Il est ressuscité !
N° 236 – Septembre 2022
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2022
Oratorio de frère Henry de la Croix
Élie ou le zèle jaloux de la gloire de Dieu
Commentaire par frère Bruno de Jésus-Marie
C’EST le titre de l’oratorio qui chante l’histoire d’Élie, rapportée par la Sainte Écriture dans le Livre des Rois.
« Un homme libre ? Quand j’essaie de me le représenter, c’est Élie le Teshbite. On sait sur lui beaucoup de choses étonnantes, mystérieuses, et s’il est vrai qu’il doit revenir à la fin des temps, en personne ou en figure, en quelque autre envoyé de Dieu et précurseur de Jésus en son dernier Avènement, peut-être aurions-nous intérêt à nous remémorer ce qu’il fut, un “ homme libre parmi les gisants ”, un “ prophète de malheur ” donc, pour le salut des pauvres et des opprimés, pour l’ultime chance aussi des méchants, pour leur conversion... Alors, s’il survenait demain, ou s’il était déjà là parmi nous, inconnu, méconnu, peut-être le reconnaîtrions-nous et le suivrions-nous, comme saint Jean, l’apôtre vierge, suivit le Baptiste et par lui connut Jésus et s’attacha à Lui ? »
Ce qu’écrivait notre bienheureux Père, l’abbé de Nantes, dans le numéro 334 de la Contre-Réforme catholique de juin 1997, donc au siècle dernier ! correspond exactement au but de l’oratorio de cette année, Élie ou le zèle jaloux de la gloire de Dieu. Nous lirons dans la Bible ce que fut ce prophète, le premier et le plus grand, père des contemplatifs du Carmel tout autant que lutteur intrépide, héraut non seulement de l’existence mais du pouvoir souverain de Dieu, dressé contre toute impiété, et nous le reconnaîtrons en la personne de Georges de Nantes, en religion frère Georges de Jésus-Marie, fondateur des Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur, à l’école de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, religieuse du Carmel dont Élie est le Père.
Pour préparer le dernier Avènement de Jésus-Christ, à la fin des temps, selon la prophétie de Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahweh, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème. » (Ml 3, 23-24) Pourtant Élie fut enlevé de ce monde par un « char de feu », et du temps de Malachie, avant la venue de ce « Jour de Yahweh », nul ne savait d’où il reviendrait. Mais Élie, en tout cas, n’était pas mort puisque son disciple Élisée l’avait vu monter au Ciel de cette façon !
Il n’y a qu’à lire et raconter la vie d’Élie le Teshbite pour qu’aussitôt des parallèles étonnants se dessinent et s’imposent entre lui et Georges de Nantes, notre Père. L’oratorio raconte le grand combat, je voudrais dire « la grande affaire » de toute la vie du prophète ; en filigrane, nous apercevrons la vocation semblable du prophète de l’Ancien Testament et du “ docteur mystique de la foi catholique ”, vocation commune de leurs cœurs consumés d’un même zèle jaloux de la gloire de Dieu.
Nous sommes les disciples enthousiastes de l’un et de l’autre.
LE CONTEXTE BIBLIQUE, D’UNE HISTOIRE SAINTE,
CONDUITE PAR DIEU DEPUIS LES ORIGINES
L’AN 1000 avant Jésus-Christ, David est roi. La figure du saint roi nous est familière grâce à l’oratorio de frère Henry exécuté il y a juste dix ans cette année.
David fut l’instrument de la grâce de Dieu, donnant au régime politique de la monarchie, pour toujours, sa signification religieuse. Les siècles suivants garderont le souvenir de ce prince que Dieu aimait et aimé lui-même, compris de son peuple, ces deux amours n’en faisant qu’un. David se tient en présence de Yahweh sans orgueil, comme un serviteur, humble et reconnaissant des dons qu’Il lui fait, et c’est ce que Dieu aime.
Toute sa douceur, sa mansuétude, sa magnanimité le rendent, par la grâce de Dieu qui le protège, victorieux de ses ennemis. Il fait de Jérusalem sa capitale, et unifie son peuple, fait des douze tribus querelleuses, nées des douze fils de Jacob. David est le roi victorieux.
Un prophète du nom de Nathan annonça alors à David que sa dynastie demeurerait éternellement, et donnerait naissance au Messie. À l’avènement de Salomon, le fils de David et de Bethsabée, on pouvait croire que ces promesses s’accomplissaient.
L’empire de Salomon prend un développement extraordinaire. À sa demande, Dieu accorde à Salomon le don de Sagesse pour gouverner son peuple d’Israël et Salomon est resté dans l’histoire le “ symbole ” de la sagesse. De la justice aussi, qui découle de cette sagesse : l’histoire des deux femmes se disputant le même enfant est célèbre (cf. 1 R 3, 16-28).
Salomon créa une administration qui fit de ce peuple, qui n’était qu’un « ramassis de gens » comme dit le Livre des Nombres (Nb 11, 4), un État constitué, une civilisation florissante dont le Temple de Jérusalem que fait construire Salomon est la grande merveille. Lorsque Salomon fera transférer l’Arche d’Alliance dans le nouveau Temple solennellement dédicacé, Dieu y descendra de façon visible dans un poudroiement d’or et d’encens (1 R 8, 1-13).
Mais, il y a un mais...
« Quand Salomon fut vieux, ses femmes détournèrent son cœur vers d’autres dieux et son cœur ne fut plus tout entier à Yahweh son Dieu comme avait été celui de David son père. » (1 R 11, 4)
« Alors Yahweh dit à Salomon : “ Parce que tu t’es comporté ainsi et que tu n’as pas observé mon Alliance et les prescriptions que je t’avais faites, je vais sûrement t’arracher le royaume et le donner à l’un de tes serviteurs. Seulement, je ne ferai pas cela durant ta vie, en considération de ton père David, c’est de la main de ton fils que je l’arracherai. Encore, ne lui arracherai-je pas tout le royaume : je laisserai une tribu à ton fils, en considération de mon serviteur David et de Jérusalem que j’ai choisie. ” » (1 R 11, 11-13)
C’est ce qui arriva, en châtiment de l’idolâtrie de Salomon. Lorsque Salomon se coucha avec ses pères, son fils Roboam régna à sa place et se montra, tout descendant de David qu’il était, un véritable tyran, répondant exactement au portrait que le prophète Samuel avait brossé pour avertir le peuple qui lui réclamait un roi (cf. 1 S 8, 10-18). Cette tyrannie suscita une révolte des dix tribus du Nord contre Roboam qui ne trouva plus autour de lui que la seule tribu de Juda. Le chef de cette révolte était Jéroboam, homme de condition au service de Salomon qui n’était pas de la lignée de David. Il se dressa contre Roboam, fort d’une promesse que Yahweh lui avait faite par le ministère du prophète Ahiyya : « Si tu obéis à tout ce que je t’ordonnerai, si tu suis mes voies et fais ce qui est juste à mes yeux, en observant mes lois et mes commandements comme a fait mon serviteur David, alors je serai avec toi et je te construirai une maison stable comme j’ai construit pour David. Je te donnerai Israël et j’humilierai la descendance de David à cause de cela [son idolâtrie], cependant pas pour toujours. » (1 R 11, 37-38)
La décadence du royaume de Salomon commença donc par la sécession de dix tribus sur douze. Il ne restait à la maison de David que la tribu de Juda et celle de Lévi, consacrée au service du Temple de Jérusalem. Cette sécession va immédiatement se doubler d’un schisme religieux. En effet, Jéroboam se dit en lui-même : « Comme sont les choses, le royaume [du Nord] va retourner à la maison de David. Si ce peuple continue de monter au Temple de Yahweh à Jérusalem pour offrir des sacrifices, le cœur du peuple reviendra à son seigneur, Roboam, roi de Juda, et on me tuera. » (1 R 12, 26-27)
Ainsi, pour détourner de Jérusalem le cœur du peuple, il établit deux temples, l’un à Béthel, l’autre à Dan, et dressa dans chacun d’eux un veau en or. Jéroboam dit au peuple : « Assez longtemps vous êtes montés à Jérusalem ! Israël, voici ton dieu qui t’a fait monter du pays d’Égypte. » (1 R 12, 28) C’est exactement l’acclamation “ liturgique ” d’Aaron, lorsque les Hébreux commirent le même péché d’idolâtrie dans le désert (cf. Ex 32, 4). Décidément, ces Israélites ont ça dans le sang ! « Cette conduite fit tomber dans le péché la maison de Jéroboam et motiva sa ruine et son extermination de la face de la terre. » (1 R 13, 34)
Dieu va châtier cette dynastie infidèle. L’histoire du royaume “ d’Israël ” – le royaume schismatique du Nord – sera une succession de révolutions de palais...
Le parallèle entre les deux royaumes, celui du Sud, Juda, et celui du Nord, Israël, montre le miracle étonnant de la permanence de la dynastie de David, où c’est toujours l’héritier légitime qui succède et monte sur le trône de Jérusalem. À l’époque d’Élie, c’est le saint roi Josaphat qui règne en Juda... mais Yahweh permit qu’il fît une brèche dans ses œuvres, car Josaphat mélangea le sang de David à celui des rois impies d’Israël par le mariage de son fils Joram avec Athalie, fille d’Achab et de Jézabel.
Dans le royaume d’Israël, en effet, tout est différent.
À partir du schisme de Jéroboam, neuf dynasties vont se succéder jusqu’à l’extermination finale du royaume par la prise de Samarie et la déportation de la population en 721 avant Jésus-Christ, au siècle suivant.
La quatrième dynastie est celle d’Omri, qui prend le pouvoir en 885 avant Jésus-Christ. D’Omri, la Bible ne connaît qu’une seule de ses œuvres : la fondation de Samarie, qui devint alors capitale du royaume.
Mais « Omri fit ce qui déplaît à Yahweh et fut pire que tous ses devanciers » (1 R 16, 25).
Il régna pendant douze ans, puis son fils Achab monta sur le trône pour régner vingt-deux ans sur Israël, dans la nouvelle capitale, Samarie. Achab dépassa dans le mal tous ses devanciers en épousant Jézabel, la fille d’Ittobaal, le roi idolâtre de Tyr, prêtre de la déesse Astarté qui prit le pouvoir à Tyr en même temps qu’Omri à Samarie ; les deux usurpateurs se sont rapprochés « et ont cimenté leur union par une alliance de famille ». Une entente cordiale... Achab construisit un temple au dieu de sa femme Jézabel, instituant tout un “ clergé ” de “ prophètes ” de Baal. Pour la première fois, un roi introduisait de façon officielle dans le royaume d’Israël une religion idolâtrique étrangère et cette apostasie de fait, Yahweh, le seul vrai Dieu vivant, ne put la supporter.
« Tandis que les politiques pervertissent leurs voies, écrit notre Père dans sa Lettre à mes amis n° 230, des mystiques se lèvent en témoins de Yahweh, pour défendre sa gloire outragée, annoncer le châtiment des prévaricateurs et maintenir cependant la grande espérance d’Israël. Dieu n’est pas à la merci de son peuple infidèle, mais il saura encore le conduire, par des voies inattendues et douloureuses, vers l’accomplissement de ses destinées glorieuses [...]. Vers 850 avant Jésus-Christ, voici Élie qui, d’un coup, porte la mission prophétique à son plus haut degré. Il se dresse en face du roi d’Israël Achab, et de Jézabel, au nom du seul vrai Dieu, Yahweh, qu’ils outragent par leurs idolâtries. »
L’OUVERTURE DE L’ORATORIO
NOUS INTRODUIT DANS CETTE TRAGÉDIE.
Dès les premières notes de l’Ouverture, on entre dans le drame par un roulement puissant de timbale et des quintes à vide aux cordes. Toutes les entrées sont accentuées et conduisent à des trémolos violents, tandis que les cuivres font entendre un premier thème qui annonce le prophète par un intervalle ascendant de quinte qui reviendra à chaque intervention d’Élie. Après quelques entrées en imitation et une progression harmonique soulignée par un crescendo général, le décor “ grandiose ” est posé, à la mesure de l’événement.
Soudain, changement total de décor, sur fond doux et dans un ton éloigné, une mélodie plaintive et inquiétante annonce la prière idolâtrique de Jézabel à Baal, enchaînant sur un thème chromatique et torturé, le thème de Jézabel, qui vient prendre place en face d’Élie.
Ainsi se succèderont plusieurs des thèmes principaux de l’oratorio où l’on verra et entendra s’affronter les deux camps, celui de Yahweh et celui de Baal. Jusqu’à ce qu’un passage à caractère glorieux et modulant nous ramène au ton principal de mi mineur allant en diminuant pour laisser la place à « Élie le Teshbite de Tishbé en Galaad » (1 R 17, 1) qui entre seul sur scène et chante sans accompagnement la première phrase, pour bien montrer sa solitude en ces temps difficiles. Il lance à la face d’Achab :
Élie : Il est vivant, le Dieu d’Israël devant qui je me tiens. Il n’y aura, ces années-ci, ni rosée ni pluie, sauf à mon commandement.
On distingue, au début de la seconde phrase : « Il n’y aura, ces années-ci, ni rosée ni pluie, sauf à mon commandement », le thème de la vocation prophétique déjà sonné au début par les cuivres. Le chœur reprend ensuite le cri de guerre d’Élie. Que signifie-t-il ? Que Yahweh est vivant et que Baal n’existe pas ! La preuve ? Baal, l’idole phénicienne, était le dieu des cieux et de la pluie, son attribut était la foudre. Élie lance donc un interdit précisément contre son prétendu pouvoir afin de rendre patente l’impuissance de Baal.
Sa révélation faite, combien périlleuse ! Yahweh lui ordonne de fuir au désert, car sa tâche n’est pas terminée et Dieu le réserve pour de plus grands combats. « Tu boiras au torrent, lui dit Yahweh, et j’ordonne aux corbeaux de te donner à manger là-bas », repas « de pain le matin et de chair le soir » (cf. 1 R 17, 3-6).
« Mais il arriva au bout d’un certain temps que le torrent sécha, car il n’y avait pas eu de pluie dans le pays. Alors la parole de Yahweh lui fut adressée en ces termes : “ Lève-toi et va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et tu y demeureras. Voici que j’ordonne là-bas à une veuve de te donner à manger. ” Il se leva et alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, il y avait là une veuve qui ramassait du bois ; il l’interpella et lui dit : “ Apporte-moi donc un peu d’eau dans la cruche, que je boive ! ” Comme elle allait la chercher, il lui cria : “ Apporte-moi donc un morceau de pain dans ta main ! ” Elle répondit : “ Par Yahweh vivant, ton Dieu ! je n’ai pas de pain cuit ; je n’ai qu’une poignée de farine dans une jarre et un peu d’huile dans une cruche, je suis à ramasser deux bouts de bois, je vais préparer cela pour moi et mon fils, nous mangerons et nous mourrons. ” » (1 R 17, 7-12) Extraordinaire prophétie du salut apporté par la Croix : « deux bouts de bois » ! C’est l’annonce des temps messianiques à venir qui seront de mort et de résurrection.
Élie n’est pas mort, il a été enlevé au Ciel par un char de feu (Acte III, scène 1). Depuis, on attendait son retour comme précurseur du Messie. En descendant du mont Thabor où ils ont entendu la voix du Père leur dire que Jésus était son « Fils bien-aimé », donc le Messie attendu, les Apôtres demanderont à Jésus : « Que disent donc les scribes, qu’Élie doit venir d’abord ? » Jésus leur répond qu’il est déjà venu, et les disciples comprennent que c’était Jean-Baptiste.
L’ange Gabriel l’avait dit à Zacharie que son fils, Jean-Baptiste, « marcherait devant lui », devant le Fils de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Élie... pour préparer au Seigneur un peuple bien disposé (Lc 1, 17).
En un temps d’apostasie, tout semblable à celui que vécut Élie, Jean-Baptiste prêchera la conversion à son peuple infidèle à l’Alliance, en administrant un baptême d’eau dans le Jourdain pour préparer les esprits au baptême d’Esprit-Saint que Jean a vu descendre « tel une colombe » et demeurer sur Jésus lorsque Jean l’a baptisé dans le Jourdain.
Et plus tard, à ses disciples qui se plaignaient de la “ concurrence ” de Jésus qui baptisait lui aussi, et tout le monde allait à lui, Jean fait cette réponse qui transportait notre Père d’une allégresse débordante : « Celui qui a l’Épouse est l’Époux, mais l’ami de l’Époux qui se tient là et qui l’entend est ravi de joie à la voix de l’Époux. Telle est ma joie et elle est complète. » (Jn 3, 29)
L’Épouse, au temps de Jésus et de Jean-Baptiste, n’est pas la veuve de Sarepta, c’est l’Immaculée Conception, la Mère de Jésus, qui, avec les « deux bâtons » de la Croix, va nous donner à manger la “ galette ” de l’Eucharistie, le Corps de Jésus pétri par Elle dans ses entrailles, qui va nous donner son Sang à boire, Sang Précieux jailli de son Cœur Immaculé dans son sein virginal. Corps et Sang broyés et répandu sur les « deux bâtons » [le stipes et le patibulum] de la Croix, et ressuscité en accomplissement de la figure accomplie par Élie ressuscitant le fils de la veuve.
Et deux mille ans après, l’esprit d’Élie est de retour en la personne de notre Père qui nous prêche la conversion par la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, dévotion réparatrice de tous les crimes d’une humanité toujours aimée de Dieu, pour l’arracher au démon et à l’enfer.
ACTE I
LE CHOIX DE DIEU
Cet oratorio est divisé en trois actes où nous allons voir s’affronter en un duel prodigieux Élie et Jézabel, l’image éternelle de la femme perverse et séductrice. Elle est, avec sa fille Athalie, la plus méchante femme de l’Histoire sainte, la véritable incarnation du mal. Pendant trois ans, Élie se cacha au désert tandis que le royaume d’Israël, le royaume schismatique du Nord, souffrait de la famine sous l’effet de la sécheresse décrétée par le Prophète. La première scène se déroule au palais de Yizréel où demeurent la reine Jézabel et sa suite. Ses servantes entrent.
SCÈNE 1 : DANS LE PALAIS DE JÉZABEL.
Ses servantes entrent pour supplier leur idole de mettre fin à la sécheresse. Nous sommes dans un climat religieux, mais avec quelque chose de malsain ; des accords étranges laissent planer un climat inquiétant. Les servantes de Jézabel chantent pendant que la reine offre l’encens. Elles sont attachées à leur maîtresse avec une certaine candeur.
Les servantes :
Ô Baal, entends-tu les appels suppliants
Qui implorent de toi les secours bienfaisants ?
Demeureras-tu sourd aux cris de notre reine ?
Regarde Jézabel, vois son trouble et sa peine...
Jézabel prend alors la parole... c’est le diable qui chante, d’une voix grave, presque gutturale, tandis que la flûte exécute de petits motifs chromatiques qui préparent, annoncent le “ thème de Jézabel ”.
Jézabel :
Ô Baal, puissant dieu d’Ittobaal mon père,
Agrée mon sacrifice, écoute ma prière.
Que ta pluie désirée arrête le fléau
Qui châtie sans pitié mon royaume si beau.
Tandis que les servantes reprennent la prière avec le chœur, la musique nous fait sentir le trouble qui envahit l’esprit de Jézabel... sa confidente s’en aperçoit et l’interroge. Alors commence un motif en tierces aux violons, qui se déroule comme une banderole pendant que les servantes s’inquiètent et s’empressent autour de la reine. Ce motif de tierces passera d’un groupe d’instruments à l’autre, se taira un moment pour reprendre, créant ainsi une unité dramatique entre ces dialogues.
La confidente : Madame, pourquoi ce trouble sur votre visage ?
Les servantes : Vous, la Grande Dame d’Israël.
Les servantes chantent alors les louanges de leur maîtresse, dont la gloire éclatante ne justifie nullement pareil trouble !
La confidente : Samarie, la belle Samarie toute de rouge et de blanc avec son palais d’ivoire, ne vous doit-elle pas sa splendeur ?
Nous lisons dans le Premier Livre des Rois, en conclusion du règne d’Achab : « Le reste de l’histoire d’Achab, tout ce qu’il a fait, la maison d’ivoire qu’il construisit, toutes les villes qu’il bâtit, cela n’est-il pas écrit au livre des Annales des rois d’Israël ? » (1 R 22, 39) Mais aux yeux de Dieu, c’est du vent ! Et on voit déjà poindre le grand combat des suppôts de Satan contre les desseins de miséricorde de Yahweh dans la réflexion des servantes :
Les servantes : La Cité de David pâlit devant elle.
Toute cette splendeur du royaume de Samarie, et sa réussite politique tentent de supplanter la dynastie davidique qui, elle, a les promesses messianiques. Cette lutte est encore palpable mille ans plus tard lorsque Jésus explique à la Samaritaine, au puits de Jacob : « Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22), des membres de la tribu de Juda, restée fidèle à Jérusalem, où les lévites célèbrent la vraie liturgie, “ valide ”...
Le règne d’Achab représente en effet un développement extraordinaire pour le royaume. Son mariage avec Jézabel est au fond une alliance avec Tyr et Sidon qui étaient deux petits royaumes très puissants, vivant du commerce. Achab noua aussi une alliance avec le roi de Juda, dans le Sud, et sa fille Athalie épousa Joram, fils de Josaphat.
Période d’apogée donc, mais qui est aussi le comble de l’apostasie, manifeste dans les paroles par lesquelles les servantes tentent de réconforter la reine :
La confidente : En ce royaume autrefois si fanatique, vous avez établi la paix jusqu’en la demeure des dieux !
Les servantes : Tous vos sujets, hier ennemis, se sont réconciliés, lassés de toutes ces luttes inutiles.
Cette dernière phrase, chantée par les servantes, est extraite, non pas de la Sainte Écriture, mais d’une Lettre à mes amis de notre Père, de la série du Mystère de l’Église et l’Antichrist. C’est la Lettre numéro 136 de la Semaine sainte 1963, après la première session du Concile. Elle illustre l’éternel drame qui oppose les justes et les impies, l’Église et l’Anti-Christ, Dieu et Satan.
Quel fut le crime d’Achab ? « Achab, fils d’Omri, fit ce qui déplaît à Yahweh et fut pire que ses devanciers. La moindre chose fut qu’il imita les péchés de Jéroboam : il prit pour femme Jézabel, fille d’Ittobaal, roi des Sidoniens, et se mit à servir Baal et à se prosterner devant lui ; il lui dressa un autel dans le temple de Baal qu’il construisit à Samarie. » (1 R 16, 29-32)
Achab, par souci politique, ne renia pas Yahweh pour servir Baal, non, il adora les deux... ce syncrétisme est la grande nouveauté du règne d’Achab, il n’avait jamais été poussé jusqu’à construire un temple pour le faux dieu de la femme du roi. Du coup, si on accepte deux religions simultanément, pourquoi pas davantage ?
Les servantes : Là où ne régnait que le Dieu d’Israël... Baal possède maintenant son temple. Astarté est partout chantée. Kemosh et Milkom ont leurs autels. Et Zabul bénit celle dont le nom proclame l’existence !
Car le nom de “ Jézabel ” signifie : « le dieu Zabul existe ». Toutes ces idoles sont vénérées des peuples d’alentour, Sidoniens, Moabites, Ammonites, etc.
Les servantes : Chacun prie son dieu.
Les violons se sont tus tellement la chose est énorme. Cela ne vous dit rien ? Chacun sa religion et chacun son temple ! C’est la liberté religieuse et la confidente en proclame “ l’heureux ” résultat :
La confidente : Vous avez donné au royaume la prospérité, la paix et le bien-être.
Après ce concert de louanges, revenons à la Lettre à mes amis numéro 136. Nous n’aurons qu’à changer quelques mots pour l’appliquer à la situation du royaume d’Israël, car il n’y a rien de nouveau sous le soleil :
« Il me vient une pensée qui me glace, écrivait notre Père au lendemain de la première cession du Concile. On annonce des jours nouveaux, où les chrétiens [les Israélites] oseront oublier cette Croix [abandonner l’Alliance] qui les fait vivre, pour désarmer leurs ennemis ! L’amour de Jésus [le zèle jaloux pour Yahweh Sabaoth] se perdant, l’indifférence à la vérité et à la justice ont suivi, et maintenant le grand projet des derniers temps est annoncé : l’humanité tout entière, chrétiens et païens [serviteurs de Yahweh et idolâtres], hier ennemis, comme Hérode et Pilate, comme les Juifs et les Romains vont se réconcilier, lassés de tant de luttes inutiles, pour arracher de la terre cette Croix dressée [cet autel à Yahweh] et faire un silence définitif sur Jésus [le Dieu d’Israël]. Le drame ne peut être réparé, c’est trop difficile à obtenir des méchants, qu’il soit donc effacé ! L’avenir de l’humanité, la paix, le bien-être sont à ce prix, et il vaut mieux qu’un Homme disparaisse de l’histoire plutôt que souffre la multitude. Telle est la plus grande révolution de tous les temps, la seule vraiment radicale, qui ouvrirait à l’humanité une ère nouvelle où la science et la prospérité referaient le monde nouveau et les hommes vraiment unis !
« Tels sont les vains projets des hommes charnels qui crucifient une nouvelle fois le Sauveur, mais cela ne sera pas. En proposant au Pape d’oublier la Croix, aux évêques de rompre avec un passé de combat, les persécuteurs du Christ cherchent la mort de son Église et s’ils arrachent la pierre angulaire, c’est pour ruiner tout l’édifice. Quant à ceux des chrétiens qui acceptent le compromis, ils perdent aussitôt leur énergie vitale et leur influence dans l’Église. Plus de vocations, plus de conversions. Les âmes du troupeau restent trop invinciblement attachées à la Croix et celui qui renie Jésus-Christ perd le troupeau. Non, le drame n’est pas fini, il va seulement devenir plus atroce, plus sanglant du fait de la séduction exercée par l’Ennemi sur quelques pasteurs du troupeau. »
La musique s’est peu à peu estompée et Jézabel prend la parole. Changement total de caractère, accords dissonants, piano dans les graves, et surtout mélodie tourmentée et chromatique de Jézabel, qui chante enfin son thème, repris et imité par les instruments.
Jézabel : Depuis trois ans, une ombre me poursuit...
Les servantes : Une ombre ?
Jézabel : J’ai beau la chasser, elle revient. Implacable. Impitoyable.
Les servantes tentent à nouveau de l’apaiser, mais rien n’y fait.
Les servantes : Ô reine ! Qu’est-ce qu’une ombre devant votre gloire ?
Jézabel : Le monde entier pourrait être à mes pieds, tant que celui-là demeurera, son souvenir me hantera.
La confidente : Vous parlez... d’Élie ?
Jézabel : Ah !... le Teshbite !
Elle jette cette dernière exclamation, violemment en rupture, comme un cri de haine étouffé.
Dans l’article intitulé “ La Religion de la Bible : odieuse, justifiée, révolue ”, notre Père expliquait l’intervention d’Élie ainsi :
« Dieu avait gouverné son peuple par des chefs de son choix, Moïse, Josué, les Juges, qui étaient tout entiers ses créatures, ses instruments pour de grandes œuvres de puissance accompagnées de miracles. Puis il avait toléré, ou peut-être choisi, de voir son peuple conduit par des rois, usurpant ou partageant sa puissance, qui devaient lui être moralement, religieusement fidèles dans cette très nouvelle et très périlleuse autonomie politique.
« Ce ne fut pas une réussite. Alors, pour sauver son œuvre et poursuivre son dessein, Yahweh se suscita des prophètes, porte-parole dont la mission serait de rappeler constamment sa souveraineté, sa loi, son culte, contre les rébellions des rois, leurs usurpations de son autorité, leurs crimes, ceux des grands, ceux du peuple, leur politique tout humaine, leur diplomatie pactisant avec l’idolâtrie des païens. Et de leur prédire alors impuissance, déceptions, défaite et ruine.
« Ainsi parut Élie, le premier, le plus grand, seul contre tous. » (CRC n° 153)
La confidente : Que peut contre vous un homme seul ?
Jézabel : Il en suffit d’un pour ruiner mes efforts.
Comme Mardochée dressé devant Aman dans le drame d’Esther : un seul suffit... Et à cette Jézabel impie, Élie seul tint tête, irréductible. C’est la gloire de Yahweh qui est en cause, ce n’est pas rien ! Et cette opposition contrarie puissamment Jézabel qui lance son reproche à la face du Dieu d’Élie sur un Air accompagné par l’orchestre, enchaînant sur un Récitatif haletant avant de le reprendre :
Jézabel : Le Dieu d’Israël est trop jaloux de sa gloire et les oracles d’Élie offensent mes oreilles. Élie entrave tous mes projets. Il condamne tous mes gestes. Il ne me laisse ni calme ni repos.
Élie est animé de l’Esprit même de Yahweh et il est consumé de la jalousie même de Dieu... Dieu, jaloux ? « On trouve ce mot mille fois dans l’Ancien Testament. Dieu ne supporte pas sans colère tout culte rendu à un autre que lui. Ça va de soi ! » expliquait notre Père à la Mutualité, en 1987, dans ses cours de Théologie totale. Dieu est jaloux, comme l’époux est jaloux de l’amour de son épouse, il ne tolère pas l’adultère, l’infidélité, la prostitution. « La colère de Dieu tombe sur toute infidélité, quelque idole que ce soit : astres célestes, pierres, plantes, bêtes, hommes, femmes ou anges, tout cela, Dieu ne les supporte pas. Il ne supporte pas l’idolâtrie, elle lui est en horreur [...]. C’est ainsi ! Ce sont les fondements mêmes de la foi : Dieu est jaloux ! »
Saint Paul a lui-même éprouvé cette « jalousie divine » et il l’écrivait à ses débardeurs de Corinthe (cf. 2 Co 11, 2). « Les Apôtres, continuait notre Père, en face de tout schisme, de toute hérésie, de toute infidélité, de toute indocilité même légère à leurs discours, entraient en hystérie. C’est une espèce de frénésie, de folie, “ cela ne peut pas être ! ” on casserait tout, on briserait tout, on tuerait des gens ! Les Apôtres voyaient bien que c’était par là, par ce détour de l’infidélité, que les hommes allaient quitter Dieu pour se livrer de nouveau au culte du taureau, de la truie, des serpents, des rats... ou au culte de l’homme ravalé au niveau de tous ces animaux. »
Mais cette divine jalousie est beaucoup trop intransigeante, intolérante pour l’homme moderne qui croit avoir un cœur plus grand que Dieu. C’est pourquoi certaines expressions employées par Jézabel et sa confidente sont empruntées au discours d’ouverture du Concile, prononcé par le “ bon ” pape Jean XXIII...
« Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de notre ministère apostolique, nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux [comme Élie], manquent de justesse, de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés [...]. Il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes comme si le monde était près de sa fin. »
Les « prophètes de malheur » ? Mais c’est Notre-Dame de Fatima et ses petits messagers !
Ces paroles visaient la troisième partie du Secret de Fatima que Jean XXIII avait lu. Elles étaient donc, tout simplement... blasphématoires !
Revenons à Jézabel.
La confidente : Il faut faire exécuter ce prophète de malheur.
Comme la chose la plus simple du monde ! Quand on proclame partout la liberté, l’anarchie vient et l’intolérance l’accompagne.
Notre Père écrit dans l’Autodafé : « Le Pape et les évêques devenus de simples “ gardiens de l’ordre public ”, ne toléreront plus ceux qui “ créent la division ” en s’insurgeant contre la liberté, contre leur démission, contre leur Concile et toute sa ruine. Aujourd’hui, dans l’Église, c’est la liberté... ou l’anathème ! » Comme jadis au royaume d’Achab et Jézabel !
Dieu cependant ne se laisse pas vaincre par la malice de ses créatures révoltées contre lui et il soutient ses serviteurs.
Jézabel : Je ne peux pas ! Partout, il m’échappe. Je n’ai aucune prise sur lui.
Un soldat paraît sur scène, au son de la trompette et du tambour, pour annoncer l’arrivée du roi d’Israël, le mari de Jézabel, Achab.
SCÈNE 2.
Sans préambule, Achab déclare :
Achab : J’ai vu Élie !
Son chant commence par un intervalle de quinte, mais descendant, à l’inverse du thème d’Élie. Stupéfaction de tous, car depuis trois ans et demi Élie avait disparu, caché d’abord au torrent de Kerith puis chez la veuve de Sarepta.
« Il se passa longtemps et la parole de Yahweh fut adressée à Élie, la troisième année, en ces termes : “ Va te montrer à Achab, je vais envoyer la pluie sur la face de la terre. ” Et Élie partit pour se montrer à Achab. » (1 R 18, 1-2)
Au même moment, Achab et les siens, dont Obadyahu le maître du palais, battaient l’estrade à la recherche de source d’eau stagnante, de fourrage et de nourriture pour les bêtes et les gens mourant de faim, sous l’effet de la malédiction du prophète. Élie rencontra d’abord Obadyahu, qui « craignait beaucoup Yahweh » (1 R 18, 3), et lui dit :
« Me voilà ! Va dire à ton maître : voici Élie. » Mais Obadyahu répondit : « Quel péché ai-je commis, que tu livres ton serviteur aux mains d’Achab, pour me faire mourir ? Par Yahweh vivant, ton Dieu ! il n’y a pas de nation ni de royaume où mon maître n’ait envoyé te chercher, et quand on eut répondu : “ Il n’est pas là ”, il a fait jurer le royaume et la nation qu’on ne t’avait pas trouvé. Et maintenant, tu ordonnes : “ Va dire à ton maître : voici Élie ”, mais quand je t’aurai quitté, l’Esprit de Yahweh t’emportera je ne sais où, je viendrai informer Achab, il ne te trouvera pas et il me tuera ! » (1 R 18, 7-12)
Voilà qui est pris sur le vif et dévoile le régime de terreur que faisait régner le roi Achab. Mais Élie rétorqua, sans trembler : « Aussi vrai que vit Yahweh Sabaoth que je sers, aujourd’hui même je me montrerai à lui. »
Achab poursuit son récit :
Achab : Dès que je l’ai vu, j’ai crié : Te voilà, toi, le fléau d’Israël !
Le chœur rapporte la réponse d’Élie sur des batteries tranquilles aux cordes, de plus en plus dramatiques :
Le chœur : Ce n’est pas moi qui suis le fléau d’Israël, mais toi et ta famille, parce que vous avez abandonné Yahweh et que tu as suivi les Baals.
Il aggrave son cas, le prophète de malheur ! Notre Père écrit : « A-t-on vu dans nos temps modernes pareille audace du prophète du vrai Dieu, Jésus-Christ, se dressant en face de la première ou de la seconde Bête de l’Apocalypse, pour les défier toutes deux et maudire le Satan qui les inspire ? » (CRC n° 334, juin 1997)
Mais oui, mon Père ! Vous-même ! Et d’ailleurs, la « Bête » va se dévoiler...
Jézabel : Alors, qu’as-tu fait ? N’as-tu pas vengé l’honneur du sang royal ? N’as-tu point sorti ton glaive ?
Achab : Pouvais-je porter la main sur le prophète de Yahweh ?
Le roi est soutenu par un choral majestueux aux cuivres à trois temps avec imitations. Il est remarquable qu’Achab, malgré les menaces de mort qu’il faisait peser sur Élie, ne l’ait pas tué, comme contraint par Dieu de respecter le prophète. En revanche, Jézabel l’étrangère, l’idolâtre, n’éprouve aucune crainte vis-à-vis d’Élie et de Yahweh.
Sa réponse nous découvre le véritable caractère de ce couple royal. Nous en trouvons même un écho dans les Livres sapientiaux. Le scribe semble viser Jézabel lorsqu’il écrit, par exemple : « Ne te livre pas entre les mains d’une femme, de peur qu’elle ne prenne l’ascendant sur toi » (Si 9, 2).
Surtout il fustige la perversité de la femme étrangère : « Les lèvres de l’étrangère distillent le miel et plus onctueux que l’huile son palais, mais à la fin, elle est amère comme l’absinthe, aiguisée comme une épée à deux tranchants. » (Pr 5, 3-4)
Ainsi, apprenant qu’Achab n’avait pas touché à Élie, Jézabel pousse les hauts cris, tour à tour ironique, méprisante et animée, les cordes en batteries et en trémolos ajoutent à son indignation. La tension monte, les cuivres entrent...
Jézabel : Vraiment ! Quel piètre roi fais-tu sur Israël ! Élie appelle le malheur sur nos têtes et toi, tu le laisses dire ! Lorsqu’il ferma le ciel et fit venir la famine, l’ai-je laissé faire ? Je l’ai poursuivi et puisqu’il se cachait, j’ai massacré tous les prophètes du Dieu de ton peuple que j’ai pu trouver.
Nous connaissons ce détail de la cruauté de Jézabel au récit qu’en fait Obadyahu, pour se disculper aux yeux du prophète : « N’a-t-on pas appris à Monseigneur, dit-il à Élie, ce que j’ai fait quand Jézabel a massacré les prophètes de Yahweh ? J’ai caché cent des prophètes de Yahweh, cinquante à la fois, dans une grotte, et je les ai ravitaillés de pain et d’eau. » (1 R 18, 12-13)
Mais Jézabel ne se contrôle plus et laisse aller sa haine :
Jézabel : Et toi, tu trouves Élie, l’unique objet de ma haine...
Achab se ressaisit et, reprenant son autorité, coupe la parole à sa femme pour lui rapporter le défi que le prophète lui a lancé, défi que le chœur chante à l’unisson afin qu’on en saisisse bien toutes les paroles, soutenu par les cuivres pour donner de la solennité à la voix du prophète :
Le chœur : Maintenant, envoie rassembler tout Israël près de moi sur le mont Carmel, avec les quatre cent cinquante prophètes de Baal qui mangent à la table de Jézabel.
C’est l’appel au jugement de Dieu, ordalie du mont Carmel qu’Élie ordonne au tyran d’organiser avec les prophètes de Baal. Nul doute qu’en l’apprenant, Jézabel s’insurgea : « Folie ! C’est un piège ! » Pourtant, Achab resta inflexible puisqu’il répondit positivement à la demande d’Élie.
Les récitantes nous font alors passer du palais de Jézabel au mont Carmel :
Récit : Achab convoqua tout Israël et rassembla les prophètes de Baal sur le mont Carmel.
SCÈNE 3 : SUR LE MONT CARMEL.
Une musique fébrile indique que tout le monde est au rendez-vous, il ne manque plus qu’Élie, et le peuple, représenté par le chœur, s’impatiente... mais le voilà qui entre, enfin ! Sans préambule ni introduction, le prophète, seul sur scène, apostrophe le peuple en reprenant l’air en triolets des instruments, musique qui va nous poursuivre pendant une grande partie de la scène et en assurer l’unité :
Élie : Jusques à quand clocherez-vous des deux jarrets ? Si Yahweh est Dieu, suivez-le. Si c’est Baal, suivez-le.
« Clocher des deux jarrets », l’image exprime bien l’hypocrisie d’Achab, imitée par tout son peuple : il pliait un genou devant Baal, et l’autre devant Yahweh. Pratiquant l’interreligion, quoi ! Au verset 113 du Psaume 118, que nous récitons tous les dimanches et jours de fête, le psalmiste fait allusion à cette expression d’Élie pour réprouver, des siècles plus tard, le même double jeu en Israël.
C’est la première fois dans la Bible que l’intransigeance et l’intolérance font leur entrée dans la religion. Jusque-là, les Hébreux considéraient que Yahweh s’était fait connaître dans le désert pour être leur Dieu à eux, comme Baal était celui des Sidoniens, chaque peuple ayant le sien. Mais Élie rappelle à tous ces Israélites redevenus païens que leur Dieu est l’unique, le vrai, Dieu vivant seul capable de faire des miracles. Le peuple en demeure interdit et le prophète poursuit :
Élie : Vous ne répondez rien ? [petite note aiguë au violon, pour faire ressentir l’hésitation et la mauvaise conscience du peuple] Moi, je reste seul comme prophète de Yahweh et les prophètes de Baal sont quatre cent cinquante.
Seul contre quatre cent cinquante... ou deux mille cinq cents réunis en Concile, trois mille ans plus tard, c’est tout comme ! Quel courage ! Notre Père commentait ainsi :
« Le ressort du zèle du prophète Élie est puisé dans cette jalousie qu’il éprouve pour Dieu, c’est-à-dire le dévouement entier de la créature pour Dieu, pour le service de la gloire de son Créateur qui ne peut pas supporter l’idolâtrie, le désordre, la rébellion de l’homme contre son Dieu. Ici, c’est le roi d’Israël, ce sont les faux prêtres de Baal ; en face se dresse un homme, un homme seul. Mais vous allez voir comment Dieu prend parti pour lui au jour voulu, au moment voulu, et comment ainsi la prospérité et la paix sont rendues à la terre, miraculeusement. Tout nous parle dans ce texte. » (Oraison du 3 octobre 1993)
Élie : Donnez-nous deux jeunes taureaux. Nous les préparerons sans y mettre le feu. Vous invoquerez le nom de votre dieu et moi, j’invoquerai le nom de Yahweh : le dieu qui répondra par le feu, c’est lui qui est Dieu.
La musique s’anime, les cuivres entrent peu à peu donnant de l’ampleur jusqu’à « c’est lui qui est Dieu ».
Le peuple : Entendu ! Faisons ainsi.
Élie fait là une chose sans précédent qui en a fait le plus grand des prophètes. Que chacun prie son dieu, à tour de rôle, et le vrai Dieu répondra à la seule prière qui lui plaise pour confondre les autres. C’est la condamnation de la liberté religieuse ! Élie les laisse donc commencer. Le chœur des hommes entonne alors l’incantation des prophètes de Baal faisant écho à la prière des servantes de Jézabel, puis en s’animant dans un mouvement de danse effréné...
Les prophètes de Baal :
Ô Baal, écoute-nous !
Chantons, plions le genou.
Dansons, toujours et partout.
Ô Baal, réponds-nous !
À la fin la musique montre des signes de lassitude. Le prophète de Yahweh les laissa crier « depuis le matin jusqu’à midi », nous dit la sainte Écriture... pour les besoins du théâtre, nous abrégeons la durée. « Mais il n’y eut ni voix ni réponse, et ils dansaient en pliant le genou devant l’autel qu’ils avaient fait. À midi, Élie se moqua d’eux en disant : » (1 R 18, 26-27)
Élie : Criez plus fort, car c’est un dieu : il a des soucis ou des affaires, ou bien il est en voyage. Peut-être il dort et il se réveillera !
Les instruments participent à ces moqueries par des motifs dissonants et joyeux. « Je trouve cette polémique assez insultante ! commentait ironiquement notre Père. Élie aurait dû garder un langage modéré, convenable, cool ! »
Les Phéniciens étaient de grands commerçants, toujours à courir les mers. Élie s’en moque : Votre dieu a dû aller remplir ses navires d’or chez la reine de Saba !
Il les laissa invoquer leur dieu muet tout le jour, hurler et se taillader la peau « selon leur coutume, avec des épées et des lances, jusqu’à l’effusion du sang » (1 R 18, 28). Ils reprennent donc leurs incantations avec frénésie, allant jusqu’à scander de plus en plus bruyamment « Réponds-nous ! » sur un étagement de quintes qui n’a rien d’harmonieux !
Les prophètes de Baal :
Ô Baal, écoute-nous !
De nos anciens usages
Respectons l’âpreté :
Baal attend, – Des cris, du sang.
Par tous ces durs hommages
Il sera contenté.
Ô Baal, réponds-nous !
Et qu’est-ce qui sort de tout cela ? Rien, pas un signe de vie !
Élie : Écoutez ! Ni voix, ni réponse, ni signe d’attention... Maintenant, approchez-vous de moi.
Silence expressif de la musique. « Alors eut lieu la sobre et noble liturgie d’Israël, accomplie par Élie, seul sacrificateur, qui y risquait sa vie sans crainte, dernier fidèle en Israël de Je suis le Vivant, Dieu des Armées célestes. » (CRC n° 334, juin 1997)
Le chœur, prêtant sa voix au peuple qui s’approche d’Élie, remarque que le prophète a restauré l’autel de Yahweh et préparé l’holocauste. Il y avait sur le mont Carmel un autel consacré à Yahweh, traditionnel, qui avait été démoli. C’est vous dire jusqu’à quel point en était arrivée l’apostasie ! Cela nous parle extraordinairement...
Élie se présente ici comme un nouveau Moïse afin de renouer l’Alliance de Yahweh avec son peuple, rompue par l’impiété des rois et de leurs sujets. Il restaure l’autel selon le modèle de celui de Moïse au pied de l’Horeb (cf. Ex 24, 4-5). En outre, « il fit un canal d’une contenance de deux boisseaux de semence autour de l’autel. Il disposa le bois, dépeça le taureau et le plaça sur le bois » (1 R 18, 32-33). Évidemment, “ dame Convention ” nous permet de supposer que tout est déjà prêt.
Puis, Élie dit, sur fond mouvant de violons en contrepoint :
Élie : Emplissez quatre jarres d’eau et versez-les sur l’holocauste et sur le bois.
Le peuple s’exécute avec animation et dialogues musicaux entre Élie et le peuple, et recommence, sur l’ordre d’Élie, ce curieux manège deux autres fois... intrigué, le peuple s’interroge :
Le peuple : Tout est trempé et le canal est rempli d’eau. Que va faire Élie ?
Il y a de quoi se poser des questions ! Quand on veut mettre le feu à quelque chose, on ne commence pas par l’arroser trois fois ! Mais la foi d’Élie est immense. « À l’heure où l’on présente l’offrande, raconte le texte sacré, prenant un ton solennel, Élie s’approcha et dit... » (1 R 18, 36)
Sa prière contraste avec la frénésie et les contorsions des faux prophètes. Elle est sobre et majestueuse.
Élie : Yahweh, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël...
C’est le rappel de son Nom divin, révélé à Moïse dans le buisson ardent, et des alliances saintes qu’il n’a cessé, dans sa miséricorde, de contracter avec son peuple par des hommes élus... cette invocation est tellement grandiose !
Élie : Qu’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur...
Il ne faut pas oublier qu’il était resté le seul fidèle, le dernier prophète de Yahweh et là, à ce peuple du royaume d’Israël qui se prostitue à toutes les idoles, Élie rappelle avec courage la tradition des Pères qu’Achab renie.
Élie : Et que c’est par ton ordre que j’ai accompli toutes ces choses.
Comme Jésus qui ne faisait rien sans l’ordre de Dieu son Père. On voit ici qu’Élie est une figure du Messie, souverain prêtre, médiateur entre Dieu et l’humanité pécheresse. Voilà pourquoi il est apparu sur le mont Thabor avec Moïse pour parler de la mort rédemptrice du Christ transfiguré.
Avec foi, Élie poursuit :
Élie : Réponds-moi, Yahweh, réponds-moi ! Pour que ce peuple sache que c’est Toi, Yahweh, qui es Dieu et qui convertis leur cœur !
Cette parole a de nombreux répondants, en particulier dans l’Évangile, à la résurrection de Lazare. Devant la foule venant de Jérusalem, Jésus s’adresse à son Père en disant : « Père, je te rends grâces de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours, mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » (Jn 11, 41-42)
On pense aussi à la parole de Lucie, le 13 juillet 1917, demandant à la Sainte Vierge de faire un miracle pour que tous croient qu’elle vient en personne sur le petit chêne-vert de la Cova da Iria. Comme Élie, elle eut son signe...
Tandis qu’Élie lève les bras vers le ciel comme le prêtre offrant la victime, la musique s’embrase, figurant le feu de Yahweh dévorant l’holocauste. C’est un déluge de notes qui part d’en haut à la flûte puis au piano, et qui déferle en cascades pour s’abattre sur la victime. Tout le peuple assiste au prodige et s’écrie :
Le peuple : Le feu de Yahweh a tout dévoré. Et l’holocauste, et le bois, et l’eau !
Le texte hébreu ajoute « et les pierres et la terre ! » Tout a été calciné, d’un seul coup ! À cette vue, les gens tombent la face contre terre et s’exclament :
Le peuple : C’est Yahweh qui est Dieu !
« Je me demande, disait notre Père, si on ne pourrait pas faire une comparaison entre ce feu du ciel qui tombe, qui dévore tout et qui dessèche le canal et ce soleil de Fatima que l’on a vu se décrocher du ciel et tomber sur la terre un instant, juste assez pour sécher les vêtements des braves gens qui étaient là. Si cela avait duré quelques secondes de plus, les gens étaient rôtis sur place. Les gens, à Fatima, tombaient la face contre terre, faisaient leur confession publique, suppliaient Dieu d’avoir pitié. » (Oraison du 3 octobre 1993)
Le vrai Dieu s’est manifesté et il a montré, on ne peut plus clairement, son choix, d’où le titre de ce premier acte. Entre Jézabel et Élie, Yahweh a choisi. Élie est consacré par ce miracle grandiose et dans l’ardeur de son zèle, il commande :
Élie : Saisissez les prophètes de Baal, que pas un d’eux n’échappe !
Aussitôt, le peuple s’empare des prophètes de Baal, figuré par le chœur qui chante un « Saisissons- les ! » empressé et puissant. Élie leur ordonne alors, sur le ton d’une condamnation à mort :
Élie : Faites-les descendre près du torrent du Qishôn, afin que soit accomplie toute justice.
Accompagnées par le pupitre des cuivres aux harmonies rocailleuses manifestant la grandeur et la terreur de la justice divine, les récitantes poursuivent :
Récit : Et là, Élie les égorgea.
Ainsi, le Teshbite vengea l’honneur de Yahweh Sabaoth, le Dieu d’Israël, le Dieu unique, tout-puissant et miséricordieux.
Voilà le grand duel dont Élie sort vainqueur. Nous sommes dans l’Ancien Testament, il fallait que la vérité du vrai Dieu et de l’Alliance qu’il avait conclue avec Israël s’imprime dans les consciences, les imaginations, par ce spectacle formidable. Il fallait que cela se termine par ce bain de sang afin que toute justice soit accomplie et réparée l’impiété de tout un peuple. La purification de la Terre sainte était faite, et tandis qu’Achab, qui avait assisté à la scène, descendait à Samarie, le prophète monta au sommet du Carmel avec son serviteur.
SCÈNE 4.
Élie et son serviteur, arrivés au sommet du mont Carmel, entrent tous deux sur scène. Une mesure d’introduction nous fait entendre simplement les premières notes de l’Ave Maria grégorien. Le serviteur dit à Élie :
Le serviteur : Élie, mon maître, j’ai fait ce que tu m’as demandé. J’ai regardé du côté de la mer, mais il n’y a rien du tout.
Élie : Retourne sept fois, tandis que moi, je prierai Yahweh de faire miséricorde.
« Là, il se courba jusqu’à terre, son visage entre les genoux, lui-même, l’homme libre, l’homme fort de sa foi parmi les impies, ne cessant d’intercéder en suppliant pour son peuple. » (CRC n° 334)
Pendant ces sept fois, Élie implorait Dieu de faire grâce à ce peuple. Une petite mélodie, douce et délicate, se laisse entendre. C’est à nouveau l’antienne liturgique de l’Ave Maria...
Soudain, le serviteur revient en toute hâte, tandis que les cordes exécutent des motifs ondulants, animés mais discrets, aboutissant à une grande montée toute en douceur.
Le serviteur : Élie ! Voici un petit nuage, petit comme une main d’homme, qui monte de la mer.
Le ciel fermé depuis trois ans par l’ordre du prophète laisse tout à coup monter de la mer, à l’horizon, un petit nuage, minuscule comme une main d’homme. C’est le signe qu’Élie attendait... signe du retour en grâce, signe de la faveur de Dieu, aussi pur que la colombe de Noé rapportant son rameau d’olivier. Élie ordonne alors à son serviteur :
Élie : Va dire à Achab : attelle et descends pour que la pluie ne t’arrête pas.
Le serviteur sort en courant annoncer cette bonne nouvelle, tandis qu’Élie scrute un instant le ciel. « Sur le coup, le ciel s’obscurcit de nuages et de tempête et il y eut une grosse pluie. » (1 R 18, 45) Après un moment de silence, on entend les premières gouttes de pluie par les pizzicatos isolés, aux violons, de plus en plus rapprochés jusqu’à la « grosse pluie ». Élie sort à son tour...
Récit : La main de Yahweh fut sur Élie, il ceignit ses reins et courut devant Achab, jusqu’à l’arrivée à Yizréel.
Dans cette ravissante figure du petit nuage annonciateur de la bienfaisante pluie qui mit fin à la sécheresse par laquelle Yahweh avait puni l’infidélité d’Israël, l’Église s’est plu à voir la figure de la Vierge Immaculée, Reine des Cieux, Médiatrice du pardon, de la clémence et de la réconciliation des hommes avec leur Dieu, comme on le voit dans le vitrail de l’église paroissiale de Lourdes reproduit sur la couverture des livrets d’oratorio.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous attendons ce signe, nous le guettons, comme « les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse » (Ps 122, 2), sûrs qu’Elle viendra vers nous du haut du Ciel sur son léger nuage, déjà contemplé par les pèlerins de la Cova da Iria comme autant de serviteurs d’Élie ! Elle montera encore une fois sur son petit véhicule céleste, à l’horizon de Fatima, dans un ciel rasséréné, sur un peuple repentant et elle donnera au monde un certain temps de paix. Les yeux levés vers le Ciel, nous attendons avec une inconfusible espérance d’y voir paraître la petite « main » de miséricorde, au sein même des tribulations endurées à la ressemblance d’Élie, “ prophète de malheur ”.
Car la mission d’Élie, n’est pas terminée...
Pour conclure ce premier acte, le chœur entonne une hymne afin d’expliciter la figure du petit nuage chargé de pluie qui monte de la mer. Il chante le plus simplement possible deux strophes de l’hymne des matines de Marie-Médiatrice, à l’unisson, en latin, dont voici la traduction :
Christ Rédempteur, purifiant de toute faute !
Ô inépuisable océan de biens, d’où s’épanchent sans cesse par sept fontaines la vie et le salut !
Qui aura la charge de distribuer aux rachetés ces eaux vives et sacrées ?
Ce soin est confié à Marie pour que, en souveraine, elle dirige le cours de ces flots salutaires.
APPLICATION DE L’ORDALIE D’ÉLIE À NOS TEMPS D’APOSTASIE
SERMON DE NOTRE PÈRE, AUX VÊPRES DU 24 JUILLET 1994.
NOUS avons lu le récit du sacrifice du Carmel et je voudrais simplement faire quelques réflexions un peu spontanées, telles qu’elles peuvent m’arriver à la pensée, sans grand ordre, sur la portée de cette extraordinaire confrontation.
Une réflexion qui m’est arrivée pour la première fois tout à l’heure, et probablement y avez-vous pensé souvent, c’est que notre prophète Élie n’a pas du tout agi comme notre pape Jean-Paul II. Notre pape Jean-Paul II, lui, a dit aux 450 prophètes : “ Venez, nous allons faire ensemble à Assise des supplications, chacun à notre Dieu, de sorte que, au total, certainement, le vrai Dieu sera très touché de tout cela. Et donc, on va s’y mettre tous ensemble. ” C’est assez curieux ! Il trouvait probablement que lui tout seul, ça faisait peu de chose, sans se rendre compte que lui tout seul, et puis 900 millions de catholiques unis dans une même communion hiérarchique, une communion de foi, une communion de sacrement, de discipline, une communion morale, cela faisait une Église si belle et si sainte qu’elle est l’épouse du Christ, puis que le Pape avec 900 millions de personnes, ce n’est rien. Comme sainte Thérèse d’Avila pour fonder ses petits couvents, ses petits carmels : “ Thérèse et trois ducats, ce n’est rien, mais Thérèse, Jésus et trois ducats, c’est tout. ” Avec cela, elle marchait avec ces trois ducats, en compagnie de Jésus, son Époux, et elle fondait des dizaines et des dizaines de carmels. Alors, je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin du calumet de la paix des Indiens et du Bouddha trônant dans une église Saint-François à Assise pour aider notre prière à atteindre son but et procurer le salut à l’humanité. C’est impensable.
Ce qui est pensable, c’est qu’Élie nous donne l’exemple de la prophétie, et cela devra durer jusqu’à la fin du monde, et cela coûtera beaucoup de sang aux martyrs à savoir de défier les faux dieux, afin que les peuples soient arrachés à la domination injuste et impie des faux prêtres, des faux prophètes, de tous les fondateurs de fausses religions ou de sectes, pour ne s’en remettre qu’au véritable Dieu, dont Jésus-Christ est le Fils et le Révélateur. Pris comme cela, nous avons là l’exemple de ce qu’il faut faire.
Cette première réflexion me semble très importante. C’est une des lumières de notre vie, un des principes de notre vie. Quand on voit tous les libéraux trouver très bien que le Pape ait convoqué tous ces gens-là de toutes les robes, de toutes les couleurs, de toutes les religions, de toutes les appartenances, soit à l’aise avec tous ces gens-là, chacun pour prier son dieu, en précisant bien pour échapper à la critique des intégristes qu’il n’était pas question d’une prière commune, mais que c’était, chacun dans son coin quoique réunis, à prier selon son rite propre son dieu, comme si cela changeait quelque chose à quelque chose ! Il y a Dieu, le Dieu de Jésus-Christ, et puis il y a les prophètes de Satan. On n’est pas fait pour vivre ensemble. On est fait pour les défier, se moquer d’eux : “ Allez, faites vos embarras et montrez-nous votre Dieu agir, après quoi, nous, avec la même foi, nous devons dire : eh bien ! maintenant, notre Dieu va agir. ”
Deuxième partie : Qu’est-ce qui est équivalent à cette ordalie dans notre vingtième siècle ? Puisque nous sommes dans un moment tout à fait terrible de l’histoire, comment pouvons-nous garder foi en notre Dieu, et où trouver des preuves, des assurances que Dieu ne nous a pas abandonnés ? La réponse évidemment est graduée.
La première réponse, pour les gens qui ont approfondi leur foi, qui vivent leur foi avec beaucoup d’espérance et de charité, c’est de dire que nous avons tout en Jésus-Christ et que la vie de Notre-Seigneur ressuscité, sa vie dans son Église, dans les tabernacles, tout cela constitue des preuves absolument suffisantes, que Jésus est toujours au milieu de son Église, que nous n’avons rien à craindre, pas plus que les Apôtres ayant Jésus qui dormait dans la barque.
Mais pour beaucoup d’âmes faibles, impressionnées par toutes les propagandes de l’Église conciliaire et très scandalisées de voir, même au plus haut degré de la hiérarchie, les hérésies se multiplier, le lâchage de la morale, l’abandon des sacrements, la réforme de la messe. Tout cela est tellement scandaleux que l’on comprend que les fidèles soient profondément désorientés. Qu’on leur prêche la Vérité de Jésus-Christ et ses miracles, c’est bien, mais il faut avoir quelque chose de plus proche.
Nous avons Fatima. C’est évident et vous voyez bien comment nous respirons plus largement depuis des dizaines d’années, où nous avons découvert le secret de Fatima, nous l’avons étudié, nous vivons de ces miracles de Fatima, du miracle du soleil qui a été donné précisément comme preuve, de la puissance non pas de Jésus-Christ, qui n’était plus à démontrer, mais de la puissance du Cœur Immaculé de Marie. Donc, c’est une révélation. Quand Élie a fait sa confrontation avec les prêtres de Baal, il a rappelé à tous ces Israélites redevenus très païens que leur Dieu était le Dieu véritable, capable de faire des miracles, et lui seul. Mais c’était une chose déjà connue. C’était l’Alliance mosaïque. Quand la Vierge Marie apparaît, annonce et fait un miracle dans le soleil, c’est nouveau en ce sens que c’est elle qui le fait pour prouver qu’elle va intervenir, qu’elle annonce l’avenir, qu’elle demande une dévotion envers elle, qu’elle passe au premier plan, c’est absolument nouveau. Ce qui fait que dans nos angoisses – et Dieu sait si nous en aurons de pires demain – nous ne ferons pas seulement appel à la foi que nous avons en Jésus-Christ, c’est curieux de dire “ pas seulement appel à la foi que nous avons en Dieu ”, mais nous ferons, en plus, pour faire plaisir à Dieu et suivre volontiers ses indications, nous ferons appel au Cœur Immaculé de Marie. Ce sera un appel plus proche, plus immédiat parce qu’elle nous a parlé en 1917 et cet appel doit suffire à rendre à nos âmes la force. C’était ma deuxième réflexion.
Ma troisième réflexion est tout à fait intime, nous sommes entre nous. Ma troisième réflexion nous fait revenir sur cette ordalie, puisqu’il y a eu ordalie, cette confrontation que j’ai voulu avoir, non pas avec le pape Jean-Paul II directement, je ne suis pas digne, mais avec celui qui, en France, épousait le plus ses vues nouvelles et scandaleuses, c’était le cardinal Lustiger. Un beau jour, j’ai annoncé, ce qui a paru bien fou, mais ça, ça n’a aucune importance, j’ai annoncé que je défiais le cardinal Lustiger. Je lui proposais une ordalie, c’est-à-dire tous les deux ensemble, de prier et de demander à Dieu de nous départager, de montrer qui était fidèle à la vraie doctrine et qui ne l’était plus, de lui ou de moi [...]. Dire : “ L’un de nous deux peut mourir, Lustiger ou moi, que celui qui se trompe, Seigneur, que vous le frappiez ! ” c’était démesuré, c’était présomptueux, tout ce qu’on veut, mais enfin, c’était clair. Dans l’année, il fallait que Dieu se manifeste. Et puis, Dieu ne s’est pas manifesté comme je le lui avais demandé. Je n’ai pas eu un succès aussi flagrant que celui d’Élie sur le Carmel. Si j’avais dit à nos amis : “ On va mettre Dieu au pied du mur et dans l’année, il faut qu’il se déclare, et s’il ne se déclare pas, moi, je vous annonce que je perds la foi. ” Ce serait abominable. Il y a beaucoup de gens qui l’ont cru un peu comme ça, que c’était la dernière exigence que nous avions pour un Dieu qui ne se manifestait plus : “ Faites un miracle ou moi, j’abandonne la foi. ” Inutile de vous dire que ça n’a pas été ma pensée une seconde. Seulement, je voyais bien, je suis très sérieux et très sûr de ce que je dis, que des multitudes de catholiques libéraux, par l’erreur du Pape, l’erreur de conduite et de dogme du Pape, ces libéraux cachaient leur scepticisme, leur infidélité à la loi de Dieu sous l’aspect menteur de l’obéissance au Pape. C’est trop commode d’être obéissant au Pape quand le Pape relâche tous les sphincters, si je puis dire, permet toutes les abominations. Tous ces gens-là qui sont nos parents, nos proches, nos voisins, nos amis, etc., tous ces gens-là se damnent, excusez-moi, mais je pense que c’est la vérité, ils se damnent sous le couvert du Concile, sous le couvert du Pape, sous le couvert de l’évêque et leurs enfants font pire qu’eux. Ils se livrent aux péchés contre nature. Les parents le savent et n’y peuvent rien, ça va comme ça... C’est couvert par cet horrible manteau de la réforme conciliaire, cela ne peut pas durer. “ Ô Seigneur, ayez pitié d’eux ! ”
Le Seigneur me répondait, si j’ose dire : « Ils ont ma Mère, ils ont le miracle de Fatima, ils ont le message de Fatima, ils ont tout ce qu’il faut pour se tenir dans l’ordre. S’ils ne se tiennent pas dans l’ordre, c’est leur faute. Je ne bougerai pas. – Seigneur, faites quelque chose ! » Puis j’ajoutai, ce qui était un peu plus fort encore, je plaidai auprès du Souverain Chef de l’Église, Jésus-Christ, lui disant : “ Seigneur, vous nous avez dit que votre Église devait nous mener au salut. Or, aujourd’hui, que ce soit nos prêtres, que ce soit nos évêques, que ce soit nos cardinaux, que ce soit notre Pape, tous, ils ont été sommés de nous conduire à la vérité par moi-même, par des actes tout à fait canoniques et ils se fichent de moi, tous, et personne ne me répond. C’est vous le Patron ! Et puisque tous vos subordonnés ne font pas leur devoir, je vous supplie de faire votre devoir pour que les âmes se sauvent. ” C’était canonique, mon appel, ce n’était pas une fantaisie. Alors, dans ce cas-là, Jésus aurait dû répondre.
Il faut dire deux choses.
Premièrement, il n’a pas voulu répondre pour les multitudes. Nous avions des amis, des masses de gens, supposez un homme qui a sa femme et sa femme prie, fait prier les enfants pour qu’il y ait le miracle demandé par l’abbé de Nantes ; le mari sourit, rictus de mépris et dit : “ Si Lustiger meurt cette année, je te promets, j’irai à toutes les réunions de l’abbé de Nantes. ” Cette espèce de désinvolture dans des choses sacrées ! Et moi, je disais : “ Seigneur, faites-le, cela arrangera les choses dans cette famille et dans des milliers de familles. ” Et Notre-Seigneur disait : “ Mais enfin, ils me prennent pour qui ? Je ne suis pas leur domestique ! Toi, tu es bien gentil de me demander que je fasse un signe comme cela, pas pour ta gloire, mais pour le salut de tous ces gens-là, je comprends très bien... mais ils ne le méritent pas. – Mais, Seigneur, ayez pitié d’eux... – Non ! je n’aurai pas pitié d’eux. Ils seront châtiés pour leurs péchés et là, ils seront contraints de se convertir s’ils le veulent. Mais pas par des procédés de ce genre. ” Il m’a dit : “ Non, je ne veux pas. Maintenant, pour toi et pour tes lecteurs, on fera en sorte que Lustiger se justifie à tort, et que... ” Et de fait, nous avons eu ce que nous avons voulu : Lustiger a fait, cette année-là – comme par hasard ! – un livre abominable se justifiant de son judaïsme, un livre épouvantable, en disant que c’était lui, le choix de Dieu. C’était intelligent, il me répondait. Réponse du berger à la bergère. Cela nous a suffi pour voir que cet homme se damnait. Mais tout le reste a continué de glisser dans l’apostasie...
Je m’arrête là-dessus et terminons par une petite phrase de courage et de fierté. Quand nous, nous lisons ce texte-là, ça nous parle. Élie est notre lointain maître. Élie nous encourage à faire ce que nous faisons en notre temps, alors que ni Lustiger ni le Pape avec sa réunion à Assise avec tous les ennemis de la foi et les autres religions, ni tout ce qu’ils nous enseignent, ne correspondent à cet enseignement de la Bible. Nous sommes avec Élie. Que le prophète Élie, qui est auprès de Dieu – vous savez, dans la Transfiguration, sont apparus près de Jésus-Christ, à la droite Moïse et à la gauche, Élie –, puisqu’il est si bien placé auprès de Jésus-Christ, qu’il ait une petite prière, là-haut, pour nous afin que notre tâche qui est peut-être dure aboutisse à ce qu’elle prétend, c’est-à-dire ramener l’Église à la vraie foi pour que le monde croie et se convertisse ! Ainsi soit-il.
ACTE II
LA LUTTE DU SERVITEUR DE YAHWEH
SCÈNE 1 : DANS LE PALAIS DE JEZABEL.
Le deuxième acte s’ouvre, comme le premier, dans le palais de Jézabel où la reine, visiblement irritée, n’a pas tardé à apprendre que ses prophètes avaient été massacrés par Élie.
La reine d’Israël impie et étrangère, plutôt que de tomber la face contre terre comme le peuple devant le prodige du Carmel, s’obstine dans son crime. Certaines âmes, face à la vérité, choisiront de persévérer dans le mensonge... c’est là un mystère d’iniquité. Le Livre de la Sagesse, chapitres 1 à 3, montre que c’est une vérité éternelle : les méchants, au lieu de se corriger en présence du juste et d’obéir à ses paroles, deviennent plus méchants encore et complotent sa mort.
Nous le lisons dans l’Apocalypse : « Le quatrième Ange répandit sa coupe sur le soleil ; alors, il lui fut donné de brûler les hommes par le feu, et les hommes furent brûlés par une chaleur torride. Mais, loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, ils blasphémèrent le nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. » (Ap 16, 8-9)
Jézabel est de cette race. La scène commence par une longue note pédale à l’orgue sur laquelle viennent se poser les premières notes du “ thème de Jézabel ” en valeurs longues aux violoncelles, tandis que la confidente, qui entre dans les vues de sa maîtresse, en parfaite courtisane, l’excite.
La confidente : Comment a-t-il osé ? Quelle audace ! Quel affront à la reine !
Jézabel : Le Dieu d’Israël est trop jaloux de sa gloire !
Elle chante recto tono comme pour étouffer sa rage, sur fond de violons doux et graves. Mais elle s’échauffe, les rythmes s’accentuent, le ton monte, la musique s’anime et les cuivres entrent sur un sforzando.
Jézabel : Élie, dans son monstrueux orgueil, se dresse contre l’univers entier !
C’est renverser les rôles ! C’est elle qui, dans son orgueil infernal, se dresse contre le créateur de l’univers !
Combien de fois notre Père a-t-il essuyé pareilles critiques ! Un prêtre seul, se dresser contre un Concile entier, quel orgueil ! Et c’est d’autant plus rageant pour ceux d’en face qu’on ne peut rien lui répondre... mais il a forcément tort, puisqu’il est seul contre tous.
La confidente, insidieuse, énumère les chefs d’accusation qui pèsent sur Élie...
La confidente : Il a insulté Baal !
Jézabel, puis les servantes : Il doit mourir !
Chacune des accusations est ponctuée du jugement lancé avec colère par Jézabel et répété par les servantes, obéissantes et plus discrètes, réservées et presque tristes devant une décision qu’elles ne comprennent ni ne partagent forcément.
La confidente : Il a maudit le Roi !
Jézabel, puis les servantes : Il doit mourir !
La confidente : Il s’est moqué de nos prophètes !
Jézabel, puis les servantes : Il doit mourir !
La confidente : Et les a égorgés !
C’en est trop, Jézabel ne se retient plus. Elle s’écrie, au comble de la fureur :
Jézabel : Allez dire à Élie : Que les dieux me fassent tel mal et y ajoutent tel autre si demain à cette heure je ne fais pas de ta vie comme de la vie de l’un d’entre eux.
Il faut en finir et Jézabel en prendra les moyens. L’énormité de la menace indique l’énormité de sa haine et la vigueur de sa décision : elle fait serment devant ses idoles que la tête d’Élie va sauter le lendemain. Les servantes interrogent, un peu inquiètes, sur un ton attendri par le chant et l’harmonie, qui contrastent avec la violence des menaces de Jézabel amplifiées par les cordes en trémolos furieux :
Les servantes : Vous le tuerez ?
Jézabel : Oui, je le tuerai ! Qu’il se taise. Il doit mourir !
Pendant que les récitantes rapportent la réaction d’Élie, on entend les instruments, en écho, reprendre le cri de haine de Jézabel, oppressant, « Il doit mourir ! »
Après son acte héroïque, le prophète Élie s’écroule, il n’en peut plus. Même les plus grands prodiges, dont on ne peut douter, ne parviennent pas à éclairer les âmes... alors, à quoi bon continuer ? C’est désespéré, désespérant. Élie entre dans un grand moment de désarroi, de faiblesse, d’abandon. Il comprend que la menace de Jézabel n’est pas vaine et il a peur.
Pour notre bienheureux Père aussi, il en fut ainsi. En dénonçant les hérésies du concile Vatican II, en disséquant pour les réfuter chacune d’elles avec son scalpel, en défendant la Tradition de la Vérité, notre Père mena un combat gigantesque pour la gloire et l’honneur de Dieu contre l’idole moderne du “ culte de l’Homme ” érigée dans le Lieu saint. Les arguments du Père étaient si irréfutables, si contraignants, que les réformateurs, impies comme Jézabel, voulurent en finir avec cet unique opposant, tellement gênant parce qu’irréprochable, afin de poursuivre en toute quiétude leur adultère et leurs prostitutions avec le monde dont le prince est Satan.
C’est ce que firent les évêques de Troyes vis-à-vis de notre Père, et particulièrement Mgr Daucourt en 1996. L’évêque prétendait mettre de côté le litige doctrinal sur lequel notre Père avait trop évidemment raison et s’en prendre uniquement à sa théologie mystique ainsi qu’à sa vie privée, en pleine illégalité et mensonge, tant du point de vue de la loi civile que de la loi de l’Église. Notre Père prit le parti de ne pas se défendre et de se sacrifier pour préserver tout à la fois la Contre-Réforme catholique et nos communautés.
Le peuple d’Israël avait reconnu que Yahweh était Dieu et l’Alliance fut renouée par la médiation d’Élie, la pluie qui mettait fin à la sécheresse en était le signe sensible. Il y avait de quoi se réjouir...
« Las, écrit notre Père, ces sortes de liesses sont rares dans la vie d’un homme vraiment libre, tel qu’Élie était, et de surcroît, par vocation, prophète de malheur. La suite du récit est pathétique, et je m’y retrouve autant que nos fidèles amis. » (CRC n° 334, juin 1997)
Récit : Élie eut peur.
« Moi aussi », commentait notre Père dans la suite de ce même article, en 1997, donc après son terrible “ exil ”.
Récit : Il se leva et partit pour sauver sa vie.
« Moi aussi. »
Récit : Il arriva à Bersabée qui est à Juda...
C’est-à-dire qu’il est descendu vers le Sud, dans le royaume de Juda, où il était plus en sécurité que dans le royaume d’Achab.
Récit :... et il laissa son serviteur.
« Je fis ainsi. »
Récit : Pour lui, il marcha dans le désert.
« Moi aussi. »
Élie, fuyant la colère de Jézabel, s’enfonce dans le désert, comme la musique qui s’en va, mourante... Il n’en peut plus. Élie connaît là une véritable agonie qui préfigure celle de Notre-Seigneur au jardin des Oliviers.
SCÈNE 2 : AU DÉSERT.
Un chœur angoissé entonne un verset du psaume 55 qui nous fait entrer dans le drame de la fuite du prophète persécuté.
Le chœur : Quis dabit mihi pennas sicut columbæ, et volabo, et requiescam ? Ecce elongavi fugiens, et mansi in solitudine.
Qui me donnera des ailes comme la colombe ? Je m’envolerais et j’irais me poser ; oui, bien loin je fuirais, je logerais dans la solitude.
À Gethsémani, Jésus dira : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi. » (Mt 26, 39)
Après avoir laissé son serviteur, Élie marcha un jour de chemin et alla s’asseoir sous un genêt, précise le Livre des Rois. Il souhaita de mourir... « Moi aussi », avouait notre Père, il en eut la tentation dans son exil à Hauterive. « C’est alors que, marchant le long de la rivière proche, me frôla comme un vertige l’idée, la tentation d’un suicide qui résoudrait l’insoluble problème ignacien du “ Quid agendum ? – Que dois-je faire maintenant ? ” » (CRC n° 329, janvier 1997)
Élie entre seul sur la scène, épuisé, accablé, et chante sur un fond de notes tenues, statique. La musique enfle, lancinante, et s’éteint peu à peu comme le courage d’Élie.
Élie : C’en est assez maintenant, Yahweh ! Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères !
« Moi non plus, s’exclamait notre Père, et cent fois pire. »
Exténué, découragé, notre prophète se couche et s’endort, tandis que le chœur d’une “ architecture monumentale ” entrecoupé de silences, poursuit le psaume 55, de terreur et d’angoisse ; ce sont les mêmes termes que saint Luc reprendra pour décrire l’agonie de Jésus.
Le chœur : Contristatus sum in exercitatione mea : et conturbatus sum a voce inimici, et a tribulatione peccatoris. Timor et tremor venerunt super me : et contexerunt me tenebræ.
Je porte partout ma plainte et mon gémissement, sous les cris de l’ennemi, l’oppression du méchant. Crainte et tremblement m’envahissent, la frayeur m’enveloppe.
Soudain, changement de ton. Un groupe d’anges fait son apparition ; l’un d’eux porte une cruche et une galette. Il s’approche d’Élie endormi tandis que, dans un gracieux duo sur un air emprunté à la liturgie, les anges chantent un verset du psaume 34 :
Les anges : Immittet Angelus Domini in circuitu timentium eum : et eripiet eos.
L’Ange de Yahweh campe autour de ceux qui le craignent et les délivre.
« L’Ange de Yahweh » est une formule pour dire Dieu lui-même : Yahweh se fait le bouclier, le protecteur de son élu.
Nous dédions particulièrement ce verset à notre ami l’abbé Zambelli, car lorsque nous lui avons appris l’offensive que menait Mgr Pontier contre nous, en 2019, il eut pour réponse... ce même verset. C’était nous dire que l’Ange de Yahweh combattait pour nous. Merci Monsieur l’abbé !
Notre Élie aussi est bien protégé, puisque l’Ange lui dit, accompagné en bouche fermée par ses angéliques compagnons :
L’ange : Lève-toi, Élie, et mange.
S’appliquant ce verset, notre Père écrivait : « Ange ou homme je ne sais, mais messager de Dieu, j’en suis sûr. » À lui aussi, le messager lui dit de se lever et de manger... manger quoi ? « Élie regarda et voici qu’il y avait à son chevet une galette cuite sur les pierres et une gourde d’eau. » (1 R 19, 6) « Et pour moi, écrit notre Père, une hostie et un calice dans une chapelle solitaire. »
« Maintenant, ce ne sont plus des corbeaux ni une pauvre veuve, mais c’est un ange, disait notre Père. Cet exemple d’Élie nous montre à quel point Notre-Seigneur a puissance de faire des miracles. Comme l’Ange du Portugal au Cabeço en 1916 !
C’est pourquoi le chœur entonne un nouveau verset du psaume 34, apaisant, plein d’espérance :
Le chœur : Oculi Domini super justos : et aures ejus in preces eorum.
Le Seigneur a les yeux sur les justes, il est attentif à leurs prières.
Les justes, les “ craignants-Dieu ” sont l’objet d’une sollicitude constante de leur Dieu. Il aime les cœurs brisés et les âmes broyées, les gens épris de Dieu et de la crainte de Dieu, les vies pauvres et misérables, les vies persécutées, il les sauve, il les délivre.
Élie mangea donc et but, puis il se recoucha. Cette nourriture lui avait redonné des forces, mais pas de courage. L’Ange s’approche de nouveau, touche l’épaule du prophète repu mais découragé, et chante toujours sur le même air :
L’ange : Lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi.
« Allez, mon ami ! Ce n’est pas le moment de baisser les bras, tu as encore du chemin à faire », traduit notre Père.
Récit : Élie se leva, mangea et but, puis, soutenu par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb.
En 1997, notre Père commentait : « Et moi, mille fois plus indigne, [j’étais soutenu] par le Corps et le Sang de Jésus mille fois plus précieux ! et non pas deux ou trois jours, mais cent jours ! »
Ce fut la durée de son exil à Hauterive.
« Quand nous sommes épuisés par la fatigue, désespérés par la persécution, nous n’avons qu’à nous lever à la voix de notre excitateur, nous lever et aller prier. Nous recevrons de Dieu, de l’ange de Dieu, la nourriture nécessaire pour marcher pendant quarante jours et quarante nuits. » (Oraison du 4 octobre 1993)
Cet Ange qui apporte d’on ne sait où une galette et de l’eau, figures du Corps et du Sang Précieux de Jésus-Christ, est revenu à Fatima, en 1916, au Cabeço.
« L’Ange tenait dans sa main gauche, raconte sœur Lucie, un calice sur lequel était suspendue une Hostie de laquelle tombaient quelques gouttes de Sang dans le calice.
« Laissant le Calice et l’Hostie suspendus en l’air, il se prosterna près de nous jusqu’à terre et répéta trois fois cette prière :
« Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément, et je vous offre les très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs.
« Puis, se relevant, il prit de nouveau dans ses mains le Calice et l’Hostie. Il me donna la Sainte Hostie et partagea le Sang du calice entre François et Jacinthe en disant en même temps :
« Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ, horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu. »
« Élie est un très grand prophète, disait encore notre Père, c’est une figure de Jésus. Élie a connu son agonie. Jésus, dans son agonie, a été soutenu par un Ange, et se releva, prêt à subir sa Passion qui devait le mener à sa Résurrection et à la Gloire. » (17 juin 1990)
Voilà pourquoi Élie apparaît avec Moïse, sur le mont de la Transfiguration, s’entretenant avec Jésus de sa Passion à venir.
Un duo d’anges chante une très belle évocation prophétique du mystère eucharistique toujours tiré du psaume 34 :
Les anges : Gustate et videte quoniam suavis est Dominus : Beatus vir, qui sperat in eo !
Goûtez et voyez comme est suave le Seigneur. Heureux l’homme qui s’abrite en lui.
Et le chœur termine cette scène par une strophe de l’hymne des matines du Saint-Sacrement, composée par saint Thomas d’Aquin, chantée ici parce que les Pères de l’Église ont vu dans cette nourriture donnée à Élie dans le désert, la figure de l’Eucharistie que Notre-Seigneur devait instituer. Le chœur commence sans l’orchestre, qui entre en imitations au deuxième vers, et finit en toute quiétude, rassasié, à l’orgue :
Le chœur :
Panis Angelicus, fit panis hominum :
Dat panis cælicus figuris terminum :
O res mirabilis ! manducat Dominum
Pauper, servus et humilis.
Le Pain des anges devient le pain des hommes ; le Pain du Ciel met un terme aux figures. Ô prodige admirable : il mange son Seigneur, le pauvre, l’esclave, le tout-petit !
SCÈNE 3 : SUR LE MONT HOREB.
Élie partit donc vers la montagne de Dieu, l’Horeb, qui est le Sinaï. Poussé par l’Esprit-Saint, il va à la rencontre de Dieu sur la montagne sacrée où Yahweh s’était jadis manifesté dans une grandiose théophanie, à Moïse (cf. Ex 19, 16-25). Cette rencontre du prophète désespéré avec Yahweh est très mystérieuse. À son époque, nous le savons par des études géologiques, la région où se trouve Har Karkom, le véritable mont Sinaï retrouvé grâce aux découvertes d’Emmanuel Anati, sort de presque mille ans de grande aridité qui avait chassé toute population. Élie revient donc seul, après une traversée de quarante jours et de quarante nuits dans un désert encore torride, à l’Horeb, reproduisant à lui seul l’épopée d’Israël.
L’introduction musicale aux instruments illustre la fuite d’Élie par un 3/8 enlevé aux violoncelles, rejoints par les autres cordes et ralentissant par “ paliers ”, avec la fatigue du prophète. Arrivé à l’Horeb, il gravit la montagne et pénètre dans la petite grotte qui se trouve au sommet pour y passer la nuit. Le professeur Anati a retrouvé cette grotte, celle-là même où Moïse s’était retiré tandis que Yahweh passait devant lui (cf. Ex 33, 22).
Yahweh parle à Élie avec autant de familiarité qu’à Moïse, et le chœur des hommes et les cuivres lui prêtent leurs voix, tandis qu’un trio de violoncelles accompagne Élie :
Yahweh : Que fais-tu ici, Élie ?
Élie : Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahweh Sabaoth. Je suis resté, moi seul [les trémolos dramatiques des cordes prennent le relais pour marquer le désarroi d’Élie], et ils cherchent à m’enlever la vie.
Élie est rempli d’un “ zèle jaloux ”. Le texte hébreu redouble le mot, et le latin aussi : « Zelo zelatus sum pro Domino Deo meo exercituum », pour signifier qu’il est dévoré de zèle pour la gloire de Dieu méprisé, qu’il est consumé par la jalousie de Yahweh qui avait dit à Moïse, sur cette même montagne :
« Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu, car Yahweh a pour nom “ Jaloux ” : c’est un Dieu jaloux. » (Ex 34, 14)
Le 4 octobre 1993, notre Père dévoilait à quel point ce zèle jaloux le consumait lui-même :
« Je ne comprendrai jamais comment des mystiques, des contemplatifs, des gens d’oraison peuvent être complètement indifférents à cette corruption effroyable, à cette apostasie rampante qui dévore l’Église, qui jette des milliers de catholiques dans la corruption et dans l’incrédulité. Eux, ils sont là, la tête dans les mains, et que font-ils ? Ils sont en face de Dieu qui est méprisé, rejeté par les créatures qu’il a mises au monde pour le connaître, l’aimer, le servir et mériter le bonheur du Ciel. Cela leur fait-il quelque chose ? Comment peuvent-ils rester là sans condamner les corrupteurs et les assassins de la foi ! Dieu est outragé, Dieu est en colère. La Bible le dit et le résultat sera là : s’il est en colère contre les hommes, Il les châtie en ce monde pour les corriger ; et s’ils ne se convertissent pas, Il les châtiera éternellement dans l’enfer. Et cela ne leur fait rien ?! »
Yahweh : Sors et tiens-toi dans la montagne devant Yahweh.
« Yahweh passe. » Élie reçoit la même grâce que Moïse : il voit d’abord la puissance des éléments, c’est-à-dire ce que Dieu est capable d’exciter dans la nature, dans sa colère, pour anéantir ses adversaires. Les deux chœurs des hommes et des femmes ainsi que les instruments se répondent afin de figurer ce grand chamboulement des éléments auquel assiste le prophète.
L’ouragan est figuré modestement par une grande montée et descente chromatique à la flûte entraînant les autres instruments de plus en plus déchaînés. Le chœur des femmes commente sur fond encore turbulent :
Les chœurs :
– Il y eut un violent ouragan.
Tandis que les hommes ajoutent avec calme :
– Mais Yahweh n’était pas dans l’ouragan.
Le deuxième élément, la terre, soumise à un grand ébranlement, est figuré par les trémolos des cordes sur un accord de septième diminué ainsi qu’aux cuivres, et surtout un trio de roulements simultanés aux timbales et grosse caisse. Les femmes puis les hommes commentent de la même façon :
– Il y eut un tremblement de terre.
– Mais Yahweh n’était pas dans le tremblement de terre.
Pour le troisième élément, le feu, nous reconnaîtrons la musique déjà entendue lors de l’incendie de Sainte-Marie-des-Hurons que nous avons encore en mémoire :
– Il y eut un feu.
– Mais Yahweh n’était pas dans le feu.
Ouragan, tremblement de terre, feu, éclairs, tout cela était déjà les signes avant-coureurs de la présence de Yahweh pour Moïse annonçant son passage (cf. Ex 19, 16-20). Alors, une musique douce faite de motifs en tierces aux violons, pizzicatos aux violoncelles et accords très doux à l’orgue, annonce quelque chose de nouveau :
Le chœur des femmes : Il y eut le bruit d’une brise légère...
« Dès qu’Élie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. » (1 R 19, 13) Le murmure de ce vent tranquille, c’est l’Esprit de Dieu... Élie le reconnaît et s’écrie : « Yahweh ! »
Dans le livre de l’Exode Yahweh passe devant Moïse en proclamant lui-même son Nom : « Yahweh, Yahweh, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité ; qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu’à la troisième et quatrième génération. » (Ex 34, 6-7)
Cette brise légère figure l’intimité de l’entretien de Yahweh avec son prophète.
Yahweh : Que fais-tu ici, Élie ?
Élie répond accompagné seulement par l’orgue doux, pour sa première phrase, puis avec les violons en trémolos doux et frémissants lorsqu’il évoque sa terrible solitude et la crainte de ses ennemis :
Élie : Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahweh Sabaoth, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l’épée. Je suis resté, moi seul, et ils cherchent à m’enlever la vie.
Notre Père, poursuivant l’application de ce passage à sa propre vie, écrivait : « Mais moi, je ne suis pas seul, mon Dieu, merci ! Par trois fois ils ont cherché à m’enlever la vie, et ils n’y ont pas réussi. »
Yahweh donne alors à son prophète fidèle les ordres terribles qui manifestent la rigueur de sa Justice :
Yahweh : Va, retourne par le même chemin, vers le désert de Damas. Tu iras oindre Hazaël comme roi d’Aram.
Aram est le territoire voisin d’un peuple païen et ennemi.
Yahweh : Tu oindras Jéhu comme roi d’Israël.
Jéhu était officier du roi d’Israël. Yahweh prépare donc un nouveau changement de dynastie...
Yahweh : Et tu oindras Élisée comme prophète à ta place.
C’est le fils de prédilection, l’héritier...
Par de tels hommes, assistés de la Puissance qui règne dans les Cieux, seront châtiés tous les impies. La colère de Dieu va s’abattre sur ses ennemis et toutes les manifestations de la nature qui ont précédé la brise en sont l’image. Aucun n’en réchappera. Les femmes et les hommes alternent sur des batteries dramatiques aux violoncelles :
Yahweh :
– Celui qui échappera à l’épée de Hazaël.
– Jéhu le fera mourir.
– Celui qui échappera à l’épée de Jéhu.
– Élisée le fera mourir.
C’est le grand châtiment. Il y aura des victimes : d’abord des démoniaques figurés par le païen Hazaël, puis des mauvais juifs qui persécuteront les justes, personnifiés par Jéhu qui ne sera pas meilleur que les autres, et finalement, du feu de Dieu lui-même par la main du prophète Élisée. Le châtiment sera total. Yahweh ajoute cependant, tout le chœur réuni :
Yahweh : Mais j’épargnerai en Israël sept milliers, tous les genoux qui n’ont pas plié devant Baal et toutes les bouches qui ne l’ont pas baisé.
Revenons au parallèle tracé par notre Père en 1997. À l’évocation de la brise légère, il écrivait : « À chaque prophète son secret. » Un secret ? Quel fut le sien ?
Il l’a confié : « Je sais que j’ai été tiré de ce monde [lors de son exil à Hauterive] parce que Dieu voulait que j’arrive à unifier dans ma propre vie la douceur de l’oraison, la saveur de la sagesse surnaturelle avec la polémique telle que les Pères de l’Église en ont toujours donné l’exemple, eux, suprêmement, unis à Jésus et à Marie. Les Pères de l’Église passent des plus hautes élévations mystiques aux plus violentes colères contre les hérétiques, comme déjà on le trouve dans saint Paul. Cela, on ne peut le faire, me semble-t-il, que par l’aide de la Sainte Vierge. » (Oraison du 4 janvier 1997)
C’est le même combat singulier avec le diable qu’Élie a dû livrer, non pas encore chapelet en main comme notre Père, mais rempli de la Sagesse de Dieu qui inspire les prophètes et que nous communique aujourd’hui la récitation quotidienne du chapelet, adressée au Cœur Immaculé de Marie.
Dieu renvoie donc son prophète à sa mission... de même pour notre Père :
« Il vous a donné un admirable exemple d’obéissance en septembre (1996), disait l’abbé Saey, du diocèse de Montréal au Canada, au sujet de l’exil de notre Père. Mais là (en janvier 1997), c’est son devoir de sortir, de reprendre la tête de la Contre-Réforme catholique ; c’est son “ charisme ”, il est défenseur de la foi, lui seul peut le faire. »
Les prophètes sont des mystiques qui montent sur la sainte montagne et qui, ensuite, redescendent dans la plaine, et se montrent des lutteurs intrépides.
Ainsi, aussitôt descendu de l’Horeb, Élie s’empresse d’obéir aux ordres de Yahweh.
Un petit air calme, précédant et terminant le dernier récit, évoque la marche d’Élie, non plus comme une fuite, mais comme la marche tranquille du prophète accomplissant sa mission :
Récit : Élie partit de là et trouva Élisée, fils de Shaphat d’Abel-Mehola, tandis qu’il labourait avec douze paires de bœufs.
SCÈNE 4 : AU CHAMP D’ABEL-MEHOLA.
La scène suivante commence aussi par le mouvement de marche tranquille jusqu’au moment où Élie jette son manteau sur Élisée, lui causant une vive émotion :
« Élie passa près d’Élisée et jeta sur lui son manteau. » (1 R 19, 19) En signe de prise de possession : dès lors Élisée sera son disciple. Le message est si clair qu’aussitôt Élisée abandonne ses bœufs, court derrière Élie pour lui demander :
Élisée : Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis j’irai à ta suite.
Mais Élie lui répond sèchement :
Élie : Va, retourne, que t’ai-je donc fait ?
Élie reprend sa marche, la petite musique aussi, laissant Élisée à ses réflexions. Élie lui a lancé un défi, comme pour lui dire : « Le don de mon manteau n’est rien, maintenant, il faut me suivre ! » Si Élisée retourne vers ses parents, il perdra sa vocation et le manteau n’aura servi à rien. Élisée doit choisir. Sans hésiter, il chante sa résolution manifestant bien les sentiments de son âme. Trois grands accords précèdent son chant qui commence méditatif, puis déterminé :
Élisée : Yahweh m’a choisi par la main de son prophète... résisterai-je à sa volonté ? J’immolerai mes bœufs, je les ferai cuire et les donnerai à mes gens pour qu’ils mangent. Et je suivrai le prophète de Yahweh.
Séance tenante, il fait le sacrifice de tout ce qu’il a sur la terre, y compris ses parents, puisqu’il n’ira pas les embrasser une dernière fois. On trouve un écho de cette scène dans l’Évangile : « Tandis que Jésus et ses disciples faisaient route, quelqu’un lui dit : “ Je te suivrai, Seigneur, mais d’abord permets-moi de prendre congé des miens. ” Mais Jésus lui dit : “ Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu. ” » (Lc 9, 61-62) Ou encore lorsque Jésus dit : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » (Mt 10, 37) Jésus agit comme Élie, et les Apôtres comme Élisée, abandonnant filets, barques et pères pour suivre Jésus.
C’est ce qu’imite toute entrée dans la vie religieuse et cette évocation nous permet d’introduire un verset du Psaume 116, cher à notre communauté, car notre Père a voulu que le postulant ou la postulante l’entonne au jour béni de sa prise d’habit. Sur une mélodie très simple, dépouillée, avec accompagnement d’orgue, le chœur chante :
Le chœur : Dirupisti vincula mea : tibi sacrificabo hostiam laudis, et Nomen Domini invocabo.
Vous avez rompu mes liens. Je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces, et j’invoquerai le Nom du Seigneur.
C’est là tout l’idéal du religieux : briser tous ses liens. Élisée a brûlé et immolé tout ce qu’il possédait, il a sacrifié sa volonté, ses caprices et même renoncé à embrasser ses parents.
De ses biens, Élisée a fait « un sacrifice d’action de grâces » et il a suivi aussitôt le prophète Élie afin « d’invoquer le Nom du Seigneur ». Cette prompte et parfaite obéissance fera d’Élisée le disciple par excellence suivant partout son Père, Élie.
Le deuxième acte se termine ainsi très doucement à l’orgue.
ACTE III
LA GLOIRE DU PROPHÈTE
SCÈNE 1 : SUR LES BORDS DU JOURDAIN.
Le troisième acte présente la fin des protagonistes du formidable duel auquel nous avons assisté. La disparition d’Élie et de Jézabel accomplit “ le choix de Dieu ” annoncé au premier acte, par l’ascension dans la gloire du prophète invincible et la terrifiante damnation de la reine impie.
Yahweh récompensa d’abord son fidèle serviteur...
Récit : Achab et son fils Ochozias étant morts selon la parole d’Élie, Joram, fils d’Achab, régnait sur Israël.
Selon l’oracle de Yahweh contre la race d’Achab.
Récit : Les jours où Yahweh devait enlever Élie au ciel arrivèrent.
L’introduction de cette scène fascinante est solennelle et rappelle l’annonce de l’Ascension de Notre-Seigneur : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au Ciel et s’assit à la droite de Dieu. » (Mc 16, 19)
Nous sommes introduits « dans une sorte d’atmosphère mystérieuse, nous faisait remarquer notre Père en octobre 1995. C’est un peu comme un brouillard du matin dans la campagne que déjà le soleil dore. Ce texte magnifique, très prenant, me met dans la même impression de joie que le chapitre 21 de saint Jean quand Jésus apparaît à ses Apôtres sur les bords du lac de Tibériade, une dernière fois, quand il parle avec saint Pierre et que saint Jean suit derrière. Ici, Jésus, le Maître, est préfiguré par Élie ; Élisée, le disciple fidèle, c’est saint Pierre ou saint Jean. Il y a là une rencontre tout à fait remarquable. »
Tandis que Élie et Élisée entrent sur scène, quelques frères prophètes, soutenus par le chœur, interrogent Élisée :
Le chœur des prophètes : Élisée, disciple fidèle, sais-tu que Yahweh enlèvera aujourd’hui ton maître par-dessus ta tête ?
Les frères prophètes, eux aussi inspirés, savent qu’Élie sera enlevé au Ciel... Élisée leur répond :
Élisée : Je le sais aussi. Tenez-vous en paix.
Il renvoie tous ces curieux dans leur quartier. Les frères prophètes n’ont rien à lui apprendre qui lui ferait changer de conduite. Pourtant, Élie lui-même semble faire chorus avec eux lorsqu’il chante sur un ton allègre :
Élie : Élisée, reste ici, je te prie, car Yahweh m’envoie au Jourdain.
Élisée : Aussi vrai que Yahweh est vivant et que toi-même es vivant, je ne te quitterai pas ! Je t’ai suivi de Gilgal à Béthel et à Jéricho, non, je ne te quitterai pas !
Le Deuxième Livre des Rois poursuit :
« Et ils s’en allèrent tous deux. Cinquante frères prophètes vinrent et s’arrêtèrent à distance, au loin, pendant qu’Élie et Élisée se tenaient au bord du Jourdain. » (2 R 2, 7)
Ce sont ces frères prophètes qui décrivent, avec l’appui de la musique, ce qui se déroule sur la scène :
Le chœur des prophètes : Voyez, Élie saisit son manteau, il frappe les eaux du Jourdain. Ô merveille ! les eaux s’écartent pour laisser passer le maître et le disciple.
Après la cadence plagale qui dit l’émerveillement des prophètes devant le prodige, la description continue avec les mouvements d’arpèges ondulants comme les eaux du Jourdain qui s’écartent. Élie renouvelle le miracle de la traversée de la mer des Roseaux par le peuple de Dieu conduit par Moïse (Ex 14, 21-22), mais aussi celle de ce même Jourdain par Josué et les Hébreux afin de pénétrer dans la Terre promise (Jos 3, 14-17). Dès qu’ils sont passés, Élie dit à Élisée, dans un climat paisible créé par les ondulations des premiers violons, longs accords doux des autres et quelques arpèges au piano :
Élie : Demande ce que tu veux que je fasse pour toi avant que je sois enlevé d’avec toi.
Élisée n’hésite pas une seconde et demande avec entrain dans le même mouvement à trois temps, très affirmatif :
Élisée : Oh ! mon père ! Que vienne sur moi une double part de ton esprit.
La double part est celle de l’aîné. En effet, l’aîné recevait le double des autres pour bien montrer qu’il avait l’autorité sur ses frères. Élisée, voyant les cinquante prophètes restés à distance, demande à être son héritier, rempli de son esprit et de sa force pour continuer sa mission.
Élie : Tu demandes une chose difficile.
Dieu seul peut donner son esprit. C’est ce que Jésus répondit à la mère des fils de Zébédée dans l’Évangile : « Il ne m’appartient pas d’accorder » ce que tu demandes, « mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné » (Mt 20, 23). De même, Élie répond à son disciple que cela ne lui appartient pas. Mais Jésus promet à ses Apôtres qu’ils boiraient à sa coupe, Élie répond :
Élie : Si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, il t’arrivera ainsi. Sinon, cela n’arrivera pas.
Saint Jean a vu la gloire de Jésus sur la Croix, et le centurion aussi ! Regardant Celui qu’ils ont transpercé sur sa Croix, ce « char de feu » qui enlève Jésus, Jean reçoit pour Mère Marie à qui Jésus dit : « Femme, voici votre fils », et, avec Elle il reçoit son « Double Esprit ».
Le ton d’Élie est solennel pour annoncer à Élisée sa vocation, soutenu par tout l’ensemble des cordes :
Élie : Mon fils, c’est toi qui accompliras les prophéties de Yahweh. Tu verras ses arrêts de vengeance qui purifieront son peuple.
Soudain, grand fracas au loin : on entend alors des traits à la flûte, une descente chromatique aux violons croisant en mouvement contraire une montée, chromatique aussi, aux basses, tandis que le piano dessine de grandes arabesques rapides descendantes. Le bruit se rapproche et se stabilise en motifs répétés. Les frères prophètes, qui assistent sans rien voir, s’inquiètent :
Le chœur des prophètes : Qu’entendons-nous ? Qu’y a-t-il ?
Élisée qui, lui, voit un bien étrange spectacle, s’écrie, stupéfait :
Élisée : Mon père !
Mais les prophètes veulent savoir ce qui se passe :
Le chœur des prophètes : Où va ton père ?
Élisée : Mon père ! Char d’Israël et ses coursiers ! Mon père !...
« Voici qu’un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux et Élie monta au ciel dans un tourbillon. » (2 R 2, 11) Le cri d’Élisée est très mystérieux pour dire ce qu’il voit : non pas un “ symbole ”, mais un « char d’Israël et ses coursiers », à savoir un « char de feu » attelé à des anges...
Le piano a repris ses grands traits mais tout en ascension sur cinq octaves pour s’arrêter net lorsque Élisée ne voit plus son père et cette brusque séparation lui cause une telle douleur qu’il « déchira ses vêtements en deux » (2 R 2, 12).
Le chœur des prophètes : Regardez ! Élisée reste seul...
Élisée reprend ses esprits et se redresse. Il a vu Élie s’en aller sur le char de feu, c’était le signe donné pour manifester qu’il obtiendrait le double esprit d’Élie... Yahweh a donc agréé la demande.
Le chœur des prophètes : Élie lui a laissé son manteau.
Élisée voit à ses côtés le manteau qu’Élie a laissé tomber dans son ascension, ce manteau aux pouvoirs miraculeux... Élisée le saisit et le baise respectueusement en souvenir de son maître bien-aimé. Il le ramasse avec la même dévotion que saint Pierre et surtout saint Jean découvrant le Saint Suaire dans le sépulcre vide au matin de Pâques.
Le chœur des prophètes : Élisée s’approche du Jourdain...
Sous le regard des cinquante prophètes qui sont là, Élisée va montrer comment il a hérité des pouvoirs d’Élie. Il s’approche du Jourdain pour refaire le miracle des eaux, et puisqu’il a vu, il sait, avec toute la force de sa foi, que Yahweh répondra. Il provoque Yahweh à se manifester :
Élisée : Où est Yahweh, le Dieu d’Élie ? Où est-il ?
Prenant alors le manteau d’Élie, Élisée frappe le Jourdain, comme son maître avait fait. Le piano recommence à exécuter de grands accords majestueux brisés figurant le Jourdain qui s’ouvre. Les frères prophètes, qui observent avec une curiosité sacrée, s’exclament :
Le chœur des prophètes : Les eaux s’écartent devant Élisée. L’esprit d’Élie repose sur Élisée.
À ce miracle, tous les prophètes le reconnaissent alors comme leur chef, légitime successeur d’Élie, dont il a reçu double Esprit.
SCÈNE 2.
Alors, le groupe des frères prophètes vient à la rencontre d’Élisée. Ils se prosternent devant lui, en signe de reconnaissance du pouvoir de l’envoyé de Dieu.
Ainsi commence le cycle d’Élisée, que les frères prophètes évoquent en reprenant librement l’éloge qui est fait de lui dans le Livre de l’Ecclésiastique (Si 48, 12-14), sous la forme psalmodique en deux chœurs se répondant sur le même ton :
Les frères prophètes :
Quand Yahweh enleva Élie au Ciel,
Élisée fut rempli de son esprit.
Il ne fut ébranlé par aucun roi,
et personne ne put le dominer.
Rien ne lui fut impossible, il opéra des merveilles.
C’est par lui que s’accomplit l’oracle de Yahweh.
Le chœur proclame alors la terrible malédiction de Yahweh lancée par Élie contre Achab et Jézabel, après le meurtre de Nabot de Yizréel et le vol de sa vigne (1 R 21, 17-24) :
Le chœur : Je balaierai la race d’Achab, j’exterminerai les mâles de sa famille, car il a provoqué ma colère et fait pécher Israël. Les chiens dévoreront Jézabel dans le champ de Yizréel.
Terrible arrêt divin ! qui nous conduit à la scène suivante où nous allons assister, après le glorieux enlèvement du Prophète, à l’effroyable chute de l’orgueilleuse reine Jézabel.
Le chapitre 21 du Premier Livre des Rois nous montre Jézabel farouchement séductrice et perverse dans l’épisode de la vigne de Nabot :
Un jour, Jézabel trouva le roi sombre et irrité, couché sur son lit, le visage tourné contre le mur, refusant de manger. « Sa femme Jézabel vint à lui et lui dit : “ Pourquoi ton esprit est-il chagrin et ne manges-tu pas ? ” Il lui répondit : “ J’ai parlé à Nabot de Yizréel et je lui ai dit : Cède-moi ta vigne pour de l’argent, ou, si tu aimes mieux, je te donnerai une autre vigne en échange. Mais il a dit : Je ne te céderai pas ma vigne. ” Alors sa femme Jézabel lui dit : “ Vraiment, tu fais un piètre roi sur Israël ! Lève-toi et mange, et que ton cœur soit content, moi je vais te donner la vigne de Nabot de Yizréel. ” Elle écrivit au nom d’Achab des lettres qu’elle scella du sceau royal, et elle adressa les lettres aux anciens et aux notables qui habitaient avec Nabot. Elle avait écrit dans ces lettres : “ Proclamez un jeûne et faites asseoir Nabot en tête du peuple. Faites asseoir en face de lui deux vauriens qui l’accuseront ainsi : Tu as maudit Dieu et le roi ! Conduisez-le dehors, lapidez-le et qu’il meure ! ” »
Tout fut fait selon la volonté de la reine et bientôt, la nouvelle lui parvint :
« Lorsque Jézabel eut appris que Nabot avait été lapidé et qu’il était mort, elle dit à Achab : “ Lève-toi et prends possession de la vigne de Nabot de Yizréel, qu’il n’a pas voulu te céder pour de l’argent, car Nabot n’est plus en vie, il est mort. ” »
Ce qu’il fit.
SCÈNE 3 : DANS LE PALAIS DE JÉZABEL.
Les récitantes nous transportent du Jourdain à Yizréel, près de dix ans plus tard, en Samarie. Elles expliquent l’effroyable mise en scène que Yahweh, le maître de l’histoire, a conçue afin de réaliser son grand dessein de châtiment... et de miséricorde.
Le récit est introduit par l’orchestre à cordes, sur un motif animé et régulier, une sorte d’ostinato aux premiers violons qui va se prolonger tout le temps du récit en lui donnant déjà un caractère dramatique sur un texte pourtant de simple narration.
Récit : Hazaël, qu’Élisée avait oint roi d’Aram, livrait bataille aux armées de Joram.
Cet Hazaël est donc l’ennemi extérieur que Yahweh a suscité contre Israël pour son châtiment, puisque Joram, le second fils d’Achab et de Jézabel, était roi sur Israël.
Récit : Ochozias, roi de Juda et fils d’Athalie [fille d’Achab et de Jézabel], descendit en Israël pour visiter Joram [oncle d’Ochozias] qui était souffrant.
Soudain les violons se taisent, tandis que surgit le “ thème de Jézabel ” aux violoncelles. Les récitantes ajoutent :
Récit : Jézabel était à Yizréel.
La musique de plus en plus malsaine brode sur ce thème maudit. Tout est en place, Yahweh peut intervenir.
Nous retrouvons donc Jézabel, pour la dernière fois, en train de converser avec sa confidente, toutes deux sous la garde de serviteurs. Jézabel ne semble pas très sereine et sa confidente, sur un ton joyeux, musique dansante à trois temps au piano et aux cordes, tente de l’encourager :
La confidente : Madame, voilà presque dix ans qu’Élie a disparu [se durcissant avec batteries au piano]. Bientôt, son souvenir sera effacé comme un mauvais rêve.
Jézabel : Vraiment ?
Jézabel la coupe, contrariée, avec force contretemps aux violons, puis en trémolos violents.
Jézabel : Et Élisée ? et cette communauté de frères prophètes qui le suit et ne fait que conserver la mémoire d’Élie ?
Il est notable de voir, dans le Deuxième Livre des Rois, tous ceux que la Bible appelle “ les frères prophètes ”, communauté mystérieuse présente dès avant Élie, se regrouper autour d’Élisée et lui obéir comme des moines à leur Père abbé. L’ordre du Carmel se dit, selon la tradition, héritier de ces moines avant l’heure.
Mais la confidente persiste :
La confidente : C’est l’enthousiasme d’un moment...
Jézabel est lucide.
Jézabel : Non. Élie n’est pas mort. Il parle encore par la bouche de ses fils.
Pendant son chant, et jusqu’à la fin de la scène, l’orchestre reprend le rythme de « Élie n’est pas mort », qui devient obsédant. Et c’est vrai qu’il n’est pas mort puisque Élisée l’a vu monter au Ciel dans un char de feu !
« Mort, il parle encore. » (He 11, 4) Le verset de l’épître aux Hébreux le dit d’Abel assassiné par Caïn, et dont le sacrifice est associé à chaque célébration du Saint-Sacrifice de la messe.
Jézabel : Je l’entends. Je le vois. Il est là. J’entends encore sa malédiction contre la race d’Achab, contre mon sang.
Malédiction que nous avons entendu chantée par le chœur à la scène précédente, et Jézabel va en décrire les prodromes qu’elle voit et qui la hantent.
Jézabel : Je vois Achab baignant dans son sang, percé d’une flèche, trait de l’implacable vengeance du Dieu d’Élie.
En effet, trois ans après l’oracle de Yahweh contre Achab, ce dernier organisa une expédition avec le roi de Juda Josaphat, à Ramot de Galaad, une ville du roi d’Aram. Josaphat lui conseilla de consulter les prophètes de Yahweh. Achab le fit et rassembla tous les prophètes au nombre de quatre cents, en exceptant volontairement Michée, « car, dit-il, il ne prophétise jamais le bien à mon sujet, rien que le mal » (1 R 22, 8). Sur les instances de Josaphat, Achab l’envoie chercher. Alors que les quatre cents prophètes clamaient en chœur : « Monte, Yahweh livrera la ville aux mains du roi », Michée affirme que pour le tromper, « Yahweh a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tous tes prophètes qui sont là, mais Yahweh a prononcé contre toi le malheur. » (1 R 22, 23) Michée fut mis en prison et l’expédition eut lieu. Inquiet, Achab se déguisa pour éviter d’être la cible des ennemis au cours de la bataille, mais Yahweh conduisait tout : « Or, un homme banda son arc sans savoir où il visait et atteignit le roi d’Israël entre le corselet et les appliques de la cuirasse [...] et le roi mourut ; on alla à Samarie et l’on enterra le roi à Samarie. » (1 R 22, 34-37)
Ce n’est pas tout, Jézabel se souvient encore... c’était avant l’enlèvement d’Élie :
Jézabel : Je vois le cadavre de mon fils aîné, gisant sur le lit de sa dernière maladie.
À la mort d’Achab, son fils aîné, Ochozias d’Israël, monta sur le trône. Quelque temps après, il fit une malencontreuse chute du balcon de son appartement à Samarie et dut s’aliter. Des messagers furent envoyés consulter Baal Zebub, dieu d’Éqrôn, pour savoir s’il guérirait, mais ce fut Élie qu’ils rencontrèrent sur le chemin. Il leur déclara : « Ainsi parle Yahweh : puisque tu as envoyé des messagers consulter Baal Zebub, dieu d’Éqrôn – n’y a-t-il donc pas de Dieu en Israël, dont la parole puisse être consultée ? – eh bien ! tu ne descendras pas du lit où tu es monté, tu mourras certainement. » (2 R 1, 16) Et Ochozias mourut. Ce fut son frère Joram qui lui succéda.
Jézabel : Ah ! Je vois trop bien la conduite de ce Dieu impitoyable qui veut ma perte. Je le sens. Je le sais. Élie n’est pas mort.
De fait ! C’est là le mystère. Il a été enlevé au Ciel !
Le rythme obsédant laisse place à une lamentation de Jézabel de plus en plus pitoyable. Elle clame une dernière fois « Élie n’est pas mort » et la timbale conclut par quelques coups qui annoncent quelque chose...
SCÈNE 4.
Coup de théâtre : les cordes entrent en trémolos violents et dramatiques avec percussions, accompagnant les servantes qui envahissent la scène en criant au malheur. Que se passe-t-il donc ?
Les servantes et le chœur : C’est Jéhu !
L’homme est connu puisqu’il occupe une fonction importante, la confidente le fait remarquer avec inquiétude :
La confidente : L’officier de la maison d’Israël !
C’est lui que Yahweh avait désigné à Élie pour qu’il soit oint roi d’Israël, afin d’exterminer la maison d’Achab. Élie n’eut pas le temps d’exécuter l’ordre divin et c’est un disciple d’Élisée qui, envoyé par lui, donna l’onction à Jéhu au milieu de l’armée qui campait devant Ramot de Galaad. Dès que les chefs de l’armée surent la chose, « aussitôt, tous prirent leurs manteaux et les étendirent sous lui, à même les degrés ; ils sonnèrent du cor et crièrent : “ Jéhu est roi ! ” » (2 R 9, 13)
Le nouveau roi forma une conspiration avec l’aide des chefs de l’armée et partit pour Yizréel où étaient Joram, Ochozias roi de Juda, et Jézabel la maudite.
Les servantes : Les rois d’Israël et de Juda sont partis à la rencontre de Jéhu. Au champ de Nabot de Yizréel.
Les violons se sont tus à l’évocation du champ de Nabot dont l’usurpation par Achab et sa femme avait tant outragé Yahweh... mais ils reprennent leur fonction dramatique, haletants, jusqu’à l’interruption de Jézabel, après laquelle les cuivres viennent en renfort des violons :
Les servantes : Jéhu a bandé son arc et a touché Joram en plein cœur.
Jézabel : Trahison !
Les servantes : Quant à Ochozias, il a pris la fuite, mais Jéhu l’a poursuivi. Il fut blessé et votre petit-fils est mort à Megiddo.
Jézabel : Trahison ! Trahison ! C’est Élie qui se venge !
Jézabel est au comble de la fureur contre Élie et contre son Dieu. Mais les servantes, de plus en plus terrorisées, s’écrient :
Les servantes : Et Jéhu arrive à Yizréel ! Madame, nous sommes perdues ! Fuyons pour sauver nos vies !
Jézabel comprend que c’est l’heure de sa fin. La musique devient sourde et grave, l’action se ralentit. Jézabel, atterrée, mais rageuse, reste maîtresse d’elle-même.
Jézabel : Le Dieu d’Élie l’emporte... Sa haine est sur moi.
La musique reprend sa course tandis que les servantes la pressent d’échapper à l’inévitable massacre, mais Jézabel, trop orgueilleuse pour fuir devant l’ennemi et renoncer à ses crimes, s’obstine et s’opiniâtre :
Jézabel : Je ne fuirai pas devant ce conspirateur.
Une servante s’étant approchée de la fenêtre s’exclame :
Une servante : Voilà Jéhu !
SCÈNE 5.
Le Deuxième Livre des Rois raconte ainsi la scène : « Jéhu rentra à Yizréel et Jézabel l’apprit. Elle se farda les yeux, s’orna la tête, se mit à la fenêtre... » (2 R 9, 30-31) Pendant que les instruments exécutent de longs accords avec des demi-tons qui rappellent le thème de Jézabel, celle-ci s’adresse à Jéhu, qui paraît au bas de la scène, sur un ton faussement dégagé, mais aussi hautain qu’ironique :
Jézabel : Cela va-t-il bien, Zimri, assassin de son maître ?
Que tente-t-elle d’obtenir avec son fard et ses ornements ? Séduire Jéhu comme elle a séduit Achab ? C’est peu probable, puisque la question arrogante qu’elle lui lance est non seulement une provocation, mais une véritable insulte, en lui souhaitant le sort misérable de Zimri, un aventurier et un ambitieux qui profita de ce que le roi Éla, son maître, s’enivrait pour l’assassiner, prendre sa place et exterminer tous les membres de sa famille. Au bout de sept jours, Omri, alors chef de l’armée, vint mettre le siège devant la capitale. Évidemment, Zimri ne s’attendait pas à une telle réaction, alors « il entra dans le donjon du palais royal, brûla sur lui le palais et périt » (1 R 16, 18).
Jézabel se montre parfaitement maîtresse d’elle-même en affrontant ainsi crânement la mort, comme si elle était aussi maîtresse des événements que l’avait été son beau-père, car elle sait que Jéhu vient pour la tuer.
Jéhu : Quelle question ! Cela irait-il bien tant que durent tes prostitutions et tes nombreux sortilèges ?
« Ses prostitutions », en langage biblique, désignent son idolâtrie invétérée, et « ses nombreux sortilèges », sa séduction puissante sur le cœur du roi Achab. Elle a ensorcelé le roi pour le jeter dans l’idolâtrie, et le peuple à sa suite.
Alors, s’adressant à qui veut l’entendre, Jéhu crie, précédé par les timbales et accompagné par les cuivres qui déclenchent l’agitation parmi les violons et autres cordes :
Jéhu : Qui est avec moi, qui ?
Les deux serviteurs de Jézabel se saisissent de la reine. Jéhu ordonne :
Jéhu : Jetez-la en bas.
À ce macabre cri, la panique envahit toutes les servantes qui s’enfuient, épouvantées, l’orchestre se joignant à la cohue.
SCÈNE 6.
Le calme revient, on entend une dernière fois le “ thème de Jézabel ” aux violons, tendu, tandis que la reine, retenue par ses deux serviteurs, demeure un instant sur scène et lance au Dieu qui la condamne :
Jézabel : Dieu des Juifs, tu l’emportes, tu as vaincu !
Puis sur un fond d’accords répétés en triolets aux cordes, elle chante une sorte de complainte, sans repentance et dans un sursaut d’orgueil :
Jézabel : Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit...
L’alexandrin est de Racine...
Jézabel : Ah ! Dieu jaloux ! La fière Jézabel préfère mourir de ta main que te servir.
Tandis que les serviteurs entraînent de force Jézabel hors de la scène pour la précipiter par la fenêtre, l’orchestre se déchaîne et accompagne la chute de la reine jusqu’à son écrasement sur le pavé de la cour... effrayant !
Ainsi meurt l’impie, dans le cri des mauvais anges : « Non serviam ! »
Le chœur chante alors, sur un ton énergique, un verset du psaume 68 rappelant la glorieuse épopée d’Israël. Au verset 22, le psalmiste fait clairement allusion à la mort affreuse de Jézabel :
Le chœur : Confrigit Deus capita inimicorum suorum : verticem capilli perambulantium in delictis suis.
Dieu écrase la tête de ses ennemis, le crâne chevelu qui s’obstine dans son crime.
Le « crâne chevelu » n’est autre que celui de Jézabel obstinée dans son crime.
SCÈNE 7.
Jéhu et ses soldats entrent alors sur scène, en même temps que les serviteurs ayant accompli leur besogne. Quelques échos de l’agitation lointaine nous parviennent encore quand Jéhu s’adresse aux serviteurs :
Jéhu : Occupez-vous de cette maudite et donnez-lui la sépulture, car elle est fille de roi.
Les serviteurs : Seigneur, son sang a éclaboussé les murs, les chevaux l’ont piétinée et nous n’avons trouvé d’elle que le crâne, les pieds et les mains.
Ils racontent la chose avec horreur sur fond de trémolos mystérieux, et Jéhu rappelle solennellement l’oracle de Yahweh, l’orchestre y participant de toutes les façons : imitations du rythme de « Ainsi s’accomplit », chœur de cuivres, arpèges piqués aux violoncelles, etc.
Jéhu : Ainsi s’accomplit la parole de Yahweh prononcée par Élie le Teshbite : “ Dans le champ de Yizréel, les chiens dévoreront la chair de Jézabel. ”
Le chœur des hommes : Son cadavre sera comme du fumier répandu dans la campagne.
Jéhu : De sorte qu’on ne pourra pas dire :
Le chœur : C’est Jézabel !
Effrayante description de la damnation éternelle ! Mais ce n’est pas tout, il faut que le nom même de Jézabel disparaisse. L’action retombe et Jéhu chante seul la sentence finale :
Jéhu : Que le nom de cette reine impie soit effacé du Livre jusqu’à la troisième et quatrième génération.
Après l’adoration du veau d’or par les Hébreux, Moïse intercéda en faveur de son peuple et s’offrit pour être effacé du Livre de Yahweh afin d’obtenir le pardon de cette idolâtrie, mais Yahweh lui répondit : « Celui qui a péché contre moi, c’est lui que j’effacerai de mon Livre. » (Ex 32, 33) Et au moment où Yahweh passa devant Moïse en proclamant son Nom, « Yahweh, Dieu de tendresse et de pitié », dont la “ basmala ” coranique est la copie, il conclut cette théophanie par ces mots : « Yahweh ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » (Ex 34, 7)
Or, saint Matthieu applique cet oracle à l’impie Jézabel, lorsqu’il dresse la généalogie de Notre-Seigneur Jésus-Christ au début de son Évangile. En effet, nous pouvons lire : « Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias. » (Mt 1, 8) Ici, l’Évangéliste inspiré a rayé d’un trait de plume trois générations. On peut dire qu’il l’a fait pour respecter le comput des quarante générations. Peut-être, mais il n’a pas rayé n’importe lesquelles.
S’il vous en souvient, dans une alliance conclue entre les maisons de Juda et d’Israël, Josaphat, roi de Juda, avait accepté pour son fils Joram la fille d’Achab et de Jézabel, Athalie. Or, ce sont précisément les trois générations de la lignée davidique issues de cette union que saint Matthieu supprime. Au lieu d’écrire : Joram, de son union avec Athalie, engendra Ochozias [tué par Jéhu], Ochozias engendra Joas [le petit roi réchappé des mains assassines d’Athalie, sa propre grand-mère], Joas engendra Amasias, Amasias engendra Ozias, l’Évangéliste efface le nom de Jézabel sur « quatre générations » – Athalie, Ochozias, Joas et Amasias – conformément à l’oracle.
Deux mille ans plus tard, l’antique oracle de Yahweh sur la montagne sainte du Sinaï s’applique à la lettre.
Notre Père l’a démontré maintes fois, la cause de la ruine de l’Église se trouve dans les pages mêmes des Actes du Concile. Comme Jézabel dont il n’est resté aucune trace bien qu’elle fût « fille de roi », il faudra jeter au feu les Actes du concile Vatican II, à la quatrième génération, dans un grand autodafé pour qu’il n’en reste rien.
SCÈNE 8.
Une musique enlevée, toute en montées successives, éclate, donnant une impression d’ascension.
Élisée et sa communauté de frères prophètes entrent sur scène. Le chœur entonne un oracle, tiré de plusieurs passages de la Sainte Écriture.
Le chœur : C’est moi qui sonde les reins et les cœurs, et je paie chacun selon ses œuvres.
Ainsi parle le Fils de Dieu à l’Ange de l’Église de Thyatire, à qui il reproche, dans l’Apocalypse (Ap 2, 20), de tolérer « Jézabel, cette femme qui se prétend prophétesse ». La gloire d’Élie et la ruine de Jézabel expriment bien cette implacable rétribution divine, toute notre espérance !
Le chœur : Les sept milliers qui n’ont pas plié le genou devant Baal.
Selon l’oracle de Yahweh adressé à Élie sur l’Horeb, que nous avons entendu dans l’acte précédent.
Le chœur : Le petit reste d’Israël.
L’expression est tirée du Livre d’Isaïe (Is 10, 22). Ainsi en est-il dans toute l’Histoire sainte : ce n’est qu’un « petit reste » qui échappe au châtiment, tel Noé et sa famille échappant au déluge grâce à l’arche (Gn 7, 23).
Le chœur : Je leur donnerai l’Étoile du matin.
Promesse faite à la même Église de Thyatire : « Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service jusqu’à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations. C’est avec un sceptre de fer qu’il les mènera comme on fracasse des vases d’argile ! Ainsi moi-même j’ai reçu ce pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l’Étoile du matin. » (Ap 2, 26-28)
L’Étoile du matin, cette « Femme » que saint Jean a vue, revêtue du soleil, foulant la lune et couronnée d’étoiles (cf. Ap 12, 1), c’est l’Immaculée Conception, l’anti-Jézabel !
C’est alors qu’Élisée et les frères prophètes rappellent à notre mémoire – aidés par la musique – tous les grands épisodes du combat d’Élie, tandis que le chœur trouve en chacun d’eux un titre de gloire de l’Immaculée.
Élisée commence :
Élisée : Ô brillante Sagesse !
Le chœur : Ô Conception toute pure de Dieu !
C’est Elle, en Personne, qui est apparue le 25 mars 1858, pour dire à Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception », et s’est montrée en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, le 16 juillet de la même année, une dernière fois, plus belle que jamais.
Cette « brillante Sagesse » (Sg 6, 12) est « un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu, une image de sa bonté. D’autre part, étant seule, elle peut tout, demeurant en elle-même, elle renouvelle l’univers et, d’âge en âge.
Les frères prophètes : Elle fait des âmes saintes des amis de Dieu et des prophètes.
Élisée : Ainsi a-t-elle inspiré notre père Élie en toutes ses actions.
Le « notre Père » ici, nous parle d’autant plus que notre Père à nous fut lui aussi, sans aucun doute possible, inspiré par la Sagesse pour mener son œuvre immense.
« Notre Père saint Élie » est le titre que réservent les carmes et les carmélites à ce prophète considéré comme le fondateur et grand protecteur de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. La devise de cet Ordre est une parole d’Élie prononcée sur l’Horeb : « Zelo zelatus sum pro Domino Deo meo exercituum. – Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahweh Sabaoth » (1 R 19, 10). C’est pourquoi le chœur entonne alors un verset du Livre d’Isaïe (Is 35, 2) qui fut appliqué à la Sainte Vierge, notamment dans son office du 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel :
Le chœur : Ô splendeur du Carmel et de Saron !
Le Saron est une vallée très fertile s’étendant au pied du mont Carmel et le mot “ Carmel ” signifie en effet le “ jardin de Dieu ”. Toute cette région est luxuriante. C’est le « decor Carmeli », le “ sourire du Carmel ” comme aimait traduire notre Père, en songeant aux sourires de Notre-Dame de Lourdes le 16 juillet 1858 et à celui qui guérit la petite Thérèse, le 13 mai 1883.
Les frères prophètes énumèrent alors les hauts faits d’Élie en y découvrant partout l’action divine de la Sagesse.
Les frères prophètes : C’est la Sagesse qui soutenait son courage, armant son bras vengeur contre les prophètes de Baal.
On retrouve les accents guerriers des violons de la scène 3 du premier acte. C’est avec la force de l’Immaculée Conception, mais oui ! qu’Élie a égorgé les suppôts de Satan qui trompaient le peuple... et c’est avec cette même force que notre Père a dénoncé vigoureusement toutes les hérésies d’un Concile où le diable était maître. L’un et l’autre n’ont pu remplir leur mission que soutenus par Celle que le chœur acclame ainsi :
Le chœur : Ô Victorieuse de l’antique Serpent !
En vertu de la malédiction originelle, espérance que Yahweh a donnée à nos malheureux premiers parents : « Je mettrai une hostilité entre toi, et la Femme, dit-il au serpent, entre ta semence et la sienne. Elle t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon » (Gn 3, 15). Dès les origines, elle intervient comme Médiatrice auprès de Dieu en faveur de l’humanité déchue et c’est grâce à Elle que Yahweh, une fois accomplie toute justice par la main d’Élie, envoya un second signe figuré ici par les motifs ondulants des violons “ doux et aériens ” représentant le petit nuage :
La scène : Le petit nuage, c’est elle, répandant une pluie céleste.
Le chœur : Ô Médiatrice de la grâce et de la miséricorde !
qui découlent de la Croix lumineuse de Jésus, à Tuy, le 13 juin 1929.
Déjà, dans le Livre de la Sagesse, le scribe raconte l’épopée du peuple élu en y montrant la Sagesse à l’œuvre dans l’histoire d’Israël. Parvenu au miracle de la manne dans le désert, obtenu à la prière de Moïse, il écrit : « C’est une nourriture d’anges que tu as donnée à ton peuple, et c’est un pain tout préparé que du ciel tu leur as fourni sans fatigue [...], et la substance que tu donnais manifestait ta douceur envers tes enfants. » (Sg 16, 20-21)
Cette intervention divine est appliquée ici à celle de l’ange nourrissant Élie exténué dans le désert. La musique rappelle d’abord le découragement d’Élie, et ensuite l’intervention de l’Ange de l’Eucharistie parut dans la deuxième scène du deuxième acte, comme elle parut à Hauterive, mystérieusement, en 1996, pour réconforter notre Père :
Le chœur : Elle n’abandonna pas le juste persécuté et c’est un Pain tout préparé que du Ciel elle lui donna.
Ce « Pain du Ciel » n’est autre que son propre Fils, Jésus-Christ, se faisant pour ses disciples Pain de vie éternelle et la Vierge Marie en est la Médiatrice, elle qui, selon la belle poésie de Marie Noël, a pétri ce tendre Pain blanc et roux, pour nous livrer ce Pain cuit à la chaleur de son Cœur le plus doux. Cœur devenu ainsi Refuge des pauvres affamés que nous sommes et chemin qui conduit à Dieu.
Le chœur : Ô refuge et chemin des justes !
Tous les acteurs présents sur la scène poursuivent en évoquant la brise légère par ses motifs en tierces aux violons :
La scène : Elle manifesta la présence de Yahweh dans une légère nuée.
Le chœur : Ô Révélatrice de la gloire divine !
Cette brise légère dont Élie a entendu le murmure à l’Horeb, succédant aux cataclysmes qui ébranlèrent le désert, est, elle aussi, une figure de l’Immaculée Conception. Au début de la création, avant que Dieu ait mis quelque ordre au tohu-bohu originel, « l’Esprit de Dieu planait sur les eaux » (Gn 1, 2), cet Esprit, ce souffle qui plane sur les eaux comme la colombe de Noé virevoltant au-dessus des eaux du déluge (Gn 8, 8-9), comme l’Esprit descendu sur Jésus dans les eaux du Jourdain, telle une colombe venant du Ciel (Jn 1, 32). Cette Colombe immaculée s’est bien identifiée à Fatima en disant : « Je suis du Ciel. »
Notre-Dame est la révélatrice de la gloire divine puisque de ses mains jaillit une lumière immense qui est Dieu. La Sagesse n’est-elle pas « un effluve de la puissance de Dieu, une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant » (Sg 7, 25) ?
La musique entreprend alors une progression harmonique avec un crescendo général en commençant très doucement :
La scène : C’est la Sagesse qu’Élie laissa en double héritage à ses disciples.
Le chœur : Ô Notre-Dame du Mont-Carmel !
HYMNE À NOTRE-DAME DU MONT-CARMEL... DE FATIMA
La progression continue pour en arriver au point culminant de l’Hymne à Notre-Dame du Mont- Carmel... de Fatima. Tous les mystiques du Carmel ont fait le parallèle entre le manteau d’Élie laissé à Élisée comme signe tangible de la passation de son pouvoir prophétique et la remise du scapulaire par Notre-Dame à saint Simon Stock, général de l’Ordre du Carmel au treizième siècle. N’oublions pas qu’à Fatima Lucie a reconnu Notre-Dame du Mont-Carmel, le scapulaire pendant de sa main, dans le troisième tableau figurant les mystères glorieux du Rosaire, le 13 octobre 1917.
À la fin de cet oratorio, nous pouvons bien comprendre toute la signification de cette apparition. Le Carmel, c’est Élie ; et Élie, c’est l’alliance de l’âpre lutte et de la contemplation dans le seul service de Dieu. Notre-Dame du Carmel n’est pas seulement une Vierge glorieuse, mais bien une Vierge guerrière et victorieuse, et lorsqu’elle nous tend le scapulaire du haut du Ciel, c’est son « manteau » dans toute sa signification biblique qu’elle jette sur nous. Ainsi, revêtant cette sainte livrée, nous nous dépossédons de nous-mêmes et nous devenons propriété de Notre-Dame... « Le scapulaire est le signe de la consécration au Cœur Immaculé de Marie », rappelait sœur Lucie. Nous déménageons chez la Sainte Vierge ! Cela ne va pas sans lutte, mais le combat se fait sous la bannière du Cœur Immaculé de Marie, étendard de la victoire.
C’est pourquoi le chœur entonne une prose latine écrite en l’honneur de l’apparition de la Vierge à saint Simon Stock, sur l’air entraînant de l’Hymne à Notre-Dame de la Victoire emprunté à l’oratorio sur sainte Cécile avec sa coupe rythmique bien reconnaissable de mesures à trois et à deux temps alternées. Il nous est facile de transférer cette révélation du treizième au vingtième siècle, du prieur des carmes aux trois pastoureaux : le message est le même... à quelques mots près :
Gaude, cælum, et mirare ;
Psalle, terra ; gaude, mare :
Fatimam venit Virgo.
Ô ciel, réjouis-toi et admire ;
Ô terre, chante ;
Ô mer, sois dans l’allégresse :
La Vierge vient à Fatima.
La Sainte Vierge est la reine de la création et elle l’a montré dans ses apparitions, surtout à Fatima : elle a changé la couleur des choses et de l’atmosphère, fait tomber une pluie de pétales blancs, fait cesser la pluie et danser le soleil !
O quam pium fert amorem,
Quantum præstat et honorem
Mariæ præsentia !
Ô quel fervent amour fait naître votre présence, ô Marie, de quel honneur elle nous comble !
Ce fut le don que les trois pastoureaux reçurent le 13 juin 1917, lorsque la lumière jaillissant des mains de Notre-Dame pénétra en leur cœur : « Il me semble, précise Lucie, que ce jour-là, ce reflet avait pour but principal de mettre en nous une connaissance et un amour spécial envers le Cœur Immaculé de Marie ; de même que les deux autres fois, il avait eu ce même but, mais par rapport à Dieu et au mystère de la Très Sainte Trinité. Depuis ce jour, nous sentîmes au cœur un amour plus ardent envers le Cœur Immaculé de Marie. »
Notre-Dame nous donne un signe tangible de cette dévotion et consécration entière de nous à son Cœur très chéri :
Tegit nudos veste sacra
Et imbelles cingit parma,
Numquam expugnabilis.
D’un saint habit, elle revêt ceux qui sont nus et ceux qui sont désarmés, elle les couvre d’un bouclier, inexpugnable à jamais.
Comme Yahweh Dieu, après le péché originel fit à Adam et Ève honteux de leur nudité, « des tuniques de peau et les en vêtit » (Gn 3, 21), mais cette nouvelle tunique du scapulaire ne cache pas seulement le souvenir du péché comme défense contre la concupiscence. Ce saint habit nous rend fort contre l’ennemi, par la grâce de Celle à qui nous sommes ainsi consacrés : « Ne te décourage pas, ma fille, je ne t’abandonnerai jamais. Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. »
Nihil in nos fraus serpentis,
Nihil in nos vis frementis
Poterit invidiæ.
Ni la perfidie du serpent ni la folle rage de sa jalousie n’a de prise sur nous.
Draco victus profligatur
Et abhorrens effugatur
Inimica legio.
Le Dragon vaincu est terrassé et, se détournant avec horreur, la légion ennemie est mise en fuite.
Ces deux strophes rappellent les mentions, aux deux extrémités de la révélation, de la « Femme » victorieuse de la Genèse et de l’Apocalypse, et de sa protection envers « sa semence » qui lutte avec Elle contre le « Serpent » et le « Dragon ». Seulement, il faut être dans le bon camp en étant de vrais enfants de Marie, dévots de son Cœur, dont le scapulaire du Mont-Carmel est le signe.
Quisquis ergo sis, memento,
Quantum nostri munimento
Favor prosit Virginis.
Qui que tu sois, souviens-toi donc quel puissant rempart, quel bon secours est le Cœur de la Vierge pour nous.
Jam Immaculati Cordis
Votum cordis et vox oris
Celebrent in jubilo.
Désormais, que le vœu de notre cœur et la voix de notre bouche célèbrent dans l’allégresse le Cœur Immaculé !
« Le vœu de notre cœur », c’est le culte intérieur demandé par le Sacré-Cœur à la bienheureuse mère Marie du Divin Cœur, mais maintenant tout reporté, selon le désir de ce même Cœur, vers le Cœur Immaculé de Marie. L’essentiel du culte intime est de briser notre volonté personnelle pour n’avoir plus qu’une volonté de conformité avec Notre-Dame, dans tous les domaines, même celui de la politique.
« La voix de notre bouche » est le culte extérieur. Que nous-mêmes, d’abord, puis enfin l’Église tout entière se tournent vers le Cœur Immaculé et Victorieux de Marie pour lui rendre le culte, officiel et solennel, que Dieu veut pour lui. « Le Cœur de Jésus veut que l’on vénère avec lui le Cœur Immaculé de Marie », s’écriait sainte Jacinthe, ne faisant que rappeler ce que Notre-Dame avait dit, le 13 juin 1917 : « Jésus veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. À qui embrassera cette dévotion, je promets le salut, ces âmes seront chéries de Dieu comme des fleurs placées par moi pour orner son trône. » La fumée d’encens aperçue par les pèlerins de la Cova da Iria le 13 septembre pendant l’apparition de Notre-Dame exprime parfaitement ce culte liturgique que nous devons rendre au Cœur Immaculé de Marie.
À l’exemple de notre Père qui s’est jeté à corps et à cœur perdus dans ce double culte intérieur et extérieur au très unique Cœur de Jésus-Marie, “ déménageons ” chez la Sainte Vierge, “ passons la main ” à l’Immaculée, afin qu’en ses mains toutes pures, si riches de miséricorde, nous devenions des instruments de son amour capables de ranimer et d’enthousiasmer tant d’âmes tièdes ou égarées, et qu’ainsi s’étende sans fin le Règne du Divin Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie. Ayons à l’esprit ces pensées en nous joignant au chœur pour chanter le grandiose Amen final.
Cet Amen, où le rythme est rompu par des mesures à quatre temps élargissant la musique, est construit comme une majestueuse cadence en si bémol majeur, ample et bien nourri par l’entrelacement de ses huit voix (il y en avait douze à l’origine, réduite à huit pour des raisons d’effectifs et de placement), mais aussi très paisible, d’une grande plénitude. Ainsi soit-il !
Camp Notre-Dame de Fatima, 26 août 2022.
DANS cette ravissante figure du petit nuage annonciateur de la bienfaisante pluie qui mit fin à la sécheresse par laquelle Yahweh avait puni l’infidélité d’Israël, l’Église s’est plu à voir la figure de la Vierge Immaculée, Reine des Cieux, Médiatrice du pardon, de la clémence et de la réconciliation des hommes avec leur Dieu, comme on le voit dans le vitrail de l’église paroissiale de Lourdes reproduit sur la couverture des livrets d’oratorio.
Aujourd’hui, nous attendons ce signe, comme « les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse », sûrs qu’Elle viendra vers nous du haut du Ciel sur son léger nuage, déjà contemplé par les pèlerins de la Cova da Iria comme autant de serviteurs d’Élie ! Elle montera encore une fois sur son petit véhicule céleste, à l’horizon de Fatima, dans un ciel rasséréné, sur un peuple repentant et elle donnera au monde un certain temps de paix. Les yeux levés vers le Ciel, nous attendons avec une inconfusible espérance d’y voir paraître la petite « main » de miséricorde, au sein même des tribulations endurées à la ressemblance d’Élie, “ prophète de malheur ”.