L’encyclique Lumen Fidei

LES premiers mots de l’encyclique du Souverain Pontife François adressée aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux personnes consacrées et à tous les fidèles laïcs sont un éblouissement de lumière. Ils annoncent un programme doctrinal sous-jacent à cette pastorale nouvelle, cette façon d’exercer le ministère pétrinien, qui consiste en gestes retentissants, parlants, reconquérants, mais qui sont soutenus par une doctrine franciscaine, puisée chez saint Bonaventure et ensuite chez Duns Scot, disciple de saint François, le Poverello d’Assise. C’est un événement ! (...)

Dans le premier chapitre, le Saint-Père montre quel était le mystère de l’amour de Dieu, Créateur et Père, manifesté en Jésus, dont la paternité se révèle déjà dans la création qui “ clame ” qu’il est Père de toute éternité. On ne comprendra bien ce mystère qu’avec le cœur en répondant à l’amour paternel de Dieu par un amour filial. Car la foi nous fait fils, et fils de l’Église.

Le deuxième chapitre démonte le mécanisme de la foi pour nous faire comprendre le rapport des différentes pièces qui la compose : vérité, amour, raison... Cette partie s’adresse davantage à l’intelligence. (...)

Mais l’intelligence ne suffit pas. Pour vivre de la foi, il faut l’amour. L’Église est notre Mère, elle nous engendre à la foi. Comment cela peut-il se faire ? C’est l’objet du troisième chapitre, sur la transmission de la foi par les sacrements et la tradition.

À ces trois premières parties qui analysent la “ lumière de la foi ” autour de trois mots clés : amour, intelligence et tradition, le Pape donne une conclusion : « Dieu prépare pour eux une cité », qui indique la fécondité de cette « lumière » dans la famille et la société.

Les trois derniers paragraphes de l’encyclique nous tournent vers la Vierge Marie, en qui s’accomplit la foi d’Israël, et qui reste au centre de la confession de notre foi. C’est elle que le Saint-Père invoque pour « aider notre foi » (nos 58-60).

« NOUS AVONS CRU EN L’AMOUR. » (chapitre 1)

Toute l’encyclique est parcourue par ce principe posé en introduction : « La lumière de la foi possède, en fait, un caractère singulier : celui d’être capable d’éclairer toute l’existence de l’homme. » (n° 4)

« Ce caractère singulier lui vient de son origine, elle est un don de Dieu, de Dieu vivant qui nous appelle et nous révèle son amour, un amour qui nous précède et sur lequel nous pouvons nous appuyer pour être solides et construire notre vie. »

Cet appel, d’abord adressé à Abraham, nous rejoint aujourd’hui par le canal d’une histoire sainte, objet du premier chapitre de l’encyclique : de la foi d’Abraham à « la plénitude de la foi chrétienne » qui brille en Jésus-Christ, en passant par la foi d’Israël, souvent défaillante...

La « plénitude de la foi chrétienne » répond à la parole que Dieu nous adresse en Jésus :

« La foi chrétienne est centrée sur le Christ, elle est confession que Jésus est le Seigneur et que Dieu l’a ressuscité des morts. Toutes les lignes de l’Ancien Testament se rassemblent dans le Christ. »

En ce sens, « la parole que Dieu nous adresse en Jésus n’est pas une parole supplémentaire parmi tant d’autres, mais sa Parole éternelle ».

Et elle resplendit sur la Croix : « Si donner sa vie pour ses amis est la plus grande preuve d’amour, Jésus a offert la sienne pour tous, même pour ceux qui étaient des ennemis, pour transformer leur cœur. Voilà pourquoi, selon les Évangélistes, le regard de foi culmine à l’heure de la Croix, heure en laquelle resplendissent la grandeur et l’ampleur de l’amour divin. Saint Jean place ici son témoignage solennel quand, avec la Mère de Jésus, il contemple celui qu’ils ont transpercé. » (n° 16)

Mais ensuite, Jésus est ressuscité ! Dès lors, « la foi non seulement regarde vers Jésus, mais regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux : elle est une participation à sa façon de voir aujourd’hui ».

Lorsqu’il embrasse les lépreux, les malades, les personnes âgées, les enfants, le pape François imite en toute vérité Notre-Seigneur et Bon Samaritain. Il restaure la société chrétienne qui rassemble ceux qui sont devenus « fils dans le Fils » en recevant le don de la foi. Il ranime la vie chrétienne qui est centrée sur le Christ et non pas sur “ l’homme ”, dans l’Église.

« De cette manière, conclut ce premier chapitre, l’existence croyante devient existence ecclésiale ». Le “ culte de l’homme ” en est banni : « Quand saint Paul parle aux chrétiens de Rome de ce corps unique que sont tous les croyants dans le Christ, il les exhorte à ne pas se vanter. » Et pan ! contre l’orgueil de la personne humaine imbue de ses “ droits imprescriptibles ” !

« Le croyant apprend à se voir lui-même à partir de la foi qu’il professe. » C’est de là, et de là seulement, que provient sa “ dignité ”, qui ne lui appartient pas en propre. « La figure du Christ est le miroir où se découvre sa propre image réalisée. Et comme le Christ embrasse en lui tous les croyants qui forment son corps, le chrétien se comprend lui-même dans ce corps, en relation originaire au Christ et aux frères dans la foi. » (n° 22).

Et il y remplit sa vocation.

« SI VOUS NE CROYEZ PAS, VOUS NE COMPRENDREZ PAS. » (cf. Is 7, 9) (chapitre 2)

« Celui qui croit, voit. » Il voit de quel amour paternel il est né. En répondant à l’amour par un amour semblable, il « comprend », il entre dans la compréhension du mystère avec le cœur, avec le cœur d’un fils de l’Église ; il comprend « les voies du Seigneur, en trouvant dans la fidélité de Dieu le dessein de sagesse qui gouverne les siècles » (n° 23).

C’est fort bien dit, mais au moment d’en fournir la preuve par l’oracle d’Isaïe, chapitre 7, auquel se réfère le titre de ce deuxième chapitre de l’encyclique, le pape (François) tombe dans un galimatias incompréhensible : « Saint Augustin a exprimé la synthèse du “ fait de comprendre ” et du “ fait d’être ferme ” dans ses Confessions, quand il parle de la vérité, à laquelle l’on peut se fier afin de pouvoir rester debout... »

Alors qu’il s’agit très précisément du roi Achaz, roi de Jérusalem, qui cherche secours dans l’alliance avec l’empire païen d’Assyrie contre la coalition des rois de Damas et de Samarie, au lieu de s’appuyer sur Yahweh, le Dieu d’Israël. Mais Achaz tient à sa politique qui n’est pas celle de Dieu.

C’est alors que le prophète Isaïe prononce cet oracle que l’ange Gabriel renouvellera sept cent trente-quatre ans plus tard :

« Voici, la Vierge est enceinte et enfante un fils qu’elle appellera Emmanuel. » (Is 7, 14)

C’est le signe qui se renouvelle aujourd’hui à Fatima... et l’encyclique passe à côté ! Exactement comme le roi Achaz ne voulut rien savoir du signe annoncé par le prophète Isaïe !

Dans ce deuxième chapitre de l’encyclique, au lieu de disséquer la vertu de foi sous couleur de comprendre comment la recevoir, il eût été logique et merveilleux de rester dans la perspective de l’imitation-contemplation de Jésus-Christ évoquée dans les numéros 19-21 :

« Le chrétien peut avoir les yeux de Jésus, ses sentiments, sa disposition filiale, parce qu’il est rendu participant à son Amour, qui est l’Esprit. » (n° 21)

Notre Saint-Père le pape François en parle chaque jour dans ses homélies : il en vit. Il “ voit ” Jésus. Il “ marche ” derrière lui : « C’est le chemin de la beauté », dit-il, qui est celui du retour à la patrie, le chemin du Ciel ! (26 avril à Sainte-Marthe)

Mais ici, rien de tel ! sous le titre Dialogue entre foi et raison (nos 32-34), on se heurte à une dialectique opposant les concepts “ foi ” et “ raison ”, « message évangélique » et « pensée philosophique » pour tenter une intégration des « deux perspectives », « parole » et « vision », et, ainsi, « élaborer une philosophie de la lumière [ou des “ lumières ”] qui accueille en soi la réciprocité propre de la parole et ouvre un espace de liberté du regard vers la lumière » (nos 32-34) !

Que c’est ennuyeux !

Que manque-t-il ?

Ce que notre bien-aimé Père expliquait dans sa retraite si émouvante Tendresse et Dévotion (1998), à savoir que, révélant l’infinie bonté de son Père par sa parole et par son visage rayonnant comme celui des voyants de Fatima extasiés pendant les grandes visions du 13 octobre 1917, Jésus tirait les cœurs vers le Cœur du Père qui est l’Amour, en même temps qu’il se révélait lui-même, en son Sacré-Cœur.

À ce stade, la “ lumière ” que notre Saint-Père le pape François veut ranimer moyennant la “ foi ” au milieu de notre monde enténébré, c’est l’Immaculée, “ Notre-Dame du Rosaire ” qui en est le foyer incandescent, annoncé par Isaïe 7, 14, précisément !

Son Cœur Immaculé est notre “ chemin ”. Lorsque sœur Lucie décrit l’Apparition, le mot qui revient sans cesse sur ses lèvres est précisément celui de lumière. Le R. P. McGlynn, qui fut chargé de sculpter la statue de Notre-Dame destinée à la façade de la basilique, avait longuement interrogé sœur Lucie :

« Sœur Lucie décrivait Notre-Dame comme “ toute de lumière ”. La robe et le manteau pouvaient se distinguer comme deux “ ondulations de lumière ”, l’une sur l’autre. La robe tombait droit et n’était pas précisément en plis. » Lucie était si insistante que le pauvre sculpteur devait faire des plis qui n’avaient rien de réaliste ; ils devaient donner l’idée d’une lumière en vibration... « L’or bordant le manteau était simplement une ligne de lumière plus intense ; ainsi le cordon suspendu au cou et réuni par une “ boule de lumière ”, et ce que, encore enfant, elle avait appelé “ pendants d’oreilles ”, n’était autre chose qu’une forme de lumière plus vive. » (frère François de Marie des Anges, Fatima, salut du monde, p. 56-57) (...)

Cette Mère toute de lumière est descendue du Ciel pour nous dire précisément comment sauver les âmes des pécheurs qui sont sur le chemin de l’enfer. Dieu est “ patient ”, il fait “ miséricorde ”... et il “ surprend ” aussi toujours : aujourd’hui, il veut que nous nous tournions vers cette “ Lumière ” qu’est sa Mère et que nous sauvions les âmes des pauvres pécheurs par son intercession.

Malheureusement, il existe des âmes qui l’ont prise en haine et qui refusent de la suivre. Sœur Lucie de Fatima les définit comme « deux lignées, entre lesquelles l’hostilité règne, aussi sont-elles dressées l’une contre l’autre : la descendance de Satan et celle du Cœur Immaculé de Marie. Satan entraîne les siens sur les voies du péché ; Marie étant la Mère des enfants de Dieu, les conduit sur le chemin de la vérité, de la justice et de l’amour. » (Apelos cité dans Il est ressuscité n° 14, p. 10)

Or, il n’est jamais question, dans cette encyclique, de cette lutte, du combat qui oppose ces deux camps. Quelques passages parlent de « crise de la vérité », d’erreurs « contemporaines », de « relativisme », mais les idéologies et les hérésies ne sont jamais clairement définies, les maîtres, les philosophes et les idéologues antichrist jamais nommés ni condamnés.

Satan, le diable, le démon, le mauvais n’est pas une seule fois nommé. L’enfer n’existe pas. Pas de châtiment, pas de punition pour les indifférents, les libéraux, les menteurs, les corrompus, les apostats, les persécuteurs. L’auteur fait comme si tous les hommes étaient des “ chercheurs de Dieu ” sincères et de bonne volonté (nos 35-36). Jamais on ne parle de ceux qui haïssent et combattent la vérité.

Les mots de péché, faute, erreur ne figurent pas une seule fois dans cette encyclique. Le mot Mal toujours dans un sens général, sauf une fois, au sens de culpabilité (n° 33). Le mot Négations une fois, dans un sens indéterminé (n° 35). C’est peu, trop peu, incroyablement insultant pour Jésus mort pour nos péchés. D’ailleurs, le mot Rédemption aussi est absent, et l’idée ne s’y trouve pas non plus. Le mot Croix s’y trouve cinq fois, mais jamais comme instrument de rachat.

Pourtant, le pape François parle souvent du péché, du diable, de la Croix, du Christ crucifié, de la confession de nos fautes, nécessaire pour obtenir miséricorde. Pourquoi n’en est-il pas question ici ? D’où vient l’erreur ?

Poser la question, c’est y répondre.

Dans son homélie du 6 avril à la maison Sainte-Marthe, le pape François disait que « dans l’histoire du peuple de Dieu, cette tentation d’amputer un peu de foi a toujours existé », peut-être « seulement un peu », mais « la foi est ainsi, comme nous la récitons dans le Credo ». Ainsi faut-il dépasser « la tentation d’être un peu “ comme ils font tous ”. De ne pas être trop trop rigides », parce que c’est précisément à partir « de là que commence un chemin qui finit dans l’apostasie ».

« Lorsque nous commençons à amputer la foi, ou à négocier la foi, à aller presque jusqu’à la vendre au meilleur offrant, nous empruntons le chemin de l’apostasie, de l’absence de fidélité au Seigneur. »

Le remède à cette grave tentation d’apostasie est de revenir à Fatima et à la vision de Tuy du 13 juin 1929 qui rappelle les mystères principaux de notre religion : la Sainte Trinité, l’Incarnation et la Rédemption. Dans la chapelle qui s’éclaira d’une manière surnaturelle, sœur Lucie vit une grandiose théophanie trinitaire, en particulier une croix de lumière sur laquelle était cloué Jésus. « Sous le bras gauche de la Croix, de grandes lettres, comme d’une eau cristalline qui aurait coulé au-dessus de l’autel, formaient ces mots : “ Grâce et Miséricorde ”. »

« Sous le bras droit de la Croix se tenait Notre-Dame de Fatima avec son Cœur Immaculé dans la main gauche avec une couronne d’épines et des flammes... »

Elle est la gardienne et la dispensatrice de toutes les grâces divines. C’est vers Elle que nous devons nous tourner. La Vierge Marie nous offre son Cœur transpercé, Cœur de la Mère de Dieu et de la Mère des hommes, médiatrice de la Grâce et dispensatrice universelle de la Miséricorde sur toute l’humanité rachetée de ses péchés au Calvaire, et aujourd’hui en grand péril comme nous en avertissait le Secret du 13 juillet 1917 :

« Nous vîmes à gauche de Notre-Dame, un peu plus haut, un Ange avec une épée de feu à la main gauche ; elle scintillait, émettait des flammes qui paraissaient devoir incendier le monde, mais elles s’éteignaient au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame faisait jaillir vers lui ; l’Ange, désignant la terre de sa main droite, dit d’une voix forte :

“ Pénitence, Pénitence, Pénitence ! » (...)

« LES DEUX ENCYCLIQUES »

De Lumen fidei, première encyclique du pape François, on peut dire en toute vérité ce que Georges de Nantes, notre Père, écrivait de la première encyclique de Jean-Paul II, Redemptor hominis : avec une « angoisse sacrée ressentie pour l’Église, pour nos patries dont le salut en dépend tout entier » : elle est parcourue par « deux thèmes qui ne se fondent pas plus l’une en l’autre que l’eau et l’huile dans un verre » (CRC n° 140, avril 1979). La différence est dans l’explication de cette troublante ambiguïté : cette encyclique “ à quatre mains ” reflète sans équivoque deux religions : celle du pape François, qui est catholique, et celle de Benoît XVI, qui ne l’est plus.

Les distinguer l’une de l’autre est un exercice facile et savoureux. L’encyclique débute par une affirmation d’une rare plénitude : « Celui qui croit voit ; il voit avec une lumière qui illumine tout le parcours de la route, parce qu’elle nous vient du Christ ressuscité, étoile du matin qui ne se couche pas. »

À cet éblouissement de lumière succède aussitôt une invasion de ténèbres :

« Cependant, en parlant de cette lumière de la foi, nous pouvons entendre l’objection de tant de nos contemporains. À l’époque moderne on a pensé qu’une telle lumière était suffisante pour les sociétés anciennes, mais qu’elle ne servirait pas pour les temps nouveaux, pour l’homme devenu adulte... » (n° 2)

Citation de Nietzsche à l’appui... C’est signé.

Mais revient la lumière lorsque « le chrétien apprend à partager l’expérience spirituelle du Christ et commence à voir avec les yeux du Christ » (n° 46). À l’école du pape François.

C’est une invasion mystique où l’on voit la pensée du Pape suivre le même cours que celle de l’abbé de Nantes, notre Père, dans sa Kérygmatique (1973), dans son Apologétique (1974), dans Une mystique pour notre temps (1978), dans son Apologétique scientifique (1981), dans sa Métaphysique totale (1982), dans son Apologétique totale (1985), dans sa Morale totale (1986), dans sa Théologie totale (1982), et aussi sur la Métaphysique du Bx Duns Scot (1996) : la Personne de Jésus s’incorpore le monde.

« La foi chrétienne est centrée sur le Christ, elle est confession que Jésus est le Seigneur et que Dieu l’a ressuscité des morts (cf. Rm 109). Toutes les lignes de l’Ancien Testament se rassemblent dans le Christ [...]. La foi saisit, dans l’amour de Dieu manifesté en Jésus, le fondement sur lequel s’appuient la réalité et sa destination ultime » (n° 15)... Le Ciel.

Cela va sans dire, mais cela irait mieux en le disant. Il n’empêche que, selon cette encyclique, « la nouvelle logique de la foi est centrée sur le Christ », et non plus sur “ l’homme ” (n° 20).

C’est une immense remise en ordre, sans laquelle la réforme de la Curie elle-même n’aurait pas de sens :

« La lumière de la foi est celle d’un Visage sur lequel on voit le Père. En effet, la vérité qu’accueille la foi est, dans le quatrième Évangile, la manifestation du Père dans le Fils, dans sa chair et dans ses œuvres terrestres, vérité qu’on peut définir comme la “ vie lumineuse ” de Jésus » (n° 30).

Frère Bruno de Jésus-Marie
Extraits de Il est ressuscité !, tome 13, nos 131-133, septembre-novembre 2013
Audio/vidéo : ACT octobre 2013