Il est ressuscité !
N° 265 – Avril 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Georges de Nantes
martyr de l’obéissance de la Foi
TROISIÈME PARTIE
LA vie sacerdotale de l’abbé Georges de Nantes, notre Père, pourrait être scindée en trois parties.
La première débute en 1943 avec son entrée au séminaire d’Issy-les-Moulineaux et s’achève le 9 août 1969 avec la notification de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi “ disqualifiant ” l’ensemble de son œuvre. Entre ces deux dates, malgré toutes les menaces, oppositions, contradictions et persécutions pour tenter de l’en détourner, notre Père parcourut une course de géant. Après s’être « confié à l’Église comme un enfant à sa mère, pour tout recevoir d’elle et de nul autre qu’elle », notre Père se fit, en son sein, le témoin fidèle, le défenseur héroïque de la vérité du dogme de la foi jusqu’à s’opposer aux pasteurs adonnés à l’hérésie progressiste, aux Actes mêmes du concile Vatican II et du pape Paul VI posant le principe de la réforme de l’Église et instaurant en son sein un culte nouveau, celui de l’homme, pour graves soupçons d’hérésie, schisme et scandale. Notre Père ira jusqu’à Rome pour déférer lui-même ses deux cent vingt premières Lettres à mes amis à l’examen de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi afin qu’elle opère « avec puissance et décision une œuvre indispensable de discernement des esprits ». La notification du 9 août 1969 constituera un sommet dans la vie sacerdotale de notre Père, la Sacrée-Congrégation pour la doctrine de la foi se trouvant réduite à disqualifier l’ensemble de l’œuvre de l’abbé de Nantes du fait de ses critiques à l’égard des actes du magistère, mais sans relever la moindre erreur doctrinale, sans infliger au requérant la moindre sanction canonique, ce dernier étant ainsi renvoyé dans son diocèse d’adoption, indemne de toute condamnation, libre et implicitement encouragé, au milieu de l’Église, à poursuivre son œuvre de contre-réforme.
Commence alors la deuxième partie de la vie sacerdotale de notre Père qui va s’étendre jusqu’à l’année 1993. Il développe alors une prodigieuse œuvre doctrinale, à la fois religieuse et politique, pleine de science et de sagesse pour à la fois mettre en lumière l’erreur formelle de cette réforme de l’Église telle que pensée et initiée par le concile Vatican II pour l’adosser à cette religion – car c’en est bien une – de la démocratie universelle, maçonnique et même socialiste et donner à cette même Église notre Mère les prodigieux remèdes à la fois métaphysiques, théologiques, politiques et même historiques et par-dessus tout mystiques d’une renaissance certaine ! En parallèle, notre Père porta jusqu’à l’autorité suprême de l’Église c’est-à-dire les papes Paul VI et Jean-Paul II, à trois reprises, une accusation en hérésie, schisme et scandale à l’encontre de leurs actes novateurs tout en se gardant bien de remettre en cause le principe même de leur autorité et de consommer, ainsi, le délit contre la foi qu’est le schisme. Au contraire, cet appel du Pape au Pape fut un moyen à la fois canonique et dogmatique de mettre le Saint-Père devant les responsabilités de sa charge, de le contraindre à sortir d’une inertie à la faveur de laquelle la foi continuait à se perdre, pour le mettre dans la nécessité de rendre un jugement de son magistère solennel sur cette réforme qui dévaste l’Église. Cette période s’achèvera avec le dépôt du troisième livre d’accusation, le 13 mai 1993, qui constitua, à partir du prétendu Catéchisme de l’Église catholique publié par Jean-Paul II le 11 octobre 1992, une synthèse tout à fait géniale des douze hérésies de la religion nouvelle conciliaire d’une Église réformée.
En 1993, commence la troisième et dernière période de la vie sacerdotale de notre Père.
Pourquoi 1993 ?
Parce que jusqu’à cette année-là notre Père gardait l’initiative pour dénoncer cette réforme de l’Église, porter à Rome, contre le Saint-Père, cette accusation inouïe en hérésie, schisme et scandale. Mais après le dépôt du troisième livre d’accusation, les événements s’accélèrent pour devenir tragiques. Ils n’en seront que plus sublimes dans la soumission jusqu’au martyre de la part de notre Père dans l’obéissance de la foi.
Plusieurs circonstances vont donner à la Hiérarchie le “ courage ” qui leur a jusqu’à présent manqué pour venir à bout de cette épouvantable besogne.
Un saint ermite à Vidauban, dans le diocèse de Fréjus, le Père Bourdier, avait un jour déclaré à notre Père : « Monsieur l’Abbé, seuls les mystiques vous suivront sur le chemin dans lequel vous êtes engagé. » Et de fait, tout au long des années 80, les rangs de la CRC se clairsemèrent progressivement. Les moins mystiques se lassèrent d’attendre la victoire d’une contre-réforme qui les enthousiasmait, qu’ils attendaient plus de leurs vœux et de leurs actions que de leur espérance, de leurs sacrifices et prières, et tout simplement de leur obéissance... Beaucoup d’occasions de lassitudes, de doutes, de tentations d’abandonner le seul et utile combat dogmatique et canonique contre la réforme conciliaire et pontificale se présentèrent pour rejoindre les autres mouvements traditionalistes, schismatiques, ralliés, libéraux, modérés, charismatiques « qui évitent cette défense de la foi tout à fait première et seule absolument catholique, hors de laquelle il n’y a pas de salut, sinon pour les gens sans intelligence ».
Ces défections vont prendre un tour dramatique en 1989, avec la dissidence de plusieurs sœurs de la maison Sainte-Marie et d’un frère de la maison Saint-Joseph. Ceux qui partirent “ dans la nuit ” ne tardèrent pas à accomplir ce qu’ils avaient à faire vite. Des rumeurs, des médisances, des calomnies commencèrent à circuler. En 1992, ils furent rejoints par un autre frère, également bien connu, brillant esprit intellectuel... Restait un dernier acteur à entrer en scène pour interpréter cette tragédie au centre de laquelle notre Père allait se retrouver pour consommer jusqu’au bout son sacrifice : Monseigneur Gérard Daucourt successeur de Mgr Fauchet qui prit possession de la cathèdre de Troyes le 4 avril 1992.
« OBEDIENTIA IN DILECTIONE. »
Le 10 janvier 1996, la commission parlementaire formée pour enquêter sur les sectes publia un rapport rédigé par Jacques Guyard dans lequel les Communautés des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur sont désignées parmi les sectes “ pseudo-catholiques ”. Cette condamnation, sans jugement, sans appel, lancée dans le public donnera le signal de départ, à une série d’enquêtes policières et administratives déclenchées dans le dessein évident d’anéantir nos communautés.
Qu’est-il advenu de toutes ces accusations de travail clandestin, de fraude fiscale, d’abus de confiance, d’abus frauduleux de situation de dépendance, de blanchiment d’argent, etc ?
Rien, absolument rien ! Grâce à la prudence et la sagesse des magistrats des ordres judiciaire et administratif qui ne se contentèrent pas de vulgaires coupures de presse pour étudier les faits qui leur étaient rapportés, notre Père ainsi que tous les frères et sœurs furent lavés de toutes ces accusations infâmes et de toutes sortes lancées contre eux.
Mais Mgr Daucourt osa instrumentaliser indirectement, insidieusement ce mensonge d’État qui devenait sous son autorité un mensonge d’Église et il le fit avec une détermination implacable et un pharisaïsme consommé de l’évêque soucieux de « défendre avec fermeté l’intégrité et l’unité de la foi catholique pour le bien des âmes et le salut de tous ». Que voulait-il faire ? Anéantir le principe même de cette contre-réforme étayée par un monument de doctrine qui faisait obstacle à cet unanimisme de façade du principe de la réforme de l’Église engagée lors du concile Vatican II et poursuivie sans relâche par un prétendu magistère dénué de toutes les garanties ordinaires et extraordinaires de son infaillibilité. Comment y parvenir ? En réformant les communautés des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur, ce que l’évêque avait pensé possible s’il réussissait d’abord à détacher la tête du corps, c’est-à-dire à obtenir de gré ou de force que notre Père renonce au gouvernement des deux communautés religieuses de fait rassemblées autour de lui. Le drame se nouera en trois actes.
Premier acte : une déclaration privée de Mgr Daucourt datée du 27 juillet 1996 adressée sous pli personnel, bien au-delà des frontières du diocèse de Troyes, à un certain nombre de correspondants “ triés sur le volet ”, en particulier des lecteurs et amis des communautés. Le dessein était de les prendre “ par surprise ” sur des sujets tout à fait inattendus, semer le doute, provoquer des dissidences. Bref diviser pour régner ! L’évêque de Troyes lança principalement contre notre Père cette accusation capitale d’enseigner des doctrines contraires à la foi catholique « notamment au sujet de la Sainte Trinité, de la Sainte Vierge et de la Sainte Eucharistie » et de s’être arrogé un pouvoir spirituel sur les âmes, sur une communauté religieuse dépourvue de tout statut canonique, en violation de la suspense qui lui avait été infligée en 1966.
Mais dans cette même déclaration, l’évêque de Troyes précise : « Depuis une trentaine d’années, M. l’abbé de Nantes a cru devoir et pouvoir engager un débat de fond qui s’est transformé en accusation d’hérésie à l’égard des papes Paul VI et Jean-Paul II, de l’enseignement du deuxième concile du Vatican et du Catéchisme de l’Église catholique. Ce débat et ces accusations relèvent de l’autorité romaine et ne sauraient couvrir les erreurs et dérèglements actuels qui touchent à des matières relevant de ma juridiction. Ils ne sauraient non plus constituer une question préalable à l’examen de l’enseignement et de la conduite de Monsieur l’abbé de Nantes qui relève d’un jugement direct et immédiat de l’Ordinaire. »
Mgr Daucourt entendait donc faire cette distinction entre d’une part les prétendues hérésies de l’abbé de Nantes et la tout aussi prétendue violation répétée des interdictions découlant de la suspense qui le frappait depuis l’année 1966 et qui relèveraient de sa juridiction et d’autre part le « débat sur le fond » qui ne relèverait, selon lui, que de la seule autorité romaine, ce en quoi il avait bien raison. Mais de l’avoir écrit le placera un an plus tard dans une contradiction flagrante.
Deuxième acte : Mgr Daucourt adressa, en parallèle, une lettre personnelle à notre Père et le convoqua le 1er août à l’évêché de Troyes pour lui intimer l’ordre de cesser ses activités et de quitter ses communautés pour se retirer dans un monastère, définitivement et sans communication possible avec ses frères et ses amis. L’évêque le menaçait d’un scandale médiatique, qui rejaillirait sur l’Église, si ses ordres n’étaient pas exécutés. À ce chantage, à cet ultimatum, à cette condamnation sans procès, notre Père donna sa réponse le 6 août, celle de l’obéissance.
Après le refus par son Père général d’accueillir l’abbé de Nantes au sein du monastère de la Grande Chartreuse du fait de son opposition au Concile, Mgr Daucourt en indiqua un autre le 5 septembre, l’abbaye cistercienne d’Hauterive près de Fribourg en Suisse. Notre Père obéit avec un certain empressement. « Je pars, expliqua-t-il alors aux frères et aux sœurs, non à cause de “ racontars de bonnes femmes ”, mais parce qu’il est impossible de s’entendre sur la foi avec l’évêque. Nous allons passer par un tunnel tortueux, mais pour aboutir à la lumière. Cela va être utile à l’Église. C’est cela qui galvanise. » En conséquence de quoi, il répondit le jour même à Mgr Daucourt : « Je me remets entièrement à Votre Excellence du soin de me faire admettre dans un cloître, derrière des murs, auprès d’une communauté, ou en son sein, abandonnant tout droit à la parole, à la correspondance, aux relations extérieures, dans une exacte obéissance aux supérieurs... ne gardant que la seule liberté inaliénable de ma croyance à l’intime », c’est-à-dire celle de professer la foi catholique et de rejeter les hérésies du concile Vatican II. Pour le reste, il était prêt à tout, il acceptait tout.
Frère Gérard dans une lettre datée du 20 août 1996 réclamera à Mgr Daucourt, mais en vain, un démenti en réponse à la campagne médiatique qui se déchaînait dans la presse à la suite de la publication par l’AFP de la déclaration de l’évêque. Frère Bruno, quant à lui, faisait valoir dans une lettre du 12 septembre la « protestation et l’indignation de tous devant votre décision d’écarter, ne serait-ce que d’une manière provisoire, du gouvernement effectif de notre Communauté notre Père et Fondateur, pour le contraindre à vivre désormais en reclus et le réduire au silence (...). Malgré tout cela, et bien au-delà de cet attentat perpétré par votre entremise par un groupe de persécuteurs qui n’ont d’autre arme que celle de la diffamation, l’injure et les menaces odieuses de “ lynchage médiatique ”, intrinsèquement immorales, l’exemple admirable d’obéissance héroïque donné par notre Père demeure non seulement notre fierté, mais encore et bien davantage : le garant incontestable de notre appartenance à l’Église catholique, apostolique et romaine, quoique à la dernière place, au dernier rang, selon notre vocation. » (La Contre-réforme catholique n° 325, septembre 1996, p. 34)
Et au même moment, ou presque, le 13 septembre, notre Père annonçait aux frères et aux sœurs ainsi qu’à tous ses amis qu’il quittait définitivement la scène justifiant ainsi sa décision : « Je suis condamné, je n’attaque pas ce jugement [il n’y en eut formellement aucun], je purge ma peine. Mais on m’a reconnu, comme à tout catholique, la juste liberté de conscience de professer ma foi et de tenir à toutes mes convictions et opinions dont il est constant qu’elles ne sont pas, ou pas encore, proscrites comme hérétiques (...). Aussi me semble-t-il nécessaire d’obéir, de mon plein gré, tout à fait exactement aux volontés que doit me faire connaître Mgr Daucourt, quels que soient mes sentiments et les vôtres. Pour que ma condamnation n’entraîne pas la vôtre automatiquement, dans la confusion des situations et des réquisitions : vous n’avez jamais rien fait de mal, et si vos idées sont jugées, par des incompétents, hérétiques ou scandaleuses, la présomption d’innocence, due à tout fidèle catholique et tout citoyen français doit vous être reconnue. »
Il résulte de la lecture de ces trois lettres écrites sur le moment des événements, sans concertation entre leurs auteurs, du moins entre frère Gérard et frère Bruno d’un côté et notre Père de l’autre, adressées directement à Mgr Daucourt ou indirectement par leur publication dans la Contre-Réforme catholique, les trois points essentiels suivants.
Premièrement, notre Père s’est vu infliger une peine de réclusion en dehors de toutes les règles canoniques les plus élémentaires qui s’imposent tout à la fois aux évêques et aux prêtres dépendant de leur juridiction, en violation de toute présomption d’innocence, sans discussion contradictoire possible des éléments de fait et de droit sur lesquels Mgr Daucourt prétendait fonder ses accusations, sans moyen de présenter sa défense, sans procès ni jugement et appel, mais uniquement sur le chantage d’un scandale médiatique. Cette peine expiatoire de fait absolument illégitime rendait du coup par avance légitime toute décision de notre Père d’y mettre un terme, sans permission de quiconque, sans qu’un tel retour de sa part puisse constituer une faute, une désobéissance, un délit.
Deuxièmement, bien qu’illégitime, notre Père a voulu interpréter cette peine expiatoire de réclusion qui lui était infligée par Mgr Daucourt comme l’expression d’une volonté de Dieu de le voir accomplir cet acte héroïque d’obéissance dans une reconnaissance de l’autorité de celui qui continuait à détenir, dans le diocèse, les pouvoirs sacrés de Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant que successeur des Apôtres et ainsi s’éloigner ostensiblement, du plus loin qu’il lui fût possible, des frontières du délit sacrilège contre la foi et l’unité de l’Église que constitue le schisme.
Troisièmement, l’acte d’obéissance de notre Père ne fut évidemment pas une reconnaissance du bien-fondé des accusations portées contre lui et encore moins un acte de soumission à la réforme de l’Église décrétée lors du concile Vatican II ; au contraire cet éloignement librement consenti permettait de dégager la communauté des graves accusations portées contre sa personne et qu’il emportait avec lui dans son exil, et ainsi de maintenir le statu quo vis-à-vis de la Hiérarchie pour conserver cette doctrine de contre-réforme et de renaissance que leur avait léguée notre Père pour un service élevé de l’Église.
La réclusion de l’abbé de Nantes à Hauterive débuta le lundi 23 septembre 1996 et fut organisée par décision du Père abbé selon un régime de solitude absolue, bien adapté à la situation qu’elle laissait entendre d’ « un prêtre scandaleux envoyé là pour purger sa peine et se repentir, ou d’un vieil homme désireux de se retirer du monde pour se préparer à une mort prochaine ». Notre Père embrassa avec exaltation cette croix qui lui était présentée par son évêque, la voyant comme « le dernier degré de l’abjection, celui dont on ne remonte que si l’on est un saint parce qu’alors c’est une évidence que pareille épreuve doit être, juste avant la mort, le martyre, le sceau de l’amour embrasé de cette âme et de Jésus et de Marie, ne faisant qu’un. C’est un Bon pour le Ciel. » Le Bon Dieu permettait cette séparation, ce régime de réclusion pour donner à notre Père « le temps, la sérénité, l’ambiance de paix, tout pour examiner le fond du problème » qui demeurait et demeure encore aujourd’hui son « accusation d’hérésie, donc de schisme et de scandale » portée « contre le Concile, donc contre les Papes du Concile et contre le Nouveau Catéchisme à l’heure du Concile ».
Ainsi “ bien enfermé à Hauterive ” dans une grande solitude, muni du seul texte des Actes du concile Vatican II, notre Père en entreprit, jour après jour, une attentive relecture. Pour mieux en pénétrer le sens, il en recopia les écrits, en notant à mesure ses réflexions critiques ou laudatives, mais toujours d’un cœur équanime. Durant les cent jours de cet immense labeur quotidien, « mon secours était d’interrompre cette étude, expliqua par la suite l’abbé de Nantes, pour revenir à la chapelle, et demander à notre Père Céleste comment il était possible que tous aient participé à ce vent de folie, même un Albino Luciani, le futur Jean-Paul Ier... et par quelle aberration ou “ désorientation diabolique ”, tous encore aujourd’hui et jusqu’à ces saints moines que je côtoyais, adhéraient à ce néochristianisme, cette gnose moderniste déjà condamnée par saint Pie X et par toute la tradition millénaire ? C’est alors que marchant le long de la rivière proche, me frôla comme un vertige l’idée, la tentation d’un suicide qui résoudrait l’insoluble problème ignacien “ quid agendum ? ” Que dois-je faire maintenant ?
« La réponse était : prier, travailler sans relâche, puis publier cette critique littérale, sans aucun autre souci que de la Vérité, en un livre au titre flamboyant comme d’un pamphlet : Vatican II, l’Autodafé... et laisser l’Église à son devoir, le mien étant à ce dernier essai achevé. » (La Contre-Réforme catholique n° 329, janvier 1997, p. 2)
Non, le devoir de notre Père n’était pas tout à fait achevé, ainsi que le Bon Dieu le lui signifia par Mgr Daucourt.
ANÉANTIR LA CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE
Troisième et dernier acte, une lettre du 5 septembre de Mgr Daucourt mettait fin au statu quo. Chacun des frères et sœurs était pressé soit de quitter la communauté pour retourner dans le monde, soit d’en rejoindre une autre soit d’y demeurer, mais dans la perspective de la voir « devenir une communauté religieuse que l’Église reconnaît » ce qui impliquait de passer sous la vigilance de l’évêque et d’accepter un entretien personnel et en communauté avec un visiteur canonique à nommer.
Le 12 septembre chaque frère de la maison Saint-Joseph et chaque sœur de la maison Sainte-Marie répondit à Mgr Daucourt vouloir demeurer en communauté, mais sans changement. « Nous demandons dans l’immédiat, lui écrivit le même jour frère Bruno, de continuer à vivre dans notre état de communauté “ de fait ”, sous votre vigilance, comme il est de droit et comme nous avons vécu paisiblement du temps de vos Prédécesseurs NN. SS. Le Couëdic et Fauchet, et encore durant les six ans de votre épiscopat, mais sans franchir pour l’instant de nouvelle étape, telle celle qui comporterait la désignation d’un visiteur en vue d’une reconnaissance formelle. Et en laissant ouverte la liberté pour chacun d’entre nous de choisir dans l’avenir l’une des deux premières possibilités auxquelles vous faites référence dans votre lettre. En outre, le procès doctrinal engagé en Cour de Rome, dont vous reconnaissez pleinement l’existence et l’importance, nous conduit à élever de graves objections à l’encontre de certains enseignements du deuxième Concile du Vatican, et du pape Jean-Paul II actuellement régnant. En attendant le jugement de vérité dogmatique exigé par la matière même de la cause, nous demeurons dans cette situation d’ “ intérim ”, accordée tacitement par vos deux prédécesseurs et par vous-même jusqu’à ce jour, pendant lequel nous a été laissé le pouvoir de faire quelque chose dans les étroites limites autorisées par le droit et la coutume. Nous demandons seulement la liberté de continuer dans cette voie. » (La Contre-réforme catholique n° 325, septembre 1996, p. 34)
Deux mois plus tard, Mgr Daucourt reprenait sa plume pour tenter d’en finir. Le 27 décembre il tentait d’imposer aux communautés la rencontre d’un visiteur canonique « non pour détruire, mais pour vous aider ». Parallèlement, l’évêque écrivait à notre Père sa volonté d’exercer sa responsabilité à l’égard des frères et des sœurs de ses communautés « pour qu’ils aient un statut canonique, un supérieur légitime et un aumônier, mais c’est actuellement très difficile ».
Sans se concerter, notre Père et frère Bruno comprirent la volonté déterminée de Mgr Daucourt de détruire les communautés ou à tout le moins de les lier à un supérieur lequel enjoindrait les frères et les sœurs au nom de leur vœu d’obéissance à accepter la réforme de l’Église. À cette volonté résolue, il fallait s’y opposer. Pourquoi ?
« Tant qu’on nous laisse vivre, explique notre Père à Mgr Daucourt dans une lettre magistrale datée du 31 décembre 1996, l’Église entière ne peut douter que Rome a toujours la foi catholique à laquelle s’adjoint au bon plaisir de chacun la nouveauté conciliaire. Mais le jour où Rome nous excommuniera, c’est la religion catholique qui serait excommuniée, comme “ incompatible ” avec la foi conciliaire (dixit Ratzinger), et conséquence irrémédiable, désirée et crainte par les novateurs : le Concile n’ayant plus aucun opposant, vivant et osant tenir tête, acquerrait a posteriori un label d’infaillibilité qu’il n’a pas encore, cette fois au titre d’une unanimité du magistère ordinaire (...).
« Voilà pourquoi nous resterons fidèles jusqu’à la mort à notre “ Contre-Réforme catholique au XXe siècle ”. Et, je vous prie de bien vouloir l’entendre, très attachés au Siège Romain en la Personne du Pape régnant, nous poursuivrons tous nos travaux en “ connivence ” avec Rome, pour lui éviter toute difficulté majeure qui pourrait résulter de notre action. Défendre la foi, oui ! Desservir l’Église ? Jamais ! » (La Contre-Réforme catholique n° 329, janvier 1997, p. 5)
Et frère Bruno, lui, d’achever sa lettre datée du 2 janvier 1997 : « Une chose devrait pourtant nous inciter à vous obéir sans autre atermoiement : c’est ce que vous écrivait l’abbé de Nantes, que vous citez en terminant. Je l’avoue : ce coin de voile levé sur vos échanges dont nous ne devions rien savoir a de quoi nous plonger dans l’incertitude sur notre devoir ! Aussi, dans le souci de ne pas trahir sa confiance, je vous avertis que nous partons demain, frère Gérard et moi, pour lui demander si notre obéissance doit aller jusqu’à laisser anéantir la Contre Réforme catholique et à chanter avec tout le monde : “ Je crois en Dieu qui croit en l’homme. ”
« Si la réponse est non – ce que j’augure à coup sûr, à moins que l’abbé de Nantes ait changé ! – mon intention est de lui demander instamment de reprendre son poste parmi nous, fût-ce contre son désir et les promesses qu’il vous a faites, afin que le Fils de l’Homme trouve encore la foi catholique sur la terre quand il reviendra. S’il accepte, je vous entends d’avance : il sera “ relapse ”. Comme Jeanne d’Arc reprenant l’habit d’homme dans sa prison. Précisément, ce sera le signe, pour nous, que Jehanne, victime et victorieuse, est de retour pour notre salut, au seuil du troisième millénaire. »
Le 3 janvier 1997, frère Bruno et frère Gérard rejoignirent à Hauterive notre Père qui décida de mettre fin à son exil pour reprendre le combat de contre-réforme à la tête de ses communautés. Les manœuvres de Mgr Daucourt avaient montré trop clairement ses intentions : s’en prendre non pas à la prétendue vie scandaleuse de notre Père ou ses hérésies personnelles, mais bien au principe de cette contre-réforme connue de tous et faisant invinciblement obstacle à cet unanimisme de façade dans les rangs du clergé et faisant abusivement office de magistère indiscuté et donc indiscutable.
Quelle devait être la réponse de Mgr Daucourt ?
Notre Père envisageait trois possibilités.
Le retour au statu quo tel que vécu depuis l’année 1966. Solution satisfaisante d’un point de vue humain. « Pourtant il me semble que le Bon Dieu n’est pas favorable à cette solution de facilité, où l’Église s’englue dans le relativisme et une indifférence qui ne travaille que pour le Diable. » (La Contre-Réforme catholique n° 330, février 1997, p. 2)
Une autre voie consisterait « à réduire l’adversaire du Pouvoir par des déclarations venimeuses, des mensonges diplomatiques, des appels à l’opinion, des interdictions de sacrements arbitraires, le complot du silence, le refus de tout procès légal, sans autre but que d’asphyxier les opposants par une cascade de dénis de justice où l’Autorité se disqualifie, et cela n’en finit plus jusqu’à ce qu’une catastrophe générale ne survienne entraînant tout le monde dans le malheur. Nous souffrirons tout, même cette agonie si nos Pasteurs en prennent la terrible responsabilité. Mais nous ne faiblirons pas, Dieu aidant ! » (ibid.)
Une autre possibilité encore : « La rigueur inflexible du procès dogmatique réclamé par nous sans que rien ne bouge depuis trente ans, du tribunal romain compétent. Et il est fort à croire que cette via crucis commencera par un interdit jeté sur nous, pour nous placer en position de coupables dont nous ne pourrons sortir qu’en faisant un appel solennel au Magistère infaillible du Pape ou du Concile, cette fois forcément entendu, ne serait-ce que pour satisfaire aux exigences d’une opinion publique stupéfaite d’une aussi longue forfaiture romaine. » (ibid.)
Et notre Père d’ajouter : « C’est d’ailleurs très présent à la pensée de Mgr Daucourt qui, récemment (...) employait le moyen le plus fort à son idée, et le plus accessible à tous : “ Je sais qu’on m’accuse d’être un méchant évêque qui persécute un bon prêtre, mais, vous comprenez, comment l’abbé de Nantes peut-il avoir raison contre le Pape et tous les évêques quand il s’oppose au Concile ? Je reconnais qu’il a toujours refusé de faire schisme, mais il lui faut encore accepter tout ce que l’Église enseigne... sauf lui ! ” » Et notre Père de commenter : « C’est l’argument du “ Comment aurait-il raison contre tous ? ” qui se retourne contre son auteur aussi sec, car, s’il en est ainsi, comment se peut-il que toute l’Église hiérarchique soit tenue en échec par un seul opposant depuis un quart de siècle ? Comment ? Serait-elle sans intelligence, sans force, sans voix pour argumenter, enseigner, juger et finalement condamner un prêtre isolé se disant fort de sa seule foi catholique et rejetant les nouveautés conciliaires ? » (ibid.)
Eh bien ! c’est précisément cet argument facile prétendument imparable dont va se prévaloir Mgr Gérard Daucourt pour jeter l’interdit sur notre Père lui donnant ainsi le moyen canonique de reprendre son procès doctrinal engagé en 1966 et toujours pendant devant la Congrégation pour la doctrine de la foi qui, mise en échec, refusera à nouveau de juger et opposera à notre Père un incroyable déni de justice dont il nous faudra tirer toutes conséquences tant dogmatiques que canoniques.
Le 5 mars 1997, Mgr Daucourt adressait à notre Père une première lettre dans laquelle il lui signifiait une série hétéroclite de griefs comme de proposer « des doctrines demi-secrètes » qui prétendument porteraient atteinte aux dogmes catholiques, mais sans préciser lesquels, d’avoir « des pratiques secrètes ou demi-secrètes contraires à la morale catholique » ou même d’annoncer dans ses écrits et conférences des catastrophes, de chercher à faire peur « par des élucubrations que vous présentez comme des explications de prophéties de saints ou des messages de Fatima. Vous inventez vos prophéties personnelles et par des absurdités vous expliquez pourquoi elles ne se réalisent pas ».
Notre Père n’avait pas à répondre à de pareilles invectives et encore moins à se justifier de la calomnie que pareille lettre contenait, même émanant d’une autorité épiscopale.
Mais dans une lettre datée du 10 mars, Mgr Daucourt fait volte-face en dévoilant sans détour, avec même une certaine franchise, la vraie raison de sa vindicte épiscopale. Après une rapide et superficielle recension du numéro 329 de la Contre-Réforme catholique publié en janvier 1997, il écrit : « Je constate que vous maintenez les positions doctrinales que vous avez affirmées à maintes reprises dans vos écrits publics : les textes promulgués par le second concile du Vatican sont “ humainement aberrants et dogmatiquement hérétiques ” et vous en demandez la révision, la correction et la rétractation. Vous parlez d’une “ gnose moderniste ”. Vous accusez la “ Secte conciliaire voulant faire table rase de la foi catholique pour instaurer dans trois ans la nouvelle religion de Jean-Paul II. Vous réitérez l’accusation d’hérésie, de schisme et de scandale que dès 1965 vous avez portée contre concile, papes et auteurs de catéchisme. Et dans les dernières pages, “ frère Gérard de la Vierge ” dénonce “ l’affrontement engagé depuis trente ans entre l’unique et vraie religion de l’Église une, sainte, catholique, apostolique et romaine, et la religion de l’homme qui se fait Dieu proclamée par le funeste concile Vatican II ”. »
Et après avoir réitéré d’autres griefs, mais recalés à un second plan – un prétendu non-respect des obligations découlant de la suspense infligée en son temps par Mgr Le Couëdic, un prétendu enseignement de doctrines en contradiction avec la foi catholique à l’origine de prétendues pratiques contraires à la morale catholique et enfin la violation d’un prétendu engagement à cesser toutes ses activités – Mgr Daucourt intima à notre Père quatre ordres à considérer comme la monition – c’est-à-dire un avertissement – prévue au canon 1371 du Code de droit canonique promulgué en 1983. « Je vous demande donc de cesser de rejeter avec opiniâtreté la doctrine que le Pape avec le second concile du Vatican a énoncée en matière de foi ou de mœurs, même s’ils n’avaient pas l’intention d’énoncer chaque point par un acte décisif, et de rétracter toutes vos affirmations contraires, reconnaissant dans la doctrine du concile l’expression de la vraie foi catholique. Je vous demande aussi de cesser d’exciter publiquement à la contestation ou à la haine le Siège apostolique ou l’Ordinaire du lieu à cause des actes de leur ministère ecclésiastique. Je vous demande de cesser d’inciter ceux qui vous entourent à désobéir à l’Ordinaire du lieu en refusant le visiteur que j’ai proposé à votre communauté. Je vous demande enfin à nouveau de cesser toutes vos activités. »
Le canon 1371 menace d’une juste peine – Mgr Daucourt menaçait explicitement notre Père de la censure de l’interdit – « 1. qui, en dehors du cas dont il s’agit au can. 1364, § 1, [l’apostasie, l’hérésie ou le schisme] enseigne une doctrine condamnée par le Pontife Romain ou le Concile Œcuménique, ou bien qui rejette avec opiniâtreté un enseignement dont il s’agit au can. 752 et qui, après avoir reçu une monition du Siège Apostolique ou de l’Ordinaire, ne se rétracte pas ; » et le deuxième paragraphe de ce canon 1371 prévoit une juste peine également pour « qui, d’une autre façon, n’obéit pas au Siège Apostolique, à l’Ordinaire ou au Supérieur lorsque légitimement il donne un ordre ou porte une défense, et qui, après monition, persiste dans la désobéissance ».
En menaçant notre Père de la peine d’interdit dans sa monition du 10 mars, et comme le fait très justement remarquer l’abbé Coulomb dans son étude (cf. p. 119), Mgr Daucourt allait au-delà du canon 1371 qui ne prévoit qu’une « juste peine » dont la détermination, dans ce cas, est laissée à l’appréciation du juge qui ne peut infliger une censure sauf s’il estime que la gravité du cas l’exige absolument (cf. can. 1349). Mais c’est au juge de déterminer cette peine... ce que n’était pas encore Mgr Daucourt au stade d’une monition. Bref, on l’aura compris : avant que notre Père ne fut jugé, sa peine de condamnation était fixée d’avance... Restait simplement à trouver un délit – n’importe lequel ! – à trouver un fondement canonique – n’importe lequel ! –, mais que l’abbé de Nantes se taise ! Et par-dessus tout : pas de discussion !
À LA RECHERCHE D’UN MOTIF DE CONDAMNATION
Mgr Daucourt reprochait principalement à notre Père, et c’est considérable, non pas un délit d’hérésie ou de schisme, mais de rejeter avec opiniâtreté une doctrine relevant du canon 752. De quoi s’agit-il ?
Aux vérités qui sont contenues dans la Parole de Dieu, écrites ou transmises par la Tradition, et qui sont proposées par l’Église, soit au moyen d’un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel et qui doivent être crues de foi divine et catholique (cf. can. 1323 CIC/1917, puis can. 750 CIC/1983), le Code de droit canonique de 1983 a ajouté un deuxième degré d’enseignement, précisément au canon 752 lequel dispose : « Ce n’est pas vraiment un assentiment de foi, mais néanmoins une soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté qu’il faut accorder à une doctrine que le Pontife Suprême ou le Collège des Évêques énonce en matière de foi ou de mœurs, même s’ils n’ont pas l’intention de la proclamer par un acte décisif ; les fidèles veilleront donc à éviter ce qui ne concorde pas avec cette doctrine. »
Notre Père faisait remarquer : « Cette mise en valeur du magistère non définitif (ou non décisif, selon d’autres traductions) date, bien entendu, des Actes du concile Vatican II. Auparavant, tout ce qui n’était pas infaillible était déclaré et reconnu comme non infaillible, donc faillible, voire – pourquoi en exclure la possibilité ? – failli. Le cas échéant, ces nouveautés pouvaient, devaient même être dénoncées et refusées comme fausses.
« C’était la part de l’humain, partout où l’on ne revendiquait pas – en le prouvant par des signes indubitables et simples – la force divine dans le Magistère de l’Église (...). » (La Contre-Réforme catholique n° 349, septembre 1998, p. 2) En fait ce canon, poursuit notre Père, « réitère ce qu’on savait déjà, à savoir que dans leur enseignement actuel et particulier papes et évêques peuvent se tromper ou nous tromper, sans que pour autant l’ensemble des fidèles soit exempté du devoir de les suivre... presque aveuglément. Il n’empêche qu’un espace, couvert et exigu, est aménagé pour les justes remontrances des personnes compétentes et dignes ; la hiérarchie a toujours accepté d’examiner leurs critiques – sérieuses – et de modifier ses enseignements et ses décisions si cela s’avérait nécessaire. » (ibid.)
Et notre Père de faire remarquer qu’il est « vraiment bizarre de proposer, et pratiquement d’imposer un enseignement dont le Législateur déclare qu’il n’est pas lui-même convaincu de sa vérité ». D’où cette question capitale : « Dans quelle catégorie faut-il situer les doctrines conciliaires que nous refusons comme étant entachées d’hérésies et d’erreurs grossières ? Cette question est d’une importance considérable pour notre combat de contre-réforme catholique. Il est notoire que les partisans du groupe réformiste ont prétendu doter leurs nouveautés d’une espèce de super-infaillibilité charismatique, directement reçue du Saint-Esprit comme dans une Nouvelle Pentecôte. Mais toutes ces doctrines infuses se situent, de leur propre aveu, en dehors des catégories traditionnelles de la dogmatique catholique, faute de pouvoir invoquer et prouver un lien quelconque entre le dépôt révélé et leurs illuminations conciliaires.
« Nous avons donc toujours affirmé que ces nouveautés et celles qui les ont suivies (les doctrines de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, des droits de l’homme, et en général toutes celles qui sont répertoriées dans les trois Livres d’accusation et autres documents majeurs où je les ai exposées et dénoncées) ne sont pas infaillibles, si on donne à cette expression le sens strict que le magistère extraordinaire de l’Église lui a donné. Aucune de ces doctrines, en effet, ne bénéficie du statut de dogme révélé ou de vérité définitive, puisqu’on ne trouve pas la moindre trace en elles de la présence de l’une ou l’autre des deux formes du magistère comportant infaillibilité (le magistère extraordinaire et le magistère ordinaire et universel).
« Cette constatation de non-infaillibilité des nouveautés conciliaires et postconciliaires a été faite à plusieurs reprises dans nos publications, avant même que les décrets conciliaires ne soient promulgués. Cela a été accepté par les novateurs eux-mêmes (rappelez-vous le Père Congar à Annecy, le 8 février 1977) même si dans leur esprit la distinction entre infaillible et non infaillible était périmée, trop objective, trop cassante ! Selon eux, la valeur et la vérité d’une doctrine dépendaient plutôt de sa réception par le Peuple de Dieu, en phase avec ses Pasteurs et avec l’Esprit de cette Nouvelle Pentecôte... » (ibid. p. 5)
Mgr Daucourt engageait toute son autorité en tant qu’évêque de Troyes, successeur des Apôtres, pour répondre à cette question capitale en reconnaissant implicitement que les Actes du concile Vatican II et les enseignements subséquents des Souverains Pontifes ne relèvent pas du magistère extraordinaire ni ordinaire et universel. Mais en reconnaissant explicitement qu’ils relèvent de doctrines énoncées avec l’intention du Pape et des Évêques de ne pas les proclamer par des actes du magistère décisifs. Mgr Daucourt admettait que les doctrines en question ne sont pas infaillibles. Mais sous la forme d’une monition avec menace d’une sanction canonique, il exigeait de notre Père la soumission de son intelligence et de sa volonté pour qu’il cesse de rejeter, prétendument avec opiniâtreté, ces enseignements pourtant faillibles, qu’il rétracte toutes ses affirmations contraires, mieux : qu’il reconnaisse positivement dans la doctrine du concile Vatican II l’expression de la vraie foi catholique. Le fait était sans précédent. Pour la première fois, un prêtre, le prêtre qui s’opposait aux doctrines du concile Vatican II, allait se voir infliger une sanction canonique pour avoir refusé d’y voir l’expression pure et sans altération de la vraie foi catholique. Que fallait-il faire ?
Apparemment, notre Père se retrouvait avec Mgr Gérard Daucourt dans une opposition frontale analogue à celle qu’il connut le 10 décembre 1965, lorsque Mgr Julien Le Couëdic lui intima l’ordre de quitter le diocèse de Troyes et de cesser la publication des Lettres à mes amis, ce qui indirectement – et là était bien la vraie raison de la vindicte épiscopale – revenait à lui interdire toute critique à l’égard du concile Vatican II.
Mais les événements prirent une tournure bien différente avec l’accord conclu entre les parties puis sa dénonciation unilatérale par l’évêque lorsqu’il refusa net de transmettre à la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi en vue d’un examen doctrinal un dossier préparé par notre Père et comprenant les deux cent vingt premières Lettres à mes amis et accompagnées d’une requête à l’attention du cardinal Ottaviani. Motif allégué par Mgr Le Couëdic : le ton et le contenu prétendument injurieux de ladite requête. Et ce refus fut suivi d’une incroyable suspense lorsque notre Père décida de transmettre sa requête directement à son auguste destinataire tout en la rendant publique. Notre Père jugea bon d’accepter cette censure et pour deux raisons.
D’une part, au moment où il critiquait Concile et Pape notre Père préféra s’incliner vis-à-vis d’une sanction canonique même injuste pour bien marquer sa soumission de principe à l’autorité des pasteurs de l’Église qui n’en demeuraient pas moins légitimes, même au moment où ils posaient un acte tout simplement injuste, et ainsi se démarquer ostensiblement de toute attitude de rébellion voire même de schisme.
D’autre part, la sanction n’était – du moins en apparence – que disciplinaire et n’atteignait que la personne de notre Père. Elle prétendait ne sanctionner que le caractère injurieux aussi bien sur le fond que sur la forme d’une lettre adressée par notre Père à l’attention du cardinal Ottaviani. Mais elle ne préjugeait pas de l’examen doctrinal de ses écrits lequel put suivre son propre cours.
Mais en 1997, il en allait tout différemment. Mgr Daucourt donnait le vrai motif de la sanction : non plus une lettre prétendument mal tournée, mais cette réforme du concile Vatican II que notre Père refusait par fidélité à Jésus-Christ et à son Église avec toute sa Tradition, mais dans laquelle l’évêque de Troyes avait mis toute sa foi et toute sa passion. Partant de là notre Père ne pouvait consentir à une sanction canonique sans paraître faire acte de soumission religieuse de son intelligence et de sa volonté à ce qui en constituait le motif. Un tel silence dans de pareilles circonstances, de la part de celui qui en était l’opposant déclaré, c’était laisser l’évêque de Troyes, dans l’exercice de ses pouvoirs de gouvernement et d’enseignement, conférer a posteriori au concile Vatican II une apparence canonique d’infaillibilité. Il eût été par ailleurs contradictoire de la part de notre Père, qui réclamait depuis des décennies un jugement doctrinal sur ses écrits, de s’y soustraire quand la monition d’un évêque lui en donnait providentiellement le moyen canonique de l’obtenir.
Il fallait répondre à la monition de l’évêque de Troyes, comme notre Père le fit en 1969 à l’ultimatum de cardinal Seper... comme Jeanne d’Arc répondit à ses juges avec pugnacité et sagesse, sur ordre du Ciel ! Le bûcher ne lui fut pas, il est vrai, épargné ! Mais aurait-on l’idée aujourd’hui de penser qu’il aurait mieux valu pour elle qu’elle gardât un silence héroïque plutôt que de se lancer à corps perdu dans ce « beau procès » que lui avait préparé l’évêque de Beauvais ?
Au terme d’un mémoire daté des 19 et 25 mars 1997, notre Père signifia à Mgr Daucourt l’empêchement dans lequel il se trouvait à se soumettre à sa monition et dans toutes ses dispositions.
In limine litis, il souleva l’incompétence de l’évêque de Troyes dans une affaire qui présentait un lien de connexité avec celle dont était saisie la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi depuis la requête du 16 juillet 1966 et qui concernait l’examen doctrinal de l’ensemble de ses écrits. Cette instance qui donna lieu à de multiples démarches et actes de procédure – le livre d’accusation en hérésie, schisme et scandale déposé le 13 mai 1993 à l’encontre de l’auteur du prétendu Catéchisme de l’Église catholique en étant le dernier – était toujours pendante devant la Congrégation romaine à défaut d’une sentence définitive. Cette exception d’incompétence était d’autant plus justifiée que Mgr Daucourt, dans sa déclaration du 27 juillet 1996 avait lui-même clairement affirmé que le débat doctrinal engagé par notre Père les trente dernières années relevait de la seule autorité romaine.
Et à supposer même que l’évêque puisse connaître cette affaire, aujourd’hui comme hier et comme demain, aucune condamnation possible à l’encontre de notre Père sans d’abord un examen préalable, doctrinal de ses accusations en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des Actes du concile Vatican II et des argumentations très élaborées, très développées et publiées tout au long des années 1962 à 1997 dans les Lettres à amis et la Contre-Réforme catholique. En refusant de voir dans les doctrines des Actes du Concile l’expression de la vraie foi catholique, comme le jugeait Mgr Daucourt, notre Père aurait manqué à la soumission religieuse de l’intelligence que de telles doctrines auraient méritée au visa du canon 752, s’agissant d’actes du magistère énoncés par le Pape et le Concile sans l’intention de les proclamer par un acte décisif. Mais en présence d’actes qui ne relèvent pas du magistère infaillible, ces derniers jouissent d’une simple présomption de vérité que l’on peut et doit renverser lorsque ces actes non infaillibles ont failli. Dans son mémoire en réponse, notre Père se réfère à l’opinion du professeur L. de Echeverria qui indique dans son commentaire du canon 752 : « Une telle soumission, cependant, n’est ni absolue ni inconditionnelle, comme il en est de l’acte de foi ; il s’agit en réalité d’une certitude authentique, mais seulement morale et relative. Comme une possibilité d’erreur peut se glisser dans l’enseignement proposé, il peut arriver que le chrétien qui le reçoit puisse ne l’accepter que sous réserve qu’il ne soit pas une erreur. La présomption de la vérité est toujours du côté de l’autorité, mais elle peut être détruite par des preuves contraires. (Code de droit canonique annoté, éd. Cerf / Tardy, 1989, p. 447-448) »
Énorme maladresse de Mgr Daucourt qui, en reconnaissant implicitement que les Actes du concile Vatican II ne sont pas infaillibles, donnait à notre Père une prise canonique pour ouvrir une discussion doctrinale, ce qu’il faut impérieusement éviter sous peine de provoquer l’écroulement de l’incroyable mystification qui s’est jouée sous couvert d’une prétendue Nouvelle Pentecôte qu’aurait connue l’Église entre 1962 et 1965.
Mgr Daucourt répondra le 9 mai 1997 en édictant un précepte pénal qui fut le signe évident d’un fléchissement de sa tactique.
L’abbé Coulomb est obligé de reconnaître que « ce qui présida à ce choix est assez difficile à déterminer » (cf. p. 121 de son étude). En effet, la monition du 10 mars une fois notifiée à notre Père et rejetée par ce dernier, l’évêque, suivant sa logique, était en droit soit d’engager un procès pénal à l’encontre de notre Père soit même de lui infliger directement une peine par décret extra judiciaire (can. 1718). Le refus explicite de notre Père d’embrasser les Actes du concile Vatican II comme l’expression de la vérité de la foi catholique établissait – prétendument – l’opiniâtreté avec laquelle il rejetait des actes certes non décisifs du magistère, mais exigeant néanmoins la soumission de l’intelligence et de la volonté. Or le précepte pénal qui n’avait aucune nécessité canonique montre que Mgr Daucourt, tout en feignant de se placer dans la continuité de la monition du 10 mars 1997, reprenait l’affaire “ à zéro ” pour subrepticement rectifier un tir maladroitement engagé sur l’autorité des Actes du concile Vatican II.
Le précepte pénal du 9 mai 1997, lapidaire sur le fond et sur la forme, intima à notre Père cinq injonctions qui, si elles n’étaient pas respectées dans un délai de huit jours, conduiraient l’évêque à lui refuser l’accès aux sacrements d’eucharistie et de pénitence :
« Je vous demande aujourd’hui, en vertu de mon autorité épiscopale et selon les canons 49 et 1319 du Code de droit canonique : 1. de cesser d’accuser d’hérésie, de schisme et d’apostasie le second concile du Vatican, le pape et les évêques qui sont en communion avec lui ; 2. de cesser de provoquer les fidèles à la contestation contre le Siège apostolique et l’autorité des évêques ; 3. de ne plus publier votre bulletin mensuel intitulé “ La contre-réforme catholique au XXe siècle ” ; 4. de quitter la direction des groupes masculin et féminin connus sous le nom de Petits Frères et de Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus et de résider ailleurs qu’à Saint-Parres-lès-Vaudes ; 5. de vous engager à observer la suspense a divinis portée par Monseigneur Le Couëdic le 25 août 1966 en quelque lieu du diocèse que ce soit. »
Mgr Daucourt était donc bien décidé à couper court à toute discussion. Il renonçait à se prévaloir des prétendues hérésies personnelles de l’abbé de Nantes ainsi qu’aux prétendus comportements immoraux... Il renonçait également à devoir se prononcer sur l’autorité magistérielle des Actes du concile Vatican II et sur les enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II. Impossible d’aborder de pareils sujets avec comme contradicteur un abbé Georges de Nantes sans prendre le risque d’une discussion au résultat bien aléatoire...
Pas question pour lui d’avoir à se plonger dans l’œuvre immense de l’abbé de Nantes pour étayer une condamnation qui ne fait pas l’ombre d’un doute dans son esprit. Il veut s’en tenir à l’essentiel, à ce qui lui semble indiscutable à lui et, selon lui, à toute l’Église, comme le Père lui expliquera dans son mémoire en réponse daté du 13 mai 1997 : « Un examen attentif de votre précepte révèle que cette “ contre-réforme catholique ” seule demeure objet de ce Procès engagé par Votre Excellence le 27 juillet dernier, tout le reste n’étant qu’éléments accessoires (...). Relisant vos diverses monitions, je n’y vois plus que deux volontés arrêtées, et dramatiques : vous n’acceptez pas la liberté de nos consciences dans l’exercice de notre foi et de notre obéissance à la loi divine ; et en conséquence, vous édictez l’ordre exorbitant à notre Communauté de disparaître purement et simplement. Eh ! bien non. Nous sommes libres en face de pareil abus de pouvoir. Frappez-nous et nous en appellerons à Rome. À nos risques et périls ? Absolument. Non pour défendre nos personnes contre des accusations infamantes, mais pour que soit prononcé un jugement, de manière “ décisive ”, dogmatique et infaillible, entre la “ foi ” moderniste qui prétend envahir aujourd’hui toute l’Église, et la foi catholique qui ne variera jamais, que l’ensemble des fidèles n’a pas reniée et qui n’attend que de voir sa liberté protégée contre l’arbitraire pour recouvrer sa pureté et sa splendeur de toujours. » (La Contre-réforme catholique n° 334, juin 1997, p. 7)
Et notre Père de développer une savante argumentation canonique qui s’articule autour du moyen essentiel tiré de la légitimité dogmatique et canonique du principe d’une contre-réforme catholique contre le principe hérétique de la “ réforme ” de l’Église et du dépôt de la foi qui lui a été confié et des accusations qui en découlent impérieusement, en hérésie, schisme et scandale aussi bien contre les Actes du concile Vatican II et les enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II. Cette contre-réforme catholique est d’autant plus légitime que d’une part elle s’oppose à des enseignements qui ne peuvent se prévaloir d’aucune qualité d’infaillibilité propre au magistère donné sous la forme extraordinaire ou ordinaire et universel qui seuls engagent l’Église et que d’autre part elle renvoie à l’autorité du Souverain Pontife pour trancher cette opposition par un acte de son magistère solennel et infaillible permettant seul de rétablir l’unité et la paix dans la vérité de la foi catholique. Et en attendant un tel jugement, doit prévaloir la liberté de professer dans toute sa pureté et son intégrité la foi catholique qui seule assure la communion au sein même de l’Église.
Un décret du 1er juillet sera l’ultime réponse de Mgr Daucourt dans cette affaire avant qu’elle ne prenne la route de Rome. L’évêque maintient la suspense a divinis infligée à notre Père le 25 août 1966 et lui interdit l’accès aux sacrements d’eucharistie et de pénitence jusqu’à ce qu’il se mette en conformité avec toutes les dispositions du précepte pénal du 9 mai 1997. Mais pas plus que dans ledit précepte, l’évêque ne donne le moindre fondement canonique à une telle condamnation. Mais quel délit a commis notre Père ?
La désobéissance au Souverain Pontife ou à l’Ordinaire telle que définie au deuxième paragraphe du canon 1371 ? Sans doute. Mais si Mgr Daucourt ne s’y est pas explicitement référé, c’est certainement parce que le canon met une condition qui manque en l’espèce. Il faut que l’ordre ou l’interdiction soit « légitime ». Or comment considérer comme légitimes des ordres consistant à ce que, toute affaire cessante, notre Père s’abstienne de publier le bulletin de la Contre-Réforme catholique, abandonne la direction des communautés qu’il a fondées ainsi que toutes ses activités... bref mette un terme, du jour au lendemain, à toute une vie religieuse qu’il menait depuis plus de trente ans, au service, sans conteste du bien des âmes, sans remarque de quiconque, au vu et au su de toutes les autorités, sans fait nouveau sérieux qui puisse justifier une telle volte-face ?
L’excitation à la haine contre le Siège Apostolique ou l’Ordinaire et même l’incitation à la désobéissance envers les mêmes autorités de l’Église, telles que visées par le canon 1373 ? Ce fut certainement dans les intentions de Mgr Daucourt de reprocher ces délits à l’encontre de notre Père lorsqu’il écrivit parmi les motifs du décret du 1er juillet 1997 : « Considérant que Monsieur l’abbé Georges de Nantes a provoqué et provoque des fidèles à la contestation ou à la haine contre le Siège apostolique et l’autorité des évêques et, ainsi, a suscité et suscite un grave scandale parmi les fidèles, tant par son attitude que par des écrits dans lesquels il dénonce obstinément comme entachés d’hérésie certains textes promulgués par le pape Paul VI et les Pères du second concile du Vatican en reprochant à ceux-ci d’avoir introduit la religion de l’homme qui se fait Dieu à la place de l’authentique foi catholique et dans lesquels il accuse d’hérésie, de schisme et d’apostasie le concile, le pape et les évêques en communion avec lui jusqu’à déposer des libelles à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II. »
Ne pas se référer explicitement au canon 1373 a permis à Mgr Daucourt de se libérer et de la lettre et de l’esprit de la Loi. L’excitation à la haine, à l’aversion voire à la désobéissance est une chose, la critique doctrinale, intellectuelle et dogmatique des Actes d’un concile ou d’un Souverain Pontife en est une autre et les livres d’accusation en hérésie, schisme et scandale en est même encore une autre. La déférence due au Pape et aux évêques de l’Église, le respect de leur autorité, de leur personne voire l’obéissance à laquelle ils ont droit n’exclut pas qu’ils puissent se tromper et qu’une critique légitime puisse leur être adressée. Et lorsque ces critiques, voire une accusation en hérésie et schisme sont étayées par une argumentation sérieuse et très développée, celles-ci appellent un examen doctrinal de la plainte, une réponse à l’accusation et non pas une condamnation vindicative pour un prétendu crime de lèse-majesté commis par le simple fait qu’une critique a osé être élevée. Comme notre Père a eu l’occasion de l’écrire à de multiples reprises, le pape et les évêques, même en communion, ne sont pas des dieux. Mais ils détiennent de Jésus-Christ, il est vrai, de redoutables pouvoirs spirituels pour défendre la foi catholique et notre Père les a accusés de les détourner pour se libérer du joug de Jésus-Christ, de toute la Tradition pourtant immuable de l’Église et s’inventer une tradition tout humaine qui flatte l’orgueil du peuple fidèle, mais surtout un monde pourtant sous la domination de Satan afin d’en recevoir paix, reconnaissance et récompense.
Enfin troisième et dernier délit possible imputé à notre Père : le rejet opiniâtre des Actes du concile Vatican II et des enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II ? Sans doute, oui, lorsque Mgr Daucourt rappelle son exigence qui fut la sienne dans la monition du 10 mars 1997 « d’avoir à rétracter ses erreurs », mais en se gardant bien de dire précisément en quoi consistent ces erreurs, en quoi il se trompe. Toujours ce même procédé qui fut celui de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi dans sa notification du 9 août 1969 et celui de Mgr Hamer le 13 mai 1983 : reprocher à notre Père des erreurs, prétendre même qu’il les aurait reconnues, mais sans jamais les définir.
Donc notre Père était bel et bien frappé de la peine d’interdit pour avoir refusé de reconnaître dans les Actes du concile Vatican II et les enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II comme l’expression de la pure et intégrale foi catholique, mais sans que ce motif ne soit dit d’une façon aussi directe, aussi claire, de manière à ne donner au prétendu délinquant aucune prise dans une discussion d’ordre doctrinal. De son côté, l’abbé Coulomb relève une cascade d’irrégularités qui entachent d’une nullité irrémédiable toute la procédure : absence de monition après le précepte, formalité pourtant obligatoire pour qu’une censure puisse être validement infligée (can. 1347 § 1), absence de décret précisant les « justes causes » pour lesquelles l’Ordinaire a décidé de sanctionner par voie extrajudiciaire plutôt que d’engager un procès (can. 1342, § 1 et 1718 § 1, 3°), absence de notification préalable de l’acte d’accusation et des preuves en violation du principe du contradictoire, et absence de consultation pour avis de deux assesseurs (can. 1720, 1° et 2°).
Restait à notre Père de porter cette affaire à Rome.
NOUVEL APPEL À ROME
« Le recours aux autorités romaines constitue pour nous, écrit notre Père à Mgr Daucourt le 1er juillet 1997, canoniquement, le terme apaisant de notre première instance, notre “ procès troyen ”, quelle qu’en soit la sentence. Veuillez admettre que les choses se trouvent ainsi dénouées devant votre tribunal, et se renouent légitiment devant le Sacro-saint Tribunal de la foi.
« Je suis sûr et certain de combattre, hélas, il le faut ! pour la vraie foi catholique, sans laquelle nul ne peut être sauvé et admis par notre très chéri Père céleste dans sa béatitude éternelle. Je suis assuré depuis le 19 mars, car c’est chose nouvelle, de mener ce combat selon le droit, en fidélité à la sainte hiérarchie de l’Église. Je ne cèderai donc rien sur notre ligne de défense, dite de “ la Contre-Réforme catholique au XXe siècle ”. Je suis moralement persuadé, pardonnez mon audace, que semblablement Votre Excellence est sûre et certaine de nous combattre pour la défense et l’exaltation de la foi conciliaire, avec toute la puissance du pouvoir épiscopal qui vous a été conféré. Le procès s’est ainsi lié : la contradiction des parties est indubitable. Je suis sûr d’avoir raison, devant Dieu, et Vous êtes en droit de penser aussi honnêtement et fortement que j’ai tort et qu’il vous appartenait de m’empêcher de nuire au troupeau confié à vos soins, et de me nuire à moi-même. Ce différend, devenu public, a duré maintenant assez pour qu’il ne s’envenime pas et ne donne pas occasion de scandale. Je ne pense qu’à le voir terminé, et pour cela j’en appelle à la Juridiction supérieure à laquelle nous sommes également et religieusement soumis. J’espère, en ce qui me concerne, que ce recours né de notre différend englobant tout le débat de notre “ Contre-Réforme catholique ”, me fera, par grâce, toucher enfin au but de trente ans d’appel au Juge infaillible romain, Juge souverain et ultime dont les définitions et les anathèmes sont sans humaine réplique, irrévocables et saints (...).
« Le jour viendra, et comment ne pas le désirer et hâter par nos suppliantes prières au Cœur Immaculé de Marie et par Elle au Cœur Sacré de Jésus ! où Rome ayant admis de considérer notre litige, au-delà de ses aspects disciplinaires, son fond dogmatique et moral, ayant énoncé la Vérité décisive sur les contradictions de la nouvelle religion par rapport à l’ancienne, le peuple fidèle n’aura pas d’autre désir que d’adhérer à l’unique Vérité révélée, dans la soumission heureuse à l’Autorité sainte du Pape et des Évêques unis à lui, retrouvant ainsi leur communion fraternelle, universelle, dans la circumincessante Charité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » (La Contre-Réforme catholique n° 335, juillet 1997, p. 3 et 4)
Pour faire appel à Rome, notre Père présenta deux recours, l’un contre le précepte pénal du 9 mai 1997, l’autre contre le décret pénal du 1er juillet 1997, non pas devant la Congrégation des évêques, bien que supérieure hiérarchique de Mgr Daucourt, mais devant la Congrégation pour la doctrine de la foi qui seule jouit, à Rome, du pouvoir souverain et discrétionnaire de juger les doctrines à la seule lumière de la vérité de la foi catholique.
Or l’affaire de notre Père, avant d’être disciplinaire dans ses conséquences, est d’abord d’ordre doctrinal. Avant de déterminer si notre Père est un désobéissant, un révolté habitué à tenir les propos les plus injurieux, il faut d’abord juger la valeur doctrinale de ses accusations de délits contre la foi que constituent l’hérésie, le schisme et finalement l’apostasie. De surcroît, cette Congrégation connaissait cette affaire et notre Père voulait placer son recours dans la continuité du procès de 1968 lequel était toujours pendant à défaut d’un jugement doctrinal jamais rendu.
En 1968, la question posée à la Congrégation pour la doctrine de la foi était la suivante : « La hiérarchie ayant proclamé la réforme de l’Église, pouvait-on soutenir doctrinalement un traditionalisme qui lui est farouchement contraire et s’opposer pratiquement à sa mise en œuvre autoritaire ? Le théorème qui fait la substance de ma lettre : “ L’orgueil des Réformateurs ” du 11 octobre 1967, adressée au pape Paul VI (La Contre-Réforme catholique nos 1-2), est celui-ci : la tradition catholique et apostolique exclut le principe même d’une réforme générale et permanente de l’Église ; il lui est contradictoire. C’est ma... doctrine, sur laquelle portèrent tous les efforts des consulteurs. » (La Contre-Réforme catholique n° 335, juillet 1997, p. 28)
À cette question de principe à la fois dogmatique et canonique, la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi ne sut apporter aucune réponse hormis une injonction sévère faite à notre Père d’avoir à se soumettre sans condition et sans limite à tous les actes du magistère du Pape et des évêques pour finalement considérer, puisque notre Père se refusait à cette soumission musulmane qui lui était imposée, que ses critiques du magistère par leur généralité disqualifiait toute son œuvre. Mais vingt-huit années plus tard, la sanction canonique infligée par Mgr Daucourt donnait providentiellement à notre Père le moyen canonique de reprendre ce procès-là où la Sacrée Congrégation pour la doctrinale de la foi l’avait suspendu en août 1969, de verser officiellement aux débats les trois livres d’accusation dressés en 1973, 1983 et 1993 en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des Souverains Pontifes et de focaliser toute la discussion sur la question difficile, à la foi dogmatique et canonique, mais décisive, de l’autorité des Actes du concile Vatican II et de tous les Actes de Paul VI et Jean-Paul II pris dans la suite de cette révolution conciliaire de l’Église.
Au soutien de sa défense – et en fait de son accusation – parut un article de Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi publié sous le titre : « À propos de la réception des documents du magistère et du désaccord public », dans l’Osservatore romano du 20 décembre 1996 puis dans La Documentation catholique du 2 février 1997. Apparemment destiné à recadrer des théologiens progressistes prônant des théories hasardeuses telle l’ordination sacerdotale conférée aux femmes, ce document redonnait avec autorité la définition catholique et traditionnelle du magistère ordinaire et universel de l’Église et rappelait son caractère infaillible. Et fort de cet article qu’il retournait contre son auteur, celui-là même qui signera son arrêt de mort, notre Père concluait son mémoire en trois points :
« 1. Le consensus de l’Église d’où jaillit toute infaillibilité en matière de dogme et de morale “ ne peut être compris dans un sens purement synchronique [instantané, actuel], mais doit être compris dans un sens diachronique [permanent, perpétuel]. Cela veut dire que le consensus moralement unanime embrasse toutes les époques de l’Église, et c’est seulement si on écoute cette totalité que l’on demeure dans la fidélité aux Apôtres. ” (T. Bertone)
« 2. En ce qui concerne les doctrines que le magistère a déclarées ou déclarera à l’encontre de la Religion d’hier par souci de modernité, ou de culte de l’homme, ou d’œcuménisme ou d’autres nouveautés de ce genre qui ne découlent pas du dépôt de la foi, je me permettrai d’en manifester ma tristesse et mon désaccord. Je ne le condamnerai pas n’en ayant point les pouvoirs, mais dans la mesure de mes forces je continuerai à les dénoncer aux Autorités et à mettre en garde les fidèles contre ce qui ne vient pas de Dieu, mais des hommes.
« 3. Enfin, ce dont je suis sûr, c’est que Vous-même, Éminence, ni personne à Rome en ayant le pouvoir, ne prendriez la responsabilité de m’excommunier pour ces refus même insolemment formulés. Parce que pareils anathèmes contre nous autres, catholiques allergiques à la religion conciliaire, impliqueraient une infaillibilité explicite et extraordinaire accordée à tout ce qui relève de la modernité. Ce que Jésus-Christ, source de toute Vérité, et son Esprit-Saint ne permettront jamais.
« Ainsi devrons-nous, s’il vous plaît, faire le tri entre les diverses doctrines “ non décisives ” où se mêlent actuellement toutes espèces de vérités et d’erreurs, de toutes origines et sources, et distinguer toutes les nouveautés suivant leur orthodoxie.
« Et toujours, à tout prix, demeurer paisiblement dans la communion catholique. Ce travail de Contre-réforme peut être long. Aussi ai-je encouragé nos amis à ne pas se laisser aller, par schisme ou par hérésie, hors de l’Église, l’Arche de salut de notre humanité rachetée. » (La Contre-Réforme catholique n° 335, juillet 1997, p. 30 et 31)
Dans son second recours régularisé le 22 juillet 1997, notre Père défère devant la Congrégation pour la doctrine de la foi le décret pénal du 1er juillet 1997 en reprenant chacun des cinq griefs contenus dans la décision et justifiant l’interdit pris par Mgr Daucourt pour établir de façon complète et systématique, leur inanité, leur nullité tant sur la forme que sur le fond en se plaçant d’abord sur le terrain du droit pénal de l’Église. Aucun des délits visés dans le décret, en particulier l’incitation des fidèles à la haine et à la désobéissance envers le Souverain Pontife et les évêques en communion avec ce dernier, ne lui est imputable. Mais dans ce deuxième recours, on sent bien que notre Père demande simplement la liberté de pouvoir professer dans toute son étendue et ses implications la foi catholique et de revenir au statu quo d’antan. « Je pense que, en conscience, nous nous sommes acquis par nos services rendus (...) et par nos luttes contre les puissances de l’enfer déchaînées en ce monde, le droit de poursuivre tranquillement notre labeur écrasant, tout instauré sur le Christ et confié au Saint Cœur Immaculé de Marie, sans que la hiérarchie ecclésiastique en prenne ombrage et y fasse obstacle (...).
« Mais recouvrer et conserver le statu quo n’est certes pas suffisant. C’est un intérim, pour ramener la concorde et la paix. Resterait, selon nos vœux, à reprendre exactement ce projet de réconciliation qui faillit se concrétiser en 1978. » (La Contre-Réforme catholique n° 337, 15 août 1997, p. 17) Et notre Père d’en terminer en proposant une confrontation franche et loyale entre la mouvance “ traditionnelle ” et celle dite “ conciliaire ” en vue de retrouver l’unité. « Cette réduction des oppositions entre Anciens et Modernes, à la seule et très pure loi de la foi nous rendra notre Église habitable, tous étant sûrs de la loyauté de tous sur le principe dès lors parfaitement compris : de l’unité dans les choses divinement nécessaires, de la coexistence pacifique dans les choses humaines, et d’une ardente charité fraternelle, filiale et apostolique en tous les sacrifices et toutes les générosités inspirés par l’Esprit-Saint en faveur de l’Église et de ses ouvertures missionnaires (ibid.).
LE CRIME DE LA CONGRÉGATI0N POUR LA DOCTRINE DE LA FOI
La Congrégation pour la doctrine de la foi saisie des recours de notre Père se prononcera par une lettre du 24 mars 1998, signée par son secrétaire, le cardinal Tarcisio Bertone, adressée à Mgr Daucourt. La Congrégation décide de ne pas accueillir son appel et de confirmer, pour un temps indéterminé, la mesure de suspense a divinis adoptée par l’évêque.
Et voici la motivation laconique de cette décision de rejet :
« Récemment il a été signalé à cette Congrégation que l’Abbé de Nantes – après être retourné dans le diocèse de Troyes désobéissant aux dispositions de son Ordinaire – continue à diffuser, à travers sa prédication, des doctrines erronées consistant en une conception sensualiste de l’eucharistie et en la notion d’un présumé “ mariage mystique entre le Christ et Marie ”. Il est en outre accusé d’avoir pris le risque de traduire de telles théories en comportements immoraux inadmissibles de la part d’un prêtre. » (La Contre-Réforme catholique n° 345, avril 1998, p. 1)
Dans le libelle déposé le 24 mai 1998 devant la deuxième section du Tribunal suprême de la Signature apostolique afin de voir annulés ou rescindés la décision portée par la Congrégation pour la doctrine de la foi le 24 mai 1998 ainsi que les décrets du 9 mai et 1er juillet 1997 pris par Mgr Daucourt, notre Père développe un magnifique et exhaustif réquisitoire à l’encontre des décisions déférées à l’examen de la juridiction suprême de l’Église. Ce libelle est construit à partir du détournement de pouvoir auquel se sont livré ces hommes d’Église pour infliger à notre Père une censure dans le seul but de réduire au silence l’opposant à la réforme, mais au mépris de la pureté de la foi, du dogme de la foi et du salut des âmes qui pourtant demeurent la loi suprême de l’Église, comme le rappellent les tous derniers mots du Code de droit canonique en guise d’ultime conclusion (cf. can. 1752).
Un prêtre de l’Église soupçonne, affirme, accuse des actes du Magistère de l’Église d’être entachés d’erreurs à un point de gravité tel qu’on ne peut les embrasser en toute conscience, même par obéissance, sans altérer sa foi sans laquelle nul ne peut plaire à Dieu ni faire son salut et la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont la première compétence est précisément l’examen des doctrines à la lumière de la vérité de la foi, n’en a pas dit un traître mot, rien absolument rien, malgré les trois livres d’accusation en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II qui figuraient officiellement au dossier du requérant, dans le cadre d’un recours canonique régulier !
D’où ce déni de justice caractérisé de la part de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui n’a répondu à aucun des moyens en droit et en fait développés par notre Père au soutien de ses deux recours.
D’où cette substitution de motifs. Non plus son opposition au concile Vatican II comme le lui reprochait Mgr Daucourt, mais ces soupçons d’hérésie à propos de l’eucharistie et de la Sainte Vierge.
D’où ce crime... Dans le rappel très succinct des faits, le cardinal Tarcisio Bertone écrit en effet : « Contre ce décret [celui du 1er juillet 1997] l’intéressé [notre Père] a interjeté appel à la Congrégation pour la doctrine de la foi, déclarant faussement que “ l’évêque de Troyes a été dessaisi du dossier par Rome ”. » Où le secrétaire de la Congrégation a-t-il pu lire ces quelques mots de notre Père ? Dans l’un de ses recours contre les décrets de l’évêque de Troyes ? Absolument pas. Mais dans l’une des éditions du journal l’Est-Éclair de novembre 1997, dans un encart dans lequel le journaliste Philippe Laville écrit à propos de notre Père : « Quant à l’affaire qui l’oppose à l’Évêque de Troyes, il affirme que par ses deux recours à Rome, “ l’évêque de Troyes a été depuis dessaisi du dossier et c’est actuellement à la Congrégation pour la doctrine de la foi (ndlr : à Rome) de se prononcer sur l’ensemble des actions en cours ”. » Et que lit-on également dans ce même article toujours à propos de notre bienheureux Père ? On est renseigné sur « une conception sensualiste de l’Eucharistie et cette notion de mariage mystique entre le Christ et Marie »... Tout cela complaisamment étalé sous la “ foi ” de deux “ témoins ”, deux Judas des maisons Saint-Joseph et Sainte-Marie.
La juridiction suprême de l’Église dans la défense de la foi, sous l’autorité immédiate du Saint-Père pour l’assister dans cette écrasante charge de confirmer ses frères dans la foi... avait sous les yeux toute l’affaire du Père résumée, expliquée dans deux mémoires rédigés avec une rigueur canonique, une justesse théologique et un respect indiscutable des autorités supérieures de l’Église et s’est contentée de renvoyer vraiment comme le “ dernier des damnés ” sous le visa d’une coupure de presse, égout collecteur de racontars de “ bonnes femmes ” et d’un fin et lettré religieux, apostat de ses vœux. Mais ces hommes d’Église qui se livrent à une telle palinodie de justice ont-ils seulement encore la foi pour avoir rédigé un tel arrêt de mort à propos de notre Père ?
L’abbé Coulomb écrit de son côté : « Ce que nous comprenons en première analyse de cette notification, c’est que la congrégation a distingué entre deux causes qui lui étaient soumises. D’abord, elle a rejeté in limine litis l’appel, c’est-à-dire le recours contre l’interdit. Ensuite, elle a aussi rejeté le recours contre le refus de mettre fin à la suspense, faute de retour à résipiscence. Cela surprend au vu de ce que nous avons conclu de l’incompétence de la congrégation en ce qui concerne la suspense de 1966. Pour mieux comprendre cette décision, nous nous tournons, avec l’abbé de Nantes, vers le Tribunal suprême de la Signature apostolique. »
L’abbé Coulomb tente désespérément de faire cadrer le raisonnement de la Congrégation pour la doctrine de la foi avec les règles canoniques procédurales, imaginant une décision qui, avant tout examen au fond, aurait jugé en partie irrecevable le recours de notre Père faute d’avoir saisie le supérieur hiérarchique de Mgr Daucourt à savoir la Congrégation des évêques.
Non la Congrégation pour la doctrine de la foi ne suit aucune règle, aucune logique canonique. C’est une décision circonstancielle dans laquelle la Congrégation a statué en équité – ou plutôt en iniquité – pour renvoyer prestement à un évêque une affaire qui n’aurait jamais dû franchir les limites de son diocèse s’il ne s’était pas avisé de remettre en discussion l’autorité des Actes du concile Vatican II et des Actes subséquents de Paul VI et de Jean-Paul II, et ces accusations en hérésie, schisme et scandale contre la réforme conciliaire de l’Église, accusations dont Rome ne veut rien entendre. Sur ces sujets, aucune discussion n’est possible. L’évêque de Troyes sait désormais dans quelle direction il doit viser : les doctrines personnelles de notre Père qui en est, au passage, violemment diffamé. Mais ce dernier est aussi discrètement remis dans la situation canonique qui était la sienne avant les oukases de Mgr Daucourt, c’est-à-dire celle d’un prêtre frappé de suspens et non pas d’interdit, les parties étant instamment invitées à reprendre le statu quo d’antan. Rien de plus rien de moins. Il ne s’est rien passé. C’était d’une certaine façon bien joué, mais c’était sans compter sur l’examen de la deuxième section du Tribunal suprême de la Signature apostolique que notre Père a saisi d’un ultime recours daté des 24 et 27 mai 1998.
Notre Père ne devait plus en entendre parler pendant plus de deux années, malgré une demande d’information adressée au secrétaire de la juridiction en juin 1999. Pourtant des échanges eurent lieu, en violation du principe du contradictoire, entre le Tribunal et la Congrégation pour la doctrine de la foi. Finalement le Secrétaire rendra le 7 octobre 2000, in limine litis, sans examen au fond par le collège des juges, une sentence de rejet qui sera notifiée à notre Père le 8 janvier 2001. Comme l’écrit lui-même l’abbé Coulomb : « Malheureusement, ce décret est extrêmement confus. »
En fait, dans cette affaire, toutes les décisions sont confuses... ce que ce canoniste admet volontiers, mais sans en tirer la conclusion qui s’impose. Comment se fait-il qu’il ne se trouve pas un évêque, une congrégation ou même un tribunal capable de rédiger une décision claire ? Pourquoi ?
Le Secrétaire de la deuxième section du Tribunal suprême de la Signature apostolique entérine, sans discussion, les explications qui lui ont été données directement par la Congrégation pour la doctrine de la foi en violation de la règle du contradictoire, explications selon lesquelles : « L’abbé Georges de Nantes a présenté un recours à cette congrégation à l’encontre des mesures prises par l’Évêque de Troyes. Mais cette Congrégation n’a pas cru devoir étudier ce recours au sens des canons 1737 et 1739 du Code. Elle a seulement envoyé une lettre à l’ordinaire dans le but de confirmer, pour son information et sa gouverne personnelle, son propre jugement négatif inchangé sur les aperçus doctrinaux concernant les écrits et les activités de l’abbé Georges de Nantes, s’en tenant à cet égard uniquement à ses propres compétences définies par l’art. 51 de la constitution apostolique Pastor Bonus. » Et le Tribunal en la personne de son Secrétaire d’en conclure et de juger que la Congrégation pour la doctrine de la foi « s’est tenue uniquement à la compétence qui lui est reconnue par l’art. 51 de la constitution apostolique Pastor Bonus [l’examen des doctrines], que des délits contre la foi restent à juger selon la teneur de l’art. 52 de cette même constitution, et qu’on ne peut lui appliquer la procédure prévue aux canons 1737 et 1739 du Code. » Voilà des justifications bien enchevêtrées, bien malaisées pour cacher un grossier mensonge.
Il aurait été facile à notre Père de réfuter une telle assertion si les lettres adressées par la Congrégation de la doctrine de la foi adressées au Tribunal lui avaient été communiquées comme le principe du contradictoire l’exigeait. Dans sa décision du 24 mars 1998, ladite Congrégation ne s’est pas contentée d’un simple avis pour la gouverne de l’Ordinaire sur les écrits et les activités de notre Père, elle a décidé, eu égard aux graves soupçons infondés pesant sur ses doctrines personnelles, de ne pas accueillir l’appel tout en confirmant la mesure de suspense a divinis pour un temps indéterminé. Bien plus, la Congrégation achevait ainsi sa lettre adressée à l’évêque : « Vous priant de bien vouloir porter à la connaissance de l’intéressé la décision de cette Congrégation et d’en informer les fidèles de votre diocèse de la manière qui vous apparaîtra la plus opportune... » Mais pourquoi dénaturer la lettre du 24 mars 1998 ? Pour subrepticement la conformer à un motif d’irrecevabilité du recours exercé ensuite par notre Père.
En effet, la deuxième section du Tribunal suprême de la Signature apostolique, créé après le concile Vatican II, juge de la légalité des décisions à caractère administratif, en pratique celles émanant des congrégations romaines et faisant grief c’est-à-dire ayant une conséquence juridique pour leurs destinataires. Mais un simple avis prétendument donné à un évêque pour sa seule gouverne personnelle n’est pas une décision faisant grief. Il ne peut donc être déféré au contrôle de légalité de la deuxième section du Tribunal suprême de la Signature apostolique.
Par ailleurs, la Congrégation pour la doctrine de la foi ne serait intervenue que dans le seul cadre de l’article 51 de la Constitution Pastor Bonus sur l’examen des doctrines et non pas dans celui relatif aux délits contre la foi de l’article 52. C’est faux. La Congrégation pour la doctrine de la foi a confirmé la suspense pour un temps indéterminé. Elle est donc bien intervenue dans son domaine de compétence tel que défini par l’article 52.
Enfin, même dans le cadre de l’examen des doctrines et de leur conformité à la foi catholique, le Tribunal suprême de la Signature apostolique n’a certes pas compétence pour se substituer, dans une pareille matière, à l’appréciation de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui demeure souveraine et discrétionnaire. Mais il lui appartenait bien de vérifier et de constater qu’en s’abstenant d’exercer l’examen doctrinal des écrits de notre Père dans ses accusations en hérésie, schisme et scandale, vrais motifs de la suspense et de l’interdit qui lui ont été infligés par Mgr Le Couëdic et Mgr Daucourt, et comme elle en a été régulièrement saisie par ses deux recours, la Congrégation pour la doctrine de la foi a tout simplement violé l’article 51 de la Constitution Pastor Bonus.
Tel Pilate acceptant, en violation de la loi romaine l’accusation mensongère de Caïphe pour se montrer l’ami de César, fit crucifier Jésus qu’il savait innocent, le Tribunal suprême de la Signature apostolique a couvert de son autorité le crime de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui a préféré avoir tort avec Paul VI et avec Jean-Paul II, alors le Pape régnant, ne rien connaître de ces livres d’accusation d’un simple prêtre muni de sa seule foi, et s’adonner plus librement au culte de l’homme en lieu et place du culte de Jésus-Christ qu’ils honorent de leurs lèvres et peut-être même de leur piété, mais dont ils ont renié la divine et souveraine majesté sur son Église qu’ils prétendent gouverner au nom d’un magistère personnel, nouveau, novateur, faillible, réformable et en fait hérétique et schismatique.
CONCLUSION
Ce “ procès ” engagé par Mgr Daucourt a providentiellement ouvert à notre Père la voie d’un dépôt canonique, auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi, des trois livres d’accusation en hérésie, schisme et scandale qui résument toute son opposition à la réforme de l’Église et, en même temps, toute sa soumission au pouvoir suprême du Saint-Père, s’il veut bien l’exercer dans les formes solennelles, pour dire infailliblement où est la vérité et où est l’erreur. Mais à l’issue de tous ces recours gracieux, hiérarchiques et même juridictionnel, force est de constater qu’aucune décision, aucune erreur doctrinale, aucune sanction canonique n’a été rendue, relevée, prononcée vis-à-vis de notre Père à propos de ses critiques des Actes du concile Vatican II et de ses accusations en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II. Comme en 1969, ce silence, signe de l’indécision de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, est la preuve négative de la vérité des accusations de notre Père et de l’indéfectibilité de l’Église. Même à la “ simple ” question qui lui était posée sur l’autorité des Actes du concile Vatican II : la Congrégation pour la doctrine de la foi a préféré garder un silence absolu.
Quels enseignements aujourd’hui pouvons-nous tirer de cette affaire ?
Grâce à notre Père, martyr de l’obéissance de la foi, la Contre-Réforme catholique, les Communautés des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur et leurs amis demeurent, à part entière, un mouvement d’Église puisque la foi catholique n’est pas excommuniée. Être de contre-réforme c’est d’abord et tout simplement professer la seule foi de l’Église, c’est-à-dire tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la Tradition, c’est-à-dire l’unique dépôt de la foi confié à l’Église et qui est en même temps proposé comme divinement révélé par le magistère solennel de l’Église ou par son magistère ordinaire et universel. Et à la condition de nous réclamer des trois livres d’accusation désormais déposés officiellement et canoniquement auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi, nous avons le droit et même le devoir de réserver notre adhésion à ce magistère nouveau, novateur, réformable, faillible issu des Actes du concile Vatican II et des Actes subséquents des Souverains Pontifes dénoncés par notre Père comme hérétiques, schismatiques et scandaleux.
Et tant que nous professerons la foi catholique et reconnaîtrons le Pape et les évêques en communion avec lui comme pasteurs légitimes de l’Église, on pourra nous calomnier, nous reprocher notre prétendue “ position ecclésiale erronée ”, une absence de reconnaissance canonique, de ne pas être communion... et autres billevesées, nous demeurerons infailliblement enfants de l’Église car, comme l’écrivait notre Père dès 1968, « nul n’a le droit de décider de son propre chef que tels de ses frères, pasteurs du troupeau ou brebis, n’appartient plus à l’Église pour fait d’hérésie, de schisme ou d’apostasie. Il faut un jugement canonique de l’Autorité. » (La Contre-réforme catholique n° 8, mai 1968, p. 1)
Et d’ici « le retour du Seigneur qui ne saurait tarder » (art. 1er de la Règle provisoire des Petits frères du Sacré-Cœur de Villemaur), sous la vigilance du Cœur Immaculée de Marie « nous attendrons fidèlement, sans sédition, sans mouvements désordonnés, mais en tenant ferme dans notre foi, que l’Église se retrouve elle-même, telle qu’elle nous vient du fond des âges, après ce temps d’étourdissement et d’illusion », et nous ferons nôtres les paroles écrites par notre Père à Mgr Le Couëdic le 19 décembre 1965 : « Nous ne sommes pas la foi de l’Église, mais nous en sommes la Fidélité. » (Lettre à mes amis n° 220, 6 janvier 1966, p. 9)
frère Pierre-Julien de la Divine Marie.