Saint Vincent de Paul
Né en 1580, dans une modeste famille de paysans des Landes, Vincent de Paul serait sans doute resté toute sa vie un pauvre gardien de troupeaux si un notable du pays, Comet, n’avait pas remarqué ses reparties intelligentes et convaincu son père de le placer au collège des cordeliers de Dax.
Vincent fut ordonné prêtre très jeune, en 1600 – il n’a pas vingt ans –, par l’évêque de Périgueux, probablement parce que notre futur saint, pressé d’obtenir un bénéfice, avait entouré ce prélat, vieillard aveugle, de soins délicats.
Après dix années d’errance mal connues, en 1610, il obtient le titre d’aumônier ordinaire de la reine Margot, l’épouse prétendue d’Henri IV, ce qui lui ouvre les portes de son palais, sur les bords de la Seine. Ce fut une grâce pour Monsieur Vincent qui connut ainsi le prodigieux renouveau catholique florissant alors à Paris autour du salon de Madame Acarie. Comme directeur spirituel, il choisit l’un des jeunes ecclésiastiques les plus brillants de la capitale ,Pierre de Bérulle, le “ théologien du Verbe Incarné ”. Il eut même le privilège de vivre sous son toit. Cependant, lorsqu’en 1611 Bérulle fonde l’Oratoire, il refuse d’entrer dans sa société de prêtres, passionnés de haute spéculation théologique. Monsieur Vincent est déjà décidé à se vouer au service des pauvres, en accomplissement d’un vœu qu’il avait résolu pour délivrer un malheureux théologien assailli de tentations contre la foi.
En 1619, la rencontre de saint François de Sales à Paris lui fut une révélation de la bonté de notre Père céleste. « Si suave était la bonté de Monsieur de Genève, écrira-t-il, que les personnes favorisées de ses entretiens la sentaient doucement pénétrer dans leur cœur ; ce dont elles éprouvaient une joie intense. J’eus part à ces délices. Je me souviens que, retenu sur mon lit par la maladie, il y a près de six ans, je répétais en moi-même : “ Combien grande est la bonté divine ! Mon Dieu, que vous êtes bon ! Mon Dieu, que vous êtes bon, puisque Monseigneur de Sales, votre créature, est lui-même rempli de tant de bonté ! ” » Certes, saint Vincent eut pour premier maître vénéré Pierre de Bérulle, qui inculquait à ses disciples la vertu de religion, laquelle inspire respect, révérence, adoration, crainte de Dieu. Mais saint François le délivra d’un certain pessimisme augustinien, en lui enseignant la confiance en l’Amour de Dieu. À son école, Monsieur Vincent changera de caractère ; il perdra son humeur sèche et rebutante, et deviendra un modèle de condescendance, d’affabilité, de douceur. Dans l’Introduction à la vie dévote et dans le Traité de l’Amour de Dieu, qui deviendront ses livres préférés, il retrouvera la doctrine vivifiante, la vraie charité dont son saint ami l’avait entretenu.
« Aimons Dieu, mes frères, dira Monsieur Vincent. Mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. » Telle est l’extase des œuvres... de saint François de Sales ! Voilà pourquoi on a pu écrire : « Tout le grand mouvement charitable du XVIIe siècle est né de l’amitié de ces deux saints et d’une conception identique de l’amour effectif. »
C'est à Folleville en Picardie, sur les terres des Gondi, l’une des premières familles de la capitale dont il était devenu l’aumônier et le précepteur des enfants, qu’il prend conscience de la misère spirituelle des campagnes, après les guerres de religions. Il y puise un zèle sacerdotal qui le conduit à Châtillon-les-Dombes comme curé. C’est là que Monsieur Vincent fonda en 1617, ses premières Confréries de la Charité afin de secourir les plus pauvres et les malades. Il y avait alors beaucoup à faire pour la charité parce que le fanatisme huguenot avait saccagé au siècle précédent un grand nombre d’églises et d’abbayes auxquelles était agrégé le bel ensemble des vieilles institutions hospitalières : les hospices, les maladreries, les léproseries, désormais ruinés et abandonnés. Saint Vincent enrôla dans ses confréries les plus grandes dames de l’aristocratie qui deviendront les Dames de la Charité. La reine Anne d’Autriche n’était pas la moins édifiante. « Je vis Madame la Princesse, déclarait Monsieur Vincent, oui, Madame la Princesse, aller en vingt-cinq ou trente maisons visiter les pauvres, les consoler, les traiter, et à pied. Quand elle revint, elle était toute je ne sais comment, ses robes toutes crottées jusqu’aux genoux. Ô Sauveur ! Voilà comme ces bonnes dames travaillent et suent après les pauvres, et voilà comme faisait Saint Louis. »
En 1618, il est de retour chez les Gondi, Monsieur Vincent fut vivement sollicité de prêcher sur leurs terres, en Picardie. Mme de Gondi signa avec lui un contrat par lequel elle lui délivrait la somme de quarante-cinq mille livres, destinée à l’entretien des ecclésiastiques « qui iront de village en village, aux dépens de leur bourse commune, prêcher, instruire le pauvre peuple des campagnes qui demeure comme abandonné. Lesdits ecclésiastiques s’interdiront de s’occuper de ceux qui habitent dans les villes, et qui ont pour les catéchiser et les prêcher quantité de docteurs et religieux. Ils renonceront expressément à leurs bénéfices, charges et dignités de l’Église ; vivront en commun sous l’obéissance dudit sieur de Paul. » Le 17 avril 1625, La Congrégation des prêtres de la Mission était fondée, et à la mort de saint Vincent, en 1660, ses membres, les “ lazaristes ”, avaient déjà donné plus de huit cents “ missions ”, dans les diocèses de France et en pays étrangers. (…)
Saint Vincent de Paul était déjà le directeur spirituel de sainte Louise de Marillac lorsqu’il fonda avec elle, en 1632, la compagnie des Filles de la Charité, humbles filles des campagnes, qui se consacreront totalement à Notre-Seigneur dans le service de ses pauvres. Elles gardaient leurs vêtements de paysannes de l’Île-de-France : une ample robe grisâtre, un manteau de même couleur, et la coiffe ou la cornette blanche qui les protégeait du soleil. « Vous avez pour monastère les maisons des malades, leur disait Monsieur Vincent ;pour cellule, votre chambre de louage ; pour chapelle, l’église paroissiale ; pour cloître, les rues de la ville ; pour clôture, l’obéissance ; pour grille, la crainte de Dieu ; pour voile, la sainte modestie. » Aucune misère ne rebutera les sœurs de saint Vincent de Paul, aucune humiliation ne les arrêtera. On les trouvera bientôt dans les hôpitaux et les hospices, sur les champs de bataille pour soigner les blessés, et même dans les affreux enclos où les bagnards attendaient d’embarquer sur les galères royales. (…)
C’est en 1632 également que l’antique léproserie Saint-Lazare, au nord des murailles de Paris, devint la maison-mère des Prêtres de la Mission. Monsieur Vincent y vivait accaparé par de multiples œuvres. Que de dévouements n’a-t-il pas suscités, pour les pauvres honteux, pour les mendiants, pour les enfants trouvés, pour les provinces dévastées par la guerre de Trente Ans !
En 1639, lorsque les Lorrains affamés allèrent jusqu’à manger des cadavres, il n’y tint plus. Il sollicita une audience du cardinal de Richelieu : « Monseigneur, donnez-nous la paix, ayez pitié de nous ; donnez la paix à la France. » Le cardinal eut l’impudence de lui répondre qu’il y travaillait. « Mais, note l’historien Arthur Loth, plus que personne, saint Vincent considérait les affaires publiques au point de vue surnaturel ; sa politique était toute chrétienne et française par là même. Comment aurait-il pu approuver ces fausses alliances qui allaient livrer l’Allemagne catholique à l’invasion du protestantisme et faire de la France très chrétienne le champion et le complice de l’hérésie ? »
Une autre fois, le cardinal vit l’humble prêtre s’acquitter d’une autre mission. L’Angleterre alors était liguée contre son Roi, l’Irlande persécutée pour sa foi. Devant l’échafaud de Charles Ier et les excès du farouche gendre de Cromwell, Vincent de Paul Vint dire à Richelieu qu’il serait de la gloire du Roi de défendre, avec son beau-frère, la cause commune de tous les souverains, et qu’il y allait de l’honneur d’un cardinal de secourir un peuple qui n’était persécuté que pour son attachement à la religion de ses Pères. “ Le Roi a trop d’affaires, objecte Richelieu, pour s’engager dans une pareille entreprise. ” Saint Vincent promet l’appui du Pape avec cent mille écus. Le cardinal répond qu’il faudrait des millions, et ferma sa porte aux conseils du saint prêtre. La paix avec la catholique Autriche, la guerre contre l’Angleterre protestante : telle était la politique de Vincent de Paul », conclut fort justement Arthur Loth.
La vraie réforme du clergé ne fut pas le moindre de ses soucis. Ses “ exercices des ordinands ”, c’est-à-dire ses retraites de vingt jours destinées aux futurs prêtres, ont formé toute une génération d’ecclésiastiques et d’évêques. Et que dire de la “ conférence des mardis ” ! « Élevé au sacerdoce, raconte Bossuet, nous fûmes associé à cette compagnie de pieux ecclésiastiques qui se réunissaient chaque semaine sous la direction de Monsieur Vincent pour conférer ensemble des choses de Dieu. Il en était le fondateur et l’âme. Jamais il n’y parlait que chacun de nous ne l’écoutât avec une insatiable avidité et ne sentît que Vincent était ce ministre qui, selon l’expression de saint Pierre, parle de Dieu d’une manière si sage et si relevée que Dieu même semble s’expliquer par sa bouche. »
Le 14 mai 1643, jour de l’Ascension, le roi Louis XIII rendait son âme à Dieu. Monsieur Vincent l’assista dans ses derniers moments, ému par l’exemple de sainteté offert par le Souverain qui eut le privilège de consacrer la France à la Sainte Vierge. Dès le lendemain, il écrira à l’un de ses confrères : « Depuis que je suis sur la terre, je n’ai vu mourir personne plus chrétiennement. »
Anne d’Autriche, qui se retrouvait à quarante-deux ans Régente du Royaume, remit son âme cruellement solitaire entre les mains de Monsieur Vincent, le suppliant de la guider dans son désir d’aimer et de servir Dieu. Elle commença par le faire entrer au Conseil de Conscience, lequel réglait toutes les affaires ecclésiastiques du royaume, et décidait notamment du choix des évêques et des abbés. Quand Monsieur Vincent dut faire front à de terribles pressions, il disait tranquillement : « Tels sont les pasteurs, tels sont les peuples ».
Lorsqu’en 1648 eut lieu la Fronde des parlementaires, Monsieur Vincent se mit en selle et galopa, sans se soucier des périls, jusqu’à Saint-Germain-en-Laye où la Cour s’était réfugiée. Passant des appartements de la Reine chez le ministre, il affronte le cardinal Mazarin, successeur de Richelieu : « Monseigneur, sacrifiez-vous, retirez-vous au loin pour le salut de la France. » Et il fut entendu...
En 1652, au cours de la troisième Fronde notre saint écrira le 11 septembre au ministre Mazarin, en envoyant à la Reine une copie de sa lettre pour que celle-ci soit mise sous les yeux du souverain. Saint Vincent y réfute une à une les objections au retour du Roi et de la Reine mère à Paris.
Mazarin accepte de se retirer provisoirement, et le 25 octobre, Louis XIV entre seul dans Paris, au milieu des acclamations. « Comme il est évident, observe Mgr Calvet, que l’intervention de Monsieur Vincent a contribué à décider Mazarin à cette retraite diplomatique, on peut dire, en ce sens restreint mais précis, que c’est saint Vincent qui a mis fin à la Fronde. » Il paya cette hardiesse de son exclusion du Conseil de Conscience de la Reine.
Saint Vincent vivra jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans. Usé par les travaux, les mortifications et la vieillesse, il souffrira de diverses maladies pendant les quatre dernières années de sa vie. En juin 1660, son état s’aggrave, il est contraint de garder le lit. Mais il n’en continue pas moins à diriger sa communauté et à répondre aux lettres qu’il reçoit, jusqu’à la veille de sa mort.
Le 27 septembre, un peu avant quatre heures du matin, son visage se couvre d’une rougeur vermeille, il paraît tout en feu. On lui suggère quelques invocations qu’il balbutie en remuant les lèvres. Puis, il s’endort paisiblement en invoquant le saint Nom de Jésus, à Paris, dans cette maison de Saint-Lazare qui est la Maison-mère de la Congrégation de la Mission, à l’heure même où depuis quarante ans, il se levait pour faire oraison.
Il fut mis au nombre des saints par Clément XII en 1737 et le Pape Léon XIII le déclara patron spécial, auprès de Dieu, de toutes les œuvres de charité qui existent dans l’univers catholique.
Extraits de la CRC tome 30, n° 343, février 1998, p. 25-27