Luther
Né en 1483 dans une famille pauvre et sévère, Luther la quitte jeune pour étudier. À l’université d’Erfurt, de 1501 à 1505, il suit des cours de philosophie tout imprégnés de nominalisme et fréquente, mais de loin, les humanistes. C’est alors que sur un coup d’angoisse, à la suite d’un vœu prononcé en 1502 quand la foudre tomba près de lui au cours d’un voyage, il entra chez les augustins, reçut les ordres sans joie, dit-il, à vingt-quatre ans, et fut chargé d’enseigner la théologie à l’université.
Bientôt il se plonge dans la Bible et y trouve si abondante matière à nourrir et exalter sa sensibilité religieuse qu’il en vient à abandonner la scolastique et à lui déclarer la guerre. Là, il n’a plus de maître et il glisse vers le fidéisme, l’individualisme du sentiment, de l’expérience religieuse où il s’échauffe jusqu’à prendre en tout le contre-pied systématique des maîtres qu’il fréquente par ailleurs.
Dans son ordre divisé, il prend parti avec son supérieur et ami Staupitz pour la stricte observance. C’est pour défendre la ligne la plus austère qu’il est envoyé à Rome en 1510. Le voyage est important parce que c’est là, probablement qu’il entre en contact avec des augustiniens “ de série noire ” comme les appelle Dalbiez (L’angoisse de Luther) dont il embrasse avec fougue le pessimisme outrancier.
Rentré à Wittenberg, il se jette dans les Psaumes, dans saint Paul surtout, et fixe sa pensée, sans maître, sans guide, sans souci de personne d’autre que de lui, de son moi dramatique… Car c’est un désespéré, un tourmenté suicidaire, sans force pour combattre ses vices, passant du relâchement aux plus sévères pénitences, n’écoutant pas les sages conseils de son directeur spirituel.
Enfin, cet obsédé d’obscénité et de scatologie, craignant Dieu plus que ne l’aimant, affolé de son salut, se découvre tout à coup une doctrine. Où ? Au cabinet, au cloaque. C’est “ l’événement de la tour ”. Dans son caca, il découvre la miséricorde de Dieu : Celui-ci l’aime tel qu’il est, dans sa saleté indécrottable parce que là, et là seulement Il peut lui prouver Son amour. Inutilité de tout effort, présomption même de toute œuvre dite bonne ! L’homme, misérable, est dominé par ses instincts mauvais : le baptême ne peut l’en délivrer. Seule la foi-confiance (très différente de la foi théologale catholique) libère. Il suffit de croire pour être sauvé : Pecca fortiter sed crede fortius ! Pèche fortement, mais crois plus fortement encore ! La raison n’est que la p… du diable. Voilà Luther délivré ! Finis les angoisses, les scrupules, les pénitences ! Mais finis aussi le rationalisme d’Aristote, l’humanisme et son besoin de cohérence logique entre la pensée et l’action, la confiance en l’homme, l’amour de la vie, l’exaltation de la dignité naturelle ! Luther se prend pour un inspiré, il a son illumination et se sent la mission impérieuse de l’annoncer au monde pour le délivrer de l’impossible loi de pureté sous laquelle l’Église tient les hommes écrasés.
Aussi lorsque arrive la fameuse affaire des Indulgences (1517), sa conviction est déjà arrêtée et l’occasion s’offre à lui, merveilleuse ! médiatique ! d’introduire son hérésie doctrinale de la foi sans les œuvres. Contribuer à son salut et à celui de ses proches en obéissant aux pratiques recommandées par l’Église, quelle prétention ! C’est donc ne rien connaître à Luther que de dater sa révolte des Indulgences !
Dans un peuple mal disposé envers Rome, la propagande antiromaine connaîtra un succès prodigieux. Pourtant cette même Rome lui dépêchera ses meilleurs théologiens : Cajetan, Eck ; il refuse de les écouter et appelle les Allemands à la révolte ! C’est l’histoire lamentable d’un hérésiarque passionné : sa condamnation en 1520 par la bulle Exsurge Domine, qu’il brûle, sa mise au ban de l’Empire mais son soutien par le duc de Saxe. Allumant le brasier de la révolution puis de l’anarchie, il se lie avec Ulrich de Hutten, le chevalier brigand, et lance en 1520 son Avertissement à tous les hommes libres d’Allemagne qui appelle à la sédition contre l’Église, au vol, à l’incendie, au nom du christianisme populaire. À peine jugulée la révolte des chevaliers, se lèvera le terrible Bundschuh, la guerre des paysans, d’abord excitée par Luther puis condamnée férocement par lui quand la défaite est certaine. L’Allemagne est à feu et à sang, les monastères dévastés, les religieuses violées, expulsées au nom de la liberté, les prêtres chassés, la messe interdite. C’est le moment qu’il choisit pour se marier avec Catherine de Bora quand l’Allemagne sombre dans un bain de sang. Cette religieuse défroquée, peu recommandable, n’a rien de commun avec celle que nous a présentée la propagande luthérienne lors des émissions consacrées à la célébration du quatre cent cinquantième anniversaire de la mort de Luther (1546) !
Si, au début, Luther avait bénéficié du soutien des humanistes, détestant comme lui la scolastique, très vite ses amis l’abandonnent ; sauf Mélanchton qui s’attache à lui. Érasme tergiverse, mais rompra dès 1520 et la réforme fera avorter la Renaissance. En 1527, Érasme lui écrit amèrement : « Nous récoltons maintenant les fruits amers de ton génie. Tu n’avoues point ces émeutiers, mais eux t’avouent fort bien. »
Le luthéranisme s’étend. Les Papes ne savent quoi faire. Charles Quint, débordé, doit faire des concessions : la menace turque rend nécessaire l’alliance avec les protestants. Finalement, il laissera la liberté aux princes de faire régner la religion de leur choix, selon le principe :cujus regio, ejus religio. En 1530, pour se concilier les faveurs de Charles Quint, Mélanchton établit la confession de foi des protestants, appelée la Confession d’Augsbourg, dans laquelle il tente d’atténuer les contradictions avec la foi catholique. Mais notre Père a parfaitement mis en lumière le dessein de Mélanchton : il s’agit de substituer au “ cultuel ” le “ culturel ” par lequel l’homme est vraiment homme, adapté au monde de la terre pour y prospérer et être ainsi béni de Dieu (cf. La Confession d’Augsbourg, Utopie anticatholique, CRC n° 156, août 1980). La foi-confiance assure le salut. Ainsi libérés, les hommes peuvent se livrer à leurs passions, à un point même que Luther en sera horrifié. Mais lui-même s’enfonce dans ses obscénités et ses grossièretés. Hallucinations, visions diaboliques, angoisses suicidaires le reprennent. Il ne manifeste aucun repentir à l’approche de la mort.
Elle survient le 17 février 1546. « Révérend Père, lui demanda son ami Jonas, voulez-vous mourir appuyé sur Jésus-Christ et sur la doctrine que vous avez enseignée ? » Il répondit : « Oui. » À 3 heures du matin, il poussa son dernier soupir. C’est fini ? Non, car comme le révèle le livre d’Yvan Gobry, Luther (1991, éd. La Table ronde) : « C’est là la version officielle. » Et l'auteur de démontrer que Luther fut trouvé pendu (p. 459-462), que les domestiques en témoignèrent, qu’on les fit taire, mais pas tous ni tout le temps, et qu’alors on attaqua comme papistes les véridiques témoins de cette version. Mais les preuves sont là et c’est le plus cruel démenti apporté à la mission de Luther, toute fondée sur la foi-confiance libératrice de toute angoisse ! L’on comprend pourquoi cette version, seule authentique, fut soigneusement étouffée. L’homme fut somptueusement enterré dans la chapelle du château de Wittenberg.
Extrait de la CRC tome 28, n° 326, octobre 1996, p. 24-26