Note sur la méthode employée par l'abbé de Nantes dans ses cours de théologie kérygmatique
IL me faut donc expliquer théoriquement cette si fructueuse mais difficile méthode qui fit la gloire de Saint Thomas d'Aquin et des autres grands Sommistes médiévaux, sur les traces du Sic et Non d'Abélard.
Ma dialectique confronte sur chaque sujet étudié des opinions contraires. Exemple type : Dieu est le Dieu de l'Ordre – Non, notre Dieu est le Dieu de la Révolution ! La logique classique montre que de tels jugements ne peuvent pas être vrais en même temps mais qu'ils peuvent être tous les deux faux en même temps ! C'est précisément ma manière de déblayer le terrain des exclusivismes contraires que de les dresser l'un en face de l'autre pour faire paraître leur commune fausseté et leur justesse partielle. Socrate, dans sa maïeutique, procédait déjà ainsi. (…)
Comment alors opérer la “synthèse” finale ? Ces jugements absolus, exclusifs, brandis avec sectarisme, ont bien quelque vérité. Mais leur vérité n'est pas universelle, mais partielle ; elle est relative à telle situation ou circonstance, à tel aspect des choses, mais non à tous. Ces jugements ne sont donc pas “contraires” mais “subcontraires”, ce qui indique qu'ils ne s'opposent que partiellement ; ils peuvent être vrais en même temps, chacun en son domaine, sous des rapports différents. À établir cette complémentarité, l'esprit s'enrichit merveilleusement. Ainsi s'élabore une solution de réconciliation supérieure, à la lumière d'une distinction qui apparaît le ressort de la dialectique, et qui donne la mesure du génie de son inventeur... ou du caractère divin de la Révélation qui la livre aux humains. Reprenons ainsi notre exemple : Dieu est le Dieu de l'Ordre. Oui, mais de l'ordre naturel et de l'ordre positif légitime des sociétés. Il se pourrait en revanche qu'il soit l'ennemi de certains ordres établis, même légaux ! et qu'il vienne y mettre un beau désordre !
Il ne s'agit donc pas de chercher une solution bâtarde qui plaise aux deux partis, un compromis démagogique. Il s'agit de sortir les adversaires, chaque fois que cela est possible et juste, des étroitesses dans lesquelles les uns et les autres enferment indûment le « Kérygme », c'est-à-dire la totalité de la Révélation livrée à l'Église par les Apôtres et fidèlement, intégralement transmise par sa Tradition. L'Église a fait cela dix fois, contre toutes les hérésies et en même temps contre les fureurs sectaires de ceux qui s'opposaient à elles contradictoirement. C'était ce que Bossuet appelait « tenir les deux bouts de la chaîne ». (…)
Évidemment, la synthèse suppose un grand effort d'ouverture spirituelle, de brisure des systèmes clos et d'accueil de la Révélation. Mais pour nous y aider, nous avons la vaste Écriture Sainte et toute la Tradition de l'Église. N'oublions pas qu'en théologie nous serons toujours débordés par le Sujet de notre étude. Ainsi, par cette méthode dialectique, notre kérygmatique a pour légitime ambition de briser les étroitesses de positions exclusives pour mieux accéder à la synthèse mystérieuse qui nous est proposée par Révélation et que nous embrassons par la foi. (…)
Abbé Georges de Nantes
CRC tome 5, n° 73, octobre 1973, p. 4-5