Il est ressuscité !
N° 265 – Avril 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024
La “ France de Marie ”
Le triomphe du Saint Cœur
de Jésus et Marie contrarié (1638-1794)
Toute l’orthodromie mariale française monte vers le sommet de la consécration que le roi Louis XIII fit de son royaume, de sa couronne, de ses États et de sa personne à la Vierge Marie, le 10 février 1638, comme nous l’avons vu à la fin de l’article précédent (Il est ressuscité, n° 264, mars 2025, p. 21-34). Le Roi avait désiré y associer tous ses sujets : que chacun « se prépare à s’offrir avec moi à la bienheureuse Vierge, et à joindre ses prières aux miennes pour qu’il lui plaise de faire ressentir à ce Royaume les effets de sa puissante protection, et spécialement qu’au dit jour de l’Assomption tous mes sujets se portent d’une dévotion particulière à en célébrer la fête avec cette sainte intention ». On ne peut qu’admirer cette union du Corps mystique et politique du Royaume autour de sa Tête, de son chef, le Roi, dans le culte à Marie !
De son côté, le Père Joseph de Paris composa un Mémoire, en janvier 1638, afin que soient établis des prédicateurs « pour prêcher la dévotion que le Roi fait à la Sainte Vierge de mettre son royaume sous sa protection... durant trois ans, avec la permission des Ordinaires ». Le Père Joseph mourut en décembre 1638, avant d’avoir pu organiser cette “ mission mariale ” à l’échelle de toute la France, mais désormais tout culte public rendu en France à la Reine des Cieux fera référence à la consécration de 1638.
Toutefois, Satan ne s’avouant pas vaincu va chercher par tous les moyens à prendre sa revanche, en inspirant notamment les menées et les complots des jansénistes pour ravir à l’Immaculée son Royaume.
Le jansénisme est une sorte de calvinisme gallican, une religion de crainte et de rigorisme outré, prospérant sur un vieux fonds de mauvais esprit antiromain. Fanatiques et frondeurs, les jansénistes n’accordaient de salut à l’homme que par une grâce rare et toute spéciale d’un Dieu terrible. Ce qui produisait un attiédissement de la piété et même un rejet des pratiques de dévotion.
Ainsi, tout en décrivant les fruits de la consécration, nous allons voir comment, au cours des dix-septième et dix-huitième siècles, le règne de Marie et son triomphe furent contrariés par les mondains, les orgueilleux, les hérétiques, bref, tous les suppôts de Satan et leurs complices.
LOUIS, DONNÉ PAR LES MAINS DE LA SAINTE VIERGE.
Le premier fruit de la consécration fut sans conteste le Dauphin lui-même, futur Louis XIV, né le 5 septembre 1638. Le Père Louis Mainbourg, prêchant devant Louis XIII pour le premier anniversaire du vœu, lui disait : « Le Dauphin, ce présent exquis du Ciel, tu le dois au royal présent que tu as fait toi-même de la France à la glorieuse Mère de Dieu. » (Antoine Lestra, Marie, Reine de France. Le vœu de Louis XIII, Dole, 1939, p. 22)
Conviction partagée par les meilleurs esprits du royaume. Nul doute, affirmait Monsieur Olier, qu’il fut « donné par les mains de la Vierge ».
Un grand nombre de fondations religieuses, monastères, chapelles, séminaires, tableaux votifs, commémorèrent sa naissance. Louis XIII et Anne d’Autriche envoyèrent à Lorette, en Italie, deux couronnes de diamants et une image en or du poids de l’enfant. La plus belle des fondations fut l’abbaye du Val-de-Grâce, dédiée à Jésus naissant et à la Vierge-Mère, où Anne d’Autriche installa les Bénédictines de son amie mère Marguerite d’Arbouze, morte en odeur de sainteté. Derrière le maître-autel surmonté d’un baldaquin à l’italienne, on voit l’Enfant-Dieu dans la crèche entouré de Marie et de Joseph à genoux.
Dès son avènement, le jeune Roi fut conduit par sa mère à Notre-Dame de Chartres : il y fêta la Saint-Louis le 25 août 1643. « Ses affaires et celles de la France, écrit le chanoine Garreau, sont confiées à la Vierge : les discours des prédicateurs, les estampes rappellent à toute occasion cette intimité. Au cours de la période de troubles civils qui suit, cette dévotion devient une forme de fidélité au bien commun. » (Notre-Dame et la France, éd. du Cèdre, 1970, p. 105)
Le 25 mars 1650, le petit Roi, âgé de douze ans, renouvela à Dijon l’édit de consécration en invoquant l’exemple de son père et la dévotion de sa mère, afin de « témoigner les mêmes reconnaissances, et faire pareilles soumissions de nous et de notre couronne à la Sainte Vierge, espérant de jouir longtemps des effets d’une si forte protection ».
L’année suivante, à sa majorité, à treize ans ! il prononça devant la Sainte-Chapelle en présence du Parlement cette admirable prière : « Jésus-Christ, Roy du Ciel et de la Terre, je vous adore et reconnois pour le Roy des roys ; c’est de vostre Majesté Divine que je tiens ma Couronne. Mon Dieu, je vous l’offre pour la gloire de la très Sainte Trinité et pour l’honneur de la Reine des Anges, la Sacrée Vierge Marie, que i’ay choisye pour ma Protectrice et des Estats que vous m’avez donnés. Seigneur, baillez-moi vostre crainte et vne si grande sagesse et humilité, que je puisse devenir vn homme selon vostre Cœur, en sorte que je mérite efficacement le titre aimable de Louis Dieu-donné le Pacifique pour maintenir vostre Peuple en paix, afin qu’il vous serve avec tranquillité et l’accomplissement de toutes les vertus. »
Ainsi, Louis XIV, qui était Roi « d’instinct et de naissance », savait qu’il lui fallait être aussi « selon le Cœur de Dieu ».
LE FRÈRE FIACRE, GRAND INTERCESSEUR.
À ses côtés, dans l’ombre, on trouve la touchante figure du frère Fiacre de sainte Marguerite, qui devint le grand intercesseur, – on disait à l’époque le “ prieur ” –, de la famille royale. Simple et joyeux, ce fervent disciple de saint François d’Assise ne s’étonnait pas plus de sa familiarité avec les grands que des visions et dons de prophétie dont il était gratifié. En novembre 1647, il reçut l’ordre, par lettre de cachet, de se rendre à Chartres pour implorer par une neuvaine la guérison du Roi atteint de petite vérole. Quelques jours plus tard, le 7 décembre, il était parfaitement guéri. À la fin du mois, on l’y renvoya faire une neuvaine d’action de grâces et prier pour la paix.
L’année suivante, la guerre civile s’étant rallumée, la Reine, réfugiée à Saint-Germain, lui demanda d’y retourner pour supplier la Sainte Vierge d’apaiser le courroux de son Fils contre le royaume et le peuple de Paris. Le frère Fiacre se rendit à nouveau à Chartres, à pied, à l’intention du sacre du Roi. Et Louis XIV de le vivre, le 7 juin 1654, avec une profondeur et une conviction telles qu’il s’en souvint toute sa vie. Pour lui, l’essentiel était cette alliance que l’on passa à son doigt, signe du mariage contracté avec la France et pour le service de son peuple (Georges de Nantes, Histoire volontaire de la sainte et douce France, éd. CRC, 2019, p. 218).
Encore fallait-il qu’il lui soit fidèle.
L’AGRANDISSEMENT DU ROYAUME.
L’agrandissement du Royaume fut un autre fruit de la consécration. Alors que des difficultés intérieures imprévues survenaient en Espagne avec la révolte de la Catalogne et la sécession du Portugal, Louis XIII repoussa l’invasion et les troupes françaises passèrent à l’offensive, elles reprirent Arras en 1640 et obtinrent par ailleurs la capitulation de Perpignan le 9 septembre 1642. Nos différentes victoires permirent d’étendre les frontières du Royaume et d’y ajouter presque toute l’Alsace et le Roussillon.
Cinq jours après la mort du Roi, une très sainte mort le 14 mai 1643, le duc d’Enghien, fils du grand Condé, battit à Rocroi les tertio Espagnols, réputés invincibles. Au matin de la bataille, le prince avait promis d’offrir à la Vierge Marie une statue en son honneur. Elle fut baptisée Notre-Dame de la Victoire et on peut toujours la voir dans l’église Saint-Remy d’Amiens.
Lepré-Balain, le biographe du Père Joseph, remarquait en 1647 : « Depuis le vœu à la Vierge Marie, la France a ressenti les effets de sa puissante protection. Toutes nos affaires reprirent avec tant de bonheur, qu’il semble que ce soit un songe, ou que nos ennemis aient perdu cette haute estime qu’ils se donnaient de vouloir faire la loi à toutes les nations et surtout d’humilier la nôtre. »
La France était mariale, comme on le découvre avec émerveillement en feuilletant le recueil composé dans les années 1660 par le Père Vincent de Laudun, dominicain de la province de Toulouse. C’était la première topographie mariale du Royaume de France. Le Père Vincent était un excellent enquêteur, un bon conteur, et ce qui ne gâte rien, doué d’un bon coup de crayon. Il répertoria pas moins de trois cents sanctuaires, qui tous chantent les louanges de Marie par le récit de ses miracles. C’est un enchantement de le lire, car on voit la Sainte Vierge chez Elle au saint Royaume de France, « qui est du domaine de la Mère de Jésus », dit-il. Ce guide illustré, d’un vigoureux esprit de Contre-réforme, constitue une véritable apologétique antiprotestante.
LE MIRACLE DE L’OSIER CONVERTIT LES PROTESTANTS.
En 1649, un paysan dauphinois, calviniste fanatique, Pierre Port-Combet, dont l’épouse était bonne catholique, voulut tailler ses osiers le jour de l’Annonciation, qui était à l’époque fête d’obligation. Ayant commencé la taille, malgré les mises en garde de sa femme, il s’arrêta bientôt, stupéfait, parce que chaque coup de serpe faisait jaillir du sang à la place de la sève ! Sa serpe, ses mains et son haut-de-chausses se trouvaient tout ensanglantés. C’était visiblement un avertissement divin lui enjoignant de ne pas travailler le jour d’une fête de la Vierge Marie, chômée dans le Royaume.
Le récit du miracle fut publié à Lyon dès l’année suivante. En effet, dans sa Gazette du 24 août 1650, Théophraste Renaudot le déclarait « prouvé » par une double enquête : la première, civile, avait eu lieu cinq jours après le miracle, dès « le 30 mars 1649 devant Claude Rond, Juge et Chastelain de Vinay » ; la seconde, ecclésiastique, menée sur ordre « de l’évêque de Grenoble en date du 6 août 1649 », avait été « faite en janvier 1950 par Henri de Mollines, curé de Tullins, et Jean Moron, curé de Pollenas ; huit témoins y furent entendus ». Ainsi cette « merveille » se trouvait-elle solidement attestée et reconnue par l’Église.
Cependant, comme Pierre Port-Combet demeurait calviniste, il refusait d’abjurer la religion prétendue réformée, la Sainte Vierge, affligée de son endurcissement, descendit du Ciel pour le presser de se convertir.
« En mars 1657, alors qu’il laboure avec ses bœufs, il voit une jeune dame d’une grande beauté venir vers lui ; elle est vêtue de blanc avec un manteau bleu et une coiffe noire ; elle lui adresse la parole en ces termes : “ À Dieu sois-tu, mon ami ! Que dit-on de cette dévotion ? Y vient-il beaucoup de monde ? ”
« S’imaginant avoir affaire à quelque femme dévote venue voir l’osier, il répond : “ Bonjour Mademoiselle ; il y vient assez de monde, par-delà. ” Elle le questionne : “ S’y fait-il beaucoup de miracles ? ” Il devient méfiant et tout en affichant son scepticisme : “ Oh, des miracles ! ” il pique ses bœufs pour reprendre son travail.
« La belle dame ne le lâche pas : “ Arrête, arrête tes bœufs ! Et cet huguenot qui a coupé l’osier, où demeure-t-il ? Ne veut-il pas se convertir ? ” Il esquive encore cette question qui précisément le taraude depuis l’affaire de l’osier sanglant : “ Je ne sais pas, il demeure bien par-delà. ” Mais le voilà poussé dans ses derniers retranchements par la Dame qui le tutoie maintenant : “ Ah ! Misérable, tu t’imagines que je ne sache pas que ce huguenot, c’est toi ? ”
« Tandis qu’il s’entête à ne pas vouloir l’écouter, elle continue à délivrer son message : “ Sache que le temps de ta fin est proche. Si tu ne reviens pas à la véritable religion, tu seras un tison de l’enfer. Mais si tu changes, je te protégerai devant Dieu. Dis aux gens qu’ils prient davantage, qu’ils ne négligent pas la source de grâces que Dieu leur a ouverte dans sa miséricorde. ” »
Craignant des représailles de calvinistes, ils étaient nombreux dans la région, le paysan différa encore sa conversion. Toutefois, lorsqu’il se sentit très malade, cinq mois plus tard, il abjura, avec une grande sincérité, et reçut les sacrements en la fête de l’Assomption. Il mourut une semaine plus tard, le 22 août 1657, après avoir demandé à être enterré au pied de son osier.
Le Père Hiérosme de Sainte-Paule, prédicateur de la Province du Dauphiné, constatait que les pèlerins obtenaient au pied de l’osier des grâces, et parfois même des grâces extraordinaires, par exemple des résurrections d’enfants. Et d’en tirer la leçon suivante : le prodige de 1649 et ces miracles étaient destinés à « confondre les hérétiques.
« Les lois de l’Église interdisant le travail dimanches et jours de fêtes d’obligation, sont ratifiés par le Seigneur lui-même ; et, que le prodige ait eu lieu un 25 mars, fête de l’Annonciation de la très Sainte Vierge est le rappel évident des honneurs que Dieu exige pour sa Mère.
« Par ce moyen, la Divine Toute-Puissance mit les ministres (protestants) sans défense. Car tout le calvinisme n’ayant plus de raison parut plus muet qu’un poisson. » (Cité par le Père Delarue, Notre-Dame de l’osier, Lyon, 1966, p. 17 et 45)
En conséquence, toute la région revint à la religion catholique : les temples fermèrent et les pasteurs, faute de fidèles, émigrèrent.
NOTRE-DAME DU LAUS : BEAUCOUP DE PÉCHEURS S’Y CONVERTISSENT.
Il y eut dans ces mêmes années de nouvelles apparitions révélant toujours le même souci de notre Très Sainte Mère, à savoir convertir ses enfants, particulièrement les protestants et les jansénistes.
En 1652, à Querrien, centre géographique de la Bretagne, la Vierge Marie apparut à une petite bergère sourde et muette. Non seulement Elle la guérit, mais Elle lui fit retrouver une très ancienne statue enfouie depuis des siècles dans la vase (Il est ressuscité, n° 242, avril 2023, p. 29). Ce qui est remarquable dans ces apparitions, c’est le zèle et la rapidité avec lesquels Mgr de la Barde, évêque de Saint-Brieuc, diligenta une enquête et les reconnut. La première manifestation de la très Sainte Vierge eut lieu le 15 août et, le 8 septembre, l’évêque autorisait la construction d’une chapelle.
Les apparitions les plus importantes du siècle furent celles de Notre-Dame du Laus, dans un vallon reculé des Alpes. Saint-Étienne-le-Laus est en effet un petit village de la vallée d’Avance, au diocèse de Gap et d’Embrun. Le curé du lieu y enseignait que la Mère de Jésus est « toute miséricordieuse » pour pardonner aux pécheurs et les convertir. Il l’avait tant répété qu’une jeune bergère de sa paroisse, Benoîte Rencurel, souhaitait ardemment la voir, et elle la vit !
La Sainte Vierge lui apparut pour la première fois en mai 1664. Puis, le 29 septembre 1664, la belle Dame, toute de lumière, lui indiqua un lieu de rendez-vous : la chapelle de Bon-Rencontre, au Laus, où Elle allait répandre ses grâces, accomplir des miracles et, de surcroît, manifester sa présence par de bonnes odeurs. L’Apparition lui dit : « J’ai demandé le Laus à mon Fils pour la conversion des pécheurs et il me l’a octroyé... Je veux faire construire en ce lieu une grande église (qui) sera bâtie en l’honneur de mon très cher Fils et au mien. Beaucoup de pécheurs et de pécheresses s’y convertiront. »
De fait, commença au Laus une suite prodigieuse de conversions et de guérisons miraculeuses, sur laquelle de minutieuses enquêtes furent faites, et cela jusqu’à la mort de Benoîte, cinquante-quatre ans plus tard, en 1718. La messagère de la Vierge fut favorisée de grâces extraordinaires, comme de visiter le Ciel. Mais elle fut aussi conduite jusqu’aux portes de l’enfer : les démons et les réprouvés lui apparurent en nombre incalculable, le signe de la malédiction au front et voués aux plus affreuses tortures. Ils étaient plongés jusqu’à la ceinture dans des étangs de soufre et de feu ; elle entendit leurs grincements de dents, leurs cris de rage et de désespoir. Ce spectacle lui arracha des larmes de douleur et d’effroi ; elle en serait morte si deux anges n’étaient venus la tirer de là et la ramener dans sa chambre. Dès lors, elle redoubla de zèle pour la conversion des pécheurs, afin de les empêcher de tomber dans ces flammes dévorantes.
Un jour, la Vierge lui reprocha sa réponse à des huguenots qui lui demandaient si elle croyait qu’ils puissent se sauver dans leur religion. Elle leur avait dit qu’elle ne savait pas ! Assurément, elle avait manqué à la vérité. Comme punition, elle ne vit plus la Sainte Vierge pendant un mois !
Benoîte subissait de terribles assauts du démon et épuisera ses faibles forces pour répondre à sa vocation : appeler les pécheurs à la pénitence et à la conversion pour leur salut éternel.
Comme les pèlerins avaient pris l’habitude de la consulter, elle passait ses journées à consoler les affligés, encourager les faibles, fortifier les éprouvés, remettre les égarés dans le droit chemin. « Combien de personnes ont dit que le Laus est le Refuge des pécheurs, là où Dieu leur inspire de faire de bonnes confessions. La tendresse qu’a la Mère de Dieu pour les pécheurs lui fait employer tous les moyens pour leur faire quitter le péché : quand ils sont sourds aux secrètes semonces de la grâce, elle les fait avertir de vive voix par sa Benoîte. » (Témoignages de messieurs Gaillard et Peythieu)
Les grâces, les lumières divines, les révélations dont jouissait Benoîte allaient directement à l’encontre de la doctrine des jansénistes et des quiétistes. Le pèlerinage du Laus prouvait les salutaires effets de la dévotion mariale : le salut est offert à tous, même aux plus grands pécheurs, par la douce Médiation de Marie, mais à condition qu’ils se convertissent vraiment et qu’ils s’efforcent de réparer.
LOUIS DIEUDONNÉ ET LA GRÂCE DE COTIGNAC.
Louis XIV savait que des événements surnaturels avaient annoncé et entouré sa naissance, comme il n’y en avait encore jamais eu pour un autre roi. C’est la raison pour laquelle il se rendit en pèlerinage d’action de grâces à Cotignac, en compagnie de sa mère Anne d’Autriche, avant son mariage à Saint-Jean-de-Luz, à la frontière espagnole.
Le 21 février 1660, le Roi et la cour y furent accueillis par le clergé et les notables du lieu. Une délibération du conseil de Cotignac rapporte qu’après « avoir été introduites dans l’église avec toute la solennité que comportait la circonstance, Leurs Majestés allèrent immédiatement se prosterner devant le Saint-Sacrement et restèrent longtemps en prières. Ce ne fut pas sans émotion que la Reine mère contempla l’image de la Sainte Vierge, Notre-Dame-de-Grâces, représentée sur le fameux tableau de la révélation, que l’on avait replacé derrière le maître-autel. Ce tableau lui rappelait la suprême consolation et la joie ineffable que lui avait apportées le récit de l’humble frère Fiacre qui avait été favorisé d’une vision de ce tableau. Louis XIV se dépouillant du cordon-bleu dont il était revêtu, le déposa aux pieds de la Sainte Vierge. Anne d’Autriche voulant, de son côté, laisser aux Pères de l’Oratoire, qui desservaient la sainte chapelle, un souvenir de sa visite, fonda sur sa cassette particulière six messes pour être célébrées à perpétuité. »
De surcroît, de nouveaux événements surnaturels eurent lieu pour la naissance du Dauphin.
En effet, au bout de six mois de mariage, la reine Marie-Thérèse s’inquiéta de ne pas attendre d’enfant. Elle se confia à la visitandine Louise-Angélique en novembre 1660 et, le 20 du même mois, la pieuse religieuse en parla au frère Fiacre qui commença à prier à cette intention. Le 13 décembre, celui-ci fut favorisé d’une vision de la Sainte Vierge qui, accompagnée de sainte Thérèse, tenait dans ses bras le Dauphin (Il est ressuscité n° 202, oct. 2019, p. 26).
En février 1661, Louis XIV envoya le frère Fiacre en pèlerinage d’action de grâces à Cotignac pour la paix recouvrée avec l’Espagne. Fin février ou début mars, la Reine comprit qu’elle était enceinte et, le 1er novembre, elle mit au monde son fils.
Cette vision du 13 décembre, suivie de la naissance du Dauphin, n’a pu que saisir Louis XIV qui avait été l’objet de la même grâce, par l’intermédiaire des mêmes saints religieux, vingt-trois ans plus tôt.
Le frère Fiacre mourut le 10 février 1684, à l’âge de soixante-quinze ans. Répondant au vœu du frère exprimé dans son testament, le Roi écrivit à son supérieur : « Vous avez perdu un grand serviteur de Dieu ; je donnerai mes ordres pour qu’on porte son cœur à Notre-Dame-de-Grâces. »
L’ensemble des événements surnaturels liés à la naissance miraculeuse de Louis XIV, puis à celle de son fils, le Dauphin, annonçait que son règne ne serait pas ordinaire. Il était élu pour accomplir un grand dessein divin, et la prédication et les œuvres de saint Jean Eudes devaient providentiellement l’y préparer.
LOUIS XIV SOLLICITÉ D’ENTRER EN DÉVOTION
SAINT JEAN EUDES, APÔTRE
DU CULTE LITURGIQUE DU CŒUR DE MARIE.
Saint Jean Eudes fut en effet, dans la suite et l’esprit de saint François de Sales, « le Père, le docteur et l’apôtre du culte liturgique des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie » (saint Pie X).
Pendant sa vie, il fut privilégié et éclairé par des apparitions de la très Sainte Vierge : « Elle me marque beaucoup de tendresse par les différents noms qu’elle veut bien me donner, de fils, de serviteur, et quelquefois de père et d’époux. Elle a pour moi des bontés inexplicables. »
Cinq ans après la consécration du Royaume, en 1643, il quitta l’Oratoire pour créer une nouvelle société religieuse, la Congrégation de Jésus et Marie, afin de prêcher le culte du Cœur admirable de la Mère de Dieu pour le salut des âmes. Dans le même temps, il fondait les Sœurs de Notre-Dame de Charité et du Refuge pour la conversion des filles repenties ; ces religieuses répandront elles aussi la dévotion au Saint Cœur de Marie.

Saint Jean Eudes au pied des Saints Cœurs de Jésus et de Marie.
Groupe sculpté, érigé sur le tombeau du saint en la chapelle de l’Annonciation, de l’église Notre-Dame de Caen ou Notre-Dame de la Gloriette, après la deuxième reconnaissance de ses restes, le 6 mars 1884.
« Je donne le Saint Cœur de Jésus et Marie, comme une chose qui est à moi et dont je puis disposer pour la gloire de mon Dieu ; je le donne, dis-je, à la petite Congrégation de Jésus et Marie... et à tous mes autres enfants spirituels. »
(Testament de saint Jean Eudes)
L’objet de sa dévotion est tout à la fois le cœur corporel de Marie, son cœur spirituel, source et fontaine d’amour, enfin son cœur divin parce que Jésus y habite. Avec quel zèle, quelle allégresse aussi, le Père Eudes exhortait les fidèles à se jeter, à se réfugier, pour tout dire à se « perdre saintement » dans ce Divin Cœur : « Sortez, sortez de ce sale et horrible torrent du monde, de ce torrent des épines qui vous entraîne dans le gouffre de la perdition ; et venez vous perdre saintement dans les douces eaux de ce fleuve de paix et ce torrent de délices.
« Properate, hâtez- vous ! Qu’est-ce que vous attendez ? Ne savez-vous pas que c’est Jésus qui a fait le Cœur de Marie tel qu’il est, et qui a voulu en faire une fontaine de lumière, de consolation et de toutes sortes de grâces pour tous ceux qui y auront eu recours dans leurs nécessités ?
« Ne savez-vous pas que non seulement Jésus est résidant et demeurant continuellement dans le Cœur de Marie, mais qu’il est lui-même le Cœur de Marie, le Cœur de son Cœur et l’âme de son âme, et qu’ainsi venir au Cœur de Marie, c’est venir à Jésus ; honorer le Cœur de Marie, c’est honorer Jésus ; invoquer le Cœur de Marie, c’est invoquer Jésus ? »
Jusqu’à lui, la dévotion au Cœur de Marie avait conservé un caractère de dévotion privée. Le Père Eudes en fit résolument l’objet d’un culte liturgique, public et social. Il y a un avant et un après saint Jean Eudes dans cette dévotion. Parmi les nombreux offices et messes propres, d’un merveilleux lyrisme, qu’il composa en l’honneur des mystères de la très Sainte Vierge, il s’employa de toutes les manières à faire approuver et à propager celui de son Cœur.
Ce fut au cours de sa mission prêchée à Autun, en 1648, qu’il obtint de l’évêque du lieu l’approbation de la fête du Saint Cœur de Marie, qui fut célébrée publiquement pour la première fois le 8 février de cette année-là.
Le saint reçut l’assurance que la Vierge Marie avait pour agréable la fête instituée en son honneur et qu’elle comblerait de grâces ceux qui la célébreraient pieusement. C’est par l’intermédiaire de Marie des Vallées que lui vint cette communication :
« La sœur Marie, a-t-il lui-même raconté, ayant su que quelques personnes murmuraient contre la fête du très Saint Cœur de la bienheureuse Vierge qui se fait le 8 de février, en parla à Notre-Seigneur qui lui dit que c’était lui qui l’avait inspirée, et qu’il châtierait ceux qui s’y opposeraient. Et la Sainte Vierge ajouta que cette fête lui était fort agréable, et qu’elle enverrait des étincelles du feu sacré dont son Cœur est embrasé dans le cœur de ceux qui la célébreront, afin de les échauffer en l’amour divin s’ils sont tièdes, de les enflammer s’ils sont échauffés, et de les embraser s’ils sont enflammés. Elle dit aussi que le Cœur de son Fils, c’est son Cœur, et qu’ainsi, en célébrant la fêle de son Cœur, on célèbre la fête du très adorable Cœur de son Fils. » (Cité par Charles Lebrun, La dévotion au Cœur de Marie, étude historique et doctrinale, Lethielleux, 1917, p. 66)
LE REMÈDE AU JANSÉNISME.
La dévotion liturgique au “ Cœur admirable de la Mère de Dieu ” était le remède providentiel au jansénisme. Avec saint Jean Eudes, nous sommes très, très loin de la « grandeur terrible et inaccessible » que Saint-Cyran voulait voir en Marie !
Tandis que beaucoup perdaient leur temps, et parfois leur âme, en controversant sur les sujets les plus difficiles de la théologie catholique, en particulier le mystère de la prédestination, sur lequel se greffe celui de la liberté humaine et de la grâce, saint Jean Eudes, lui, voulait sauver les âmes de l’enfer en prêchant et en établissant cette dévotion. Un jour, il laissa échapper ce cri du cœur : « Que font à Paris tant de docteurs et tant de bacheliers, pendant que les âmes périssent à milliers, faute de personnes qui leur tendent la main pour les retirer de la perdition et les préserver du feu éternel ? Certainement, si je me croyais, je m’en irais à Paris crier dans la Sorbonne et dans les autres collèges : “ Au feu, au feu, au feu de l’enfer qui embrase tout l’univers ! Venez, Messieurs les docteurs, venez, Messieurs les bacheliers, venez, Messieurs les abbés, venez tous, Messieurs les ecclésiastiques, pour aider à l’éteindre ”. »
Évoquant les critiques et les attaques des jansénistes et de certains oratoriens contre la dévotion qu’il prêchait, le Père Eudes écrivait : « Plût à Dieu que ces pauvres égarés voulussent faire attention sur votre dignité infinie de Mère de Dieu, et conséquemment de Mère de tous les enfants de Dieu, et sur les apanages d’une si haute qualité qui vous rend si proche de la Divinité, proximam Deo, dit l’angélique Docteur, et qui vous met dans une alliance si étroite et si merveilleuse avec la très Sainte Trinité ! Certainement ils ne s’étonneraient pas de tous les éloges qui vous sont donnés par la bouche de la sainte Église et par les oracles du Saint-Esprit qui sont les saints Pères. »
PREMIÈRES MISSIONS À LA COUR : « VIVE JÉSUS ! »
La mission du 4 juillet au 2 septembre 1660, dans l’église monastique de Saint-Germain-des-Prés, fut « prodigieuse et en monde et en approbation ; car tout le monde y accourt avec un applaudissement général, rapportait le Père Thomas Manchon à un confrère eudiste. Il y avait à son ouverture, dimanche dernier, tant de peuple au sermon, et l’abbaye de Saint-Germain en était si pleine, quoique très vaste, qu’il s’en retourna plus de trois mille personnes sans y pouvoir entrer. Et hier après-midi, il y avait plus de cinquante ou soixante carrosses devant l’église pendant le sermon. » Un moine de l’abbaye, sacristain, déplorait les bagarres des serviteurs qui venaient retenir des places pour leurs maîtres : « Notre église était une Babylone de confusion avant que le prédicateur montât en chaire. »
Lors de cette mission, « il y avait régulièrement deux prédications par jour, une à huit heures le matin et l’autre à cinq heures du soir ; de plus, le catéchisme se faisait à une heure de l’après-midi. Dix ou douze prêtres commençaient à confesser à six heures du matin, et continuaient jusqu’à sept ou huit heures du soir, hormis le temps qu’ils passaient pour dire la messe et prendre leur réfection. » (Paul Milcent, Saint Jean Eudes, éd. du Cerf, 1985, p. 340)
La Reine mère, entourée de princesses, écouta le Père Eudes « favorablement, quoiqu’il lui eût dit ses pensées sur les affaires de l’Église et de l’État avec assez de liberté ». Lors de sa dernière prédication, le missionnaire lui déclara sans ambages que son salut éternel « dépendait de cinq points : le premier était l’extirpation des hérésies, tant l’ancienne (le calvinisme) que la nouvelle (le jansénisme), le deuxième était l’athéisme, auquel il fallait nécessairement donner ordre, sans épargner ni le fer ni le feu ». Il lui recommanda, de surcroît, de réprimer le luxe, de soulager les pauvres, il s’en prit aux « mangeards du peuple, avec leurs superbes maisons, leurs dorures, etc. » Le mot mangeard était un mot vieilli, conservé dans le patois normand, qui signifiait « grand mangeur, glouton, dépensier ». Le paysan Eudes avait appris à Paris, dans sa jeunesse, le beau langage, mais il lui échappait de temps en temps un mot de son pays, à moins qu’il ne l’employât à dessein, pour sa force expressive !
Il insista ensuite sur la question de l’attribution des bénéfices ecclésiastiques, pour « conjurer la Reine de sauver l’âme du Roi », écrit le Père Costil, annaliste des Eudistes.
Les jansénistes enrageaient en voyant les succès du prédicateur. Hermant écrivait : « Le Père Eudes a exhorté la Reine à extirper l’hérésie avec toute la fureur d’un homme qui ne respire que la mort et le sang de ses propres frères. »
Puis on conduisit Anne d’Autriche à Saint-Sulpice, dans la cour du séminaire, où le Saint-Sacrement fut transporté en procession. Là, le Père Eudes, entouré de cinq cents ecclésiastiques, prenant en mains l’ostensoir, fit une exhortation vibrante. Il rappela l’entrée solennelle du jeune roi Louis XIV dans Paris quelques jours auparavant, accompagné de la nouvelle Reine de France, Marie-Thérèse. Proposant pour modèle à ses nombreux auditeurs ce qu’ils venaient de faire dans la pompe magnifique de l’entrée du Roi dans Paris, où l’on avait crié tant de fois Vive le Roi ! il leur fit crier Vive Jésus !
Et Monsieur de Rennes, grand aumônier de la Reine mère, joignit sa voix avec celle du peuple pour crier comme les autres : Vive Jésus ! et la plupart des assistants reçurent le cri de cet évêque comme la marque d’une rare piété. Anne d’Autriche acclama elle aussi Jésus et pleura beaucoup.
Cependant, pour ruiner la réputation du missionnaire, les jansénistes répandirent le bruit qu’elle l’avait fait arrêter pour le mettre à la Bastille. Lorsque le marquis d’Urfé lui rapporta la rumeur, elle se fâcha et lui répondit : « Marquis, je vous prie d’aller présentement le trouver de ma part et de lui dire que je n’en ai jamais eu la moindre pensée et que je conserve au contraire beaucoup d’estime pour sa vertu. »

Vitrail de la chapelle du collège Saint-Jean de Béthune, à Versailles, fondé par les Eudistes en 1878.
Reconnaissance du culte liturgique et public de l’unique Cœur de Jésus et Marie
dont saint Jean Eudes fut l’infatigable apôtre sa vie durant.
Au centre : les Saints Cœurs de Jésus et de Marie.
En haut à gauche : Mgr de La Madeleine de Ragny, évêque d’Autun, qui, le 8 février 1648, lors d’une mission prêchée par saint Jean Eudes, présida dans sa cathédrale la première célébration publique et solennelle de la fête du Saint Cœur de Marie. Son office avait été composé par notre saint vers 1641-1642.
En haut, à droite : le pape Clément IX qui en confirma en 1668 la célébration pour la congrégation des Eudistes.
En bas, de gauche à droite : saint Vincent de Paul, saint Jean Eudes, Anne d’Autriche et la mère Mechtilde du Saint-Sacrement, fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, tous liés entre eux par une sainte amitié spirituelle. Le 8 février 1661, deux jours après l’incendie du Louvre, saint Jean Eudes se rendit dans la chapelle provisoire de ces Bénédictines, à la demande de sa fille spirituelle, pour rehausser par sa présence la solennité de la fête du Saint Cœur de Marie. Nous avons mis en encart ce que ce jour-là le Père Eudes déclara sans ambages à la reine Anne d’Autriche, au cours de sa prédication. Comme des courtisans mal intentionnés se scandalisaient de ses graves avertissements, elle leur répondit : « Le Père Eudes a raison, il a dit de grandes vérités, c’est à nous d’en profiter. »
LE PÈRE EUDES ET LOUIS XIV.
En mars 1671, quand François de Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen, fut promu à l’archevêché de Paris, l’un de ses tout premiers actes fut de proposer au Roi le Père Eudes pour prêcher à Versailles le jubilé de la Cour, pendant la quinzaine de Pâques.
Au château de Versailles, c’était encore le modeste château construit par Jacques Lemercier, le vieux missionnaire salua son souverain de trente-deux ans qui lui répondit : « Je suis bien aise que Monseigneur vous ait choisi pour cette mission ; vous y ferez beaucoup de bien ; continuez comme vous avez commencé ; vous ne convertirez pourtant pas tout le monde, mais vous ferez tout ce que vous pourrez. »
Louis XIV et Marie-Thérèse assistèrent à une partie des prédications pendant trois jours. Le Père Eudes fit devant la Reine « deux puissantes exhortations, ayant le soleil [l’ostensoir] en la main ; et une troisième, encore plus puissante, devant le Roi » ; il lui parla « de la Passion du Fils de Dieu durant un gros quart d’heure ». Le Roi l’écouta à genoux, et parut impressionné ; il demeura même à genoux « quelque temps après l’exhortation, ce qui donna une merveilleuse édification à toute la Cour, et une nouvelle autorité au Père Eudes ».
Lorsque le Roi assista à la messe du missionnaire, il « l’entendait à genoux avec une piété édifiante, pendant que tout le monde était debout ». À l’offertoire, le Père Eudes complimenta le Roi « sur le bel exemple qu’il donnait à ses peuples du respect et du culte qui est dû au Roi des rois, en la présence duquel les souverains de ce monde ne sont qu’un peu de poussière ». Et il ajouta : « Mais ce qui m’étonne, Sire, c’est que, pendant que Votre Majesté s’acquitte si parfaitement des devoirs de sa religion et qu’elle rend à Dieu avec humilité ses plus profonds hommages, je vois une multitude de vos officiers et de vos autres sujets qui font tout le contraire ! » Le souverain commença à tourner la tête vers ses courtisans, et « ce fut pour eux un coup de tonnerre » qui les précipita à genoux.
Par ailleurs, le Roi remarqua le soin inhabituel avec lequel était parée la chapelle ; c’était l’œuvre d’un compagnon du Père Eudes, Thomas Hubert. Celui-ci avait été choqué et peiné de l’état dans lequel se trouvaient les objets du culte et il y avait remédié de son mieux. Il fut présenté à Louis XIV qui demanda à le garder comme chapelain, le Père Eudes y consentit. Un jour, il obtint du Roi la permission de chasser les chiens de la chapelle, et « poursuivit, le fouet à la main, le premier qui y entra ». Murmure des assistants, mais le Roi « prit le parti de son sacristain ».
Monsieur Hubert confessait volontiers et « plusieurs dames de la cour goûtaient fort sa conduite ». Il aida la duchesse de La Vallière, l’ancienne favorite du Roi, à entrer au carmel. Malheureusement, une maladie l’emporta trois ans après son arrivée à Versailles, en mars 1674.
« DU CHANGEMENT DANS LA CONDUITE DU ROI. »
Par ailleurs, Louis XIV avait appris que le Père Eudes bâtissait à Caen une église au Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, la première élevée sous ce vocable. Désireux d’y contribuer, il lui fit délivrer deux mille livres ; et si le don ne fut pas plus considérable, c’est que le Père Eudes avait évité de ne rien solliciter (Père Boulay, Vie du vénérable Jean Eudes, t. 4, Paris, 1908, p. 204).
Après la mission de Saint-Germain-en-Laye, en 1673, la reine Marie-Thérèse disait que « les autres prédications n’étaient que des paroles, mais que celles-là [celles du Père Eudes] pénétraient jusqu’au fond du cœur, que tout le monde en était touché, et qu’elle voyait du changement dans la conduite du Roi » (Milcent, p. 473).
La Reine devint elle-même membre de la Confrérie du Sacré-Cœur que saint Jean Eudes avait fondé à la Visitation Saint-Pierre de Chaillot.
FÊTE LITURGIQUE DU DIVIN CŒUR DE JÉSUS.
Le 29 juillet 1672, l’année précédant la première apparition du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie, il institua la fête liturgique du Divin Cœur de Jésus. Ce jour-là, il adressa une circulaire à toutes les maisons de son institut, leur enjoignant de la célébrer le 20 octobre avec la plus grande solennité possible, et il y dévoilait par quelles étapes devait advenir, dans l’Église, le triomphe des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie :
« La divine Providence, qui conduit toutes choses avec une merveilleuse sagesse, a voulu faire marcher la fête du Cœur de la Mère avant la fête du Cœur du Fils, pour préparer les voies dans les cœurs des fidèles à la vénération de ce Cœur adorable, et pour les disposer à obtenir du Ciel la grâce de cette seconde fête, par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la première. Car, encore que celle-ci ait été combattue d’abord par l’esprit du monde, qui ne manque jamais de s’opposer à ce qui procède de l’esprit de Dieu (...) il y a lieu d’espérer qu’elle se célébrera un jour très solennellement par tout l’univers. »
Et saint Jean Eudes de répliquer aux opposants :
« Si l’on objecte la nouveauté de cette dévotion, je répondrai que la nouveauté dans les choses de la foi est très pernicieuse, mais qu’elle est très bonne dans les choses de la piété. »
PUISSANTE EXHORTATION
En la fête du Saint Cœur de Marie, le 8 février 1661, deux jours après l’incendie qui avait ravagé une galerie du Louvre, Anne d’Autriche arriva à l’improviste chez les bénédictines du Saint-Sacrement. Le Père Eudes s’arrêta dans son sermon et, s’adressant à elle, lui parla comme un prophète :
« Madame, je n’ai rien à dire à Votre Majesté sinon de la supplier très humblement de n’oublier jamais la puissante prédication que Dieu lui a faite, et au Roi, par le feu qui a brûlé une partie du Louvre. Vous êtes persuadée que tout se fait par la Providence et l’ordre de Dieu. Ce feu est donc un effet de son ordre, et il veut dire plusieurs choses.
« 1. Qu’il ne fallait point travailler aux dimanches et fêtes ;
2. qu’il était permis aux rois de bâtir des Louvres, mais que Dieu leur commandait de soulager leurs sujets, d’avoir compassion de tant de veuves, de tant d’orphelins et de tant de peuples accablés de misères ;3. qu’il était permis aux princes et aux rois de prendre quelques honnêtes divertissements, mais que d’y employer tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, toutes les années et toute la vie, n’était point le chemin du Paradis
4. que Paris était plein d’athées qui mettent Dieu sous leurs pieds, et qui font des actions dont les diables ont horreur, et que si Leurs Majestés n’employassent pas leur puissance royale pour châtier des crimes si horribles, elles s’en rendraient responsables devant Dieu et attireraient ses vengeances et ses malédictions sur leurs têtes ;
5. que si le feu temporel n’avait pas pardonné à la maison royale, le feu éternel ne pardonnerait ni à princes, ni à princesses, ni à rois, ni à reines, s’ils ne vivaient en chrétiens et s’ils n’avaient pitié de leurs sujets ; et que, si ce feu matériel n’avait pas eu de respect pour les portraits et les figures des rois, qui étaient dans le lieu qu’il avait brûlé, le feu de l’ire de Dieu n’épargnerait pas les originaux s’ils n’employaient leur autorité pour détruire la tyrannie du diable et du péché et pour établir le règne de Dieu dans les âmes de leurs sujets. »
(Père Émile Georges, Saint Jean Eudes, Lethielleux, 1936, p. 169)
DÉCHAÎNEMENT DIABOLIQUE.
BANNI DE LA CAPITALE.
Toutefois, à peine le Père Eudes l’avait-il instituée que le parti janséniste redoubla d’attaques contre lui. Trois oratoriens qui, à Caen, à Paris et à Rome, épiaient toutes ses démarches et celles de ses représentants s’écrivaient de semaine en semaine, parfois de jour en jour, pour le « couler à fond », selon l’expression même de Batterel, oratorien janséniste. Et pour le couler à fond dans l’esprit et le cœur de Louis XIV, ils utilisèrent une supplique contraire aux intérêts et aux droits du Roi, qu’on avait présentée à Rome en son nom.
Hélas ! toutes les tentatives, même celles d’éminents personnages, pour faire connaître aux cardinaux et au Roi la vérité sur l’indigne complot, furent vaines. Le 14 avril 1674, l’apôtre du Saint Cœur de Marie reçut à Paris une lettre de cachet, signée de Colbert, qui le bannissait de la capitale. Mais il n’était pas encore au bout de ses peines !
À la fin de cette même année 1674, une nouvelle campagne fut déclenchée contre lui par Charles Dufour, abbé commendataire d’Aulnay, qui répandit par toute la France et dans toutes les communautés religieuses de Paris un infâme libelle. Dufour attaquait le culte du Cœur de Marie qu’il disait extravagant, superstitieux, fondé sur les visions creuses et les révélations mensongères de Marie des Vallées, la béate du Père Eudes, sa messie-femelle, ce sont ses expressions. L’abbé chargeait le saint de treize hérésies : arianisme, nestorianisme, monothélisme, et même... jansénisme ! C’était un comble.
La vie de saint Jean Eudes illustre le combat entre la très Sainte Vierge et le Dragon, entre les enfants de Marie et les suppôts de Satan, qui se déroulait dans son Royaume.
Cependant, quelques mois avant sa mort, la sanction qui pesait contre lui fut levée par le Roi. Le saint l’a noté le 17 juin 1679 dans son Mémorial des bienfaits divins. Dix ans plus tard, jour pour jour, le Sacré-Cœur confiera à sainte Marguerite-Marie, de la Visitation de Paray-le-Monial, ses demandes destinées au Roi de France.
LES LARMES DE LA VIERGE.
Il faut mentionner un signe prophétique qui eut lieu à Notre-Dame de Cléry, le lundi de Pentecôte 1670.
Pendant plus de deux heures, les chanoines qui récitaient leur office virent le visage de la statue de la Sainte Vierge et de celui de l’Enfant-Jésus s’animer, passer à différentes reprises d’une pâleur d’agonisant à une rougeur très vive, se couvrir de sueur et verser d’abondantes larmes. Au bruit du prodige, la foule accourut : tous purent monter au jubé et considérer de près le miracle.
Une enquête fut ouverte et un procès-verbal dressé en bonne et due forme. Quarante et un témoins vinrent prêter serment et faire leur déposition. Tous s’accordaient sur la réalité du miracle.
Le Roi, qui passa plusieurs fois à Cléry, en eut connaissance.
Comme l’église de Cléry était chapelle royale et le Roi de France “ premier chanoine ” de Cléry, on peut penser que les pleurs de la Sainte Vierge étaient particulièrement destinés à l’avertir que Notre-Seigneur était trop offensé dans le Royaume. Car le jansénisme, « la pire des hérésies », disait notre Père, pénétrait de plus en plus dans toutes les classes de la société.
Et le Roi ne mettait-il pas trop de confiance en lui-même, alors que de terribles ennemis, non seulement extérieurs, mais aussi à l’intérieur, commençaient à saper son trône ?
L’OFFENSIVE DES “ FAUX DÉVOTS ”.
L’heure était grave. Certes, en 1679, le Père Crasset, jésuite, pouvait affirmer que la France était « le domaine de la Vierge et l’empire du monde où elle est le plus honorée ».
Cependant, menant ses offensives d’une manière insidieuse, le parti janséniste, dans son rigorisme, dépréciait les formes de dévotion populaire et traditionnelle qualifiées de superstitieuses. Pascal dans sa IXe Provinciale, en 1656, s’en prit au livre d’un Père jésuite qui assurait que ceux qui étaient dévots à la Vierge Marie seraient sauvés, encore qu’ils soient bien misérables. À chaque ligne, sous la plume de Pascal, on sent le sarcasme contre les humbles pratiques recommandées par le jésuite. Quand il fallut reconstruire et faire œuvre apologétique, on note que pas une seule de ses “ Pensées ” n’est consacrée à la Vierge Marie !
En 1673, parut à Gand, puis à Lille, un pamphlet intitulé “ Avis salutaires de la Sainte Vierge Marie à ses dévots indiscrets ”, où la Vierge était sensée désavouer et réprimander le zèle intempestif de ses “ dévots ”, leur disant : « Je déteste l’amour qu’on me porte quand on n’aime pas Dieu par-dessus toute chose. » Certes, le livre fut mis à l’Index et le Père Crasset y répondit par “ La véritable dévotion envers la Sainte Vierge établie et défendue ”. Il n’empêche que le mal était fait : les “ Avis salutaires ” firent école et contribuèrent à refroidir le culte marial.
De surcroît, l’hérésie contraire, le quiétisme, commençait elle aussi à opérer des ravages : à Rome, Molinos avec sa Guide spirituelle, et, en France, madame Guyon et son Évangile du pur Amour, prônaient une religion facile, libérant de toute contrainte l’âme « établie au niveau ultra confortable de la [prétendue] contemplation parfaite », sans plus besoin d’effort moral, de confession, de pratiques de piété et de mortification, de prières de demande, de chapelet, qui sont pourtant connaturels à la vraie dévotion mariale.
Comme le dira saint Louis-Marie : « Si les faux illuminés de nos jours ou les quiétistes avaient suivi ce conseil [la récitation du chapelet et la méditation des mystères], ils n’auraient pas fait de si terribles chutes ni causé tant de scandale dans la dévotion... Il est très dangereux, pour ne pas dire pernicieux, de quitter de son propre mouvement la récitation du chapelet ou du Rosaire sous prétexte d’une plus parfaite union à Dieu. » (cf. Secret admirable, nos 75 à 78)
LE DESSEIN DIVIN RÉVÉLÉ
LOUIS XIV, L’ÉLU DU SACRÉ-CŒUR.
Notre-Seigneur lui avait donné la vie, la jeunesse, la beauté, l’autorité naturelle, l’intelligence, le conseil, la force pour restaurer la France, la Fille aînée de son Église, épuisée par tant de guerres civiles et étrangères ; en canaliser les forces encore vives, tenir en bride les courants marginaux, rebelles et hérétiques, afin d’offrir à l’Europe entière une vitrine de sa munificence. Mais pour l’accomplissement de ce dessein divin, Notre-Seigneur voulait que le Roi lui rende grâce publiquement, royalement, de tant de biens reçus, en faisant donation à son Sacré-Cœur de tout son être royal, en s’effaçant derrière lui, le Christ, vrai et unique soleil.
Pour l’heure, Louis XIV régnait à Versailles, avec gloire, comme s’il était lui-même le Roi-Soleil, qui rayonne sur les autres planètes.
Certes, sa piété était indéniable. « Il avait la foi du charbonnier », dira le cardinal de Fleury. Un jour, le Père de Larue le trouva son chapelet à la main : « N’en soyez pas étonné, mon Père, lui dit le Roi, je tiens cette pratique de la Reine ma mère, j’en fais gloire, je serais fâché d’y manquer un seul jour. » De plus, on ne compte pas le nombre de pèlerinages effectués par Louis XIV dans les sanctuaires mariaux de son Royaume et les dons fastueux qu’il y laissa, par exemple il fit ajouter dans le chœur de Notre-Dame de Paris six autres lampes d’argent à celle déjà existante.
Le Roi avait réhabilité le Père Eudes quelques mois avant sa mort, nous l’avons dit. Cependant, la dévotion prêchée par le saint n’était pas entrée à la Cour, elle n’avait pas triomphé des opposants, jansénistes, libertins, mondains.
Le Père de La Chaize, confesseur du Roi, était critique à l’égard de tout ce qui pouvait paraître un excès, même et surtout dans la dévotion. À propos d’un autre jésuite, fort apprécié de Madame de Maintenon, il disait : « Il a le plus grand défaut de tous les défauts, il est très dévot. »
Très dévot, le plus grand des défauts ? Ah ! non ! C’est précisément un acte de dévotion intime et public que le Sacré-Cœur attendait du Roi : il allait le lui demander comme une suite nécessaire à la consécration de 1638, quand il serait aux prises à des difficultés sans nombre, pour lui montrer que « sans Lui il ne pouvait rien faire ».
Les difficultés survinrent à la fin des années 1680. L’Autriche ayant remporté une grande victoire contre les Turcs à Kahlenberg, en 1688, l’empereur Léopold décida de se retourner contre la France. Ainsi, se forma, avec le soutien de la Prusse, la Ligue d’Augsbourg. Au même moment, Guillaume d’Orange, Stathouder des Pays-Bas, ennemi mortel de la France, débarqua en Angleterre et chassa le roi légitime Jacques II. Ce protestant fanatique était alors décidé à abattre le Roi de France. En 1690, l’Espagne se joignit à la coalition.
Ce fut le moment choisi par Notre-Seigneur pour faire connaître au Roi sa vocation à être, non pas le Roi-Soleil ou l’Empereur du monde, mais son sergent à Lui, vrai Roi de France, le propagateur humble et obéissant de la dévotion et du culte de réparation à son Sacré-Cœur. Il le lui fit savoir par l’intermédiaire de sainte Marguerite-Marie, de la Visitation de Paray-le-Monial :
« Fais savoir au fils aîné de mon Sacré Cœur que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte Enfance, de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’il fera de lui-même à mon Cœur adorable qui veut triompher du sien, et par son entremise de celui des grands de la terre. Il veut régner dans son palais, être peint dans ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses de ses ennemis, en abattant à ses pieds ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la sainte Église. » (17 juin 1689)
En honorant ainsi le divin Cœur de Jésus, le roi Louis XIV s’humilierait et expierait les outrages que son divin Maître avait subis au cours de sa Passion de la part des prêtres et des rois.
Par cette dévotion qui, du Roi, rejaillirait sur son peuple, la foi et la loi seraient sauvées au saint royaume de France. Solution mystique, mais aussi morale et politique, à tous ses maux.
Alors que le traité de Westphalie (1648) avait détruit la Chrétienté, Louis XIV était appelé à la restaurer en se consacrant intimement au Sacré-Cœur et en lui consacrant ses armes. Cela lui aurait obtenu une victoire totale sur les puissances anglo-protestantes et anticatholiques.
LA RÉPONSE DU ROI... OUTRAGEANTE.
Louis XIV n’avait qu’une chose à faire : obéir à ce que la Vierge Marie lui faisait savoir par l’une de ses filles de prédilection. “ Faites tout ce qu’il vous dira ”, ordonnait doucement notre Reine au Cœur Immaculé. “ Consacrez-vous au Sacré-Cœur de mon Fils, et Lui-même pourvoira à tout, sans retard. ” C’était une sorte de marché qui était proposé, donc imposé... par le vrai Roi de France à son fils aîné, la Sainte Vierge y participant des deux côtés, de son royaume du Ciel et de celui de la terre. Pour l’accomplissement d’un grand dessein, qui se dévoilait enfin après des siècles d’attente.
Hélas ! Louis XIV n’en fit rien, il préféra sa gloire à la dévotion au Sacré-Cœur. « Tu es infatué de ta splendeur », aurait dit le prophète Ézéchiel. C’est l’orgueil du pouvoir qui l’a empêché de répondre à sa vocation divine. Et nous subissons encore aujourd’hui les effroyables conséquences de ce refus outrageant, que Jésus Lui-même a révélé à Lucie de Fatima en 1931 :
« Fais savoir à mes ministres, étant donné qu’ils suivent l’exemple du Roi de France en retardant l’exécution de ma demande, qu’ils le suivront dans le malheur. Jamais il ne sera trop tard pour recourir à Jésus et à Marie. »
C’était déjà le message des apparitions de Notre-Dame du Laus.
NOTRE-DAME DEMANDE DES PRIÈRES PUBLIQUES.
La Mère de Dieu ordonna souvent à Benoîte, sa confidente, de prier pour le Roi et la famille royale afin d’attirer sur eux la protection du Ciel.
« Le 24 décembre 1684, dit M. Peythieu, un des contemporains et premiers historiens des apparitions, Benoîte avait passé toute la nuit en prières : un peu avant l’aube, elle eut le bonheur de voir la très aimable Mère de Dieu dans sa chapelle tout embaumée de sa présence. L’entretien roula sur divers sujets, mais en particulier sur les intérêts du Roi. La très pure Vierge recommanda instamment à sa fille de prier pour la prospérité de notre bon Roi.
« Il est à remarquer, continue l’historien, que toutes les fois que la famille royale et la personne du prince surtout ont couru quelque danger, la Mère de Dieu, au temps de ses apparitions à Benoîte, lui a toujours ordonné de prier et de faire prier pour leur prospérité. »
À partir de 1689, les recommandations prennent un ton tragique. En effet, les vicissitudes de Louis XIV, vers la fin de son règne, eurent leur écho au solitaire vallon. L’Ange et parfois la Mère de Dieu elle-même entretenaient souvent Benoîte des malheurs du Roi, des ennemis qu’il s’était faits dans le royaume par la révocation de l’édit de Nantes, des entreprises que méditaient contre lui les mécontents et les huguenots, des bouleversements qui suivraient sa mort si ses ennemis venaient à triompher, etc.
« Le 29 octobre 1690, dit M. Gaillard, Benoîte priait à l’église. Un Ange lui apparut et lui dit : « Priez bien, ma sœur, afin que la paix se fasse [c’est au moment de la ligue d’Augsbourg], car la guerre doit durer longtemps encore [après avoir commencé par de brillantes victoires]. Il y aura une grande bataille, où restera beaucoup de monde. Si on faisait des prières publiques, la guerre cesserait plus tôt ; mais parce que le peuple ne prie pas, parce qu’il devient de plus en plus méchant, la guerre ne cessera pas de sitôt. Qu’on prie donc, qu’on fasse prier dans tous les sacrifices, afin que la paix se fasse, que le Roi ne soit pas trahi, qu’il vive longtemps. Ses ennemis ont grande envie de l’empoisonner ; s’il venait à mourir, ce serait un grand malheur pour la France. »
L’année suivante, la Mère de Dieu le redit à sa fille en désignant explicitement les huguenots comme les ennemis du Roi qui veulent l’empoisonner.
Quelques mois après, en 1692, la Vierge Marie lui demande de réciter plusieurs rosaires pour le Roi, afin que Dieu le retire des graves embarras où il s’est jeté, le préserve d’être trahi et l’aide à mettre fin aux troubles provoqués dans le Royaume par les huguenots.
Le jour de Sainte-Luce 1695, l’Ange dit à Benoîte de redoubler de prières pour Sa Majesté, car « le prince de Piémont a ramassé une grande armée et dès lors une grande guerre est imminente ». Plus tard, il signalera surtout deux iniquités qui irritent davantage le Ciel : « On est peu chaste et peu charitable pour les pauvres. »
Benoîte fut avertie, de surcroît, que la guerre de succession d’Espagne (1701-1713) était causée par « les péchés des peuples » et « la grande impiété ».
Au même moment, à l’autre bout du Royaume, un prophète s’était levé qui comprenait et prêchait que le monde entrait désormais dans les derniers temps.
PRÉCURSEUR DE L’IMMACULÉE.
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) a non seulement lancé de pathétiques avertissements contre l’impiété montante, mais il a annoncé aussi l’Épiphanie de l’Immaculée : « Dieu veut révéler et découvrir Marie, le chef d’œuvre de ses mains, dans ces derniers temps. Comme elle est l’aurore qui précède et découvre le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être connue et aperçue, afin que Jésus-Christ le soit », écrit-il dans son Traité de la Vraie Dévotion, celle-ci étant une « préparation au règne de Jésus-Christ ».
Comme un nouveau Jean-Baptiste, notre saint missionnaire a crié dans le désert que « le chemin du Seigneur » qu’il fallait suivre était la Vierge Marie Elle-même. Pendant treize ans, de 1703 à 1716, dans la campagne nantaise, autour de Poitiers ou de Rennes, au diocèse de La Rochelle, on le vit par tous les temps aller à grands pas de paroisse en paroisse, un long chapelet pendu au cordon qui lui servait de ceinture, un crucifix sur la poitrine. “ Le Père au grand chapelet ” parcourut ainsi deux mille lieues à pied avec, à la main, une sorte de bourdon surmonté d’une statuette de la Vierge pour toucher les cœurs et propager la dévotion du saint Rosaire. Maintes fois aussi, la Vierge lui apparut.
Aux Ardilliers, près de Saumur, il confirma dans sa vocation sainte Jeanne Delanoue, une grande sainte qui, à la Fête-Dieu 1693, avait eu sa première vision mariale, voyant la Vierge Marie associée à la Sainte Trinité et « toute de feux du Saint-Esprit » !
De son vivant, le Père de Montfort posa aux Messieurs de Saint-Sulpice qui l’avaient instruit la même énigme qu’aux autorités de Jérusalem saint Jean-Baptiste avertissant leurs envoyés de la venue de Celui qui nettoiera son aire et « consumera les bales au feu qui ne s’éteint pas » (Mt 3, 12).
Dans sa fameuse Prière embrasée, saint Louis- Marie s’écriait : « Au feu, au feu, au feu ! À l’aide, à l’aide, à l’aide ! Au feu dans la maison de Dieu, au feu dans les âmes, au feu jusque dans le sanctuaire !... Votre divine loi est transgressée, votre Évangile est abandonné, les torrents d’iniquité inondent toute la terre et entraînent jusqu’à vos serviteurs, toute la terre est désolée, l’impiété est sur le trône, votre sanctuaire est profané et l’abomination est jusque dans le lieu saint ! Laisserez-vous tout ainsi à l’abandon, juste Seigneur, Dieu des vengeances ? Tout deviendra-t-il à la fin comme Sodome et Gomorrhe ? » ( n° 5)
Est-ce là le tableau de la France de Louis XIV ? Ou une annonce de ce qui allait venir, en châtiment du refus opposé par le Roi aux demandes du Sacré-Cœur ?
C’était les deux en même temps : car, disait saint Louis-Marie, « jamais le monde n’a été si corrompu qu’il l’est, parce que jamais il n’a été si fin, si sage à son sens, ni si politique » (L’amour de la Sagesse éternelle, n° 79).
Le saint n’eut d’autre rapport historique avec Louis XIV qu’au sujet de son grand et magnifique Calvaire de Pontchâteau qu’il dut se résigner à détruire sur ordre du Roi.
Le Père de Montfort mourut à Saint-Laurent-sur-Sèvres en avril 1716, un an après Louis XIV. Il eut le temps de voir le diable se déchaîner, avec l’avènement du Régent, le duc d’Orléans.
L’année suivante, en 1717, était fondée la franc-maçonnerie, ultime invention de Satan, avec son “ secret crasseux ”, caricature du lumineux Secret de Marie. Cela aussi, saint Louis-Marie l’avait annoncé comme un ultime combat entre l’Immaculée et Satan :
« Enfin Marie doit être terrible au diable et à ses suppôts comme une armée rangée en bataille, principalement dans ces derniers temps, parce que le diable, sachant bien qu’il a peu de temps, pour perdre les âmes, redouble tous les jours ses efforts et ses combats ; il suscitera bientôt de cruelles persécutions, et mettra de terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux vrais enfants de Marie. » (Traité de la vraie dévotion, n° 50)
LE BON PEUPLE DE FRANCE.
Pendant tout le dix-huitième siècle, la dévotion mariale se maintint vivante dans le peuple de France, du moins dans sa meilleure part. Les confréries du Rosaire entretenaient la dévotion dans les familles et les paroisses. Tout bon catholique avait désormais un chapelet dans sa poche.
Autre forme de dévotion publique : lors de la terrible peste qui ravagea la ville de Marseille en 1720, on vit le saint évêque, Mgr Henri de Belsunce, se dévouer héroïquement aux soins des pestiférés et, sur la révélation faite à une sainte visitandine, Anne-Madeleine Rémuzat, conjurer le fléau par la consécration publique de la ville au Cœur adorable de Jésus. Dans ce salut miraculeux, l’évêque voulut associer “ la Bonne Mère ”, non pas dans son sanctuaire de La Garde qui remontait au treizième siècle, mais dans sa chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, près d’Honfleur, en Normandie. Pourquoi ce sanctuaire ?
Probablement parce qu’en 1624 une peste avait éclaté à Lisieux et l’évêque de l’époque avait conjuré le fléau en venant y prier la Vierge Médiatrice de toutes grâces. En 1723, on vit donc Mgr de Belsunce, le crucifix à la main et les pieds nus, gravir le sentier escarpé qui mène du port d’Honfleur à la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce.
Il faut mentionner un autre exemple de dévotion populaire, particulièrement touchant, car il associe la ferveur personnelle au souci de l’avenir de la dynastie, en raison des décès successifs parmi les enfants de la famille royale. Il s’agit d’une bourgeoise de Paris, Madame Barrau, qui entreprit d’aller plusieurs fois en pèlerinage à Liesse, à pied, le chapelet à la main, « pour la santé des enfants de France ». On a conservé au sanctuaire de Liesse son témoignage :
« Le premier duc de Bretagne mourut à neuf mois, le second mourut à cinq ans, et fut porté avec Mgr de Bourgogne et Madame de Bourgogne à Saint-Denis [lieu de sépulture de la Maison de France]. Je fus si pénétrée de douleur d’une si grande perte pour la France, et je voyais qu’il ne restait que Louis XV, enfant très délicat... Je pensai que je ne pouvais mieux faire pour obtenir de Dieu sa conservation que de faire vœu dans l’instant de partir à pied pour faire le pèlerinage de Notre-Dame de Liesse. Pour qu’Elle serve de mère au prince, qu’Elle le prenne, lui et tout son royaume, sous sa sainte protection, toute sa vie, j’ai donné un enfant d’argent. » Elle y retournera plus de dix fois ! dont une fois avec son petit neveu âgé de six ans, « qui répondait aux litanies de la Sainte Vierge que je disais tous les samedis pour le Roy » !
SAINTE FAMILLE ROYALE.
C’est dans l’entourage proche de Louis XV que se conserva, avec le dogme de la foi, l’amour de la Sainte Vierge.
Le Roi avait épousé en 1725 la douce et pieuse Marie Leszczynska, princesse de Pologne. Il s’en suivit douze ans d’un amour fidèle, marqué par dix naissances. Celle du dauphin Louis fut obtenue après de pieuses instances : pèlerinage à Notre-Dame de Paris, communion du Roi et de la Reine, celle-ci fit le vœu de réciter chaque jour le Petit office de la Vierge ! Le 4 septembre 1729 naissait un prince, qui fut consacré à Notre-Dame de Chartres.
En 1738, le Roi mit au pas le Parlement, interdit les sociétés secrètes, signa le traité de Vienne, qui renouait la grande politique française d’alliance avec les puissances catholiques, l’Espagne et l’Autriche, contre les puissances protestantes. En cette année du centenaire du vœu de Louis XIII, Louis XV renouvela solennellement la consécration de son aïeul. Mais le feu de la dévotion n’y était plus : en ce siècle des prétendues Lumières, c’est la mention de « l’Être suprême » qui fut placée en tête de la consécration !
En 1744, le Roi recommandait ses armées à Notre-Dame de Grâce de Cambrai et remportait peu après la victoire de Fontenoy. Il avait aussi offert à Notre-Dame de Boulogne le cœur d’or traditionnel, mais refusait de reconnaître sa suzeraineté, car « le Roi de France n’est vassal de personne », fit-il répondre par un de ses ministres !
Vassal de personne, pas même de la Très Sainte Vierge ? Alors il était mûr pour tomber dans l’esclavage du diable, comme notre Père nous l’a expliqué à propos de sa rencontre en 1745 au bal de l’Opéra d’une très jolie femme, la future marquise de Pompadour : elle devint en un instant l’objet d’une passion si forte que le Roi lui cédera tout, et par elle il cédera tout au parti de l’incrédulité montante, celui des parlementaires, financiers, philosophes et autres francs-maçons.
Il ne restera plus à la reine Marie, que le peuple appelait la “ bonne Reine ”, et qui fut de son vivant comparée à la reine Blanche, ainsi qu’à ses filles, liées aux carmélites de Compiègne, et au dauphin Louis, de trouver dans la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus consolation et courage, dans le sacrifice et le pardon. La Reine, voyant en ce culte le remède à l’impiété qui gagnait le royaume, en obtint du pape Clément XIII l’instauration dans tous les diocèses de France.
Cette Reine, artiste, intelligente et cultivée, qui parlait six langues, dont le latin, dénonça la première l’Encyclopédie. Après l’avoir feuilletée, refermant le livre, elle déclara : « Voilà du mauvais et du très mauvais. C’est ce que j’avais toujours craint. » (CRC n° 352, janvier 1999, p. 28)
Elle ne supportait pas qu’on affiche un air d’incrédulité à la mode du temps. À l’une de ces dames qui se piquaient de raisonner sur la religion, elle rétorqua : « Croyons ce que croit l’Église et disons notre chapelet. »
MADAME LOUISE, VICTIME DE ROME
POUR SA DÉVOTION AU CŒUR DE MARIE.
Certaines communautés religieuses étaient gagnées par le jansénisme. Mais d’autres en étaient préservées grâce à la dévotion au Cœur de Marie : dans les moments difficiles, on avait recours à ce très Saint Cœur.
Ainsi, en 1764, au premier monastère de la Visitation de Paris, la petite vérole sévissait dans le couvent. Depuis le mois de novembre jusqu’au mois d’avril, dix-huit religieuses ou pensionnaires en avaient été atteintes. Pour obtenir la cessation du fléau, la mère Chalmette fit vœu de célébrer tous les ans la fête du Cœur de Marie. Dès ce moment la contagion disparut et, durant les dix-huit années qui suivirent, la communauté en fut préservée, bien qu’à plusieurs reprises la terrible maladie régnât dans Paris.
En 1770, la protection de Marie se manifesta d’une manière non moins éclatante sur le carmel de Saint-Denis. En effet, depuis 1760, le carmel Jésus-Maria connaissait de graves difficultés financières. On avait réduit au minimum ce qu’il fallait pour faire vivre les vingt-sept carmélites, au point de supprimer un repas ! Mais les créanciers menaçaient toujours. La prieure eut alors recours à la protection de la Sainte Vierge et fit avec toute sa communauté un vœu : elle promettait de faire chaque année, du 8 au 16 février, une neuvaine au Cœur de Marie et de construire un oratoire en son honneur, si elle obtenait de la Providence l’entrée d’une postulante aisée dont la dot pût éviter à leur communauté d’être dispersée. Une carmélite dit alors : « Il ne faudrait pas moins que la fille d’un Roi. »

( Guillot, dix-huitième siècle).
L’ange du carmel montre d’une main le Cœur Immaculé de Marie, tandis que de l’autre il désigne Madame Louise en prières.
La dernière des filles de Louis XV et de la reine Marie, Madame Louise, voulait depuis longtemps devenir carmélite, mais elle n’avait pas décidé dans quel carmel elle solliciterait son admission. Sans rien connaître du vœu des religieuses, son choix se porta sur celui de Saint-Denis précisément pendant leur neuvaine commencée le 8 février, et à peine était-elle achevée que Madame Louise reçut de son père l’autorisation écrite d’y entrer. Elle se présenta aux grilles du couvent le 11 avril 1770 qui était un Mercredi saint et implora à genoux devant les religieuses assemblées : « Je vous supplie, mes sœurs, de me recevoir et d’oublier ce que j’ai été dans le monde. Priez Dieu pour le Roi et pour moi. Je désire de toutes les forces de mon âme être carmélite. » Elle y reçut le nom de sœur Thérèse de Saint-Augustin.
Il va sans dire que les carmélites considéraient cette vocation comme un pur effet de la puissante intercession du Cœur de Marie, et Madame Louise aimait à dire : « C’est au Cœur de Marie que je dois le bonheur d’être ici. »
En 1772, pour tenir leur promesse, elles transformèrent elles-mêmes une cellule du premier étage en oratoire, aujourd’hui restauré, qu’elles dédièrent au Cœur de Marie. Au plafond, elles le peignirent percé d’un glaive, et elles ornèrent les murs bleus de fleurs de lys. De plus, elles placèrent dans l’oratoire un Tableau du Vœu et, à tour de rôle, les sœurs étaient tenues d’y prier leur Mère du Ciel.
Chaque année, l’ordre du Carmel honorait la fête du Cœur de Marie par un office liturgique qui était gratifié d’indulgences. Or, en octobre 1770, le pape Pie VI refusa de renouveler pour cette fête les indulgences parce que cette dévotion faisait l’objet de débats entre théologiens : « C’est une nouveauté, écrivait le cardinal-secrétaire d’État, dont le Saint-Père n’a pas cru devoir introduire l’exemple. » (Bernard Hours, Madame Louise, princesse au Carmel, Cerf, 1987, p. 186) Deux ans plus tard, Rome retirait cette fête du calendrier liturgique du Carmel ! Sœur Thérèse s’en montra « fâchée et désolée » et, soutenues par les visiteurs de l’ordre, les carmélites de Saint-Denis n’interrompirent pas leurs dévotions.
Quelques années plus tard, élue prieure, Mère Thérèse supplia le Pape, au nom de tous les carmels de France, de rétablir l’office du Cœur de Marie, à la date du 8 février. Mais Rome refusa : le Pape fit répondre par deux fois qu’il ne fallait pas introduire de précédents « qui pouvaient se révéler pernicieux ». Pie VI manifesta même son impatience : Le rang de prieure, si respectable qu’il soit, ne lui donne aucun droit !
Madame Louise s’était offerte en victime pour la conversion de son père, Louis XV, mais elle fut aussi victime de Rome pour sa dévotion au Cœur de Marie. Essuyant humiliations et rebuffades de la part du Pape lui-même, elle accepta tout par amour pour la Sainte Vierge.
Elle supplia son directeur, l’abbé Courbon du Ternay, de constituer un dossier sur l’histoire de cette dévotion, et sa ténacité fut récompensée puisque, cinq ans plus tard, elle reçut l’autorisation verbale de continuer à dire l’office du Cœur de Marie (cf. Frère Michel de l’Immaculée triomphante, “ Madame Louise de France ”, Il est ressuscité n° 82, p. 32).
LE PÈRE DE CLORIVIÈRE, TÉMOIN LUCIDE.
Il existe un lien très certain entre le jansénisme et la Révolution, remarquait l’abbé de Nantes. Car si la haine de la religion s’est développée dans le peuple au cours du dix-huitième siècle, c’est parce que ces pauvres gens avaient en haine la dureté de cœur et le pharisaïsme attribués à Dieu lui-même par les jansénistes.
Quand la Révolution éclata, la Vierge Marie eut ses témoins qui gardèrent leur foi invincible au milieu du déchaînement de l’impiété.
Le plus clairvoyant, parce que la Vierge Marie le guidait en tout, ce fut le Père Pierre-Joseph Picot de Clorivière (1735-1818). Malouin d’origine, il se fit jésuite en 1756 et prononça ses vœux solennels le 15 août 1773, à la veille de la suppression de la Compagnie de Jésus par le Pape.
Bientôt nommé curé de Paramé près de Saint-Malo, il écrivit une Vie du Père de Montfort, tellement son âme était apparentée à la sienne. Dans ses prédications, il tonnait contre les doctrines nouvelles. Il développa une critique très perspicace de la Déclaration des droits de l’homme, celle-ci étant tout inspirée par l’orgueil et l’impureté qui avaient plongé le siècle dans les ténèbres.
Mais qui pourra nous en délivrer ?
En bon disciple de saint Louis-Marie, et avec les lumières qu’il reçut à la lecture de l’Apocalypse, le jésuite répondait : seule la Vierge au Cœur Immaculé pourra en triompher. Voici l’une de ses prophéties : « Des peuples, qui étaient en partie plongés dans toutes les horreurs de l’apostasie, seront tout à coup changés et s’élèveront à une haute sainteté par les choses merveilleuses qui s’opéreront au milieu d’eux, par l’entremise de la très Sainte Vierge Marie. »
Lors de la Révolution, le Père de Clorivière dut se cacher à Paris, où il fonda la Société du Cœur de Jésus et, avec mademoiselle Adélaïde de Cicé, celle des Filles du Cœur de Marie, vouée à la réparation des outrages à la Sainte Vierge commis par les révolutionnaires. Tant de statues antiques furent profanées, réduites en cendres : celles du Puy, de Boulogne, de Liesse ; tant de sanctuaires furent dévastés. Il fallait réparer ces crimes, en « soumission à la divine Justice ».
« Ces deux Cœurs sont essentiellement l’un dans l’autre », écrivait-il, et les noms des Sociétés qu’il fonda « nous rappellent combien nous devons être attachés à une dévotion infiniment solide en elle-même et qui, ayant pris naissance dans ce pays [de France] où a commencé depuis le mal qui désole le christianisme, semble nous avoir été donnée comme la digue principale qu’il faut opposer au torrent d’iniquité ».
CATHELINEAU ET NOTRE-DAME DE CHARITÉ.
Les Vendéens furent indéfectiblement fidèles à l’alliance de notre nation avec Marie. Cathelineau, le chef vendéen, conduisit des pèlerinages de pénitence et de supplication « pour la conservation de la Religion en France », d’abord à Notre-Dame de Bellefontaine, puis à Notre-Dame de Charité, un petit sanctuaire dans les Mauges, où les prêtres de la paroisse, réfractaires, y célébraient clandestinement la messe. Comme il était de plus en plus fréquenté, les autorités de Chalonnes s’en alarmèrent et, en août 1791, une nuit, un détachement de gendarmes y monta et découvrit un spectacle féerique : une multitude de cierges allumés embrasait les ténèbres. Environ huit cents personnes étaient là pour assister à la messe et chanter les litanies de la Sainte Vierge. Dès le lendemain, ordre fut donné par le Directoire de démolir la chapelle, ce qui fut fait quelques jours plus tard.
Les pèlerinages n’en continuèrent pas moins de se succéder, d’autant que la Sainte Vierge se montrait « dans le creux d’un chêne, à cinq ou six pieds de l’emplacement de la chapelle ». De nombreux témoins la virent, même les deux maçons qui avaient démoli le sanctuaire. Ils en furent convertis.
Jacques Cathelineau s’y rendit dix-huit fois, par tous les temps, puisque la Sainte Vierge y descendait elle-même pour encourager ses enfants à persévérer. Nul doute qu’il puisa là les grâces nécessaires pour mener son combat contre-révolutionnaire avec force et piété, jusqu’à son martyre, en 1793.
LA VIERGE MARIE N’OUBLIE PAS SES ENFANTS.
En ces temps de sanglante révolution, un fait, parmi beaucoup d’autres, illustre la protection que la très Sainte Vierge accorda à ceux qui recouraient avec ferveur et confiance à son intercession.
Le 1er mars 1794, au hameau vendéen de la Tullévrière, dans la vallée de la Petite-Boulogne, près de Challans, arrivèrent deux colonnes infernales qui sillonnaient le pays, semant la mort, détruisant tout sur leur passage. Au centre du hameau, au pied d’un calvaire, un prêtre réfractaire déjà âgé, l’abbé Alexandre Ténèbre, se préparait à célébrer la messe pour ses paroissiens. Comme les Bleus étaient tout près, il les exhorta à une confiance absolue dans la Sainte Vierge.
Toutefois, une vingtaine de fidèles prirent peur, en dépit de l’assurance de leur curé, et s’enfuirent dans les bois. Ils furent tous massacrés...
En revanche, ceux qui étaient restés, dociles, autour de leur bon pasteur, furent épargnés, par quel miracle ? Par un miracle de la Sainte Vierge, répondant à leur confiance en sa toute-puissance.
L’année 1794 n’était pas achevée que les survivants, entraînés par leur courageux curé, élevèrent sur les lieux mêmes une chapelle consacrée « à la plus grande gloire de Dieu sous la protection de la très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, et sous le nom et l’invocation des bienheureux martyrs du Bas-Poitou » (Laurent Charrier, L’abbé Ténèbre et la chapelle de la Tullévrière, éd. Silœ, 2005, p. 54).
VICTIMES MARIALES.
À côté des témoins lucides comme le Père de Clorivière, qui ne concédaient rien à l’erreur et au crime, à côté des Vendéens et Chouans qui prirent les armes pour défendre, le chapelet à la main, « le Trône, l’Autel et leurs foyers », il y eut de pures victimes, offrant leur vie par amour de Jésus et de Marie, en sacrifice expiatoire pour les crimes de la Révolution : les carmélites de Compiègne, les ursulines de Valenciennes, les Filles de la Charité à Arras.
Ces dernières étaient au nombre de cinq : arrêtées, conduites à Cambrai, elles furent condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire pour avoir refusé de prêter serment à la Constitution. Les voyant monter à l’échafaud en égrenant leur chapelet, l’accusateur public se moqua : « Puisqu’elles tiennent à leurs chapelets, qu’on leur en fasse des couronnes ! » L’ordre fut exécuté, et ce fut ainsi, couronnées de leur chapelet, qu’elles témoignèrent dans leur martyre de leur indéfectible dévotion pour leur divine Mère.
Il faut placer aussi très haut dans notre Ciel marial la merveilleuse figure de Madame Élisabeth de France, qui accepta, dans la tourmente, de demeurer au milieu des siens comme une muraille d’airain, en « témoin de la vérité », disait notre Père, précisément de la vérité divine de la religion royale, à l’égard de tous ceux qui en avaient perdu la notion ou qui la détestaient. Celle qu’on appela la “ Sainte Geneviève des Tuileries ” déplorait la faiblesse de son frère, Louis XVI, qui se laissa dominer par l’Assemblée nationale :
« Les monstres sont les maîtres de l’Assemblée, observait-elle, et leurs décrets successifs manifestent leur politique folle qui ôte toute autorité au Roi, et dont le but est de détruire la religion.
« La Révolution est un châtiment de Dieu. Nous avons provoqué sa colère par l’irréligion. À force de lumières, nous sommes parvenus à une incrédulité effrayante. À nous de fléchir le Ciel. »
MADAME ÉLISABETH CONSOLE LES CŒURS DE JESUS ET DE MARIE.
Madame Élisabeth avait une vraie dévotion pour les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. « Elle avait demandé qu’on adressât des prières de réparation au Cœur de Jésus outragé par les lois impies : “ Pensons, écrivait-elle à Madame de Bombelles, que son Cœur souffre plus encore que sa colère n’est irritée. Il dépend de nous de le consoler. Ah ! que cette idée doit animer la ferveur des âmes assez heureuses pour avoir la foi. ” » (Antoine Lestra, Le Père Coudrin, fondateur de Picpus, éd. Lardanchet, 1952, p. 93)
Elle se tournait vers la Vierge Marie : « Louis XIII nous a montré à qui nous devions nous adresser dans nos besoins. C’est une bonne Mère qui ne nous abandonnera pas. »
Le 10 février 1790, le jour anniversaire du vœu de Louis XIII, la famille royale assistait à la messe à Notre-Dame de Paris. Là, providentiellement, une bonne personne leur distribua une consécration de la France, que le Roi, la Reine et tous ceux qui étaient avec eux purent réciter pendant la messe :
« Ô Vierge sainte ! Vous avez toujours si spécialement protégé la France. Tant de monuments nous attestent combien Elle vous a toujours été chère ! Et à présent qu’elle est malheureuse, est plus malheureuse que jamais, elle semble vous être devenue étrangère ! Il est vrai qu’elle est bien coupable ! Mais tant d’autres fois elle le fut et vous lui obtîntes son pardon ! Ah ! Dieu veut peut-être qu’il soit renouvelé par nous, le vœu que fit un de nos Rois pour Vous consacrer la France...
« Eh bien, ô, Marie, ô très sainte Mère de Jésus-Christ, nous vous rendons la France tout entière. Reprenez, ô Vierge sainte, vos premiers droits sur elle ; rendez-lui la foi, rendez-lui votre ancienne protection, rendez-lui la paix. Rendez-lui Jésus-Christ qu’elle semble avoir perdu. Enfin, que ce royaume de nouveau adopté par Vous, redevienne tout entier le royaume de Jésus-Christ. Ainsi soit-il. »
Madame Élisabeth fut enthousiaste de cette consécration et écrivit à Madame de Bombelles : « Tous ces hasards me font espérer que Dieu s’en est mêlé et qu’il nous regarde en pitié. »
Au mois de juillet suivant, pour obtenir la conservation de la religion dans le Royaume, la princesse composa « un vœu au Cœur Immaculé de Marie, dont le texte est malheureusement perdu, sauf cette admirable phrase : “ Le Saint Cœur de Marie fut comme l’arche où se conserva la foi au temps de la Passion. ” » (Ibid., p. 78)
Elle associa ses amies à ce vœu.
« Promesse est faite d’élever un autel au Cœur Immaculé de Marie, comme le Dauphin, père de Louis XVI, avait élevé dans la chapelle de Versailles le premier autel au Sacré-Cœur, de fonder un Salut du Saint-Sacrement le premier samedi de chaque mois, et de procurer chacune l’éducation chrétienne d’un garçon et d’une fille pauvre. Les associés font exécuter “ de l’or le plus pur ” un double Cœur, “ effigie du Cœur de Jésus joint au Cœur de Marie ”, à l’intérieur duquel leurs noms sont renfermés et ces deux mots gravés : L’Église de France. La famille royale. On le dépose à Chartres au pied de la statue miraculeuse. » (Ibid.)
Après avoir fait assaut au Ciel de supplications ardentes, Madame Élisabeth s’abandonna au Bon Plaisir divin, comme l’indique la sublime prière qu’elle composa lorsqu’elle fut emprisonnée au Temple. Quand elle périt sur l’échafaud, le 10 mai 1794, elle portait à son cou une petite médaille d’argent de l’Immaculée Conception, qui ne la quittait jamais.
Ces martyrs, victimes de la Révolution, qui rachetèrent tant d’infidélités et de crimes, étaient animés des dons du Saint-Esprit, particulièrement du don de force, obtenus par leur dévotion à l’Immaculée. En persévérant jusqu’au bout, ils remportaient d’éclatantes victoires sur Satan.
« La mort des justes est précieuse aux yeux de Dieu », chante le psalmiste, c’est pourquoi leurs sacrifices ne furent pas vains : le sang des martyrs fut à l’origine de la renaissance catholique et mariale du dix-neuvième siècle où l’on verra se développer un magnifique courant de dévotion aux Saints Cœurs de Jésus et de Marie qui se répandra dans toute l’Église et, par ses instituts missionnaires, dans le monde entier.
frère François de Marie des Anges.