Il est ressuscité !

N° 238 – Décembre 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Georges de Nantes, fils de l’Église

Sermon d’ouverture du camp de la Phalange, 16 août 2022.

LE 4 septembre  2022, le pape François a béatifié son saint prédécesseur, Jean-Paul Ier, Albino Luciani. Celui-ci, lors de sa première audience publique, fit venir auprès de lui un enfant de chœur, en soutanelle rouge et surplis blanc. Il lui prit la main et l’interrogea. C’était un merveilleux catéchiste !

« Comment t’appelles-tu ?

– James !

– Écoute, James, as-tu jamais été malade ?

– Non.

– Pas même un peu de fièvre ?

– Non.

 Oh ! Il a bien de la chance, ce petit ! Mais, quand un enfant est malade, qui lui apporte un peu de soupe, les médicaments ? N’est-ce pas la maman ? Voilà ! Puis, tu deviens grand, la maman vieillit, toi, tu deviens un grand monsieur et la maman, la pauvre, elle est au lit, malade ! Qui apportera à la maman un peu de lait et les médicaments ?

– Moi et mes frères !

– Bravo ! Lui et ses frères ! J’aime entendre dire cela. As-tu compris ? »

Et vous-mêmes amis lecteurs ? Ces enfants, c’est nous. Notre mère, c’est l’Église. « Être enfant de l’Église, nous disait notre Père, c’est ma joie, c’est ma croix, c’est ma gloire. »

Tel fut le thème de notre camp de la Phalange, cet été. Et de son sermon d’introduction :

« Mes chers enfants nous sommes réunis pour dix jours, afin de goûter ensemble ce bonheur d’être enfants de l’Église. Mais voici que cette Mère est malade. Quelle épreuve ! »

Notre-Dame de Fatima la décrit, dans son Secret comme « une ville à moitié en ruine ». Une fois, le pape François s’est écrié douloureusement : « On dirait que le sein maternel de l’Église est devenu stérile. » Dès lors, notre honneur, à nous ses enfants, c’est de demeurer fidèlement à son chevet et de ­tâcher de la soigner. Malgré tout, nous voulons garder la foi dans l’Église. Nous ­redoublons nos prières pour le Saint-Père. Nous ­respectons nos évêques ­successeurs des Apôtres. Nous refusons de déserter nos paroisses. Le phalangiste est d’Église !

Lorsqu’on veut soigner un patient, il faut commencer par étudier la médecine. De même, pour servir notre Église malade, pour diagnostiquer son cancer, il faut bien connaître son histoire et étudier son mystère. C’est précisément ce à quoi nous allons nous appliquer pendant ce camp.

Aux temps heureux de prospérité de l’Église, les vocations religieuses abondaient, les couvents débordaient, les sœurs de Charité sillonnaient les faubourgs, et les missionnaires les cinq continents. Pourtant, les nouvelles promotions de séminaristes découvraient avec étonnement que parmi les grands traités de théologie, chez saint Thomas lui-même, il n’existait pas de traité de l’Église. En effet, nous expliquait notre Père, quand les choses vont de soi, on n’éprouve pas le besoin d’en faire la théorie. Ce n’est que lorsqu’une vérité commence à être négligée, discutée et combattue qu’il devient nécessaire, pour l’Église, de la mettre en lumière et de l’imposer par une définition solennelle (sermon du 26 octobre 1980). Ainsi des grands dogmes mariaux, l’Immaculée Conception en 1854 et son Assomption, corps et âme dans le Ciel, en 1950.

Or, au vingtième siècle, un homme, un docteur, un saint gigantesque a été mis à part et comblé de lumières singulières sur le mystère de l’Église, afin de diagnostiquer sa maladie et d’en prescrire les remèdes. Ce saint, le docteur mystique de la foi catholique, c’est notre Père, frère Georges de Jésus-Marie dont nous sommes, par quelle grâce précieuse ! les héritiers, les enfants, les disciples.

Son maître l’abbé Vimal, l’avait remarqué et comptait sur lui, dès sa sortie du séminaire, pour rédiger un traité complet de l’Église. Ils se retrouvaient pendant les vacances, en Auvergne, pour y travailler. Cependant, accaparé par les mille nécessités du ministère, du service de l’Église, notre Père ne le réalisera pas systématiquement. Mais c’est toute sa vie qui constituera une défense et illustration du mystère de notre sainte Mère l’Église. À tel point que notre évêque, Mgr Le Couëdic, s’exclamait : « Ce prêtre en viendra à s’identifier à l’Église ! »

Il ne pouvait mieux dire. Puisqu’on lit dans notre Règle provisoire des Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur : « Les frères ne croiront pas au Monde, ni à ses entreprises ; ils n’espéreront pas en eux, ils ne les aimeront pas (...). Mais ils croiront en l’Église, ils vivront de son espérance et de sa charité. Elle sera constamment l’objet de leurs prières, mais surtout l’objet de leur admiration. Ils s’identifieront à elle et c’est en elle qu’ils connaîtront l’union mystique au Dieu trois fois Saint. » (article 11)

« MA JOIE »

Être enfants de l’Église, c’est d’abord notre joie.

« À votre louange, ô mon Dieu, proclamait l’abbé de Nantes dans une Page mystique, je confesse que pas un seul jour de ma vie je n’ai cessé de me réjouir d’être enfant de l’Église (...). Un fils n’a point de mérite à vivre auprès de sa mère. Tout le bienfait est pour lui. Tout le mérite est à elle, si douce, si sage. Elle m’a enseigné vos Paroles, elle m’a nourri du Pain des anges, elle m’a formé à votre Loi, ô Sagesse, et j’ai appris à l’exemple de ses saints la douceur de vos béatitudes, Jésus ! » (Page mystique n° 54, “ Le baptême : Entrez dans le Temple de Dieu ”, février 1973)

L’Église nous révèle Jésus. Elle est « Jésus répandu et communiqué », disait Bossuet au dix-septième siècle. La première conférence de notre camp aura pour titre L’Église de Jésus-Christ, parce que l’Église est le grand projet de Dieu pour faire de l’humanité l’épouse de son Fils.

Notre Père continue l’éloge de sa Mère :

« Si j’évoque l’âme de l’Église, je suis intarissable ; si j’énumère les beautés de son corps, je n’en finirai plus. Je vous ai chéri, ô Jésus, dans les paroles enflammées de vos prédicateurs, dans la vie des saints qui furent vos confidents, et sur les visages resplendissants de tant d’amis merveilleux ne vivant que pour vous dans l’Église. » (Page mystique n° 12 : “ Cette maladie ne va pas à la mort ”, juin 1969)

Comment, pour notre part, ne pas penser à lui-même, notre Père, image de Jésus-Christ et personnification de l’Église pour nous, ses disciples ? Si nous aimons l’Église, c’est à lui que nous le devons !

À la suite de cette première conférence, nous regarderons en “ cratère ” un exposé magistral qu’il prononça à la Mutualité, retraçant en une heure deux mille ans d’Orthodromie catholique, c’est-à-dire d’un parcours sans faute. Contre tous les contempteurs de l’Église, il la donne à admirer immensément ! (Apologétique totale, 8e conférence, 1985, AP II. 8)

« En ce temps-là j’aimais tous vos prêtres d’un égal amour, je vénérais les vierges consacrées, je me sentais en famille parmi vos fidèles. Les sanctuaires, les statues, les ornements et les vases précieux sont les bijoux et le vêtement et la demeure de cette Mère spirituelle dont la sagesse m’a nourri jusque par la splendeur et l’ordre imprimés dans les marbres et l’or. J’ai grandi, nourri de ses bontés. Et je vous bénis d’avoir connu l’Église dans ce printemps de ma jeunesse et de la sienne, quand se lisaient en tout son être la gloire sereine et le bonheur d’une épouse comblée. Je devinais quel amour unique était son secret. »

Ce secret de l’Église, “ secret d’un amour nuptial ”, sera l’objet de notre deuxième conférence. Ce secret, c’est l’Alliance nouée par Jésus-Christ sur la Croix et scellée de son Sang, alliance renouvelée en chacune de nos messes. Jésus-Christ répand ainsi de génération en génération sa vie et sa grâce dans son Église, pour qu’elle transforme le monde en Chrétienté.

Cette œuvre s’accomplit à l’échelle des nations, mais aussi de nos paroisses : en “ cratère ”, frère Bernard vous présentera ainsi un saint – il n’est pas canonisé, mais c’est un saint ! – un saint qui a énormément inspiré notre Père. Il s’agit du Père Emmanuel, le fondateur du pèlerinage à Notre-Dame de la Sainte Espérance, au Mesnil-Saint-Loup. À la fois curé et moine bénédictin, il fit de sa paroisse indifférente un magnifique bastion de Chrétienté.

Que l’Église est belle en ses œuvres ! Elle resplendit dans la splendeur des cathédrales comme dans la moindre église de village, dans la vertu des humbles fidèles comme dans la science de ses docteurs. Les paysages mêmes portent sa marque ! Animée par la vie, la force de son Époux, elle est bien maîtresse de civilisation, comme frère Louis-Gonzague vous l’expliquera, au point que l’Église est nécessaire au monde. L’état présent du monde, qui retourne en barbarie parce que l’Église est défaillante, en est la preuve.

Elle a d’abord développé la civilisation chrétienne dans l’Empire romain. Mais c’est dans le monde entier que Notre-Seigneur a ordonné de prêcher l’Évangile. L’Église est donc missionnaire, essentiellement. Notre Père la définissait ainsi : « L’Église est la répercussion, dans le temps et dans l’espace, de l’Évangile » (Lettre à mes amis n° 136).

« L’Église est la société réparatrice que la mort de Jésus a fait naître. » Jusqu’aux extrémités de la terre et jusqu’au Jugement dernier !

L’histoire des missions est complexe et peut sembler désordonnée. Mais frère Scubilion vous en dégagera plusieurs traits fondamentaux, qui définissent l’idéal de l’Église missionnaire : elle est latine, elle est féconde par le sang de ses martyrs, elle est française.

L’idéal du missionnaire, c’est saint Charles de Foucauld. C’est en le découvrant, à l’âge de treize ans, que le jeune Georges de Nantes reçut sa vocation de “ moine-missionnaire ”.

En 1943, il entra au séminaire d’Issy-les- Moulineaux, pour ne plus servir que Jésus-Christ en son Église.

« Je me suis confié à l’Église comme un enfant à sa mère, raconte-t-il dans ses Mémoires et Récits, pour tout recevoir d’elle et de nul autre qu’elle. Or, inoubliable merveille, elle a répondu à mon attente, m’a adopté pour l’un des siens (...). Parce que j’ai vécu, j’ai reçu mon premier héritage catholique et ma première empreinte cléricale dans l’Église de toujours, en l’absence de toute con­testation et division. Je peux donc dire que je suis, de cette Église, l’enfant légitime, le témoin véridique et fidèle. » (Mémoires et Récits, t. II, “ Grâce inestimable ”)

Dès l’année suivante, 1944, ce sera la révolution et le début de la décadence de l’Église de France. Lorsque nous entrerons à notre tour au séminaire, frère Gérard et moi, en 1956, le climat aura déjà bien changé.

Ici, il faut que je vous raconte une histoire. C’était en 1963, au séminaire des Carmes. Je devais accomplir un exercice d’éloquence. Je ne trouvai rien de mieux que d’apprendre par cœur une Lettre à mes amis du Père sur l’amour de l’Église et de la réciter devant les profes­seurs et les élèves assemblés.

« La seule pensée d’appartenir à l’Église suffit à renouveler la jubilation de notre âme, car l’Église est sainte, semblable à son Époux Jésus-Christ dont elle a reçu une telle ressemblance qu’il n’y a rien au monde d’aussi beau, d’aussi sage, d’aussi majestueux que son visage et tout son être. Elle est notre Mère, et j’ajoute : elle est l’Épouse unique, incomparable, elle seule est sainte, sage, sublime, laissant loin dans leurs ténèbres décevantes fausses religions et philosophies. En elle se trouve réuni et prospère tout ce que le monde a de meilleur. Les divers biens qui composent la civilisation et la culture, la prospérité et la science, les techniques et les arts même nous viennent d’elle qui les a créés ou, dans une moindre mesure, sauvés des sociétés éphémères où d’abord ils avaient paru. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve d’assurance qu’en elle. Ses deux mille ans de gloire, son expansion merveilleuse jusqu’aux extrémités de la terre répondent à mes doutes et calment mes inquiétudes. Il y a là une force divine, mais c’est trop peu dire... En cette Épouse vit l’Esprit de son Époux (...). L’Église en tout elle-même rayonne de la vie, de la santé, de la splendeur de Jésus-Christ et l’enfant revient sans cesse en ses bras, boire aux mamelles gonflées du lait de sa doctrine et de sa charité. »  (Lettre à mes amis n° 134, 19 mars 1963)

Avec un tel texte, j’espérais une bonne note. Eh bien ! que croyez-vous qu’il arriva ? Le soir, notre supérieur, Monsieur Tollu, me descendit en flammes devant tous mes confrères : « Elle est belle, votre Église : les Croisades, l’Inquisition... ! » Et tous les thèmes du Concile qui avaient triomphé dès la première session de 1962.

Un tel mauvais esprit, de la part d’un supérieur de séminaire, m’a abasourdi. Mais depuis, nous en avons entendu d’autres. Jusqu’au pape François, se rendant il y a trois semaines au Canada, pour y demander pardon aux Indiens pour le mal que leur ont prétendument fait les missionnaires ! Ce règne du mensonge dans l’Église, cette haine de son passé, ce dégoût d’elle-même sont des symptômes d’un mal bien plus profond. Car l’Église est malade.

« MA CROIX »

Certes, nous sommes enfants de l’Église, c’est notre joie. Mais nous sommes les enfants d’une Église malade et c’est là notre croix.

En 1969, notre Père a décrit l’apparition de ce mal dans l’une de ses Pages mystiques les plus poignantes :

« Le malheur est venu. D’abord cachée, la maladie que nous craignions s’est emparée de ce corps, inexorablement. Voilà dix ans que nos craintes augmentent avec notre affliction. D’abord, sa beauté en reçut un éclat pathétique et l’énergie qu’elle montrait nous la faisait admirer davantage. » (Page mystique n° 12, “ Cette maladie ne va pas à la mort ”, juin 1969)

Frère Thomas nous racontera cette lutte de plus en plus dramatique de l’Église contre la Révolution : l’Église contre-révolutionnaire.

Cette défense héroïque culmine en la personne de saint Pie X, que vous découvrirez lors d’un cratère. Dès son encyclique inaugurale, en 1903, il a très clairement désigné le mal qui était en passe de contaminer l’Église entière :

« Cette maladie, Vénérables Frères, vous la connaissez, c’est, à l’égard de Dieu, l’abandon et l’apostasie (...). L’homme, avec une témérité sans nom, a usurpé la place du Créateur en s’élevant au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu. C’est à tel point que, impuissant à éteindre complètement en soi la notion de Dieu, il secoue cependant le joug de sa majesté et se dédie à lui-même le monde visible en guise de temple, où il prétend recevoir les adorations de ses ­semblables. »

La maladie de l’Église, c’est le « culte de l’homme ». Proclamé par Paul VI dans son discours de clôture du Concile le 7 décembre 1965, en toutes lettres : « Oui, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme ! »

Car, saint Pie X mort, l’infection va se propager irrémédiablement et triompher dans toute l’Église à l’occasion du concile Vatican II, entre 1962 et 1965. Depuis, l’Église est la « ville à moitié en ruine » montrée par Notre-Dame de Fatima le 13 juillet 1917 en grand “ secret ” aux enfants.

C’est frère François qui nous expliquera cette destruction systématique de l’Église et les multiples symptômes de sa terrible maladie : autonomie de l’homme et mépris de la Très Sainte Vierge Marie, liberté religieuse, et donc interreligion, et l’apostasie qui s’ensuit.

Notre Père poursuit son allégorie :

« L’épreuve est devenue trop lourde. Son corps marbré de taches sombres, ses membres déformés la rendaient pitoyable. Bientôt la peau tendue à l’extrême se fendit. De grands jets de pus, de sang et de chair l’inondaient, d’une effroyable odeur. Nous la soignons de notre mieux, avec les mêmes gestes que nous lui avons vu faire autrefois pour nous, et nos larmes se mêlent à son sang (...).

« Ce n’est pas le souvenir de sa beauté passée, de ses bontés révolues qui me tient près d’elle, la défendant contre ses ennemis, mettant dehors les charlatans, suppliant les vrais médecins, encourageant ses derniers enfants fidèles. Parfois passe dans son regard un rai de lumière, quelque chose du cher sourire, de la tendresse immense de jadis. Un instant je la retrouve, puis l’ombre revient et tout n’est plus que laideur et horreur, gémissements, malédiction. »

Ce sourire fugitif de l’Église notre Mère, notre Père le reconnaîtra neuf ans plus tard dans les trente-trois jours de pontificat de Jean-Paul Ier, le Pape du sourire, l’élu du Cœur Immaculé de Marie. Sa béatification, en septembre dernier, sera encore comme un rai de lumière dans le regard éteint de l’Église. Nous regarderons un montage sur Albino Luciani, qui vous le fera irrésistiblement aimer, et aimer l’Église à travers lui. Souffrant de la crise de l’Église, il n’en discernait pas les causes comme notre Père. Il nous a néanmoins donné l’exemple d’une même persévérance au chevet de l’Église, jusqu’à mourir martyr de son dévouement.

« MA GLOIRE »

Jean-Paul Ier et frère Georges de Jésus-Marie furent deux enfants de l’Église, ce fut leur joie ; enfants d’une Église malade, ce fut leur croix. Mais ils demeurèrent fidèlement auprès d’elle, à son service : ce fut leur gloire.

Retrouvons notre Père après son ordination sacerdotale. Au bout de dix ans de ministère, passés à observer la prolifération du progressisme dans l’Église, il en arrivait à voir le mal dans sa pro­fondeur. « Celui qui a vu cela ne peut plus se taire », s’écria-t-il ! (Lettre à mes amis n° 58) Il dénonça donc l’hérésie progressiste dans une magistrale série de Lettres à mes amis, intitulée Le Mystère de l’Église et l’Antichrist. Frère Louis-Gonzague nous introduira dans ce monument de doctrine qui constitue le prologue de la Contre-Réforme catholique au XXe siècle.

« Seul l’amour violent que j’ai pour ma Mère me porte à déchirer, arracher de sur son visage et son corps magnifiquement ornés par Dieu même, les oripeaux infâmes, les voiles souillés et sacrilèges dont le Monde et le Siècle prétendent les recouvrir (...). J’irai jusqu’au bout de mon cri, je plaiderai pour ma Mère. » (Lettre à mes amis n° 134 du 19 mars 1963)

Ce cri de l’abbé de Nantes contre l’apostasie fait écho à celui que poussa, deux mille huit cents ans plus tôt, le prophète Élie : « Il est vivant, Yahweh, le Dieu d’Israël, devant qui je me tiens ! » (1 R 17, 1)

L’amour jaloux de notre Père pour l’Église sa Mère, prostituée au monde moderne et au culte de l’homme, répond à celui du grand prophète, seul fidèle à Yahweh au milieu d’une génération adultère. Déjà, à l’époque, le peuple de Dieu mêlait la religion véritable aux cultes immondes des idoles.

« Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahweh Sabaot », s’écriait le prophète !

Notre frère Henry a choisi cette parole brûlante pour titre de son oratorio, cette année : Élie ou le zèle jaloux de la gloire de Dieu.

Au fil des répétitions et en écoutant le commentaire que je vous en donnerai chaque matin, vous découvrirez des parallèles étonnants entre le Père du Carmel et notre Père. L’oratorio raconte le grand combat de la vie du prophète ; en filigrane, nous y reconnaîtrons “ la grande affaire ” de la vie de notre docteur mystique de la foi catholique. Une même vocation les anime en effet : dénoncer l’apostasie et ramener à Dieu son peuple, l’Israël de l’Ancienne Alliance comme l’Église de la Nouvelle et Éternelle Alliance.

Par la grâce de la musique de notre frère, à force d’application à l’exécuter parfaitement, la sainte intransigeance des envoyés de Dieu s’imprimera en nous, pour refuser toute altération de la vérité, même seuls contre tous !

Deux conférences retraceront le combat de notre Père pour l’Église. La première vous montrera comment il s’opposa à la révolution du concile Vatican II, par la plume et par l’action. Sur le moment même, depuis Saint-Parres-lès-Vaudes ! Il a tout vu, tout compris, tout expliqué. Face à l’hérésie répandue dans l’Église, sans considération pour lui-même, il s’est adressé à la hiérarchie, à son évêque, puis au Saint-Office, que l’on a rouvert pour lui ! Et finalement, pour obtenir un jugement et dénouer, résoudre cette crise inouïe, notre Père a fait appel à celui qui en était le principal responsable : le pape Paul VI, infaillible en son magistère solennel. Quel magnifique acte de foi dans l’Église !

Ce n’est pas tout. Reprenons notre page mystique de 1969 :

« Nous n’aurions pu imaginer le pire, que notre Mère en vint à perdre l’esprit. Quand dans son délire elle nous lança les mots les plus pénibles, nous eûmes beau nous répéter qu’elle n’était pas dans son sens, un trouble affreux s’empara de nous. Plusieurs de ceux qui avaient supporté les veilles, la fatigue des soins incessants, la puanteur des plaies se laissèrent envahir par le doute et le découra­gement. Ils abandonnèrent le chevet d’une mère qui, dans son inconscience, appelait des amants imaginaires et déchirait la main caressante de ses fils, ne les voulant plus reconnaître pour siens. »

La conférence suivante vous décrira le combat sur deux fronts mené par notre Père après le Concile, “ in medio Ecclesiæ ”. Il s’agissait non seulement de préparer la restauration de l’Église par un concile Vatican III réparateur, mais aussi, en attendant, d’empêcher le plus possible de catholiques de faire schisme, d’abandonner cette Mère devenue tellement repoussante. « Nous ne sommes pas les sauveurs de l’Église, répétait-il, c’est elle qui est encore et toujours notre salut. » (CRC n° 25, octobre 1969).

À qui irions-nous ?

« Je sais que je resterai auprès d’elle, vénérant, aimant, servant cette Église dégoûtante de pourriture, en décomposition, parce qu’elle est, aujourd’hui comme hier et pour l’éternité, l’Épouse unique et bien-aimée de mon Seigneur. Je regarde la Croix et je vous y vois, semblable à elle maintenant. Comment l’abandonnerais-je ? Je suis sûr qu’au plus profond de cette putréfaction, par-delà ce délire, son Cœur voilé est le même, virginal et ardent, l’Esprit reste Saint, la Vie, la vie divine lutte invinciblement contre le terrible assaut du Mal. Demain, oui demain, la guérison se fera. C’est pour elle aujourd’hui que nous entendons votre prophétie :  Cette maladie ne va pas à la mort ; elle est pour la gloire de Dieu : par elle le Fils de l’Homme doit être glorifié.  L’Église se relèvera ! »

Comment cela ? Je vous le dirai en conclusion du camp. Mais je peux déjà vous annoncer que ce sera un miracle du Cœur Immaculé de Marie ! C’est pour cela que cette année, nous célébrerons sa fête liturgique, le 22 août, encore plus solennellement que de coutume !

« L’Église se relèvera ! Du long cauchemar ne lui resteront plus que les stigmates de ses plaies glorieuses à la ressemblance des vôtres, et dans son regard un feu plus profond d’indicible tendresse pour son Époux qui l’aura sauvée de la mort.

« Et je crois que nous la chérirons davantage encore après ce calvaire. Vous son Époux, et nous ses enfants. C’est en rêvant de ce jour que nous demeurons près d’elle dans la nuit. »

Telle est la grâce que vous recevrez de ces dix jours de retraite, avec le Bon Secours de Notre-Dame de Fatima, notre Mère à tous, à jamais.

Ainsi soit-il !

frère Bruno de Jésus-Marie.

CETTE MALADIE NE VA PAS À LA MORT

« Infirmitas hæc non est ad mortem, sed pro gloria Dei, ut glorificetur Filium Dei per eam. » (Jn 11, 4)

Ô Verbe fait chair, divin Époux de l’Église, je ne sais qui de vous deux j’aime le plus mais  qu’importe, puisque vous ne faites qu’un ! C’est elle qui m’a appris, enfant, votre Nom délicieux et vos mystères, mais plus tard c’est par vous que j’ai connu son Esprit et son cœur. Elle est née de votre flanc ouvert, cette nouvelle Ève, comme l’invention de votre amour. Mais à travers les siècles son dévouement, sa fidélité, sa tendresse ont répondu éloquemment aux vôtres.

Quel privilège d’avoir été dès ma jeunesse confié à elle seule ! Elle était belle, en ce temps-là, ma sainte et vierge Mère. J’étais enchanté de ses enseignements, de ses prières et de ses chants. Mon âme jubilait dans les torrents lumineux de son immense sagesse. Si j’évoque l’âme de l’Église, je suis intarissable ; si j’énumère les beautés de son corps, je n’en finirai plus. Je vous ai chéri, ô Jésus, dans les paroles enflammées de vos prédicateurs, dans la vie des saints qui furent vos confidents, et sur les visages resplendissants de tant d’amis merveilleux ne vivant que pour vous dans l’Église. En ce temps-là j’aimais tous vos prêtres d’un égal amour, je vénérais les vierges consacrées, je me sentais en famille parmi vos fidèles. Les sanctuaires, les statues, les ornements et les vases précieux sont les bijoux et le vêtement et la demeure de cette Mère spirituelle dont la sagesse m’a nourri jusque par la splendeur et l’ordre imprimés dans les marbres et l’or. J’ai grandi, nourri de ses bontés. Et je vous bénis d’avoir connu l’Église dans ce printemps de ma jeunesse et de la sienne, quand se lisaient en tout son être la gloire sereine et le bonheur d’une épouse comblée. Je devinais quel amour unique était son secret.

Le malheur est venu. D’abord cachée, la maladie que nous craignions s’est emparée de ce corps, inexorablement. Voilà dix ans que nos craintes augmentent avec notre affliction. D’abord sa beauté en reçut un éclat pathétique et l’énergie qu’elle montrait nous la faisait admirer davantage. Mais l’épreuve est devenue trop lourde. Son corps marbré de taches sombres, ses membres déformés la rendaient pitoyable. Bientôt la peau tendue à l’extrême se fendit. De grands jets de pus, de sang et de chair l’inondaient, d’une effroyable odeur. Nous la soignons de notre mieux, avec les mêmes gestes que nous lui avons vu faire autrefois pour nous, et nos larmes se mêlent à son sang. Nous n’aurions pu imaginer le pire, qu’elle en vînt à perdre l’esprit. Quand dans son délire elle nous lança les mots les plus pénibles, nous eûmes beau nous répéter qu’elle n’était pas dans son sens, un trouble affreux s’empara de nous. Plusieurs de ceux qui avaient supporté les veilles, la fatigue des soins incessants, la puanteur des plaies se laissèrent envahir par le doute et le découragement. Ils abandonnèrent le chevet d’une mère qui, dans son inconscience, appelait des amants imaginaires et déchirait la main caressante de ses fils, ne les voulant plus reconnaître pour siens.

Par quelle grâce suis-je resté, moi le plus indigne, qui supporte si mal la peine, les dévouements obscurs, l’ingratitude ? Ce n’est pas le souvenir de sa beauté passée, de ses bontés révolues qui me tient près d’elle, la défendant contre ses ennemis, mettant dehors les charlatans, suppliant les vrais médecins, encourageant ses derniers enfants fidèles. Parfois passe dans son regard un rai de lumière, quelque chose du cher sourire, de la tendresse immense de jadis. Un instant je la retrouve, puis l’ombre revient et tout n’est plus que laideur et horreur, gémissements, malédictions. J’ai peur d’y sombrer à mon tour. Mais je sais que je resterai auprès d’elle, vénérant, aimant, servant cette Église dégoûtante de pourriture, en décomposition, parce qu’elle est, aujourd’hui comme hier et pour l’éternité, l’Épouse unique et bien-aimée de mon Seigneur. Je regarde la Croix et je vous y vois, semblable à elle maintenant. Comment l’abandonnerais-je ? Je suis sûr qu’au plus profond de cette putréfaction, par-delà ce délire, son Cœur voilé est le même, virginal et ardent, l’Esprit reste Saint, la Vie, la vie divine lutte invinciblement contre le terrible assaut du Mal. Demain, oui demain, la guérison se fera. C’est pour elle aujourd’hui que nous entendons votre prophétie : « Cette maladie ne va pas à la mort ; elle est pour la gloire de Dieu : par elle le Fils de l’Homme doit être glorifié »... L’Église se relèvera ! Du long cauchemar ne lui resteront plus que les stigmates de ses plaies glorieuses à la ressemblance des vôtres, et dans son regard un feu plus profond d’indicible tendresse pour son Époux qui l’aura sauvée de la mort.

Et je crois que nous la chérirons davantage encore après ce calvaire. Vous son Époux, et nous ses enfants. C’est en rêvant de ce jour que nous demeurons près d’elle dans la nuit.

Abbé Georges de Nantes
Page mystique n° 12, juin 1969.