Le mystère de l'Église et l'Antichrist
LA GRANDE APOSTASIE EST IMMINENTE
La dernière Lettre (141) sur “ Le mystère de l'Église et l'Antichrist ” récapitule toute l'étude de l'abbé de Nantes. Il en fait l'application à la dramatique actualité de ces dernières semaines du pontificat de Jean XXIII, à quelques jours du conclave où allait se jouer l'avenir de l'Église pour la fin du siècle... La voici citée intégralement :
« Alors, si quelqu’un vous dit : “ Voici le Christ ici... Le voici là ”, ne le croyez pas. Car il surgira de faux christs et de faux prophètes ; et ils fourniront des signes et des prodiges pour égarer, s’il était possible, les élus eux-mêmes. Pour vous, prenez bien garde ; je vous ai tout dit d’avance. » (Mc 13, 21-23)
On me demande : À votre avis, l’Antichrist, est-ce une personne, ou une théorie ? Je ne suis pas prophète ni chargé d’interpréter les prophéties. Il se peut que ce soit un Homme de Satan qui devance le retour du Christ-Jésus, – c’est le sens de son appellation d’Antéchrist –, cela semble affirmé par la sainte Écriture. Mais ce sera nécessairement un mouvement de masse et une idéologie, d’une singulière puissance tout à la fois politique et spirituelle. Nous avons appris du Seigneur à ne pas trembler devant de telles perspectives mais à tenir bon dans la foi en Lui, attendant son retour à Lui, notre seul Sauveur, « venant sur les nuées du ciel comme il y est monté ». L’important est de ne pas se laisser séduire, car l’Antichrist séduira les chrétiens eux-mêmes et touchera ainsi à la victoire totale.
C’est dire qu’il se présentera comme une réplique du Christ, un autre Christ, et sa doctrine, comme un nouveau christianisme, mis à jour, amélioré, calqué cependant sur l’authentique au point que les élus eux-mêmes y seront pris, si Dieu ne les en préserve ! Il est facile de voir que cet adversaire des derniers temps n’aura qu’à pousser à son comble la très vieille imposture dont le judaïsme est le principe permanent et que tout rameau détaché du tronc catholique a rééditée avec plus ou moins de force, à savoir la transposition de la foi et de l’espérance chrétiennes dans les horizons du Monde et de la chair d’où Jésus les avait dégagées.
Rappelons donc que ce Sauveur recréant de son Sang une humanité nouvelle, l’Église, a fixé l’histoire du salut en trois étapes, celle du Péché donné comme le principe de toute la misère humaine, celle de la Rédemption opérée par la Croix, celle enfin de la Restauration bienheureuse dans le Ciel. Tout le grand dessein de Dieu, tout le mouvement de notre foi est comme fixé et tenu bien haut, en plein surnaturel, par ces trois clous d’or : Péché d’Adam – Sacrifice du Calvaire – Retour de Jésus. Ce sont des événements historiques par lesquels passe nécessairement pour nous le Salut.
Le judaïsme connaît ce mouvement général de la foi, cette trilogie fondamentale, déchéance-rédemption-restauration, toutes les hérésies, tous les messianismes s’en sont nourris également, mais en l’arrachant aux trois clous d’or que j’ai dits et ravalant ce devenir héroïque et ce progrès aux seules limites d’un grand drame terrestre, humain, charnel. Luther, par exemple, se fit le rédempteur et le libérateur de la noble nation germanique tombée dans l’esclavage d’une Rome démoniaque, ce qui, avec le recul des siècles, apparaît plus risible encore qu’odieux. Mais Lumumba et Kiwangu au Congo, N’Khruma au Ghana sont aussi pour leurs sectateurs les sauveurs des Noirs tombés au pouvoir des Blancs. Christs de leur peuple, ils ressusciteront et chasseront enfin les oppresseurs pour établir le paradis... Ne sourions pas ! Cette mystique politique est puisée somme toute à la seule source divine où s’enivre l’humanité, la Bible. Le peuple juif la possède de droit dans sa teneur primitive, toute charnelle. Mais tout chrétien, dès qu’il ne tient plus ferme la doctrine catholique et sa pure espérance du Ciel, retombe inéluctablement au niveau de cette attente révolutionnaire et, comme la Synagogue, il cherche un Messie. Voilà donc parfaitement repérée, définie, la doctrine de l’Antichrist. Elle traîne et resurgit de siècle en siècle, comme une réplique, exacte mais charnelle, de la doctrine catholique du Péché, de la Rédemption et de la Vie éternelle. Elle appelle et tente les hommes, de toutes races et de toutes religions, leur promettant de rentrer en possession du paradis terrestre, à condition qu’ils entrent tous héroïquement dans ce combat et ce gigantesque effort de révolution libératrice. Misérables hier, libérateurs de l’humanité captive aujourd’hui, demain ils seront des dieux dans un monde régénéré. Telle est la foi au monde, la confiance en l’homme qui réplique à la Parole de Dieu.
Supposez maintenant que la vigilance de l’Église s’affaiblisse pendant un temps, que l’enseignement de ses prêtres perde de sa clarté, de sa précision, qu’en même temps monte à l’horizon une nouvelle étoile, et ce sera l’épiphanie de Satan. Il se produira alors une effrayante conjonction de la Cité de Dieu et de la Cité terrestre, celle-ci se proposant à celle-là comme objet de son espérance. Voici le secret de cette Heure de ténèbres : Si dans l’orgueil de leurs sciences et l’abondance des biens matériels, les prêtres catholiques perdent le culte de la Croix et l’amour de Jésus, les trois clous d’or, les trois événements historiques auxquels est retenue leur foi ne leur paraîtront plus que des symboles incertains et, ne retenant que l’espérance, l’optimisme, le progressisme de l’œuvre chrétienne, ils en arriveront à penser qu’un tel idéal est parallèle, voisin, fraternel de la foi juive et de toutes les autres grandes mystiques qui enivrent et soulèvent les masses humaines.
Alors sera prêchée au-dedans comme au-dehors de l’Église la même grande mythologie : toute l’humanité sera invitée à prendre conscience de sa misère ou « aliénation » originelle (mais non pas de son péché !) dont Adam et Ève sont le symbole, la personnification épique, dans la tradition religieuse primitive. Elle sera convaincue de croire qu’un salut est possible, dans une formidable marche en avant économique et culturelle (mais non pas une conversion morale !) et de cette émancipation du malheur le Christ est un pionnier adoré, sa croix est une image exaltant l’énergie humaine. Enfin les chefs de toutes religions et partis annonceront d’avance le succès de cette grande histoire humaine et l’achèvement prochain d’une société unie, fraternelle, épanouie et heureuse (mais non pas morte ni ressuscitée par grâce !) et c’est dans cette humanité nouvelle que se réalisera le vœu des anciens, d’une nouvelle terre et d’une vie éternelle promises aux hommes de bonne volonté.
Cette mutation prodigieuse de notre foi, elle est à peu près accomplie maintenant. Pour beaucoup, l’Église s’est identifiée au monde moderne et son espérance colle merveilleusement aux « aspirations des masses ». Que survienne dès lors, en un peuple ou dans le monde, un Homme, un Mouvement qui paraisse doué d’une puissance telle qu’il puisse tout dominer et tout entraîner après lui et nombre de théologiens le prêcheront comme le sauveur du monde, c’est-à-dire l’Homme-Christ. Vous verrez alors des Pasteurs entraîner par force et persuasion leur troupeau à sa suite... et qui pourra résister sinon les amants de Jésus et de sa Croix ? Teilhard de Chardin déjà croyait reconnaître le salut cosmique dans Hitler et le nazisme. Ses disciples le voient dans le communisme et les élèves de nos jeunes missionnaires progressistes l’adorent en Lumumba, mort mais qui reviendra bientôt instaurer son royaume nègre pour toujours... S’ils font Teilhard si grand, c’est parce qu’il est le vrai et altissime docteur de l’Antichrist.
Craignons ! L’apostasie en masse est séduisante, surtout si c’est toute l’Église habilement menée là qui, sans renoncer à sa foi, à son optimisme, à ses symboles et même en conservant la piété intime de ses fidèles, se reconnaît et se noie dans une religion plus vaste, s’ouvre à tous les courants enivrants qui soulèvent l’humanité et s’enrôle volontairement pour la construction de la Tour de Babel. Oh ! ce sera long : le démon laissera toute cette humanité femelle attendre avec une passion grandissante l’Homme qui devra la posséder en son nom. Il y aura d’abord de faux messies, de petits christs qui décevront ; ils fourmillent déjà, depuis Johnny Halliday et Billy Graham jusqu’aux U’Thant et La Pira. La passion, l’espoir, l’attente sacrilège des hommes (et des chrétiens, malheur !) n’en seront que plus brûlants, plus aveugles et plus fous. Alors, oui, n’importe quelle créature de Satan pourra survenir, Homme ou Bête, promettant le paradis terrestre pour tous, tous le suivront, et il les convaincra d’abord de mentir à leurs frères et de tuer, puis de rejeter Dieu et de n’adorer que lui. Mais, pour ce paradis des corps, ils acceptent tout et les moralistes et théologiens seront encore là pour tout justifier. Voilà ce qui se prépare sous nos yeux et comment donc les sages et les prudents sont-ils tous frappés d’aveuglement ?
Ce sera peut-être encore le peuple juif, le plus innocent dans cette falsification de la foi, qui résistera davantage et reviendra le premier au Sauveur. Car il est demeuré en la chair, aspirant cependant confusément au règne de l’esprit, tandis que les chrétiens, abandonnant l’Esprit-Saint, reviennent à la chair, ce qui est sans retour. Peut-être... mais les chrétiens, je les vois tellement saisis du désir de la possession de la terre, de la jouissance de la chair et de la domination du monde, que je ne sais si, lorsqu’il reviendra, Jésus, le vrai, le seul Christ, retrouvera la foi sur la terre...
Abbé Georges de Nantes
Lettre à mes Amis n° 141, Ascension 1963