Mystique mariale
L’ABBÉ de Nantes nous dévoile que c’est sous le signe de la beauté que s’opéra l’union de la Bienheureuse Vierge Marie avec Dieu : Père, Fils et Saint-Esprit au cours des trois étapes de sa vie. De la beauté de l’univers à celle de la Révélation contenue dans l’Ancien Testament, en passant par la joie de l’Incarnation : Esthétique mystique. La Bible lui révèle aussi le problème du mal, du péché originel comme aussi le cœur de Dieu voulant y remédier pour nous sauver ; À Nazareth, elle vit déjà les Béatitudes et s’habitue à sa mission de corédemptrice ; Au calvaire ainsi qu’à chaque Saint-Sacrifice de la messe, elle est là pour intercéder pour nous, lutter contre le Diable acharné à la perte des âmes : Esthétique dramatique, tragique. Après la résurrection, elle se dévoue pour l’Église apostolique, se passionne pour le règne de Dieu. Depuis son Assomption elle jouit de Dieu, comme fille du Père, épouse du Verbe, Temple du Saint-Esprit ; elle poursuit aussi un combat politique contre le Démon, afin que le règne de Dieu, la Chrétienté devienne enfin le genre humain : Esthétique hyperbolique, gloire du Dieu vivant.
SERMON d’introduction : MARIE, REINE DES MYSTIQUES
La vie mystique est la rencontre de l’homme avec Dieu notre Créateur, notre Sauveur, notre Sanctificateur ; avec Dieu tel qu’Il est dans sa vie intime révélée en Jésus-Christ : Père, Fils et Saint-Esprit (...). Il faut donc bilgen reconnaître que la Vierge Marie fut dans toute la simplicité de son Cœur, la Reine des mystiques. Elle l’a été aussi dans toutes les apparences très ordinaires de sa vie pour nous montrer que la vie mystique est ouverte à tous (...).
C’est ainsi que le vrai chrétien, même très humble, vit sa religion en priant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, comme un ami parle à son ami, comme un serviteur parle à son maître, comme une personne parle à une personne ou à d’autres personnes (...). Chacun aura ensuite sa vocation particulière, connaitra une histoire d’amour avec Dieu (...), qui s’apparentera aux mystères joyeux, douloureux et glorieux du Rosaire (...).
I. ESTHÉTIQUE : LA SAINTE VIERGE ET LA BEAUTÉ
1. BEAUTÉ DE L’UNIVERS, SAGESSE ET GLOIRE DE DIEU
Lorsque la Vierge Marie a commencé à raisonner, à ouvrir son cœur, son âme, aux choses de la vie, elle ne s’est pas arrêtée à un dogme ou à une loi (...). Le premier élan de son jeune cœur immaculé a été d’aimer ce qui est beau (...). Bien formée par la religion juive de l’Ancien Testament, elle a appris à reconnaître dans les choses de la nature, la présence, la puissance, la beauté de Dieu, et à chanter la louange de sa gloire (...).
À Nazareth, Jésus et la Vierge nous ont donné une forme de vie mystique qui est profondément sensible et ouverte sur les beautés de l’univers (...). Cette voie de la beauté consiste à trouver Dieu dans les créatures, et non au-delà, au rebours de la voie platonicienne, mais sans tomber dans l’écueil du panthéisme ou de l’idolâtrie (...). L’itinéraire spirituel du poète anglais Gérard Manley Hopkins (1844-1889) est emblématique de cette voie « mariale » qu’il finira par trouver, après avoir fait l’expérience douloureuse des désorientations ci-dessus mentionnées (...).
2. LA BIBLE, RÉVÉLATION DE LA BEAUTÉ ABSOLUE ET DE LA BEAUTÉ BLESSÉE
En entendant ses parents, Anne et Joachim, lui raconter l’histoire sainte, les apparitions de Dieu et les hauts faits de Dieu dans l’histoire, les miracles de l’Ancien Testament, le passage de la mer Rouge, etc. la Vierge Marie était ravie par cette beauté de Dieu qui se révélait ainsi (...). Mais elle a aussi compris très tôt au spectacle de la vie des gens de Nazareth qui l’entouraient, que la beauté du monde et la beauté des âmes étaient très profondément atteintes, abîmées par le péché originel. Elle lisait la Bible, savait que cela venait d’Adam et d’Ève. Elle savait par les reproches, les imprécations des prophètes, que le péché était toujours là, que la laideur était toujours là, que l’insulte à Dieu était toujours là ! (...).
3. L’INCARNATION
Cette âme d’enfant, avec le secours des lumières de la Bible, voyant le mal dans le monde et désirant aimer ce qui est beau, aimer Celui qui est le plus beau des enfants des hommes, comme dit le psaume 44, la Vierge Marie – excusez-moi le mot, mais il est vrai –, est devenue amoureuse de cet Être qui devait venir, qui serait la Beauté suprême, la Bonté suprême, la Justice, la Sagesse de Dieu (...), celui que, dans la Bible, on appelait le Messie, et qu’une âme de petite fille vierge pourrait aimer infiniment, amoureusement, comme le Cantique des cantiques devait le lui avoir appris. Elle priait pour qu’il vienne et qu’elle le connaisse !
Elle a conçu le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus, dans son esprit, dans son âme, dans sa sensibilité artistique, esthétique, elle l’a conçu en pensée avant de le concevoir dans ses entrailles. C’est parce qu’elle l’attirait en elle par son amour, par son désir, par son admiration, d’avance, qu’elle a été choisie par Dieu pour être précisément le réceptacle de cette Parole de Dieu (...).
4. LA JOIE ESTHÉTIQUE ET MYSTIQUE DE LA VIERGE MARIE
La Vierge Marie adorait le Fils de Dieu, là, présent dans ses bras, en train de téter son sein maternel, et elle était émue (...). Elle se disait qu’il était celui que l’Ange avait déclaré être le Fils de Dieu, et maintenant, elle contemplait le mystère dans la réalité sensible. Voilà la plénitude de vie – mystique – de la Vierge Marie.
Elle savait que ce petit enfant dans ses bras était le centre de l’univers, le centre de la famille, l’être le plus important du village ; c’était le fruit de toute la race de Jessé, de David, le fruit du travail de tout un peuple. C’était tout l’univers qui avait été en travail pendant des siècles pour enfin produire ce fruit excellent, cette chair qui était la chair de Dieu (...).
La Vierge atteignait ainsi à une connaissance cosmique de la beauté de l’univers, qui était pour elle l’image saturante, rassasiante de la gloire de Dieu. Le monde entier devenait à ce coup comme une espèce de cadre à cette Face divine qu’était son Fils, Jésus-Christ.
Nous autres, nous n’avons qu’à faire de même, en situant l’humanité au sein de ce monde qui est beau. Au sein de cette humanité, nous avons l’Église et, au sein de l’Église, nous avons la Sainte Famille ; dans les bras de la Vierge Marie, nous avons Jésus, nous avons Jésus-Hostie au milieu de nous. C’est la justification de tout l’univers, c’est l’harmonie de tout l’univers qui nous fait une profonde impression esthétique. C’est beau ! (...)
SERMON : LES TROIS BEAUTÉS DE MARIE
En la Vierge Marie il y a eu un ressaisissement de la chair, par la volonté de Dieu, qui lui donna une âme exempte du péché originel et donc toute puissante pour se former un corps à la ressemblance de sa perfection. Voilà pourquoi et sans hésiter, je dis que la Vierge Marie était, de naissance, très belle (...). J’entrevois cette beauté de la Vierge Marie, non pas tapageuse comme dans certains tableaux de grands artistes, mais comme ces beautés qui sont tellement parfaites dans leur discrétion, dans leur équilibre, dans leur harmonie, dans leur simplicité qu’elles n’attirent pas le regard, mais elles rassasient les âmes, surtout les âmes saintes.
La beauté native, on l’a reçue. Mais la beauté morale et spirituelle que donne l’éducation, l’acquisition de la sagesse et des vertus, cette beauté-là qui charme non pas tellement le regard que le jugement de la conscience, de l’âme, nous touche encore davantage. C’était celle de la Vierge Marie (...).
Elle avait cette ardeur, cet élan, cette splendeur, cette flamme que donnent des convictions profondes ; ces yeux plus brillants, ce visage plus convaincu, plus affirmé, cette sorte d’élan, cette sorte de vie plus intense que donne à certains leur dévouement à une grande cause, leur conviction (...). Elle était en tout elle-même, d’une dignité, d’une grandeur royale.
Sa beauté chrétienne (...). Quand une femme, de ses entrailles, de son sang, de son lait maternel, forme en Elle le Fils de Dieu, Dieu lui-même, il est évident qu’il y a entre le sculpteur et l’argile, j’entends entre le Saint-Esprit qui opère dans cette chair et cette chair elle-même, une communication où il est impossible (...) que la Vierge Marie n’en soit pas divinisée dans tous ses traits, aussi bien moraux que physiques.
Il nous reste à être ravis par cette pensée d’une beauté que j’appellerais “ hyperbolique ”, c’est-à-dire qui dépasse les marges même de tout ce que je connais, et voilà de quoi être ravis d’amour, de piété, de dévotion, de penser que cette Femme, la plus belle de toutes les femmes, cette Reine qui est la Reine de tous les anges et de tous les saints, cette Femme qui est au-dessus de tout, est ma Mère ! Elle est notre Mère !
II. DRAMATIQUE : LES BÉATITUDES ET LA CORÉDEMPTION
Après avoir aperçu dans son esthétique de créature vraiment supérieure, que tout est beau dans le monde, depuis les grands arbres jusqu’aux petites herbes (...), que chaque chose est belle dans son ordre, la Vierge Marie a ouvert la Bible. De siècle en siècle, elle a commencé à comprendre les habitudes de Dieu et voir comment il préférait toujours ce qui était bas à ce qui était haut ; pas du tout dans un sens révolutionnaire, mais parce que ce qui est haut est tout fier d’être haut et se suffit à soi-même pour ainsi dire (...). Naturellement parlant, l’être pauvre, malheureux, malade, faible a besoin de l’autre. Il est un être d’attente, ce que les Béatitudes appellent “ un pauvre en esprit ”.
Dieu préfère l’orphelin et la veuve qui le prient, qui ont besoin du juge pour leur faire justice, du maître pour être protégé. Il préfère cette situation-là à l’orgueil du puissant. Voilà ce que la Vierge a lu dans l’Écriture sainte, et dont elle s’est imprégnée. Il y a déjà dans l’Ancien Testament, à l’inverse de la fatuité et de l’orgueil des riches et des puissants, un goût de la pauvreté et, dans la vraie mystique de l’Ancien Testament, il y a un goût de la simplicité, et il y a même dans les persécutions que subissent les justes et que subissent les prophètes en particulier une certaine noblesse de la souffrance. Il y a une certaine prédilection de Dieu pour celui qui souffre. Parce que le monde est mauvais, et que tel est la loi de l’univers actuel, de l’humanité pécheresse : le juste souffre (...).
C’est l’immense vérité, l’immense profondeur des Béatitudes. C’est cela, le christianisme. On entre dans ce mouvement par une inclination esthétique, c’est-à-dire que le cœur des saints, comme le Cœur de la Vierge Marie, trouve son bonheur, sa vraie situation, et donc court vers la pauvreté, vers l’humilité, vers le renoncement, plutôt que vers les richesses, les bonheurs de la vie. C’est à ce moment-là que cette esthétique est réalisée dans la vie.
Voilà mon premièrement : la Vierge Marie adore et aime Jésus dans ses humiliations qui, pour elles, sont plus parlantes que ses grandeurs et ses gloires, même divines.
ESTHÉTIQUE TRAGIQUE
C’est ainsi qu’ils se sont acheminés, l’un et l’autre, le Christ et la Vierge Marie, vers la Croix, comme étant la condition la plus fraternelle aux hommes, la plus humble, la plus discrète, et cela en vertu d’un mouvement du cœur. Ils ont embrassé de grand cœur le malheur de notre condition humaine, ses humiliations et sa pauvreté. Ils ont lutté, pâti ensemble et avec saint Joseph, du mal de la volonté, du mal du vice à Nazareth : calomnies, coups, vols (...).
La Vierge Marie, quand elle voyait ces espèces de voyous dans la rue qui avaient tabassé Jésus en revenant de l’école parce qu’il était premier en classe ou qu’il avait eu les bons points de sagesse alors qu’eux n’avaient rien, se vengeant sur lui de leur mécontentement, de leur déconvenue, elle voyait ces enfants dans la rue, elle leur pardonnait, elle acceptait cette souffrance, ces coups d’épingle ou ces coups de glaive dans le Cœur, pour leur salut, pour eux, par amour pour eux, pour qu’ils soient sauvés. La Vierge Marie s’est habituée très tôt à son rôle de Corédemptrice, à son rôle de compatissante (...).
Nous autres, nous avons vite fait de mettre les gens en enfer et j’ajoute : de nous mettre mutuellement en enfer (...). Le grand Dante, de « la Divine comédie » visite l’Enfer, il y rencontre ses amis, son frère (...), et il est content de voir comment Dieu a inventé pour chaque crime, une torture particulière... Dieu est juste, bon et beau. Dante s’accommode de l’Enfer, et son livre a traversé les siècles en encourageant un esprit d’embourgeoisement (...).
Dante, c’est tout le calvinisme, mais en même temps c’est toute la renaissance païenne, c’est tout le contentement de l’homme en lui-même. Il n’y a rien de plus opposé au mystère de la Croix. Ce n’est pas pour rien que Nietzsche, avec son culte du surhomme, a été violemment antichrétien. Pourquoi ? Parce que le Cœur de Jésus et le Cœur de la Vierge Marie, ce n’est pas ça. Ils n’acceptent pas l’enfer, c’est-à-dire que vivant avec des êtres humains comme eux, dans la liberté de la vie terrestre, ils ne capitulent jamais. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, tant qu’il y a de la liberté il y a possibilité de conversion, tant que je suis là, moi, pour prier pour eux, tant que je suis là pour supporter le mal qu’ils me font en leur pardonnant, je travaille à leur salut, je ne vois que le salut, je suis tendu vers le salut ; c’est la Croix.
Il est évident, il n’est pas du tout surprenant que la Vierge Marie soit au pied de la Croix, qu’elle rejoigne le Christ portant sa Croix dans les rues de Jérusalem. C’est sa place, elle est là pour souffrir avec Jésus : « Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. » Jésus en Croix supplie le Père de pardonner aux hommes (...) et il le fera en allant prêcher le salut aux enfers (...), figure très mystérieuse de l’œuvre du Christ qui veut arracher aux enfers toutes les âmes capables par leur bonne volonté d’être arrachées aux enfers.
Là, c’est le contraire de Dante. C’est le contraire de notre instinct personnel naturel : « Ils sont en enfer, on n’y peut plus rien ! » Il y a encore une espèce de parabole secrète, de révélation obscure, sur la possibilité qu’a le Christ, non seulement d’empêcher les âmes dorénavant de descendre en enfer, mais encore d’aller arracher en enfer ceux qui y étaient pour les sauver encore, pour nous dire que le salut n’a pas de limite. Oui, il y a un enfer, oui, il y a des damnés... en tout cas je ne pense pas que ce soit beau. Ce qui est beau, c’est de voir le Christ qui meurt pour les pécheurs et qui va jusqu’en enfer pour arracher encore tous ceux qu’il peut regagner (...).
Ce qui est beau, c’est de savoir qu’il y a une femme, une humble femme, une petite jeune fille qui était là, qui souffrait au pied de la Croix, elle n’a pas vieilli, c’est toujours la petite jeune fille du jour de l’Annonciation, elle est là avec ce Cœur tout neuf, tout jeune, tout pur, tout sensible, elle souffre mort et passion, par amour des pécheurs, pour les sauver de l’horrible enfer. Voilà qui est beau, voilà qui décuple notre amour de la Vierge (...), notre confiance infinie en Elle, notre Mère, notre Reine, Refuge des pécheurs, Consolation des affligés (...).
SERMON : LA FORCE DES SUPPLIANTS
(...) « Le suppliant représente, dit Péguy dans les Suppliants parallèles. Citoyen sans cité, tête sans regard, enfant sans père, père sans enfants, ventre sans pain, nuque sans lit, tête sans toit, homme sans biens, il n’existe plus comme lui-même. Et c’est à partir de cet instant qu’il devient redoutable. Il représente. »
Autrefois, quand quelqu’un sonnait et que c’était un pauvre, les gens cossus qui avaient de l’argent, du pain sur la table, de la soupe chaude et la poule au pot disaient : « C’est le Christ. » Ce mendiant lui-même, ce n’était rien, il représentait toute la misère humaine, il représentait le Christ qui frappait à la porte, on le recevait. Tandis que le riche avec son bonheur, son argent, c’est de l’argent, c’est du bonheur, c’est du foin dans la grange, ce sont des bêtes dans l’étable, et ce n’est que ça et c’est lui seul avec ses biens. Il a réussi. Péguy dit : tout le monde cherche à réussir, tout le monde cherche à être riche et pourtant, ce n’est rien. Ce qui grandit l’homme, c’est l’épreuve (...).
Le Fils de Dieu, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, Dieu parfait, jouissant de la gloire divine, s’est entièrement dépouillé de sa gloire, et il a été comme façonné par l’épreuve, par la fatalité. S’il se soumet à l’épreuve, disait Isaïe au chapitre 53, il rachètera des générations d’hommes. Il sera grand dans sa mort et il verra le bonheur des générations à venir. Le Christ sur la Croix, c’est l’être qui est frappé par le malheur, tel est la plus grande dignité de l’homme. Et la Vierge Marie qui compatit, c’est à cette minute même que, par une seconde création ou un second enfantement, comme dit très bien Péguy, Elle devient non seulement la Femme bénie entre toutes les femmes, plus belle que toutes les autres femmes, physiquement, moralement, mais Elle devient la Reine de l’humanité. Pourquoi ? Parce que dans ce sacrifice, dans cet anéantissement, Elle est tout amour, toute louange de Dieu, Elle est toute supplication. Le suppliant l’emporte sur le supplié.
J’ajoute un dernier mot, parce que c’est l’ultime mystère. Ne voyons pas maintenant la Vierge Marie, les saints et nous autres suppliant un dieu qui soit comme un dieu païen, un dieu riche et heureux, qui dans sa béatitude, sa parfaite justice, juge avec son sceptre et condamne les méchants et sauve les justes (...).
Notre Dieu est un Roi déchu, c’est un Roi qui est sorti de son trône, qui est descendu de son trône, qui a pris des habits de pauvre (...). Quand le Fils meurt sur la Croix comme un suppliant afin de sauver tous les hommes, il ne faut pas imaginer le Père comme un être dur qui fait souffrir son Fils, afin de payer pour nos péchés. « Qui me voit, voit le Père ! », disait Jésus ; le Père est comme le Fils, Péguy l’a très bien montré, Il a un Cœur aussi sensible, Il est aussi miséricordieux, Il est aussi faible d’une certaine manière que son Fils au moment de nous pardonner nos péchés sur la Croix. Notre Dieu, c’est un Dieu crucifié par amour de nous, pour être suppliant, pour vaincre sa propre justice, pour nous sauver tous. Et la Vierge Marie, représentation éminente de la femme, c’est celle qui s’unit à la souffrance de son Fils et de son Époux, afin de nous sauver tous, de nous engendrer à la vie éternelle dans une admirable maternité.
Que tout cela est merveilleux ! C’est cela que nous allons revivre, ce n’est pas simplement un mythe païen, ce n’est pas une légende chrétienne, c’est cela, en toute réalité, que nous allons revivre en cette Messe où de nouveau, le Christ, à ma parole, à la parole du prêtre, va se remettre dans cette action de supplication à Dieu, son Père, certain d’être exaucé, et pourquoi ? Pour nos péchés, pour la multitude, pour notre salut et celui de la multitude. Et la Vierge Marie sera là, toujours avec son Fils, mystérieusement présente à cette Messe pour intercéder avec Lui et nous bénir.
III. ESTHÉTIQUE HYPERBOLIQUE.
LA GLOIRE DU DIEU VIVANT OU LA POLITIQUE DE LA SAINTE VIERGE
Comment une âme mystique s’épanouit-elle dans l’union à Dieu (...) ?
1ère objection : Dans le renoncement à toute beauté sensible ?
2e objection : La vie mystique n’a rien de commun avec l’amour conjugal.
3e objection : Le mystique ne s’occupe de rien d’autre que de Dieu, surtout pas de politique.
RÉPONSE À LA PREMIÈRE OBJECTION
Je dis que, au point de départ de la vie mystique, il faut aimer le monde et toutes ses beautés, l’humanité et toutes ses beautés, en dehors du péché bien entendu. C’est ce que sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, tous les mystiques ont fait au début. Puis ils ont eu leurs moments d’extase où le monde leur a paru rien que ténèbres, boue, laideur. Mais ensuite, quand ils se sont familiarisés avec les splendeurs de Dieu, ils ont compris que ce monde était comme un rayonnement, comme une parabole, comme des symboles de la beauté de Dieu, et ils nous l’ont fait aimer comme tel.
Venons-en à la Vierge Marie. Avant de donner naissance à Jésus, elle aimait les beautés de la nature, les beautés de l’humanité ; elle admirait immensément le visage et l’âme de son père et de sa mère ; elle a eu de saintes affections, de saintes amitiés, un grand amour, celui de saint Joseph, certainement ! Elle n’a pas dit : « Nada, nada, nada ! » Quand même ! Mais c’est par sainte Anne sa mère, par son père saint Joachim, et par la liturgie du Temple, comme je vous le disais, par tout ce qu’il y a de beau, de noble, que peu à peu son âme a trouvé son ardeur au service de Dieu. Voilà le premier temps.
Là-dessus, l’Ange lui apparaît et elle devient Mère de Jésus. Je veux bien croire que, pendant quelques années – et les quelques années ont duré peut-être plus de trente ans –, il n’y avait plus que Jésus, que lui, que lui, que lui ! (...). Elle n’avait pas besoin d’aller faire une contemplation esthétique en regardant les enfants des autres quand elle avait son propre enfant, le Fils de Dieu lui-même, qui était sa propre chair et qui était aussi, si j’ose dire et c’est vrai, la chair de Dieu ! La beauté du Christ ! Donc, la Vierge Marie n’ayant plus que Jésus dans le cœur, dans les yeux, dans l’esprit, dans l’amour, elle justifie les saints dans un moment de transport de leur vie, dans une étape de leur vie, de n’avoir plus que Dieu et d’ignorer toute autre créature.
Mais ensuite, vous croyez que la Vierge en est restée là ? Dans la vie publique déjà, je suis persuadé qu’elle a domestiqué la flamme de son amour. Elle s’est sentie pleine d’amour pour les Apôtres parce qu’ils étaient les choisis, les serviteurs de son Fils, et bientôt ses amis (...). Quand elle a vu ces femmes qui se convertissaient et qui se mettaient au service de Jésus et des Apôtres, elle en est devenue la mère, elle en est devenue le chef si j’ose dire, l’inspiratrice, et elle les a aimés. Son Cœur s’est agrandi. De nouveau, elle a dû retrouver les beautés de l’humanité et les beautés spirituelles, mais les beautés sensibles aussi du monde et de l’univers, à mesure que Jésus y rayonnait (...).
RÉPONSE À LA DEUXIÈME OBJECTION
Que la Vierge Marie soit l’épouse de Dieu, il faudrait ignorer toute l’Écriture Sainte, en particulier le Cantique des cantiques, pour ne pas avoir ce mot spontanément aux lèvres : la Vierge Marie est l’épouse du Cantique des cantiques (...). La liturgie a tout à fait raison de l’attribuer à la Vierge Marie, lors de ses fêtes liturgiques (...). La Vierge Marie, à n’en pas douter, a aimé le Christ – comme une femme peut aimer, avec tout son cœur de femme et en toute pureté –, cet homme parfait, cet homme unique, qui était comme son Époux. Elle a eu pour lui cet amour exclusif, profond, total qu’une femme a pour l’homme de toute sa vie.
Cependant, ce n’est pas comme ça qu’elle apparaît dans l’Évangile. S’il y a une femme dont on pourrait croire qu’elle a un amour d’épouse ou d’amoureuse pour Jésus, c’est Marie-Madeleine (...). Elle personnifiait vraiment cette humanité pécheresse qui se convertirait par amour de lui.
Mais, quant à la Vierge Marie, l’amour absolument unique que Jésus a eu pour Elle et Elle pour lui ; une telle femme aimée d’un tel homme et d’un si grand et si exclusif amour, les Apôtres, pour ne pas choquer, ont tourné la difficulté d’une manière magnifique : la liturgie dit que c’est la nouvelle Ève et le nouvel Adam. Ève et Adam étaient mari et femme. Ils ont voulu être Mère et Fils parce que, entre mère et fils, un amour peut être très grand sans donner lieu à un scandale (...).
Entre la Vierge Marie et Jésus, il y avait tout l’amour qu’on dira comme d’un époux et d’une épouse, sauf tout ce que Freud pourrait trouver à penser de mauvais. Voilà comment nous pouvons penser que l’amour de la Vierge Marie pour Jésus était le type de l’éros, c’est-à-dire d’un amour bienheureux, d’un amour plaisant, d’un amour qui donne la joie. Cela n’a rien de cette espèce de pur amour qu’on nous inventé, d’amour généreux (Agapè) où l’âme, en aimant Dieu, ne cherche absolument pas sa propre joie (...).
C’est profondément kantien, cette distinction entre Éros et Agapè, c’est inhumain ! J’ai mis vingt ans à me libérer de cette distinction qui règne partout dans l’Église aujourd’hui. Le pur amour, qu’est-ce que c’est que ça ? Il faudrait aimer Dieu, aimer Jésus sans que votre cœur vous batte un peu plus fort, sans que vous y trouviez la moindre joie ?! Et la Vierge Marie, quand elle donnait le sein à son enfant, cela ne lui faisait pas plaisir ? « Non, non, elle faisait ça par devoir ! Elle l’aimait pour son bien, cet enfant ! »... Bêtises que tout cela !
Elle y a trouvé sa joie, elle y a trouvé son rassasiement, elle y a trouvé la plénitude de toute sa sensibilité, de toute son âme, de tout son cœur, de toute son affectivité de femme, en excluant tout ce qui est libido, tout ce qui est sexualité, tout ce qui est volupté, évidemment ! En cela, elle est la Mère du Bel Amour (...). L’amour mystique, ce n’est pas je ne sais quelle chose éthérée qui ne donne plus aucune joie, c’est un amour qui vous fait déborder, éclater de joie dans le plaisir que vous avez d’être uni à celui qui est votre amour, votre bien-aimé. C’est le bonheur parfait, c’est l’amour total de la chair et de l’esprit pour l’être qui vous ravit par sa beauté totale.
RÉPONSE À LA TROISIÈME OBJECTION
La Sainte Vierge aimait l’Église ! Elle aimait les apôtres parce qu’ils étaient porteurs de l’œuvre de son Fils, chargés d’une mission : « Allez, prêchez, enseignez jusqu’aux extrémités de la terre ! » Elle les aimait donc dans leur vocation, comme Apôtres du Christ, colonnes de l’Église de Jésus. C’est évident !
Quand ils ont commencé à évangéliser, le Cœur de la Vierge Marie battait en sachant que Pierre était en prison, elle se demandait ce qui allait se passer. C’était la politique de l’Église qui la souciait. Comment allaient-ils faire vis-à-vis des pharisiens ? Comment allaient-ils faire vis-à-vis des samaritains ? Fallait-il qu’ils quittent Jérusalem ? Fallait-il y rester ? Elle a pleuré sur Étienne, le premier martyr, elle a vibré d’indignation en voyant comment on l’avait lapidé. Donc, la Vierge Marie a fait la politique de l’Église, elle a fait la politique de l’Évangile, elle ne pouvait pas ne pas se passionner pour l’œuvre, pour l’institution (...). La Vierge Marie n’a donc pas seulement aimé les individus, la Vierge Marie a aimé la communauté que formaient ces individus. Dès la Pentecôte, elle a eu dans le cœur l’image de l’Église réussie, la mission de l’Église. Quelle était cette mission ? Faire une humanité chrétienne. C’est ce que nous appelons la Chrétienté (...).
C’est un crime de nos modernes que d’invoquer saint Jean de la Croix pour justifier leur individualisme, leur retrait de la politique ; Ils prétendront aimer le Christ, mais ne pas s’occuper des intérêts de l’Église (...). L’amour mystique va à la totalité de la création de Dieu, à la totalité de l’œuvre du Christ, à la totalité de l’institution. Ou, plus exactement, il va à la totalité des êtres concrets, des personnes, mais en ce sens que toutes ces personnes-là, à elles toutes, je ne dis pas forment l’Église, mais ce qui est sacré en elles, c’est qu’elles portent l’institution.
Dante veut constituer la société politique en dehors de l’influence cléricale, et faire un genre humain unifié sous l’influence, sous l’autorité d’un empereur. Comme cet empereur sera le chef du monde entier, Dante pense que, puisque le monde lui appartiendra politiquement parlant, et qu’il n’aura pas d’ambition, pas de vices, et qu’il travaillera au bien politique des nations (...). À cette utopie qui n’a jamais été réalisée sinon par Karl Marx (...), nous opposons la société chrétienne où le Christ est roi, où la Vierge Marie est reine
Donc, notre politique, j’espère que vous l’avez compris, est dominée par notre immense amour du Christ. Nous sommes tellement heureux dans le Christ que nous voudrions que tout le monde soit heureux en lui. Quand on voit que des hommes, par la puissance politique, sociale ou économique, jouissent de cette puissance pour retirer au Christ quelque secteur de la vie publique ou quelque secteur de la communauté humaine, nous sommes contre ces hommes-là. Si ce sont des chefs d’État, nous sommes prêts à faire la Croisade pour libérer les peuples de l’emprise de ces chefs d’État sataniques ; si ce sont les chefs d’État de chez nous et que c’est l’institution républicaine qui est laïque, il faudra revenir à un pouvoir souverain sacral ! Si ce sont les écoles qui sont laïques, nous ferons tout pour avoir des écoles catholiques. Nous soutiendrons nos écoles catholiques pour que finalement les écoles laïques ferment leurs portes, etc (...). Notre politique est conditionnée par notre vie mystique.
Le règne de Dieu, c’est quand l’humanité sera toute entière pénétrée par l’Esprit de Dieu. L’humanité tout entière, cela veut dire individuellement, politiquement, socialement, économiquement, à tous les points de vue (...). Soloviev a compris que le Satan, de son côté, en faisait autant, et qu’il y avait une terrible lutte entre la société dirigée par l’esprit de Satan et la société chrétienne imprégnée par l’Esprit de Jésus-Christ. Mais nous, nous savons que des deux – la Sainte Vierge le savait aussi –, après que l’Antichrist soit venu, c’est la Chrétienté qui dominera.
C’est là-dessus que je termine cette conférence sur la mystique et la politique : nous avons comme but, comme vision, ce qui brûlait le Cœur de la Vierge Marie, je n’hésite pas à le dire, au soir de la Pentecôte : que le monde entier devienne intimement, profondément, formellement chrétien, d’un pôle du monde à l’autre. C’est la Chrétienté à rebâtir et à pousser jusqu’à son extrême perfection et jusqu’à ses extrêmes limites. La Vierge Marie qui est toujours vivante, n’ayons aucun doute, aucune hésitation, est la Reine de cette Chrétienté, est la Reine de cette Église, elle veut cela, elle nous pousse à travailler et, par son intercession, elle nous vaudra, ou à nos descendants, à nos neveux, la victoire (...).
SERMON : LE COURONNEMENT DE MARIE
(...) Il y a dans la béatitude un être humain tel que nous sommes, la Vierge Marie, qui jouit de Dieu tout à la fois dans l’ordre spirituel et dans l’ordre sensible. C’est un être qui appréhende la gloire de Dieu comme une beauté spirituelle, un resplendissement, une beauté sensible (...).
Que pouvons-nous savoir, que dirai-je de cette beauté de Dieu dans le Ciel, qui est la gloire de Dieu et qui sera notre ultime béatitude (...) ? C’est un amour toujours en mouvement. La beauté de Dieu réside dans un amour par lequel les Personnes divines échangent leur propre substance, c’est-à-dire se donnent l’une à l’autre dans une communication incessante, ce que les théologiens appellent la “ circumincession ”. Voilà où est la joie, la source de la joie des mortels lorsqu’ils sont en présence de Dieu. Dieu n’est pas au repos, Dieu n’est pas un être solitaire, immobile, fermé sur lui-même et content de lui (...). Le Père, dans l’éternité, ne se contente pas d’être lui-même, riche et heureux avec sa propre nature de Dieu infini, mais le Père donne la vie, se donne à son Fils dans un don total de son être, et le Fils lui est reconnaissant comme un bon fils l’est à son père. C’est donc un échange de sagesse et d’amour entre le Père et son Fils. Tous les deux, dans leur amour, le resplendissement, le rayonnement de leur amour, le jet de vie féconde de leur amour, précisément donnent l’être, communiquent la substance divine au Saint-Esprit.
Voilà ce que la Vierge Marie contemple dans le Ciel. La Vierge Marie, dans le Ciel, est admise au sein de la vie trinitaire. Comment l’est-Elle ? Pour se donner une image concrète, sensible, une image de beauté sensible qui corresponde au mystère, il est bien de la voir couronnée par son Fils, son Fils qui est en même temps son Époux, qui est la deuxième Personne de la Sainte Trinité, le Fils de Dieu, le Verbe, la Sagesse de Dieu. La Vierge Marie, il faut la voir comme habitée par le Saint-Esprit ; précisément, Elle tient la place du Saint-Esprit, Elle s’identifie à Lui. Je n’oserais dire qu’il se fait une incarnation du Saint-Esprit comme il s’est fait une incarnation du Verbe, mais il se fait une inhabitation du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, c’est l’amour en Dieu, c’est l’amour du Père et du Fils. La Vierge Marie est pénétrée, enflammée de cet amour et c’est dans la pureté, dans la gloire, dans l’incandescence de cet amour qu’Elle se retourne vers son Fils, son Bien-Aimé, qu’Elle est couronnée par Lui, cela sous le regard et dans la bénédiction du Père. Voilà comment nous pouvons situer la Vierge Marie dans ce concert de la Très Sainte Trinité (...).
Comme Elle nous aime et qu’Elle est notre Mère, Elle ne pense plus qu’à une chose maintenant, Elle ne s’occupe plus qu’à une chose, c’est de nous attirer là où Elle est, c’est d’intercéder auprès de Dieu pour que nous allions là où Elle est, qu’Elle rassemble tous ses enfants dans le Ciel, afin qu’ils jouissent tous de cette beauté de Dieu qui est la gloire, et que nous soyons tous, pendant l’éternité, des louanges de la gloire divine !
Extraits de Mystique Mariale (S 37)