Il est ressuscité !

N° 252 – Février 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Centenaire de Georges de Nantes,
notre Père (2)

NOUS continuons le récit de la vie de notre  bienheureux Père, commencé dans le précédent numéro (janvier 2024) à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance (3 avril 1924), car son œuvre éclaire toute notre actualité, et nous indique la marche à suivre pour continuer son service de l’Immaculée, dans la lutte finale que Satan mène contre Elle. Notre Père, en faisant remontrance au pape Paul VI par son Livre d’Accusation (10 avril 1973), attaquait au point focal, dont le démon se sert pour la ruine de l’Église, et la damnation des âmes confiées au Cœur Immaculé de Marie. Il lui faudra recommencer à deux reprises (1983, 1993). Mais un bref pontificat de trente-trois jours parut d’abord restaurer toute chose dans la pure lumière d’une contre-réforme spontanée.

DE PAUL VI A JEAN-PAUL Ier

ORAISON FUNÈBRE DE PAUL VI.

« Le seul sentiment qui m’étreint, je n’en suis pas maître, et je sais bien que d’avance il me gâche l’avenir, est celui d’une immense pitié pour cette pauvre âme au salut de laquelle j’ai été, comme on sait, jusqu’à offrir en échange ma vie terrestre, ce qui est trop peu, et jusqu’à ma vie éternelle (Liber Accusationis in Paulum Sextum, page 96). J’en frémis : avoir ébranlé l’Église en ses fondements, avoir pactisé avec les diaboliques et livré les terres chrétiennes aux barbares, avoir détruit presque irrémédiablement le rempart de la Chrétienté, profané et dévasté le Sanctuaire, et perdu sans doute des milliers et des milliers d’âmes, pour quinze ans de gloire apparente, qu’est-ce ? Mais qu’est-ce donc en regard de l’Éternité où il est entré ! Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Comment un homme peut-il méditer ainsi de vains projets en vue d’une gloire mondaine qui n’est rien que fumée légère que le vent disperse, quand le poids des choses faites et des paroles dites doit avoir son exacte sanction dans la damnation éternelle ? » (CRC n° 132, août 1978)

Jusqu’au bout, pendant quatorze ans, notre Père avait manifesté un amour filial indéfectible pour le Pape qu’il combattait, pour sauver son âme, frémissant d’horreur comme les enfants de Fatima à la vue des âmes qui tombent en enfer, au point de s’offrir lui-même en victime de substitution pour y tomber à sa place.

La réponse du Ciel à ce dévouement total à l’Église du Christ fut l’avènement d’un « nouveau saint Pie X ». À la joie de la “ divine surprise ” se joignit aussitôt un étrange pressentiment qui étreignit le cœur de notre Père :

« À l’heure même où le Pape était élu, avait lieu la première ostension du Saint Suaire à Turin, la monstration de la Sainte Face de Jésus crucifié, mémorial de sa Passion, argument de sa Résurrection, en présence de quatre-vingt mille personnes. Le Pape est notre doux Christ en terre, il est parfois un autre Crucifié, comme saint Pierre. Qui vivra verra. »

En écrivant ces lignes, notre Père ne savait pas qu’il anticipait la révélation du “ troisième Secret ” de Notre-Dame de Fatima, confié aux trois enfants le 13 juillet 1917, et dévoilé au public le 26 juin 2000.

LE SOURIRE DU PAPE.

« Tout le monde est prévenu, tous l’entendent bien, signent et contresignent. C’est étonnant, c’est merveilleux, Dieu, le Christ, l’Église re­viennent au premier plan, par la grâce d’un nouveau pontificat. La foi inébranlable et l’extrême charité d’Albino Luciani, la joie souriante et calme de son espérance, ont fait ce miracle. » (CRC n° 133, septembre 1978)

Notre Père n’oubliait pas pour autant le Concile, l’ouverture au monde, la réforme de l’Église, l’œcuménisme, la politique montinienne. Il prévoyait même que Jean-Paul Ier continuerait dans la même voie. Mais en étudiant comment, jeune évêque de Vittorio Veneto puis patriarche de Venise, il avait réagi devant ces nouveautés, il découvrit qu’Albino Luciani les avait mo­destement acceptées en s’efforçant de les rendre conformes à la doctrine traditionnelle.

Sauf une : la Liberté religieuse, qu’il ne voyait aucun moyen de concilier avec l’enseignement de ses maîtres. Et l’abbé de Nantes surprit une confidence d’une portée immense qui témoignait du drame de conscience de l’élu du conclave :

« Entre Jean-Paul Ier et nous, écrira-t-il dans son éditorial d’octobre 1978, entre l’héritage de Jean et Paul qu’il déclarait assumer et notre Ligue de Contre-Réforme, demeurait une contradiction irréductible sur des points de foi, précis, importants. Nous ne pouvions, nous ne pourrons jamais accepter comme un dogme nouveau le prétendu droit social de l’Homme à la liberté religieuse, pas plus que le culte de l’Homme proclamé par Paul VI à la face de toute l’Église le 7 décembre 1965, pour la clôture du Concile. Aussi nous disait-on en France et à Rome depuis quinze ans que nous nous trouvions engagés dans une voie sans issue.

« Or l’issue, Jean-Paul Ier nous l’a rouverte. Par un simple mot, d’honnêteté, d’humilité. Le mot à lui seul défait l’hérésie, débloque l’impasse conciliaire. À lui seul ce mot justifierait le règne trop bref de ce Pontife sur le trône de saint Pierre, dans l’unanimité de l’Église se reconnaissant en lui. Avouant ses luttes intimes, lors du Concile, et la difficulté de se rallier aux thèses des novateurs, en particulier à leur théorie de la liberté religieuse, il avait eu cette confidence :

« “ La thèse qui me fut le plus difficile à accepter fut celle de la liberté religieuse. Pendant des années, j’avais enseigné la thèse que j’avais apprise au cours de droit public donné par le cardinal Ottaviani, selon laquelle seule la vérité avait des droits. J’ai étudié à fond le problème et, à la fin, on m’a convaincu que nous nous étions trompés. ” » (CRC n° 134, octobre 1978)

« Nous » : le pronom personnel englobe Grégoire XVI, Pie IX, Pie X. Il faut admettre, si l’on veut suivre le concile Vatican II, que Grégoire XVI, le bienheureux Pie IX, saint Pie X se sont trompés et nous ont trompés !

« D’un coup, la franchise du Pape restaurait le droit de tous d’être entendus, même après Vatican II, sans excommunication frauduleuse, et les vraies proportions du drame présent. Voici : certains ont fini par se laisser convaincre ou se convaincre eux-mêmes que l’Église s’était trompée jusqu’à ce jour. D’autres sont demeurés convaincus ou ont enfin compris que se sont trompés et nous ont trompés les novateurs de ce Concile plutôt que l’Église de toujours. Avouer l’erreur possible, la tromperie dans un sens ou dans l’autre, c’est rendre la paix à l’Église en renvoyant ces questions difficiles au domaine des libres opinions, dans l’attente d’un Vatican III dogmatique ou de définitions infaillibles du Pape. » (ibid.)

LE SAINT SUAIRE DE TURIN.

Pendant que le “ Pape du Sourire ” conquérait le cœur de ses enfants, les foules se pressaient à Turin pour participer à l’ostension solennelle du Saint Suaire, organisée pendant tout ce mois de septembre.

La dévotion de notre Père envers le Saint Suaire de Notre-Seigneur remonte à son enfance. Comme il le relate dans ses Mémoires et Récits, ce pouvait être « en 1932 peut-être, mademoiselle de Otaola, au retour d’un pèlerinage à Lisieux, me donna à moi ! une épaisse brochure, illustrée de toute l’iconographie traditionnelle. Je regardai ces gravures [...]. » (tome 1, chap. 21 p. 186) Il y découvrit le tableau de la Sainte Face peint par Céline Martin, devenue sœur Geneviève, au carmel de Lisieux.

Plus tard, lorsqu’il entra au séminaire, il voulut avoir toujours cette image sous les yeux : « Sur la table je plaçai “ Le Modèle Unique ”, ouvert à la première page, celle où figure la Sainte Face du Christ reproduction saisissante du Suaire de Turin, et je posai en vis-à-vis la petite croix de bois de Jean Bogey sur laquelle j’avais inscrit le Jesus Caritas du cher frère Charles de Jésus. Ces objets de mon culte intime devaient rester sur ma table de séminaire pendant cinq ans. Du coup cette chambre aux murs verts se changeait en cellule vraiment mienne avec le Bien-Aimé qui m’y avait introduit. » (Mémoires et récits t. 2 chap. 1 p. 11) Ayant ainsi vécu dans la contemplation de la Sainte Face pendant tout son séminaire, il en fera l’image souvenir de son ordination, le 27 mars 1948. Et lorsqu’il sera curé de Villemaur, plusieurs fois il réunira ses paroissiens dans un café, faute de place au presbytère, pour leur faire une conférence sur le Saint Suaire, à l’aide de diapositives.

Aussi, quand notre Père apprit l’ostension du Saint Suaire à Turin, il m’y envoya avec frère Joseph, d’autant qu’un de nos amis offrait deux places dans le car qu’il affrétait pour les pèlerins de Montpellier. De même, notre Père encouragea un grand nombre de nos amis à s’y rendre, en famille ou en groupe. Comme il l’écrivait dans la Ligue : « Ils furent donc de ces trois millions trois cent mille pèlerins dénombrés à Turin durant les quarante-trois jours de l’ostension du saint Linceul... Là aussi, les chrétiens ont “ voté avec leurs pieds ”. La preuve est faite de la permanence de la foi et de la ferveur des fidèles, et encore n’avait-on guère fait de propagande en haut lieu, tant d’hommes d’Église prétextant que la hiérarchie n’a pas à se prononcer sur cette discutable relique. Je ne pense pas qu’elle ait cependant à se crever les yeux systématiquement pour ne pas voir ce que les savants les plus sérieux du monde voient et montrent ! »

Comme je devais ensuite participer au Congrès scientifique des 7 et 8 octobre, à titre d’exégète, notre Père ajoutait : « C’est une chose absolument étonnante que tant de disciplines ecclésiastiques habituellement sans rapport, faute d’objet commun, soient engagées dans l’étude du Saint Suaire et, je peux déjà le dire, toutes aboutissant à la démonstration sans réplique de l’authenticité de celui-ci comme vrai linceul d’un vrai crucifié et tel qu’un seul crucifié connu, ressuscité, répond aux données fournies par l’objet même : Jésus-Christ ! »

VŒUX PERPÉTUELS DE NOTRE PÈRE.

Dans la joie de l’avènement de Jean-Paul Ier et de cette ostension du Saint Suaire, notre Père annonça à nos amis, le 3 septembre 1978, une autre grâce : en juillet, il avait pris la décision, lentement mûrie, de prononcer ses vœux perpétuels conformément à notre Règle monastique. Tout devenant très difficile, la situation paraissant devoir s’éterniser, il voulut donner à ses frères et sœurs, à ses amis comme à Notre-­Seigneur, la preuve de son attachement indéfectible à notre communauté, à notre œuvre, à notre combat.

« Le 15 septembre sera le vingtième anniversaire de la fondation de notre communauté des Petits frères du Sacré-Cœur, à Villemaur dont je devenais en même temps curé, avec la bénédiction de Mgr Julien Le Couëdic, évêque de Troyes, qui nous aimait bien alors, sous le pontificat finissant en gloire immense du grand pape Pie XII (et aussi dans le redressement français, hélas ! si cruellement inverti, du 13 mai algérois). Vingt ans. Vingt ans de tempête, et pour combien de temps encore ? »

« Il ne s’agissait pas de faire fête et je décidai seulement de marquer ce jour en prononçant le 15 septembre mes vœux perpétuels, pour mon propre avancement spirituel, mais aussi pour donner à tous ceux, frères, sœurs, et familiers et amis qui nous sont venus depuis ce 15 septembre 1958, une preuve de fidélité à Dieu, et à eux, d’engagement résolu, définitif, dans l’Ordre fondé, la voie tracée. Décision prise en juillet, annoncée au 1er août.

« Et voici que survient, en ce mois d’août, un changement si grand, si imprévu, qu’on n’attendait plus, et dont les heureux effets sont encore cachés à nos yeux : nous avons un Pape selon le Cœur de Dieu, selon nos cœurs !

« Nous allons pouvoir fêter, oh ! sans cérémonie, car je suis encore suspens a divinis, – depuis juste douze ans, c’était le 25 août 1966 ma dernière messe à l’église du village. Et surtout, je vais pouvoir émettre mes vœux dans cet esprit de confiance filiale et de soumission au Vicaire de ­Jésus-Christ sur la terre qui sera ma plus intense joie et consolation. Ce sera le 15 septembre à 11 heures dans notre maison Saint-­Joseph [...]. »

Notre Père exprimait son action de grâces pour ces vingt ans magni­fiques, de joies et de peines, de labeur au service de l’Église. Et dans une allégresse d’autant plus grande qu’elle est commune, inspirée en tous par la piété, la foi, la droiture sûre, la bonté du Père Commun, autorisant toutes les espérances !

« Vingt ans de tourments sont finis. Nous retrouvons l’Église, notre Sainte Église de septembre 1958, non forcément dans ses rites et ses formes extérieures, mais dans la foi catholique, l’espérance surnaturelle, l’amour de charité pour Dieu et pour le prochain. La joie alors éclate dans un peuple qui commençait de s’asphyxier : vive le pape Jean-Paul Ier, homme de Dieu ! Il est le Saint-Père, nous sommes ses enfants. » (CRC n° 133, au 3 septembre 1978, p. 15)

LE PAPE CATÉCHISTE.

Le pape Jean-Paul Ier semblait répondre spontanément à l’appel adressé au pape Paul VI par l’abbé de Nantes.

En effet, avant son élection, il s’était alarmé des progrès de l’ignorance religieuse :

« On prend l’habitude d’enseigner le catéchisme n’importe comment. Sous prétexte d’utiliser un langage nouveau, on en vient à amputer et à changer le contenu de la foi. »

Devenu Pape, il annonça sa résolution : « Je ferai peu de discours, ils seront brefs et à la portée de tous. » Et d’emblée, il enthousiasma les humbles fidèles par la forme même de ses allocutions émaillées d’images, d’anecdotes, de souvenirs, de paraboles : « Comme il prêche bien ! On comprend tout », s’exclamait une femme du peuple.

Et le journaliste Jean Bourdarias de rappeler qu’une telle prédication de la part d’un Pape n’était pas sans précédent : « Pie X faisait déjà le catéchisme, le dimanche, dans la cour du Vatican. » Pour sa première audience générale du mercredi, le 6 septembre 1978, Jean-Paul Ier prêcha sur l’humilité. Ainsi commençait-il à purifier l’Église de “ l’orgueil des réformateurs ” dénoncé par l’abbé de Nantes dans sa lettre à Paul VI publiée dans le premier numéro de La Contre-­Réforme catholique au XXe siècle (octobre 1967, p. 3-12)

« Devant Dieu, l’attitude du juste est celle d’Abraham qui a dit :  Je ne suis que poussière et cendre devant toi, ô Seigneur !  Nous devons nous sentir petits devant Dieu. »

Exit le “ culte de l’homme ” ! Et retour à la “ petite voie d’enfance ” de la “ petite Thérèse ” de Lisieux que Lucie de Fatima, « fille chérie de l’Église », selon le cardinal Luciani au sortir de son audience au Carmel de Coïmbre en 1977, ne songeait qu’à imiter.

« Quand je dis :  Seigneur, je crois ”, je n’ai aucune honte à me sentir comme un petit enfant devant sa maman ; on croit en sa maman ; je crois au Seigneur, à ce qu’il m’a révélé. »

Les quatre audiences de ce bref pontificat étaient le commentaire de la première prière de l’Ange de Fatima, précurseur de Notre-Dame, en 1916 : « Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère, et je vous aime... » Sa prédication sur l’Espérance, sourire de la vie chrétienne qui illuminait le visage du Saint-Père, révélait sa joie intime de se savoir « emporté dans une destinée de salut qui débouchera un jour sur le paradis ».

Le 27 septembre, le “ Pape du sourire ” achevait cet enseignement tout évangélique en parlant de la Charité, troisième vertu théologale, toujours avec la même joyeuse simplicité. « En somme, aimer veut dire : voyager, courir avec son cœur vers l’objet aimé. L’Imitation de Jésus-Christ dit :  Celui qui aime, court, vole, déborde de joie.  Aimer Dieu, c’est donc voyager avec le cœur vers Dieu. C’est un très beau voyage. » C’était la veille de sa mort.

« Ce voyage comporte aussi des sacrifices, continuait le Pape, mais ceux-ci ne doivent pas nous arrêter. Jésus est en Croix. Veux-tu l’embrasser ? Tu ne peux alors faire moins que de te pencher sur la Croix, te laisser piquer par une épine de la couronne qui est sur sa tête. »

LE PAPE DE L’HOLOCAUSTE.

Notre Sauveur accomplit son ministère public en un an, avant de s’offrir en holocauste pour la rédemption de son peuple, comme il l’avait annoncé à ses disciples. « Le Père que l’Église nous avait donné dans la joie universelle le 26 août au soir, trente-trois jours plus tard Dieu l’a rappelé soudainement à Lui, dans la nuit du 28 au 29 septembre pour notre chagrin à tous et notre consternation. “ Dieu nous l’a donné, Dieu nous l’a repris, que son saint Nom soit béni. ” » (Jb 1, 21)

L’éditorial consacré au Pape défunt dans le numéro d’octobre présente une telle analogie avec le troisième Secret de Fatima, qui ne sera révélé qu’en l’an 2000, que nous sommes conduits à penser que notre Père a vécu et compris ces événements dans la lumière de Dieu, tels qu’on les voit au Ciel : « Tous se sentent touchés par une grâce mystérieuse, écrivait notre Père, sanctifiés par le passage de cet agneau innocent, saintement émus par le sacrifice du Pasteur très bon qui donnait sa vie pour son troupeau, et dont le sacrifice s’est trouvé accepté...

« Albino Luciani, cela veut dire blanche lumière, splendeur lunaire qui brille dans la nuit et l’éclaire d’une beauté qu’elle doit toute au soleil dont elle est le reflet. Telle fut l’humilité de celui qui avouait n’être pas la lumière mais vouloir n’en être auprès de nous que le miroir. Et la sagesse d’un Vicaire du Christ qui ne voulut rien savoir parmi nous que Jésus et Jésus crucifié, donnant congé à tout l’humain qui engorgeait, qui enténébrait, qui hébétait l’Église... »

MARTYR DE SES FRÈRES.

« Ils l’ont tué ! » murmuraient les Romains en passant devant le corps du Père Commun, si brutalement enlevé à leur affection. « Ce qui a tué le saint pape Jean-Paul Ier, c’est d’avoir ouvert les dossiers secrets de Paul VI, commentait notre Père. Les dossiers, c’est le cancer dans l’Église, toute cette leucémie de désordre, d’apostasie, d’immoralité répandus, installés officiellement, flattés, du haut en bas de la hiérarchie. » Ces choses étaient connues du cardinal Luciani, mais « il ne les avait jamais considérées dans leur ampleur, laissant cela à l’autorité suprême et s’appliquant à remplir en perfection sa charge, tenant la main à tout dans son patriarcat de Venise sans tolérer le moindre désordre. Or voici ce dont il est mort : d’avoir vu qu’il faudrait sortir des voies pai­sibles d’un sage réformisme qui se voulait conciliaire, pour trancher dans le vif et combattre le désordre postconciliaire. S’il s’est senti trop faible pour une telle lutte, alors c’est vrai qu’il en est mort ; mais s’il avait résolu tout de suite de livrer ce combat, peut-être qu’ils l’ont tué en effet. » (CRC n° 134, oct. 1978, “ Le saint que Dieu nous a donné ”, p. 2-3)

L’implacable démonstration que le journaliste anglais David Yallop publia en 1984 dans son livre “ Au nom de Dieu ”, confirma la vérité de tout ce que notre Père avait appris et supputé : Jean-Paul Ier se préparait à mettre fin aux malversations financières et aux escroqueries de Mgr Paul Marcinkus, placé par Paul VI à la tête de la Banque du Vatican, et secondé ou parrainé par des mafiosi milanais et siciliens, ainsi que par des forbans de la loge P 2, dont son grand maître, Licio Gelli.

C’est le 28 septembre que le pape Luciani déclencha son “ coup de majesté ”. Le lendemain matin, à 5 heures précises, une voiture du Vatican se présentait à la porte d’embaumeurs romains, les frères Signoracci... la voiture avait donc quitté le Vatican pour aller chercher les embaumeurs avant même qu’on ait découvert le Pape mort, dans son cabinet de toilette !

Ce fait s’inscrit dans un ensemble d’indices et de preuves démontrant l’assassinat de Jean-Paul Ier par empoisonnement. Les révélations stupéfiantes du journaliste anglais, dont l’abbé de Nantes recensa immédiatement l’enquête, ont été confirmées par la suite des événements.

LA GRÂCE D’UNE BRÈVE CONTRE-RÉFORME SPONTANÉE.

Le charisme extraordinaire du Pape pour toucher et réchauffer les cœurs provoqua, dès les premiers jours du pontificat, une renaissance catholique spontanée.

« Ce Pape religieux et ferme dans la foi, si bon, si gracieux, par sa seule apparition a refait l’unité cordiale du peuple chrétien, sur l’essentiel qui est le culte de Dieu, la foi en lui, la piété personnelle et le labeur des vertus, surtout l’amour fraternel. Et l’Église s’est sentie revivre, délivrée du carcan des nouveautés postconciliaires, de la tyrannie des intellectuels réformistes, des exigences insupportables de l’ouverture au monde. Il était donc si simple d’être catholique ? Le sourire du Pape montrait aussi, prêchait que c’était une joie, un bonheur. Ainsi s’était ressoudée cette alliance immémoriale que nous avions oubliée, entre le Pape et le peuple, hors des incom­préhensibles tracasseries du parti réformateur et de son soviet suprême [...].

« Nos chefs de cercle nous annonçaient déjà, dans les paroisses, de la part des prêtres, dans les monastères, dans la presse catholique, un retour non pas contraint mais spontané, mais joyeux, à la religion toute pure, celle d’autrefois. » (ibid.)

En écoutant le pape Jean-Paul Ier, l’abbé de Nantes notait encore maints propos qui, avec gentillesse et humour, allaient à la remise à l’endroit d’idées que les quatorze ans de pontificat de son prédécesseur avaient tenues à l’envers. Il s’en disait « fondé à croire que les temps d’avant la réforme con­ciliaire étaient revenus ; donc que la tradition n’avait subi de césure que partielle, plus apparente que réelle. L’Église allait récupérer la “ lampe merveilleuse d’Aladin ” que, sottement, sa femme avait cédée au magicien. »

Le Pape avait appliqué cette allégorie au changement des catéchismes, lorsqu’il était patriarche de Venise. « Attention ! Les idées offertes par certains magiciens, même si elles brillent, ne sont que du cuivre et n’ont qu’un temps. Celles qu’ils appellent vieilles et dépassées sont souvent des idées de Dieu, dont il est écrit qu’elles ne passeront pas. »

La préoccupation majeure du pape Jean-Paul Ier était de restaurer l’unité dans l’Église : « Nous devons travailler ensemble, déclarait-il dans son discours aux cardinaux, le 31 août 1978 ; cherchons à donner au monde le spectacle de l’unité, même au prix de quelques sacrifices, quelquefois. »

L’abbé de Nantes rejoignait d’autant mieux ce souci du Saint-Père qu’il avait fondé la Ligue de la Contre-Réforme catholique dans ce seul but, préconisant « une trêve entre catholiques, trêve qui par sa propre vertu pourrait, en se prolongeant, ramener la paix dans l’Église ». Le moment était donc venu. « Pour l’union, pour la réconciliation, assurait notre Père, nous sommes prêts ici à de grands sacrifices, étant sauves la foi, l’espérance et la charité. »

Mais Dieu ne se contenta pas de nos offrandes de purification ; comme à son Fils dans l’Évangile, comme à sainte Thérèse de Lisieux, il demanda un sacrifice d’holocauste. Notre Père l’avait pressenti puisqu’il s’apprêtait à écrire la chronique de ce premier mois de règne, pour révéler ce qui se tramait, sous le titre prémonitoire : « Le Pape de l’holocauste. »

LES FRUITS D’UN BREF PONTIFICAT.

À la différence de tant d’autres Papes loués de leur vivant, oubliés après leur mort, le souvenir de celui qu’on a appelé “ le Pape du sourire ” parlera longtemps encore au cœur de l’Église. Ainsi, malgré les erreurs, schismes et scandales du concile Vatican II, la sainteté subsistait dans l’Église, et pas seulement dans le camp des opposants déclarés aux réformes conciliaires. Des âmes pures et soumises demeurèrent indemnes d’hérésie et de schisme, malgré leur ralliement par obéissance innocente aux doctrines nouvelles qu’elles voulaient entendre dans un sens catholique traditionnel. Notre Père me le faisait un jour remarquer à propos de sœur Lucie : dans sa sagesse, Dieu peut permettre qu’un de ses inspirés s’égare sans l’offenser, afin que la masse des fidèles, qui auront suivi le Pape sans comprendre, soient excusés de leur égarement. Et de me citer l’exemple d’Albino Luciani acceptant la liberté religieuse.

Des circonstances exactes de l’assassinat de Jean-Paul Ier, notre Père tira une autre leçon : « L’idolâtrie de l’Argent, devenue la tare essentielle de notre monde moderne, maintenant qu’elle s’exerce souverainement dans la Maison de Dieu, achevait de tout corrompre. » Albino Luciani avait « mesuré cette plaie du capitalisme international, immense “ fortune anonyme et vagabonde ”, ravageuse des familles, des institutions chrétiennes, des États, et compris qu’elle était le mal le plus profond de notre société moderne. Et depuis toujours, en ce qui le concernait, c’est à ce mal qu’il s’était attaqué.

« Élu Pape, il réformerait l’Église pour y ramener la pauvreté évangélique, “ réelle aussi bien que de cœur ”. En commençant par Rome, et dans Rome, par le Vatican, et dans le Vatican par sa banque. C’est d’avoir vigoureusement entrepris ce nettoyage difficile, dangereux, qu’il est mort.

« Je ne dirai plus avec Dostoïevski : c’est la beauté qui sauvera le monde. Maintenant, je vois dans la douce lumière du premier Pape martyr de l’ère capitaliste moderne : c’est par la pauvreté que l’Église romaine, purifiée, sauvera le monde. » (CRC n° 203, août 1984).

L’ÉLU DE NOTRE-DAME

Enfin, la publication du troisième Secret de Fatima, en l’an 2000, nous livrera la clef du mystère, en révélant à l’Église que Jean-Paul Ier, martyr de ses frères, était l’élu du Cœur Immaculé de Marie. Lorsque le patriarche de Venise avait rencontré la voyante dans son carmel de Coïmbre, le 11 juillet 1977, sœur Lucie l’avait mystérieusement prévenu un an avant son élection ! lui révélant que son pontificat serait bref et s’achèverait tragi­quement. Décidé à consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie, « selon les indications que la Sainte Vierge a données à sœur Lucie », Albino Luciani était alors entré dans le dessein divin avec une docilité d’enfant, cachant sous un sourire de jour en jour plus héroïque, le terrible secret le concernant.

Ce saint Pontife nous apparaît comme la figure annonciatrice du Pape de nos espérances, à l’âme de pauvre, qui aura suffisamment de vraie dévotion et d’humilité intérieure pour satisfaire aux requêtes de Notre-Dame de Fatima, dans un acte d’obéissance et d’amour filial envers son Cœur Immaculé.

JEAN-PAUL II L’HÉRÉSIARQUE

L’orientation traditionnelle que le “ pape du sourire ” avait imprimée à son pontificat en seulement trente-trois jours en avait alarmé plus d’un, et la possibilité d’une réaction de “ contre-réforme ” effraya. Il y eut des tractations dans le collège cardinalice. Le cardinal Wojtyla, archevêque de Cracovie, se savait papabile. L’homme était connu à Rome depuis qu’il avait prêché au Vatican, en 1976, devant Paul VI, une retraite intitulée “ Le signe de contradiction ”. Venu du bloc de l’Est, catholique polonais, grand voyageur, travailleur assidu, athlétique, polyglotte, lorsque le cardinal Karol Wojtyla fut élu au soir du 16 octobre 1978 et prit le nom de Jean-Paul II, tous les Pères du conclave se déclarèrent satisfaits, « mais chacun pour ses propres raisons qui n’étaient plus les mêmes en tous ». (La Contre-Réforme catholique n° 136, décembre 1978, p. 11)

Jean-Paul II avait assurément, du moins apparemment, des qualités humaines de grande envergure susceptibles d’en faire un très grand pape. Mais les immenses espérances de notre Père furent cruellement déçues.

Étudiant la vie complexe du nouveau Souverain Pontife, il remarqua d’emblée des divergences qui le distinguaient du cardinal Wyszinski, archevêque de Gniezno et Varsovie, qui en 1950, pour éviter le pire, avait signé un accord avec le gouvernement communiste aux termes duquel le Primat de Pologne combattait « sur le terrain des revendications religieuses, et non humanistes, catholiques et non révolutionnaires (...). » Tandis que le jeune cardinal Karol Wojtyla s’enflammait et enflammait ses ouailles avec les incendiaires droits de l’homme. Jean-Paul II se présentait donc comme le Pape des droits de l’homme.

La publication par Jean-Paul II de son encyclique inaugurale Redemptor hominis le 15 mars 1979, montrait qu’il revendiquait pleinement l’héritage de Paul VI et faisait siens son culte de l’homme, son exaltation de sa dignité et la revendication de ses droits, « causes manifestes de la décadence de l’Église et de la malédiction divine sur le monde. »

Que fallait-il faire ? Notre Père voyait trop clairement la vérité. Il ne put se résoudre à se taire et s’aligner sur l’encyclique en vertu d’une “ soumission intérieure et respectueuse. ” Il devait révéler les raisons certaines de son angoisse, c’est-à-dire prendre le parti « le plus loyal, le plus juste et le plus charitable ».

Il reprit ainsi son combat de contre-réforme qui le conduira, le 13 mai 1983, à Rome, entouré par deux cents délégués de la Ligue de Contre-Réforme catholique, pour remettre entre les mains du Juge suprême de la foi, notre Saint-Père le pape Jean-Paul II, un deuxième livre d’accusation récapitulant toutes ses plaintes. Dans les années qui suivirent, les hérésies, schismes et scandales, objets de cette plainte, ne firent que s’aggraver, se multiplier, de la part de Karol Wojtyla, notre frère dans la foi. En effet, bien que cette démarche soit conforme aux canons 212, 221 et 1417 du Code de droit canonique, l’autorité a toujours refusé d’examiner et même de recevoir cette accusation contre le Souverain Pontife régnant. Comme celle signifiée dix ans plus tôt à l’encontre de Paul VI, elle demeure en attente d’un jugement qui, s’il reconnaissait son bien-fondé, devrait interdire le “ culte ” de dulie frauduleusement rendu aux prétendus “ saints ” Papes de la Réforme conciliaire. Du ciel où il est monté, l’abbé de Nantes parle encore contre l’hérésie de Jean-Paul II, corollaire de « la foi en l’homme qui se fait Dieu » proclamée par son prédécesseur et « père spirituel », Paul VI.

En exorde de ce deuxième Livre d’accusation, l’abbé de Nantes cite un texte sur lequel il se déclare prêt à engager toute sa foi et sa vie éternelle :

« Sur lequel pourrait se juger toute la cause ». Il s’agit des pages 222 à 227 du « Dialogue avec André Frossard, N’ayez pas peur », dont la partie attribuée à Jean-Paul II, a été, de fait, écrite, revue et soigneusement mise au point par lui avant sa publication en 1982.

Dans les pages incriminées, Jean-Paul II cite la réponse de Jésus à Pilate : « Oui, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jn 18, 37) Il commente : « Le Christ est roi en ce sens qu’en lui, dans son témoignage rendu à la vérité, se manifeste la  royauté  de chaque être humain, expression du caractère transcendant de la personne. C’est cela l’héritage propre de l’Église. »

Cette affirmation contredit formellement la tradition catholique selon laquelle la vérité pour laquelle est mort Notre-Seigneur Jésus-Christ concerne Dieu son Père et Lui-même dans son unique, sacrée, inviolable et inaccessible Sainteté, autrement dit sa “ transcendance ” de Fils de Dieu, unique Roi de l’univers et Sauveur de son peuple. Tandis que Jean-Paul II fait du Christ un martyr de la dignité, de la royauté, de la prétendue transcendance de l’homme.

LETTRE A LA PHALANGE DU 3 AVRIL 1983

Mes très chers amis,

LA présente lettre m’est dictée  par la nécessité où je suis de prendre congé de vous pour un bon mois, et de vous demander d’être très patients dans l’attente d’une réponse à vos lettres, ou d’un remerciement pour vos charités et générosités inlassables. Il faut en effet que je m’enferme pour prier et pour préparer notre démarche à Rome. De celle-ci je vous parlerai tout à l’heure, mais d’abord je veux vous dire ce que j’attends de vous, instamment, dans ces graves moments.

Ces mois d’avril et de mai vont être extraordinairement importants pour notre cause, pour l’œuvre que nous avons entreprise avec la bénédiction de Dieu et votre constant soutien. Il faut donc que je vous exhorte à continuer, à augmenter votre participation à notre apostolat, et votre dévouement. D’abord, à prier pour l’Église et pour la France, pour le Saint-Père dont tout dépend, pour nous, et à la dernière place, pour moi. Je vous exhorte à dire le chapelet chaque jour, en famille ! à répondre aux demandes de Notre-Dame de Fatima ! à commencer, ou recommencer avec nous, dès ce mois de mai, les cinq premiers samedis du mois ? Oui, prier. [...]

Enfin, dernière demande, étudiez sérieusement les CRC de ces derniers mois, écoutez attentivement les cassettes, pour être personnellement convaincus que nous avons raison de faire ce que nous faisons, et ainsi, vous rendre capables d’en convaincre les autres. L’opinion générale nous est contraire ; les deux camps du traditionalisme, wojtylien l’un, lefebvriste l’autre nous sont on ne peut plus opposés, sans compter les sédévacantistes. Ne parlons pas des pasteurs de l’Église conciliaire qui, sachant notre résolution et nos raisons, nous opposent un front uni comme un mur de béton. À vous de nous ménager quand même une zone d’opinion un peu favorable, un peu compréhensive. Faute de laquelle notre démarche manquerait d’un appui important, celui d’une frange, aux limites indéfinies, autour du noyau dur de nos parfaits amis.

Cela dit, j’en viens à vous faire part de mes sentiments intimes. Peut-être cet appel véhément à votre prière, à votre soutien, à votre engagement total vous paraîtra jailli d’un cœur angoissé. Déjà je sais que beaucoup d’entre vous ont peur, peur de ce que nous allons faire. Peur de ce qui va arriver. Je dois vous détromper en ce qui me concerne, même si ce lugubre romantisme devait me faire davantage écouter de vous ! Pour ce qui est de l’œuvre entreprise, il est sûr qu’elle aboutira tôt ou tard, mais d’autant plus et mieux que vos volontés y auront aidé. C’est ce qui explique mes objurgations qui tâchent d’être à la mesure de mon désir de voir la Contre-Réforme catholique advenir pour le salut des âmes, la renaissance de l’Église et la paix du monde. Mais pour ce qui est de l’état intime de celui qui vous conduit dans cette rude tâche et ce crucifiant pèlerinage du 13 mai, je dois vous rassurer, je n’ai ni trouble ni peur. Ce n’est pas inconscience. Et il me faut là entrer dans des confidences auxquelles vous avez droit. Pendant de longues années, mon Dieu ! presque vingt ans, oui, vingt ans ! je n’ai mené cette lutte contre la réforme de l’Église qu’à la lumière de notre foi commune. J’ai toujours répondu sincèrement à ceux qui s’étonnaient de mon assurance, à ceux du moins qui ne la prenaient pas pour une paranoïa tranquille, que nulle apparition ni révélation céleste n’y était pour rien : La foi, la foi seule suffisait pour nous tous à fonder cette entreprise, à justifier ce combat, unique il faut le dire dans les annales de l’Église. Probablement cette fois la chose est plus terrible. À l’automne dernier, j’en étais remué, pour ne pas employer les grands mots d’accablé, d’écrasé. La foi suffisait encore, et je ne demandais rien au Père pour continuer ce travail.

Je ne dis pas que j’ai eu quelque vision ou révélation, cela n’est pas dans la manière de Dieu à mon endroit. Mais une grâce que je ne peux considérer comme m’ayant été donnée pour moi seul. Je devais en avoir besoin, ou cela devait m’être d’un grand secours, mais à vous aussi, mes frères, mes sœurs, nos amis. Qu’est donc cet envahissement de l’Esprit-Saint ? Une paix, une joie, une force sans cause humaine, constante, invariable, inaccessible aux fluctuations de la vie quotidienne, facilités, difficultés, faveur ou défaveur des êtres dont tout dépend pour nous. C’est aussi une communication de certitude : En suivant cette ligne, nous faisons ce que Dieu veut. Certitude surnaturelle qui dépasse tant les horizons humains qu’elle laisse l’âme indifférente à la vie – et à la mort même, au succès, à la gloire, bien sûr ! ou à l’échec, aux mépris et à la haine, bien sûr aussi. Je sais maintenant de Dieu que notre démarche est utile à l’Église, elle s’inscrit dans son histoire, elle fait corps avec le mystère de la croissance du Règne du très unique et immaculé Cœur de Jésus et de Marie dans le monde, croissance qui se fait rapide en ce siècle, mais à rebours de ce qu’on en croit et en dit communément. À l’opposé !

Par ce don divin, certains progrès intimes m’ont été faciles, ce qui est un signe pour moi seul, mais surtout l’œuvre que je dirige s’est détachée de moi, et cela vous concerne. Dieu la poursuit, par vous ! par nous ; il la mène selon ses desseins de toute-puissance et de miséricorde tandis que nous n’avons qu’à nous y laisser conduire, mener, agir, le cœur désormais libre de toute crainte, l’imagination de toute frayeur, la pensée de tout doute, n’ayant plus d’autre occupation intérieure que de Lui plaire, notre âme seule à Seul avec Lui, et de Le servir aussi bien dans nos travaux ordinaires et sans importance, que dans des entreprises qui peuvent sembler à bon droit gigantesques mais qui, dès lors, ne sont plus de nous mais de Lui.

Comment ferai-je pour écrire en un mois ces cent pages d’un Livre dont je n’ai encore conçu ni le plan, ni la matière ? Comment affronterons-nous encore Rome, ses Palais hostiles, ses hautes portes closes, sa police, ses foules ? Je n’en sais rien et n’en ai, à la différence de la première fois, aucune peur, aucun souci. Non parce que je m’habitue à pareille affaire ! Mais parce que cette fois, pour une œuvre trop dure, Dieu m’aide. Que ces affirmations étranges sous ma plume, qui n’en est pas coutumière, vous donnent cette paix qui n’est pas celle que le monde donne, et qui vient de Jésus par Marie. Que cette paix vous fortifie et vous engage à nous aider beaucoup. Le faisant, vous saurez que vous suivez vous aussi l’inspiration de notre Père céleste, pour l’œuvre de son Fils bien-aimé en faveur de l’Église, par la force pleine de lumière et d’amour de leur Esprit-Saint. Et vous ne vous plaindrez plus de la difficulté des temps, et de la croix qu’il nous faut porter. Au contraire, avec nous, comme nous, vous serez éperdus de reconnaissance et de louange à ce Dieu trois fois saint dont le triomphe est proche par la Croix.

Votre père qui vous donne son cœur et sa bénédiction de prêtre,

frère Georges de Jésus.

a) Ésotérisme.

L’abbé de Nantes révèle ce que les biographes taisent ordinairement : Mieczyslaw Kotlarczyk, maître et ami de Karol Wojtyla, était un disciple du théosophe Rudolf Steiner, adepte d’un christianisme cosmique, a-dogmatique et évolutionniste. On ne saurait y voir une simple influence de jeunesse sur le jeune Karol fasciné par la magie enivrante de l’art théâtral, puisque, devenu archevêque de Cracovie, il accorda une introduction à l’ouvrage de Kotlarczyk, “ L’art du mot vivant ”. Or, celui-ci développe une thèse selon laquelle « un groupe de personnes, unanimement soumises au verbe poétique (sic), revêt une signification éthique : la signification d’une solidarité dans le Verbe (sic !), la signification d’une loyauté à l’égard du Verbe ».

Curieusement, cette préface ne figure pas dans les recensions des travaux de Karol Wojtyla... Pour ne pas faire obstacle à sa canonisation ?

Pour bien saisir la contradiction à la foi catholique de cette prétendue “ transcendance de l’homme ”, principe du dialogue assidûment pratiqué par le pape Jean-Paul II avec les athées, il suffit de lire la transcription de la retraite “ Le signe de contradiction ”, prêchée par lui au Vatican en 1976, devant Paul VI. Il y évoque la parole du vieillard Siméon à la Vierge Marie le jour de la Présentation :

« Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël. Il doit être un signe en butte à la contradiction. » (Lc 2, 34)

L’appliquant à la contradiction hégélienne entre religion catholique (thèse) et athéisme moderne (antithèse), il entend montrer que l’idée d’un Dieu n’acceptant pas la royauté de l’homme est un effroyable malentendu qu’il se donne pour mission de dissiper.

En effet, au lieu de condamner le “ déicide spéculatif ” par lequel le scientifique et le philosophe moderne rejettent l’autorité de Dieu, lui substituant la leur propre, comme s’ils étaient eux-mêmes Dieu, le cardinal Wojtyla justifie ce crime déicide par une exégèse entièrement nouvelle des trois premiers chapitres du Livre de la Genèse. Toute son argumentation repose sur une interprétation inédite du récit biblique du péché originel, selon laquelle la faute aurait consisté non pas à s’élever contre Dieu, mais à succomber au “ mensonge ” de Satan, faisant accroire à Adam et Ève que Dieu était jaloux de leur royauté !

« Cela commença par un mensonge que l’on pourrait assimiler à une erreur d’information, à quoi l’on pourrait laisser le bénéfice de la bonne foi :  Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?  La femme n’a aucun mal à rectifier l’information erronée ; peut-être ne pressent-elle pas qu’elle constitue seulement un début, un prélude aux intentions du père du mensonge. Celui-ci cherche d’abord à saper la véracité de la parole divine en insinuant :  Vous ne mourrez pas !  Il porte ainsi atteinte à l’existence même de l’Alliance entre Dieu et l’homme. » (Liber accusationis II, p. 43)

L’abbé de Nantes fait remarquer que le cardinal Wojtyla a, dans cette présentation, « escamoté l’existence d’un précepte de Dieu à nos premiers parents : “ Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. ” » (Gn 2, 16-17) Le résultat de cette savante « omission » est l’effacement de cette vérité première « que Dieu a le droit de commander, et qu’il a commandé en fait à sa créature, sous peine de châtiment, ce qu’il a voulu lui ordonner, exigeant son obéissance pour le pur et simple bien, mérite, avantage et gloire de l’obéissance ». Selon Wojtyla, toute la faute revient uniquement à Satan, dont « l’énoncé veut détruire, dit-il, la vérité sur le Dieu de l’Alliance, sur le Dieu qui, par amour crée, par amour conclut avec l’humanité une Alliance en Adam, par amour pose des exigences s’étendant à l’essence même de l’homme, à la raison même de l’homme ».

Ainsi, selon cette exégèse, l’amour exclut toute loi qui irait au-delà de ce qu’exige de soi « l’essence même de l’homme » sous le contrôle de « la raison ». Ce qui revient à faire de l’acte d’autorité un péché, et de la désobéissance la réaction naturelle et vertueuse à tout empiétement de Dieu et de quiconque sur la liberté de l’homme.

Il en résulte que l’obéissance, la soumission, l’adoration sont trois exigences mensongèrement prêtées à Dieu par Satan, selon Wojtyla :

« Le Dieu de l’Alliance est effectivement présenté à la femme comme un Souverain jaloux du mystère de sa domination absolue. Il est présenté comme l’ennemi de l’homme auquel il convient de s’opposer. » (ibid. p. 44)

Un tragique “ malentendu ” serait né de là, qui traverse toute l’histoire jusqu’à nous :

« On peut dire que nous nous trouvons au commencement de la tentation de l’homme, au commencement d’un long processus, qui va se déployer sur toute l’histoire. » (ibid. p. 44)

Aujourd’hui, cet artifice du démon explique l’athéisme qui oppose l’homme moderne à Dieu depuis la naissance de l’humanisme. Heureusement, ce malentendu a été dissipé par le concile Vatican II lorsqu’il a proclamé solennellement « pleinement légitime l’autonomie des hommes en société, et des sciences » (ibid. p. 45).

C’est ainsi que Karol Wojtyla sacrifie la religion catholique traditionnelle à son antithèse moderne, l’humanisme athée. À ce “ vendredi saint spéculatif ”, il fait succéder un “ samedi saint dialectique ”, de « descente aux enfers » pour y « dialoguer » avec les athées. À André Frossard, il affirme : « Si la situation de l’homme dans le monde moderne – et surtout dans certains cercles de civilisation – est telle que s’écroule sa foi, disons sa foi laïque (sic) dans l’humanisme, la science, le progrès, il y a bien sûrement lieu d’annoncer à cet homme le Dieu de Jésus-Christ, Dieu de l’Alliance, Dieu de l’Évangile, tout simplement

(ce “ tout simplement ” est d’une incroyable densité, commente l’abbé de Nantes) pour qu’il retrouve par là (par la foi en Dieu, en Jésus-Christ, en l’Évangile) le sens fondamental et définitif de son humanité, c’est-à-dire le sens proprement dit de l’humanisme, et de la science, du progrès, qu’il ne doute pas, et qu’il ne cesse pas d’y voir sa tâche et sa vocation terrestre. » (N’ayez pas peur, p. 273)

C’est évidemment, de l’aveu même du cardinal Wojtyla, « une réinterprétation de l’Évangile » qui « ouvre de nouvelles voies à l’enseignement. Les chrétiens ont le devoir de façonner le visage de la terre et de rendre la vie plus humaine. Il est de leur devoir de donner à ce qu’on appelle le progrès social sa véritable signification. » (Blazynski, Jean-Paul II. Un homme de Cracovie, éditions Stock, 1979, p. 253)

Dès lors, prend tout son sens cette affirmation de sa première encyclique, Redemptor hominis : « L’attitude missionnaire commence toujours par un sentiment de profonde estime face à  ce qu’il y a dans l’homme ”. » Référence à Jean 2, 25. Mais, si l’on se reporte à ce passage du quatrième Évangile, on doit constater que Jésus, loin de manifester une telle estime pour les hommes,  « ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous, et qu’il n’avait pas besoin d’être renseigné sur personne : Lui savait ce qu’il y a dans l’homme ».

Pour accorder sa « foi en l’homme » avec l’Écriture, le pape Jean-Paul II est contraint de l’interpréter à contresens !

Dans “ Signe de contradiction ”, on peut lire encore :

« La gloire de Dieu est l’homme vivant ! Et Dieu le conduit vers la gloire... Cette gloire, c’est Dieu qui avant tout la désire. Lui seul a le pouvoir de révéler la gloire de la créature, de révéler la gloire de l’homme dans le miroir de sa Vérité, et par conséquent dans les dimensions de l’Accomplissement final... La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. »

L’abbé de Nantes commente : « Voilà donc enfin la synthèse de la Religion ancienne et de l’Athéisme contemporain. C’est leur accomplissement final en l’Homme vivant, riche en avoir et en être, parachevé dans le sentiment sacré de son existence et dans la gloire de sa liberté. L’Homme et Dieu sont réconciliés, mais c’est dans l’Homme. Saint Irénée entendait de tout autre manière une telle réconciliation, non pas en l’Homme, mais en Dieu : “ La gloire de Dieu, c’est que l’homme vive. Et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ” (Adv. Hær. IV, 20, 5-7) ! L’homme y dépend tout de Dieu et de sa grâce, non de sa propre liberté et de son propre orgueil ! De l’un à l’autre il y a toute la différence d’une religion à son contraire, du culte et de l’amour de Dieu jusqu’au sacrifice de soi-même et à la mort de la croix, au culte et à l’exaltation de soi jusqu’à la mort de Dieu et à l’effacement de Jésus-Christ. » (Liber accusationis ii, p. 62)

Le théocentrisme de notre sainte religion catholique a fait place, dans le cœur et la pensée de Jean-Paul II, à l’anthropocentrisme, le culte de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, au culte de l’homme qui se fait dieu. Cette idolâtrie s’exprime par exemple dans le discours prononcé à l’Unesco, le 2 juin 1980 :

« Il faut considérer jusqu’à ses dernières conséquences et intégralement l’homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l’homme pour lui-même et non pour quelque autre motif : uniquement pour lui-même. Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance du message du Christ, malgré ce que tous les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier. »

Dans ce même discours, Jean-Paul II déclarait que « dans le domaine culturel, l’homme est toujours le fait premier : l’homme est le fait primordial et fondamental de la culture... C’est en pensant à toutes les cultures que je veux dire ici, à Paris, au siège de l’Unesco, avec respect et admiration : Voici l’homme ! »

L’abbé de Nantes a qualifié cette parole de « blasphème ». Il est, de fait, significatif que le pape Benoît XVI, dans son message adressé à l’Unesco pour le vingt-cinquième anniversaire de ce mémorable discours, a cité ce passage, mais non pas cette dernière phrase.

En présence d’un tel texte, le théologien de la Contre-Réforme catholique s’interroge :

« Serait-ce une construction intellectuelle destinée à rapprocher les athées, les incroyants, les indifférents, d’une Église qui se montrerait plus accueillante à leurs problèmes, même avec quelques excès d’éloquence ? » S’il en est ainsi, « ce serait un moindre mal, que l’insuccès total d’une telle apologétique devrait suffire à terminer ». Mais il est légitime de se demander si ce ne serait pas davantage : « Une vraie passion, une obsession de l’homme, de sa grandeur, de son amour, de sa réussite ? » Dans ce cas, annonçait l’abbé de Nantes dans son Livre d’accusation, « cet humanisme encombrera de plus en plus l’espace de votre esprit, de votre cœur, de votre temps, de vos activités ! Et cela sera d’autant plus grave que vous êtes monté au plus haut degré de la hiérarchie ecclésiastique. Parce qu’alors tout doit être enfin donné à l’homme et enlevé à Dieu, tout ce qui est conservé pour Dieu paraissant refusé à son rival l’homme. » (Liber accusationis ii, p. 68)

En 1983, l’abbé de Nantes accusait Jean-Paul II d’étouffer la religion. Sept ans plus tard, ce dernier avouait lui-même que « le nombre de ceux qui ignorent le Christ et ne font pas partie de l’Église augmente continuellement, et même il a presque doublé depuis la fin du Concile » (Redemptoris missio, 7 décembre 1990).

b) Chaque homme, sans exception, uni à Jésus-Christ.

Jean-Paul II cite continuellement une affirmation introduite par lui-même dans la Constitution Gaudium et spes, lorsqu’il siégeait au Concile comme archevêque de Cracovie, en vertu de laquelle « le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme par son Incarnation ». Confondant la nature et la grâce, la vie humaine et la vie divine, le pape Jean-Paul II ne met aucune condition à l’union au Christ « de chaque homme sans exception, même si ce dernier n’en est pas conscient » (Redemptor hominis, n° 14). Quelle que soit sa religion ou son irréligion.

Il en résulte ce que l’abbé de Nantes appelle une « Pâque idéaliste », succédant au « Vendredi saint spéculatif » et au « Samedi saint dialectique », c’est-à-dire que l’Église sauvera sa foi (“ Pâque idéaliste ”) en acceptant l’humanisme athée matérialiste (« Vendredi saint spéculatif ») d’un monde qui la rejette (“ Samedi saint dialectique ”).

Il faut seulement remarquer que la “ foi ” que Jean-Paul II veut réconcilier avec l’humanisme contemporain est le fruit de la création spontanée et universelle des profondeurs du sentiment humain : la “ foi ” moderniste.

Très Saint-Père, « Vous proposez sous le nom générique de la foi, une autre connaissance, tellement plus séduisante, meilleure ! D’autant qu’elle répond au désir de “ toute une génération ”, qui “ refuse d’admettre des croyances toutes faites et contraignantes pour son intelligence ” (cf. N’ayez pas peur) [...]. »

« Vous en êtes à l’abandon de la foi catholique au profit de l’expérience religieuse du divin jaillissant au plus profond de la conscience où se révèle votre Dieu nouveau ! »

« Adhésion contrainte à un Credo enseigné par l’Église ? Théisme que cette passivité devant une vérité tombée de haut, répétée par l’Église. Extrinsécisme insupportable à toute notre génération ! “ La foi – la vôtre – est beaucoup plus que cela : c’est une réponse intérieure à la Parole de Dieu dans la sphère de la pensée et de la volonté de l’être humain ; donc elle implique une intervention particulière de Dieu. ” (ibid.) » (Liber accusationis II)

Le culte de l’homme auquel le Christ s’est uni du seul fait de son Incarnation conduit à considérer l’Église comme le « signe » de l’unité intime de tous les hommes avec Dieu, et de l’unité du genre humain dans ses membres, tous fraternels. Elle n’en est plus le « sacrement ». C’est « le genre humain tout entier » sans préalable de conversion ni d’entrée dans l’Église, qui se voit attribuer une union satisfaisante avec Dieu et entre ses membres, comme à la réunion de toutes les « autres religions » invitées par Jean-Paul II à Assise « pour une rencontre spéciale de prière et de paix » le 27 octobre 1986.

« Certes, commente l’abbé de Nantes, il n’y a eu “ aucune ombre de confusion ni de syncrétisme ” à Assise. Il y a eu plus grave : dans ce défilé carnavalesque et ringard de tous les folklores afro-asiatiques, un effacement suicidaire du Christ et de l’Église. »

Jean-Paul II justifiait cette réunion interreligieuse par une citation de l’Évangile de saint Jean : « Le Seigneur a offert sa vie non seulement pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Notre Père s’élevait contre cette « nouvelle citation abusive de l’Écriture sainte pour appuyer l’hérésie qui lui est la plus contraire ! Notre-Seigneur est mort sur la Croix pour que tous, juifs et païens, renonçant à leur “ ignorance ” séculaire ou à leur “ perfidie ”, cèdent à l’aiguillon de la Vérité et entrent dans l’unique et sainte Église. » (CRC n° 230, février 1987)

Le Pape polonais les en dissuade, au contraire, lorsqu’il baise religieusement le Coran, le 14 mai 1999, en Irak, où une délégation conduite par l’iman chiite de la mosquée de Khadum le lui présentait. Le geste de dévotion diffusé par la télévision irakienne inclinait les musulmans à croire que l’auteur du Coran dit vrai lorsqu’il accuse les chrétiens d’avoir « apostasié », à l’instar des juifs, la religion d’Abraham : « Jadis, ils ont apostasié (kafara), ceux qui ont dit :  Voici le Dieu, Lui, le Christ, fils de Marie. ” » (Sourate V, 17 et 72)

L’appellation « fils de Marie » est destinée à supplanter définitivement les appellations chrétiennes de « Fils du Très-Haut » et de « fils de David ».

Et le dimanche 6 mai de l’an 2001, après avoir enlevé rituellement ses chaussures, le Pape est entré dans la mosquée des Umayyades, à Damas, pour écouter la lecture des versets du Coran et la litanie des noms d’Allah, suivies de l’homélie du grand mufti affirmant que « l’islam est la religion de la fraternité et de la paix », et que « nous adorons tous le même Dieu ». Par là, Jean-Paul II a conforté un milliard de musulmans dans leur “ foi ” au Coran... selon lequel Dieu n’a pas de fils !

c) La gnose wojtylienne.

Pendant son long pontificat, le pape Jean-Paul II a détourné l’espérance chrétienne du Royaume de Dieu en vidant l’Enfer et le Ciel de toute réalité concrète, pour appeler à la construction d’un monde nouveau ici-bas à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire.

Du fait que « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme », l’accompagnera-t-il en enfer ? Certes, non ! Jean-Paul II en conclut que, très probablement, il n’y a personne en enfer. Par exemple, dans son livre “ Entrez dans l’espérance ” :

« La possibilité de la damnation éternelle est affirmée dans l’Évangile sans qu’aucune ambiguïté soit permise », reconnaît-il. « Mais dans quelle mesure cela s’accomplit-il réellement dans l’au-delà ? » À cette question, le Pape répond par une autre interrogation : « Dieu, qui a tant aimé l’homme, peut-il accepter que celui-ci Le rejette et pour ce motif soit condamné à des tourments sans fin ? Pourtant, les paroles du Christ sont sans équivoque. Chez Matthieu, Il parle clairement de ceux qui connaîtront des peines éternelles.

« Qui seront-ils ? L’Église n’a jamais voulu prendre position. Il y a là un mystère impénétrable, entre la sainteté de Dieu et la conscience humaine. Le silence de l’Église est donc la seule attitude convenable. »

C’était jeter le doute sur les dires de sœur Lucie selon laquelle la Vierge Marie n’a pas adopté cette “ attitude convenable ” à Fatima, le 13 juillet 1917, en montrant à Lucie, François et Jacinthe « l’enfer où vont les pauvres pécheurs », vision pourtant bien attestée, ne serait-ce que par le cri d’effroi jeté par Lucie, entendu par les témoins de cette troisième apparition :

« Notre-Dame ouvrit de nouveau les mains, comme les deux derniers mois. Le reflet (de la lumière) parut pénétrer la terre et nous vîmes comme un océan de feu. Plongés dans ce feu nous voyions les démons et les âmes (des damnés). Celles-ci étaient comme des braises transparentes, noires ou bronzées, ayant formes humaines. Elles flottaient dans cet incendie, soulevées par les flammes qui sortaient d’elles-mêmes, avec des nuages de fumée. Elles retombaient de tous côtés, comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. C’est à la vue de ce spectacle que j’ai dû pousser ce cri :  Aïe !  que l’on dit avoir entendu de moi. Les démons se distinguaient (des âmes des damnés) par des formes horribles et répugnantes d’animaux effrayants et inconnus, mais transparents comme de noirs charbons embrasés.

« Cette vision ne dura qu’un moment, grâce à notre Bonne Mère du Ciel qui, à la première apparition, nous avait promis de nous emmener au Ciel. Sans quoi, je crois que nous serions morts d’épouvante et de peur. »

Ne nous étonnons pas que Jean-Paul II ne tienne aucun compte de cette vision, puisqu’il nie la damnation certaine de Judas :

« Même si le Christ dit, à propos de Judas qui vient de le trahir :  Il vaudrait mieux que cet homme-là ne soit jamais né !  cette phrase ne doit pas être comprise comme la damnation pour l’éternité. »

d) Le Ciel n’est pas un lieu.

Si le pape Jean-Paul II a enseigné abusivement à ne pas craindre l’enfer, il n’a pas inspiré pour autant le désir du Ciel. Il est remarquable que les allocutions du mercredi de l’année 1989, consacrées à achever le commentaire suivi du Credo, article après article, commencé en janvier 1982, en viennent à nier le fait physique de l’Ascension corporelle de Jésus au Ciel. Selon le pape Jean-Paul II, l’Ascension n’est pas une translation locale de Jésus ressuscité, de la terre en quelque ciel, mais sa « soustraction pleine et définitive aux lois du temps et de l’espace ». « Autant dire, commente l’abbé de Nantes, sa dématérialisation. »

Après quoi, on doit constater que les allocutions des mercredis suivants changent de sujet, sans achever l’explication du Credo où il aurait dû en venir à traiter de la réalité physique du Ciel et de l’enfer !

e) Un monde nouveau pour l’an 2000.

Si Jean-Paul II n’eut que des mots abscons pour parler du Ciel, il mit en revanche toutes ses immenses capacités intellectuelles et ses charismes au service de l’utopie d’un monde de paix par la démocratie universelle dont l’Église serait l’animatrice spirituelle en ce bas monde ! « Rompant avec la morale catholique, avec l’honneur des peuples civilisés, avec les règles immémoriales de la diplomatie pontificale, constate l’abbé de Nantes, Jean-Paul II n’a pas contredit le soulèvement révolutionnaire à prétexte syndical, à masque religieux. Il n’a pas, comme ses valeureux prédécesseurs du siècle dernier, exigé des peuples la soumission au pouvoir et ordonné à l’Église de coopérer avec l’État, pas plus en Pologne qu’il ne le fait dans le reste du monde. Il n’a pas réservé sa sollicitude au salut des âmes et à la tranquillité publique, mais il l’a gaspillée dans les causes douteuses de la justice, des droits de l’homme et de la liberté. » (CRC n° 176, avril 1982, p. 3)

L’encyclique “ Sollicitudo rei socialis ”, du 30 décembre 1987, en offre un exemple flagrant, faisant un devoir à chacun « de se consacrer au développement des peuples » : « C’est un impératif pour tous et chacun des hommes et des femmes, et aussi pour les sociétés et les nations ; il oblige en particulier l’Église catholique, les autres Églises et communautés ecclésiales, avec lesquelles nous sommes pleinement disposés à collaborer dans ce domaine. »

Nous sommes aux antipodes de saint Pie X selon lequel, « nous n’avons pas à démontrer que le  développement des peuples  n’importe pas à l’action de l’Église dans le monde » (Lettre sur le sillon) ; ce qui lui importe, en revanche, c’est de mener les peuples, “ tous et chacun des hommes et des femmes ”, s’il est possible, au bonheur du Ciel.

Non, dans le « développement intégral de l’homme », Jean-Paul II n’inclut pas l’entrée au Ciel pour y prendre place au festin des noces de l’Agneau ! L’application naturaliste qu’il fait de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare à la vie économique et sociale nous le confirme : « Il est indispensable, comme le souhaitait déjà l’encyclique Populorum progressio », déclare-t-il dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis, « de reconnaître à chaque peuple le même droit à  s’asseoir à la table du festin ” [des biens de ce monde] au lieu d’être comme Lazare qui gisait à la porte, tandis que  les chiens venaient lécher ses ulcères ” (cf. Lc 16, 21). » ( n° 33)

Déjà, le 2 juin 1980, parodiant la parole de Jésus au désert, Jean-Paul II avait proclamé hautement au siège de l’Unesco : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de culture. » La “ culture ” supplante « toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4) ! La “ religion ”, pour Jean-Paul II, se réduit donc à la seule fonction culturelle d’appoint. Ou, plus exactement, précise-t-il, « elle s’efforce d’apporter à l’élaboration culturelle humaine la composante surnaturelle » (Discours à Camerino, 19 mars 1991).

Sous le règne de Jean-Paul II, l’Église avait pour seul but de tous ses travaux non pas de conduire, s’il était possible, toutes les âmes au Ciel, mais d’ « apporter sa propre contribution à la préparation des hommes qui entreront dans le nouveau millénaire ».

Récusant « les  prophètes de malheur ”, prêts à voir des catastrophes partout », Jean-Paul II rendait hommage aux « prestigieux objectifs atteints » comme autant de « moments du chemin de l’homme au seuil de l’an 2000 » : conquête de l’espace, énergie nucléaire, génétique, informatique, robotique (Discours à Camerino, 19 mars 1991)...

De fait, pour le troisième millénaire, Jean-Paul II a pensé inaugurer une ère nouvelle, définitive, une nouvelle civilisation. Le 26 mars 2000, il s’est rendu, dans cette intention, en pèlerinage à Jérusalem. Il en marqua la première “ station ” sur l’ancienne esplanade du Temple juif, devenue esplanade du Dôme du Rocher, “ mémorial ”, selon le Coran, « consacré pour que les hommes y reviennent fidèlement et qu’ils célèbrent le  Lieu d’Abraham  par des prières » (sourate II, verset 125).

Jean-Paul II a donc formulé le vœu que « le Tout-Puissant apporte la paix à cette région tout entière et bien-aimée, afin que tous les peuples qui y vivent puissent jouir de leurs droits, vivre en harmonie et en coopération, et rendre témoignage au seul Dieu en acte de bonté et de solidarité humaine » (cité dans Résurrection n° 1, janvier 2001, p. 11).

La guerre ranimée en Palestine au mois d’octobre dernier est bien l’accomplissement de la parole de Notre-Seigneur : « Sans Moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15, 5) En reniant le Christ pour ne pas fâcher “ nos frères musulmans ”, Jean-Paul II compromettait absolument la paix, en attirant le châtiment du ciel.

La deuxième “ station ” du pèlerinage pontifical fut le Mur des Lamentations, où le Pape s’est rendu pour y déposer le texte de la repentance (teshouva) de l’Église à l’égard du peuple juif et toucher de sa paume la pierre du “ Qotel ”, Mur occidental qui soutenait le Temple, où reposait la « présence » du Dieu vivant, jusqu’à sa destruction en 70 par les Romains.

Jean-Paul II s’est donc comporté en successeur de Pierre... quand il reniait son Maître, avant qu’il « revienne » de son reniement et invite les « hommes d’Israël » à se repentir et se faire baptiser « au nom de Jésus-Christ » pour la rémission de leurs péchés, afin de recevoir le don du Saint-Esprit : « Car c’est pour vous qu’est la promesse, leur dit-il, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. » (Ac 2, 38-39)

 IL EST UNE PERSONNE QUI VOUS JUGE, TRÈS SAINT-PÈRE. 

À la fin de son livre d’accusation, notre Père prend de nouveau à Témoin et, mieux encore, comme Juge de la cause qui l’oppose à Jean-Paul II, Notre-Dame du Rosaire, apparue à Fatima en 1917.

« Très Saint-Père, à travers mon inexistante personne, l’Église, l’Église sainte, notre Mère, l’Église catholique, apostolique et romaine de toujours accuse votre nouveauté et sa corruptrice influence sur la foi, sur les mœurs et sur l’ordre du monde. Mais il est une Personne qui vous juge, oui ! de la part de Dieu, dans la Gloire de qui elle trône et va faire justice à son peuple, c’est la très Immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu.

« Elle est descendue du Ciel, à de nombreuses et diverses reprises, en ce XXe siècle et toutes ses paroles, tous ses miracles, tous ses gestes et volontés vous sont contraires, ce qui déjà juge suffisamment de tout, dans l’attente d’une sentence infaillible de l’Église militante qui ne saurait certes y contrevenir.

« Je sais bien que vos théologiens à qui mieux mieux déclarent que le Ciel n’a pas à intervenir dans le gouvernement de l’Église – faut-il qu’il leur soit contraire ! – Elle est fondée sur Jésus-Christ, disent-ils, elle a reçu toute la plénitude de la révélation des Apôtres, et l’Esprit-Saint maintenant l’assiste dans sa hiérarchie, comme aussi par le laïcat charismatique... Aussi les “ révélations privées ” ne peuvent-elles avoir d’utilité que d’exciter la piété des fidèles. Elles ne s’imposent pas aux théologiens, et encore moins peuvent-elles prétendre dicter sa conduite au Pape ! au collège des évêques !

« Ainsi ignorent-ils et veulent-ils ignorer Celle que par ailleurs ils saluent du titre novateur de Mère de l’Église ! Ainsi veulent-ils que le Pape et les évêques en Concile – ou tout le “ peuple de Dieu ” synodalement réuni – se laissent mener par un Esprit qui leur parle, qui se fait sentir à eux et qui s’inscrit hardiment en faux contre les révélations et les ordres du Trône de la Sagesse et du Temple incomparable de l’Esprit-Saint qui est de Dieu, Dieu lui-même ! » (Liber accusationis II, p. 125)

Cette accusation est d’une brûlante actualité, à l’heure du “ Synode sur la synodalité ”. Notre-Dame de Fatima demeure la principale “ protagoniste ” de l’actualité mondiale, c’est à sa Volonté qu’il faut se conformer pour plaire à la Sainte Trinité. Ainsi, « c’est par Fatima que nous discernons la voie étroite, héroïque et sainte, de la restauration soudaine de l’Église. Tout se fera par la grâce de l’Immaculée. Quelques humbles paroles d’Elle suffiront à chasser de l’Église, puis de la terre entière les fumées de Satan, les ténèbres de l’enfer vaincu. » (ibid.) (à suivre)

frère Bruno de Jésus-Marie

Le 13 mai 1983, l’abbé de Nantes accompagné des frères de sa communauté et de deux cents amis se rendit à Rome pour y déposer un second Livre d’accusation à l’encontre de Sa Sainteté Jean-Paul II.