Il est ressuscité !
N° 238 – Décembre 2022
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2022
Sainte Église notre Mère
Le grand projet divin
« Une épouse qui t’aime, mon Fils, j’aimerais te donner.
Qui, grâce à toi, vivre avec nous puisse mériter
Et manger à la même table du même pain dont je me nourris,
Pour qu’elle connaisse les biens que j’ai en un tel Fils
Et que, de ta grâce et de ta vigueur, avec moi, elle s’éjouisse. »
Telles sont les paroles que saint Jean de la Croix prête à Dieu le Père dans son poème mystique du Romancero, expliquant ainsi comment est né du cœur du Père le projet de donner à son Verbe une épouse tout habitée par leur Esprit commun.
Saint Jean de la Croix pensait à l’Église.
Quatre siècles plus tard, un autre docteur de l’Église applique ces paroles à la plus belle et la plus parfaite de toutes les créatures, la Vierge Marie, vénérée de tradition immémoriale comme l’Immaculée Conception, définie par Pie IX comme un dogme, en 1854, confirmée par la Vierge Marie elle-même à Bernadette en 1858 : « Je Suis l’Immaculée Conception. »
« Une épouse qui t’aime, mon Fils, j’aimerais te donner. » De toute éternité, « le Fils, dans le sein du Père, est dans une paix parfaite sans aucun désir, sans aucun trouble, parce qu’Il est la Parole même, subsistante et parfaite de la Sagesse du Père. Le Fils et le Père sont dans la joie à cause de leur Amour mutuel qui est l’Esprit-Saint. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne désirent rien d’autre que cette vie infiniment parfaite, sainte, heureuse et glorieuse de leur éternité. »
Mais voilà que ces trois Personnes, dans une initiative d’amour inexplicable, jaillie du cœur, décident de donner vie à une créature : l’Immaculée Conception, l’épouse que le Père veut donner à son Fils. « Dieu pense à une épouse dont toute la nature la portera vers Lui dans un immense mouvement d’accueil, de tendresse, de chaleur. Elle sera sa servante, et Lui, dans sa grâce, l’élèvera jusqu’à faire d’elle son épouse. » Elle sera donc tout amour. Or l’Amour est l’Esprit-Saint. Elle sera donc l’habitacle de cette troisième Personne de la Sainte Trinité.
« Qui, grâce à toi, vivre avec nous puisse mériter et manger à la même table du même pain dont je me nourris. » La Vierge, tout amour, va pour ainsi dire « manger le Verbe » s’incarnant dans son sein, en attendant de communier de la main des Apôtres lorsqu’ils célébreront l’Eucharistie après la Pentecôte.
Saint Jean de la Croix pense à l’Église nourrie de Jésus Eucharistie, qui n’est autre que le Verbe fait chair dans le sein de Marie.
C’est donc Elle qui commence à se nourrir de ce Pain du Ciel en le concevant dans son sein.
Or, pour préparer cette conception virginale, Dieu créa Adam et Ève.
En leur état de sainteté et de justice originel, nos premiers parents étaient homme et femme pour figurer ce que seraient la Vierge Marie et son Fils lorsque Celui-ci se serait incarné. L’amour mutuel d’Adam et Ève était donc le fruit de cet amour de Dieu pour l’Immaculée et devait les conduire à Lui rendre amour pour amour eux et leurs enfants, dans le sein de l’Église.
Tel était le projet de Dieu, magnifique. « Un coup de maître ! » disait notre Père. Pour qu’il réussisse, il suffisait que nos premiers parents obéissent à Dieu comme leur Père.
LA FAUTE ORIGINELLE.
Mais voilà qu’Adam et Ève ont désobéi. Sur l’instigation de Satan, ils ont commis une faute abominable de rébellion contre Dieu. Cet événement du péché est considérable, horrible à la mesure des horribles suites qui en sortiront dans toute l’histoire du monde et dans chacune de nos vies. Il faut mesurer l’horreur du péché pour peser en contraste la Charité de Dieu qui, par la médiation salvatrice de l’Immaculée, va accepter d’assumer cette épouvantable insulte et se retenir de briser définitivement l’alliance originelle en laissant l’humanité dans son malheur terrestre et éternel. Au contraire, à cause de l’Immaculée qui était le fleuron de son œuvre et qui s’est interposée pour nous, notre Bon Dieu a décidé de tout restaurer, tout relever pour que son Fils puisse quand même s’incarner en Marie et par Elle, épouser l’humanité qu’Il rachètera, pour en faire son Église.
C’est pourquoi l’annonce même du châtiment de nos premiers parents est accompagnée de la certitude d’un salut ; un fil d’or d’espérance va courir tout au long de l’Histoire sainte jusqu’à nous : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Elle t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon. » (Gn 3, 15)
Dès lors, de la Genèse à l’Apocalypse, la Bible raconte le combat de cette Femme et de sa « semence », c’est-à-dire toute la famille que l’Immaculée a reçue de Jésus-Christ, contre le Serpent, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin. Dans cette lutte, le salut est de renaître enfant de Marie. Notre vocation est de revêtir la nature et la condition même du Christ sauveur Fils de Marie dans une nouvelle Alliance sainte, plus parfaite encore que n’était la première alliance de Dieu avec Adam.
I. DIEU REPREND SON DESSEIN
Les suites de l’histoire humaine sont lamentables. Au point que Dieu « se repent d’avoir fait l’homme » (Gn 6, 6), car sa déchéance est pour ainsi dire irrémédiable. Seule la fidélité surnaturelle d’un tout petit nombre de protégés de Dieu, qui ont suivi la bonne loi de leur conscience, empêche l’échec définitif du plan divin. Ainsi d’Abel (Gn 4, 1-8), d’Hénok (Gn 5, 21-24), et de Noé construisant son arche avant le déluge (Gn 7, 7). Leurs histoires sont des annonces prophétiques mais lointaines de l’Église échappée par grâce à la corruption universelle du genre humain.
Et quand, à Babel, les hommes tentent de reconstruire l’unité de la famille humaine contre Lui, Dieu disperse cet effort de l’homme (Gn 11, 9). Jusqu’à l’Apocalypse, dernier livre de l’Écriture, la Parole de Dieu définit l’Église par son opposition totale et surnaturelle à Babel, la Cité de Satan.
L’ALLIANCE AVEC ABRAHAM.
Dieu choisit Abraham, un Araméen nomade, et lui promet une descendance et un pays : la Terre de Canaan. Dieu l’arrache à son pays, ses traditions, son culte païen et, en récompense de sa foi, lui promet son Alliance éternelle. Abraham obéit. Rompant toutes ses attaches terrestres, il suit les voies migratoires de l’époque vers les gras pâturages pour paître les troupeaux... Mais il le fait sur l’ordre de Dieu qui lui a promis une postérité et une terre :
« Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront... C’est à ta postérité que je donnerai ce pays. » (Gn 12, 2-7)
Et Dieu tient sa promesse : Il conclut une alliance avec Abraham (Gn 15, 18) et lui accorde la naissance miraculeuse d’un fils de qui doit lui venir sa postérité. Pourtant, quand il reçoit ensuite l’ordre divin de sacrifier ce fils unique, Isaac, Abraham n’hésite pas à obéir. Ce “ sacrifice d’Abraham ” annonce celui que Dieu a prévu pour racheter les péchés du monde entier : le sacrifice de Jésus, son propre Fils, Prêtre et Victime, Dieu fait homme, fondateur de l’Église à laquelle l’homme devra adhérer avec la même foi qu’Abraham pour être sauvé.
Dieu lui demande de marquer sa race par un signe visible qui la distinguera des autres : la circoncision, figure du baptême à venir qui ne concernera plus la chair mais l’âme. En attendant, cette opération chirurgicale manifeste que ce peuple est l’objet de la tendresse de Dieu. Il sera seul objet des bénédictions divines, non par ses mérites mais par pure miséricorde.
Peu à peu, Yahweh se révèle à son peuple, non pas en se montrant lui-même, mais en inspirant les patriarches, les rois, les prophètes. Ils ont quelque part à ses attributs, à son autorité, à son pouvoir de Père. C’est déjà la préfiguration de l’autorité hiérarchique que Dieu instituera dans son Église où, par fonction, le Pape et les évêques recevront de Dieu une grâce, un charisme, pour diriger l’Église.
Remarquez que c’est le contraire de ce que prétendra le Concile selon lequel il y a d’abord le Peuple, et de ce Peuple donné tout constitué, tout illuminé, tout sanctifié, émane une hiérarchie, par l’action directe, invisible et illimitée de l’Esprit-Saint ! Une telle pensée est tout à fait antibiblique, comme le montre l’histoire de Moïse, le grand médiateur de son peuple.
L’ALLIANCE MOSAÏQUE.
Moïse a reçu la vocation de révéler à son peuple l’Existence de « Je suis Je Suis » (Ex 3, 14). Par la puissance de ce Nom, il délivre son peuple de l’esclavage de l’Égypte. Cette délivrance miraculeuse apparaît comme l’acte créateur du “ peuple de Dieu ” qui devient une société religieuse fondée sur la race et sur la foi en « Je Suis ». Il transforme ce « ramassis de gens » (Nb 11, 4) en une communauté nouvelle hiérarchisée : sur l’ordre de Dieu, Moïse établit un chef pour chacune des douze tribus, puis des chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines (Ex 18, 25).
Car ce peuple, Yahweh se l’est consacré par une alliance, par pur amour. Yahweh dit à Moïse : « Tu déclareras aux enfants d’Israël : “ Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Égyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d’aigle et amenés près de moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi. Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. ” » (Ex 19, 3-6)
Et le peuple accepte cette alliance scellée dans le sang des taureaux : « “ Tout ce que Yahweh a dit, nous le ferons et nous y obéirons. ” Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : “ Ceci est le sang de l’Alliance que Yahweh a conclue avec vous moyennant toutes les clauses. ” » (Ex 24, 7-8)
Yahweh réserve aussi à son service la tribu de Lévi pour les sacrifices rituels (Exode 28 et 29). C’est l’ancêtre de notre clergé. Là non plus, n’en déplaise au Concile, ces prêtres ne sont pas choisis par le peuple pour être mis à son service mais, de par leur consécration, ils sont établis par Dieu au-dessus du peuple pour exercer leur médiation sacerdotale.
Yahweh donne également une Loi à Israël, chose nouvelle et unique puisque les hommes n’avaient jusque-là que leur conscience intime pour choisir le bien et rejeter le mal. Cette Loi extérieure forme en ce peuple une sorte d’âme commune capable de le faire vivre selon le bien, à l’étonnement des autres peuples : « Il n’y a qu’un peuple sage et avisé, c’est cette grande nation ! » (Dt 4, 6)
Par mille interventions de sa Toute-Puissance, Yahweh convainc les Hébreux de la réalité formidable de sa Présence divine, agissante, et en laisse deviner quelque chose aux autres peuples, afin que les meilleurs croient et que les méchants tremblent.
Plus tard, Yahweh donne un roi à son peuple, David, roi aimé de Dieu, pieux, bon et juste, à qui il promet : « Je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j’affermirai sa royauté et son trône subsistera à jamais. » (2 S 7, 13) Plus tard, le souvenir de David laissera pressentir aux auteurs inspirés l’image du Messie qui doit venir de sa descendance : un Roi victorieux, doux et juste, Fils de Dieu et prêtre.
LA PURIFICATION DE L’ÉPOUSE.
Mais les Hébreux trahissent continuellement cette Alliance. Peuple « à la nuque raide » (Ex 32, 9 ; Ba 2, 30), ils s’enorgueillissent, réclament davantage, passent toute mesure. Dieu ne peut supporter cela : il ne faudrait tout de même pas que l’homme oublie qu’il n’est qu’une créature ! C’est pourquoi Dieu les châtie, mais au-delà de cette sévérité on découvre son Cœur, sa patience à supporter tant de révoltes, sa ténacité à maintenir ce grand projet auquel Israël fait toujours obstacle par ses rébellions, son infidélité, ses idolâtries.
Les prophètes compareront ces idolâtries aux adultères éhontés d’une femme qui a pourtant tout reçu de son Époux divin. Osée et Ézéchiel fustigeront les “ prostitutions ” d’Israël qui attirent la colère de Dieu et ils annonceront le châtiment imminent : « J’agirai envers toi comme tu as agi, toi qui as méprisé le serment jusqu’à violer une alliance. » (Ez 16, 59)
Alors, le châtiment annoncé tombe, implacable. L’Exil (586-538) paraît briser le beau projet de Dieu en révélant que les juifs sont indignes de l’Alliance et même qu’il n’existe pas vraiment de “ peuple de Dieu ” là où chacun suit sa voie égoïste sans se soucier de correspondre à son amour.
En réalité, cet exil entre encore dans le plan divin, car les prophètes l’avaient annoncé comme une purification de l’épouse adultère pour la faire revenir à son premier amour : « C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur [...]. Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme aux jours où elle montait du pays d’Égypte », avait prédit Osée (2, 16-17). Quant à Ézéchiel, il annonçait un retour en grâce de la créature pécheresse après son repentir : « Mais moi, je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse et j’établirai en ta faveur une alliance éternelle. » (Ez 16, 60)
On voit bien à travers ces oracles que la religion est une affaire de cœur en vue d’une union avec notre Dieu ! C’est la seule chose qui compte pour le Bon Dieu, et donc cela explique qu’après cinquante ans d’un dur exil, en retrouvant une Jérusalem sous domination étrangère, spoliés de leurs biens, les fidèles yahwistes ne recouvreront pas leur prospérité d’autrefois, comme l’aurait fait attendre une interprétation charnelle des prophéties passées. D’abord parce que Dieu ne veut pas prendre le risque de soumettre Israël aux mêmes tentations, mais plus encore pour lui faire accomplir un progrès spirituel, toute la grandeur terrestre de ce peuple n’ayant été qu’une image des bienfaits spirituels dont son Dieu voulait le combler. Yahweh laisse donc le “ petit reste ” de son peuple dans cette condition humiliée, en lui laissant espérer une juste rétribution de sa fidélité. Il ne retrouvera pas non plus son roi, Dieu se réservant lui-même d’être le Bon Pasteur de son peuple (Ez 34, 11) jusqu’à la venue du Messie : « Voici venir des jours – oracle de Yahweh – où je susciterai à David un germe juste ; un roi régnera et sera intelligent, exerçant dans le pays droit et justice. » (Jr 23, 5)
Et de fait, dans l’attente d’une restauration complète de la grandeur d’Israël, en l’absence de prophètes et de chefs merveilleux, ces juifs de condition modeste, pieux et abaissés, vont comprendre que la communauté sainte est encore l’œuvre de l’amour de Dieu, animée par la vie cultuelle autour du Temple et par une obéissance fervente à la Tôrâh.
C’est dans ce retour au culte extérieur et intérieur envers Yahweh que les “ pauvres ” d’Israël, en hébreu anawîm, trouvent toute leur consolation, comme on le voit dans les psaumes. En particulier lorsqu’après la révolte victorieuse des Maccabées, les juifs se divisent en sectes et en partis. Les anawim, petite communauté de fervents perdus dans un monde dépourvu d’esprit religieux, sceptique et jouisseur, a conscience de représenter le nouvel Israël, le vrai peuple de Dieu, le petit reste annoncé par les Prophètes, seul héritier des Promesses.
Le Cantique des cantiques est l’une des plus belles expressions de cette aspiration profonde d’Israël à ce que Dieu se fasse homme pour qu’on le voie, qu’on l’entende, qu’on le touche et qu’on l’embrasse : l’Ancien Testament est tout tourné vers le Nouveau, tout l’élan prophétique de la Révélation est tourné vers l’Incarnation du Fils de Dieu :
« Ah ! que ne m’es-tu un frère,
allaité au sein de ma mère !
Te rencontrant dehors je pourrais t’embrasser... » (Ct 8, 1), s’exclame la bien-aimée dans le dernier poème.
II. L’INCARNATION DU MESSIE,
FILS DE DIEU ET FILS DE MARIE
C’est exactement cette prière qu’exauce l’Annonciation, quand le Fils de Dieu s’incarne dans le sein de la Vierge Marie, Fille d’Abraham. Nous avons vu, en commençant, que le Bon Dieu était comme fiancé à l’Immaculée et que c’était à cause de son amour pour Elle qu’Il avait mis en branle toute l’œuvre de la création et de la rédemption. Donc, quand le moment solennel est venu de relever l’humanité de son état de corruption, quand son peuple est enfin prêt à recevoir cette révélation, il faut qu’Elle soit là, qu’Elle ait le rôle principal et que ce soit après Elle, par Elle, en Elle, que Dieu noue une nouvelle et éternelle Alliance.
Le Fils de Dieu épouse donc la nouvelle Ève, avec son consentement, et cela d’une façon absolument incomparable, divine, qui consiste à se faire son Enfant. C’est une union conjugale qui n’a jamais eu d’équivalent. Certes, il devient son Fils selon la chair, mais il est bien l’Époux car il garde en tout l’initiative, étant également son Créateur, son Maître, son Seigneur... caché dans son sein ! C’est l’union mystérieuse que prophétisa Jérémie : « Une femme entourera un homme en elle. » (31, 22) Ils sont ainsi « deux en une seule chair », ce qui est bien la définition du mariage selon la Bible.
Les enfants de ce mariage mystique ne seront pas selon la chair, mais selon l’Esprit dont Elle est l’habitacle translucide. Ce seront les membres bien disposés d’Israël puis, au-delà d’Israël, les âmes de bonne volonté qu’Il doit se rassembler comme en un seul Corps afin de le faire vivre de sa vie divine et de son Précieux Sang, donné par sa Mère. Nous assistons là au passage de l’Ancien au Nouveau Testament. C’est la plus grande mutation de notre histoire.
JEAN-BAPTISTE, AMI DE L’ÉPOUX.
Entrant dans sa vie publique, Jésus apparaît tout de suite comme l’Époux légitime. Il est désigné comme le Messie par son précurseur, le dernier et « le plus grand des prophètes » (Lc 7, 28). C’était d’ailleurs la vocation de Jean-Baptiste de lui « préparer un peuple bien disposé » (Lc 1, 17) en appelant les juifs à un baptême de conversion (Mt 3, 5-6). Il désigne Jésus comme « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1, 29), par quoi il fait référence à la prophétie d’Isaïe comparant le Messie à un agneau frappé pour le crime de son peuple (Is 53, 7-8).
Non seulement Jean le désigne comme le Messie, mais Dieu lui-même authentifie la mission de Jésus par une théophanie le jour de son baptême (Mt 3, 16-17). Dès lors, la transition de l’Ancien au Nouveau Testament se fait comme naturellement, et les disciples de Jean sont conduits à suivre Jésus, tout séduits qu’ils sont par sa divine simplicité. Jean-Baptiste laisse éclater son allégresse messianique :
« Un homme ne peut prétendre à rien qui ne lui soit donné du ciel. Vous-mêmes, vous m’êtes témoins que j’ai dit : “ Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui. ” Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. » (Jn 3, 27-29)
C’est sous le “ signe ” de ces épousailles que Jésus ouvre sa vie publique.
« Il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples.
« Or il n’y avait plus de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit : “ Ils n’ont pas de vin. ”
« Jésus lui dit : “ Qu’y a-t-il entre vous et moi, Vous ai-je jamais rien refusé ? Mais mon heure n’est pas encore venue. ” Sa mère dit aux servants : “ Tout ce qu’il vous dira, faites-le. ” »
Comprenons que Marie est la Mère de la communauté messianique et sa médiatrice. Elle est là, présente, elle voit que le vin (de l’Ancien Testament) vient à manquer ; et dès qu’elle voit et parle à Jésus, nous sommes sûrs d’être exaucés. Les serviteurs qui, eux, symbolisent les prêtres de l’Ancien Testament, l’ont très bien compris et obéissent avec confiance.
« Or il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures [environ 600 litres !].
« Jésus leur dit : “ Remplissez d’eau ces jarres. ” Ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : “ Puisez maintenant et portez-en au maître du repas. ” Ils lui en portèrent. »
La nouvelle Alliance sera précisément un repas de noces, et, dans ce repas de noces, Jésus donnera son Sang Précieux à ces malheureux époux humains. Qui sont l’image de qui ? De Lui et d’Elle ! Unis indissolublement. Jésus est le nouvel Adam, Marie la nouvelle Ève. Voilà ce que nous fait comprendre saint Jean qui n’en perd pas une miette, ou plutôt, une goutte !
« Lorsque le maître du repas eut goûté l’eau changée en vin – et il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les servants le savaient, eux qui avaient puisé l’eau – le maître du repas appelle le marié et lui dit : “ Tout homme sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent ! ” »
Le “ maître du repas ” est notre très chéri Père céleste, comme enivré Lui-même par le sacrifice de Jésus, excellent, parfait, et, à cause de cela, c’est toute l’humanité qui est réconciliée avec son Dieu.
« Tel fut le premier des signes de Jésus, il l’accomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Sa gloire, Il la manifestera surtout quand son « Heure » sera enfin venue, l’Heure de laisser jaillir le Sang de son Sacré-Cœur pour l’amour de son Père, de sa Mère et le salut des pécheurs.
L’ENSEIGNEMENT DE JÉSUS.
Mais d’abord, il lui faut disposer les cœurs à jouir de ces grâces. En cela aussi Jésus agit à la manière de l’Époux, en Maître et Seigneur, séduisant les âmes pures.
Comme Yahweh accomplissait des merveilles pour Israël, il inaugure son ministère en opérant de nombreux miracles et proclame « la Bonne Nouvelle du Royaume ». Cette expression désigne l’attente d’Israël que les prophètes n’ont cessé d’annoncer et que Jean-Baptiste déclarait tout proche (Mt 3, 2). Jésus enseigne avec une souveraine assurance qui frappe les foules « car il parlait avec autorité », dit saint Luc (4, 32). « Et non pas comme leurs scribes », précise saint Matthieu. Sa Parole est neuve, et cependant elle est dans la droite ligne de l’Ancien Testament qu’elle porte à sa perfection : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car je vous le dis, en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’ i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » (Mt 5, 17-18)
Son autorité, sa Sagesse lui viennent de son origine divine, comme il l’explique à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous n’accueillez pas notre témoignage. » (Jn 3, 11)
Avec la Samaritaine, une païenne ! Jésus est encore plus explicite : « JE SUIS, moi qui te parle. » (Jn 4, 26) « Il s’identifie par ce “ JE SUIS ”, en grec “ EGO EIMI ”, à YHWH, Dieu son Père. »
« C’était se révéler le Messie, et plus que le Messie. Pour Jésus, c’était tout révéler de lui, absolument tout dire à cette rien-du-tout personnifiant à ses yeux sa vieille race pécheresse, Samarie, et au-delà le monde païen immense, ouvert mystérieusement à la “ grâce de la Vérité ”, et prédestiné au salut qui devait jaillir bientôt de son flanc transpercé... » (Bible, archéologie, histoire, t. II, p. 143)
Avec les foules, Jésus se montre un Époux tendre et miséricordieux. Son enseignement est plus progressif, car Il ne veut pas que son royaume soit entendu comme une prise de pouvoir temporel. Il l’affirmera à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jn 18, 36) S’Il guérit les malades en quantité (Mt 4, 24), ses miracles manifestent d’abord sa puissance sur le démon (Mc 1, 27).
Chose inouïe, Il a aussi le pouvoir de remettre les péchés, œuvre de puissance surnaturelle, divine, dont on ne peut douter à cause des miracles.
« On vient lui apporter un paralytique, soulevé par quatre hommes. Et comme ils ne pouvaient pas le lui présenter à cause de la foule, ils découvrirent la terrasse au-dessus de l’endroit où il se trouvait et, ayant creusé un trou, ils font descendre le grabat où gisait le paralytique. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : “ Mon enfant, tes péchés sont remis. ” »
« Or, il y avait là, dans l’assistance, quelques scribes qui pensaient dans leurs cœurs : “ Comment celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème ! Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? ”
« Et aussitôt, percevant par son esprit qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit : “ Pourquoi de telles pensées dans vos cœurs ? Quel est le plus facile, de dire à un paralytique : ‘ Tes péchés sont remis ’, ou de dire : ‘ Lève-toi, prends ton grabat et marche ? ‘ Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t’en chez toi. ” »
« Il se leva et aussitôt, prenant son grabat, il sortit devant tout le monde, de sorte que tous étaient stupéfaits et glorifiaient Dieu en disant : “ Jamais nous n’avons rien vu de pareil. ” » (Mc 2, 3-12)
Jésus ne peut mieux prouver son autorité divine ! Quand Il fondera son Église et lui léguera en partie ses pouvoirs, on ne pourra aucunement contester sa légitimité à elle ni son origine céleste. Ni, surtout, sa puissance de sanctification des âmes.
De quoi parle-t-Il à cette foule assoiffée de l’entendre ? Du « Royaume de Dieu » qu’Il vient fonder. Il en donne la Charte sur « la montagne » (Mt 5, 1), comme Moïse, annonçant la Loi de Dieu sur le Sinaï. Il forme, au milieu du peuple ancien, un peuple nouveau sur le modèle... de sa propre Mère ! C’est le discours inaugural des “ béatitudes ” qui sont un portrait du Cœur Immaculé de Marie !
« Bienheureux les pauvres » car, possédant le Royaume de Dieu, ils deviendront les enfants de « son humble servante » (Lc 1, 48). « Bienheureux les doux, ils posséderont la terre », comme Marie le jour du recouvrement au Temple lorsqu’Elle retrouva son Fils après lui avoir fait un doux reproche. « Bienheureux les cœurs purs », ceux qui ressemblent au Cœur Immaculé de Marie. « Bienheureux » dès maintenant parce que vous êtes membres du Royaume, vous possédez l’espérance certaine de la béatitude à venir. En fait, le Royaume, c’est d’être avec Jésus et Marie ici-bas et dans le Ciel.
Qui sont ces bienheureux ? Jésus l’expliquera plus tard : ce sont ceux que le Père attire (Jn 6, 44), mais on peut déjà les distinguer dans leur condition actuelle par leur petitesse, leur humilité physique et matérielle qui les prédispose à s’ouvrir au Royaume, tandis que les riches ont toutes les malchances de passer à côté des biens spirituels. C’est pour ce royaume que depuis, de siècle en siècle, les chrétiens se sont dépossédés de leurs richesses, se sont liés par des vœux d’obéissance coûteux, sacrifiant leur nature pour être les heureux du Royaume, se sont voués à la chasteté pour être purs, parce que les purs verront Dieu, et seront persécutés à cause du Christ, ce qui est bien le sceau de leur appartenance au Royaume.
Parce qu’Il est l’Époux, Jésus délivre ces anawim du matérialisme des sadducéens : « Malheur à vous, les riches ! Malheur à vous, les repus ! vous qui riez ! » Et de l’autorité aussi usurpée qu’écrasante des scribes, des légistes et des pharisiens : « Les disciples de Jean et les pharisiens étaient en train de jeûner [cela se voyait !], et on vient lui dire : “ Pourquoi les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent-ils, et tes disciples ne jeûnent-ils pas ? ” Jésus leur dit : “ Les compagnons de l’époux peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais viendront des jours où l’époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront en ce jour-là. ” »
En attendant, « soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait ». Comment ? C’est impossible ! Ce sera le plus grand miracle de Notre-Seigneur de le rendre possible par la grâce qui jaillira de son Cœur, sur la Croix (Mt 5, 20-48). Jésus fait de la religion un amour, amour du prochain et « de ton Père qui te voit dans le secret » (Mt 6, 6).
C’est ainsi que Jésus conquiert les cœurs. L’Évangile est plein de ces rencontres décisives de Jésus avec des âmes bien disposées qui se convertissent et décident de changer de vie en Le suivant : Marie-Madeleine, Matthieu, l’hémorroïsse, et tant d’autres qui ont conquis ce Royaume, par un mystère de prédestination que saint Jean souligne dans son Évangile (Jn 6, 37-40) :
« “ Tout ce que le Père me donne viendra à moi, et celui qui vient à moi je ne le jetterai pas dehors ; car je suis descendu du Ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de Celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. ”
« Telle est donc l’Œuvre de Dieu annoncée ici pour la première fois et combien mystérieuse ! commente notre Père [...]. Ce don que le Père fait au Fils, des âmes qu’Il le charge d’évangéliser, c’est tellement nouveau pour les juifs ! Cette attention spéciale à chaque personne, dont dépend leur salut, à condition qu’elles y consentent et se laissent conduire au Fils par le Père et au Père par le Fils, Jésus, à l’évoquer, paraît ému, ravi, impressionné par la grandeur de sa mission et... de sa responsabilité : “ Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. ” » (Bible, archéologie, histoire, t. II, p. 147)
FORMATION DES APÔTRES.
Par la semence qu’il jette dans ces cœurs dociles, Jésus se prépare une épouse accueillante, coopérante, consentante. Mais il lui faut aussi des collaborateurs pour moissonner ce qu’il aura semé dans les larmes et dans son Sang rédempteur (cf. Jn 4, 37-38), et pour semer à leur tour le bon grain de sa Parole.
Jésus les a choisis juste avant le Sermon sur la montagne : « Or il advint, en ces jours-là, qu’il s’en alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à prier Dieu. » Jésus prie toute la nuit parce qu’il va fonder la grande œuvre de son Père.
« Lorsqu’il fit jour, il appela ses disciples et il en choisit douze, qu’il nomma apôtres », dit saint Luc (6, 12-13). Apôtre, du grec apostolos, signifie « envoyé ». Pourquoi douze ? À cause des douze fils de Jacob de qui descendirent les douze tribus d’Israël qui se partagèrent la Terre sainte.
Au début, ils suivent la foule et écoutent simplement l’enseignement du Seigneur. Ils admirent les miracles qui montrent sa puissance et ils en sont enthousiastes. En fait, ces miracles sont déjà pour eux une pédagogie dont ils tireront tout le fruit après la Pentecôte, car ce sont des allégories du Royaume à venir : Jésus mime avec ses Apôtres ce que sera la vie de l’Église.
La barque de Pierre dans la tempête représente l’Église avec les évêques, successeurs des Apôtres, et le Pape, successeur de Pierre, qui lutteront contre les agitations du monde soulevé par les démons. Et Jésus dort... Il l’a fait exprès, croyez-le bien ! Et deux mille ans après, nous comprenons ce que ça voulait dire... nous le vivons !
La marche sur les eaux de saint Pierre dont la foi est encore vacillante est une allégorie transparente de la foi chancelante de l’Église qui enfonce dans l’océan du monde quand elle prétend s’y ouvrir. Mais Jésus est là pour assister le Pape de son Esprit. D’où l’appel à son infaillibilité, qui est un appel au secours adressé à Jésus, pour qu’il tende la main au Pape !
Au contraire, la pêche miraculeuse montre les fruits que portera l’Église quand elle sera fidèle aux ordres du Seigneur.
Mais la grande allégorie est le miracle de la multiplication des pains, où Jésus manifeste son infinie pitié pour le peuple pauvre, pour les affamés, et annonce le banquet eucharistique.
Les Apôtres entendent également Notre-Seigneur leur parler du Royaume en parabole, c’est-à-dire par des comparaisons avec des scènes de la vie quotidienne. Contrairement à saint Jean-Baptiste qui annonçait l’instauration soudaine et manifeste du Royaume, Jésus donne une profondeur au développement du Royaume. D’abord instauré d’une manière cachée, il grandira lentement jusqu’à s’épanouir en puissance.
La parabole du semeur (Mt 13, 3-23) est un démenti à l’idée selon laquelle il suffit d’être juif pour être membre du Royaume, quelles que soient les dispositions intérieures. Encore faut-il porter du fruit !
Par la parabole du grain qui pousse tout seul (Mc 4, 26-29), Jésus fait comprendre que le royaume de Dieu est une grâce divine qui produit son effet, ex opere operato, par la seule force de la Parole de Dieu.
Cette graine germe, grandit, et devient comme un arbre « et il pousse de grandes branches, au point que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre » (Mc 4, 32). Ainsi de l’Église où tout le monde viendra se réfugier, trouver nourriture, ombre protectrice et joie.
Avec pour unique but le Ciel : « Le royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses. Quand il est plein, les pêcheurs le tirent sur le rivage, puis ils s’assoient, recueillent dans des paniers ce qu’il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien. »
Selon la Loi, il y a des poissons qui sont “ purs ”, ceux qui ont des écailles ; on peut en manger. Ceux qui sont sans écailles sont “ impurs ”. Ceux-là, on les rejette à la mer.
« Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les justes pour les jeter dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents. » (Mt 13, 47-50) Avertissement pathétique. Comment douter de l’existence de l’enfer et de la nécessité d’y échapper à tout prix !
LA CONFESSION DE SAINT PIERRE :
PRÉPARATION DE L’ÉGLISE
Pendant que Jésus prêche, les foules sont suspendues à ses lèvres. Mais après le discours sur le Pain de vie, comprenant que Jésus n’est pas là pour satisfaire leurs désirs humains, « beaucoup de ses disciples dirent : “ Elle est dure cette parole ! Qui peut l’écouter ? ”... Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui. » (Jn 6, 60-66) Les Apôtres eux-mêmes l’auraient abandonné si saint Pierre ne les avait retenus. Jésus va donc s’occuper d’eux tout spécialement et leur donner une connaissance plus intime du mystère de la Rédemption. Il leur explique certaines paraboles (Mc 4, 11) et fait comprendre à ces pêcheurs sans instruction qu’ils remplaceront les autorités officielles déjà considérées par Lui comme étrangères au Royaume.
C’est à ce moment-là que Jésus choisit la pierre de fondation sur laquelle il fondera son Église. Après avoir prié en leur présence, nous dit saint Luc (9, 18), « Jésus posa à ses disciples cette question : “ Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? ” Ils dirent :
« “ Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. ”
– “ Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? ”
« Simon Pierre répondit :
« “ Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant. ”
– “ Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les Cieux. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. ” » (Mt 16, 13-18)
Le mot “ Église ” est employé ici pour la première fois, on ne le trouve d’ailleurs que deux fois dans l’Évangile (Mt 18, 17). “ Église ” est le nom du nouveau « Royaume » dont Pierre détiendra « les clefs ». Le terme biblique correspondant, qahal, « assemblée », désignait la communauté du peuple élu dans le désert (Dt 4, 10). Ainsi donc, ce royaume des Cieux sera bâti sur Pierre, déjà considéré par Notre-Seigneur comme son successeur, et ce Royaume-là ne s’écroulera jamais.
« Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux. Quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les Cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les Cieux pour délié. » (Mt 16, 19)
Dans ce “ testament ”, Jésus transfère son autorité à Pierre et à ses successeurs, dotée d’une infaillibilité doctrinale ainsi que d’une souveraineté dans la pastorale et la discipline : « “ Tu lieras ” : Toutes les sentences de condamnation, interdits, suspenses ou excommunications, toutes les livraisons au bras temporel et même toutes les morts physiques que décidera Pierre, sont contenues là dans cette promesse de Jésus et seront reçues dans le Ciel pour paroles divines. Tous les pardons, toutes les réconciliations qu’il fera seront également enregistrés dans le Ciel. C’est Dieu, c’est le Christ qui parlera par ton ministère à toi, Pierre. » (sermon du 3 juillet 1988)
Dès lors, les Apôtres considéreront toujours saint Pierre comme leur chef. Même après son reniement qui est déjà en germe dans les réprimandes de Pierre à Jésus quand Il prédit sa mort à Jérusalem.
« À Dieu ne plaise, Seigneur, il n’en sera pas ainsi !
– Arrière de moi, Satan, tu m’es un scandale, car tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes. » (Mt 16, 22-23)
C’est assez dire que Pierre n’est pas infaillible en toute et chacune de ses paroles, mais en celles qui lui sont révélées de Dieu. Dans cette mesure, Pierre ne fera qu’un avec son Maître. C’est ce que Jésus souligne au moment de payer l’impôt que réclament les collecteurs du Temple : « “ Va à la mer, dit-il à Pierre, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui montera, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère ; prends-le et donne-le-leur, pour moi et pour toi. ” » (Mt 17, 25-27)
Par la suite, l’enseignement de Jésus sera plus tragique, car si le royaume des Cieux va être effectivement instauré sur terre, ce n’en sera pas moins un royaume de souffrance et de mort :
« N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.... Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » (Mt 10, 34 et 37) « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » (Mc 8, 34)
Jésus formule aussi des règles de vie pour ce grand Corps mystique qu’il va bientôt engendrer. Il sait bien qu’il en faudra au moment de l’évangélisation du monde :
« Tous ceux qui ne sont pas contre nous sont avec nous ! » (Mc 9, 40) Il s’agit de tous les braves gens « qui s’approchent de Dieu ».
Il n’en reste pas moins que « tous ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi » (Mt 12, 30). Il n’y a pas de milieu ! Voilà pour les frontières de l’Église et ses rapports avec le monde extérieur.
À l’intérieur, la charité est la grande loi de la vie commune dont la règle d’or est le pardon mutuel pour obtenir soi-même miséricorde (Mt 6, 12). Le pire manquement à cette charité, c’est d’ébranler la foi de son frère par son mauvais exemple ou par ses paroles (Mt 18, 6-7). La correction fraternelle en est le remède :
« Si ton frère a quelque chose contre toi, va, explique-toi avec lui. S’il refuse de s’expliquer avec toi, prends deux ou trois témoins, expliquez-vous. Et si les deux ou trois témoins ne suffisent pas, préviens l’Église. » Et si le « frère » en question est le Pape ? La règle s’impose encore plus ! Telle fut « la grande affaire de la vie » de notre Père, “ évangélique ” s’il en fut !
Enfin, Jésus dévoile à ses Apôtres une partie de l’avenir pour qu’ils prennent courage face aux persécutions qui fondront sur l’Église à cause de Lui et de son Évangile. Il prédit la ruine du Temple et donc la fin définitive de l’ancienne alliance qui ne portera plus que des fruits de mort. Il annonce pour la fin du monde des jours d’apostasie, de désorientation diabolique qui ne devront pas faire vaciller ses disciples (Mc 13, 14) mais les trouver pleins d’espérance : « Quand cela commencera d’arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance est proche. » (Lc 21, 28) « Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. » (Lc 21, 36) « Et ce que je vous dis à vous, je le dis à tous [à nous tous !] : veillez ! » (Mc 13, 37)
Voilà ! la préparation de l’Église est faite. Après qu’Il a mené les plus vives polémiques contre ses ennemis qui ne sont que des loups rapaces, Jésus se livre à ses persécuteurs pour achever son œuvre par le martyre, le don total, le sacrifice expiatoire d’un Dieu fait homme et venu mourir pour rendre aux hommes la vie.
JÉSUS INSTITUE L’EUCHARISTIE ET L’ORDRE.
Or, le Mardi saint, Jésus anticipe ce sacrifice au cours de la Cène et il institue le mémorial de la nouvelle Alliance scellée dans son propre Sang. Pourquoi cette anticipation ? Jésus aurait pu instituer ce sacrement après sa résurrection ! Oui, mais nous retrouvons ici le grand dessein de Dieu qui est de ramener sa créature à Lui pour ne faire qu’un avec elle. En anticipant l’heure de son sacrifice, Jésus montre qu’il est pressé d’aller à la Croix mais que ce sacrifice a pour but ultime de se donner en nourriture à son épouse. Dans son grand désir, il avance l’institution de l’Eucharistie, avant même la Croix qui en sera la source et le mérite, et il ordonne ses Apôtres comme prêtres de la Nouvelle Alliance en disant : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19), c’est-à-dire : « Renouvelez sans cesse sur l’autel ce sacrifice à mon Père pour le salut du monde et pour que je puisse me donner à chaque âme en communion. »
LE SACRIFICE DU CALVAIRE.
L’autel du Sacrifice, c’est la Croix du Vendredi saint, auprès de laquelle se tient Marie, la Mère de Jésus (Jn 19, 25), comme dans la vision de Tuy !
Parce que sur le Calvaire, la Vierge est unie à Jésus crucifié comme jamais épouse n’a été unie à son époux, ce sacrifice saint qu’elle accepte dans tout son corps, son Cœur, son esprit, est leur œuvre commune, comme le montre d’ailleurs saint Jean dans son Évangile (19, 26). C’est une œuvre d’amour incomparable entre le Fils de Dieu et l’Immaculée Conception, l’humble et compatissante Vierge Marie, dont il avait fait sa Mère en vue de ces épousailles mystiques, accomplies dans la douleur en réparation du péché d’Ève.
Des épousailles du nouvel Adam et de sa nouvelle Ève qui s’entend interpeller doucement du nom de « Femme » naît une humanité rachetée, sanctifiée, élevée à la vie divine, au prix du Précieux Sang versé sur la Croix. Elle devient véritablement le sein fécond qui va engendrer toutes les générations de chrétiens. Elle est donc la personnification de l’Église, notre Mère.
Désormais, l’Église est fondée dans le Cœur de la Vierge Marie, transpercé d’un glaive de douleur. Elle est libérée du joug des juifs. Elle est sortie de la Synagogue. Emportant dans son Cœur Immaculé tout le trésor de la Révélation et des mérites de l’Histoire sainte, Marie, Fille d’Abraham et de David, transmet tout l’héritage à saint Jean et, de proche en proche à l’Église. C’est par elle que passe toute la richesse que Dieu a accumulée depuis l’origine du monde. La Vierge Marie, comme une mère féconde et généreuse allaitant ses enfants, va nourrir l’Église de cette richesse. À l’heure même où le Christ a achevé sa course, elle, pour ainsi dire, s’élance dans la sienne de médiatrice universelle. C’est ce que Jésus signifie lorsqu’il dit que « tout est consommé ».
Après quoi il ne lui reste plus qu’à « remettre l’Esprit », expression que saint Jean réemploie lorsqu’il fait le récit de l’apparition de Jésus soufflant sur ses Apôtres au matin de Pâque. L’Esprit-Saint qui leur est transmis leur donnera la puissance d’être les gouverneurs et régents de l’Église. Si l’Église est fondée, c’est parce que le Christ a mérité par sa mort salvatrice de nous donner son Esprit-Saint. L’Église ne vit que par l’Esprit-Saint du Christ.
Cependant, Jésus avait dit à ses Apôtres : « Je ne vous laisse pas orphelins. » (Jn 14, 18). Il nous a donné la Vierge Marie pour Mère avant d’expirer. Jésus, mort, va ressusciter bientôt, puis Il remontera vers son Père au Ciel. Mais Marie est là, médiatrice. À sa prière l’Esprit-Saint descendra en tempête sur les Apôtres pour enfin donner vie à l’Église, innombrable progéniture des enfants de Marie, humanité nouvelle sauvée et sanctifiée.
LA VIERGE MARIE, MÉDIATRICE DE LA DESCENTE
DU SAINT-ESPRIT AU JOUR DE LA PENTECÔTE.
C’est ainsi que commence la « nouvelle et éternelle Alliance ». Par le mariage personnel du Fils de Dieu avec la Vierge Marie, sa Divine Mère.
Au jour de la Pentecôte, la Vierge Marie est là, au milieu des Apôtres, mais formant à Elle seule un ordre à part, ce qui est souligné par saint Luc : « Tous d’un même cœur étaient assidus à la prière avec quelques femmes, ET Marie mère de Jésus... » (Ac 1, 14). Elle est l’âme de cette communauté et c’est à sa prière que descend sur les Apôtres l’Esprit-Saint sous forme de langues de feu et ils commencent à parler en d’autres langues. Désormais, l’humanité rachetée n’est plus une humanité simple, “ laïque ”, ce n’est plus un rassemblement d’hommes quelconques, comme était encore le peuple élu de l’ancienne alliance, mais ce sont des êtres qui ont tous en commun l’Esprit-Saint. Ils constituent l’Église qui doit vivre à la manière de l’épouse du Christ. La Vierge Marie est au milieu de cette communauté, parce qu’Elle a vécu d’avance le cycle des épousailles jusqu’à la consommation de l’union. Avec la Pentecôte, l’Église entre à son tour dans cette carrière d’épouse. C’est tellement vrai que saint Luc le souligne lui-même par des parallèles littéraires constants entre son récit de l’Annonciation et de la Visitation qui sont le départ de la “ course ” de la Vierge Marie d’une part, et son récit des événements de la Pentecôte d’autre part. Donc, première conclusion : Si l’Église a pour modèle ultime et idéal de perfection la Vierge Marie, si la Vierge Marie est la médiatrice de toute grâce, il faut bien que le peuple de Dieu qui forme l’Église se mette à l’école de l’Immaculée, surtout quand Celle-ci descend du Ciel pour dévoiler la volonté de Dieu ! comme ce fut le cas à Fatima, le siècle dernier.
Deuxièmement, jusque-là, nous avons vu le projet de Dieu sans cesse contrarié par l’infidélité des hommes. Mais avec le sacrifice rédempteur du Christ, la grâce a jailli et elle transforme l’humanité. C’est le grand dessein de Dieu qui se réalise : les épousailles de Dieu et de l’humanité rachetée. Mais cela se fait selon une hiérarchie, une structure que Jésus a préparée et dont Pierre et les apôtres sont les piliers.
– Il y a les Apôtres, puis leurs successeurs, qui s’élancent à la conquête du monde. Ils ont reçu l’Esprit-Saint d’une manière spéciale, sous forme de langue de feu, c’est-à-dire avec l’ardeur missionnaire. Ils partent à la conquête du monde avec le pouvoir de l’Époux, c’est-à-dire avec l’initiative, le pouvoir, la force de Jésus. En cela, l’Église est Jésus répandu et communiqué.
C’est dire que par l’invention de cette institution, Jésus a trouvé le moyen de se prolonger dans l’espace et dans le temps, si l’on peut dire, de se faire connaître partout et en tous lieux, sans pour autant enlever le mérite de la foi aux croyants.
– En vis-à-vis, à l’écoute de cette Église enseignante, il y a le peuple de Dieu, le peuple des fidèles. Ce sont les juifs de l’ancienne alliance, puis les gens, gentes, les nations, et enfin tous les hommes libres, esclaves, hommes et femmes. Il n’y a plus de différence, dira saint Paul, car tout ce monde-là, qui accueille la Parole de Dieu et la met en pratique, c’est l’Église enseignée, l’épouse consentante, coopérante et ainsi revivifiée, recréée, transformée, sanctifiée, fécondée. De ce point de vue, on pourrait dire que l’Église, c’est la Vierge Marie répandue et communiquée.
La nouveauté se manifeste dans le discours de saint Pierre et dans la réaction de la foule qui, sous l’action de l’Esprit-Saint, en a le cœur transpercé (Ac 2, 37). Ce que Jésus n’avait pas réussi à faire, parce qu’Il n’avait pas encore « remis l’Esprit » (Jn 19, 30), Pierre le fait en un instant par la puissance de l’Esprit. C’est pourquoi vouloir une Église démocratique, renverser la pyramide hiérarchique de l’Église comme l’a fait Vatican II, c’est le péché contre l’Esprit, contre la constitution divine de l’Église.
Troisième et dernière remarque : Nous avons admiré ce que Dieu fait en grand pour son Fils, son union avec l’immense Église dont nous ne sommes, chacun d’entre nous qu’une cellule, un rien du tout. Mais en même temps, ce n’est pas pour autant un collectivisme, nous ne sommes pas comme des fourmis dans une fourmilière. Car Il appelle aussi chacune de nos âmes à vivre cette union mystique comme une intime épouse. Jésus peut être tout à tous. Il peut être un Époux dont l’amour est exclusif pour chacune de ces milliards d’âmes baptisées qui composent l’Église si elles le veulent. Mystère !... que nous tâcherons de mieux comprendre dans la prochaine conférence... afin d’en vivre en toute vérité...
Frère Bruno de Jésus-Marie