VI. La vie mystique
Peut-être, et même certainement, la grande différence entre l’ancien catéchisme et Pierres vivantes tient en ceci que le premier affirme sans ambages la divinisation de l’être humain par le don de la vie surnaturelle que l’autre n’affirme ni ne nie, dont il se contente de parler sans y croire. S’il y croyait, cela changerait tout, ce serait le tout de la vie, et pour lui ce n’est toujours rien et cela ne dérange rien.
L’ancien, le seul vrai catéchisme enseigne ce que sont les biens surnaturels et invisibles sans jamais en discuter la pleine réalité divine, objective. Les mots qui les disent, les images qui les peignent, les comparaisons et explications qu’il en donne sont obscurs, difficiles. Il n’importe ! telle est la Vérité.
La grâce est la vie divine en nous, qui nous est communiquée par les sept canaux des sacrements et tous les petits ruisseaux parallèles des sacramentaux et des prières ou dévotions.
Cette grâce nous est donnée d’abord par le baptême qui est une nouvelle naissance et nous fait réellement fils de Dieu, frères du Christ et membres de son Corps, temples du Saint-Esprit. Trois notions, trois comparaisons certes obscures, défaillantes, cependant fortes et justes en ce qu’elles disent les liens nouveaux que la grâce autorise entre la créature sauvée, élevée à la vie surnaturelle, et les Personnes divines.
Cette grâce nous est augmentée par la confirmation d’où résultent comme une impulsion de Dieu, des énergies surhumaines pour nous engager résolument dans le combat chrétien, dans le service de l’Église, chacun selon notre appel, à notre place dans ce grand corps.“ Charismatique” alors ? Oui, nous le sommes tous, en vertu de ce sacrement, avec une intelligence illuminée, une volonté fortifiée, des sentiments plus pénétrants concernant les choses de Dieu et, en elles, de la destinée humaine.
Cette même grâce qui est, nous dit l’Église, notre propre participation à la Vie divine, à la Nature divine, nous permet de contempler de nos yeux « notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ »(Tit. 2, 13), présent sur nos autels, de profiter de son sacrifice rédempteur à la messe, enfin de nous nourrir et de nous abreuver de la Chair même et du Sang de notre Dieu dans la communion ! Et là, ce ne sont plus des symboles, des mots grandioses, c’est la réalité, incroyable de la bouche des hommes, croyable de Dieu seul. Mystère de foi.
Cette fusion de l’Eucharistie est le nec plus ultra de la religion terrestre, étape actuelle de notre divinisation. Il ne peut y avoir au-delà que le face à Face du Ciel. Car c’est l’union dans la chair et le sang, de la Personne même du Fils de Dieu fait homme avec chaque fidèle de l’Église, faisant de celle-ci un seul corps vraiment sien. Comme dans le mariage, la comparaison est de saint Paul, l’homme ne fait plus avec sa femme « qu’une seule chair »(Gn 2, 24), ici le chrétien ne fait plus avec le Christ fils de Dieu « qu’un seul esprit »(ICor. 6, 17).
Comment la raillerie, le doute, la négation de l’incrédule ne s’exerceraient-ils pas dangereusement contre ces affirmations toutes plus incontrôlables les unes que les autres ? Le fidèle catholique, l’enfant du catéchisme y croient fermement, alors même qu’ils ne sentent pas, qu’ils n’expérimentent pas cette emprise divine qu’on leur dit de plus en plus forte sur eux, en eux. Ils y ont du mérite ! Encore faut-il que l’Église unanime leur enseigne que cette union des chrétiens avec Dieu n’est pas seulement idéale ou affective, qu’elle n’est pas sentimentale ni sensible, mais réelle, mais effective. Aux trois niveaux de l’être, de l’esprit et de la chair même à qui elle confère un don de résurrection. Et non pas une fois en passant, mais continuellement, sans cesse alimentée, protégée, augmentée par la réception des sacrements et la pratique de la prière.
LE VERTIGINEUX DILEMME
À l’auditeur de cette exacte et forte catéchèse, il est impossible que le dramatique dilemme ne se pose pas un jour ou l’autre :
Ou tout cela n’est qu’illusions, paroles pleines de vent, bijoux de rêve, splendeurs factices, et la preuve en est que les catholiques baptisés, confirmés, pratiquants, communiants, ne sont pas meilleurs que les autres hommes – combien de fois n’avons-nous pas entendu de tels propos ! –. Ces « fils de Dieu »ne portent pas sur leur visage le signe de leur divinisation... Mais alors notre religion est un mensonge intégral.
Ou tout cela est vrai. Les effets des trois sacrements de l’initiation chrétienne sont bien les merveilles qu’enseigne notre vieux catéchisme. Le chrétien fervent vit dans un commerce incessant avec son Dieu. Dans cet“ état de grâce”, de grâce sanctifiante, accompagné d’une pluie de“ grâces actuelles”, divins bienfaits, il est intime à Dieu comme un fils avec son propre père, une épouse avec son époux, un ami avec son conseiller le plus sûr. Mais alors, ou les mots n’ont plus de sens, ou c’est la vie mystique offerte à tous, reçue par tous, vécue par tous, s’ils persévèrent, dans sa sublime grandeur !
Devant une telle affirmation selon laquelle nous, chrétiens, nous sommes tous des mystiques, le catéchiste qui croit ce qu’il enseigne, le prêtre qui prêche cette doctrine du haut de la chaire de vérité n’hésitent pas, ne biaisent pas : Oui, ces enfants baptisés, confirmés, que nous préparons à leur Communion solennelle sont véritablement assiégés de grâces mystiques, envahis et pénétrés de vie mystique... Une vie mystique, c’est-à-dire une union à Dieu intime et forte, qui pour n’être pas sentie n’en est pas moins vécue, réelle, authentique et sublime.
C’est ce qu’enseignaient tous les manuels de catéchisme et de théologie jusqu’à nos jours, et ils étaient crus. Même si le dogme y était expliqué sèchement, la morale exposée avec rigueur et austérité, les sacrements imposés par discipline et devoir plus que par attrait de leur suavité, on savait que les saints, et bien d’autres âmes, en avaient expérimenté les joies et les grandeurs comme un avant-goût de la béatitude céleste. Or c’étaient les mêmes dogmes, les mêmes vertus, les mêmes sacrements anonymement distribués, et donc la même“ vie divine ”, qui avaient nourri ces effervescences mystiques et qui aujourd’hui nourrissaient nos âmes. Il n’était que de tenir ces sublimes merveilles dans la foi comme d’autres les avaient vécues dans la joie !
LES TROIS ŒUVRES MYSTIQUES DE L’ESPRIT
Mais voici, dans la vérité de la mystique catholique, un nouveau train de sacrements pour mettre en œuvre cette vie divine, et encore un autre suivra. Déjà, comme celui-ci est impressionnant ! Car il arrive rapide et se fait tout de suite exigeant, occupant tout l’espace de la vie terrestre. Celui qui a le Christ pour nourriture quotidienne et qui a reçu de Lui l’Esprit avec abondance, ne peut se résoudre à ce que la terre entière ne connaisse pas Dieu et rester, lui, inerte, occupé seulement de son bonheur terrestre, de son salut individuel pendant ce temps-là. Il se sent et se sait « appelé » à propager d’une manière ou d’une autre cette vraie vie mystique, cette vie divine, à la donner comme lui-même l’a reçue par grâce. C’est ce qu’en bon ordre le catéchisme en vient à enseigner dans les deux ou trois chapitres suivants, des sacrements de l’Ordre, du mariage, et des vœux religieux.
Comme on prouve le mouvement en marchant, par ces sacrements qui mériteraient le beau vocable salésien d’« extase des œuvres », se prouve la réalité des dons surnaturels que dispensent les premiers reçus, ceux de l’initiation chrétienne. Si la filiation divine, l’énergie du Saint-Esprit, la communion à la chair et au sang du Christ n’étaient qu’illusion, jamais le sacerdoce catholique n’aurait abondé au long des siècles en toute terre chrétienne, jamais les familles catholiques n’auraient connu leurs proverbiales fidélité et fécondité, jamais les ordres religieux n’auraient fleuri avec une si prodigieuse diversité, et tant de marques de sainteté, de charité, de dévouements infinis, d’un prix inestimable pour le salut temporel et le salut éternel de la Chrétienté.
C’est donc bien une nouvelle nature, surhumaine, sanctifiante, divinisante, que distribuent les sacrements d’où découlent des capacités et des œuvres où le sublime est constant, où la sainteté ne se remarque plus tant elle est ordinaire. La contre-épreuve est en train de se faire depuis vingt ans. Avec la religion de Pierres vivantes, plus de vie mystique, partant plus de vocations, plus de prêtres, plus de solides et généreux mariages sacramentels. C’est aux sources de la vie naturelle et de la vie surnaturelle que l’incrédulité a frappé, tarissant le torrent qu’on en était venu à croire inépuisable, de la grâce divine et de tous biens.
Il suffira que Pape et évêques reviennent aux justes définitions de la Vie divine, et libèrent de leur prétendue réforme les canaux des sept sacrements pour que le désert de l’Église postconciliaire refleurisse.