L'empereur Charles d'Autriche
Le dernier empereur d’Autriche et la Reine de la Paix
« En demandant au Ciel la grâce et la bénédiction pour moi et pour ma Maison, ainsi que pour mes peuples bien-aimés... je jure devant le Tout-puissant d’administrer fidèlement les biens que mes ancêtres m’ont légués. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour bannir dans le plus bref délai les horreurs et les sacrifices qu’entraîne la guerre et pour rendre à mon peuple les bienfaits de la paix. »
C’EST par cette prière et cette promesse solennelle que l’empereur Charles d’Autriche, premier du nom, inaugurait son règne, le 21 novembre 1916. Un règne d’à peine deux ans, mêlé aux affres de la Grande Guerre et brutalement interrompu par la révolution. Jean Sévillia lui a consacré un passionnant ouvrage : “ Le dernier empereur, Charles d’Autriche, 1887-1922 ” (Perrin, 2009), qui complète ce qu’il a déjà écrit sur son admirable épouse : “ Zita, Impératrice courage ” (Perrin, 1997).
Ni les politiciens, ni les historiens, ni même les théologiens n’ont encore vraiment compris le sens du sacrifice des héros de la Grande Guerre : « Restent seuls crédibles, seuls audibles, mais non point entendus ni crus pour autant, les saints de l’Église qui en eurent des révélations, des visions indubitablement prophétiques et les accompagnèrent de leçons religieuses et morales, afin que l’holocauste ne soit pas sans mérite, sans valeur aux yeux de Dieu, au contraire ! qu’il obtienne de lui miséricorde, et grâce sur grâce jusqu’à la plénitude de la victoire et d’une sainte paix catholique qui ne sont pas encore venues à nos peuples de héros sacrifiés... » (Georges de Nantes, Le mémorial de nos héros de la grande guerre. « J’ai pitié de cette foule », CRC no 308, décembre 1994, p. 1)
Charles d’Autriche n’était pas de “ notre camp ”, de notre peuple latin et catholique affronté au barbare germanique et luthérien, il ne fut favorisé d’aucune révélation, mais il est aujourd’hui bienheureux et sa vie s’inscrit dans l’orthodromie « qui mène toutes choses de Chrétienté vers le meilleur bien des hommes, leur conversion véritable, et à ce prix leur paix sur la terre et la vie éternelle dans le Christ » (CRC n° 302, p. 36).
« BÉNÉDICTION POUR L’AUTRICHE »
Né le 17 août 1887, Charles montra dès ses jeunes années un caractère bienveillant, sensible, un cœur franc comme l’or et une piété profonde. Destiné comme tous les princes de sa famille à la carrière des armes, il devint officier à l’âge de dix-huit ans et se signala par son sens du devoir, sa rigueur et sa gaieté. Rien cependant ne laissait présager que ce petit-neveu du vieil empereur François-Joseph lui succéderait un jour.
Le 21 octobre 1911, Charles épousa Zita de Bourbon-Parme, charmante princesse de tradition et d’éducation françaises, de foi catholique et monarchique intégrale, – sa grand-mère, la duchesse Louise de Parme, était la sœur du comte de Chambord –. Par toutes les fibres de son cœur, Zita était Autrichienne : « Jamais je n’aurais pensé que l’Autriche puisse être pour moi quelque chose d’étranger, écrira-t-elle. Avant même d’être mariée, je connaissais une grande partie du pays sur le bout des doigts. C’était tout simplement notre chez nous. » Le jour de leurs noces, Charles confia à son épouse : « Maintenant, notre devoir est de nous aider mutuellement à aller au Ciel. »
Quelques mois auparavant, la princesse avait été reçue en audience avec sa mère par le pape Pie X, qui lui dit : « Vous allez épouser l’héritier du trône. » Surprise et intimidée, elle n’osa objecter que l’héritier du trône des Habsbourg était alors l’archiduc François-Ferdinand, et non pas Charles, son futur époux. Mais Pie X poursuivit : « Je m’en réjouis infiniment, car une grande bénédiction tombera sur son pays grâce à lui. Il sera la récompense de l’Autriche, pour sa fidélité. »
Le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo confirmait, mais dans les larmes et le sang, la prophétie du saint. En même temps que Charles devenait l’héritier présomptif de la couronne impériale et royale, l’engrenage fatal qui devait mener à une terrible mêlée des peuples était déclenché.
À l’ambassadeur de François-Joseph venu lui demander au nom de son maître la bénédiction pour les armées autrichiennes, saint Pie X, qui avait eu comme la vision prophétique de l’effroyable « guerrone » dans laquelle le monde se jetait en châtiment de son impiété, répondait :
« Dites à l’empereur que je ne saurais bénir ni la guerre ni ceux qui ont voulu la guerre : je bénis la paix. »
UN CHEF HUMAIN ET CHRÉTIEN
La guerre déclarée, il fallait faire son devoir et marcher au feu. On vit alors l’archiduc héritier se multiplier sur tous les fronts ; il était partout, sur le front-est, face aux armées russes de Broussilov, au sud-ouest, dans le Tyrol, où il commanda pendant un temps les troupes d’élite de l’Edelweiss Korps, avec un souci évident d’épargner le sang de ses hommes, qui fait penser irrésistiblement au général Pétain à la même époque.
Si la Double Monarchie avait été sur le point de se désagréger d’elle-même, ainsi qu’on l’a répété à satiété après la guerre pour justifier les traités de 1919 qui la démembraient, cela se serait produit en 1914. Or, contre toute attente, la mobilisation s’effectua sans troubles. Plus même : ses régiments combattirent vaillamment. Et en octobre 1917, les armées austro-hongroises étaient encore en mesure d’infliger, à Caporetto, un désastre aux troupes italiennes.
Cette fidélité et cette vaillance s’expliquent par une raison bien simple et positive : l’armée impériale était un creuset, dans lequel venait se fondre le sentiment profond partagé par les peuples du bassin danubien d’être voués à une communauté de destin, incarnée par une famille, la maison de Habsbourg, et cimentée par la foi catholique, soutien ancestral du trône.
Charles, qui égrenait son chapelet tous les jours, seul au front ou avec ses enfants quand il revenait à Vienne, voyait tout, descendait jusque dans les tranchées, parlait volontiers avec les soldats. Les armes, les chefs, les champs de bataille, rien ne lui était étranger, et il en rendait compte fidèlement à l’Empereur, déplorant par exemple que les Allemands prennent de plus en plus de place dans le commandement des troupes et la conduite des opérations.
Mais comment se dégager d’un allié animé d’une telle fureur belliciste ?
UN SOUVERAIN PACIFIQUE
Quand l’empereur François-Joseph s’éteignit le 21 novembre 1916, après un règne de soixante-huit ans, on pouvait se demander si l’Autriche impériale était morte avec lui. Lors des funérailles, tout le monde le redoutait.
« Et pourtant l’empereur est là. Il a maintenant le visage d’un homme qui n’a pas trente ans, au côté de qui s’avance, voilée de noir jusqu’aux pieds, une toute jeune femme, déjà mère de quatre enfants. »
Charles et Zita furent couronnés le 30 décembre 1916 à Budapest, selon le rite et le faste traditionnels. « Du point de vue religieux, écrit Sévillia, les souverains, catholiques convaincus, sont pénétrés de la dimension spirituelle du couronnement. Du point de vue politique, cet acte ne les engage, stricto sensu, qu’en Hongrie. Néanmoins, élevés dans la ferveur monarchique, ils estiment que l’onction reçue confère son sens ultime à la mission dont ils sont investis : roi et reine, ils sont responsables devant Dieu de leurs peuples et de leur couronne. » (p. 70)
À dire vrai, leur charge, en de telles circonstances, était écrasante. Charles l’accomplit dans l’exercice quotidien des vertus de son état poussées jusqu’à l’héroïsme. Prenant lui-même le commandement suprême de l’armée, il réussit à imposer sa manière de voir : pas d’engagement d’infanterie sans longue et intense préparation d’artillerie. Un souffle nouveau parcourut l’armée. De leur côté, les populations civiles commençaient à ressentir douloureusement les conséquences du blocus : le ravitaillement se faisait de plus en plus difficile, la disette apparaissait... La pitié qui envahissait le cœur de l’empereur, joint à un sens aigu de son devoir de souverain, lui firent une obligation de chercher par tous les moyens à mettre fin à une guerre qui n’avait que trop duré.
Il tenta, vainement, de s’opposer au projet de l’Allemagne d’engager une guerre sous-marine à outrance, qui détermina les États-Unis, attachés à la liberté des mers, à entrer dans le conflit. « C’est affreux ! L’Allemagne sous-estime l’Amérique et surestime ses propres forces. Berlin est frappé de cécité et nous précipitera dans l’abîme », confiait Charles à Polzer-Hoditz, son chef de cabinet civil.
De même, jugea-t-il insensé l’appui que le quartier général du Kaiser accorda à Lénine en avril 1917, le faisant passer de Suisse en Russie à seule fin d’y allumer sa révolution.
Si, dans son for intime et dans ses conversations, il s’opposait à ses “ alliés ”, dans la pratique il était dépourvu de moyens de faire pression sur eux. « C’est là tout le drame du souverain », note Sévillia.
Jusqu’au jour où il décida d’ouvrir des discussions secrètes avec l’Entente, c’est-à-dire avec la France et l’Angleterre, en vue de conclure la paix, entre soldats et dans l’honneur.
POURPARLERS DE PAIX
Contactés par leur mère, la duchesse de Parme, les deux frères de l’impératrice Zita, Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, qui s’étaient engagés dès le début du conflit dans l’armée belge, se rendirent incognito en Suisse, puis à Vienne, où ils rencontrèrent l’Empereur. Au récit de cette tentative de diplomatie dynastique, on se prend à rêver : la paix était donc possible au printemps 1917 ?
Le 24 mars, l’empereur Charles confiait à son beau-frère une lettre manuscrite, destinée à être remise aux autorités françaises, dans laquelle on pouvait lire :
« La France a montré une force de résistance et un élan magnifiques. Nous admirons tous, sans réserves, l’admirable bravoure traditionnelle de son armée et l’esprit de sacrifice de tout le peuple français [la bataille de Verdun venait d’être gagnée !]. Aussi m’est-il particulièrement agréable de voir que, bien que momentanément adversaires, aucune véritable divergence de vues ou d’aspirations ne sépare mon empire de la France et que je suis en droit de pouvoir espérer que mes vives sympathies pour la France, jointes à celles qui règnent dans toute la Monarchie, éviteront à tout jamais le retour d’un état de guerre pour lequel aucune responsabilité ne peut m’incomber... »
Charles offrait à l’Entente des conditions appréciables : reconnaissance de la neutralité belge, rétablissement de la Serbie avec accès à l’Adriatique, soutien des « justes revendications françaises » sur l’Alsace-Lorraine ; en contrepartie, il ne demandait que le maintien de l’intégrité autrichienne. Il réitéra ses offres dans une seconde lettre, le 9 mai. Son but, confiait-il au comte Czernin, son ministre des Affaires étrangères, est « après la paix, de s’allier avec la France en contrepoids de l’Allemagne ».
Il était bien le seul chef d’État de l’époque à désirer ainsi et proposer loyalement la paix. Une autre motivation le pressait : la révolution qui venait d’éclater à Saint-Pétersbourg pourrait à son tour gagner les Empires centraux. Charles s’en ouvrit auprès du nonce à Vienne, qui ne prit pas la chose au sérieux. L’Empereur en fut attristé : « Le nonce croit que je parle pro domo, mais rien n’est moins exact. Il s’agit, à la vérité, de choses bien autrement importantes que le maintien d’un trône ; il y va de la sécurité et du calme de l’Église, ainsi que du salut éternel de beaucoup d’âmes en péril. »
LES DESSEINS DE LA REINE DU ROSAIRE
Charles avait placé ses projets de paix sous la protection de la Très Sainte Vierge, dont l’effigie ornait les drapeaux des régiments impériaux. Le 15 avril 1917, il se rendit à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, pour faire le vœu de construire une église dédiée à la Reine de la Paix, et s’offrir à elle pour être son instrument, si elle le désirait.
De son côté, le pape Benoît XV, qui croyait « à la force morale du droit », faisait ajouter le 5 mai 1917 aux litanies de Lorette l’invocation “ Regina Pacis, ora pro nobis ”. « Il demandait, écrit notre Père, que l’on prie pour la paix, afin que Dieu la donne au monde, quand bien même les belligérants ne voudraient ni prier, ni désarmer. » (CRC n° 308, p. 4)
En réponse, le 13 mai, Notre-Dame apparaissait aux enfants de Fatima pour poser les conditions de cette paix tant désirée :
« Récitez le chapelet tous les jours afin d’obtenir la paix pour le monde et la fin de la guerre.
– Pouvez-vous me dire, demanda Lucie, si la guerre durera encore longtemps, ou si elle va bientôt finir ?
– Je ne puis te le dire encore, tant que je ne t’ai pas dit aussi ce que je veux. »
« Ainsi l’humanité demande d’abord son bien immédiat et temporel. Notre-Dame, en le remettant à plus tard, lui rappelle que là n’est pas le don le plus nécessaire ni le meilleur, mais bien celui de la conversion, en vue du Ciel. Le grand mal n’est pas la guerre, mais le péché, qui conduit les pauvres âmes en enfer et qui déchaîne les guerres et les révolutions. » (G. de Nantes, Lettre à mes amis n° 247) C’est le 13 juillet 1917 que la Sainte Vierge dévoila ses secrets desseins de miséricorde, dont les hommes ingrats et rebelles allaient retarder indéfiniment l’exécution : « La guerre va finir. Mais si l’on ne cesse d’offenser Dieu, sous le règne de Pie XI en commencera une autre pire... »
Déjà, en 1917, se préparait une fausse paix et une calamiteuse après-guerre, dont Charles d’Autriche serait une des premières victimes, tandis que des membres disjoints de son Empire, séparés de leur tête, jaillirait l’étincelle de l’autre guerre, « pire »...
LE COMPLOT DES DIABOLIQUES
Les premiers à refuser la main tendue par l’empereur Charles furent les Français... républicains. Sévillia détaille les étapes de cet aveuglement criminel, depuis l’étouffement des propositions autrichiennes par le radical-socialiste Alexandre Ribot et son complice italien Sonnino, en avril-mai 1917, jusqu’au printemps 1918 où « l’ignoble Clemenceau », comme l’appelle notre Père, communiqua à la presse la lettre secrète de Charles du 24 mars 1917. Il reniait les engagements pris et contribuait par le fait même à rejeter définitivement l’Autriche dans les bras de l’Allemagne.
Il y avait à Paris et Londres des réseaux dont le mot d’ordre était de « détruire l’Autriche-Hongrie », tel le “ Conseil national tchécoslovaque ”, créé par les francs-maçons Bénès et Masaryk. En juin 1917, un congrès international maçonnique des pays alliés et neutres se tint à Paris. Parmi ses résolutions, les revendications d’autonomie “ tchécoslovaque ” et “ yougoslave ” visaient à la destruction de la Double Monarchie, dernier obstacle à la révolution maçonnique en Europe, bastion d’une Contre-Réforme et d’un catholicisme politique exécrés.
« C’est en 1918 que le vent tourne », remarque Sévillia. Le président des États-Unis, Woodrow Wilson, s’est fait l’écho de ces résolutions en lançant, le 8 janvier 1918, ses “ Quatorze points pour établir la paix du monde ” : barrières économiques à supprimer, Russie bolchevique à soutenir et, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Autriche-Hongrie à démanteler (article 10) et Allemagne à épargner...
Ah ! le beau programme, mis au point par l’âme damnée de Wilson, le pseudo colonel House, un des maîtres-penseurs du nouvel ordre mondial. L’année 1918 ne serait pas écoulée que tout soit accompli.
Pauvre Charles, qui crut bon d’écrire au président américain, et n’en reçut aucune réponse ! De quelque côté qu’il se tournât, il ne rencontrait que mépris et rebuffades. Une campagne d’opinion contre le couple impérial fit, durant l’été 1918, des ravages dans l’Empire : après enquête, on s’aperçut qu’elle émanait de l’ambassade allemande à Vienne et de la Ligue évangélique du Nord !
SOUS LE SIGNE DU RALLIEMENT
« Il ne suffit pas que je sois seul à vouloir la paix, confiait un jour Charles à Polzer-Hoditz, il faut que j’aie le peuple entier et les ministres à mes côtés. »
Le peuple, oui ! lui était acquis dès le début, jamais monarque ne gagna aussi vite les suffrages de ses sujets. Ses manières simples, ses réformes sociales, – il fut le premier en Europe à instituer un ministère de la Santé et de l’Assistance sociale –, la présence à ses côtés de l’impératrice Zita qui multipliait les œuvres de charité, y contribuèrent grandement.
Mais les “ représentants ” du peuple, eux, ne lui causèrent que des embarras, et on s’étonne qu’une des premières mesures de Charles fut de convoquer le parlement autrichien, fermé depuis mars 1914. « Le jeu démocratique en Autriche-Hongrie, estime le souverain, est d’autant plus nécessaire, que les puissances occidentales se targuent de mener une guerre entre États de droit et États réactionnaires. Faire de l’Autriche-Hongrie une puissance moderne, c’est désamorcer la propagande alliée. » (p. 108) C’était là un mauvais calcul. Charles n’avait-il pas confié à Polzer-Hoditz : « Feu l’empereur François-Joseph m’a souvent répété, pour que je ne l’oublie jamais, que ces histoires de responsabilités ministérielles ne sont, au fond, qu’une plaisanterie. En réalité, la responsabilité, c’est nous qui la portons. »
Il y eut peu d’hommes de valeur pour l’aider à gouverner, tandis que les rivalités partisanes et nationales faisaient obstacle à ses justes réformes, en particulier son projet fédéraliste. S’il est une leçon qui ressort de ce récit, c’est que la vie parlementaire est incompatible avec la conduite de la guerre. Le plus déconcertant au fil des pages est de voir que la bienveillance naturelle de Charles, faute de doctrine politique solide, tournait souvent chez lui en confiance excessive accordée à ses ennemis politiques. Dans le même temps, il professait une croyance désarmante dans les aspirations des peuples, qui « éliminent d’eux-mêmes [sic !] les exagérations ». En cela, il se montrait plus disciple de Léon XIII et de Benoît XV que de saint Pie X.
Au moment critique, les évêques autrichiens se dérobèrent à leur mission traditionnelle de soutien du trône. Le 12 novembre 1918, les députés chrétiens sociaux qui composaient la majorité de l’assemblée et qui avaient juré fidélité à la Monarchie quelques jours auparavant, se rallièrent à la République. « Une république sans républicains », titrait l’Arbeiterzeitung, le quotidien social-démocrate, tellement il était évident que le changement de régime n’avait pas été voulu par le peuple, mais par la classe politique.
Des élections furent fixées au 16 février 1919. Sévillia raconte : « Mgr Seydl, à Eckartsau, où s’est réfugiée la famille impériale, a eu entre les mains le texte d’une Lettre pastorale que l’archevêque de Vienne, le cardinal Piffl, compte publier au nom de l’épiscopat autrichien, incitant les catholiques à aller voter. Une reconnaissance implicite, par l’Église, du changement de régime.
« Le 15 janvier 1919, Charles écrit alors à Mgr Piffl, pour obtenir que les curés incitent leurs ouailles à élire des députés non seulement chrétiens, mais fidèles au trône. Dans cette lettre, le monarque insiste : l’enseignement de Léon XIII, appelant à agir dans le cadre des institutions établies, ne peut être invoqué dans le cas autrichien, où la République a été le fruit d’une révolution... Peine perdue : le 23 janvier, la Lettre de l’épiscopat est lue dans toutes les chaires. C’est un appel à œuvrer pour l’avenir de la société et de la patrie, et à reconnaître la forme de l’État selon l’esprit de l’Épître de saint Paul aux Romains, – “ Tout pouvoir vient de Dieu ” –, et de l’encyclique Immortale Dei de Léon XIII. » (p. 228) Écœurant, funeste ralliement !
Quant au pape Benoît XV, en réponse à la lettre magnifique que lui adressa Charles le 28 février 1919, à la veille de partir en exil, il incita l’empereur à trouver « dans la foi et l’abandon à Dieu la force de consentir au sacrifice (!) qui est exigé de lui ». Rome avait déjà tourné la page. Mais au même moment, le communiste Béla Kun mettait la Hongrie à feu et à sang...
LA MORT D’UN SAINT
L’Empereur, qui n’avait pas abdiqué, tenta par deux fois, en mars et en octobre 1921, de restaurer son trône en Hongrie, où il avait été oint et couronné “ Roi apostolique ”, et où le régent Horthy lui avait donné quelque assurance : deux tentatives malheureuses, qui rappellent trop Louis XVI à Varennes ou le comte de Chambord à Versailles, pour qu’à la lecture de ces pages lamentables, on ne déplore avec notre Père qu’en ces moments décisifs où il faut se montrer audacieux et forcer le destin, la légitimité ne soit pas armée de la vertu de force...
Relégué avec les siens dans l’île de Madère, abandonné et démuni de toute ressource, Charles d’Autriche, qui ne se plaignit jamais et pardonna à ses ennemis, marque du vrai chrétien ! mourut comme un saint, le Samedi saint 1er avril 1922, en offrant sa vie en sacrifice pour son peuple. Il avait trente-quatre ans. « Nous traversons maintenant la souffrance, mais après viendra la résurrection », murmurait à son chevet son héroïque épouse. L’aube de cette résurrection a commencé à poindre, le 3 octobre 2004, quand Charles d’Autriche a pris place parmi les bienheureux. Une « grande bénédiction » est alors tombée sur son pays.
frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours
Il est ressuscité ! tome 9, n° 88, décembre 2009, p. 29-32.