SAINT PIE X
1. Sauveur de l'Église
UNE VIE DE DROITURE ET DE SAINTETÉ
NÉ le 2 juin 1835 du cursore et d'une couturière de Riese, en Vénétie, « né pauvre, j'ai vécu pauvre et je suis sûr de mourir très pauvre », écrira-t-il dans son testament. À l'école de Castelfranco, « tout le monde l'aimait », déposeront ses anciens condisciples au Procès de Béatification. Il entre au Séminaire diocésain de Trévise et revêt avec allégresse la soutane en 1850. Ses notes le disent « éminent en toutes matières ». Le Patriarche de Venise, Jacques Monico, qui est enfant de Riese, fournit la bourse qui lui permettra de continuer ses études au Séminaire de Padoue. Il y est toujours premier ! « En discipline n'est inférieur à personne. Intelligence supérieure. Mémoire parfaite. Donne tout à espérer », notent ses supérieurs ! Il est chargé de diriger le chant sacré. (...) Il écrit à sa mère : « Les supérieurs m'ont nommé “ le réjoui ”... non sans raison ! »
Le 18 septembre 1858, il est ordonné prêtre. Et le voilà tout de suite vicaire à Tombolo où il restera neuf ans. II s'y dépense de tout son cœur ! Les paroissiens l'appellent « le mouvement perpétuel ». Son excellent curé le forme au ministère paroissial et bientôt sa renommée vole, “ fama volat ”. Il prêche si bien qu'on le demande aux alentours, comme il était arrivé au curé d'Ars. Au demeurant, il est homme de prière, plus que quiconque, pauvre, mortifié et bon.
En 1867, nommé curé du gros bourg de Salzano, il y restera neuf ans. Ses paroissiens le surnomment dom Guiseppe SANTO, et c'est tout dire. D'emblée, il organise son ministère avec tant d'ordre qu'on y devine une longue préméditation. Le curé de Salzano pourra devenir le modèle de tout temps de tous les curés du monde. Le Catéchisme des enfants est dialogué selon une méthode inventée par dom Guiseppe. II fait faire aux enfants la communion très tôt et il prêche la communion fréquente aux bons chrétiens. Il rénove le culte divin ; il n'innove ni ne démolit, il restaure. Il institue à Salzano la Confrérie du Sacré-Cœur. Mais aussi, pour les pauvres paysans, il fonde une Caisse rurale et se fait courageusement l'apôtre de la justice sociale, eh oui ! Lors du choléra de 1873, il est d'une charité héroïque au point qu'il s'y épuise : « Il est le serviteur de tous. Contemplez le résultat : la peau sur les os ! » Même, il fait des prodiges pour aider les pauvres gens ; de vrais miracles. Un incendie qui s'éteint à sa seule parole, des insectes qui ravageaient les vignes et disparaissent à sa prière...
En 1875, il est promu chanoine de la Cathédrale de Trévise. Ce n'est pas une sinécure, car il est à la fois directeur spirituel du Séminaire et chancelier épiscopal de Mgr Zinelli. Il le restera neuf ans. En fait, dès ce moment c'est lui qui gouverne le diocèse et c'est lui qui naturellement est élu vicaire capitulaire à la mort de Mgr Zinelli. Mais son successeur, Mgr Santanela dira bientôt à ses prêtres :
« Au milieu de nous, souvenez-vous en, nous avons un saint », et il le notera en ces termes : « Prêtre pieux, humble, travailleur, l'homme de la charité et de la prière, juste et droit au suprême degré ». Saint Joseph, son patron, devait être ainsi. Oui, plus j'y réfléchis plus je pense que nul homme au monde n'a tant ressemblé à Saint Joseph...
En 1884, il est nommé évêque de Mantoue où il restera... neuf ans. Là, il va rencontrer pour la première fois la Franc-maçonnerie alors toute puissante en Italie, qui y est solidement implantée, et le libéralisme d'une bourgeoisie aisée et fière. Mais d'abord, il relève son Séminaire qui était tombé à rien : un prêtre, un diacre à ordonner ! L'année suivante, ils seront 147 séminaristes. Il y restaure la philosophie thomiste, lui-même enseigne la théologie, et le chant ! Il y est sans cesse, exigeant une discipline parfaite et une profonde piété dont il donne l'exemple. Ensuite, il entreprend la visite pastorale de toutes les paroisses de son diocèse ; cela lui prend deux ans. À la suite de celle-ci, il écrit une remarquable Lettre Pastorale, le 7 février 1887, et tient un Synode diocésain en 1888 auquel assistent deux cents prêtres. Il ne s'en était pas tenu depuis 1679. Comptez : deux cents ans ! Et aussitôt, il entreprend une seconde visite pastorale pour veiller à l'application des décisions synodales. Quel exemple d'Évêque !
Une question le préoccupe beaucoup à cette époque, celle du Catéchisme dont il veut qu'il soit « l'école de la Doctrine chrétienne » et non, comme il était de mode, un temps consacré à des histoires saintes et des récits évangéliques romancés. Il veut du dogme, de la morale, l'apprentissage de la pratique des sacrements. Dans ce but, il préconise la promulgation d'un Catéchisme unique et il l'écrit au Premier Congrès Catéchistique d'Italie qui se tient à Plaisance en 1889.
Il se préoccupe beaucoup de la lutte que mènent en ces années-là les partis inféodés à la Franc-maçonnerie contre l'Église. Il développe dans son diocèse l'Action Catholique, voulant qu'elle soit « non un quelconque parti de l'ordre, mais LE PARTI DE DIEU, un mouvement dirigé par lui où l'on ne se préoccupe point des égoïsmes privés, mais des intérêts suprêmes de la religion, du peuple, de la société » particulièrement « du sort des classes laborieuses et de la défense de leurs droits » (Dal-Gal, Pie X, éd. Saint-Paul, 1953, p. 143). C'est alors qu' il prend une part prépondérante à l'institution de l'Union Catholique d'Études sociales et c'est lui qui est sollicité de prendre la parole à Lodi en 1890, à Vicence en 91, dans les grands Congrès Catholiques, pour tenter d'empêcher de toute son éloquence persuasive les divisions et le glissement qui allaient être bientôt fatals à l'Œuvre des Congrès.
Le Pape Léon XIII le nomme d'abord cardinal, le 12 juin 1893, en témoignage d'extraordinaire estime – il n'a pas soixante ans – puis, trois jours plus tard, Patriarche de Venise. Pendant un an, le gouvernement Crispi, soutenu par la municipalité anticléricale, soulèvera des difficultés juridiques ; l'Évêque de Mantoue a chez les ennemis de l'Église la réputation d'« une main de fer dans un gant de velours ». Enfin l'exequatur est accordé, le 5 septembre 1894. Cette nuit-là, les cloches de Venise se mirent à sonner toutes seules. C'était la fête de saint Laurent Justinien, le premier Patriarche de Venise. Heureuse coïncidence.
Ce jour-même, il adresse à ses futurs diocésains une Lettre Pastorale d'une haute portée. C'est le refus du culte de l'homme substitué au culte de Dieu. Devenu Prince de l'Église, sans l'avoir recherché, conscient de son droit et de son devoir d'enseigner la doctrine, il y dénonce le grand mal moderne du laïcisme, du naturalisme en tout domaine, et lui oppose les maximes de l'Évangile :
« Dieu est chassé de la politique par la théorie de la séparation de l'Église et de l'État ; chassé de la science par le doute érigé en système ; chassé de l'art par la fange du naturalisme ; chassé des lois qui se règlent sur la morale de la chair et du sang ; chassé de l'école par l'abolition du catéchisme ; chassé de la famille qu'on profane dans sa racine en la privant de la grâce du sacrement. Dieu est chassé du taudis des pauvres... Dieu est chassé du palais des riches...
« Il faut combattre le crime capital de l'ère moderne qui est de vouloir substituer l'homme à Dieu... Voilà l'œuvre que je dois accomplir parmi vous, pour que tout soit remis sous l'empire de Dieu, de Jésus-Christ et de son Vicaire en ce monde, le Pape ».
Le 24 novembre, il fait une entrée triomphale à Venise. Il y restera neuf ans. Il est passé devant la Municipalité, toutes portes et fenêtres fermées en signe d'hostilité.
D'abord, il s'occupe de son séminaire ; c'est pour y opérer « une réforme radicale ». N'en retenons qu'un aspect : il y instaure des chaires d'enseignement de toutes les sciences qu'au moment même le Modernisme met en œuvre contre la foi, exégèse, histoire, archéologie, sciences économiques et sociales, mais aussi astronomie, physique, etc. Il veut des prêtres instruits de toutes ces connaissances que d'autres opposent à la Révélation. Lui-même lit les œuvres des modernistes, de Loisy en particulier, et les réprouve vigoureusement avec compétence. Il s'occupe aussi du catéchisme et réforme la prédication : « On prêche trop, on instruit trop peu ». Il restaure, ici sur une plus vaste échelle, la liturgie et spécialement le chant grégorien. Sa Lettre du 1er mai 1895 aura un grand retentissement ; il est le premier Évêque d'Italie qui préconise la réforme liturgique et la restauration du chant grégorien avec précision et vigueur.
Le huitième Centenaire de la Basilique Saint-Marc lui est une première occasion, le 25 avril 1895, d'exposer la vraie doctrine de l'Église opposée au Libéralisme Catholique si fort en vogue. Il prêche la nécessaire soumission de Venise au Christ et à sa Loi ; les radicaux de la Municipalité crieront à la « théocratie », bien entendu ! Mais le jeune et vigoureux Patriarche ne parle pas en l'air. Dès ce moment il prépare les élections municipales, convainc tous les honnêtes gens, catholiques ou modérés, de s'unir contre les démocrates-radicaux inféodés aux francs-maçons pour les chasser de la municipalité. Ce qu'ils firent d'un seul mouvement le 28 juillet 1895. Ce succès, l'un des rares, avec celui que Georges Montini remporte à Brescia, démontre la force des catholiques quand le ferment du Libéralisme ne les divise pas ni ne les rallie à leurs ennemis.
En 1897, un splendide Congrès Eucharistique lui donne de nouveau l'occasion de dire toute sa pensée : c'est Jésus-Eucharistie qui est le Roi et le Centre de toutes les institutions et les activités humaines. C'est son Règne qu'il préconise pour le salut de la civilisation en péril. C'est pour son Règne qu'il intervient en tout, soutient les journaux ouvertement catholiques, s'en va dans une usine détourner les ouvriers de faire une grève révolutionnaire, mais développe les Associations ouvrières catholiques et la Banque de Saint-Marc pour intensifier la vie économique. Partisan décidé de la formation d'une branche spéciale de l'Action Catholique pour les jeunes, il s'y oppose à l'action démagogique de dom Murri qu'il contraindra plus tard à se retirer. Enfin, il visite ses prêtres, tient un Synode en 1898, pour les immuniser principalement contre la peste du Modernisme, comme il le leur a expliqué dans sa Lettre Pastorale du 21 mai 1895. C'est à Venise que s'est préparé celui qui, à Rome, allait être bientôt le grand Docteur et Pasteur de l'Église du XXe siècle.
Le 26 juillet 1903, il prenait le train, muni d'un billet aller-retour, c'était moins cher, pour se rendre au Conclave. À la foule énorme qui criait : Revenez vite, Éminence, il répondit en bénissant ce peuple bien-aimé : « Vivant ou mort, je reviendrai ». Il reviendra, défait, dans sa châsse, en 1960, pour être vénéré de ses chers Vénitiens.
UN GRAND PAPE RÉFORMATEUR
« De quel nom voulez-vous être appelé ? – Parce que les Papes qui ont le plus souffert en ce siècle pour l'Église ont porté le nom de Pie, je prendrai ce nom ».
C'était le 4 août 1903. Le Cardinal Sarto avait accepté « la responsabilité, la responsabilité trop formidable de la Papauté » par ces mots : « S'il n'est pas possible que ce calice s'éloigne de moi que la volonté de Dieu soit faite ! J'accepte le Pontificat comme une croix ». Ce n'était pas chez lui affectation ni grandiloquence. Comme le Christ, il venait de connaître une nuit d'agonie. Mais, s'étant relevé, il ne fit plus paraître que la dignité, la majesté, la force qui convenaient à son autorité, toutefois avec une simplicité et un charme qui n'appartinrent jamais qu'à Lui et peut-être, à un degré presque égal, à celui qu'il nommait suavement « l'angélique Pie IX ». Il exerça aussitôt sur les grands de ce monde, étonnante pour ce fils de pauvres gens, ce « curé de campagne », « une fascination immédiate et irrésistible ». Quant au peuple de Rome, du premier jour où il l'acclama, il lui voua un attachement extrême, comme à un saint.
Aidé de celui qu'il choisit aussitôt pour Secrétaire d'État – il a juste 38 ans, mais « ce qui importe le plus, il n'a pas de compromissions » –, le Cardinal Merry del Val, le Pape commence sans retard à Rome l'œuvre entreprise comme curé à Salzano, comme Évêque à Mantoue. Exactement la même, en plus ample. Restaurer tous les éléments de la vie de l'Église pour instaurer la société humaine moderne dans le Christ, sous l'Empire du Christ-Sauveur. Rien de plus droit, de plus clair, de plus juste et équitable, de plus salutaire. Il en expose le principe dès sa première encyclique E supremi apostolatus cathedra, du 4 octobre 1903.
Il faut lire Dal-Gal, mais entre les lignes : « L'élévation du Patriarche de Venise au Pontificat suscite une grande curiosité dans la chrétienté. Quelle serait la tendance de son règne ?... Une réaction, ou bien continuerait-il celui qui venait de s'achever ?... Conservateur ou progressiste ?... Conciliant ou intransigeant ?... Avec la Démocratie ou contre elle ?
« Questions oiseuses, inquisitions vaines pour qui sait que, si les Papes changent, l'Église ne change pas ; s'il y a entre eux des différences, elles sont dues à la diversité des circonstances, elles ne rejaillissent pas sur les directives suprêmes du Magistère romain (hum ! hum !).
« Ces questions oiseuses et inutiles – on le répète (!) - furent soulevées par certaines gens, au lendemain de l'élection du 4 août 1903. Ils redoutaient l'avènement d'un Pape qui devait arrêter la folle course vers l'apostasie et l'incrédulité à laquelle on s'était abandonné au nom de la Science et de la Démocratie (ah ! ah ! quel aveu...) et, en même temps, par des éloges où l'adulation se joignait au manque de sincérité, ils s'efforçaient de pousser Pie X dans la voie des idées nouvelles, exactement comme le Libéralisme avait cherché à circonvenir Pie IX (et Léon XIII ?).
« La même tentative recommençait, mais, cette fois, plutôt à l'intérieur de l'Église qu'au dehors.
« Il était donc nécessaire de parler clairement, de faire connaître les idées du nouveau Pontificat, afin que les fidèles ne se laissent pas prendre aux artifices de ceux qui voulaient détourner l'Église de sa mission de vérité pour l'engager dans les sillons arides des faux courants d'ici-bas ». Autrement dit : FINI LE RALLIEMENT !
Sans s'opposer à personne ni discuter avec personne, le Pape trace sa ligne droite : « Il en est un grand nombre, Nous le savons, qui, poussés par l'amour de la paix qui est la tranquillité de l'ordre, s'associent et se groupent pour former ce qu'ils appellent le parti de l'ordre. Peines perdues ! Un seul parti de l'ordre peut rétablir la paix au sein de la perturbation générale : le parti de Dieu. C'est celui qu'il importe de promouvoir. Ce retour au respect de la majesté et de la souveraineté divine n'adviendra que par Jésus-Christ. D'où il suit que tout restaurer dans le Christ et ramener les hommes à l'obéissance divine sont une seule et même chose ». Et dès le premier consistoire, il annonce la seule juste réponse au Libéralisme Catholique : ni compromission dans la politique ni indifférence, mais souveraineté royale du Vicaire du Christ sur toutes choses humaines : « Nous savons très bien que Nous heurterons quelques personnes en disant que Nous Nous occuperons nécessairement de politique. Mais quiconque veut juger équitablement voit que le Souverain Pontife, investi par Dieu du magistère suprême, ne peut pas détacher les affaires politiques du domaine de la foi et des mœurs... Mission divine que la nôtre car elle inclut la défense de l'Évangile dans tous les domaines, y compris la politique. »
Il sait qu'il entreprend une lutte gigantesque contre tout un monde. Il ira prudemment, bonnement, mais jamais il ne reculera. Quand la Guerre arrivera, qu'il verra venir, dont il aura eu à mainte reprise la vision prophétique, pleine d'horreur, il saura qu'elle vient châtier le monde rebelle à la Loi du Christ, rebelle aux enseignements et aux volontés de son Vicaire. Mais il aura semé toute cette grande doctrine de salut pour notre avenir...
Tout de suite, il s'applique aux choses concrètes qui assurent la conservation et la sanctification du peuple fidèle. Dès le 22 novembre il publie un Motu Proprio qui restaure la Musique Sacrée, la vraie, qui est piété et beauté, celle du chant grégorien. II s'occupe tout de suite aussi d'une réforme d'importance capitale, vraiment sans précédent, la codification du Droit canon ; décrétée le 19 mars 1904, elle aboutira après sa mort, en 1916. L'Église en profitera cinquante ans, trouvant dans ce recueil clair, systématique et maniable de toutes ses lois l'instrument d'une discipline universelle, d'une justice sûre et rapide. Il décrète bientôt la visite de Rome par le Cardinal Vicaire, pour y mettre de l'ordre dans le clergé, et bannir les prêtres gyrovagues. Il réforme de fond en comble le Vicariat et fonde onze paroisses en banlieue pauvre. Puis, en 1907 parait le plan de réforme de la Curie Pontificale, transformant la vieille organisation du Vatican en une administration moderne, simplifiée, toute à ses ordres.
Par la Lettre Acerbo Nimis, du 15 avril 1905, il montre ce que doit être l'enseignement du catéchisme, ce dont il peut parler en connaissance de cause ; même pape, il continue à faire le catéchisme au peuple de Rome ! Lui-même a composé un catéchisme dont il aurait voulu qu'il soit adopté partout. Les séminaires et le sacerdoce sont l'objet de sa sollicitude constante. « Le chef-d'œuvre de son âme sacerdotale est l'admirable Exhortation au Clergé catholique, du 4 août 1908, toute entière écrite de sa main », écrit Dal-Gal.
C'est un programme pratique et complet de perfection sacerdotale et du ministère sacré. Il réorganise les Petits Séminaires italiens. Pour faire pièce au Modernisme, il fait le projet d'un Institut Catholique international des Sciences, mais seul l'Institut Biblique sera inauguré par lui. S'il réforme le bréviaire et projette la réforme de la Messe, du calendrier, des leçons historiques du sanctoral, c'est pour aider les prêtres et les fidèles en allégeant et clarifiant les instruments essentiels de leur piété quotidienne.
Il décrète la communion précoce pour les enfants et recommande la communion fréquente et même quotidienne aux meilleurs fidèles, qui vivent sans attache habituelle au péché même véniel. La Lettre du 8 août 1910 Quam singulari Christus amore sera saluée avec enthousiasme et un grand pèlerinage d'enfants de France aura lieu à Rome pour y recevoir leur première communion de la main du Saint Pontife.
« LE SAUVEUR DE L'ÉGLISE DE FRANCE »
Pendant les vingt-cinq ans du gouvernement libéral de Léon XIII, la persécution antireligieuse ne cessa pas en France, au contraire elle augmenta dans la mesure même où la Franc-maçonnerie eut moins à craindre des forces catholiques dispersées et démobilisées ; vint le moment où elle sut qu'à force de concessions, les ralliés prendraient fait et cause pour les persécuteurs. Les insolences d'Émile Combes à l'égard du nouveau Pape, le voyage du Président Loubet à Rome, la rupture du Concordat étaient inscrits dans la logique du précédent Règne. Le plan des anticléricaux était clair : susciter une Église d'État, républicaine, séparée de Rome, ou réduire l'Église à la misère et à la ruine, enfin l'anéantir en France.
Dès l'annonce de la rupture du Concordat et de la Loi sur les Cultuelles qui remettait les biens d'Église aux mains de conseils laïcs, les Libéraux et ralliés de tous poils poussèrent à la capitulation. À Rome même, les tenants de la politique de Léon XIII inclinaient à l'acceptation.
Pie X pria longuement, réfléchit longtemps, observant un complet silence, puis, quand son parti fut pris, il parla avec force, avec gravité, avec ferveur. Il refusait le plan du gouvernement français. II dénonçait le manquement à la parole donnée, que constituait la rupture unilatérale du Concordat ; il jetait en pleine lumière la manœuvre de l'ennemi qui visait à mettre l'Église en sujétion et il appelait le clergé de France au renoncement total, à la pauvreté, pour sauvegarder sa dignité, son indépendance sacrée, sa divine mission spirituelle. Quand tous se laissaient aller à craindre, ce fut lui, vraiment lui seul, qui tint uni tout son peuple et le conduisit sur le chemin de l'honneur et de l'héroïsme à la stupéfaction de l'univers.
C'est pour ce mérite éclatant que les Évêques français nommeront Pie X, en postulant sa béatification, « le Sauveur de l'Église de France ». Clémenceau dira : « Nous avions tout prévu, sauf ce qui est arrivé, le refus des cultuelles par Pie X ». Et Briand, qui s'était écrié au Sénat : « On ne refuse pas quarante millions par an destinés au culte », rencontra sur sa route avec étonnement UN HOMME DE DIEU, capable de refuser ce tas d'or par fidélité à Jésus-Christ... L'Église de France sous Pie X sera dépouillée de ses biens mais elle gardera le trésor de son âme invaincue et le reste lui sera donné par surcroît. « Nous pouvons perdre les églises, avait dit le Pape à Camille Bellaigue, mais nous sauvons l'Église. Mieux vaut le sacrifice des richesses que celui de la liberté ». Ironie du Ciel, ces églises devenues biens nationaux furent à la charge de l'État, qui les entretiendra à grands frais et les restaurera comme certainement l'Église ne l'aurait pas pu durant ces cinquante dernières années !
Mais, vengeur de Dieu, défenseur de l'Église, Pie X voulait davantage. II échoua sans doute dans cette deuxième partie de son programme, aussi bien en Italie, au Portugal, qu'en France. Du moins cette volonté énergique demeure pour notre avenir une lumière, une orientation, une force qui sera enfin victorieuse. Saint Pie X ne se résignait pas à voir de grandes nations catholiques rendues, par le mécanisme démoniaque du suffrage universel et l'organisation maçonnique de la gauche, perpétuellement soumises à des minorités anticléricales et aussi bien antinationales.
Comme il avait fait à Venise, il voulut qu'on fit partout : l'Entente Catholique, le Parti Catholique, ou l'Action Catholique, serait le regroupement le plus large de tous les bons chrétiens et honnêtes citoyens pour jeter hors du gouvernement de l'État les ennemis de Dieu qui s'y sont retranchés. C'était exactement l'équivalent religieux de ce « compromis nationaliste » qu'à ce moment même, et se battant aux côtés des catholiques contre les Inventaires, réclamait l'Action Française.
Pie X alla jusqu'à réprouver l'INTÉGRISME, école politique espagnole, carliste, qui refusait tout accord électoral avec les modérés et libéraux. Ce qu'il écrit à ce sujet est toute sa pensée : « Tous se rappelleront qu'il n'est permis à personne de rester inactif quand la religion ou l'intérêt public sont en danger. En effet, ceux qui s'efforcent de détruire la religion et la société cherchent surtout à s'emparer, autant que possible, de la direction des affaires publiques et à se faire choisir comme législateurs. Il est donc nécessaire que les catholiques mettent tous leurs soins à écarter ce danger, et que, laissant de côté les intérêts de parti, ils travaillent avec ardeur à sauver la religion et la patrie. Leur effort principal sera d'envoyer, soit aux municipalités, soit au corps législatif, les hommes qui paraissent devoir le mieux veiller aux intérêts de la religion et de la patrie, dans l'administration des affaires publiques ».
En Italie, fondée et organisée par Lui, l'Union Électorale commença d'obtenir des résultats appréciables aux élections de 1904, 1909, 1913. Peut-être le redressement de ce pays à la veille de la Grande Guerre lui a-t-il évité la bolchevisation ? Mais même là, et à Rome même, les Libéraux et les démocrates faisaient pièce aux directives pontificales.
L'échec de cette CONTRE-RÉVOLUTION qui était un élément prioritaire de son programme de RESTAURATION UNIVERSELLE DANS LE CHRIST, ne vint pas des « intégristes » espagnols ou français, mais des libéraux. Lancés sur la voie large et grasse du Ralliement par Léon XIII, les Piou, Bazire, Lemire, avaient fini par être républicains et politiciens avant d' être d'Action Catholique au sens où l'entendait le saint Pape. Foin pour eux de ce gênant PARTI DE DIEU. Ils avaient partie liée avec les Républicains. Dès lors, leur tactique en tous pays fut de résister aux directives de Pie X concernant l'union politique en vue au moins du “ moindre bien ” – qui supposait un accord avec la droite et une rupture patente avec la gauche anticléricale –, pour leur opposer la théorie défaitiste et avilissante du “ moindre mal ” – qui commence par le désaveu de toute réaction de droite et finit par une entente feutrée avec la gauche pour partager le pouvoir et gruger ensemble toute la Nation.
Quand on songe aux millions de morts de la Grande Guerre, à l'épuisement de l'Europe, à la décadence de notre civilisation qui en ont résulté, on en pleurerait. Il y a autre chose à faire. Politique d'abord ! Il y a, au nom de saint Pie X, à reconquérir l'État, par tous les moyens même électoraux. D'abord en neutralisant le jeu hypocrite des Libéraux Catholiques, secrètement conjurés avec l'ennemi, ensuite en engageant tous les catholiques réconciliés dans la lutte pour la conquête du Pouvoir.
CONTRE LA « DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE »
Cette conquête du Pouvoir paraissait à Pie X d'autant plus urgente et nécessaire que la politique de Léon XIII avait non seulement grossi les rangs des libéraux de toute la masse flasque des conservateurs mais favorisé l'éclosion en tous pays d'une génération de démocrates-chrétiens rêvant de mettre les énergies spirituelles de l'Évangile, les institutions et les masses d'hommes de l'Église au service de la démocratie, et d'abord de la Révolution.
Pie X me paraît avoir eu, dans cette singulière évolution de l'Action Catholique, une intuition vraiment supérieure. Il a vu ce que personne d'autre ne voyait bien au moment même où cela se passait. II a vu comment les œuvres catholiques glissaient insensiblement d'une conception à une autre : d'abord toutes au service de Dieu et de la société, et plus particulièrement du peuple pauvre – ce qui était légitime et vraiment évangélique –, dans le cadre d'une stricte obéissance à la hiérarchie..., sous l'influence de rêveurs à la parole chaude, tel Sangnier, ou de prêtres ambitieux et démagogues, tels Murri, Lemire, Naudet..., les organisations sociales catholiques se laissaient griser par le goût de la facile manœuvre politicienne, par le jeu électoral et l'appétit du pouvoir. Elles en venaient à mettre au premier rang de leurs objectifs le bien matériel du peuple et à préconiser pour y atteindre, en premier lieu, l'appel au peuple : Pour le peuple, par le peuple ! On était loin du « Pour Dieu, pour la Patrie » des débuts ! La défense des droits de Dieu et des intérêts de l'Église s'effaçait devant la réclamation du Pouvoir pour le peuple. Le bien commun de la société le cédait aux revendications populaires ou démagogiques, dans une volonté nouvelle de lutte des classes. Et par suite, l'obéissance à la Hiérarchie était exclue par la revendication de l'indépendance des laïcs dans l'engagement politique... révolutionnaire.
Pie X avait vu cela dans l'Œuvre des Congrès, minée par les idées et les agissements de dom Murri. Dès son élévation au Souverain Pontificat, il lutte contre cette mutation désastreuse de l'Action Catholique. En 1904, il ose supprimer cette Œuvre pour en extirper l'esprit nouveau et il reconstruit l'Action Catholique selon des plans très fermes, par sa grande encyclique Il fermo proposito de 1905. Dom Murri fait alors sécession et, jetant le masque, fonde la Ligue Démocratique Nationale. Pie X le désavoue, interdit sa Ligue en 1906 et l'excommunie nommément en 1909.
Dans les mêmes années, le Sillon de M. Sangnier opère la même transformation intrinsèque de l'Action catholique en action démocratique et laïque. C'est un mouvement plus utopique et sentimental que celui de dom Murri et dom Sturzo en Italie qui est plus pragmatique, plus précis et plus axé sur la prise du Pouvoir. Mais les vastes chimères de Marc Sangnier ont l'avantage de rassembler toutes les idées dispersées jusqu'alors dans les divers courants d'air du néo-christianisme universel. Et ce « Plus Grand Sillon », qui est déjà tout le MASDU, Mouvement d'Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle, donne l'occasion à Saint Pie X d'écrire cette vaste, unique et admirable synthèse de la Lettre Notre Charge Apostolique du 25 août 1910 sur le Sillon, monument destiné à dominer le siècle. Le Cardinal Billot, dit-on, qui était sympathique à l'Action Française et lecteur assidu de Charles Maurras, en aurait été le premier rédacteur ? Rien ne le prouve. Et le génie qui anime la Lettre sur le Sillon me paraît n'avoir appartenu à nul autre qu'à Saint Pie X.
On sait, suivant l'usage instauré par Fénelon dans l'Église, « l'ostentatoire soumission » de Marc. Il lut la Lettre du Pape à genoux, puis, se relevant, il poursuivit sa chimère avec ses amis démocrates-chrétiens jusque dans les flaques de sang de l'Épuration de 1944 où ils voulurent le beau rôle de bourreaux de leurs frères catholiques de droite.
Le rêve de l'accord avec l'ennemi, le programme d'une entente tout humaine interconfessionnelle, générale, en vue du bonheur terrestre, faisait partout son chemin dans l'Église, malgré Pie X. C'est ainsi qu'il dut lutter durement contre l'École de München-Gladbach, de Cologne, soutenue par toute la presse démocratique et libérale d'Outre-Rhin, qui prônait l'interconfessionnalisme syndical. En 1912, puis en 1914, Pie X se prononce en faveur du syndicat catholique, ouvertement catholique, selon l'École de Berlin, sans exclure pour autant des accords à buts précis et limités avec les syndicats protestants, des cartels... C'est là qu'on peut lire cette fameuse parole où Pie X exige d'être toujours obéi et quels que soient les sentiments, opinions et intérêts contraires aux directives du Pape. Parole qui s'explique si bien dans la matière traitée, où tous les partisans du Masdu la récusent, mais qui cesserait d'être vraie dans le cas d'un Pape novateur, hérétique, révolutionnaire ou scandaleux, cas extraordinaire où, comme on devine, le monde entier la ressortira des tiroirs où elle était oubliée, pour persécuter au nom de ce Saint les derniers catholiques fidèles à son enseignement ! (Voir la suite de l'article...)
Abbé Georges de Nantes
Extrait de la CRC n° 96, Septembre 1975, p. 12-14