UNITATIS REDINTEGRATIO
L'œcuménisme catholique
UNE SIMPLE LETTRE À CHANGER
Il y a quarante ans, quand le Concile ouvrit ses assises, une majorité de Pères étaient favorables à un œcuménisme sainement catholique, conçu comme une invitation généreuse et charitable adressée aux chrétiens séparés de Rome d'avoir à revenir au bercail, à réintégrer l'unité catholique.
On trouve un écho de ce zèle dans le Décret conciliaire Unitatis redintegratio, au numéro 2 :
« En ceci est apparue la charité de Dieu pour nous, que le Fils unique de Dieu a été envoyé au monde par le Père afin que, fait homme, il régénérât tout le genre humain en le rachetant, et qu'il le rassemblât en un tout. C'est lui qui, avant de souffrir sur l'autel de la croix comme hostie immaculée, adressa au Père cette prière pour ceux qui croiraient en lui : “ Que tous soient un comme Vous, mon Père, Vous êtes en moi et moi en Vous ; qu'eux aussi soient un en nous afin que le monde croie que Vous m'avez envoyé. ” (Jn 17, 21) [...] Élevé sur la croix, puis entré dans la gloire, le Seigneur Jésus répandit l'Esprit qu'il avait promis. Par lui, il appela et réunit dans l'unité de la foi, de l'espérance et de la charité, le peuple de la Nouvelle Alliance qui est l'Église, selon l'enseignement de l'Apôtre : “ Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, comme il n'y a qu'une espérance au terme de l'appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. ” (Ep 4, 4-5) [...] Ainsi l'Église, seul troupeau de Dieu, comme un Signe levé à la vue des nations, accomplit dans l'espérance son pèlerinage vers le terme qu'est la patrie céleste. Tel est le mystère sacré de l'unité de l'Église... »
Après ce bel exorde, bien catholique, le texte conciliaire suit d'autres chemins. L'étude des débats conciliaires dans la collection Unam Sanctam révèle que les Pères se firent piéger par une minorité de théologiens avancés qui imposèrent une autre conception de l'œcuménisme, d'origine protestante, selon laquelle l'Église devait renoncer à ses prétentions et entrer humblement dans le mouvement œcuménique général des églises chrétiennes. L'équivoque entre les deux conceptions fut savamment entretenue durant tout le Concile, et le texte final lui-même porte la marque de cette ambiguïté. Ce fut un véritable complot, orchestré par le Secrétariat pour l'Unité des chrétiens du cardinal Béa, qui se joua autour d'une simple lettre.
En effet, le chapitre premier du Décret, intitulé “ Des principes de l'œcuménisme catholique ”, devint au cours de ses rédactions successives : “ Des principes catholiques de l'œcuménisme ”. Le Père Congar ne le cache pas : « L'addition d'une lettre [en latin : catholicis au lieu de catholici] a permis un changement d'assez grande portée... Dans la première perspective, on définit et considère les autres par référence à soi. L'œcuménisme qui a trouvé sa forme dans le Conseil œcuménique est autre chose. Il se conçoit comme un réseau de relations tissées sans préalable ecclésiologique, sans qu'une Église se pose au centre, entre des communions-sœurs parlant sur pied d'égalité. »
« Ainsi nous voilà avertis, dès le choix du titre, commente l'abbé de Nantes, que l'Église se fait ici l'une des Églises ou Sectes, sans prétendre être au-dessus des autres ni à part, moins encore unique et souveraine. Elle se renie donc forcément en entrant dans le “ Mouvement œcuménique ” des Églises ? Il paraît que non, mais voici par quel subterfuge : elle continue à se proclamer l'unique, la vraie, la seule Sainte... mais elle le professe comme son point de vue à elle, son opinion parmi les autres, à prendre en considération comme les autres ! » Voilà comment une équivoque mortelle s'introduisit au Concile, sous couvert de libéralisme et d'ouverture aux “ autres ”.
Il fallut également passer sous silence les véritables causes des dissensions passées.
DU PASSÉ FAISONS TABLE RASE !
La théologie catholique classique enseignait que seule l'Église romaine est Une, Sainte, Catholique, Apostolique, que tous ceux qui ont décidé de la quitter, individuellement ou en groupe, par péché de schisme ou d'hérésie, se sont séparés de son Unité, mais que cette Unité subsiste sans eux.
Vatican II prit délibérément le contre-pied de cet enseignement. Il voulut considérer les “ églises et communions chrétiennes séparées ” comme autant de membres disjoints d'un unique Corps Mystique brisé, à recomposer par un effort de conversion et de réconciliation de tous avec tous à égalité. L'Église ne retrouvera ses perfections divines qu'après avoir renoué avec les “ Frères séparés ”. D'où une sorte d'œcuménisme à tout prix, ravageur.
« L'Église conciliaire et postconciliaire admet la possibilité de faire son salut dans et par le schisme et l'hérésie. Elle accepte de partager avec les sectes fondées par des hérésiarques et schismatiques son beau titre, jusqu'alors singulier, d'Église du Christ et de reconnaître partout ailleurs la présence et l'activité du Saint-Esprit. Elle soumet son dogme, ses rites, sa discipline aux urgences aberrantes d'une réconciliation sans vainqueur ni vaincu. C'est assez dire que, sacrifiant sa propre dignité et désavouant ses Pontifes et Conciles infaillibles, elle court s'entendre avec les fils impénitents de ceux qu'ils avaient proclamés anathèmes. C'est ici, dans le principe même, l'autodémolition déclarée de l'Église ; à la vue des fruits de cet œcuménisme, chacun constate que c'est bien, dans la ligne de la “ liberté religieuse ”, un reniement de la foi. » (CRC n° 57, p. 12)
Il a donc fallu, pour plaire aux “ autres ”, réinterpréter toute l'histoire de nos divisions, scissions et dissensions (n° 3). Évidemment, le texte en rejette une partie de la responsabilité sur l'Église catholique, mais le crime essentiel n'est pas là.
« Le crime est de mentir par omission, de nier, en la passant sous silence, la tare originelle de tous les schismes et de toutes les hérésies, qui est un péché de rébellion contre l'Église, donc contre le Christ et contre Dieu. Écoutant les prétentions des dissidents, le Concile admet qu'ils sont restés en communion avec Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, tout en n'étant plus dans la “ pleine communion de l'Église catholique ” ! Il y a eu “ faute des personnes de l'une et l'autre partie ”, faute non transmissible apparemment, et qui n'a entraîné qu'un certain nombre de malentendus, d'oppositions secondaires, que “ le mouvement œcuménique tend à surmonter ”. » (CRC n° 58, p. 6)
DÉCATHOLICISATION DE L'ÉGLISE
« Que tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ par rapport à l'Église [quelle Église ?] et entreprennent, comme il faut, un effort soutenu de rénovation et de réforme. » (n° 4) Congar triomphe ! Son principe de réforme permanente de l'Église a été introduit dans le texte du Concile. Que les protestants se réjouissent : le Christ veut une Église réformée !
Une mention glaciale est faite des conversions individuelles : « Il est évident que l'œuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles qui désirent la pleine communion avec l'Église catholique, se distingue, par sa nature, de l'initiative œcuménique [sic ! ] ; mais il n'y a, entre elles, aucune opposition, puisque l'une et l'autre procèdent d'une disposition admirable de Dieu. » Et on n'en parlera plus.
Le programme « se résume en deux grandes œuvres : étude critique et recul des catholiques par rapport à leur foi et leurs institutions d'Église, d'une part ; d'autre part, admiration croissante et rapprochement à l'égard de toutes les dissidences, où se manifestent “ la puissance agissante du Christ ”, “ Dieu toujours admirable dans ses œuvres ” et “ la grâce de l'Esprit-Saint ”. Au point que, si les autres souffrent d'être séparés de l'Église, celle-ci souffre également d'incomplétude tant qu'elle ne bénéficie pas de leurs richesses profondes. » (nos 5 à 12)
Le troisième chapitre du Décret annonce en filigrane le continuel jeu de dupes qui sera la conséquence obligée d'un tel œcuménisme. Car il est difficile de s'entendre à la fois avec les protestants et les orthodoxes, et de vouloir plaire à ces derniers sans trahir la fidélité et la confiance des uniates. « C'est en effet le drame de l'œcuménisme conciliaire et c'est son crime. Pour faire la paix avec l'adversaire, Vatican II n'a pas hésité à sacrifier ses propres fidèles. »
LA CHARTE DE L'ŒCUMÉNISME CATHOLIQUE
« Il est une unité qui écœure Dieu ; il en est une pour laquelle il a versé son sang. Il s'agirait de les bien définir », écrivait le futur cardinal Journet dans son livre “ L'union des Églises ” (1927), auquel notre Père fait référence, pour l'opposer à celui de Congar “ Chrétiens désunis ” (1937), source de l'œcuménisme de Vatican II. Il faudra bien demain que Vatican III « renoue avec la grande tradition de reconquête des terres perdues qui fit la grandeur de la Contre-Réforme catholique au XVIe siècle. Mais il est bon de parfaire l'expression dogmatique des vérités que l'hérésie a déformées et d'en faire jaillir une pastorale nouvelle. »
Le théologien de la Contre-Réforme catholique au XXe siècle s'y est employé en deux courtes pages d'une densité théologique et d'une clarté merveilleuses.
Vatican III proclamera la parfaite et unique unité de sa propre Église, ainsi que son apostolicité, « c'est-à-dire qu'il assumera tout l'héritage des siècles, sans rien renier de ce qu'a fait et décidé l'Église », sinon son reniement du passé, accompli à Vatican II !
« Les catholiques peuvent avoir tous les péchés possibles, leur forme catholique, leur appartenance à l'Église est sainte. Les dissidents peuvent avoir toutes les vertus, leur forme religieuse, leur appartenance à une dissidence est pécheresse, et s'ils y persistent délibérément, cette forme mauvaise compromet le tout de leur culte et les tient séparés de Dieu. »
Certes, beaucoup de ces membres séparés n'appartiennent à la dissidence que matériellement, du fait de la naissance en son sein, et dans l'ignorance de ce qui la constitue séparée et ennemie de l'Église du Christ. À la différence de leurs chefs et de leurs théologiens, endurcis dans la justification de leur rébellion, « ils peuvent recevoir et garder la vie surnaturelle par tous les éléments matériels chrétiens conservés dans le schisme où ils sont nés ; l'Église les regarde de loin comme siens, dans l'ignorance. Mais ils risquent à tout moment d'être corrompus par les éléments mauvais et d'être poussés à consentir formellement à l'hérésie ou au schisme de leurs Pères, se retranchant alors du Corps Mystique. Il faut les convertir ! »
L'abbé de Nantes développe ensuite toute une “ pastorale œcuménique ”, que certainement Vatican III mettra en œuvre, à rebours des folies de Vatican II : « Autant l'Église romaine doit se méfier de l'orgueil des grands, de l'obstination de ceux des dissidents qui la connaissent bien et depuis longtemps, mais ne veulent pas se convertir... Autant elle peut être pleine de sympathie pour les pauvres, les humbles qui ne la connaissent qu'à travers les murs opaques de préjugés séculaires, mais qui n'ont jamais formellement péché contre elle. À ceux-là qui désirent l'unité, l'Église se plaira à montrer que déjà mystérieusement l'union était faite dans la foi, dans la grâce des sacrements conservés, dans la piété et les vertus puisées à la source évangélique de la tradition commune. »
« L'avenir est à l'attirance douce et rayonnante de Rome, cœur du monde », écrivait notre Père en 1972. La figure de Jean-Paul Ier, le Pape du sourire, entre les bras duquel mourut Nikodim, converti de son orthodoxie, est venue justifier et conforter cette espérance. « Si même aucun résultat spectaculaire n'est à espérer, à vues humaines, c'est là – parce que Vatican III fera tout son devoir de fidélité catholique – que pourra être reprise la conclusion du Décret de Vatican II sur l'Œcuménisme qui fait confiance au Saint-Esprit pour réussir ce qui est impossible aux hommes (n° 24). »
Ce sera demain le miracle de la conversion de la Russie, quand le Pape l'aura consacrée au Cœur Immaculé de Marie ! « Tant de résurrections qu'on estimait impossibles se sont vues dans l'histoire ! Par miracles ou par châtiments, Dieu peut venir en aide aux missionnaires et aux prédicateurs œcuméniques de son Fils. Demain Vatican III, après-demain peut-être, nous l'espérons, le retour en masse des Orientaux tout à la fois délivrés du communisme et du schisme, le retour des Anglais désaffectionnés de leur anglicanisme insulaire, et les conversions à un rythme universellement accéléré des protestants. C'est alors, oui, conformément à la pensée apostolique des œcuménistes contemporains que les chrétiens enfin réunis pourront partir à la conquête du monde, selon la parole du Christ : “ Qu'ils soient un pour que le monde croie. ” Qu'ils soient un, comme Vous et moi nous sommes un : c'est l'urgence fondamentale de l'Œcuménisme catholique dont la source est divine et les moyens surnaturels. Afin que le monde croie, c'est la moisson promise à ceux qui sèment dans les larmes. Faisons Vatican III et les temps viendront du triomphe mondial du Christ-Roi, par sa Sainte Mère. » (CRC n° 58, p. 10)
Extrait de Il est ressuscité ! n° 11, juin 2003, p. 28-30