Saint Jean Eudes
L’aimable époux de la toute divine Marie
L’histoire de saint Jean Eudes, en butte aux contradictions et persécutions que lui valut sa dévotion “ exagérée ” au Cœur admirable de la divine Marie nous paraît d’une brûlante, d’une merveilleuse, d’une consolante actualité.
Saint Jean-Eudes est né en 1601 à Ri, près d’Argentan en Normandie. Ses parents qui ne pouvaient pas avoir d’enfants, avaient accompli un vœu en allant en pèlerinage à la chapelle de Notre-Dame de la Recouvrance où ils avaient consacré leur futur enfant à Notre-Seigneur et à Notre-Dame.
Ce fils prédestiné se fit très vite remarquer au collège des jésuites de Caen (1618) par sa délicatesse d’âme et par sa tendre piété ; on l’appelait “ le dévot Eudes ”. Il fera partie de la Congrégation des enfants de Marie.
À l’Oratoire, où il entra en 1623 et fut ordonné prêtre en 1625, Bérulle discerna tout de suite en lui un sujet exceptionnel, et ce fut à regret qu’il le laissa partir pour soigner les pestiférés d’Argentan. C’était aller à la mort ! Il s’en sort et fait cesser le fléau après avoir fait mettre une statue de la Sainte Vierge à chaque porte de la ville... On le retrouve ensuite à l’Oratoire de Caen, où il inaugure une suite de “ missions ”, à l’appel des évêques et de maints seigneurs. Quel prédicateur ! « On ne peut résister à des vérités dites si nûment, si saintement et si fortement », note son ami Gaston de Renty. Quant à son supérieur, le Père Condren, il écrit : « Un trésorier de France de la ville de Caen me dit ici dernièrement qu’il avait laissé ce bon Père Eudes près de chez lui, où il l’avait vu pendant une semaine, tellement suivi du peuple et des prêtres du pays qu’il occupait cent confesseurs. J’ai su depuis que cette ferveur s’est maintenue. »
Au cours de ces missions, il institua la récitation commune de la prière du matin et du soir, afin que la pratique s’en perpétue dans chaque foyer après la mission. Il entreprit d’enseigner aux foules à réciter le chapelet, institua les “ messes de communion ”, afin d’encourager la communion fréquente. Et pour clore les missions, il inventa les “ feux de joie ” !
Les religieuses de Montmartre l’ont ainsi qualifié : « Lion en chaire, agneau au confessionnal. » Il révélera que c’est la Sainte Vierge elle-même qui lui avait dit d’agir ainsi. Les fidèles, connaissant son cœur compatissant et miséricordieux, assiégeaient son confessionnal.
En mars 1643, après avoir longuement mûri sa décision, le Père Eudes quitte l’Oratoire, qu’il juge infidèle à sa vocation, pour créer une nouvelle société religieuse destinée à la formation du clergé, la Congrégation de Jésus et Marie, vouée à prêcher le culte du Saint Cœur de Jésus et Marie pour le salut des âmes. Depuis vingt ans d’une vie héroïque, il se préparait à sa mission divine. Il ne pouvait plus contenir ce feu divin pour Marie, qui le consumait et dont il avait donné quelque aperçu, dès 1637, dans son ouvrage Le Royaume de Jésus. Il ouvrira des séminaires, fondera une congrégation féminine, les sœurs de Notre-Dame de Charité et du Refuge pour la conversion des filles repenties, partout répandant la dévotion au Saint Cœur de Marie, en laquelle consistaient toute sa vie, sa flamme et son bonheur !
Il faut ici faire connaître le secret intime de son âme, qui lui était venu de ce geste extraordinaire qu’il fit à l’âge de douze ans, quand il fit vœu de chasteté et glissa un anneau au doigt d’une statue de la Vierge Immaculée pour qu’elle devienne son épouse. Se donnant tout à elle dans un amour exclusif, il l’implorait qu’elle veuille bien en retour se donner toute à lui. C’était là un étonnant mariage, dont il rédigera plus tard les clauses dans son Contrat d’alliance avec la Sainte Vierge, contrat agréé par la divine Marie qui le lui fit savoir, probablement au cours d’une apparition.
L’objet de la dévotion du Père Eudes est tout à la fois le cœur corporel de Marie, son cœur spirituel, source, fontaine d’amour, enfin son cœur divin parce que Jésus y habite. Avec quel zèle, quelle allégresse aussi, il exhorte les fidèles à se jeter, à se réfugier, pour tout dire à se « perdre saintement » dans ce très Divin Cœur : « Sortez, sortez de ce sale et horrible torrent du monde, de ce torrent des épines qui vous entraîne dans le gouffre de la perdition ; et venez vous perdre saintement dans les douces eaux de ce fleuve de paix et ce torrent de délices.Hâtez-vous ! Qu’est-ce que vous attendez ? Ne savez-vous pas que c’est Jésus qui a fait le Cœur de Marie tel qu’il est, et qui a voulu en faire une fontaine de lumière, de consolation et de toutes sortes de grâces pour tous ceux qui y auront eu recours dans leurs nécessités ? Ne savez-vous pas que non seulement Jésus est résidant et demeurant continuellement dans le Cœur de Marie, mais qu’il est lui-même le Cœur de Marie, le Cœur de son Cœur et l’âme de son âme, et qu’ainsi venir au Cœur de Marie, c’est venir à Jésus ; honorer le Cœur de Marie, c’est honorer Jésus ; invoquer le Cœur de Marie, c’est invoquer Jésus ? »
À une religieuse de Montmartre, il écrit : « Le Divin Cœur de Jésus et de Marie est cette fournaise dont les feux et les flammes ne se repaissent que de cœurs. Oh ! qu’heureux sont les cœurs qui se perdent dans ces divines flammes. »
Jusqu’à lui, la dévotion au Saint Cœur de Marie avait conservé un caractère de dévotion privée. Saint Jean Eudes, résolument, en fit l’objet d’un culte liturgique dont il devint dès lors le père, le docteur et l’apôtre infatigable. Parmi les nombreux offices et messes propres, d’un merveilleux lyrisme, qu’il avait composés en l’honneur des mystères de la très Sainte Vierge, il s’employa de toutes les manières à faire approuver et à propager celui du Saint Cœur de Marie.
Au cours de la mission qu’il prêcha à Autun, en 1648, il obtint de l’évêque du lieu, Monseigneur de La Madeleine de Ragny, l’approbation de la fête du Saint Cœur de Marie, qui fut donc célébrée publiquement pour la première fois le 8 février de cette année-là. Et de là se répandra, du vivant du Père Eudes, dans toute la France, en Italie et en Pologne.
Son départ de l’Oratoire avait été une perte pour cette société, et quelle perte ! Eh ! bien, chose incroyable ! au lieu de le laisser poursuivre heureusement sa vocation, plusieurs de ses anciens confrères s’acharnèrent contre lui, publiant libelle sur libelle, l’accusant d’ambition, de désobéissance, de cupidité. Même son excellent ami, Gaston de Renty, fut un moment ébranlé par ces campagnes de calomnies. Mais ce n’était rien encore...
En novembre 1650, grande victoire de ses adversaires, le Père Eudes est frappé d’interdit à Caen. Des scellés sont placés sur la porte de sa chapelle, et pendant deux ans l’officialité lui interdira de célébrer la Messe dans la ville.
Les jansénistes, comme les Pères oratoriens eux-mêmes, étaient très opposés au culte de la Mère du Bel Amour et à la dévotion à son Cœur très bénin.
Dans ses tribulations, le Père Eudes était heureusement éclairé et encouragé par les communications divines que recevait Marie des Vallées, rencontrée en août 1641 lors d’une mission. C’était une pauvre fille de la campagne, presque toujours malade, de surcroît possédée du démon, mais bénéficiant néanmoins d’authentiques révélations célestes.
« La sœur Marie ayant su que quelques personnes murmuraient contre la fête du très Saint Cœur de la Bienheureuse Vierge, qui se fait le 8 février, elle en parla à Notre-Seigneur, qui lui dit que c’était lui qui l’avait inspirée, et qu’il châtierait ceux qui s’y opposeraient ; et la Sainte Vierge dit que cette fête lui était agréable, et qu’elle enverrait des étincelles du feu sacré dont son cœur est embrasé dans le cœur de ceux qui la célébreront, afin de les échauffer en l’amour divin, s’ils sont tièdes, de les enflammer, s’ils sont échauffés, et de les embraser s’ils sont enflammés. Elle dit aussi que le Cœur de son Fils, c’est son Cœur, et que, ainsi, en célébrant la fête de son Cœur, on célèbre la fête du très adorable Cœur de son Fils. » (…)
Ce fut en ces années que saint Jean Eudes institua la fête liturgique du Divin Cœur de Jésus. Le 29 juillet 1672 il adressa une circulaire à toutes les maisons de son Institut, leur enjoignant de la célébrer le 20 octobre avec la plus grande solennité possible. « Si l’on objecte la nouveauté de cette dévotion, je répondrai que la nouveauté dans les choses de la foi est très pernicieuse, mais qu’elle est très bonne dans les choses de la piété. »
À peine saint Jean Eudes avait-il institué le culte liturgique du Divin Cœur de Jésus, vraie réponse et remède providentiel au jansénisme, que ses adversaires redoublèrent d’attaques contre lui. Durant l’été 1673, son envoyé à Rome, Jacques de Bonnefonds, ne peut obtenir pour sa Congrégation une approbation définitive.
En novembre 1673, le procureur général du Roi au Parlement de Paris demanda au Père Eudes de s’expliquer sur une supplique contraire aux intérêts et aux droits du Roi, qu’on avait présentée à Rome en son nom. Mais toutes les tentatives, même celle d’éminents personnages, pour faire connaître aux cardinaux et au Roi la vérité sur cette affaire et sur l’indigne complot, furent vaines. Pour sauver sa Congrégation, saint Jean Eudes aurait voulu s’effacer, disparaître : « Pour ce qui est de ma personne, qu’on en fasse ce qu’on voudra, qu’on me jette dans la mer, afin que cette tempête cesse ; qu’on m’anéantisse et qu’on mette un autre à ma place. Que m’importe par qui la Congrégation sera gouvernée, pourvu que le bien se fasse ! » Le 14 avril 1674, il reçut à Paris la lettre de cachet, signée de Colbert, qui le bannissait de la capitale. Il n’était pas encore au bout de ses peines !
À la fin de cette même année 1674, une nouvelle campagne fut déclenchée contre lui par Charles Dufour, abbé commendataire d’Aulnay, qui répandit par toute la France et dans toutes les communautés religieuses de Paris un infâme libelle intituléLettre à un Docteur de Sorbonne sur le sujet de plusieurs écrits composés de la vie et de l’état de Marie des Vallées du diocèse de Coutances. Dufour attaquait le culte du Cœur de Marie qu’il disait extravagant, superstitieux, fondé sur les visions creuses et les révélations mensongères de Marie des Vallées, la béate du Père Eudes, sa “ messie-femelle ” ! Il chargeait le chantre des merveilles du Saint Cœur de Marie, de treize hérésies : arianisme, nestorianisme, monothélisme, jansénisme, etc.
Un jeune eudiste ambitieux, le propre secrétaire du Père Eudes, l’avait trahi en remettant à ses détracteurs des notes personnelles qu’il lui avait dictées. Les citations de ses manuscrits étaient tronquées, falsifiées. Néanmoins, il ne fit aucune réponse publique aux accusations portées contre lui. Car il ne voulait pas susciter de répliques et engager ainsi une guerre sans fin.
« Je ne suis pas surpris des calomnies que l’on fait courir contre nous, car il me semble que l’enfer est déchaîné contre nous, mais le moindre de mes péchés en mérite mille fois davantage. » « Je supplie mon Dieu de me pardonner, et à ceux qui me persécutent. »
Ce n’est que quelques mois avant sa mort que le Roi daignera lever la sanction qui pesait contre lui. Dans son Mémorial des bienfaits divins, saint Jean Eudes note : « Ayant fait vœu à Dieu de dédier une des principales chapelles de notre église de Caen en l’honneur de l’Immaculée Conception, trois jours après j’ai reçu une lettre de Mgr Claude Auvry, ancien évêque de Coutances, qui m’écrivait à Caen de la part de Mgr l’archevêque de Paris, que le Roi avait perdu la mauvaise impression qu’on lui avait donnée contre moi, et que je vinsse à Paris pour en remercier Sa Majesté. » C’était le 17 juin 1679. Dix ans plus tard, jour pour jour, le Sacré-Cœur confiera à sainte Marguerite-Marie, de la Visitation de Paray-le-Monial, ses demandes destinées au Roi de France.
Trois semaines avant sa mort, survenue le 19 août 1680 « sur le bûcher de l’amour divin et dans les transports de la plus tendre charité » (Costil), saint Jean Eudes acheva son ouvrage intitulé Le Cœur admirable de la très Sacrée Mère de Dieu. Il avait déjà publié de nombreux livres pour propager ses méthodes missionnaires, sa mystique et ses dévotions ; mais Le Cœur admirable était son œuvre de prédilection, qu’il poursuivait depuis près de trente ans : une somme de mille cinq cents pages établissant les fondements, dans l’Écriture et dans la Tradition, de la dévotion au Saint Cœur de Marie.
Saint Jean Eudes ne semble pas avoir connu les révélations du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie. Mais l’un de ses amis, archidiacre d’Évreux, Henri-Marie Boudon (1624-1702), très enthousiaste de ses offices liturgiques, en prendra connaissance et en répandra le message dès les années 1690.
Cependant, le fait est trop ignoré, les vingt derniers chapitres du Cœur admirable traitaient déjà de la dévotion au Cœur Sacré de Jésus. À les lire, on comprend la grâce qui fut octroyée à Louis XIV lorsqu’il rencontra le Père Eudes et l’entendit prêcher. Il ne pouvait être mieux préparé à recevoir les révélations du Sacré-Cœur, lesquelles prolongeaient et complétaient la doctrine et la mystique de saint Jean Eudes.
Plaise à Notre-Seigneur et Notre-Dame, que nous ayons, même au prix de pareilles épreuves, une dévotion à leur très Unique et Sacré-Cœur égale à la sienne.
Abbé Georges de Nantes
CRC tome 30, n° 343, février 1998, p. 27-30