Il est ressuscité !
N° 197 – Avril 2019
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
LA LIGUE
Reine des martyrs, priez pour nous !
PÈLERINAGES, retraites, publications mensuelles écrites et audiovisuelles, chantiers dans nos ermitages, camps-vélo et camp de la Phalange... Les travaux s’accumulent ! Mais nos “ saints de chez nous ” prennent soin de leurs communautés et leur ont envoyé un renfort très opportun. La famille s’agrandit !
QUATRE FRÈRES POUR TROIS BLANCHEURS
Oui, quatre d’un coup ! Du jamais vu... Et de mémoire de frère ancien, jamais notre chapelle n’avait vu si belle cérémonie que ce dimanche 17 mars, au cours de laquelle nos frères Edward de Notre-Dame de Montaigu, Albino de Marie-Médiatrice, Loïc de l’Ave Maria du Folgoët et Joseph Sarto du Christ-Roi reçurent, avec leur nom d’éternité, notre saint Habit. Il fallait entendre frère Gérard s’émerveiller de l’unanimité de notre assemblée, exprimée par le bel ensemble des chants, l’ordonnancement rigoureusement exécuté des rites liturgiques et la chaleur du baiser de paix des anciens à leurs quatre nouveaux petits frères !
Mais d’abord, la veille au soir, afin de manifester que cette date divise en avant et après leur carrière de serviteurs « choisis, appelés et conduits » par le Seigneur jusqu’à notre maison Saint-Joseph, nos quatre postulants commencèrent par faire publiquement leur coulpe, dont frère Bruno expliqua ensuite le sens : « Je donne aujourd’hui ce consentement à cette prédestination qui a fait naître dans mon cœur le désir d’être “ votre serviteur et le fils de votre Servante ”, malgré mes nonchalances et infidélités dont je viens de confesser quelques exemples patents et non pas exhaustifs. »
Après cette salutaire purification, frère Bruno leur prêcha un véritable triduum sur les trois Blancheurs, jusqu’au 19 mars, fête de saint Joseph :
« Les noms que reçoivent nos jeunes frères pour tracer leur vocation renouent, en ces temps d’apostasie, le fil de l’antique alliance entre la blancheur première, celle de l’Immaculée conçue par la Sainte Trinité, avec celle du Saint-Sacrement, Verbe fait chair parmi nous, Blanche Hostie, “ Dieu avec nous ” pour offrir chaque jour et de tous les points de la terre son sacrifice rédempteur, et la blancheur du Saint-Père, “ évêque vêtu de blanc ” en toute vérité, pour la bonne garde de son Église avec le secours de saint Joseph, notre grand protecteur et gardien de la virginité de Marie, son épouse, Mère de Dieu.
« Il y a cent ans, le pape saint Pie X, Joseph Sarto, célébrait le cinquantenaire de la définition du dogme de l’Immaculée Conception, par le bienheureux et saint pape Pie IX, le 8 décembre 1854. Dans son encyclique Ad diem illum lætissimum du 2 février 1904 (...) il mettait toute sa confiance en la Vierge Marie, victorieuse de toutes les hérésies, en son privilège insigne qui, en l’exemptant de toute tache, de tout contact avec le péché, lui donne une sainteté qui la met “ au niveau ” de la sainteté du Dieu trois fois saint, “ en prévision du Sang du Christ ”, disait-il, c’est-à-dire en vue du Prix de la rédemption des pécheurs qu’Elle devra “ fabriquer ” de son Cœur Immaculé et en nourrir le Verbe, le Fils de Dieu et son Fils, lorsqu’Il viendra prendre chair dans ses entrailles. »
Ces premiers mots du sermon de frère Bruno à la grand-messe nous introduisaient dans le mystère de la Médiation universelle de Marie. Cette réalité est rigoureusement occultée dans l’Église conciliaire, mais notre frère nous la fit savourer pendant trois jours, en nous mettant à l’école du saint patron de l’un de nos nouveaux frères, méconnu lui aussi : le bienheureux Edward Poppe (1890-1924). Pour beaucoup, ce fut une découverte, et un enthousiasme immédiat. C’est dans le jardin de cet émule de saint Louis-Marie Grignion de Montfort que frère Bruno cueillit le bouquet final de son sermon :
« Chacune des grâces de Jésus nous est donnée avec un sourire de Marie, Médiatrice de toutes grâces.
« Si Jésus est l’Hostie, Elle en est la monstrance vivante.
« Voulez-vous réussir [à devenir un saint] ? Allez à Jésus par Marie. “ Per Mariam ad Jesum. ” »
C’est donc entourés de la tendresse maternelle de l’Immaculée que nos nouveaux frères prononcèrent, avant de communier, leurs vœux temporaires de pauvreté, chasteté et obéissance.
Ces vœux sont leurs armes, casque, lance et bouclier, pour le grand combat contre l’hydre de l’Antichrist dans lequel ils s’engagent, dans la garde rapprochée de saint Georges de chez nous ! C’était le sens du chant que nous leur avons offert au cours du repas de noces servi par nos sœurs : le poème de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus “ Mes Armes ”. Nous l’avions légèrement adapté pour qu’il convienne mieux à des Petits frères du Sacré-Cœur, reprenant la mélodie même qu’avait choisie la sainte : celle du “ Chant du départ ” des Missions étrangères de Paris, composé par Charles Gounod, qui était l’organiste de leur chapelle.
« Du Tout-Puissant j’ai revêtu les armes,
Le Sacré-Cœur a daigné m’enrôler.
Rien désormais ne me cause d’alarmes
De son amour qui peut me séparer ?
À ses côtés, m’élançant dans l’arène
Je ne craindrai ni le fer ni le feu
De l’ennemi l’attaque sera vaine,
Car je suis consacré à Dieu !
Ô mon Jésus, je garderai l’armure
Que je revêts sous tes yeux adorés.
Jusqu’au soir de ma vie, ma garde la plus sûre
Seront mes vœux sacrés. »
NOTRE-DAME DE MONTAIGU.
Discutant avec nos amis Flamands à la sortie de la messe et pendant le repas, certains d’entre nous les interrogèrent sur cette Notre-Dame de Montaigu qui est désormais le titre de noblesse de notre frère Edward. « Comment ? Vous ne connaissez pas Notre-Dame de Montaigu, Onze Lieve Vrouw van Scherpenheuvel ? Mais son sanctuaire est l’équivalent de Lourdes chez vous ! »
Heureusement, frère Bruno remédia bientôt à notre ignorance. Avant le Salut du Saint-Sacrement de l’après-midi, il nous offrit une escapade dans le Brabant flamand, pour découvrir ce sanctuaire qui fut le cœur de la Contre-Réforme catholique en Belgique face aux Provinces-Unies protestantes et qui demeure le grand symbole de la catholicité dans ce pays. Nous ne résistons pas à l’envie de vous retranscrire cette histoire merveilleuse :
« L’histoire de Notre-Dame de Montaigu commence au milieu du seizième siècle, quand ce territoire faisait partie du grand ensemble des Pays-Bas, véritable joyau dans la couronne de l’immense empire de Charles Quint « sur lequel le soleil ne se couchait jamais ». Les Pays-Bas étaient alors prospères, les arts y fleurissaient, leurs artisans étaient recherchés dans toute l’Europe.
« Sur le Mont Aigu, dans un vieux chêne, se trouvait une statuette de la Vierge Marie. Personne ne savait dire depuis combien de temps. On raconte qu’un jour, un berger y passa, voulut emporter la statue qui devint lourde comme du plomb, et resta cloué sur place. Son maître le retrouva ainsi au crépuscule, raccrocha la statue... et le berger put de nouveau se déplacer. Les gens des environs se tournaient vers cette Vierge afin d’obtenir toutes sortes de grâces, surtout la guérison des malades, et ils furent maintes fois exaucés.
« Sous le règne de Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint et héritier de son Empire, la guerre éclata dans les Pays-Bas. Guerre d’indépendance vis-à-vis des Espagnols, certes, mais surtout guerre de religion : les calvinistes s’étaient emparés du pouvoir dans les provinces du Nord et voulaient fonder une république protestante séparée de l’Espagne. Philippe II, fidèle à sa foi, combattit cette tentative de toutes ses forces, et notamment en envoyant le duc d’Albe avec ses tercios, les meilleurs soldats de l’époque. Les Pays-Bas étaient à feu et à sang.
« En 1579, les provinces du Nord déclarèrent leur indépendance et formèrent la République des Provinces-Unies. Les provinces du Sud restaient fidèles au roi d’Espagne et à la religion catholique. À la mort de Philippe II, sa fille l’archiduchesse Isabelle et son mari l’archiduc Albert d’Autriche reçurent l’ensemble des Pays-Bas en héritage. Ils étaient fermement résolus à ne pas capituler devant les rebelles à Dieu et à leur Roi !
« Les archiducs figurent parmi les princes les plus catholiques de leur temps. Bien plus, ils sont tout à fait gagnés à la cause de la Contre-Réforme. Leur intention est de libérer le Nord de la dictature calviniste qui y tyrannise une grande majorité de braves gens restés catholiques. Ils peuvent compter sur l’armée espagnole, mais aussi sur un renouveau important au sein du clergé, suite au concile de Trente et au concile provincial de Malines (1607) qui ordonne la nomination d’évêques et d’abbés exemplaires. Ce sont les archiducs eux-mêmes qui désignent les candidats avec beaucoup de soin et de dévouement ; les contemporains aussi bien que les historiens modernes en témoignent. En outre, Albert et Isabelle n’épargnent pas leur fortune quand il s’agit de rebâtir et de décorer les églises détruites par les iconoclastes protestants. Le style baroque fait triomphalement son entrée dans la contrée. C’est vraiment une Contre-Réforme catholique de grande envergure qui, sous leur houlette, prend forme aux Pays-Bas du Sud.
« Néanmoins, même au Sud il restait plusieurs secteurs calvinistes qui bravaient le pouvoir des archiducs, notamment à Sichem, tout près du Mont Aigu. Ces fanatiques détruisirent la petite chapelle en bois, érigée sur la colline, et brûlèrent la statuette de la Sainte Vierge. Mais peu de temps après, les catholiques prirent le dessus. Des mains pieuses installèrent une nouvelle statue, qui attira à ses pieds le jésuite Thomas Sailly, aumônier des soldats espagnols. Au pied du chêne, il fut guéri d’une maladie mortelle et c’est lui qui devint le grand propagateur de la dévotion parmi la noblesse et les grands de l’époque. Les pèlerins affluaient de plus en plus nombreux, les guérisons miraculeuses se multipliaient.
« En 1603, les archiducs en personne se rendirent au Mont Aigu, avec un vœu bien précis : la libération de la ville d’Ostende, toujours occupée par les calvinistes, ce qui représentait un danger permanent d’une invasion anglaise. Si les Espagnols n’arrivaient pas à prendre la ville, une poussée ennemie vers le cœur des Provinces du Sud était à craindre.
« Albert et Isabelle promirent de revenir chaque année, si leur prière était exaucée. Ils firent un don pour la construction d’une chapelle en pierre et, le 13 juillet, la première pierre en fut posée solennellement en leur nom. La Sainte Vierge vint à leur aide : en septembre 1604, après un siège de trois ans et trois mois, Ostende tomba soudainement. La menace qui pesait sur les provinces du Sud s’éloigna et la reconnaissance des archiducs fut grande.
« Tout ira très vite maintenant. L’archevêque de Malines ordonna une enquête sur les guérisons, il en résulta un Livre des miracles (soixante-treize guérisons inexplicables entre 1603 et 1605) qui connut un grand succès et sera traduit en plusieurs langues.
« Pour construire la chapelle exactement à l’emplacement du chêne, l’arbre fut abattu et on tailla plusieurs statuettes dans le bois. À l’instigation de l’archiduchesse surtout, elles vont se répandre dans toute l’Europe. L’une d’elles a même abouti à Montréal, entre les mains de sainte Marguerite Bourgeoys, qui y construira une chapelle où la statuette est encore vénérée sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Secours. »
Le croiriez-vous ? À la suite de ce sermon de frère Bruno, ce sont nos communautés de Fons qui ont découvert que la dévotion pour Notre-Dame de Montaigu était également implantée chez eux ! Une autre statuette taillée dans l’antique chêne avait en effet abouti dans un collège d’Aubenas. Et dans les montagnes ardéchoises comme sur la colline flamande, la Sainte Vierge multiplia ses grâces et miracles avec une largesse royale !
Et frère Bruno de conclure : « La Vierge du chêne a été et est toujours la protectrice de la Belgique. Un jour viendra où, délivrées d’une fausse réforme tuant toute piété, de nouveau les multitudes y afflueront. Demandons pendant ce salut du Saint-Sacrement que la Belgique ait sa part au triomphe du Cœur Immaculé de Marie par une renaissance conquérante de la foi catholique ! »
C’est dans ce sanctuaire que le jeune séminariste Edward Poppe se consacra pour la première fois à la Sainte Vierge, le 16 mai 1912.
LES TROIS BLANCHEURS, AVEC EDWARD POPPE.
Qui est donc le bienheureux Edward Poppe ? Un cœur sacerdotal, eucharistique et marial. Un saint dont toute la vie et l’œuvre présentent une harmonie parfaite avec le message de Fatima qu’il ne connaissait pourtant pas (voir les deux heures de conférences par frère Pierre de la Transfiguration, disponibles sur notre site vod sous le sigle N 29 : Le bienheureux Édouard Poppe). Il naquit dans la petite ville de Tamise, dans le diocèse de Gand, en Belgique, dans une famille pauvre et très pieuse : tous les enfants du foyer – deux garçons et six filles – consacreront leur vie à Dieu !
Son père, Désiré Poppe, était un homme d’une trempe remarquable. Boulanger laborieux, il comptait sur son fils aîné pour l’aider puis pour lui succéder dans son commerce. Il sacrifia néanmoins ses ambitions pour consentir à ce que son fils embrasse la vocation sacerdotale. Il lui permit de continuer ses études, mais à condition qu’il devienne un bon prêtre : pas un courtisan des riches, mais un sauveur et un consolateur des pauvres gens et des malheureux. Il l’avertit aussi de s’appliquer, sans attendre, à se vaincre, à renoncer à sa volonté propre et à se laisser mettre au second plan pour apprendre à obéir.
Le jeune garçon retint les leçons paternelles et, dès le petit séminaire, il se révéla un modèle de vertu, travaillant avec acharnement. Il pensait à son père qui épuisait sa santé pour payer sa scolarité et subvenir aux besoins de la famille. Désiré Poppe mourut d’ailleurs le 10 janvier 1907, en exprimant le désir qu’Edward poursuive ses études.
À l’issue de son séminaire, c’est encore la recommandation de son père qui décida de sa vocation. Tandis qu’il avait échoué trois fois pour entrer à l’abbaye bénédictine de Termonde, il eut une vision : « Une rue... une longue rue, beaucoup de maisons... des pauvres gens... des âmes. » Lorsqu’il effectuait des tournées pour distribuer le pain de la boulangerie, Edward avait appris à connaître la misère du monde ouvrier déchristianisé et victime des propagandes socialistes et marxistes. En grandissant, il avait constaté avec angoisse l’hostilité des ouvriers envers le clergé. Il résolut donc de devenir prêtre séculier pour se vouer à leur salut. Il l’expliqua à sa sœur religieuse, sœur Marie-Désirée : « Une voix me disait : “ Mon fils, je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Vois ces milliers de pauvres ouvriers qui, trompés par des chefs antichrétiens, ne veulent plus de moi. Je veux que tu ailles les arracher au Monde et que tu les ramènes au bercail de l’Église. Tu seras mon soldat, le soldat du Christ, et tu feras la guerre sainte dans ton propre pays. ” »
Quelques années plus tard, au cours de son service militaire, la lecture de l’Histoire d’une âme l’enthousiasme et attise encore sa soif des âmes : « Ce livre m’a donné plus de plaisir et de profit que n’importe quel ouvrage de philosophie ; j’y ai appris des choses que des années d’études ne m’auraient pas fait découvrir (...). J’aspire à devenir un jour un bon prêtre pour travailler d’esprit et de cœur à la sanctification des âmes malheureuses. »
Être un saint prêtre afin de sanctifier les âmes. Dans ce but, il s’associe à d’autres séminaristes pour fonder un mouvement de prêtres, les “ Filioli caritatis ”, destiné à la sanctification du clergé. Lui-même est d’une sainteté tellement manifeste qu’il acquiert bientôt une grande influence sur ses confrères. Ce souci de la sainteté des prêtres le hantera toute sa vie.
Le secret de sa sainteté réside dans sa consécration à la Sainte Vierge. En effet, en 1912, Edward lit le Traité de la vraie dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Ce “ livre d’or ” ne le quittera plus et il en distribuera des centaines d’exemplaires. La Sainte Vierge s’installe à la place d’honneur dans son cœur. Le 16 mai, devant la statue miraculeuse de Notre-Dame de Montaigu, il se donne totalement à Elle en qualité d’esclave d’amour, consécration qu’il renouvellera tous les jours. Désormais, il signe ses lettres : Edward, serviteur de Marie.
Ordonné prêtre le 1er mai 1916, après s’être offert en victime au Cœur Eucharistique de Jésus, il désire s’immoler avec Jésus sur la Croix, pour son amour et pour les âmes. Il sera exaucé, et des croix, il en aura beaucoup ! « Un chrétien sans croix est un soldat sans insigne », disait-il.
Nommé vicaire dans la paroisse Sainte-Colette de Gand, il prend pour modèles le curé d’Ars et le Père Chevrier. Il veut être absolument pauvre et se dévoue sans compter auprès des ouvriers, tellement misérables, pour les reconquérir à l’Église. L’abbé Poppe comprend vite que pour gagner les parents, il doit s’occuper des enfants. Il a donc tôt fait de fonder pour eux une Ligue de Communion et une œuvre de catéchistes eucharistiques pour “ faire du Pie X ”, c’est-à-dire pour appliquer les décrets de saint Pie X sur la communion. Dans ce milieu socialiste, il s’agissait de soustraire les enfants des écoles sans Dieu aux griffes de Satan. Il en aura bientôt deux cents !
À ce rythme, déjà de faible santé, notre apôtre de Jésus-Hostie eut tôt fait de s’épuiser complètement. Par ailleurs, son curé ne voyait pas toujours d’un bon œil toutes les initiatives “ imprudentes ” de son saint vicaire pour convertir socialistes et mécréants : « C’est du temps perdu ! » Au bout de deux ans, son évêque l’éloigna de Sainte-Colette en le nommant aumônier des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, dans le village de Moerzeke. Providentiellement, il fut ainsi disponible pour un apostolat plus large qu’auparavant.
En effet, en 1920, le fondateur de la Croisade Eucharistique en Belgique, le Père Vanmaele, fit appel à lui pour collaborer au lancement du mouvement par la plume. Si bien que l’abbé Poppe devint l’âme de l’œuvre par ses articles qui firent monter le nombre d’abonnés et de Croisés par milliers. Son premier article est un vibrant appel à la Croisade : qui pourrait imaginer que son auteur est un pauvre malade alité ?
« Chers Croisés, nous allons au combat. Il y a des gens qui complotent et cherchent à dresser les enfants et les adultes contre Jésus. “ Nous l’écraserons, disent-ils, nous le piétinerons de nos pieds. ”
« Soldats du Christ, laisserez-vous dire cela ? Votre cœur ne saigne-t-il pas en apprenant cela (...) ?
« Nous, nous allons nous réunir en une troupe d’amour pour commencer un combat, une Croisade pour Jésus, notre Roi. »
Cette Croisade que prêche le bienheureux Edward Poppe est eucharistique et mariale : il ne séparait pas dans son amour Jésus-Hostie et sa Mère. L’ardent serviteur de Marie souhaitait vivement que le dogme de Marie Médiatrice de toutes grâces soit proclamé et il fit vœu de le défendre toute sa vie. Il aurait voulu embraser le monde entier de la sainte dilection de Jésus-Eucharistie et de Marie-Médiatrice.
Durant l’heure sainte de Moure du 18 mars, frère Bruno nous offrit un florilège de méditations tirées des écrits de ce saint :
« Je suis si souvent peiné de constater que Marie est placée à côté de Jésus, même par ceux qui lui donnent les noms de Médiatrice et de Temple de la Trinité ! Marie n’est pas à part ni par elle-même : Elle est le Trône où a pris origine et d’où coule la Source de grâce éternellement jaillissante de la Trinité. Marie est le moule perpétuel dans lequel la vie et l’œuvre de grâce de Jésus ont pris forme, et par lequel il rend nos âmes conformes à Lui (...).
« Puissions-nous comprendre que la dévotion à Marie n’est pas une dévotion à part, mais seulement la vraie dévotion à Jésus, la vraie dévotion à la Très Sainte Trinité dans son Temple d’élection ! »
Voilà qui nous guérit d’un certain christocentrisme mariophobe qui ravage l’Église depuis Vatican II ! C’est par l’Immaculée que la Blanche Hostie rayonne ses grâces. Apprenons d’Edward Poppe à adorer Jésus et Marie au Saint-Sacrement :
« J’adore Jésus en Marie. Le sein de sa Mère est son trône par excellence, son ostensoir le plus resplendissant ; c’est là que je Le contemple. Marie est l’ostensoir du Christ, à Bethléem, à la Présentation, à Cana, à la Croix, dans l’Eucharistie et au Ciel !
« Je m’offre, et m’offre de nouveau à Jésus et Marie comme une misérable offrande. Jésus m’acceptera, puisque je suis l’esclave de sa Mère, et Elle se tient derrière Lui ! Puis, je fais descendre ses grâces eucharistiques par un désir répété et brûlant : sur les enfants, sur les éducateurs, sur les prêtres. Marie a les bras grands ouverts, les grâces découlent de l’Eucharistie. Je les laisse se déverser avec joie, l’heureuse certitude d’être exaucé m’envahit... Je jubile et réponds à cette pluie de grâces par une donation plus entière de moi-même, une immolation totale...
« Ai-je regardé Marie en cela ? Oui.
« Ai-je négligé Jésus ? Oh non ! Mon cœur allait à tous deux en un seul regard, un seul amour. Je voyais la Sainte Hostie comme le fruit du sein de Marie, et Elle, je ne la voyais que comme le trône vivant du Roi Eucharistique. Elle était là, et sa présence ouvrait les sources de grâce du Cœur Eucharistique de Jésus et les faisait déborder plus pleinement dans ma pauvre âme. »
Disciple de saint Pie X, la Croisade eucharistique qu’il prêche n’est pas uniquement spirituelle. Cet ardent patriote veut tout instaurer dans le Christ, y compris la politique ! Mais à ce coup, ce n’est pas à son curé qu’il va se heurter, mais à son évêque, puis au cardinal Mercier, de Malines, et finalement au pape Benoît XV lui-même. Les tenants du libéralisme de Léon XIII réduisirent au silence le disciple de saint Pie X.
À la fin de sa vie, l’angoisse étreignait l’abbé Poppe qui découvrait que la charité se refroidissait dans l’Église. Il ne l’en aimait que plus ! Le lendemain, 19 mars, pour la fête du Patron de l’Église universelle, frère Bruno nous fit communier à son amour brûlant pour la troisième Blancheur, la hiérarchie ecclésiastique, en citant longuement sa dernière lettre à son directeur spirituel, le 12 mai 1924 :
« L’amour de Jésus ne brûle plus dans les prêtres, et c’est pour cela que le zèle pour le Règne n’anime plus l’Église. »
Le remède ? « Père, je supplie par la toute-puissante prière de Marie, je supplie par les divines ardeurs de l’Hostie, je supplie l’Esprit divin que sa charité vous tienne, et qu’elle me tienne et conforme et transforme. Qu’elle m’absorbe dans sa lumière et dans son mouvement. Père, entrons dans la nubes lucida, entrons en Marie, c’est là que nous serons transformés en lumière, c’est là que nous attendent les ardeurs du Règne. Elle est le foyer du Feu. Elle est la douce entrée de la Fournaise (...).
« Je le veux, Père, je le veux à genoux. Car il faut qu’Il règne et Il ne règne pas. Ses meilleurs apôtres ne sont livrés que du bout de la volonté. Il lui faut des hosties, des prêtres revêtus de Lui au point qu’ils ne fassent plus paraître que Lui, Lui Jésus, alter Christus. »
Tel est le programme donné par notre frère prieur à nos jeunes novices, à l’imitation de ce saint qui mourut le 10 juin 1924, à l’âge de trente-trois ans, consumé par ce feu dévorant, dans un véritable martyre d’amour. Il offrit sa vie pour obtenir “ de saints prêtres ”. Or deux mois plus tôt, le 3 avril, était né notre Père...
PÈLERINAGE AUX MISSIONS ÉTRANGÈRES
Parmi leurs élus, Jésus et Marie en appellent d’autres à leur rendre le témoignage d’un martyre sanglant.
Tandis que la trahison des catholiques de Chine par le pape François excite notre compassion pour ces frères persécutés et que le Secret de Notre-Dame de Fatima nous révèle le prix du sang de leur martyre, frère François de Marie-des-Anges a emmené les familles et les étudiants phalangistes de la région parisienne dans un pèlerinage aux martyrs des Missions étrangères de Paris, samedi 23 mars. L’occasion en était l’exposition qui s’y tient dans la “ Salle des Martyrs ”, jusqu’au 29 juin 2019, dédiée à une autre Église d’Extrême-Orient en butte aux persécutions d’un gouvernement communiste : l’Église du Vietnam. Notre frère en profita pour inculquer à nos amis la conviction que la vitalité de l’Église est le bon fruit du sang de ses martyrs. Et ces martyrs, où puisent-ils leur force invincible ? Dans une ardente et tendre dévotion pour l’Immaculée. Elle est la garante de la pureté de la foi dans le refus de toute compromission, et la source d’un zèle pour le salut des âmes qui ne recule devant aucun sacrifice.
Le rendez-vous était fixé à 14 heures 45 dans la chapelle de l’Épiphanie, c’est-à-dire la chapelle haute du séminaire des Missions étrangères, 128 rue du Bac. Las ! Malgré une réservation dûment enregistrée par l’administration laïque du site, notre frère apprit en arrivant que nous avions été évincés au profit d’un concert de musique japonaise... Mais les contrariétés ne sont-elles pas la garantie d’un pèlerinage fécond en grâces ? « Vive la joie quand même ! » se serait écrié saint Théophane Vénard.
C’est précisément la vie de ce martyr que frère François devait retracer pour introduire cette visite.
Profitant d’un temps clément, c’est finalement dans le très paisible jardin du séminaire que se réunirent quelque cent cinquante amis, venus en familles constituées, sur quatre générations : depuis le nourrisson jusqu’à son arrière-grand-mère ! La soixantaine d’enfants que frère François avait devant lui, assis sur les degrés du grand perron, furent si sages, si attentifs qu’une seule sono lui suffit pour se faire entendre de toute la petite foule.
SAINT THÉOPHANE VÉNARD, ENFANT DE MARIE, MARTYR AU TONKIN.
L’Institut des Missions étrangères de Paris fut fondé au dix-septième siècle, sous le règne de Louis XIV. Il connut un prodigieux développement après la Révolution française, au dix-neuvième siècle. Le sang des martyrs de la Révolution a produit de merveilleux fruits : des jeunes gens, par dizaines, par centaines ont afflué vers le séminaire de la rue du Bac, afin de se préparer à partir dans les missions d’Extrême-Orient pour y mourir martyrs. Cette soif du martyre était bien connue ! La maison y gagna d’être surnommée : l’école polytechnique du martyre. En février 1848, à la veille de la déchéance de Louis-Philippe, des ouvriers délibéraient du sort à réserver aux aspirants-missionnaires, jusqu’à ce que l’un d’eux conclue : « Laissons-les, c’est ceux qui vont se faire martyraliser (sic) en Chine. »
Depuis la fondation de l’œuvre, cent soixante-dix missionnaires sont effectivement morts martyrs, et l’un des derniers en 1975, lors de l’invasion du Sud-Vietnam par les communistes. Il est notable qu’un tiers d’entre eux soient morts après 1945, c’est-à-dire victimes du communisme. Nous voulons recueillir leur héritage, quand leurs successeurs y sont infidèles : le dépliant de présentation de l’histoire de l’Institut se contente d’évoquer « plus de deux cents prêtres de la Société des Missions étrangères [qui] sont décédés de mort violente dans l’exercice de leur activité missionnaire. » Depuis que l’Église a épousé le monde, les martyrs sont devenus des “ témoins gênants ”...
Dans cette constellation glorieuse, une étoile brille d’un éclat plus particulier. Il s’agit de saint Théophane Vénard, le plus pur, le plus aimable, le plus attachant de tous ces hérauts de l’Évangile. Toute sa vie se déroula sous le double signe de l’Immaculée et du martyre : depuis sa naissance à Saint-Loup-sur-Thouet, dans le Poitou, le samedi 21 novembre 1829, en la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, jusqu’au samedi 2 février 1861, jour de son martyre, pour la Présentation de l’Enfant-Jésus.
C’est dès l’âge de neuf ans qu’il fut saisi par la soif du martyre à la lecture du récit de celui de saint Jean-Charles Cornay, poitevin comme lui, qui fut martyrisé en 1837 au Tonkin et mourut en chantant le Salve Regina. Le cœur de l’enfant est pris : « Moi aussi, je veux aller au Tonkin, et moi aussi je veux être martyr ! »
La vocation de missionnaire est une vocation de sacrifices. Le premier d’entre eux, sans doute le plus rude, est la séparation de la famille. Théophane quitta la sienne, qui était si unie, pour étudier au collège de Doué, à l’âge de onze ans. Il ne revint plus à la maison que pour les grandes vacances. Cet éloignement lui fut cruel. On peut appliquer à la famille Vénard ce que notre Père écrivait des Martin, à Lisieux : « C’est dans les familles les plus unies, les plus resserrées sur elles-mêmes que le sacrifice pénètre le mieux, cette tendresse n’étant qu’une suite humaine de l’amour de Dieu. C’est aussi dans les âmes les plus vibrantes que Jésus reproduit le plus profondément son mystère tout d’amour et de joie, mais scellé par la souffrance. Et l’âme qui fréquente Nazareth n’en est pas surprise. Quand la souffrance entre chez elle, elle la considère et bientôt la désire farouchement comme la meilleure union à son Seigneur crucifié. » (Lettre à mes amis n° 7, 1957)
Le jeune Théophane n’est pas épargné. Le 11 janvier 1843, sa mère meurt sans qu’il ait pu la revoir. La douleur fut accablante. Il se réfugia entre les bras de la Sainte Vierge pour laquelle son amour ne cessa plus de croître. À dix-sept ans, il prit cette résolution : « Aujourd’hui 17 juin 1847, dans la chapelle du collège de Doué, j’ai fait à Marie, refuge des pécheurs, la promesse sincère de dire, jusqu’à la fin de ma vie, mon chapelet, tous les jours, si je puis. »
Le sacrifice de la séparation redoubla en 1851 lorsque Théophane demanda à son père la permission d’entrer au séminaire des Missions étrangères. Quelle épreuve pour sa famille ! dont nous n’avons plus idée aujourd’hui. À l’époque, devenir missionnaire, cela signifiait : quitter les siens pour toujours et ne jamais revenir au pays. Dans cette circonstance douloureuse, la résignation admirable du père répondit au courage du jeune séminariste. Quelle vertu, quelle élévation d’âme chez ce modeste instituteur de village !
« Mon cher et bien-aimé fils,
« Oui, mon bon ami, le sacrifice est rude. Je vois toutes mes combinaisons renversées. On a grandement raison de dire : l’homme propose et Dieu dispose. J’avais conçu l’espoir de te voir un jour placé non loin de moi. J’aurais fini près de toi ma pénible carrière ; tu m’aurais fermé les yeux. Illusions bien grandes !
« Je ne veux pas, mon cher fils, chercher à te détourner des grandes résolutions que tu as prises, ni contrister ton cœur par des reproches, non. Si tu vois que Dieu t’appelle, et je n’en doute pas, je te dirai : obéis sans hésiter. Que rien ne te retienne, pas même l’idée de laisser un père affligé.
« Je sais que celui qui met la main à la charrue ne doit pas regarder derrière lui ; je sais aussi que celui qui laissera son père ou sa mère pour marcher sur les traces de Jésus-Christ doit espérer une grande récompense. »
C’est sur ce riche terreau de nos saintes familles de France que fleurirent tant et tant de vocations missionnaires au dix-neuvième siècle.
Un tel sacrifice, consenti pour le salut des âmes des infidèles, était rendu possible par la pensée du Ciel. « Adieu ! adieu ! nous nous reverrons au Ciel ! » s’écrie-t-il en quittant pour toujours le toit paternel, le 28 février 1851. Et quatre jours après sa réception rue du Bac, il leur écrit : « J’ai fait un grand sacrifice et je le renouvelle encore chaque jour. Eh ! Qu’importe la distance, puisque nous sommes réunis dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie ! Répétons avec foi : Au Ciel le rendez-vous ! Que personne n’y manque ! »
Le sarment est émondé, il va pouvoir porter du fruit. Et avec quelle abondance !
Le jeune abbé Vénard est gai et sympathique. « Le connaître, c’était l’aimer ! » dira plus tard son évêque, Mgr Pie. Aussi, arrivant au séminaire des Missions étrangères, il eut tôt fait de gagner tous les cœurs. Il découvrit que les séminaristes y formaient une véritable famille.
Théophane se lia plus intimement avec les abbés Dallet et Theurel. Ce dernier deviendra d’ailleurs son évêque, au Tonkin. Les trois jeunes gens s’entendent si bien qu’ils se mettent d’accord pour se faire des reproches mutuels afin de se corriger de leurs défauts. Mais quels reproches adresser à Théophane Vénard ? Ses condisciples décident de trouver le défaut de cette cuirasse de vertu. Alors pendant quinze jours, ils l’épient, le surveillent, mais ne remarquent rien, pas un écart dans sa conduite. Ah si ! « Un jour, l’un de nous le surprit descendant un peu trop rapidement les marches de l’escalier qui conduit à la chapelle. » Quelle perfection déjà chez ce jeune homme de vingt et un ans ! C’est le fruit de son esprit de sacrifice et de sa grande dévotion à la Sainte Vierge.
En arrivant au séminaire des Missions étrangères, il avait eu la consolation de découvrir que « la Sainte Vierge est très aimée et honorée : aussi bien est-elle la seconde providence du missionnaire » (lettre à son frère Eusèbe du 15 avril 1851).
L’Institut des Missions étrangères tenait cette dévotion de son fondateur, Mgr Pallu, qui écrivait du Tonkin, le 16 mars 1662 : « Je suis plus convaincu que jamais que la Très Sainte Vierge a esté la principale promotrice de nostre chère mission et qu’Elle veut en avoir la direction et la conduite. Jamais je n’ay éprouvé ce que j’ay ressenti depuis mon départ de Marseille pour cette Mère d’Amour... Nous sommes les intendants des armées de la Très Sainte Vierge ; consultons nos cœurs et nous connaîtrons s’ils ne sont pas remplis d’un saint désir de La servir dans cette expédition, au préjudice de nos biens, de nostre repos et de nos vies, qui d’une façon, qui d’une autre, en Europe ou en Asie, au bagage ou dans la meslée, il ne nous importe, pourvu que nous concourions à la conqueste des âmes les plus abandonnées, sous la conduite de nostre Généralissime. J’estime donc que nous avons été choisis de la Très Sainte Vierge pour le service des plus abandonnés, je veux dire des infidèles, qui sont dans le dernier point d’abandon. » (cité dans Il est ressuscité ! n° 42, janv. 2006, p. 25)
À cette école, durant les dix-huit mois qu’il demeurera à Paris, l’amour de Théophane pour la Sainte Vierge ira grandissant. Les séminaristes des Missions étrangères avaient une dévotion spéciale pour Notre-Dame des Victoires et notre Théophane fera plusieurs fois pèlerinage dans son sanctuaire parisien, administré par le très légitimiste abbé des Genettes. C’est à Elle que les aspirants-missionnaires allaient « faire hommage de leur diaconat », puis consacrer leur sacerdoce, au lendemain de leur ordinations.
Or Notre-Dame des Victoires est la Vierge qui écrase le Serpent de la Révolution. Dès lors, on ne s’étonne pas que, dans sa correspondance, notre saint n’hésite pas à parler de politique. Et quelles pouvaient être les convictions politiques d’un séminariste des Missions étrangères ? Deux lettres datant de mars 1848 nous les révèlent :
« Ah ! pauvre royauté ! Comme on l’a bernée depuis cinquante ans ! Comme on l’a moquée, sifflée, outragée, traînée dans la fange, habillée des injures les plus grossières. »
« Les idées de liberté, engendrées par 1793, ont germé dans le monde (...). On dirait un génie de discorde agitant le tison de l’anarchie, soufflant le vent pestiféré des révolutions, et allumant par tout le globe un vaste incendie. »
Notre jeune abbé était évidemment royaliste, contre- révolutionnaire ! Comme tous les saints de son siècle. Le 11 juillet 1851, il visite l’Assemblée nationale : « Je distinguai plusieurs des représentants les plus renommés (...). Celui dont la vue me frappa davantage fut M. de Lamennais, que j’avais vis-à-vis de moi, au troisième gradin, au-dessous de Nadaud le maçon. Pauvre intelligence dévoyée ! Astre tombé du ciel ! Le malheureux ! (...) Oh ! il faut prier pour lui !
« L’aspect de la Chambre est loin d’inspirer le respect : le respect en est si souvent banni ! Si l’on doit juger une nation par ses représentants, on a ici de la France une idée triste et pénible (...). Là où se décident les destinées d’un grand pays, et d’un pays catholique, que dis-je, les destinées du genre humain, il n’y a pas même un crucifix ! » (lettre à son père, 22 juillet 1851)
Le contenu de ses lettres est extrêmement varié. Théophane découvre et observe avec amusement la vie parisienne. Mais elles révèlent plus que tout la tendre dévotion de cet orphelin pour sa Mère du Ciel : « Oh ! sur le sein d’une mère, il fait bon reposer sa tête ! Et quand cette mère est la toute bonne et toute aimante mère, la Mère des mères, Marie, encore une fois, disons qu’il fait bon de reposer sur son cœur ! » (à Eusèbe, 15 avril 1851)
Et encore : « Je suis un enfant gâté de la Sainte Vierge. Elle est une mère pour moi, et j’ai bien besoin qu’il en soit ainsi ; le diable aurait bon marché de moi si j’étais seul. » (23 juillet 1851)
Le foyer de la dévotion de tous ces aspirants-missionnaires était l’oratoire de Marie, Reine des Martyrs, situé au fond du jardin de la Maison. C’était l’un des lieux privilégiés des séminaristes : « Nous nous y réunissons chaque samedi soir, et la veille des fêtes après notre souper, écrit-il à sa sœur Mélanie. Les flambeaux sont allumés ; et en outre, les veilles de fêtes, on découvre un beau lustre qui pend du sommet du berceau et on le charge de bougies. Puis une voix adresse à Marie en latin les invocations écrites au-dessus des différentes entrées de l’oratoire : Cause de notre joie, Reine des Martyrs, Reine des Confesseurs, Reine des Apôtres. Ô Reine conçue sans péché, Marie, Étoile des mers ! Et tous les aspirants répondent en chantant : Ora pro nobis, on récite Pater, Ave, Memorare, Sub tuum, et on chante quelques hymnes ou antiennes à la Sainte Vierge. »
Est-il besoin de préciser ? Ce petit sanctuaire semble aujourd’hui à l’abandon : nul flambeau devant la Reine des Martyrs, nulle marque de dévotion... Aggiornamento conciliaire oblige !
Chaque fois que les aspirants apprenaient que l’un des missionnaires avait reçu la palme du martyre, ils s’y rendaient en procession avec leurs professeurs pour y chanter un Magnificat d’action de grâces.
Ils y revenaient solennellement le jour de leur départ définitif pour confier leur apostolat à la Vierge Marie. Véritablement, l’ardeur du missionnaire, c’est Elle !
Pour Théophane, ce grand jour de la “ cérémonie du départ ” arriva le 16 septembre 1852. Groupée d’abord dans le jardin, aux pieds de la statue de Notre-Dame, Reine des Martyrs, pour chanter des cantiques, la communauté des séminaristes et des directeurs spirituels gagne ensuite l’église pour la messe.
À la fin, les partants sont alignés face aux fidèles sur la marche du maître-autel. Le chœur chante le verset d’Isaïe : « Qu’ils sont beaux les pieds de ces hommes qui apportent l’Évangile de la paix ! » Retentit alors le “ Chant pour le départ des missionnaires ” dont l’abbé Dallet avait écrit les paroles :
« Partez, hérauts de la bonne nouvelle :
Voici le jour appelé par vos vœux... »
Et les assistants, en commençant par les supérieurs du séminaire, viennent tour à tour s’agenouiller devant les partants. Ils leur baisent les pieds avec vénération, puis ils s’embrassent. Ils pensent que ces missionnaires seront bientôt martyrs ! Le chant s’achève :
« Soyez remplis du zèle apostolique ;
La pauvreté, les travaux, les combats,
La mort, voilà l’avenir magnifique
Que notre Dieu réserve à ses soldats.
Mais parmi nous il n’est pas de cœur lâche ;
À son appel tous nous obéirons ;
Nous braverons et la cangue et la hache.
Oui, s’il faut mourir, nous mourrons ! »
Le peintre Coubertin, qui assista à cette cérémonie en 1864, en fut si ému qu’il en fit un tableau, suspendu aujourd’hui au fond de l’église, côté évangile. Détail particulièrement émouvant : le partant de droite, sur ce tableau, est le futur saint Just de Bretenières, qui fut décapité en Corée deux ans plus tard.
Le Tonkin, mission que convoitait Théophane et où il fut finalement envoyé, était alors en proie à une terrible persécution. C’est d’ailleurs pour cette raison que le saint désirait tant y être affecté : c’est là qu’il avait le plus de chances d’être martyr !
Païens comme chrétiens gémissaient sous le joug du tyran Tu-Duc. Et notre missionnaire de constater la nécessité de la colonisation française pour soutenir la mission chrétienne : « Tout le monde jette les yeux vers la France et appelle son intervention ; si la France, en la personne de son Empereur, écoute le cri des chrétiens annamites et leur porte un secours efficace, nos églises reprendront vie ; sinon il faudra un miracle de la bonté et puissance divine pour les soutenir. »
Hélas ! Napoléon III n’avait pas de politique coloniale. Ses hésitations, ses succès inexploités, ses reculades n’eurent d’autre effet que d’attiser la vengeance du tyran contre les chrétiens. Saint Théophane le déplorait : « Ces expéditions mesquines ne sont pas dignes de la France dont le cœur est si généreux. Si la France fait quelque chose devant le monde, elle doit le faire grandement, selon son caractère. »
Malgré ces furieuses persécutions, peut-être grâce à elles, la jeune chrétienté tonkinoise était florissante. Elle devait sa vitalité aussi à ses missionnaires et tout spécialement à son évêque, Mgr Retord, surnommé le “ Généralissime ” et qui se disait « l’évêque de la mission la plus persécutée de la terre ». Son courage héroïque et sa joie inaltérable au milieu des épreuves étaient bien faits pour lui gagner l’affection de son nouveau missionnaire qui le rejoignit le 13 juillet 1854 dans sa résidence de Vinh-Tri.
Ces missionnaires formés à Paris venaient au Tonkin avec tout l’héritage de leur civilisation chrétienne millénaire. Au Tonkin occidental, il n’était pas question d’adaptation des rites et encore moins d’inculturation ! Le programme d’études au petit séminaire de Vinh-Tri, rapporté par le Père Theurel, est éloquent : il s’agissait bien de latiniser les Annamites. Disons, plus justement, de les civiliser.
« Lorsque nos élèves sont arrivés à un certain degré d’instruction, ils parlent et écrivent le latin mieux que nous, ce qui ne doit pas surprendre, car les langues orientales n’ont aucune analogie avec le latin, qui est pour eux une langue parfaitement étrangère. Ils ne peuvent le parler que selon les règles, tandis que nous autres Européens, avons sans cesse des réminiscences de notre langue maternelle, qui nous font quelquefois affubler le latin de tournures les plus opposées au génie de la langue. Le latin de cuisine n’est pas connu au Tonkin, ou, du moins, il n’est connu que des Français !
« Vous demandez à quel degré d’instruction arrivent les élèves qui réussissent le mieux. Ils connaissent d’abord parfaitement leur religion, comprennent à la lecture les ouvrages de Pères latins, sont capables d’écrire en latin ou en annamite des récits, narrations et discours relatifs à divers sujets de religion, de morale et d’histoire ecclésiastique (...). On leur apprend la géographie, les mathématiques élémentaires et un peu d’astronomie. »
Le Père Theurel traduisit en langue annamite un ouvrage de cosmographie et un Cours de Liturgie pratique, tandis que le Père Néron composait un manuel d’arithmétique, algèbre et géométrie. Son martyre l’empêcha d’achever ce dernier chapitre. Quant au Père Vénard, il mit au point une traduction des Actes des Apôtres ainsi que d’une Concordance évangélique. Il avait même réussi à faire venir de France un orgue, pour faire chanter le grégorien par les Annamites !
Dans cette mission en plein essor, l’alacrité, le courage du nouveau Père firent rapidement merveille. Malgré les fièvres, malgré la traque par les autorités, dans une constante abnégation... Peu importent les épreuves ! Il plaçait toute sa confiance dans la Vierge Marie. Sa joie inaltérable, sa pureté rayonnante lui conquirent le cœur des indigènes. Il fut surnommé : “ le petit Père Ven ”. En effet, “ Ven ” veut dire en vietnamien : intègre, vierge.
Intègre, le Père Vénard l’était aussi par sa foi. Doux et miséricordieux, il savait néanmoins se montrer intraitable quand il voyait des chrétiens se montrer conciliants avec les cultes païens. Un jour qu’il se réfugie chez un maire chrétien, il découvre avec indignation, dans la chambre qui lui est offerte, un autel pour pratiquer le culte des ancêtres ! Il exige sur-le-champ que son hôte détruise cet autel païen. Ce dernier refuse : souvent, il reçoit la visite d’idolâtres influents... Cet autel le met à couvert de bien des ennuis ! Notre missionnaire, qui a en horreur la compromission, ordonne à son catéchiste de détruire l’autel.
Sans crainte de déplaire aux plus tièdes de ses ouailles, particulièrement aux lettrés convertis, saint Théophane leur interdisait de participer à des fêtes idolâtres ou même seulement de simuler des rites païens pour éviter des persécutions. Il préférait briser autels et vases d’encens, quoi qu’il en coûte. Voilà un saint à mille années-lumière de l’inculturation et de l’interreligion modernes !
Mais la persécution s’intensifiait. Mgr Retord mourut de misère dans les montagnes où il avait dû fuir. Le Père Ven, qui passait de cache en cache pour visiter toutes ses paroisses et y distribuer les sacrements, fut trahi et arrêté à son tour le 20 novembre 1860. Emprisonné dans une cage, sa sérénité, sa politesse, sa joie impressionnèrent les païens et le mandarin lui-même ! « Qu’il est poli, cet Européen ! Il est serein et joyeux comme quelqu’un qui va à la fête. Il n’a pas l’air d’avoir peur. Celui-là n’a aucun péché ! Il n’est venu en Annam que pour faire du bien, et cependant, on va le mettre à mort. »
Durant les longues semaines de sa détention, ce fut encore son amour pour la Sainte Vierge qui le soutint. « Marie Immaculée ne manquera pas de protéger son petit serviteur », écrivit-il à sa famille le 3 décembre. Il eut même le réconfort de pouvoir chanter des cantiques à la Sainte Vierge avec un soldat chrétien : l’Ave maris Stella, l’Inviolata...
Inébranlable dans sa confession de foi, le Père Vénard fut condamné à être décapité. L’exécution fut fixée au 2 février 1861. C’était pour lui un jour de fête, pour lequel il se fit préparer une belle soutane de soie noire, chatoyante, qu’il ne porta que ce jour-là. Après avoir entendu la lecture de la sentence de condamnation qui l’accusait d’avoir prêché une fausse religion, saint Théophane répondit avec la plus grande fermeté qu’il était venu dans ce pays pour enseigner non pas une fausse religion, mais la seule vraie et c’est pour elle qu’il allait mourir.
Sur le chemin le menant au lieu du supplice, le confesseur de la foi chante des cantiques, en particulier le Magnificat. Il est dans l’action de grâces : enfin, il va mourir martyr, de cette mort qu’il a tellement désirée ! Il est calme, serein, joyeux et même rayonnant, parce que rempli de la grâce et de la force de Dieu. Son bourreau, qui s’est enivré pour se donner du courage, devra le frapper à plusieurs reprises pour le décapiter. Qu’importe ! Saint Théophane est en train d’offrir le plus bel acte d’amour de sa vie et cette mort le conduit directement au Ciel, avec Jésus et Marie. N’avait-il pas écrit à son évêque, Mgr Theurel, le 3 janvier précédent : « Quand ma tête tombera sous la hache du bourreau, ô Mère Immaculée, recevez votre petit serviteur, comme la grappe de raisin mûr tombée sous le tranchant, comme une rose épanouie cueillie en votre honneur. Ave Maria ! Je lui dirai aussi de votre part : Ave Maria ! »
Le martyr sait de plus que son sacrifice, offert en union avec celui de Jésus crucifié, est une source de grâces pour le peuple annamite au salut duquel il a consacré sa vie. Quel bonheur !
Ayant achevé le récit poignant du martyre, frère François conclut : « Théophane Vénard, c’est un saint ! un vrai saint, plein d’enthousiasme pour convertir et baptiser les païens, afin de les préserver du feu de l’enfer, un saint qui n’a qu’une pensée : aller au Ciel, retrouver Jésus et connaître des joies qu’un cœur, ici-bas, ne peut pas connaître.
« Saint Théophane ne pouvait pas supporter que d’autres âmes ne connaissent pas le bonheur d’être chrétien. Il était prêt à tous les sacrifices pour aider au salut éternel des païens. À notre petite mesure, nous sommes engagés dans la même lutte quotidienne contre Satan. Eh bien ! nous n’avons plus qu’à le prier et à l’imiter. Ainsi soit-il. »
LA SALLE DES MARTYRS.
Le cœur et l’esprit tout emplis de cette vie exemplaire, nos amis descendirent ensuite vers la Salle des Martyrs, entraînés par les frères qui scindèrent leur troupeau en trois groupes.
C’est le 3 août 1843 que parvinrent au 128 rue du Bac la cangue et les restes du Père Dumoulin-Borie, martyrisé cinq ans plus tôt au Tonkin. Après avoir été dûment reconnues, ces reliques furent exposées dans une chambre du premier étage de la Maison, « convenablement décorée ». Une lettre commune ayant été adressée aux missionnaires pour relater l’événement, les autres missions ne voulurent pas être en reste. Les reliques et souvenirs de plusieurs martyrs furent alors envoyés successivement de Cochinchine, de Chine et de Corée. C’est l’origine de la Salle des Martyrs.
Les aspirants-missionnaires prirent l’habitude d’aller y prier chaque jour. Ainsi du jeune abbé Vénard, racontant à sa chère Mélanie qu’après la prière du soir de 9 heures, « en sortant de la chapelle pour rentrer à sa cellule, personne n’oublie d’aller rendre visite aux restes vénérés de ceux dont nous avons chanté “ Marie Reine ”. Autour d’une salle dont le parquet est couvert d’un grand et beau tapis, dont les murs sont parsemés d’étoiles et de palmes d’or, sont rangés avec ordre les nombreux reliquaires qui renferment les dépouilles des Martyrs de la Chine et du Tong-King, les uns missionnaires, d’autres indigènes, qui ont pu être soustraites aux persécuteurs. Chacun s’agenouille, prie et se retire silencieux en baisant un crucifix teint du sang de Mgr Borie. »
La chambre du premier étage devint rapidement trop petite, et incommode à cause du nombre croissant de visiteurs venus de l’extérieur, qui demandaient à « monter à la chambre des martyrs ». Aussi, en 1867, tout le contenu de cette chambre fut descendu dans une pièce plus vaste, au rez-de-chaussée, et la plupart des châsses contenant les restes des martyrs, déposées sous les autels de la crypte de la chapelle.
Puis, ce furent les béatifications, en 1900, 1909, 1925, 1968, puis les canonisations... La Salle n’a fait que s’enrichir de nouveaux souvenirs au cours des décennies, l’évangélisation du monde n’étant jamais achevée, non plus que l’ère des martyrs.
Il a malheureusement fallu que le mauvais esprit conciliaire pénètre jusque dans ce sanctuaire. La Salle des Martyrs a été déménagée en 2002 dans un sous-sol au-delà de la crypte. L’objectif était d’en faire une étape sur un parcours de mémoire... qui aboutissait à la “ Librairie des cultures et des religions d’Asie ” ! Dans cette grande pièce moderne et sans âme, les reliques les plus précieuses des martyrs sont éparpillées dans des vitrines thématiques ou bien dissimulées au fond de tiroirs, presque sans explications.
Le commentaire de la vitrine consacrée aux “ jeux et intermèdes ”, disponible sur le site internet des Missions étrangères, révèle une incompréhension confondante de l’esprit des martyrs : « Cette vitrine est faite pour un rapprochement ludique d’objets longs présentés sur un râtelier. La canne de saint Théophane Vénard avec ses inscriptions à l’encre : façon de marcher. La lorgnette de saint Auguste Chapdelaine : manière de voir. La flûte du Père Brieux pour l’enchantement. Mais un grand coutelas posé en bas évoque un destin. Des montres arrêtées : le temps compté (...).
« Tout cela est hétéroclite comme ce que la vie abandonne. On recrée soi-même une harmonie quand on regarde. »
Précision utile : les inscriptions sur la canne de saint Théophane Vénard sont les paroles du Notre Père et du Je vous salue Marie...
Quant à la crypte, conciliairement saccagée, elle a été dépouillée de ses douze autels et, par conséquent, des châsses des martyrs, reléguées dans des recoins du passage menant à la nouvelle Salle des Martyrs, sans même de panneau explicatif. Le Saint-Sacrement n’a d’ailleurs pas été mieux traité, disposé au fond de la crypte de telle manière que le fidèle lui tourne le dos et ne le remarque qu’en ressortant !
Néanmoins, sous la direction des frères, cette visite fut un véritable pèlerinage. Chaque station fut l’occasion de s’agenouiller, de prier aux intentions qui furent celles-là mêmes des missionnaires : pour obtenir la docilité envers nos parents et maîtres ainsi que le don de force, afin de garder la foi malgré l’apostasie ; pour implorer le salut de la France, cette mère patrie pour laquelle les missionnaires gardaient tout leur amour.
En premier lieu, nous voulions vénérer le reliquaire contenant les ossements de saint Théophane Vénard, qui furent ramenés à la Maison Mère en 1865. Un aspirant d’alors, le Père Villion, raconte la scène :
« Un jour – ou plutôt une nuit – à l’automne 1865, voici qu’à 2 heures du matin, la cloche des exercices se met à exécuter une sonnerie à nulle autre pareille. Réveillé en sursaut, je frappe à la cloison et demande à mon voisin : “ Dites donc, l’ancien, est-ce que ce serait le feu ? – Non, me répond-il ; un directeur vient de crier dans le corridor : Tous en bas, à la cour d’entrée ! ”
« On s’habille en hâte, on se bouscule, on se précipite vers la grille. Là, dans le plus grand silence, des cierges sont distribués à tous. De quoi s’agit-il donc ? Mystère. Et voici qu’une voiture franchit le porche et s’arrête devant la barrière. Le Père Pernot, en tenue de voyage, en descend, puis, avec d’infinies précautions, on en tire un colis énorme que l’on débarrasse soigneusement des nattes et des toiles d’emballage qui le protègent.
« Alors, à la lueur des cierges, apparaît une cassette entourée d’un ruban de soie jaune. C’étaient les reliques insignes, les ossements de Théophane Vénard !... Des exclamations comprimées courent dans nos rangs ; plusieurs, s’approchant du reliquaire, y appliquent respectueusement leurs lèvres.
« Quatre directeurs portèrent le corps de Théophane à la Salle des Martyrs, tandis que nous chantions : Subvenite, Sancti Dei, occurrite, Angeli Domini. Accourez à sa rencontre, Saints de Dieu, Anges du Seigneur !... Je ne saurais dire l’impression que nous fit la réception de ce trésor au milieu de la nuit.
« La nouvelle, bientôt ébruitée dans Paris, causa une vive émotion et attira nombre de visiteurs, j’allais dire de pèlerins, au séminaire. Les reliques du jeune martyr seraient désormais une protection pour la famille des Missions étrangères. Il semblait que le doux Théophane lui-même était revenu pour faire palpiter nos cœurs et embraser nos âmes du zèle apostolique ! »
Après sa béatification, le 2 mai 1909, les restes du saint martyr furent déposés à une place spécialement honorable : dans le chœur de la crypte, côté Évangile, sous l’autel dédié à saint Joseph. Hélas ! La crypte ayant été mise au goût du jour, c’est dans un réduit exigu, à droite dans l’escalier qui descend vers la nouvelle Salle des Martyrs, que nous avons trouvé et vénéré ses précieux restes.
À quelques pas de là, au fond d’une vitrine, hors de la vue des enfants qu’il fallait porter pour le leur montrer, un hameçon noirâtre : il s’agit de l’hameçon avec lequel fut repêchée la tête du saint dans le fleuve Rouge. Qu’on ait pu la retrouver tient du miracle. En effet, trois jours après sa mort, les soldats mirent la tête du martyr dans une corbeille lestée qui aurait dû s’enfoncer définitivement au fond de l’eau. Or, treize jours plus tard, à seize kilomètres en aval, à côté de la barque d’un chrétien, la tête réapparut parfaitement conservée !
Les dernières lettres de saint Théophane à sa famille, lues auprès de ces reliques insignes, nous instruisent de son esprit de martyr, qu’il nous faut acquérir à son école afin de marcher sur ses traces, si Dieu le veult ! Le petit livret de pèlerinage distribué à nos amis en présentait deux. Et en premier lieu la lettre qu’il écrivit le 20 janvier 1861 à son petit frère Eusèbe, alors séminariste :
« Quand tu recevras cette lettre, ton frère aura eu la tête tranchée. Il aura versé tout son sang pour la plus noble des causes ; pour Dieu, il sera mort martyr. Ça été là le rêve de mes jeunes années, quand tout petit bonhomme de neuf ans, j’allais paître ma chèvre sur les coteaux de Bel-Air. Je dévorais des yeux la brochure où sont racontées la vie et la mort du vénérable Charles Cornay, et je me disais : Et moi aussi je veux aller au Tonkin, moi aussi je veux être martyr.
« Oh, admirable fil de la Providence qui m’avez conduit parmi le labyrinthe de cette vie jusqu’au Tonkin, jusqu’au martyre... »
Mais la lettre qu’il écrivit le même jour à Mélanie, sa sœur chérie, sa confidente intime, est encore plus émouvante :
« Il est près de minuit. Autour de ma cage de bois sont des lances et de longs sabres. Dans un coin de la salle, un groupe de soldats joue aux cartes, un autre joue aux dés. De temps en temps, les sentinelles frappent sur le tam-tam et le tambour, les veilles de la nuit. À deux mètres de moi, une lampe projette sa lumière vacillante sur ma feuille de papier chinois, et me permet de te tracer ces lignes. J’attends de jour en jour ma sentence. Peut-être demain je vais être conduit à la mort. Heureuse mort, n’est-ce pas ? Mort désirée qui conduit à la vie.
« Selon toutes probabilités, j’aurai la tête tranchée. Ignominie glorieuse dont le Ciel sera le prix. À cette nouvelle, chère sœur, tu pleureras, mais de bonheur. Vois donc ton frère, l’auréole des martyrs couronnant sa tête, la palme du triomphateur se dressant dans sa main. Encore un peu, et mon âme quittera la terre, finira son exil et terminera son combat. Je monte au Ciel, je touche la patrie, je remporte la victoire. Je vais entrer dans ce séjour des élus, voir des beautés que l’œil de l’homme n’a jamais vues, entendre des harmonies que l’oreille n’a jamais entendues, jouir de joies que le cœur n’a jamais goûtées.
« Mais auparavant il faut que le grain de froment soit moulu, que la grappe de raisin soit pressée. Serai-je un pain, un vin, selon le goût du Père de famille ? Je l’espère de la grâce du Sauveur, de la protection de sa Mère Immaculée. Et c’est pourquoi, bien qu’encore dans l’arène, j’ose entonner le chant de triomphe comme si j’étais déjà couronné vainqueur. »
Ce sont donc des trophées de vainqueurs que frère François présentait ensuite dans la Salle des Martyrs même, qui s’ouvre au bas de l’escalier. Au milieu se dresse, imposante, la cangue de saint Pierre Dumoulin-Borie, décapité en 1838. La cangue est une espèce d’échelle, avec deux barreaux au centre et un barreau à chaque extrémité. La tête du supplicié est passée entre les deux traverses du milieu et les deux montants pèsent sur les épaules. Un tel instrument à porter jour et nuit est extrêmement pénible : le cou et les épaules finissent par être blessés. Et quand les geôliers la font tourner à droite, à gauche, quelle douleur pour le pauvre chrétien ! Et comme le Père Dumoulin-Borie était d’une stature imposante, ses bourreaux lui en fabriquèrent une deux fois plus grande et plus lourde qu’une cangue normale.
La vitrine voisine présente la belle robe dont saint Théophane se revêtit pour son martyre.
Mais de toutes ces reliques, la plus précieuse est peut-être l’Acte de consécration à la Vierge Marie du saint, écrit et signé de son sang. Ce petit feuillet, couvert d’une écriture minuscule, nous révèle le secret de la persévérance sereine et de la joie rayonnante du Père Vénard, s’avançant vers la mort.
En janvier 1860, alors que la traque des autorités lui impose de se terrer de cache en cache, il lit le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Ayant médité longuement « ce secret que le bienheureux eut mission de livrer à la terre », par un acte solennel qu’il soumet à l’approbation de Mgr Theurel son confesseur, Théophane se consacre à la Sainte Vierge le dimanche 15 janvier 1860, en la fête du Saint Nom de Jésus. Il emprunta au Traité de la vraie dévotion le texte entier de son vœu d’esclavage à Marie et en traça une dizaine de lignes avec son sang : « Moi, Jean Théophane Vénard, pécheur infidèle, je renouvelle et ratifie aujourd’hui entre vos mains les vœux de mon Baptême (...).
« Je vous choisis aujourd’hui, en présence de toute la cour céleste, pour ma Mère et Maîtresse ; je vous livre et consacre, en qualité d’esclave, mon corps et mon âme, mes biens intérieurs et extérieurs, et la valeur même de mes bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant un entier et plein droit de disposer de moi et de tout ce qui m’appartient sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l’éternité. »
Désormais, pour se rappeler son offrande, il ajoutera à sa signature les deux lettres m et s, qui sont les initiales de “ Mariæ servus ”, esclave de Marie, comme fera l’abbé Poppe un peu plus tard. La consécration à la Vierge Marie est le gage de la sainteté du prêtre !
Il semble que la Très Sainte Vierge ait agréé cette offrande. L’année n’était pas écoulée que Théophane était arrêté et chargé d’une chaîne, conservée elle aussi dans la Salle des Martyrs. Le missionnaire y vit une réponse à son vœu d’esclavage : « Je l’ai baisée, cette jolie chaîne de fer, vraie chaîne d’esclavage de Jésus et de Marie, que je ne changerais pas pour son pesant d’or. » On comprend dès lors cette allégresse du martyr, qui touchait les cœurs des païens eux-mêmes ! La force des martyrs, c’est l’Immaculée Vierge Marie !
Instruits de ce secret, tous pouvaient comprendre la beauté dramatique de la série des tableaux qui couvrent les murs de la salle, représentant les martyres de missionnaires, de prêtres et de catéchistes annamites. Ces tableaux sont l’œuvre de chrétiens vietnamiens, témoins de ces supplices. Certes, ils ont été peints à la hâte par des mains inexpérimentées, la perspective en est aplatie, voire totalement absente. Mais les séminaristes des Missions étrangères, en venant prier chaque soir devant ces tableaux, se préparaient à leurs futurs combats apostoliques. Et nos enfants à leur tour, même les plus petits, écarquillent les yeux, tendent l’oreille, ouvrent la bouche... Ils gravent dans leurs esprits en éveil, avec l’horreur apparente de ces scènes, leur sens surnaturel que leur révèle frère François : les souffrances des martyrs ne doivent pas nous effrayer, car ils sont portés par la grâce du Saint-Esprit et par l’amour de Jésus et Marie. Ils leur offrent amoureusement leur sacrifice, pour les rejoindre au Ciel et y entraîner à leur suite des multitudes d’âmes infidèles.
VIETNAM, UNE FILLE AÎNÉE DE L’ÉGLISE EN ASIE.
C’est le titre de l’exposition temporaire qui se tenait dans une dernière pièce, au-delà de la Salle des Martyrs.
Tertullien disait : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. » Et notre Père, l’abbé de Nantes : « La foi des martyrs a toujours vaincu les obstacles de Satan ! » (mai 1976)
Malgré la victoire totale des communistes dans tout le pays en 1975, malgré l’expulsion de tous les missionnaires étrangers et malgré toutes les interdictions des autorités politiques, les catholiques sont demeurés une forte minorité de plusieurs millions de fidèles – environ 7 % de la population – gouvernés par une hiérarchie autochtone. Ils gardent inviolablement leur fidélité à leur foi, de telle sorte que les tentatives pour établir une “ Église patriotique ”, comme en Chine, ont été vaines.
Deux chiffres illustrent la vitalité de cette Église vietnamienne, vivifiée par le sang des martyrs : on y compte plus de deux mille cinq cents séminaristes répartis dans huit grands séminaires, et sept mille religieuses Amantes de la Croix !
Frère Louis-Gonzague présentait les clichés les plus remarquables de cette exposition émouvante : chemins de croix, statues de la Vierge Marie et de saint Joseph, dévotion au Sacré-Cœur... Ces scènes sont autant de témoignages de “ la religion de nos pères ”, que pratiquent toujours les Vietnamiens, dans une grande pauvreté, quand nous-mêmes l’avons abandonnée depuis 1962...
Cette fidélité et cette vitalité s’abreuvent à la double source du Cœur Immaculé de Marie et du sang des martyrs.
Plusieurs photographies montrent le culte que les Vietnamiens vouent à leurs martyrs : la basilique de So Kien, bâtie en 1882 par les Français pour perpétuer la mémoire des cent dix-sept martyrs du Vietnam ; des vues de reliques de martyrs, chaînes ou bien jarres remplies de la terre rougie de sang du lieu des exécutions... Il faut dire que tous les chrétiens, là-bas, comptent des martyrs parmi leurs ancêtres ! Commentaire de l’exposition : « Dans de nombreuses églises du Vietnam, des autels-reliquaires renouvellent la piété filiale confucéenne traditionnelle. » De la même manière, nous dirait-on sans doute, le Saint-Sacrifice de la Messe est une nouvelle forme de piété qui rénove les sacrifices offerts aux idoles... Quel aveuglement de la part de ceux qui devraient être les héritiers des martyrs ! Vatican II est passé par là...
Dans cette sainte phalange des martyrs, saint Théophane Vénard, “ le doux Père Ven ”, tient une place à part. Un petit reportage de dix minutes, diffusé dans la salle de l’exposition, montrait la dévotion privilégiée dont il est l’objet. Une dame raconte sa guérison miraculeuse par son intercession ; l’arrière-petit-fils du pêcheur qui a retrouvé la tête du martyr en fait le récit, montrant les lieux où la précieuse relique fut dissimulée aux persécuteurs. Un autre homme montre avec enthousiasme un petit autel dans une maison où trônent le portrait du saint et une petite image de sainte Thérèse...
Comment séparer, en effet, la petite carmélite de Lisieux de l’ardent missionnaire au Tonkin ? Elle avait reconnu en lui une âme sœur. Une même soif du salut des âmes les animait. Aussi, devant la photographie du reliquaire contenant le crâne du saint martyr, conservé dans la paroisse de Ke-Trü, frère Louis-Gonzague lut cette strophe que sainte Thérèse adressa à saint Théophane :
« Soldat du Christ, ah ! prête-moi tes armes
Pour les pécheurs je voudrais ici-bas
Lutter, souffrir à l’ombre de tes palmes,
Protège-moi, viens soutenir mon bras.
Je veux pour eux ne cessant pas la guerre
Prendre d’assaut le Royaume de Dieu
Car le Seigneur apporta sur la terre
Non pas la paix, mais le Glaive et le Feu ! »
Uni au culte des martyrs, c’est l’amour de la Sainte Vierge qui soutient la foi au Vietnam, depuis les origines de cette chrétienté, comme le remarquait Mgr Gendreau, des Missions étrangères de Paris (1851-1935) : « Les chrétiens du Tonkin appellent Marie, la Sainte Mère, et la regardent comme la protectrice de toute leur vie religieuse. Pour cette raison, ils ont une grande dévotion au Rosaire. C’est leur prière favorite. Même au milieu des persécutions, dans les prisons, en marchant au supplice, la récitation du chapelet, les invocations à la Sainte Mère revenaient constamment sur leurs lèvres. Nous ne croyons pas exagéré de dire que c’est la dévotion à la Sainte Vierge et au Rosaire qui, non seulement a préservé la religion d’une ruine totale au Tonkin, mais encore l’a fait revivre plus brillante et plus florissante qu’avant les persécutions. Oui, c’est notre conviction : touchée par la piété filiale de nos chrétiens, la Sainte Mère a brisé les projets de nos ennemis dans le passé, et nous espérons fermement qu’il en sera de même dans l’avenir. » (cité dans Il est ressuscité ! n° 42, janvier 2006, p. 23)
Le portrait touchant d’une vieille femme portant un grand chapelet blanc autour du cou témoigne que cette dévotion persiste dans le peuple vietnamien.
Avec le saint Rosaire, la dévotion au Cœur Immaculé de Marie est très répandue au Vietnam. Rappelons-nous que la statue de la Vierge pèlerine de Fatima, escortée de ses colombes, fut accueillie triomphalement dans notre Indochine française en décembre 1950.
L’exposition présente plusieurs vues du sanctuaire de Notre-Dame de Mang Den, situé dans une région montagneuse, dans le centre du pays. L’origine de ce sanctuaire est une statue du Cœur Immaculé de Marie, à l’effigie de Notre-Dame de Fatima, qui fut découverte dans les forêts des montagnes en 1987, sans tête ni bras, sans doute profanée par les communistes...
Dans l’ignorance de son aspect d’origine, en 2004, les habitants ont resculpté la tête de la Sainte Vierge, à l’image des visages des femmes montagnardes du pays. Puis ils ont tenté de lui refaçonner des mains. En vain, car celles-ci ne tenaient pas : rien à faire ! À chaque reprise, les nouvelles mains reconstituées ne pouvaient se fixer sur la statue et retombaient à terre... Était-ce un signe ? Toujours est-il que cela accrut la ferveur populaire. De nombreux catholiques, mais aussi des païens viennent implorer des grâces qui leur sont souvent accordées, comme en témoignent de nombreux ex-voto, inscrits à même les bancs.
Deux autres photographies montrent le Père Barthélémy Tinh, recteur rédemptoriste du sanctuaire, ainsi que le chantier de la construction d’une basilique mariale, dont le permis de construire ne fut accordé par l’administration communiste qu’après d’innombrables difficultés. Cette construction est comme le symbole de cette Église qui résiste victorieusement à la persécution, par la grâce du Cœur Immaculé de Marie.
Après une heure environ passée à visiter la Salle des Martyrs, il restait à frère François à conclure ce pèlerinage. Il retourna pour cela dans le jardin, regroupant son assistance autour de l’oratoire de Marie, Reine des Martyrs. En guise de bouquet spirituel, il cita une dernière parole de saint Théophane Vénard, à conserver nous aussi dans notre cœur pour entretenir notre espérance dans le triomphe prochain du Cœur Immaculé de Marie : « Pour mon compte, je base mes espérances pour l’avenir sur Marie Immaculée, et je crois que c’est d’Elle que partira l’éclair qui foudroiera les idoles du monde. »
Les enfants, qui avaient été si sages, purent alors donner libre cours à leur exubérance naturelle dans une partie de béret acharnée. À l’endroit même où le gai Théophane et tant de futurs missionnaires et martyrs prenaient chaque jour leur récréation !
RETRAITE DES ENFANTS EN BRETAGNE
Pendant ce temps, c’est au cœur de la Bretagne que frère Gérard, secondé par frère Thomas, avait donné rendez-vous à nos familles du grand Ouest. Là aussi, il s’agissait de parler des martyrs. Ils furent rejoints par une soixantaine d’enfants, mieux encadrés que jamais par une équipe de parents et de jeunes gens dévoués, qui à la cuisine, qui “ à la technique ”, qui pour les manutentions en tous genres, ou tout simplement pour aider les petits à suivre et à noter les enseignements de frère Gérard.
Nos frères eurent la joie d’être cordialement accueillis en paroisse, et d’abord pour une heure et demie de confessions.
“ Enfant de l’Église ” était le titre des instructions de frère Gérard, avec pour maxime à graver dans notre cœur la dernière parole de la petite Mariam Baouardy, sainte Marie de Jésus-Crucifié, au musulman qui allait l’égorger : « Je suis fille de l’Église catholique, apostolique et romaine et j’espère, avec la grâce de Dieu, persévérer jusqu’à la mort dans ma religion, parce que c’est la seule vraie. »
Notre frère leur enseigna que l’honneur de l’Église, ce sont ses martyrs ! Ayant l’esprit encore tout plein de notre dernier pèlerinage sur les hauts lieux de la Croisade espagnole (1936-1939), il se fit une joie de communiquer sa ferveur pour tant d’admirables figures de martyrs qu’il y avait rencontrées. Avec une prédilection irrépressible pour les visitandines de Madrid pour lesquelles son cœur déborde littéralement de tendresse. Le sommet de ces deux jours fut d’ailleurs la récitation, aux pieds de Notre-Dame du Roncier, de la consécration à la Sainte Vierge de la mère Marie-Gabrielle, la supérieure des sept sœurs qui gardaient ce monastère de Madrid en 1936. Elle l’avait prononcée trente ans auparavant, mais elle traduit bien les sentiments unanimes de cette communauté, prête au martyre :
« Je voudrais aujourd’hui épuiser tout mon amour et ma tendresse en te louant, Vierge pure, et célébrer dignement tes gloires et ta beauté.
« Tu es toi, Vierge Marie, Mère de Dieu fait homme et du mortel exilé, du pauvre délaissé, et pour lors ma Mère.
« Orpheline dans mon jeune âge, tu m’as adoptée avec bonté ; c’est à toi que j’ai eu recours en toute chose, et toi, tendre mère, tu as adouci mon abandon.
« Tu as toujours été ma Mère, la reine de mes amours, l’objet de mes louanges, les ardeurs de mon âme, la joie de ma vie.
« Que pourrais-je te donner ? Tout ce que j’avais, je te l’ai offert, et cela depuis longtemps. Que pourrais-je te donner ? Je pourrai t’aimer toujours davantage.
« Ainsi donc, douce Vierge Marie, que se réalise mon vœu, à moi qui t’aime tant, que sans tarder je meure d’amour pour toi, ma Mère. »
C’est la grâce qui fut accordée à ces sept religieuses le 18 novembre 1936, jour de leur immolation...
Du Tonkin à l’Espagne, par toute la Chrétienté, l’Immaculée est la Reine des martyrs !
Les petits retraitants furent saisis par cet esprit du martyre, tellement ardent, débordant d’amour pour Jésus et Marie, jusqu’au sacrifice suprême pour leur rester fidèle. À leur niveau, ils comprirent le tragique de la situation que nous vivons aujourd’hui dans l’Église et l’urgence de faire tous leurs efforts pour s’instruire du combat CRC, afin de tenir bon dans l’apostasie universelle. De là le bon esprit de ces enfants de la CRC, dociles et attentifs : « Regardez, frère Gérard ! J’ai rempli vingt-quatre pages de notes dans mon carnet ! »
Et notre frère d’en profiter pour dicter à tous ses petits aspirants au martyre la résolution à tenir pour obtenir la grâce de confesser leur foi : « Une obéissance prompte, facile, joyeuse et à toute épreuve ! »
frère Guy de la Miséricorde.