche dans un secteur jusque-là calme, et où les tranchées adverses sont souvent éloignées de 800 à 1000 mètres, empêche notre haut commandement de croire à l’imminence de l’attaque. Il craint que ces indices d’offensive ne soient une feinte destinée à masquer une attaque sur un autre front. Aussi, hésite-t-il encore à déplacer ses réserves.

Au 21 février, date de l’attaque allemande, la région fortifiée de Verdun, sous les ordres du général Herr, s’étendait d’Avocourt au nord-ouest de Verdun à Saint-Mihiel au sud-est. Verdun n’était plus qu’un point d’appui. Les forts avaient été vidés de leur matériel et leur artillerie répartie dans nos positions. Décision de Joffre (ordre du 5 août 1915), poursuivie encore après le déclenchement de la bataille et dont la suite a montré l’effet désastreux ! La garnison était fondue avec les troupes en campagne, Verdun n’était plus qu’un secteur du front. Son front nord, d’Avocourt à Ornes, n’était tenu que par quatre divisions, deux à droite de la Meuse et deux à gauche.

CôTÉ ALLEMAND.

Du côté des Allemands, quatre corps d’armée de choc étaient venus se masser sur le front nord, rive droite de la Meuse. Ils étaient venus s’encastrer dans l’armée du Kronprinz.

Dans la première quinzaine de février, d’énormes masses d’artillerie, un millier de pièces dont 640 canons lourds à tir rapide et 13 obusiers Krupp de 420 mm prenaient position sans se révéler et sans effectuer aucun réglage ; huit divisions montaient en première ligne. Dispositif parfaitement dissimulé.

CÔTÉ FRANÇAIS.

Il n’y avait, pour supporter le premier choc, que les deux divisions du 30e corps d’armée et environ 130 canons de campagne et 140 canons lourds d’un modèle ancien à tir lent. En réserve générale, deux divisions sur lesquelles le grand Quartier Général conservait une hypothèque.

Il manquait d’avoir bien défini une position de résistance derrière les premières lignes. À défaut, on dut se raccrocher, quand l’orage éclata, à la seule position de résistance qui existât effectivement, celle de la ligne des forts.

Peut-être (c’est presque certain !) aurions-nous sauvé la totalité de nos forts et « fixé » plus tôt nos adversaires si nous nous étions attachés à définir et organiser une « position de résistance » derrière les premières lignes, selon la tactique enseignée et mise en œuvre par Pétain.

PREMIÈRE PHASE
21 FEVRIER – 4 MARS.

L’ATTAQUE BRUSQUÉE SUR LA RIVE DROITE ET L’ARRÊT.

(21 février - 15 décembre 1916)

Les bombardements de l’artillerie lourde allemande, du 21 février et de la nuit du 21 au 22, précédèrent la ruée des divisions d’assaut ; nulle part encore, sur aucun front et dans aucune bataille, on n’en avait connu de pareils. Ils visaient à créer une zone de mort dans laquelle aucune troupe ne pourrait se maintenir. De formidables explosions secouaient nos forts. Feu dévastateur de plus de 2 millions d’obus.

Lorsque les troupes allemandes (60 000 hommes sur un front de 6 kilomètres) se portèrent en avant le 21 après-midi puis le 22 matin, après une nuit où l’artillerie avait repris sans interruption son pilonnage infernal, elles espéraient progresser l’arme à la bretelle.

Quelle ne fut pas leur désillusion de voir que partout des Français surgissaient des décombres et défendaient, loqueteux et épuisés, les ruines de tous leurs points d’appui.

Prenons l’exemple de la résistance des chasseurs de Driant.

LE BOIS DES CAURES.

Dans le bois des Caures veillaient les 56e et 59e bataillons de chasseurs du colonel Driant, avec quelques éléments du 165e régiment d’infanterie, en tout quelque 1 200 hommes ; 6 batteries de 75 et 8 batteries lourdes les appuyaient. Ils furent assaillis par les quatre régiments de la 21e division soit 8 000 à 10 000 hommes, que soutenaient 7 batteries de 77 et environ 40 batteries lourdes. Le bombardement préparatoire les avait littéralement écrasés ; la plupart des abris s’étaient effondrés sous les explosions ; les pertes, avant l’assaut, étaient très élevées. Nos chasseurs tinrent cependant à l’intérieur du bois, cernés de tous côtés, pendant près de vingt-quatre heures. Le colonel Driant, avec le fourrier Leclère et le chasseur Papin, qui ne l’ont pas quitté, est dans un trou d’obus. Papin est atteint d’une balle. Le colonel lui fait un pansement provisoire, lui serre la main, puis sort seul et se dirige vers une tranchée où le chasseur Lefèvre l’attend. Mais il y va tout droit, sous le feu des mitrailleuses, au lieu de prendre à gauche, à l’abri d’une crête, comme le faisait à ce moment le lieutenant Simon. Il était à dix mètres ; une balle l’atteint au front et on l’entend dire : « Oh là, mon Dieu ! »

Quelques minutes plus tard, le sergent Lauthez, qui franchissait la route 100 mètres plus au sud, aperçut le colonel immobile à l’endroit où la mort l’avait pris. Pas plus que le chasseur Lefèvre, sous la pluie de balles, il ne peut aller jusqu’à lui. Tout près de là passait à ce moment le commandant Renouard qui se dirigeait droit au sud ; il disparut derrière une crête, et personne ne le revit plus.

Le magnifique groupe Driant n’existait plus ! Descendirent seuls, ce soir-là, du bois des Caures, en petites fractions qui se rassemblèrent peu à peu à Vacherauville :

– du 56e bataillon : cinq officiers avec une soixantaine de chasseurs,

– du 59e bataillon, trois officiers avec 50 chasseurs.

C’est tout ce qui restait des 1 200 combattants.

DRIANT, PARFAIT OFFICIER FRANÇAIS

Franc catholique, entré à Saint- Cyr en 1875, sorti quatrième, promis aux plus hauts postes de la hiérarchie militaire.

Après l’affaire des fiches, en 1904, Driant manifeste haut et fort son indignation devant ses officiers. Il crée deux ligues : la ligue antimaçonnique pour les hommes, la ligue Jeanne d’Arc pour les femmes.

La célébration de la bataille de Sidi-Brahim, qu’il organise à Troyes, débute par une messe à laquelle participe librement une partie de son bataillon. Le ministre de la Guerre demande des explications. La presse s’empare de l’incident et publie la réponse de Driant à ses supérieurs. Il écope de quinze jours d’arrêts de rigueur et décide de démissionner de l’armée.

Quand, en 1911, Joffre est choisi, parce que franc-­maçon, pour diriger l’ensemble du grand état-major français, Driant, alors député de Nancy, proteste contre cette no­mination. Laperrine lui dit qu’au Soudan Joffre s’était montré au-dessous de tout.

À l’entrée de la guerre, Driant a cinquante-neuf ans. Son âge et son mandat de député l’écartent de toute obligation militaire, car un député ne doit pas risquer sa vie sur le front ! Il demande cependant à reprendre du service et obtient le commandement des 56e et 59e bataillons de chasseurs.

C’est à l’automne 1915 qu’il prend en charge le secteur du bois des Caures devant Verdun. Cette même année 1915, faisant partie de la commission de l’Armée de la Chambre, il alarme les élus et même le président de la République sur la très grande insuffisance des moyens de défense de la Région Fortifiée de Verdun (RFV), sans préjuger d’une attaque sur la ville, qu’on n’imaginait pas.

Le 1er décembre, il en fait état de nouveau auprès de la commission de l’Armée. Gallieni, ministre de la Guerre, transmet à Joffre qui prend très mal la chose et ne trouve rien d’autre à faire que d’offrir sa démission, évidemment refusée.

QUELQUES JOURS DE GRANDE CONFUSION...

Dès le 21, le GQG mettait en route deux corps d’armée vers le front. Le tableau qu’en fait le général Pétain est celui d’une absence totale d’organisation :

« Les troupes du 30e corps d’armée déployaient une vaillance étonnante et presque invraisemblable. Chaque centre de résistance – bois, village, lacis de tranchées éboulées ou groupement chaotique de trous d’obus – permettait à nos unités de renouveler les exploits des chasseurs de Driant et contribuait pour sa part à briser la ruée (...).

« D’abord en camions, par la route Souilly- Verdun, puis à pied par petites colonnes utilisant tous les itinéraires qui, du nord de la place, s’élèvent vers Saint-Michel et Souville, les éléments prélevés sur les deux divisions de réserve générale se rapprochaient des lignes. Mais, dès leur débouché au-delà de la Meuse, ils étaient saisis, ralentis et désarticulés par le bombardement, entravés par les évacuations des blessés et par les convois de ravitaillement, engourdis par le froid au cours des longs arrêts que leur imposait le brusque engorgement des arrières. Aux rendez-vous indiqués, à l’entrée de leur secteur d’engagement, les unités montantes cherchaient les guides désignés pour les conduire, mais pourchassés de place en place par les explosions et les gaz, errant eux-mêmes dans la bagarre, les guides faisaient souvent défaut... Alors les sections et les compagnies de renfort marchaient à l’aventure, droit au nord, progressaient sous la fumée et parmi les bruits assourdissants de la bataille et, soudain, se heurtaient à l’adversaire, s’accrochaient, lui opposaient, en attendant mieux, le rempart de leur corps. Sans contacts à droite et à gauche, sans liaison avec l’artillerie, sans mission précise, sans tranchées pour s’abriter, sans boyaux pour assurer leurs communications, elles formaient barrage là où le sort les amenait. »

Le 20e corps... se dirigeait lui aussi, sans reconnaissance préalable, sur le môle de Douaumont qui devenait le pivot et l’enjeu de la lutte ; il se mêlait au 30e corps, bouchant au mieux les trous béants. Et peu à peu les premières lignes, quoique brouillées et désordonnées, prenaient une certaine consistance.

Plus loin encore, deux autres corps, amenés en toute hâte par les voies ferrées de la Marne, commençaient à débarquer les 24 et 25. Nos groupements d’artillerie se renforçaient, pêle-mêle, par appoint des batteries disponibles des nouveaux corps d’armée.

Citons le Père Doncœur, aumônier militaire à la 28e brigade sur les « impressions » ressenties au cours des premiers jours. Le 26 février, sa brigade est dirigée sur l’un des points les plus menacés, entre le fort de Vaux et la batterie de Damloup. Elle prend position sous un déluge de fer et de feu, sur un terrain bouleversé par l’artillerie de gros calibre :

« Nous étions dans les ouvrages avancés du fort de Vaux et venions de vivre les journées les plus affreuses de la guerre. L’attaque avait bousculé toute la ligne de défense (...). L’artillerie écrasait les forts. La confusion était extrême. Très isolés, sans renseignements et sans ordres, nous sentions craquer le front de Verdun. L’ennemi triomphait et soutenait son assaut d’un rythme forcené... Le matin, ayant célébré la sainte Messe dans un couloir de la batterie de Damloup, j’avais dit à mes hommes serrés d’angoisse qu’il fallait forcer la pitié de Dieu par une imploration suprême. Après la communion, une liaison était arrivée. Elle portait l’ordre de tenir à tout prix, la menace du conseil de guerre à tout chef qui donnerait un ordre de repli. Il neigeait. Les blessés affluaient... Mais, pas même le 11 novembre 1918, nous n’avons connu une telle force, presque une telle joie, nous soulever. Puisqu’il n’y avait qu’à combattre, nous combattrions. Enfin, on se sentait accroché à un sol qui ne glissait plus sous nos pieds. On était sauvé.

« Nous n’avions pas su qui avait donné l’ordre. Mais qu’importait ? Cela nous suffisait. Un chef venait de parler. »

Le chef qui venait de parler était le général Pétain, qui avait pris le commandement la veille à 23 heures.

L’ARRIVÉE DE PÉTAIN LE 25 FÉVRIER
ET PREMIÈRE ORGANISATION DU FRONT.

Il devient évident qu’une bataille de longue durée est engagée et que le commandement local ne peut la conduire seul.

Sur ordre de Joffre, Pétain, commandant la IIe armée, se rend à Chantilly le 25 février au matin. Il doit se rendre sur le front où le général de Castelnau, mandaté à cet effet, lui précisera sa mission. Il arrive à Souilly le soir même vers 7 heures où il rencontre Castelnau et de Langle de Carry. Il se documente sur la situation et apprend que le fort de Douaumont vient d’être perdu, par surprise !

Le fort a été pris par un lieutenant allemand à la tête de sa compagnie. Ce n’était pas son objectif mais, comme il passait à proximité, il décide d’attaquer le fort. Il progresse sans peine et y trouve une compagnie de territoriaux qui, ironie du sort ! procédait au désarmement de l’artillerie des parapets. Il n’y avait, comme garnison réelle, qu’un gardien de batterie et une dizaine d’artilleurs chargés d’assurer le service de la tourelle du canon de 155. Douaumont, malgré son importance primordiale (point dominant et clef du champ de bataille), n’avait fait l’objet d’aucune mesure spéciale... « Douaumont ist gefallen ! ». Confusion et désorganisation.

Voici les consignes que Joffre donne à Pétain lors de son passage au GQG le 25 février : « Recueillir [!] les troupes de la région fortifiée engagées sur la rive droite au cas où elles seraient contraintes de se replier sur la rive gauche et interdire à l’ennemi le franchissement du fleuve. » En fait, le 25 au soir le général Pétain est placé devant une bataille confuse en voie d’être perdue.

Devant d’une telle éventualité, Pétain est directement rattaché à Joffre sans l’intermédiaire du général de Langle de Cary commandant le groupe d’armées du centre.

Les Allemands, ralentis par le sacrifice des premiers défenseurs, ont avancé de huit kilomètres, ont pris Douaumont et quatre kilomètres seulement les séparent encore de l’ultime ligne de défense de Verdun, la crête de Saint-Michel et de Souville. Il faut donc enrayer cette avance mortelle, organiser le combat et se battre le dos au mur, avec une marge de sécurité insignifiante. Telles sont les réalités de la bataille le 25 février au soir.

Devant une situation aussi grave, le général Pétain partage les vues du général de Castelnau sur la nécessité de poursuivre la lutte sur la rive droite. Pétain pense qu’elle peut l’être dans l’immédiat par une réorganisation du front de combat et, dans la suite, par une conduite d’ensemble de la bataille se fixant trois objectifs fondamentaux : assurer la logistique de la bataille, mettre en échec le “ hachoir ” allemand en rééquilibrant les forces d’artillerie en présence et, en évitant l’usure excessive des divisions engagées dans le combat, organiser la bataille pour durer.

Ce qui frappe, c’est la faculté d’adaptation du général Pétain et la rapidité exceptionnelle avec laquelle il a réagi : en quelques heures, il a analysé la situation, il en a saisi les éléments et il a commencé à mettre en œuvre les solutions nécessaires.

Installé dans une salle de la mairie de Souilly, il contacte les deux généraux commandant le front de chaque rive de la Meuse, Balfourier et de Bazelaire. Il n’a rien que sa volonté et la confiance qu’il inspire :

« Allo ! C’est moi, général Pétain. Je prends le commandement. Faites-le dire à vos troupes. Tenez ferme, j’ai confiance en vous. » – « C’est bien, mon général. On tiendra ! Vous pouvez compter sur nous comme nous comptons sur vous. »

Vers minuit, arrivait son chef d’état-major, le colonel de Barescut. « Sur une carte à grande échelle plaquée au mur, dit Pétain, je marquais au fusain les secteurs des corps d’armée en position, ainsi que le front à occuper, et je dictais l’ordre que l’on devrait faire parvenir à toutes les unités le lendemain matin. »

Pétain s’est mis à la place du général allemand Falkenhayn. Il se dit : « Si l’Allemand attaque sur la rive droite, il se prépare à attirer nos troupes sur ces plateaux, autour des forts. Quand nous aurons fait traverser la Meuse à toutes nos troupes, il attaquera soudain de l’autre côté, à l’ouest, et prendra la ville de Verdun. Ce sera un nouveau Sedan. »

Ce n’est donc pas, initialement, et contrairement à ce qu’en a affirmé Falkenhayn ultérieurement dans ses Mémoires pour se justifier, une bataille déclenchée par les Allemands pour user l’armée française, l’objectif était la prise de Verdun et une victoire foudroyante.

LE DISPOSITIF DÉFENSIF.

Après la terrible poussée de l’ennemi, le fait que Verdun demeurât encore entre nos mains le 25 février constituait un réel succès. L’état-major de la IIe armée se met au travail le 26. Les premières instructions définissaient d’abord la « position de résistance » unique, à défendre avec tous nos moyens, position qui serait marquée, sur la rive droite, par les lignes mêmes que nous tenions à ce moment et qui ne laissaient pas assez de champ libre pour permettre le moindre recul. La mission fixée était la suivante : enrayer à tout prix les attaques de l’ennemi ; reprendre immédiatement toute parcelle de terrain enlevée par lui. Les forts, Thiaumont, Fleury, Souville et Tavannes, devenaient les môles principaux de la résistance dont ils formaient l’ossature. Le fort de Vaux, à l’est, devait protéger ces forts contre une attaque de revers.

Le GQG annonçait l’arrivée de deux corps d’armée et qu’un autre suivrait à brève échéance. Dans ces conditions, Pétain considérait qu’il n’était pas urgent d’amener d’autres grandes unités, mais, en revanche, d’envoyer sans délai d’importants moyens d’artillerie.

Dans la soirée du 26, le général de Castelnau télégraphiait à Chantilly : « La situation n’est pas encore éclaircie pour que le général Pétain et moi puissions formuler une appréciation précise. Je crois toutefois que, si nous pouvons gagner les deux ou trois jours qui permettront au général Pétain commandant la IIe armée de remettre les choses en ordre et de faire sentir son action, tout danger de perdre Verdun sera définitivement écarté. » Déclaration bien imprudente.

LE TÉMOIGNAGE DU COMMANDANT DÉTRIE.

Détrie était sous Douaumont entre le 24 février au soir et le 5 mars. Quelques jours après, il en écrit quelques mots à sa femme. On y voit bien la reprise en main du front, ressentie par le Père Doncœur, mais ici vue et comprise par le soldat de profession.

« 11 mars 1916.

« (...) Quand j’ai reçu la mission qui incombait à nos deux bataillons de chasseurs, dont j’avais le commandement, il y avait en avant de Douaumont un trou de trois bons kilomètres et c’est ce trou que nous avions reçu l’ordre de boucher et de tenir solidement (...).

« Nous n’avons dû compter absolument que sur nous-mêmes dans un inconnu tragique. Mais notre présence même a retardé le mouvement en avant boche. En montant leur attaque sur nous et nos voisins, ils ont perdu deux jours, car leur attaque suivante ne s’est produite que le surlendemain et pendant ce laps de temps, notre artillerie était arrivée, prenait position et, par la suite, ne permettait plus aux boches d’avancer. Nous avons tenté de remplir notre mission, sans l’appui d’un seul coup de canon, en face d’un adversaire qui avait accumulé devant nous et mis en œuvre contre nous, les moyens les plus formidables qui aient jamais existé !

« J’ai déjà vu, tu le sais, de terribles bombardements, mais je n’ai jamais vu de pareil à ce que nous avons supporté pendant ces dix jours.

« Les Boches pensaient bien tout écraser sous l’avalanche de fer qu’ils ont déversée sur cette région : canons de 420, 380, 305, 210, 140, 130, et 105 percutants et fusants, tels sont les calibres qu’ils ont employés contre nous. Les premiers jours de leur attaque, ils ont pu ainsi progresser assez vite. Mais dès que notre artillerie est arrivée en nombre, ils ont été arrêtés nets.

« Notre artillerie de campagne a inscrit dans ces journées les plus belles pages de son livre d’or, elle a fait preuve d’un esprit de sacrifice admirable et elle a tenu tête en plein champ, à découvert, à cet adversaire qui disposait de moyens plus puissants et qui avait tout préparé dans les plus petits détails.

« Pour moi, je sors de ce grand drame avec une admiration sans bornes pour notre petit soldat, qu’il soit artilleur ou fantassin... Ah ! quelle belle race que celle des petits soldats de France ! Je me rappelle la surprise joyeuse que j’ai eue en entendant, le bombardement à peine terminé, nos petits gars du régiment voisin, siffler et chanter des chansons joyeuses, sans affectation, sans pose, comme des petits oiseaux qui voient revenir le calme après la tempête. »

DEUXIÈME PHASE
6-22 MARS

L’ATTAQUE SUR LES DEUX RIVES.

Pétain écrit : « Pendant les derniers jours de février et le début de mars, je pensais surtout à l’imminence d’une attaque sur la rive gauche. J’avais grande hâte d’établir les troupes sur leur position, de mettre en place le dispositif de l’artillerie jusqu’ici assemblage hétéroclite et improvisé... »

Ayant échoué au centre, le Kronprinz va essayer d’agir par les deux ailes.

RIVE GAUCHE, PÉTAIN ARRÊTE L’ATTAQUE ALLEMANDE.

« Côté gauche, les unités s’organisaient sur la ligne générale de Cumières à Avocourt par le Mort-Homme et la cote 304, ligne sur laquelle nous voulions tenir avec tous nos moyens. Nous avions laissé, par surcroît, la position avancée suffisamment meublée en unités d’avant-postes pour désarticuler le dispositif éventuel d’assaut de l’adversaire et lui occasionner de sensibles pertes avant qu’il n’abordât la véritable position de résistance. »

Ça c’est Pétain, qui n’est là que depuis huit jours !

« Quand les bombardements ennemis commencèrent enfin le 5 mars, le général de Bazelaire avait la valeur de quatre divisions en ligne et une division en réserve.

« Dans la soirée du 5, le 7e corps d’armée rendait compte en ces termes de la situation : “ Toute la position de résistance et la zone des batteries en arrière offrent l’aspect d’une écumoire ; les trous empiètent les uns sur les autres ; les réseaux sur la contre-pente du Mort-Homme et de la côte de l’Oie sont déchiquetés... ” L’ennemi, d’autre part, au cours des journées du 4 et du 5, accentuait ses assauts sur la rive droite, et le 20e corps se trouvait tellement éprouvé que je devais me résigner à le remplacer par le 21e corps.

« Après un bombardement en tout point comparable à celui du 21 au 22 février, l’infanterie allemande se portait en avant le 6 mars à 10 heures. Elle espérait, visiblement, progresser facilement dans la zone de mort créé par les obus, et en effet, sur le ruisseau de Forges et immédiatement au sud, elle ne se heurtait d’abord qu’aux faibles unités laissées sur la position avancée. Mais devant les lignes de Cumières au Mort-Homme, elle se trouvait arrêtée par les feux violents et précis de nos fusils et de nos canons. Le “ barrage ” de notre position de résistance jouait : le rempart tenait ! Des combats d’une rare violence se développaient là pendant toute la journée du 6 et reprenaient le 7 après une nouvelle action d’écrasement par l’artillerie lourde ennemie. Les Allemands escaladaient les pentes de la côte de l’Oie et cherchaient à se jeter dans les bois de Cumières et des Corbeaux pour faire tomber, en la débordant par l’est, la hauteur du Mort-Homme. Les unités du 7e corps se flanquaient réciproquement par leurs feux d’infanterie et avaient d’excellentes liaisons tant avec l’artillerie qu’avec l’aviation. »

Quelle différence avec les premiers jours de l’offensive allemande !

« Elles assurèrent l’inviolabilité de la position de résistance, prononcèrent même, le 8 au matin, une vigoureuse contre-attaque qui les ramena dans le bois des Corbeaux. »

Mais ç’a été aussi dur de ce côté-là qu’au Bois des Caures.

« Je restais prêt à appuyer le général de Bazelaire, mais désirais vivement ne pas entamer mes disponibilités. Une fois encore les circonstances m’y contraignirent car, sur la rive droite, l’ennemi développait depuis le 8 une lutte acharnée contre le front Douaumont-Vaux et je dus mettre deux divisions à la disposition du général Maistre. Dans la journée du 9, plusieurs bataillons ennemis se lancèrent violemment contre le fort de Vaux, atteignirent les fils de fer couvrant le fossé-est et n’en furent repoussés que grâce aux attaques extrêmement vives du 21e corps.

« Le général Joffre venait sur place et, le 11, nous arrivait l’ordre du jour suivant : “ Vous serez ceux dont on dira : Ils ont barré aux Allemands la route de Verdun ! ” Mais je restai dans une expectative trop inquiétante pour considérer le résultat comme acquis !

« Or nous n’arrivions pas, tant s’en fallait, au bout de nos maux ! Pendant d’interminables semaines, l’ennemi prononçait un effort qu’il cherchait à rendre décisif (...). Le dispositif d’assaut ébranlait nos lignes de la cote 304 et du Mort-Homme (...). Du 10 au 15 mars, une joute furieuse se livrait pour la possession du Mort-Homme, au sommet duquel nos officiers et nos hommes, intimement mêlés dans le danger, se sacrifiaient côte à côte. Le général Debeney, exposant l’engagement de sa division, pouvait écrire avec fierté, dans un de ses comptes rendus : “ J’ai donné la consigne que nul ne devait reculer. Cette consigne a été fidèlement respectée : un commandant de brigade et trois commandants de régiment sont tombés en donnant l’exemple... Aucun homme n’a été vu se reportant en arrière. ” »

L’ORGANISATEUR DE LA VICTOIRE

Pétain avait donc grande hâte d’établir les troupes sur leur position, de mettre en place le dispositif de l’artillerie “ jusqu’ici assemblage hétéroclite et improvisé ”, et d’organiser le service des arrières dont dépendent la vie et le salut de l’armée.

L’ARTILLERIE.

En ce qui concerne l’artillerie, Pétain a organisé et fait ce qu’il a appelé « le réduit de feu » des forts de Vacherauville, de Marre et du fort de Bois- Bourrus, sur la rive gauche, où il a concentré, sous ses ordres directs, le maximum d’artillerie lourde pour prendre sous ses feux les Allemands des deux rives.

« Lorsque les agents de liaison des corps d’armée, venus au rapport quotidien de Souilly, exposaient par le menu les combats engagés, je ne manquais pas de leur couper la parole par cette interrogation : “ Qu’ont fait vos batteries ? Nous parlerons ensuite des autres détails. ” Au début, les réponses étaient confuses... Mais comme je m’en irritais, ma préoccupation dominante se répercutait dans les états-majors intéressés (...). Notre artillerie, suivant mes directives, prenait l’offensive par des concentrations de feux qui étaient de véritables opérations, soigneusement préparées... Il faut que l’artillerie donne à l’infanterie l’impression qu’elle la soutient et qu’elle n’est pas dominée. »

C’est ce que nous avons vu avec le témoignage du commandant Détrie.

Et quand Pétain demandait des canons pour défendre le Mort-Homme, Joffre lui disait : « Inutile, vous réclamez trop, on ne peut pas vous les donner, c’est mis de côté pour la Somme. » Pétain répondait : « Si nous sommes battus aujourd’hui, à quoi vous serviront mille canons sur la Somme ? »

L’AVIATION.

« Rose ! je suis aveugle, dégagez le ciel et éclairez-moi ! » dira Pétain au commandant de Rose. Pour la première fois depuis la guerre, l’aviation intervient de manière véritablement organisée avec la création de la première grande unité de chasse chargée de dégager le ciel des engins ennemis et de renseigner le commandement sur les positions et mouvements adverses. Elle acquit finalement la maîtrise du ciel après avoir souffert, au début, de sa flagrante infériorité. Ce sont les noms de Guynemer, Nungesser, Navarre. Verdun a été « le creuset d’où est sortie l’aviation française ».

LA LOGISTIQUE.

D’emblée, la logistique paraît essentielle à Pétain. La seule route utilisable de Bar-le-Duc à Verdun semble bien hors d’état de supporter un trafic de grande envergure et le seul chemin de fer, qui a échappé aux bombardements allemands, “ le Tacot ”, est à voie étroite. Or ils sont vitaux : la violence de la bataille impose au général Pétain une double nécessité. Il doit disposer d’une puissante artillerie et de munitions en quantités illimitées, il doit pouvoir relever rapidement les divisions engagées. Il lui faut donc faire face aux exigences immédiates de la bataille et, en même temps, s’organiser pour durer. Si la victoire de Verdun est bien celle de l’héroïsme, elle est aussi celle de l’organisation. Pétain est à Verdun l’organisateur de la victoire.

Et tout d’abord la Voie sacrée, où passèrent les forces qui alimentaient la bataille et dont le commandant Doumenc a été le maître d’œuvre.

Le bilan impressionne : plus de 8 000 hommes employés en permanence à son entretien, près d’un million de tonnes de cailloux répandus sur la route au fur et à mesure du passage des 3 400 camions journaliers. Chaque semaine sont transportés en moyenne 90 000 hommes et 50 000 tonnes de matériel. Ce rôle capital des camions a été un choc révélateur et a posé, en particulier, en termes nouveaux, la question de l’approvisionnement en carburant.

LES HOMMES.

La logistique matérielle assurée, le général Pétain avait à conduire une bataille sur le plan des hommes. En raison de l’âpreté et de l’intensité de la lutte, il estima que les divisions engagées supportaient trop de pertes pour être maintenues longtemps en ligne, et la limite qui lui parut acceptable était un tiers des effectifs. Au-delà, il pensait qu’une division serait comme un ressort trop distendu et qu’elle serait trop longue à reprendre, si même elle y parvenait, sa valeur primitive.

Ce fut là une des causes de l’opposition de Pétain et de Joffre. Celui-ci, préoccupé par la préparation de la bataille de la Somme, ne voulait pas en compromettre les résultats attendus en diminuant, faute de forces suffisantes, la largeur du front d’attaque. Aussi estimait-il que le général Pétain lui demandait trop de troupes : l’établissement de la noria des divisions fut difficile à obtenir et plus encore à maintenir. Mais le général Joffre dut céder en raison de la puissance de l’attaque allemande et des exigences évidentes de la bataille. C’est ainsi que les trois quarts de l’armée française ont combattu à Verdun. Et c’est pourquoi cette bataille est devenue, dans la conscience nationale, le symbole de la Grande Guerre.

L’AMOUR D’UN CHEF.

« Mon cœur se serrait quand je voyais aller au feu de Verdun nos jeunes gens de vingt ans (vous les garçons qui m’écoutez, ces jeunes, c’est vous !), songeant qu’avec la légèreté de leur âge, ils passeraient trop vite de l’enthousiasme du premier engagement à la lassitude provoquée par les souffrances, peut-être même au découragement devant l’énormité de la tâche à accomplir. Du perron de la mairie de Souilly, mon poste de commandement, si bien placé au carrefour des chemins conduisant vers le front, je leur réservais ma plus affectueuse attention quand ils montaient en ligne avec leurs unités : cahotés dans les inconfortables camions ou fléchissant sous le poids de leur appareil de combat quand ils marchaient à pied, ils s’excitaient à paraître indifférents par des chants ou des galéjades et j’aimais le regard confiant qu’ils m’adressaient en guise de salut. Mais quel découragement quand ils revenaient, soit individuellement comme éclopés ou blessés, soit dans les rangs de leurs compagnies appauvries par les pertes ! Leur regard, insaisissable, semblait figé par une vision d’épouvante ; leur démarche et leurs attitudes trahissaient l’accablement le plus complet ; ils fléchissaient sous le poids de souvenirs horrifiants ; ils répondaient à peine, quand je les interrogeais, et, dans leurs sens troublés, la voix goguenarde des vieux poilus n’éveillait aucun écho. »

Du côté allemand, ce sont pour l’essentiel les mêmes corps d’armée qui livreront toute la bataille. Beaucoup plus usante pour les cadres sans espoir d’être relevés. Le Kronprinz avoue que cette méthode, appliquée contre son gré, était de beaucoup la plus coûteuse.

L’armée française comptait alors sur le front 16 600 officiers et 420 000 hommes, chiffre qui est monté jusqu’à 600 000.

ET SI L’ON PRENAIT L’OFFENSIVE ?

Dès le début du mois de mars, en dépit de l’extension de la bataille à la rive gauche, il devint évident que la défense ne fléchissait plus sensiblement et que l’attaque allemande semblait enrayée.

Ne convenait-il pas dès lors d’adopter une attitude offensive pour faire reculer les Allemands, reprendre le terrain perdu ? C’était le point de vue du général Joffre et il attendait que Pétain, jusqu’à ce moment général brillamment offensif, reprît rapidement l’initiative et lançât des contre-attaques puissantes de dégagement. Le général Pétain, lui, ne songe nullement à se départir de l’attitude défensive qui lui semble seule à la mesure de ses moyens. Il juge ces derniers justes suffisants pour tenir. Joffre, comme si un réflexe conditionné jouait, voulait repousser l’ennemi sans en avoir au préalable les moyens. Or, dès 1916, la France n’a plus les moyens nécessaires pour faire la guerre à coup d’hommes.

Compte tenu des restrictions qu’impose la préparation de la bataille de la Somme, et qui s’imposent à Pétain, comment Joffre peut-il penser que Pétain dispose des moyens nécessaires à des offensives ? Ce serait, de surcroît, attaquer du fort au fort, la plus mauvaise des situations, d’autant plus que les Allemands conservent une certaine supériorité, particulièrement en artillerie : à Verdun, 80 % des pertes ont été causées par l’artillerie.

Cette divergence est la seconde raison de l’opposition entre Joffre et Pétain.

LA VIE QUOTIDIENNE SUR LE FRONT :
L’EXEMPLE DU PÈRE DONCŒUR

Le 35e “ tient ” le front devant le fort de Vaux (...). La cadence est immuable : quatre jours de “ repos ” aux casernes Bevaux, avec travaux de nuit, quatre jours “ en réserve ” au tunnel de Tavannes, toujours avec travaux de nuit, et quatre jours en ligne (...).

La nuit, à tour de rôle, on part aux travaux de terrassement, parfois à deux ou trois heures de marche. Chaque fois, aux casernes Bevaux, le Père Doncœur, auprès d’un autel improvisé, attend ses enfants. Un à un, ils viennent s’agenouiller auprès de lui. Les jours de départ, il donne la communion.

Le tunnel de Tavannes, lieu de pestilence et d’horreur... Le Père Doncœur y a aménagé une petite chapelle accolée à la paroi. C’est là que de nuit, il pénètre sans bruit, sans réveiller personne, s’assied sur un escabeau, sommeille pendant une heure ou deux, célèbre la messe et rapidement repart pour Bevaux ou pour les premières lignes. Puis c’est la relève de nuit, la piste, du tunnel aux premières lignes, par le ravin des Fontaines surnommé le “ Ravin de la mort ”, le chemin du Calvaire... La sortie du tunnel est repérée par l’artillerie allemande et il faut attendre un moment d’accalmie pour courir avec son équipement au grand complet, enjamber les cadavres. C’est le bois de Cumin, le bois de la Caillette, des troncs d’arbres hachés, sans une feuille. Course affolante dans la boue, parmi les trous d’obus remplis d’eau où l’on risque un enlisement mortel. Course suffocante à travers les nappes de gaz moutarde qui piquent le nez et les yeux, le sinistre passage du marais d’où sortent les cris des blessés. Puis le poste de secours. Enfin les lignes, où l’on s’installe dans la boue pour quatre nuits et quatre jours, isolés du monde. Combats héroïques, journées affreuses, terrifiantes, sous la mitraille, au milieu des morts et des blessés.

Les blessés sont nombreux chaque jour, sous les bombardements continuels. Impossible de les transporter. La plupart des grands blessés meurent sur place. Les blessés légers se réfugient le soir aux abords du minuscule poste de secours, simple trou ouvert dans le talus. Impossible de les abriter ; il faut qu’ils partent, car le lendemain matin ils seront repérés par l’aviation allemande et achevés par l’artillerie. Mais ils sont épuisés, grelottant de fièvre et de soif ; ils refusent de s’engager dans le sinistre Ravin. C’est alors que soudain, à la lueur des fusées, l’aumônier apparaît, svelte et dégagé, en vareuse bleu horizon, guêtré, sans soutane évidemment, poussiéreux et boueux comme tous. Au ceinturon, un bidon d’eau potable et une petite gourde de Cointreau pour les blessés ; au dos un sac tyrolien bourré de douceurs. À sa vue, les éclopés se dressent et un murmure joyeux court parmi les blessés : « Monsieur l’aumônier »... On l’attendait, et, comme chaque soir, il est venu. La distribution commence aussitôt ; à chacun une gorgée d’eau, quelques gouttes d’alcool, un mot réconfortant, un sourire, et si on le demande, une absolution. Maintenant, sans hésiter, blessés et éclopés se lèvent, ajustent ceinturon et musette, et emboîtent le pas derrière l’aumônier. Avec lui, on est certain d’arriver sain et sauf. Soutenant l’un, encourageant l’autre, il gagne le poste de secours du régiment. Sa mission accomplie, Paul Doncœur rejoint Bevaux où il va réconforter ceux qui tout à l’heure monteront en ligne.

Et chaque nuit, pour lui, le cycle infernal recommence, Tavannes, le Ravin de la Mort, les lignes et retour. Chaque nuit, pendant deux mois, Paul Doncœur franchit le Ravin à l’aller et au retour, seul ou en compagnie des blessés ramenés par lui, et en sort indemne.

TROISIÈME PHASE
FIN MARS – FIN AVRIL 1916

Cette attitude fondamentalement défensive n’exclut naturellement pas les contre-attaques nécessaires. Dès le 26 février, Pétain avait organisé le front, non seulement pour enrayer les attaques ennemies mais pour « reprendre immédiatement toute parcelle de terrain enlevée par l’ennemi », selon son premier ordre du jour. Aussi, en mars et en avril, lance-t-il de nombreuses contre-offensives pour dégager ou reprendre nos positions.

Dans la seconde quinzaine de mars, l’ennemi revenait à son idée de déborder le Mort-Homme et la cote 304 en passant, cette fois, par l’ouest. La 11e division bavaroise, unité d’élite, enlevait du 20 au 22 mars nos points d’appui d’Avocourt et du bois de Malancourt. Nos troupes se ressaisirent et, le 29, une contre-attaque les ramenait au réduit d’Avocourt sous les ordres du lieutenant-­colonel de Malleray qui tombait mortellement frappé sur son objectif. La brèche, un moment ouverte, s’était refermée.

La situation demeurait extrêmement tendue jusque début avril sur les deux rives. Portant en avant ses vingt divisions de choc, tantôt simultanément, tantôt successivement, l’ennemi cherchait à s’ouvrir une porte dans nos lignes pour en finir.

Les 9-10 avril, le Kronprinz lance une attaque générale sur les deux rives. Le sommet du Mort-Homme est pris, mais, partout ailleurs, nous nous maintenons sur nos positions. L’ennemi se borne alors à des attaques locales. De notre côté, le 20 avril, nous reprenions le sommet du Mort-Homme.

La bataille, déjà stabilisée à l’est de la Meuse, l’était à l’ouest.

Le soulagement était à la mesure des craintes éprouvées. Le général Pétain lui-même sembla gagné par l’optimisme. Après l’échec allemand du 9 avril, il lança le 10 son célèbre : « Courage ! On les aura. »

QUATRIÈME PHASE DE LA BATAILLE
MAI-JUIN 1916

LES GÉNEÉAUX ET LES POLITIQUES.

Pétain, pas du tout politique... comme on sait : « Je me souviens de la visite de M. Poincaré, président de la République. Il nous apportait le précieux témoignage de la confiance du pays et il pensait – je le sentis dès mes premières conversations avec lui – que l’heure de nos ripostes sonnerait bientôt. Il conçut quelque étonnement de mon attitude et de mes intentions lorsque, assistant à un de mes rapports quotidiens, il me vit tenir à mes commandants de groupement, le souci de “ tenir ” plus que l’espoir d’une prochaine offensive. Au cours de cette réunion, nos visages reflétaient une résolution inflexible, certes, mais surtout, je dois bien l’avouer, les plus graves préoccupations ; le rayonnement de la victoire ne les éclairait point. Nous parlions exclusivement de difficultés à surmonter, donc beaucoup demeuraient insolubles, et, de ma part, les avertissements, parfois sévères, constituaient la note dominante, encore que je fusse parfaitement satisfait du zèle de tous... Et il n’entrait pas dans ma manière de distribuer les éloges avant que les choses ne marchent à souhait... J’ai conservé de ce rapport devant le chef de l’État, le souvenir d’une certaine désillusion. Nous, qui faisions de notre mieux, nous avions l’impression que l’on espérait nous trouver dans une forme plus brillante. »

Mais qui a bien pu mettre Poincaré dans cet état d’esprit ? Certainement Joffre comme peut nous le montrer le fait suivant. Poincaré attend et exige de ses généraux des victoires ou, à leur défaut, des promesses de victoire. Il préfère l’espérance au constat. Même si cela lui vaut, parfois, des mécomptes.

Le général Perrier raconte cette histoire : « Au début de 1915, le président Poincaré, en visite à Chantilly, entreprit le général en chef. “ Général, vous m’avez déclaré que la guerre serait terminée par la victoire avant Noël. Et Noël est passé. ” – “ Vous ai-je dit cela, monsieur le président ? ” Poincaré sortit son petit carnet : “ Certainement général. Tel jour, à telle heure, à tel endroit ! ” – “ Eh bien ! monsieur le président, répondit Joffre, si je vous ai déclaré cela (il prit un temps), si je vous ai déclaré cela (long silence), je me suis trompé. ” »

LE 1er MAI, NIVELLE REMPLACE PETAIN.

« Le 19 avril, le général de Castelnau me téléphonait de Chantilly que le commandant en chef me confierait le groupe d’armées du centre. La IIe armée, dont le général Nivelle prendrait le commandement, cesserait de relever directement du GQG et, dans mes nouvelles fonctions, je continuerais à en diriger les opérations.

« J’aurais voulu ne pas m’éloigner de mes troupes avant qu’elles ne connussent, sous mes ordres directs, la satisfaction des grandes ripostes escomptées (...). Aussi ma tristesse était-elle profonde lorsque – la décision annoncée devenant exécutoire, le 1er mai à 0 heure –, je passais au général Nivelle le commandement de la IIe armée. J’installais mon nouveau quartier général à Bar-le-Duc et me mettais en mesure d’interpréter au mieux l’ordre donné le 28 par le général en chef : “ la mission du général Pétain est d’assurer sur tout le front du groupe des armées du centre l’inviolabilité des positions et, en ce qui concerne le front de Verdun, de prendre [de reprendre !] possession du fort de Douaumont. ”

« On me prescrivait en outre d’alimenter l’armée de Verdun avec mes seules ressources... »

On a souvent présenté la décision du général Joffre comme une espèce de désaveu. La question est plus complexe : dès le début du mois de mars, le président du Conseil, Briand, voulait relever de Langle de Cary de son commandement du GAC pour le confier à Pétain, et il s’en était ouvert à Joffre. Alexandre Ribot allait plus loin encore : il trouvait Joffre fatigué et il estimait que « si Pétain réussit jusqu’au bout à Verdun... Mieux vaudrait le nommer général en chef. » On comprend mieux les réactions de Joffre qui avait bien conscience de jouer son va-tout dans l’offensive de la Somme, surtout que sa décision à l’égard de Pétain ne rencontrait pas l’approbation de Poincaré qui disait : « J’aurais préféré que Pétain restât à Souilly jusqu’à la fin de la bataille de Verdun. »

Désormais, le colonel de 1914 commande à plus de la moitié de l’armée française.

NIVELLE-MANGIN, LA PERTE DE TOUTES NOS POSITIONS.

Nivelle prend le commandement du front le 1er mai, avec un adjoint majeur, le général Mangin. Ces deux-là avaient été très courageux aux colonies, très bagarreurs, mais c’étaient des têtes brûlées.

Du 4 au 7 mai, les Allemands s’emparent de la cote 304.

LE FORT DE DOUAUMONT.

Le 22 mai, le général Mangin attaque le fort de Douaumont, des soldats français arrivent à monter sur la superstructure du fort mais ne peuvent s’y maintenir. Les Français sont ramenés sur leur base de départ.

La tentative prématurée, menée avec des ressources insuffisantes, se solde par des pertes considérables. La 5e DI de Mangin perd ainsi 5 500 hommes et 130 officiers. C’est un désastre. Les unités en sortent plus usées encore et n’auront pas les capacités suffisantes pour contre-attaquer avec succès au fort de Vaux.

Le 22 les Allemands reprennent le Mort-Homme et, les 23 et 24, Cumières.

LE FORT DE VAUX.

Le 7 juin, le fort de Vaux succombait après une brillante résistance du commandant Raynal. Aux premiers jours de juin, trois corps d’armée allemands se ruent contre nos positions du fort de Vaux. Après un terrible bombardement, ils réussissaient à installer sur la superstructure du fort plusieurs groupes d’assaillants qui, pièce à pièce, s’attaquaient à chaque îlot de résistance. Ils parvenaient à encercler aux trois quarts l’ouvrage dont les communications vers l’arrière ne tarderaient pas à être irrémédiablement compromises. Le commandant Raynal et ses six cents combattants refusaient de céder la place.

Rien n’est émouvant comme l’évocation de leur agonie quand, séparés de nous et ne pouvant s’illusionner sur l’arrivée d’aucun secours, ils nous adressaient leurs suprêmes comptes rendus. Celui du 4 au matin, venu par pigeon voyageur :

« Nous tenons toujours, mais subissons une attaque par les gaz et les fumées, très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite communication optique par Souville qui ne répond pas à nos appels... C’est notre dernier pigeon ! »

Puis le message optique de la matinée du 5, passé à Souville :

« L’ennemi travaille, partie ouest du fort, à constituer un fourneau pour faire sauter voûte. Tapez vite avec artillerie. » Cet autre à 8 heures : « N’entendons pas votre artillerie. Sommes attaqués par gaz et liquides enflammés. Sommes à toute extrémité. » Encore celui-ci, à la tombée de la nuit du 5 au 6 : « Il faut que je sois dégagé ce soir et que ravitaillement en eau me parvienne immédiatement. Je vais toucher au bout de mes forces. Les troupes, hommes et gradés, ont fait leur devoir jusqu’au bout. » Seulement ces quelques paroles le 6 : « ... Intervenez avant complet épuisement... Vive la France ! » Enfin le 7 juin à 3 h 30, ces derniers mots incompréhensibles : « Ne quittez pas »... Les Allemands rendirent les honneurs à la garnison.

Nivelle et Mangin vont gaspiller un monde fou sous les murs de Douaumont et en voulant reconquérir le fort de Vaux. Ce sont des hémorragies épouvantables.

Les 22 et 23 juin, les Allemands s’emparent de Thiaumont-Fleury et poussent jusqu’aux abords mêmes du fort de Souville.

Je cite Pétain : « Les attaques allemandes continuent et si nous étions à égalité avec le nombre de divisions engagées, notre artillerie est deux fois moins forte. Par ailleurs, pour permettre une grande concentration de moyens sur la Somme pour la prochaine offensive, les allocations quotidiennes de munitions étaient réduites.

LA JOURNÉE DU 23 JUIN.

« La journée du 23 juin fut une journée particulièrement critique. Après deux jours de préparation par leurs batteries lourdes, qui dominaient les nôtres, les Allemands passaient à l’attaque depuis l’ouest du village de Douaumont jusqu’au sud-est du fort de Vaux. Nos unités, durement éprouvées, ralentissaient pendant quelques heures l’avance de l’ennemi, mais celui-ci s’emparait bientôt de toute la crête allant du village de Fleury au village de Thiaumont, puis continuait sa progression. La situation devenait grave, car notre dernière position, du fort de Saint-Michel à celui de Souville, se trouvait investie à très courte distance... Si nous venions à la perdre, Verdun paraîtrait à découvert au centre d’un vaste cirque dont les bords seraient tenus par l’ennemi. Notre occupation de la rive droite, dans ces conditions, deviendrait irrémédiablement compromise (...).

« Dans la soirée du 23, je téléphonais au général de Castelnau, à Chantilly [pour demander des renforts en divisions fraîches] (...). Je terminais par ces mots, réitérant à ce sujet mes insistances quotidiennes : “ Il faut avancer l’attaque anglaise (sur la Somme)... ” (...) Castelnau rappelle une demi-heure plus tard : “ Quatre divisions fraîches seront mises demain à votre disposition. ” Le général Nivelle pouvait alors, à partir du 24, non seulement enrayer l’avance ennemie, mais même entamer une série de contre- attaques visant à dégager notre position de repli. Sur la côte de Froideterre et autour de l’ouvrage de Thiaumont s’engageaient de rudes combats au cours desquels les derniers points d’appui passaient alternativement de main en main. » On revivait les souvenirs des combats du mois de mai sur la cote 304 et le Mort-Homme.

Les diverses contre-attaques, Fleury pris et repris dix-huit fois en juillet ! ont occasionné de lourdes pertes pour un gain nul. Mangin y acquit le surnom de « boucher de Verdun ».

1er JUILLET, BATAILLE DE LA SOMME.

« On me téléphonait le 25 juin du GQG que le bombardement général sur la Somme commencerait le 26 et que les divisions assaillantes déboucheraient le 29. »

Du fait de contraintes météorologiques, les Anglais et les Français se portaient en avant seulement le 1er juillet, à 7 h 30.

LA SOMME : 1er JUILLET – 18 NOVEMBRE 1916

La bataille de la SommeUne offensive sur la Somme avait été décidée en décembre 1915 à Chantilly par les alliés. Le projet dut être modifié du fait du déclenchement, le 21 février 1916, de l’attaque allemande sur Verdun. Les Français, qui devaient initialement fournir l’effort principal, durent le confier aux Britanniques. Ce fut la première offensive conjointe franco-britannique.

L’attaque devait se faire contre les lignes ennemies, bien fortifiées, sur environ 45 kilomètres à cheval sur la Somme.

C’est une des plus grandes boucheries de l’histoire. La première journée de bataille, le 1er juillet, fut la plus sanglante pour les Britanniques avec environ 60 000 soldats hors de combat dont 20 000 morts.

La bataille s’est terminée le 18 novembre par usure des combattants et compte tenu de la dégradation du terrain due aux conditions météorologiques. 206 000 morts et disparus côté britannique, 67 000 chez les Français, 170 000 chez les Allemands. On a avancé jusqu’à 10-12 kilomètres côté allié. Il en restait beaucoup pour atteindre l’Allemagne !

Il y a quelques points à noter :

Les chars ont été utilisés pour la première fois sur un champ de bataille, par les Anglais, le 15 septembre ; résultat mitigé : les engins sont peu fiables, les équipages peu entraînés.

Les Canadiens français se couvrent de gloire, en particulier à Courcellette en septembre.

Côté français, quelques suc­cès, en particulier avec la VIe armée de Fayolle.

Mais Foch continue à être parfaitement lui-même. Il commande la partie française de la bataille. Citons Fayolle : le 30 avril : « Foch est venu nous exposer son plan. Il n’y a aucune idée de manœuvre ; Joffre n’ose pas dire qu’il faut percer. À quoi rime cette bataille ? Se battre pour user l’ennemi, ce n’est pas suffisant. Il faut bien se mettre dans la tête que les Anglais ne travaillent que pour eux. »

Le 3 juillet : « Le front boche est percé sur 8 kilomètres (c’est côté français...) et l’on ne va pas l’exploiter ! » Le 12 juillet : « Cette bataille a toujours été une bataille sans but. » Le 4 novembre : « Foch ? Attaquez, attaquez, c’est toute sa doctrine. Pour lui, les troupes sont toujours prêtes à attaquer indéfiniment. Il n’entend rien à la pratique de la guerre. »

Foch est limogé... Malheureusement il sera repêché plus tard, comme nous le verrons.

La bataille de la Somme a eu deux effets contradictoires. Joffre voulait absolument son offensive. Pour cela, il n’a pas donné à Pétain tous les moyens qui auraient permis de dégager Verdun.

Mais enfin le lancement de l’offensive a permis, tardivement, d’alléger la charge allemande sur le front de Verdun.

11 JUILLET, ULTIME TENTATIVE ALLEMANDE À VERDUN.

« Le chef d’état-major impérial, pour faire face à la situation, prenait aussitôt la résolution de réorganiser et de renforcer le commandement sur la Somme, ce qui impliquait pour lui l’obligation de dégager Verdun.

« Là, toutefois, il procédait, le 11 juillet, à une ultime tentative : le 10e corps de réserve (...) se précipitait contre nos positions de Souville, s’emparait de Fleury, prenait pied un moment sur le fort, mais en était aussitôt rejeté par les contre-attaques françaises. »

Le 12 au matin, les Allemands étaient au fort de Souville réduit à une ruine défendue par le lieutenant Dupuy et ce dernier, avec ses rescapés, continue à se battre. Ils vont mourir jusqu’au dernier et, quand la nuit tombe ils sont réduits à se rendre. Ils ne se rendent pas, parce qu’on leur dit de tenir, et ils attendent le lendemain en sachant que ce sera le jour de leur mort. Le lendemain, 13 juillet, les Allemands sont partis.

« Vive alerte pour nous, mais la dernière ! Car le Kronprinz recevait l’ordre, dès la soirée du 12, “ puisque les objectifs fixés n’avaient pu être atteints ”, de se tenir désormais sur une stricte défensive (...). Deux à trois divisions et de nombreuses batteries d’artillerie allemandes prenaient le chemin de la Somme. Verdun était dégagé et sauvé... »

CINQUIÈME PHASE :
DERNIÈRE PÉRIODE DE LA BATAILLE DE VERDUN

LE 15 JUILLET.

« Dès le 15 juillet, nous passions à l’offensive sur la rive droite de la Meuse et le général Mangin faisait exécuter (...) une opération visant à la reprise de Fleury avec l’appui de 400 pièces d’artillerie. Mais le commandement local avait trop précipité l’engagement de cette affaire, qui ne réussit pas et qui aurait dû être plus mûrement préparée en raison du trouble apporté dans le secteur de Souville par la dernière ruée allemande du 11. »

LA NOTE DU 18 JUILLET.

« Par note du 18, je faisais connaître mes observations critiques à ce sujet : nos attaques seraient à l’avenir organisées par les commandements de groupements eux-mêmes qui, en raison de leur connaissance du terrain et de l’importance des moyens dont ils disposaient en permanence, étaient le mieux qualifiés pour orienter l’infanterie et lui donner les appuis nécessaires ; ils veilleraient en particulier à ce qu’une meilleure utilisation fût faite de l’artillerie, dans la désignation des objectifs, le contrôle des tirs et la liaison avec les troupes assaillantes. »

Une véritable remontée de bretelles comme on dit ! Pétain sort de sa réserve vis-à-vis de Nivelle et lui fait savoir, mais aussi à tous les généraux de la IIe armée – quel désaveu public ! – que les attaques sur le front de Verdun seront désormais décidées et organisées par lui, Pétain. Qui proteste ? Personne. L’échec du 15 juillet a rendu Nivelle et Mangin très modestes...

Le 18 juillet, il ne s’agit pas à proprement parler de réorganisation. La disposition des troupes, les niveaux hiérarchiques ne sont pas mis en cause. Pétain dit que ce sont les chefs, qui connaissent le terrain et devront mener l’attaque, qui doivent la préparer... C’est du bon sens... et que l’on n’engage pas en première ligne une division qui vient d’arriver à Verdun !

« Je revenais ainsi sur cette question capitale de la supériorité à rechercher par notre artillerie, avec la volonté d’y réussir enfin ; c’était ma préoccupation dominante depuis le commencement de la bataille et nous ne pouvions obtenir qu’à cette condition le succès final. D’autre part, je demandais au Grand Quartier Général de faire diriger sur la IIe armée deux mortiers de 400, que je jugeais indispensables pour les actions d’écrasement à exercer sur les forts de Douaumont et de Vaux avant de songer à reprendre ces ouvrages. On me promettait de me donner satisfaction pour le début de l’automne et je décidais d’attendre ce moment pour nos grandes ripostes. Aussi, les mois d’août et de septembre s’écoulaient-ils sans événements marquants (...). Toutefois, les combats demeuraient très vifs sur la cote de Froideterre, autour de l’ouvrage de Thiaumont et vers Fleury, dont notre Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc, le RICM [le régiment le plus décoré de France, qui porte aujourd’hui le nom de Régiment d’Infanterie et de Chars de Marine], s’emparait le 18 août par une action rapidement menée et tout à fait brillante.

« Cette combativité, nous l’entretenions à dessein, en attendant des opérations plus importantes, pour empêcher l’adversaire de jouer facilement de ses réserves entre Verdun et la Somme. »

LA REPRISE DE DOUAUMONT, 24 OCTOBRE.

« Au début d’octobre, poursuit Pétain, nous avions convenu, le général Nivelle et moi, de procéder à la reprise des forts, pour rétablir la place dans son intégrité. En effet, le semi-échec de la Somme a permis de renforcer les moyens sur Verdun. Une directive de Nivelle du 1er septembre fixait l’attaque sur Douaumont pour la mi-septembre. »

Pétain la fait reporter après le 15 octobre en en modifiant l’architecture : augmentation de la largeur du front de l’attaque, état de fraîcheur des divisions, arrivée de l’artillerie lourde sur voie ferrée...

« Le général Mangin, nommé au commandement des secteurs de la rive droite, dirigeait l’opération (...). Le GQG avait envoyé les deux mortiers de 400, qui, joints aux quelques pièces que nous avions déjà, permettaient d’exercer sur les ouvrages une puissante action de démolition. Le dispositif d’attaque comporterait au total 300 pièces de campagne et 300 pièces lourdes, minimum nécessaire pour tenir en respect les 200 batteries (soit 800 pièces) repérées par la IIe armée dans les secteurs allemands intéressés de la rive droite. L’assaut serait donné en première ligne par trois divisions, que trois divisions de deuxième ligne se tiendraient prêtes à appuyer, soit un nombre de grandes unités équivalent à celui que les Allemands pouvaient nous opposer. Nous n’avions donc pas la supériorité des moyens matériels, mais, incontestablement, celle du moral et aussi de l’instruction, car les cadres et les hommes s’étaient minutieusement entraînés à l’attaque.

« Au cours des journées du 20 au 30 octobre, notre artillerie et notre aviation maîtrisaient le champ de bataille, en présence de batteries ennemies encore extrêmement nombreuses, mais sans doute condamnées à une sévère économie de munitions (...). Cinq coups de nos mortiers de 400, dans la journée du 23, occasionnaient de véritables désastres au fort de Douaumont, écrasant successivement l’infirmerie et quatre des casemates les plus importantes du premier étage. Le soir, d’autres explosions détruisaient un dépôt de fusées et de munitions, rendaient inhabitables la plupart des couloirs au travers desquels se répandait une épaisse et âcre fumée (...). Le 24, entre 5 et 7 heures du matin, la garnison abandonnait la place, n’y laissant qu’une vingtaine d’hommes.

« Nos trois divisions se portaient à l’attaque à partir de 11 h 30, à la faveur d’un brouillard intense qui dissimulait leur progression, mais qui empêchait aussi complètement l’observation par l’aviation et les liaisons d’infanterie à l’artillerie. Celle-ci avait heureusement réglé son jeu de façon impeccable ; ses barrages, précédant les troupes d’infanterie de l’attaque, se déplaçaient avec une régularité mathématique et nos admirables fantassins arrivaient à la hauteur du fort de Douaumont immédiatement après les derniers gros obus (...). Le 321e régiment d’infanterie et le régiment d’infanterie coloniale du Maroc capturaient le détachement allemand et s’installaient dans le fort conquis. La division de droite ne réussissait pas, ce jour-là, à pénétrer dans le fort de Vaux, car elle avait subi d’assez lourdes pertes au cours de son avance, mais elle était relevée les jours suivants par une division fraîche qui entrait, à son tour, le 2 novembre, dans l’ouvrage, également évacué par les Allemands (...).

« Le général Mangin, le 15 décembre, se conformant à mes instructions et à celles du général Nivelle prescrivant de reconquérir les positions de couverture de la ligne des forts, lançait au nord de Douaumont quatre divisions, appuyées par quatre autres divisions en deuxième ligne et par 740 canons. Nous avions, cette fois, la supériorité numérique devant les quatre à cinq divisions que pouvait seulement nous opposer la Ve armée allemande dans le secteur d’attaque, et notre artillerie, plus encore qu’au 24 octobre, dominait la situation. Aussi enlevions-nous, sans difficultés et presque sans pertes, toute la zone de couverture des forts. »

LE VAINQUEUR DE VERDUN

Qui est le vainqueur de Verdun ? Il s’avère que se développe en France, pour mieux effacer la gloire de Pétain au profit des politiciens qui sont revenus en force après 1944, et dont les politiciens actuels, faute de mieux, se réclament, l’affirmation selon laquelle le vainqueur de Verdun, ce n’est pas Pétain.

Fin 1916, quand “ on ” s’est aperçu que Joffre était dépassé par les événements et qu’il a fallu lui trouver un successeur, il y avait, selon Fayolle, le choix entre Nivelle et Pétain, et c’est Nivelle qui est passé. Poussé par Joffre.

Le rôle de Pétain à Verdun a été jugé par ce même Joffre dans des termes si caractéristiques qu’il faut les rapporter très exactement :

« C’est par une amélioration constante de l’organisation du commandement, par un sens tactique très aigu, un perfectionnement sans cesse renouvelé des procédés de défense, que Verdun a été sauvé, et c’est le général Pétain qui a été véritablement l’âme de tous ces progrès. On ne devra jamais oublier que par l’étude incessante des procédés de combat ennemis, il a fait réaliser à notre armée les plus grands progrès tactiques de la guerre ; en particulier la liaison de l’aviation et de l’artillerie qui fut si féconde. Verdun a été, sous l’intelligente direction du général Pétain, la plus rude, mais aussi la meilleure école de perfectionnement pour l’armée française. Par contre, les très grandes qualités de ce grand chef étaient contrebalancées par un état d’esprit qui lui faisait donner aux événements de Verdun une importance exagérée. Si j’avais cédé à ses demandes, l’armée française tout entière aurait été absorbée par la bataille ».

C’est ce qu’on appelle le coup de pied de l’âne.

Il continue : « Si l’histoire me reconnaît le droit de juger les généraux qui opérèrent sous mes ordres, je tiens à affirmer que le vrai sauveur de Verdun fut Nivelle, heureusement secondé par Mangin. »

Non ! L’histoire ne vous reconnaît pas ce droit ! Cette appréciation n’est déshonorante que pour son auteur. En décembre 1916, Joffre favorise l’élévation de Nivelle parce qu’il sait qu’il aura en lui un instrument docile, un lieutenant dévoué et obéissant à qui il pourra donner des ordres offensifs, quel qu’en soit le prix, sans passer par Pétain, il pourra surtout, lui-même, “ durer ”. Quant au gouvernement, ce choix d’un protestant rassure les “ vrais républicains ”.

Sur le plan militaire, le général Pétain a écrit dans son carnet de campagne, le 24 juin, au sujet de Nivelle : « Fait preuve dans ses nouvelles fonctions de décision et de sang-froid. Possède des connaissances étendues, est tout à fait à sa place comme commandant d’armée. »

Artilleur lui-même, Nivelle reconquit Douaumont le 24 octobre en appliquant scrupuleusement les ordres de son chef. Cela n’effaçait pas le désastre que l’on a dit, du premier assaut le 22 mai, et ses conséquences directes sur la chute du fort de Vaux, annonçant le Chemin des Dames, et les mutineries.

Jusqu’à la “ Libération ”, le vainqueur de Verdun a été, dans toutes les mémoires, le maréchal Pétain. Le contraste entre l’appréciation de Joffre sur Pétain et celle de Pétain sur Nivelle dont il sauve l’honneur, révèle les âmes.

Alors, qui est le vainqueur de Verdun ? Quand on l’interrogeait, Pétain disait que le vrai vainqueur est le soldat français. Il ne cessait de le répéter au long de ses discours et interventions après la guerre.

Non, le vainqueur de Verdun, ce n’est pas Nivelle, c’est le soldat français, nous en convenons d’autant plus volontiers que la France réelle a toujours proclamé que le meilleur de ses soldats, le plus sage, le plus avisé, le plus appliqué à sa tâche, stratège incomparable, le plus loyal vis-à-vis de ses supérieurs, sans autre ambition que le salut de la France, et le plus économe du sang de ses hommes, c’est Pétain !

Prions donc pour que, à l’issue de la Croisade de vérité qui accompagnera le triomphe du Cœur Immaculé de Marie, Reine de France, le Maréchal soit enterré à Douaumont, au milieu de ses soldats.

Et nous y serons !