DIMANCHE 13 MAI 1917 :
« Je suis du Ciel »
Malgré les épreuves de la famille dos Santos, les trois enfants, après les apparitions de l'Ange, avaient repris, au fil des mois, leur vie simple et gaie, avec le même entrain et la même liberté d'esprit qu'autrefois. Les pluies d'avril, après les jours froids et venteux de l'hiver, donnèrent une nouvelle impulsion à la végétation de la Serra. Vint le mois de mai, le mois des fleurs, le mois consacré à Marie.
Ce fut le 13 de ce mois, que la très Sainte Vierge vint embaumer de son parfum céleste notre pauvre terre désolée.
C'était le dimanche qui précédait la fête de l'Ascension. Comme d'habitude, les bergers, avant de sortir avec les brebis, s'étaient rendus tôt matin à l'église paroissiale pour entendre la première messe dominicale.
De son côté, Ti Marto, le père de François et de Jacinthe, avait préparé sa charrette de grand matin, car il voulait emmener sa femme, Olimpia, à Batalha.
Vers le milieu de la matinée, les enfants sortirent leurs brebis de l'étable.
« Comme lieu de pâturage, raconte Lucie, nous avons choisi ce jour-là, par hasard, ou plutôt, selon un dessein de la Providence, la propriété appartenant à mes parents, appelée la Cova da Iria. Il nous fallait pour cela traverser un terrain inculte, ce qui doubla notre parcours. Nous devions donc aller lentement afin que les brebis puissent paître en chemin et, ainsi, nous arrivâmes vers midi. »
Après avoir pris leur repas et récité le chapelet, ils poussèrent les brebis un peu plus haut sur la colline et s'amusèrent à construire un petit mur encerclant un buisson.
« Soudain, dit Lucie, nous vîmes comme un éclair.
– Il vaut mieux retourner à la maison, dis-je à mes cousins, car voici des éclairs, il pourrait venir de l'orage.
– Oh, oui !
« Et nous commençâmes à descendre la pente, poussant les brebis en direction de la route. En arrivant plus ou moins à la moitié de la pente, à peu près de la hauteur d'un grand chêne-vert qui se trouvait là, nous vîmes un autre éclair et, après avoir fait encore quelques pas, nous vîmes, sur un petit chêne-vert, une Dame, toute vêtue de blanc, plus brillante que le soleil, irradiant une lumière plus claire et plus intense qu'un verre de cristal rempli d'eau cristalline traversé par les rayons du soleil le plus ardent. Nous nous arrêtâmes, surpris par cette Apparition. Nous étions si près que nous nous trouvions dans la lumière qui l'entourait, ou plutôt qui émanait d'Elle, peut-être à un mètre et demi de distance, plus ou moins.
« Alors, Notre-Dame nous dit :
–N'ayez pas peur, je ne vous ferai pas de mal.
–D'où vient Votre Grâce ? lui demandai-je.
–Je suis du Ciel.
– Et que veut de moi Votre Grâce ?
–Je suis venue vous demander de venir ici pendant six mois de suite, le 13, à cette même heure. Ensuite, je vous dirai qui je suis et ce je veux. Après, je reviendrai encore ici une septième fois.
–Et moi aussi, est-ce que j'irai au Ciel ?
–Oui, tu iras.
–Et Jacinthe ?
–Aussi.
–Et François ?
–Aussi, mais il devra réciter beaucoup de chapelets.
« Je me souvins alors de poser une question au sujet de deux jeunes filles qui étaient mortes depuis peu. Elles étaient mes amies et elles venaient à la maison apprendre à tisser avec ma sœur aînée.
–Est-ce que Maria das Neves est déjà au Ciel ?
–Oui, elle y est.
« Il me semble qu'elle devait avoir environ seize ans.
–Et Amélia ?
–Elle sera au Purgatoire jusqu'à la fin du monde.
« Il me semble qu'elle devait avoir entre dix-huit et vingt ans. »
Quel coup ! Les yeux de Lucie se remplirent de larmes. C'est alors que Notre-Dame, telle une mère affligée, adressa aux enfants sa requête, avec une politesse exquise :
« Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'Il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et de supplication pour la conversion des pécheurs ?
–Oui, nous le voulons.
–Vous aurez alors beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort.
« C'est en prononçant ces dernières paroles (la grâce de Dieu, etc.) que Notre-Dame ouvrit les mains pour la première fois et nous communiqua, comme par un reflet qui émanait d'elles, une lumière si intense que, pénétrant notre cœur et jusqu'au plus profond de notre âme, elle nous faisait nous voir nous-mêmes en Dieu, qui était cette lumière, plus clairement que nous nous voyons dans le meilleur des miroirs.
« Alors, par une impulsion intime qui nous était communiquée, nous tombâmes à genoux et nous répétions intérieurement : “ Ô Très Sainte Trinité, je Vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je Vous aime dans le Très Saint-Sacrement. ”
« Les premiers moments passés, Notre-Dame ajouta :
–Récitez le chapelet tous les jours afin d'obtenir la paix pour le monde et la fin de la guerre.
–Pouvez-vous me dire si la guerre durera encore longtemps, ou si elle va bientôt finir ?
–Je ne puis te le dire encore, tant que je ne t'ai pas dit aussi ce que je veux.
« Ensuite, elle commença à s'élever doucement, en direction du levant, jusqu'à disparaître dans l'immensité du ciel. La lumière qui l'environnait semblait lui ouvrir un passage entre les astres, ce qui nous a fait dire parfois que nous avions vu s'ouvrir le ciel. »
Les trois petits demeurèrent encore quelque temps comme fascinés, les yeux levés vers le ciel, fixant le point où la céleste vision avait disparu.
Quand ils revinrent à eux, et jetèrent un regard alentour pour voir où étaient les brebis, ils constatèrent avec joie qu'elles continuaient à brouter tranquillement, à l'ombre des chênes-verts, l'herbe qui croissait parmi les genêts épineux.
Cette fois, sans craindre l'orage, ils passèrent l'après-midi à se remémorer et à savourer les moindres détails de cet événement extraordinaire.
« L'apparition de Notre-Dame vint de nouveau nous plonger dans le surnaturel, confie Lucie, mais d'une manière beaucoup plus suave que les apparitions de l'Ange. Au lieu de cet anéantissement en la divine présence, qui nous prostrait, même physiquement, celle-ci nous laissa une paix, une joie expansive qui ne nous empêchait pas de parler ensuite de ce qui s'était passé. »
Une allégresse exubérante débordait particulièrement du cœur de Jacinthe.
« Oh ! La belle Dame ! » s'écriait-elle de temps à autre avec enthousiasme ! restant surtout sur l'impression de la beauté incroyable de l'Apparition.
Lucie, elle, répétait et méditait les paroles qu'avec une tristesse si poignante la Sainte Vierge lui avait dites : « Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'Il voudra vous envoyer, en réparation pour les péchés qui l'offensent ?... Vous aurez beaucoup à souffrir... » Et son amie Amélia qui devait rester au Purgatoire « jusqu'à la fin du monde » !... dans ce feu terrible qui purifie les pauvres âmes pour leur permettre d'entrer au Ciel.
Dans le hameau, les quelques personnes qui avaient connu Amélia, avaient eu la discrétion de ne pas ébruiter le drame lamentable qui lui était arrivé, l'irrémédiable déshonneur qui avait souillé sa chasteté.
« Oh ! quelle belle Dame ! » lança de nouveau Jacinthe, les yeux brillants de joie.
« Je vois bien, devina Lucie, que tu vas en parler à quelqu'un !
– Non, non ! Je ne dirai rien ! Ne t'inquiète pas ! »
François, de son côté, restait songeur... Il n'avait pas entendu les paroles de la Vierge. Sa petite sœur et sa cousine, remplies d'une certaine vivacité expansive, d'une joie immense et d'une allégresse communicative qui leur rendaient la parole facile, lui racontèrent tout ce que Notre-Dame avait dit. Et lui, heureux, manifestant la joie qu'il ressentait de la promesse qu'il irait au Ciel, croisa les mains sur sa poitrine et dit :
« Ô ma Notre-Dame ! Des chapelets, j'en réciterai autant que vous voudrez ! »
Le soleil déclinait déjà. Les enfants rassemblèrent en hâte les brebis et prirent le chemin du retour. Mais Lucie prévoyait les ennuis qu'ils pourraient avoir si Jacinthe ne tenait pas sa langue. Elle décida tout bonnement qu'il valait mieux se taire et recommanda à ses cousins le silence le plus absolu, pour le moment, à l'égard de tous.
« Même avec ta mère ! » ajouta-t-elle en regardant Jacinthe droit dans les yeux.
« Nous ne dirons rien à personne », assurèrent le frère et la sœur. Mais la voix de Jacinthe, toute vibrante d'enthousiasme, laissait déjà présager que sa résolution serait bien fragile.
Devant la porte de la bergerie de Monsieur Marto, une fois encore, la petite s'exclama : « Oh ! quelle belle Dame ! »
Lucie, l'index sur les lèvres, essaya de la faire taire. « Chut !... Même avec ta mère !
– Bien sûr ! » assura Jacinthe.
Et le loquet de la porte de la bergerie se referma sur la dernière brebis.
Extraits de Francisco et Jacinta, si petits... et si grands !,
Sœur Françoise de la Sainte Colombe, p. 80-88