Notre-Dame du Puy
Le Puy, comme tant d’autres sanctuaires au Moyen-Âge, comme Lourdes et Fatima de nos jours, c’est, aux yeux de la foi, une première et émouvante ébauche de la Jérusalem céleste à laquelle aspirent nos cœurs. Déjà, nous y sommes, déjà ses douceurs et ses beautés nous touchent et nous attirent.
C’est aux pieds de la Vierge Marie que trouvent refuge les humbles et les pénitents, les bons chrétiens et ceux qui désirent l’être, les foules de toutes races, de toutes langues, qui ont cru en leur Sauveur et espéré en sa douce Médiatrice, tandis que gronde contre Elle et contre Lui le tumulte du monde soulevé par Satan. (...)
LES PÈLERINS D’AUTREFOIS
Ils accouraient de toute la Chrétienté, par dizaines et centaines de mille, pour demander à Marie la paix de leurs âmes et de leurs patries, ainsi que la pleine indulgence de leurs dettes envers Dieu. À l’heure où ils seraient cités au grand tribunal, ils la voulaient pour Avocate :Mater misericordiæ, Advocata nostra, ora pro nobis ! Au milieu du XIe siècle, le pape Léon IX écrivait que « nulle part, la Sainte Vierge ne reçoit un culte plus spécial et plus filial de respect, d’amour et de vénération que celui que les fidèles de la France entière lui rendent dans l’église du mont Anis, autrement dite du Puy-Sainte-Marie ».
L’occasion privilégiée de ce culte était, est toujours celle du grand Jubilé, l’un des plus anciens de la Chrétienté après celui de Jérusalem et de Rome. Il a lieu chaque fois que le 25 mars, fête de l’Annonciation et de l’Incarnation du Verbe dans le sein béni de la Vierge Marie, coïncide avec le Vendredi saint, jour de sa mort rédemptrice et de la naissance spirituelle de l’Église du sein transpercé de son nouvel Adam. Cette conjonction qui émeut les fidèles et ravit les mystiques est rare : deux ou trois fois par siècle seulement.
L’Église puise alors à pleines mains dans le trésor des mérites de son divin Époux et de ses saints pour se renouveler elle-même, faire progresser ses enfants sur le chemin du Ciel, par la rémission des péchés et des peines temporelles liées aux péchés. L’indulgence permet de commuer ces peines en prières et aumônes. (…)
En retour, les bénéficiaires d’un tel don prient aux intentions du Souverain Pontife, telles qu’elles ont été formulées depuis des siècles : l’exaltation de la sainte Église, la propagation de la foi, l’extirpation des hérésies et des schismes, la conversion des pécheurs, la paix et la concorde entre les princes chrétiens, et tous autres besoins de la Chrétienté. (…)
L’APPARITION DE LA MÈRE DE DIEU
Même si la légende a enjolivé les origines du culte marial au Puy, une chose est certaine : dès la fin du IVe siècle, les premières communautés chrétiennes apparaissent dans le Velay, et il ne faut pas attendre longtemps, l’an 431, pour voir la Sainte Vierge manifester sa présence et ses volontés, au même moment où, en Asie Mineure, les Pères du Concile d’Éphèse proclament le dogme de sa Maternité divine, sous l’impulsion de saint Cyrille d’Alexandrie.
C’est bien la Mère de Dieu qui est apparue au sommet du mont Anis : merveilleusement belle, entourée d’anges, ses pieds reposant sur un dolmen, vestige d’un ancien temple gallo-romain. Elle guérit une femme malade, et lui enjoignit d’aller trouver son évêque pour qu’il fasse édifier une église en son honneur. (…)
Dans le diocèse du Puy, la mémoire de saint Georges, un des premiers pasteurs de la cité, est associée intimement au culte marial.
Il faut attendre cependant le Xe siècle pour entendre parler de pèlerinage. Il semble que le premier jubilé, d’origine populaire, remonte à 992. C’était aux approches de l’an 1000, on redoutait de graves événements, et la conjonction de l’Annonciation avec le Vendredi saint parut un “ signe des temps ”. Très vite, le mouvement prit de l’ampleur, et les foules commencèrent à affluer au Puy. Ce qui entraîna la reconstruction de la cathédrale. (…)
« Cette cathédrale, écrit Émile Mâle, est un des plus beaux monuments du monde chrétien, qui agit sur l’imagination par son mystère, par l’étrangeté de son décor à moitié arabe et par ses coupoles orientales. » Elle fut achevée au XIIe siècle en sa structure essentielle. (...)
Six papes vinrent en pèlerinage au Puy, ainsi que treize rois de France, de Charlemagne à François Ier. (...)
Louis XIII, qui consacra en 1638, son royaume à la Très Sainte Vierge dira que l’église du Puy était celle pour laquelle il avait le plus d’amour. Saint Louis y était venu en pèlerin et, en signe de sa dévotion à la Vierge, avait offert au sanctuaire ce qu’il avait de plus précieux : une épine de la Sainte Couronne.
LE JUBILÉ DE LA DÉLIVRANCE
Si l’histoire du pèlerinage du Puy permet de retracer toute l’histoire sainte de France, rien n’évoque mieux pour nous aujourd’hui ses bienfaits que les Jubilés du début du XVe siècle, au temps où il y avait grande pitié au royaume de France et dans la sainte Église... (…)
Celui de 1429, par exemple, où la conjonction du 25 mars et du Vendredi saint se produisit une nouvelle fois. L’heure de la résurrection de la France avait sonné. Jeanne se mit en marche en février 1429, ses Voix lui ayant dit qu’avant la mi-carême Dieu voulait que le Dauphin soit secouru. Sa mère, Isabelle Romée, partait, elle aussi, de Domremy, avec un groupe de Français fidèles au Roi, pour gagner le grand jubilé du Puy et confier sa fille à Notre-Dame. (…)
C’est pour rappeler le lien de la sainte de la Patrie avec l’église du Puy, que sa statue fut placée en 1912 en haut de la nef de la cathédrale. L’évêque lança fièrement à l’adresse de la République persécutrice cette devise que nous voulons faire nôtre, en ces temps de “ sécularisme militant ” : « Notre honneur à nous catholiques,c’est d’être fidèles à notre patrie de la terre comme à celle du Ciel ! »
UN BASTION DE CONTRE-RÉFORME
Pendant les guerres de religion, le Puy demeura un bastion catholique. On raconte comment la Vierge du Puy confondit un prêtre qui prêchait, à la manière des protestants, contre le saint Jubilé. Le renégat mourut peu de temps après, terrassé par la maladie.
En 1562, les huguenots mirent le siège devant la ville, et l’abandonnèrent au bout de cinq jours. Cette levée du siège, qui ressemblait fort à une fuite, affermit la confiance des catholiques dans leur céleste Protectrice. (…)
Malheureusement, les habitants de la cité mariale, troublés par tant de souffrances endurées pour la cause de la religion, tombèrent dans les excès de la Ligue, refusant de se rallier à Henri de Navarre, même converti. Il fallut les efforts de deux saints évêques pour ramener l’ordre, restaurer la discipline et ranimer la ferveur après tant de désordres. Mais à eux seuls, ils ne pouvaient suffire à la tâche. Ils firent donc appel aux Jésuites et soutinrent la confrérie des Pénitents blancs, créée en 1585 pour lutter contre les hérésies par la dévotion : dévotion à la Passion du Christ, à la Sainte Eucharistie, et bien sûr à la Vierge Marie.
Le Puy eut alors la chance d’avoir un saint dans ses murs : saint François Régis, de la Compagnie de Jésus, déjà connu pour ses prédications et grand convertisseur de protestants dans le Vivarais. Il fit merveille dans le Velay. Décidé à lutter contre l’ignorance de la religion qui est la source de tous les maux et les vices, il multipliait les leçons de catéchisme. (…)
L’hiver venu, notre missionnaire au cœur de flamme parcourait les campagnes enneigées, tel le bon pasteur à la recherche des brebis perdues, voulant les ramener toutes dans le sein de l’unique Église catholique et dans l’obéissance politique du Roi, de qui la révolte protestante les avait détachées. Il mourut d’épuisement au cours d’une de ses missions à Lalouvesc, en 1640.
Quelques années auparavant, les habitants de Puy, affligés d’une terrible épidémie de peste, se tournèrent d’un seul cœur, autorités constituées en tête, vers la Vierge. Ils furent exaucés, le fléau recula, après une grande procession publique, dont un tableau dans la cathédrale a gardé le souvenir.
Le Jubilé de 1785 vit accourir au Puy autant de pèlerins qu’aux siècles de Chrétienté. En 1794, sous la terreur, les révolutionnaires brûlèrent la Vierge Noire. En réparation de cet acte de lèse-majesté, une autre Vierge Noire fut couronnée solennellement dans la cathédrale, le 8 juin 1856. C’était l’époque où l’on érigeait, au sommet du Rocher Corneille, la statue de Notre-Dame de France.
RENOUER LE FIL D’UNE LONGUE TRADITION
Le dernier Jubilé avant celui de l’année 2005 fut célébré en 1932. Les cérémonies qui se déroulèrent au Puy pendant quinze jours furent magnifiques. Par milliers, les pèlerins montaient tous les jours à la cathédrale, groupés en paroisses ou en corps de métier. (…)
On pria beaucoup pour la France au cours de ce Jubilé, pour la paix aussi... Huit ans plus tard, c’était la guerre, la défaite, mais, au sein de la défaite, l’avènement d’un chef humain et chrétien. Au cours de ses visites dans le sud de la France, le maréchal Pétain tint expressément à venir au Puy. C’était le 2 mars 1941. « Tout le Velay était dans la ville, tout Le Puy était dans la rue ». En montant à la cathédrale pour y assister à la grand-messe, le Maréchal renoua, comme le lui fit remarquer l’évêque du Puy,« le fil d’or d’une grande tradition nationale » : celle des souverains de notre pays qui ne manquaient jamais de rendre hommage à Celle qui est vraie Reine de France. (…)
L’année suivante, le 15 août 1942, c’était toute la jeunesse de France qui se rassemblait au Puy, pour un grand « pèlerinage de pénitence et d’espérance ». (…)
NOTRE-DAME DE FRANCE
Au milieu du 19e siècle, on voulut ériger une statue en l’honneur de la Vierge Marie au sommet du rocher dominant la ville qui lui est pour ainsi dire consacrée. La travaux devaient commencer le 8 décembre 1854, jour de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Mais les fonds manquaient.
C’est alors que le général Pélissier, séduit par le projet, conseilla à l’évêque du Puy de demander à Napoléon III les canons que lui, Pélissier, se faisait fort d’enlever aux Russes, au cours de la prochaine campagne de Crimée. L’entrevue eut lieu à Paris le 5 septembre 1855. L’empereur accepta et, trois jours après, le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge, Pélissier lançait ses troupes à l’attaque des remparts de Sébastopol et s’emparait des canons russes.
Rapportés en France, une partie d’entre eux furent cédés à l’évêque du Puy. L’inauguration de la statue eut lieu le 12 septembre 1860. (…)
Elle est Reine, et une couronne de douze étoiles ceint son front. Elle est Mère aussi et tient son enfant sur son bras droit, geste inhabituel aux mères, mais voulu par le sculpteur de façon à permettre à l’Enfant-Jésus de bénir la ville, sans cacher le visage de sa Mère. Elle est Immaculée Conception et, de son pied virginal, écrase la tête du serpent maudit. Elle est enfin Médiatrice, et les eaux abondantes qui jaillissent du Rocher Corneille sont le symbole expressif des grâces qu’elle répand « sur le monde entier, sur chacune de nos âmes, et sur la France en particulier », comme sainte Catherine Labouré en a eu révélation en 1830. (…)
SAINT-MICHEL D’AIGUILHE
L’ascension de ce petit “ mont Saint-Michel ” est le complément obligé du pèlerinage à la Vierge. Le rocher qui se dresse comme un gigantesque obélisque naturel est sans doute un ancien cratère de volcan débarrassé de son enveloppe de terre et de rocher par une longue érosion. Les pèlerins y trouvaient autrefois plusieurs oratoires dédiés aux archanges, figurant l’échelle de Jacob, sur laquelle les anges montent et descendent. Le premier oratoire est dédié à saint Gabriel, l’archange de l’Annonciation ; le second, à mi-hauteur, à saint Raphaël, conducteur et consolateur des voyageurs ; le dernier enfin, en haut des 268 marches taillées dans le roc, à saint Michel, l’Ange au glaive fulgurant qui introduit les âmes au Paradis ou leur en ferme définitivement l’accès.
Il est aussi le « protecteur de la France », et était vénéré comme tel au Puy, au moment où il apparaissait à Jeanne d’Arc dans le jardin de son père, à Domremy, lui enseignant à se bien gouverner en vraie fille de Dieu et de la sainte Église. (…)
SAINT-JOSEPH DE BON ESPOIR
Saint Michel occupant le dyke d’Aiguilhe, la Vierge et son Enfant ayant pris possession du rocher Corneille, les habitants du Puy qui ont le sens de la famille et le souci de ne pas séparer ce que Dieu a uni, ont eu l’idée, il y a un peu plus d’un siècle, de dédier le rocher d’Espaly à saint Joseph, le chef de la sainte famille.
Les commencements de ce sanctuaire ont la saveur tout évangélique de la “ religion de nos pères ”. Une enfant du pays habitait une excavation du rocher, partageant son temps entre son chapelet et sa dentelle. Elle vivait de bien peu de choses, priant beaucoup, assistant les malades, enseignant les enfants, veillant les agonisants, rappelant à tous les exigences de la morale et les devoirs de la religion.
Un jour qu’elle revenait de la cathédrale du Puy avec une compagne, leur attention fut attirée par un petit carré de papier blanc glissé entre deux pavés de la chaussée. L’ayant retourné, elles s’aperçurent que c’était une image de saint Joseph. De retour à Espaly, la jeune fille plaça l’image pieuse chez elle dans une anfractuosité du rocher. À l’aube et au crépuscule, elle et sa compagne venaient s’agenouiller devant cette niche rustique et y faire leur prière. Elles y amenèrent quelques fillettes, bientôt rejointes par plusieurs mères de famille. Plus tard, l’image fut remplacée par une statue de saint Joseph,couronnée en 1910 par saint Pie X. (…)
Entre-temps, il aura fallu toute la dévotion ardente et le zèle infatigable d’un prêtre du diocèse, l’abbé Fontanille, pour transformer ce modeste sanctuaire en haut-lieu de pèlerinage national. Une basilique fut construite à flanc du rocher, tandis qu’à son sommet était érigée une statue gigantesque de saint Joseph et de l’Enfant Jésus debout sur l’établi du charpentier. (…)
Ce sanctuaire dédié à Saint Joseph de Bon Espoir nous incite à lui confier non seulement nos familles et nos communautés, mais l’Église tout entière et notre Patrie. Saint Joseph ne sera-t-il pas demain le Patron de l’Église ressuscitée et de la Chrétienté restaurée ?
Extraits de Il est ressuscité !n° 35, juin 2005, p. 23-32