II. Les apparitions de la Vierge Marie
à la rue du Bac
Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1830, sœur Catherine s'entendit appeler : « Sœur Catherine ! Sœur Catherine ! » C'était son Ange gardien qui l'éveillait pour la conduire à la chapelle. Il était tout de lumière, les portes s'ouvraient devant eux, comme on le lit dans les Actes des Apôtres. Après un moment d'attente à genoux dans le chœur de la chapelle, la sœur entendit « comme le frou-frou d'une robe de soie venant de la tribune ».
« Voici la Sainte Vierge », dit l'Ange d'une voix forte. Sœur Catherine ne fit qu'un bond et se retrouva sur les marches de l'autel, les mains appuyées sur les genoux de la Sainte Vierge, qui s'était assise dans le fauteuil de Monsieur le directeur. Ce fut, dira la sœur, « le moment le plus doux de ma vie ». (...)
MESSAGE DE NOTRE-DAME ET MISSION DE SAINTE CATHERINE
L'entretien dura presque deux heures (...). Sainte Catherine n'en a, malheureusement pour nous, rapporté qu'une infime partie. Suffisamment pourtant pour refléter le charme divin et la sage simplicité des paroles de la Reine du Ciel.
« Mon enfant, le Bon Dieu veut vous charger d'une mission. Vous aurez bien de la peine, mais vous vous surmonterez en pensant que vous le faites pour la gloire du Bon Dieu... Vous connaîtrez ce qui est du Bon Dieu, vous en serez tourmentée, jusqu'à ce que vous l'ayez dit à celui qui est chargé de vous conduire, vous serez contredite. Mais vous aurez la grâce. Ne craignez pas, dites tout avec confiance et simplicité... »
D'un geste de la main, Elle montrait à sa confidente le pied de l'autel en lui disant qu'elle n'aurait qu'à venir là répandre son cœur, pour recevoir réconfort et lumière surnaturelle afin d'accomplir sa mission. (...)
L'entretien roule ensuite sur la communauté :
« Mon enfant, j'aime répandre mes grâces sur la communauté. Je l'aime heureusement. J'ai de la peine : il y a de grands abus, la règle n'est pas observée, la régularité laisse à désirer. Il y a un grand relâchement dans les deux communautés. Dites-le à celui qui est chargé de vous... »
Elle descend ensuite dans les détails de la vie quotidienne pour corriger tout ce qui ne va pas ! C'est cela une vraie réforme (…). Enfin la Sainte Vierge en vient à parler de la France :
« Les temps sont très mauvais, des malheurs vont fondre sur la France : le trône sera renversé [dix jours après, c'était fait], le monde entier sera renversé par des malheurs de toutes sortes (la Sainte Vierge avait l'air très peinée en disant cela, note sœur Catherine). Mais venez au pied de cet autel, là les grâces seront répandues sur toutes les personnes qui les demanderont avec confiance et ferveur, elles seront répandues sur les grands et sur les petits... »
Et la Sainte Vierge continue : « Le moment viendra où le danger sera grand, on croira tout perdu, là je serai avec vous, ayez confiance, vous reconnaîtrez ma visite et la protection de Dieu et celle de saint Vincent sur les deux communautés. »
« Il y aura bien des victimes, Monseigneur l'archevêque mourra. Mon enfant, la Croix sera méprisée, le sang coulera dans les rues [ici, note sœur Catherine, la Sainte Vierge ne pouvait plus parler, la peine était peinte sur son visage]. Mon enfant, me dit-elle, le monde entier sera dans la tristesse. À ces mots, je pensai : quand est‑ce que ce sera ? J'ai très bien compris : quarante ans. » Quarante ans, l'espace d'une génération, comme dans l'Évangile ! (...) On peut dire que la France avait quarante ans pour se convertir ; elle ne le fera pas, hélas ! et quarante ans après, jour pour jour, la guerre franco-allemande sera déclarée, entraînant un cortège de calamités... C'est en pleurant que la Sainte Vierge prédit tout cela en 1830, comme Jésus avait pleuré sur Jérusalem infidèle ! (…)
Après avoir ainsi révélé l'avenir sous des couleurs si sombres, l'Immaculée voulut donner à ceux qui se réfugieraient auprès d'elle, implorant son secours, et se rangeant sous son étendard pour la reconquête de son beau Royaume, un moyen sûr et infaillible, accessible à tous, de passer à travers ces temps difficiles où « on croirait tout perdu » : la Médaille miraculeuse.
LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
Samedi 27 novembre 1830, veille du premier dimanche de l'Avent, dans la chapelle de la rue du Bac, la sœur venait d'entendre une instruction sur la dévotion à la Sainte Vierge, qui lui avait donné un grand désir de LA voir et la conviction qu'elle LA verrait « belle dans son plus beau ». Pendant le silence qui suivit le point d'oraison, elle entendit de nouveau le « frou-frou d'une robe de soie venant de la tribune » et, soudain, apparut à gauche de l'autel, à hauteur du tableau de saint Joseph, l'Immaculée, dans l'éclat de sa splendeur originelle.
« Sur un ciel bleu, étoilé par en haut, aurore par en bas, dans un soleil : la Très Sainte Vierge, voile aurore, robe blanche, manteau bleu céleste, les pieds sur un croissant, écrasant la tête du serpent avec le talon. Douze étoiles sont autour de sa tête, un léger nuage sous le croissant. Particularité essentielle : la Sainte Vierge tient légèrement le globe du monde dans ses mains, et elle l'éclaire d'une vive lumière. »
Aurore... Le mot revient deux fois : sur le fond du tableau, “ par en bas ”, comme il se doit pour annoncer le lever du soleil, et dans la couleur du voile, “ blanc aurore ”.
Ses pieds reposent « sur une boule blanche, ou du moins il m'apparut que la moitié ». On lit dans le Livre des Proverbes, à propos de la Sagesse : « Lorsqu'Il fortifia les fondements de la terre, je suis à ses côtés, enfant chérie ; je suis, faisant ses délices... jouant sur le globe de la terre. »
Cette enfant chérie de Dieuécrase la tête du serpent : « un serpent de couleur verdâtre avec des taches jaunes », précisera la sœur. L'Immaculée engage ici son dernier combat contre le Serpent maudit, dont l'issue victorieuse est connue depuis les origines (Gn 3, 15).
Elle tient, – et c'est là la nouveauté –, dans ses mains, « d'une manière très aisée » ,une boule d'or surmontée d'une petite croix d'or. La voyante entend alors une voix intérieure lui dire : « Cette boule que vous voyez représente le monde entier, particulièrement la France et chaque personne en particulier. » La croix qui surmonte le globe du monde est le signe de la souveraineté du Christ Sauveur. L'Immaculée tenant ce globe dans ses mains, participe à cette souveraineté. (…)
Ses yeux, écrit la religieuse, étaient tantôt levés vers le Ciel, tantôt abaissés vers la terre :
« Quand Elle priait, sa figure était si belle, si belle, qu'on ne pourrait la dépeindre. » C'est de voir Marie implorer la Miséricorde divine qui a le plus ravi l'âme de sainte Catherine Labouré, lui donnant cet attrait si particulier pour la représentation de la Vierge au globe, appelée aussi Vierge puissante. « Ses traits étaient alors empreints d'une gravité mêlée de tristesse qui disparaissait lorsque le visage s'illuminait des clartés radieuses de l'amour, surtout à l'instant de sa prière ».
En réponse à la prière de Marie, des anneaux apparaissent à ses doigts, au nombre de trois à chaque doigt. Chaque anneau est orné de pierreries, d'où jaillissent des rayons plus beaux les uns que les autres. (...) « C'est le symbole des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent », entend sœur Catherine, qui entre sans peine dans le mystère de cette médiation de grâces :
« ... En me faisant comprendre combien il était agréable de prier la Sainte Vierge et combien Elle était généreuse envers les personnes qui la prient, que de grâces elle accordait aux personnes qui les lui demandent, quelle joie Elle éprouve en les accordant... »
Au contraire, les pierreries d'où il ne sort pas de rayons, « ce sont les grâces que l'on oublie de me demander ».
Pour compter les Ave du Rosaire, on se servait alors d'anneaux sur lesquels étaient enfilés dix grains ou perles, que l'on faisait tourner avec le pouce sur l'index. Comptons bien : trois anneaux par doigt font quinze anneaux que Notre‑Dame portait à chaque main... correspondant aux quinze mystères du Rosaire. C'est à la prière du saint Rosaire que la céleste Médiatrice ouvre ses mains pleines de lumière et de grâce. (…)
Les rayons étaient devenus si intenses que le globe d'or avait disparu. Les mains de l'Immaculée s'étaient comme inclinées dans un geste à la fois très maternel et très souverain. Une sorte de tableau se forma autour d'elle, en ovale, avec ces mots écrits en lettres d'or, partant de la main droite, passant au-dessus de la tête, pour finir à hauteur de la main gauche : «Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. » (...) Puis une voix se fit entendre : « Faites frapper une médaille sur ce modèle, toutes les personnes qui la porteront avec confiance recevront de grandes grâces. »
Il sembla ensuite à la sœur que le tableau se retournait, présentant au centre la lettre M, surmontée d'une croix ayant une barre à sa base, symbole de l'autel où se perpétue le Sacrifice de la Croix, et au-dessous, les deux Cœurs de Jésus et de Marie, le premier entouré d'une couronne d'épines, le second transpercé d'un glaive.
Inquiète de savoir comment orner le revers de la médaille, la voyante entendit un jour pendant sa méditation une voix lui dire distinc tement : « L'M et les deux Cœurs en disent assez. » De fait ! Le monogramme de Marie, c'est son Nom même, infiniment agréable à Dieu, terrible aux démons et si aimable. (...)
L'Immaculée est au pied de la Croix et de l'Autel, comme elle apparaîtra dans la vision de Tuy, Corédemptrice avec son Fils. C'est en effet durant la Passion de Jésus et de Marie, que l'union de leurs Cœurs fut la plus grande. (…)
Avec ce rappel, discret mais certain, de ce qui avait été, pendant la Révolution et après, le signe de ralliement de la fidélité monarchique et catholique : les deux Cœurs à jamais unis de Jésus et de Marie. Quant aux douze étoiles, elles ont été placées par le graveur au revers de la médaille, alors qu'elles auraient dû couronner la tête de la Sainte Vierge.
LA VIERGE AU GLOBE, REINE DE L'UNIVERS
L'Immaculée est Mère, mais Elle est aussi Reine. Au cours du mois de décembre, sœur Catherine revit en vision le même tableau, mais « auprès du tabernacle », un peu en arrière. « Vous dire ce que j'ai éprouvé alors, et tout ce que j'ai appris au moment où la Sainte Vierge offrait le globe à Notre‑Seigneur, cela est impossible à le rendre. »
Elle écrira pourtant un jour, avec un lyrisme qui ne lui était pas coutumier : « Oh ! qu'il sera beau d'entendre dire : “ Marie est la Reine de l'univers, particulièrement de la France ”, et les enfants s'écrieront avec joie et transport : “ et de chaque personne en particulier ”. Ce sera un temps de paix, de joie et de bonheur qui sera long, elle sera portée en bannière et elle fera le tour du monde. »
Faire connaître et aimer cette “ Vierge au globe, Reine de l'univers ”, sera si l'on peut dire le tourment de la vie de sainte Catherine Labouré, elle dira même un jour son “ martyre ”. Ce n'est qu'en 1876, l'année même de sa mort, qu'elle obtiendra de ses supérieurs qu'une statue soit sculptée selon ses indications. (…)
Enfin, malgré toutes ces tergiversations et les obstacles dressés à l'intérieur même de l'Église contre les desseins du Ciel, il est sûr que la prophétie de sainte Catherine Labouré s'accomplira un jour. Nous retrouvons la même assurance à Fatima, puisque Notre-Dame l'a dit : « Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé » et « à la fin, mon Cœur Immaculé triomphera » (13 juillet 1917) !
Il nous reste maintenant à voir avec quelle abnégation et quelle fidélité, sainte Catherine Labouré accomplit sa “ mission prophétique ”, préfigurant celle de Lucie de Fatima.
Extraits de la CRC n° 370, sept. 2000, p. 25-34