La circumincessante charité
Introduction
ÉCOUTONS, en guise d'introduction, notre prédicateur s’expliquer lui-même en 1993 :
« C’est toujours avec un peu plus d’émotion d’année en année et d’humilité, que je commence une telle retraite, car plus le théologien avance dans sa science, plus il se reconnaît ignorant. Plus l’homme spirituel tente d’avancer d’étape en étape vers la grande rencontre éternelle, plus il se sent désemparé. Et quant à apprendre aux autres un tel chemin, il hésite davantage d’année en année à le faire, de crainte de s’éloigner de la vraie Voie, de la vraie Vérité, de la vraie Vie enseignée par Notre-Seigneur. Cependant, je suis pressé de prêcher cette retraite, pour rassembler en un ensemble cohérent quelques pensées nouvelles que j’ai prêchées dans les années passées récentes pour les grouper afin de mieux les goûter, et de les mettre dans toute notre vie. »
Le titre “ Circumincessante charité ” est un mystère qui s’éclairera en cinq grandes étapes. Il évoque la Sainte Trinité : quand il est écrit avec un s : circumin session, on voit les Trois Personnes divines assises sur trois sièges, en cercle (circum), se répondant l’une à l’autre. L’icône de Roublev en donne bien une idée : chacune est dans une attitude, a des objets ou une direction du regard pour nous montrer la distinction des Personnes et la mission de chacune de ces Personnes. C’est statique.
Mais notre Père préfère écrire avec un c : circumin cession qui dit le mouvement qui va de l’un à l’autre sans fin puisque c’est “ circum ”, dans un cercle. C’est la vie intime des Trois Personnes divines, c’est le circuit d’amour du Père, du Fils et du Saint Esprit et à cette circumincession divine qui est dictée par l’amour, nous avons finalement accès, elle nous est communiquée et c’est notre béatitude. Le Père ne cesse de se donner, de donner tout ce qu’Il est à son Fils, qui Lui-même le Lui rend bien en reconnaissance, mais en même temps, les deux donnent cette même perfection de nature divine, avec tous ses attributs à l’Esprit-Saint qui est leur Amour. Donc, c’est un mouvement, une vie infiniment parfaite qui s’épanche tout d’abord dans le Cœur Immaculé de Marie, première œuvre de cet amour divin et de là, atteint toute créature désireuse d’y prendre part. C’est aussi une mystique orthodromique, c’est-à-dire une course qui va à un but à travers bien des détours. Quand nous serons parvenus au port, nous comprendrons qu’une Providence pleine d’amour avait présidé à toute cette histoire humaine, que la Bible raconte, de la Genèse à l’Apocalypse.
Quelle méthode allons-nous suivre ?
Celle que saint François de Sales a suivie en un temps de protestantisme recrudescent convient parfaitement aussi à notre époque d’illuminisme conciliaire : pour connaître Dieu, “ l’Écriture ne se comprend pas à la seule lumière de notre esprit propre, prétendument inspiré de Dieu, mais l’Écriture doit nous être présentée par l’Église enseignante, selon la tradition. ” Saint François de Sales se confie à l’Église pour qu’elle lui donne la science des Écritures saintes : “ L’Écriture est très suffisante pour nous instruire de tout et l’insuffisance est en nous qui, sans la Tradition et le Magistère de l’Église, ne saurions nous déterminer du sens qu’elle doit avoir. ” (Les Quatre Amours, p. 22)
« LES leçons de la Bible nous donnent à entendre, sous la parole inspirée qui nous la rend audible, la Parole même de Dieu qui nous dévoile et sa pensée et son action, unique et unifiante dans l’histoire de l’univers (...) Voici donc dans ce seul Livre, le fil conducteur, divin, révélé, vrai et définitif, de toute l’histoire des hommes, connue et inconnue, d’hier, d’avant-hier et de demain (...) Nous allons donc la lire de confiance. Je crois avoir fait le tour des montagnes de l’exégèse moderne (...) J’en suis arrivé à cette certitude, fille de la science et de la théologie, que la naïveté du bon chrétien, enfant de l’Église, héritier des siècles de Chrétienté, rejoint la naïve sapience, qui lui est sœur, des écrivains sacrés. En communiant ainsi à la pure simplicité et à la profondeur contemplative des Prophètes et des Apôtres, c’est à la Révélation de Dieu même que nous avons accès avec eux. (...) Les desseins de Dieu y apparaissent à celui qui croit, admirables de simplicité et de force. Voici les secrets de l’histoire, révélés aux humbles et aux petits. Ne savez-vous pas qu’il faut redevenir semblable à des petits enfants pour entrer dans le Royaume de Dieu ? (...) Enfin la Bible est notre Livre religieux car une continuité vivante fait de cette sagesse séculaire et divine notre patrimoine. Elle nous a bercés dans son chant grégorien, elle s’est exprimée dans nos regards par les sculptures naïves des chapiteaux et les ruisselantes images des vitraux de nos églises. Elle nous arrive par tous les canaux de cette civilisation qu’anime la foi chrétienne. »
Extrait de la Lettre à mes Amis n° 230
Notre Père va donc nous mettre à l’école de l’Église maternelle nous apprenant à lire l’Écriture sainte, de telle manière que nous ne nous séparions en rien de la vérité. Au fond, le rêve est de commencer à lire la Bible par le premier chapitre du premier livre et peu à peu, durant sa vie, s’en nourrir, marchant vers le dernier chapitre de l’Apocalypse. Nous ne demanderons pas aux philosophes une définition abstraite de Dieu, nous ne nous égarerons ni dans les hauteurs de la philosophie païenne, ni dans les horreurs sataniques de Freud. Notre Père est l’anti-Freud par excellence et réfute, dans ces retraites, les doctrines sataniques de Freud, leur opposant les merveilles de la doctrine catholique intégrale capable de guérir notre société de cette horreur.
Nous regarderons les choses de la création et les êtres humains d’un regard simple, pur, délivré des passions humaines, car c’est par les choses visibles que Dieu a créées, qu’Il nous donne à contempler, que nous sommes appelés à connaître le fond du Créateur, ce que le Créateur a voulu, sa présence et ses perfections. Ne nous éloignons donc pas de l’héritage de l’Église catholique en tout ce qu’elle nous offre : les Écritures, la Bible, c’est entendu, mais ce sont aussi les écrits des Pères. Il y a continuité absolument infrangible entre ce que le Saint-Esprit a directement inspiré aux législateurs et aux prophètes de l’Ancien Testament, et ce qu’Il a inspiré aux Apôtres, aux premiers martyrs, aux évêques, confesseurs, docteurs de l’Église ou Souverains Pontifes. Tout cela est en ligne directe. Donc, nous allons nous repaître de tous ces trésors, nous inspirer de la vie des saints, des enseignements des Conciles, des Docteurs de l’Église romaine, de tout ce que notre Père appelle “ la religion de nos pères ” dont nous sommes nés et dont nous vivons. Nous récoltons aussi tout l’acquis métaphysique de notre Père, qui débouche sur une théologie relationnelle féconde, pour nous introduire dans le mystère des Trois Personnes de la Sainte Trinité.
Le résultat d’une telle retraite ?
Il tient en deux mots : « tendresse et dévotion ».
Dans l’indifférence, la tiédeur, les impiétés et les vices du monde où nous vivons, nous nous laissions enfin toucher, que nous vivions dans les choses de Dieu, et que la tendresse de nos cœurs soit alléchée. Nous allons nous laisser prendre au foisonnement des dévotions dont vivent les cœurs simples, abordant la profusion de toutes les manifestations de l’amour divin des Trois Personnes et de toutes créatures assumées par elles : dévotion à saint Joseph, aux saints du Ciel, dévouement au prochain tout au long de notre vie jusqu’au Ciel.
Avec notre cœur, nous allons admirer le grand dessein de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ qui explique la création et lui fournit sa fin : le bonheur du Ciel. Il est passionnant d’étudier la Bible dans ce mouvement qui emporte toute personne d’une génération à l’autre dans cette Bonté infinie de notre Père Céleste. La circumincessante charité est le secret le plus intime de notre Dieu et de notre histoire.
C’est un amour qui vient du Père des Cieux et qui y retourne avec le gain, la moisson, la vendange de toute la famille humaine, du moins de tous ceux qui sont les élus de Dieu et qui seront sauvés. Plaise à Dieu que nous soyons tous réunis.
Voici les grandes étapes de cette retraite :
La divine paternité
Au commencement de la geste divine, depuis toujours, Dieu est “ Fons et Origo ”, la Fontaine et l’Origine de tout être. Survolant la Bible, nous voyons Dieu agissant avec l’humanité « comme un Père », depuis la création d’Adam et Ève et même après le péché originel, avec le peuple élu, reprenant son alliance avec Abraham et se révélant à Moïse. De cette première relation, notre sainte religion est toute constituée : tout nous vient de notre Père des Cieux, nous sommes créés et conduits par Lui. C’est la bonté de notre Père céleste préparant les hommes à recevoir leur Sauveur.
Le mystère de Jésus
Paraît alors Jésus de Nazareth dont la première mission est d’enseigner au peuple de Galilée que Dieu est son Père. Notre-Seigneur fait réaliser ce progrès à ceux qui l’écoutent : Dieu n’est pas comme un Père, bien plus, Il est notre Père Céleste.
Fils du Père avec lequel Il ne fait qu’Un, Dieu de Dieu, le Christ Jésus est homme aussi et par là, notre frère. Il vient restaurer l’ordre premier cassé par le péché originel. Verbe de Dieu et notre frère, par sa Passion rédemptrice et dans l’effusion de son Sang, Il nous donne de participer à sa Vie, à sa nature divine de Fils de Dieu. Remonté au Ciel, Jésus envoie à son Église l’Esprit-Saint qui est l’amour du Père et du Fils et n’a de cesse que de revenir en leur sein.
L’Immaculée Conception, Colombe du Saint-Esprit
Dans cette Trinité sublime, la Bienheureuse Vierge Marie, Immaculée, toujours Vierge, nous apparaît comme à la place du Saint-Esprit, tenant visiblement la place du Saint-Esprit invisible comme son sanctuaire, sa présence parmi nous. L’abbé de Nantes la contemple dans le Cœur de Dieu “ dès l’éternité, dès le commencement ”, selon le Livre des Proverbes appliqué à la liturgie de l’Église pour les fêtes de la Sainte Vierge. L’Immaculée Conception de notre très chéri Père Céleste, préexistante de toute éternité pour la plus grande joie de la Sainte Trinité, est cette Femme annoncée dans la Genèse à nos premiers parents après leur chute comme Celle qui écrasera la tête du serpent. Le péché originel a été une horreur qui a entraîné l’humanité dans une véritable descente aux enfers : vérités dures à entendre au sein d’une Église malade du Concile et éprise du culte de l’homme. Présente auprès de Dieu, l’Immaculée assiste à cette tragédie. Pour réparer le double crime d’Adam et Ève, Elle et son Fils s’offrent avec générosité en expiation et leur offrande est acceptée par le Père Céleste. Leur sacrifice nous lave de la souillure épouvantable du péché originel et restaure notre filiation divine. C’est en devenant enfant de Marie que nous avons accès à la Trinité Sainte des Trois Personnes divines.
La dévotion à saint Joseph
Ayant renoué avec notre Père du Ciel, avec Jésus-Christ, avec notre Mère du Ciel, il faut ajouter saint Joseph, dans le courant de la circumincessante charité. Entrons en relation avec lui, car il a reçu de Dieu un amour de père pour Jésus et un amour d’époux pour Marie. Il est pour nous un exemple, un patron. Il nous servira de modèle dans toutes nos relations.
La charité fraternelle, la sainteté
Nous sommes tous frères dans l’unique Sacrifice des deux Cœurs de Jésus et de Marie. Il faut nous intégrer dans cette chaîne d’amour, tisser des relations avec ces êtres célestes qui, chacun selon leur vocation personnelle, distribuent les dons divins à qui leur demande. Par la tendresse que nous portons à tel ou tel saint, toute notre vie morale est vivifiée par cette dévotion et notre comportement en est changé. C’est la morale évangélique prêchée par Jésus : « Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait. » Tout devient possible lorsque nous somme emportés dans cette cascade de circumincessante charité divine. La parabole du Bon Samaritain nous enseigne cette charité fraternelle qui nous fait aimer notre prochain comme nous avons été nous-mêmes d’abord secourus par Jésus, notre Bon Samaritain ! L’amour des proches, amis, indifférents, des pauvres hères, même de nos ennemis s’inscrit dans cet Évangile.
Nous puisons dans toutes nos dévotions des lumières sur notre manière d’exercer notre paternité ou notre filiation, nos amours, nos amitiés, nos relations fraternelles et sororelles, tout ! chacun selon notre vocation, à découvrir et à suivre.
Le Paradis éternel
Enfin, cette charité fraternelle s’épanouira au Ciel dans la plénitude de la circumincessante charité divine. « Le Ciel, l’unique but de nos travaux » disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Mais, à notre époque, l’Abbé de Nantes notre Père, est bien le seul à nous parler de telle façon qu’il nous le fait désirer, imaginer de façon très concrète. Il le dit lui-même : « Pour moi, je ne cesse de parler du Ciel et d’en peindre le bonheur à l’image et ressemblance des biens et des joies de la terre, mais portés à un point d’excellence et d’éminence tel que nous ne pouvons pas en avoir l’idée. »
Cette pensée du bonheur qui nous attend au Ciel change aussi notre regard sur la vieillesse et sur la mort dont nous pouvons faire le plus grand acte d’amour de notre vie : enseignement dont nos anciens ont vécu, mais qui fait cruellement défaut à notre génération et qui lui serait tellement utile.
Le Ciel est l’ultime béatitude, l’entrée dans la gloire du Père où l’on accède définitivement par la mort. En ce lieu, Jésus et Marie nous ont déjà précédés. Et notre Père ne se lassait pas de nous faire goûter cette parole de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus pour nous faire désirer aller au Ciel : « Le Ciel, c’est aimer, être aimé et revenir sur terre pour faire aimer l’amour. »
La vision de Tuy, dont fut honorée sœur Lucie de Fatima, nous offre le spectacle de la circumincessante charité divine, répandue et communiquée aux âmes saintes, mariales, eucharistiques. C’est un torrent d’eau et de sang. L’abbé de Nantes n’en finissait plus de contempler cette théophanie, cette manifestation de Dieu dans son mystère trinitaire, de Dieu dans son être trinitaire et plus encore dans la circumincessante charité, c’est-à-dire dans le mouvement qui va d’un personnage à l’autre, dans un ensemble de relations qui donnent à ces personnes un attrait tout nouveau pour nous. Il y a le Père, le Fils Crucifié dont la Sainte Face nous parle de son martyre, l’Esprit-Saint qui, dans son vol, tend vers la Bienheureuse Vierge Marie, le prêtre célébrant reproduit sur de nombreuses images en train de célébrer les saints mystères. On évoque la Sainte Communion, car il y a un calice et une hostie (...). Il y a invisible mais présent, le peuple saint qui reçoit le Corps et le Sang Précieux, tandis que déborde dans un fleuve de grâce et de miséricorde la vie spirituelle, comme un fleuve d’eau coulant sur le monde entier, nous avertissant que nous sommes tous frères. Toutes ces relations portent de l’une à l’autre personne la charité qui les fait toutes Un dans la gloire de Dieu et le bonheur : voilà présentée en image la base de notre contemplation.