Le saint Concile de Trente
Lorsque le Pape Paul III fut élu pape en 1534, il était très conscient des périls qui menaçaient l’Église et la Chrétienté. Il prit donc la décision de recourir à un remède extraordinaire : la réunion d’un Concile œcuménique. Mais à la suite de difficultés inextricables, il fut contraint de repousser l’ouverture de ce Concile d’année en année.
En attendant, le Pape travaillait à la Réforme de l’Église dans sa Tête et dans ses membres, et d’abord dans sa Tête romaine ! Il renouvela donc la composition du collège des cardinaux, pourchassa l’hérésie en créant l’Index, en reconstituant l’Inquisition romaine qu’il plaça sous l’autorité directe du Saint-Siège.
« À l’abri de la Contre-Réforme spontanée, observe l’abbé de Nantes, et en vertu même de cette répulsion des catholiques pour l’hérésie venue du nord, la réforme des mœurs et de la discipline connut un nouvel élan et d’heureux résultats. » (CRC n° 4, p. 8)
Mais cette Contre-Réforme spontanée, encouragée par Paul III, devait être suivie d’un mouvement plus autorisé et ordonné : la Contre-Réforme hiérarchique par la condamnation la plus solennelle de l’hérésie, c’est-à-dire par les anathèmes d’un Concile œcuménique.
Paul III, persuadé de la nécessité d’un tel Concile, se heurtait à l’opposition des princes : « Ni Concile ni Croisade contre les Turcs », disait François Ier, tant qu’on ne lui aurait pas restitué le Milanais. Quant à Charles Quint et à Ferdinand d’Autriche, de plus en plus angoissés par le péril turc, ils voulaient réconcilier leurs sujets, faire l’union de tous les princes allemands en s’entendant directement avec les luthériens... Les années 1540-1541 furent donc marquées par les colloques de Spire, de Haguenau, de Worms, de Ratisbonne, au cours desquels catholiques et luthériens discutèrent sur un pied d’égalité. Il faut lire les rapports du nonce constatant que pour établir une profession de foi commune, les catholiques devaient gommer du Credo tout ce que les luthériens rejetaient. « À ce compte, écrivait-il au cardinal Farnèse le 15 juin 1540, l’Allemagne pourrait bien devenir une, mais en devenant luthérienne. »
Quand l’échec de la politique des colloques fut patent, Paul III put de nouveau songer à convoquer un Concile. Il fallut négocier le choix d’une ville : le Pape accepta Trente, dans le Tyrol, ville italienne de race et de langue, impériale d’obédience.
Enfin, après la paix de Crépy-en-Valois signée entre François Ier et Charles Quint, le miracle eut lieu. À Trente, le 13 décembre 1545, les légats pontificaux ouvrirent le Concile œcuménique au chant du Veni Creator. On ne saurait trop insister sur l’importance de cette invocation au Saint-Esprit. Un Concile jouit en effet de l’assistance positive du Saint-Esprit pour dirimer des controverses théologiques par définitions dogmatiques, accompagnées d’anathèmes solennels ayant de soi caractère formel d’infaillibilité.
L’Assemblée des Pères était, en ce mois de décembre 1545, encore très réduite. On comptait quatre cardinaux, dont les trois légats pontificaux ; quatre archevêques ; vingt et un évêques, dont un seul Français, celui d’Agde, et un seul Allemand, l’évêque auxiliaire de Mayence ; cinq supérieurs d’ordres religieux.
Le décret d’ouverture du Concile indiquait que l’Assemblée avait pour tâche de « chasser les ténèbres de l’hérésie » et de « réformer les choses qui avaient besoin de réforme ». Mais il fallait encore fixer l’ordre des matières à traiter. Or, à ce sujet, il y eut tout de suite un conflit. Le Pape exigeait que le Concile s’occupât en premier lieu de la doctrine de la foi, tandis que les prélats espagnols et napolitains, dévoués à la politique de l’Empereur, ne voulaient pas heurter de front les luthériens. Ils demandaient donc que le Concile traitât d’abord de la réforme des abus.
Le 22 janvier 1546, on se mit d’accord pour traiter tour à tour du dogme et de la discipline, mais à condition de faire toujours passer en première ligne les questions concernant la foi.
En préambule aux travaux conciliaires, les Pères renouvelèrent la profession de foi du concile de Nicée.
Le premier décret dogmatique, sur les sources de la Révélation, attaqua l’hérésie protestante à sa racine. Contre Luther qui avait opposé l’Écriture aux dogmes du magistère, le Concile affirma l’existence de deux sources de notre foi : d’une part, les Livres écrits ; d’autre part, les traditions non écrites, venues du Christ jusqu’à nous, par les Apôtres et leurs successeurs, sous la dictée du Saint-Esprit. Puis, six mois de labeur acharné furent nécessaires pour mettre au point le décret dogmatique sur la Justification, c’est-à-dire sur le rôle de la foi, des œuvres et de la grâce. Comme presque tous les actes dogmatiques du concile de Trente, il contenait une première partie positive présentant l’exposé de la doctrine véritable, puis des canons frappant d’anathèmes les erreurs contraires, ramenées à leur forme la plus brève et la plus synthétique.
La doctrine luthérienne de la justification par la foi seule, sans les œuvres, y était condamnée sous tous ses aspects. Les définitions du Concile, explique l’abbé de Nantes, enseignaient « la vraie foi en face de l’absurde, mais au-dessus de la raison » ; c’était le règne de la Prédestination divine et de la grâce, selon saint Paul et saint Augustin, mais sans rejeter ni la liberté de l’homme ni la possibilité d’œuvres bonnes, ni leur mérite. Le fort optimisme de saint Bernard, l’humanisme chrétien de saint Thomas, l’appel de saint Ignace à l’effort et à l’action se retrouvaient dans la doctrine tridentine. Donnée à tous, elle était une nouvelle charte d’unité catholique en même temps qu’une confirmation de tout ce qui se faisait, dès avant Luther et sans souci de lui, dans l’Église depuis le début du siècle pour la restauration de la sainteté et de la doctrine. »
Les premiers décrets disciplinaires portèrent sur la nécessité d’étudier et d’enseigner la Sainte Écriture, et sur la résidence des évêques et des curés. Obliger les évêques à résider dans leur diocèse, c’était par le fait même rendre impossible le cumul des bénéfices.
Pour que les théologiens du Concile puissent préparer les décrets dogmatiques sur les sacrements, les légats leur remirent une liste d’erreurs répandues dans les livres de Luther, Calvin, Mélanchton et Zwingle. La session du 15 octobre 1551 fut célébrée avec une solennité exceptionnelle. Il s’agissait de définir le dogme de l’Eucharistie contre les négations des prétendus réformateurs. Le décret contenait onze canons frappant d’anathèmes les hérésies proprement dites, les interprétations multiples, d’ailleurs contradictoires, des protestants.
En avril 1552, quand le duc de Saxe, rebelle à l’Empereur, envahit le Tyrol et se prépara à marcher sur Trente, les légats déclarèrent l’Assemblée close pour deux ans. Cette suspension allait en réalité durer... dix ans ! Car l’énergique cardinal Carafa, élu Pape en 1555, et qui prit le nom de Paul IV, dédaigna l’œuvre du concile de Trente. Jugeant ses travaux trop lents et peu efficaces, il voulut imposer lui-même, par bulles et par décrétales, les réformes qu’il pensait nécessaires. Mais Paul IV se heurta à mille difficultés. Sa défense de la foi et sa lutte contre les désordres étaient trop marquées de son autorité personnelle, exclusive, pour être acceptées de toute l’Église.
Le pape Pie IV aura la sagesse et le mérite de rouvrir le concile de Trente en janvier 1562. Certes, l’assemblée sera souvent troublée par des querelles de toutes sortes. Mais malgré ces agitations et ces débats, le Concile poursuivra son œuvre incomparable tant dogmatique que disciplinaire. « Nul Concile dans l’histoire de l’Église, notera le cardinal Hergenrother, n’a jamais défini autant de questions, fixé tant de points de doctrine, ni fait tant de lois. »
Lors de la séance du 17 septembre 1562, le Concile enseigna, contre les négations de Luther, que la messe est le véritable et saint sacrifice propitiatoire où le Christ est prêtre et victime. Chaque messe est, en elle-même, un sacrifice, au sens propre et non figuré. Et ce sacrifice ne fait pas nombre avec celui de la Croix qu’il renouvelle.
Le Concile prescrivit à tous les évêques de créer des séminaires. Institution nouvelle aux bienfaits incalculables ! (…)
La parfaite unanimité qui régnait alors dans l’assemblée annonçait et préfigurait la manière dont l’enseignement dogmatique de Trente serait reçu dans l’Église universelle. (…)
Pie IV, vieilli, malade, pouvait être fier d’avoir mené à son terme cette œuvre grandiose et décisive pour le relèvement de l’Église. Mais quand ses deux intimes, saint Charles Borromée et saint Philippe Néri, le félicitèrent d’une telle réussite, il répondit simplement : « Tout fut fait par l’inspiration de Dieu. »
Extraits de la CRC tome 29, n° 334, juin 1997 p. 17–18