Alphonse Ratisbonne
Qui ne connaît le récit de l’extraordinaire conversion d’Alphonse Ratisbonne, obtenue par l’intercession des prières de l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires ? (...)
Issu d’une famille israélite très aisée, de Strasbourg, Alphonse Ratisbonne, encore tout jeune, fut bouleversé par la conversion de son frère Théodore et par son entrée dans les Ordres ; il l’avouera : « Cette conduite me révolta, et je pris en haine son habit et son caractère. » (...)
Alphonse suivit de brillantes études de Droit à Paris où il menait une vie mondaine de jouissance et de fête.
« J’étais juif de nom, voilà tout ; car je ne croyais pas même en Dieu. Je n’ouvris jamais un livre de religion et dans la maison de mon oncle, pas plus que chez mes frères et sœurs, on ne pratiquait la moindre prescription du judaïsme. »
Il était fiancé à une nièce âgée de seize ans mais, avant son mariage, il se rendit en Italie pour un voyage d’agrément. C’était à la fin de l’année 1841. Il faut lire toutes les péripéties et les rencontres ménagées par la Bonne Providence pour conduire le jeune impie aux genoux de Marie.
Il accepta, après combien de résistance ! de porter la Médaille miraculeuse et de réciter le Memorare, plus par défi que par conviction : « On me passa la médaille au cou et je m’écriais avec un éclat de rire : “ Ha ! Ha ! me voici Catholique, Apostolique et Romain ! ” C’était le démon qui prophétisait par ma bouche. »
Les jours passaient et Alphonse songeait à son retour en France mais, sous une influence mystérieuse, il sentait le besoin de prolonger son séjour... Cependant, au milieu de la nuit du 19 au 20 janvier 1842, il se réveilla en sursaut : « Je voyais, fixe devant moi, une grande croix noire d’une forme particulière et sans Christ. Je fis des efforts pour chasser cette image : mais je ne pouvais l’éviter et je la retrouvais toujours devant moi, de quelque côté que je me tournasse. Je ne pourrais dire combien de temps dura cette lutte. »
Il raconte ensuite, heure par heure, ses différentes occupations et visites de la journée du 20 janvier. Vers midi...
« En sortant du café, je rencontre la voiture de monsieur Théodore de Bussières. Elle s’arrête et je fus invité à y monter pour une partie de promenade. Le temps était magnifique et j’acceptai avec plaisir. Mais monsieur de Bussières me demanda la permission de s’arrêter quelques minutes à l’église Saint-André-des-Frères, qui se trouvait presque à côté de nous, pour une commission qu’il avait à remplir. Il me proposa de l’attendre dans la voiture ; je préférai sortir pour voir cette église. On y faisait des préparatifs funéraires, et je m’informai du nom du défunt qui y devait recevoir les derniers honneurs. Monsieur de Bussières me répondit :
– C’est un de mes bons amis, le comte de Laferronnays ; sa mort subite est la cause de cette tristesse que vous avez dû remarquer en moi depuis deux jours.
« L’église Saint-André est petite, pauvre et déserte ; je crois y avoir été à peu près seul. Aucun objet d’art n’y attirait mon attention ; je promenai machinalement mes regards autour de moi sans m’arrêter à aucune pensée ; je me souviens seulement d’un chien noir qui sautait et bondissait devant mes pas... Bientôt ce chien disparut, l’église tout entière disparut ; je ne vis plus rien, ou plutôt, ô mon Dieu, je vis une seule chose!!! Comment serait-il possible d’en parler ? Oh ! non, la parole humaine ne doit point essayer d’exprimer ce qui est inexprimable ; toute description, quelque sublime qu’elle puisse être, ne serait qu’une profanation de l’ineffable vérité.
« J’étais là, prosterné, baigné dans mes larmes, le cœur hors de moi-même, quand monsieur de Bussières me rappela à la vie. Je ne pouvais répondre à ses questions précipitées ; mais enfin je saisis la médaille que j’avais laissée sur ma poitrine ; je baisai avec effusion l’image de la Vierge rayonnante de grâces... Oh ! C’était bien Elle ! »
Le jour même, Alphonse Ratisbonne fut conduit auprès du Père de Villefort, au Gesù, pour expliquer son émotion ; il tira d’abord sa médaille et, l’embrassant, il s’écria : « Je l’ai vue ! Je l’ai vue ! » Puis, une fois calmé : « J’étais depuis un instant dans l’église, lorsque tout d’un coup je me suis senti saisi d’un trouble inexprimable. J’ai levé les yeux, tout l’édifice était comme voilé à mes regards ; une seule chapelle avait, pour ainsi dire, concentré toute la lumière et, au milieu de ce rayonnement, a paru, debout sur l’autel, brillante, pleine de majesté et de douceur, la Vierge Marie, telle qu’elle est sur ma Médaille ; une force irrésistible m’a poussé vers Elle. La Vierge m’a fait signe de la main de m’agenouiller. Elle a semblé me dire : C’est bien ! Elle ne m’a point parlé mais j’ai tout compris.
« Je ne savais où j’étais ; je ne savais si j’étais Alphonse ou un autre ; j’éprouvais un si total changement, que je me croyais un autre moi-même... Je cherchais à me retrouver et je ne me retrouvais pas... La joie la plus ardente éclata au fond de mon âme.
« Mes premiers mots furent des paroles de reconnaissance pour monsieur de Laferronnays et pour l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires. Je savais, d’une manière certaine, que monsieur de Laferronnays avait prié pour moi.
« On me demande comment j’ai appris ces vérités, puisqu’il est avéré que jamais je n’ouvris un livre de religion, jamais je ne lus une seule page de la Bible, et que le dogme du péché originel, totalement oublié ou nié par les juifs de nos jours, n’avait jamais occupé un instant ma pensée ; je doute même d’en avoir connu le nom. Comment donc suis-je arrivé à cette connaissance ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je sais, c’est qu’en entrant à l’église j’ignorais tout, et qu’en sortant, je voyais clair.
« Tout ce que je puis dire, c’est qu’au moment du geste, le bandeau tomba de mes yeux ; non pas un seul bandeau, mais toute la multitude de bandeaux qui m’avaient enveloppé, disparurent successivement et rapidement comme la neige et la boue et la glace sous l’action d’un brûlant soleil.
« Je sortais d’un tombeau, d’un abîme de ténèbres, et j’étais vivant, parfaitement vivant... Mais je pleurais ! Je voyais au fond de l’abîme les misères extrêmes dont j’avais été tiré par une miséricorde infinie. »
Mais aux larmes de reconnaissance se mêlèrent aussitôt des larmes de pitié, à la pensée de ses amis, de son peuple, de sa fiancée, de sa famille. « C’est à vous que je pensais, ô vous que j’aime ! C’est à vous que je donnais mes premières prières... »
Ces textes sont grandioses et laissent entrevoir ce que sera un jour le retour au bercail du peuple juif tout entier : le passage des ténèbres à la lumière annoncé par saint Paul et qui suivra sans doute de peu la conversion de la Russie, comme le prévoit notre Père selon le message de Fatima.
Ce sera d’ailleurs l’impression dominante de l’abbé Théodore : « Ce qui me touchait le plus, c’était la vive éclaircie répandue sur la grande question du retour des juifs. L’intervention visible de la Sainte Vierge dans l’événement de Rome me paraissait un présage de l’accomplissement prochain des promesses concernant ce peuple. » (...)
Extraits de L'Abbé des Genettes, serviteur et apôtre de Marie, p. 269-276