Les découvertes des manuscrits de la mer morte
L'an 1947 ouvrit une période nouvelle dans la longue histoire bimillénaire de l'Église, qui retrouva cette année là, dans les grottes de Qumrân, sur les rives de la mer Morte, toutes les archives de sa fondation : depuis la conquête de la Terre promise par Josué jusqu'à la plénitude des temps évangéliques et apostoliques ouverts par Jean-Baptiste (automne 27), achevés par la ruine de Jérusalem (automne 70). L'abondance de la documentation, sans égale, impose l'idée d'une volonté divine, providentielle, conduisant « la plus grande découverte de manuscrits des temps modernes ».
TOUT COMMENÇA À BETHLÉEM, EN JUDÉE…
Un jour de 1947, l'évêque de rite syrien, Mar Athanase José Samuel, fit l'acquisition, sur le marché des antiquités, à Jérusalem, de quatre grands rouleaux de cuir fin, couverts d'écriture hébraïque ancienne. (...) Des bédouins de la tribu des Ta'amireh, arabes semi-nomades du désert de Judée, les avaient présentés avec deux jarres de terre cuite dans lesquelles, disaient-ils, ils les avaient trouvés, à un antiquaire de Bethléem, la ville où ils faisaient leur marché. Un trésor jamais vu : entre autres, un texte complet d'Isaïe, un exemplaire de la “ Règle de la communauté ” (tous deux copiés vers 100 av. J.-C.), un commentaire du prophète Habacuc, un recueil d'Hymnes, le rouleau de la Guerre.
Il fallut deux ans pour remonter la filière jusqu'à la grotte au trésor. Découverte en 1949 dans la falaise qui domine le rivage de la mer Morte, cette grotte fut fouillée du 15 février au 5 mars. (...) Une abondante récolte de tessons d'une poterie hellénistique (IIe siècle av. J.-C.) permit de reconstituer une jarre semblable aux deux autres. Le reste montrait que la grotte en avait contenu, jadis, une cinquantaine.
À n'en pas douter, ces jarres avaient renfermé les manuscrits dont près de six cents débris en cuir fin, couverts d'une écriture hébraïque semblable à celle des grands rouleaux, jonchaient le sol. La coutume de conserver les écrits de cette manière est attestée dans la littérature égyptienne depuis la XXe dynastie (XIIe siècle avant J.-C.), et dans la Bible elle-même. (...)
LE SITE DE QUMRÂN, UN IMMENSE CHANTIER ARCHÉOLOGIQUE
De 1951 à 1958, six campagnes de fouilles ont mis à jour un ensemble de trente-trois grottes, dispersées sur un territoire de quelques kilomètres carrés autour des ruines de Qumrân, à douze kilomètres au sud de Jéricho, au bord de la mer Morte. Les monnaies, ramassées dans les ruines des constructions à ciel ouvert, attestent deux périodes d'occupation de ces lieux : la première, de la fin du IIe siècle avant J.-C. jusqu'au début du règne d'Hérode le Grand (37-4 av. J.-C.) ; la seconde, à partir du début de notre ère jusqu'en 68 après J.-C.
En 1952, une fouille systématique de la falaise calcaire sur une aire englobant largement le secteur de la première grotte, découvrit vingt-cinq trous et crevasses riches en poterie, et deux nouvelles grottes numérotées 2 et 3 contenant des fragments de manuscrits. La grotte n° 3 livrait deux feuilles de cuivre enroulées sur elles-mêmes, les “ rouleaux de cuivre” contenant une liste de “ trésors” avec indication cryptée de leurs cachettes.
En septembre, on descendit dans une cave creusée de main d'homme dans la terrasse marneuse. L'abondance et la variété des fragments récoltés dans cette cave qui reçut la dénomination “ grotte 4”, montraient qu'elle avait sûrement contenu une véritable bibliothèque. À côté du n° 4, se trouvait une cave n° 5, de même caractère, puis on découvrit en 1955 les nos 7, 8, 9 et 10 presque totalement effondrées, donc très pauvres, mais contenant tout de même quelques fragments dont d'exceptionnels débris écrits en grec. (...)
Le travail obstiné des archéologues a permis de reconstituer l'histoire de ce site. Il remonte au temps de Josué, le successeur de Moïse, qui conquit la Terre promise entre 1220 et 1200 avant J.-C. Il est mentionné dans « le lot de la tribu des fils de Juda sous le nom de Ir - ha - Mélah, « Ville du Sel », en même temps qu'Engaddi (Josué 15, 62), sur les bords de la mer Morte, « la mer de Sel » (Josué 15, 2) ainsi appelée à cause de sa teneur exceptionnelle en sel.
Passons cinq cents ans. Selon le livre des Chroniques, le bon roi Ozias (781-740), le roi lépreux, combattit les Philistins et les Arabes, construisit des fortifications à Jérusalem et au désert, creusa de nombreuses citernes, développa l'agriculture (2 Chroniques 26, 6-10). À Qumrân, la tour carrée à glacis, la citerne rendue bien visible encore aujourd'hui, remontent à cette époque. Alors, entre Qumrân et l'oasis d'Aïn Feshkha s'étendait une plaine cultivée de plusieurs kilomètres de long, avec des installations agricoles.
Passons encore cinq cents ans, pour en venir aux esséniens. Au premier siècle de notre ère, Pline l'Ancien les mentionne vivant non loin de la mer Morte au nord d'Engaddi, ce qui correspond à la situation de Qumrân.
LA DÉCOUVERTE DES PAPYROLOGUES
Les onze grottes ont livré quatre catégories d'écrits :
1. Des Écrits de l'Ancien Testament. Par exemple le grand rouleau d'IsaïeRouleau d'Isaïe, très bien conservé, copie exécutée entre 125 et 100 avant Jésus-Christ. (...) L'État hébreu a construit un véritable sanctuaire, la “ Maison du Livre”, au musée Israël de Jérusalem, pour abriter ce manuscrit vénérable. (...)
2. Des écrits non bibliques donnant une « règle » à la communauté des esséniens, la « Communauté de l'Alliance », avec ses conditions d'admission des postulants, son mode de vie ordonné selon un idéal de chasteté, d'obéissance et de pauvreté, son code pénal. Outre cette Règle en plusieurs exemplaires, le Document de Damas que l'on connaissait déjà par des copies du haut Moyen Âge, raconte l'histoire de la Communauté des esséniens.
On a trouvé à Qumrân plusieurs manuscrits du livre de Daniel. La Communauté s'en nourrissait, comme le prouvent les citations qu'en fait la Règle de la Guerre des Fils de Lumière contre les Fils de Ténèbres, où l'histoire débouche sur l'Apocalypse. Ce “ Règlement” a pour objet une guerre de libération qui doit exterminer les ennemis de Dieu et d'Israël. (...) On n'a pas eu de peine à montrer que l'armement et la tactique militaire correspondaient à ceux de l'époque romaine. L'œuvre était donc postérieure à l'entrée de Pompée à Jérusalem (63 av. J.-C.).
3. Des écrits apocryphes déjà connus par des traductions, comme le livre des Jubilés. La présence des fragments hébreux de neuf manuscrits de ce livre, répartis dans les grottes 1, 2, 3, et 4, indique peut-être qu'il fut composé à Qumrân, vers la fin du IIe siècle avant J.-C. (...)
4. Des Écrits du Nouveau Testament. À l'exemple du Divin Maître dont ils racontent la vie, ils furent et sont aujourd'hui encore un signe de contradiction. Le silence gêné que fit peser sur les trésors chrétiens de la grotte 7 l'ensemble de la communauté scientifique internationale, à l'exception des savants et courageux membres du symposium réunis à l'initiative du Pr Bernhard Mayer à l'université catholique d'Eichstätt en octobre 1991, a été parfaitement discernée par l'abbé de Nantes : « Du jour où le jésuite O'Callaghan interpréta le 7Q5 comme étant un manuscrit antique de l'“ Évangile de Jésus-Christ Fils de Dieu” (car c'est son titre !) selon saint Marc (1, 1), la vieille angoisse juive se réveilla, comme celle d'Hérode à l'annonce de la naissance du Messie que lui faisaient les scientifiques de l'époque, les Mages venus de l'Orient... »
L'opposition la plus farouche vint pourtant d'ailleurs, du milieu fermé de l'exégèse chrétienne, catholique comme protestante, toutes deux gangrenées par le modernisme. Car cette découverte d'un Évangile canonique rédigé avant l'an 50 impose, d'une manière absolue, l'historicité des Évangiles et sape à la base toute la construction moderniste puisque celle-ci prétend que les évangélistes n'ont pas fait œuvre d'historien mais qu'ils ont retranscrits, tardivement, entre 70 et 100 après J.-C., l'expérience religieuse des premiers chrétiens. Par conséquent ce sont des bibliothèques entières de pseudo-science, ainsi que leurs auteurs, qui sont disqualifiés… Cela s'accepte difficilement...
« En dehors de toute polémique exégétique, théologique... et politique », selon le conseil de l'abbé de Nantes, nous tenterons de dire quelles nouvelles certitudes et lumières nous sont fournies par cette découverte « sur le Christ de l'histoire qui est aussi et identiquement le Christ de notre foi catholique et de notre amour ».
frère Bruno Bonnet-Eymard
Extraits de Bible, Archéologie, Histoire, tome 1