LA LIBÉRATION DE 1944
II. La France épurée
LE 18 août 1944 dans la matinée, les troupes allemandes quittent Rodez. Dans l’après-midi, des groupes de FFI, “ Forces Françaises de l’Intérieur ”, entrent dans la ville libérée et s’installent dans les casernes. Pierre Fau, rédacteur en chef du quotidien régional L’Union catholique et de l’hebdomadaire La Croix de l’Aveyron, excellent catholique et patriote, est arrêté à son domicile par deux individus armés de mitraillettes et conduit à la prison de Rodez sous l’inculpation de trahison. Son crime : être un fervent admirateur et défenseur du Maréchal. Puis les mois passent, interminables pour le prisonnier, sans qu’aucun jugement le condamne ou le relaxe. Le 3 janvier 1945, le Comité Départemental de Libération de la ville, au sein duquel siègent un prêtre et un pasteur ! vote à l’unanimité une motion exigeant sa condamnation. Dans la nuit qui suit, une cinquantaine de FFI entrent de force dans la prison et exigent que leur soient livrés trois détenus : Fau, Randeynes et Verdier. Comme Verdier a déjà été transféré à la Maison centrale de Nîmes, on en prend un autre, au hasard.
Pierre Fau, qui se rend compte du sort qui l’attend, demande à voir sa femme et ses enfants. « Tu les as assez vus », répond le chef, un instituteur communiste, qui le fait sortir dans le couloir à coups de crosse. Dehors, il fait dix-huit degrés au-dessous de zéro. (...) Les prisonniers sont alignés et mis en joue. Pierre Fau crie : « Vive Dieu, vive la France ! » Une salve lui répond. Laissant les trois corps sur place, leurs assassins repartent tranquillement, se sachant amnistiés d’avance par ordonnance du général de Gaulle, puisqu’ils ont agi « dans l’intérêt de la libération du territoire ». Libération du territoire ? Mais les troupes allemandes ont quitté Rodez depuis cinq mois... (cité par Claude Hisard, Histoire de la spoliation de la presse française, La Librairie française, 1955, p. 15-18).
UNE NOUVELLE RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ils furent ainsi des centaines, des milliers à être les victimes de cette “ Révolution-épuration ”, qui ensanglanta la France aux jours sinistres de sa “ libération ”. Dès le 21 août 1943, le journal résistant Combat traçait ce double objectif au Comité Français de Libération Nationale d’Alger: « Refaire la République et faire la véritable Révolution. » (Henri Bastien, Alger 1944 ou la Révolution dans la légalité, in Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1990, p. 429)
« Libération et Révolution sont inséparables. Les principes de 1789 n’ont pas encore produit leurs effets », constatait en septembre 1944 Colin, membre du Mouvement Républicain Populaire, tandis que son chef, George Bidault, proclamait fièrement que la France allait « donner au monde un nouvel exemple : la Révolution par la loi ».
Dans cette logique révolutionnaire, le Comité National de la Résistance organisa, du 10 au 14 juillet 1945, les “ états généraux de la Renaissance Française ”.
Des “ cahiers de doléances ” furent rédigés afin de « parfaire l’œuvre de 1789 ». Un Club Saint-Just vit même le jour afin d’obtenir une épuration plus sévère. Le chef du Gouvernement provisoire n’avait-il pas évoqué la nécessité d’une “ grande Révolution ” pour l’avènement d’une “ Démocratie nouvelle ” ?
LE MAÎTRE D’ŒUVRE
C’est le général de Gaulle qui fut le maître d’œuvre de cette Révolution de 1944, par haine de tout ce que le maréchal Pétain, chef de l’État français, avait réalisé pendant quatre ans. Dès le 18 septembre 1941, le chef de la “ France libre ” déclarait : « La France, toute la France se redresse dans la Résistance en attendant qu’elle le fasse dans la vengeance organisée. » Pensée qu’il réaffirmait le 8 août 1943 à Casablanca : « De ces hommes (de Vichy) il n’y a qu’un seul mot à dire : Trahison, qu’une seule chose à faire : Justice. Clemenceau disait : le pays connaîtra qu’il est défendu. Nous dirons : le pays, un jour, connaîtra qu’il est vengé. »
Vengé ! mais de quoi, de qui ? De ceux qui avaient servi la France autrement que le Rebelle de Londres. (...) C’est par dizaines de milliers que de bons Français furent épurés, emprisonnés, mis à mort, pour le seul crime politique d’avoir obéi aux ordres du maréchal Pétain, leur chef légitime.
« Passer l’éponge sur tant de crimes et d’abus, osera écrire de Gaulle dans ses Mémoires, c’eût été laisser un monstrueux abcès infecter pour toujours le pays. Il fallait que la justice passe. » C’est froid comme un couperet de guillotine ! Mais, pour mener à bien sa vengeance partisane sous couvert d’épuration, il bénéficia des bons offices de ses amis, les démocrates-chrétiens.
LES DÉMOCRATES-CHRÉTIENS COMPLICES
(...) Il faut dire, avec notre Père, que « la Révolution n’aurait pas triomphé en 1944 si, au mépris de tout droit, de toute justice, de toute vérité, des chrétiens n’avaient pris le parti des ennemis de Dieu contre leurs frères » (Lettre à mes amis n° 112, 1962).
Ils auront beau expliquer, a posteriori, que s’ils n’avaient pas été là, l’épuration eût été pire, ils ne pourront nier qu’au moment de la Libération, ils furent les plus acharnés à épurer... leurs frères. Le 6 août 1946, Pierre-Henri Teitgen lui-même, garde des Sceaux et membre actif du MRP, s’en vantait devant les communistes qui lui reprochaient sa mollesse :
« Les Cours de Justice ont rendu à ce jour 44 737 arrêts de condamnation ; et les Chambres civiques 57 852. (...) Vous pensez sans doute que, par rapport à Robespierre, Danton et d’autres, le garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh bien ! ce sont eux qui sont des enfants, si l’on en juge par les chiffres. Car, de 1789 à 1793, 17 000 condamnations seulement ont été prononcées pour toute la France. »
Quant à François Mauriac, membre du Front National – celui de 1944, qui était communiste ! – il se réjouissait de ce que, dans l’épuration, « l’esprit de 93 revive enfin ». Esprit, le journal d’Emmanuel Mounier, réclamait que « le quart des Français » passe devant les tribunaux. Et l’on connaît la réponse du général Leclerc au général Giraud qui s’effrayait de voir les gaullistes assimiler tous les partisans du Maréchal à des traîtres :
« Mais cela équivaut à une guillotine sur toutes les places de village !
– Parfaitement, mon général, pas d’hésitation. »
UNE ÉPURATION ÉRIGÉE EN DOCTRINE...
Dès l’automne 1941, dans leur journal Libération, les communistes dressaient des “ listes noires ” de “ traîtres ”, que leurs Francs-Tireurs et Partisans (FTP) se chargèrent d’éliminer. La sentence était notifiée aux futures victimes par l’envoi de cercueils miniatures...
Les ordres ne partaient pas de Moscou, mais bien de Londres. « Nous sommes légion, témoigne Charles Filippi, à avoir gardé en mémoire les appels au meurtre, à l’assassinat, lancés sur les ondes, notamment au cours des émissions“ Honneur et Patrie ” (sic !). Y étaient désignés nommément, et par la fonction qu’ils occupaient, et souvent par leurs adresses, ceux des ministres, des préfets, des magistrats, des gendarmes, ou de simples citoyens qui devaient être abattus, sans preuve, sans procès, sans jugement. Ces appels au meurtre du micro de Londres ont déchaîné l’ignoble massacre de Voiron où toute une famille fut abattue, depuis la grand-mère de 83 ans à un bébé de quelques mois. » (Foucaucourt, Naissance du mythe gaulliste, Chiré, 1984, p. 353)
Le 25 janvier 1943, on pouvait lire dans le journal Résistance que, lors de la Libération, « les formes de la justice devront être réduites à leur minimum : la confirmation de l’identité de l’individu. La sentence de mort est la seule forme de justice possible pour ceux qui sont devenus les agents ou les sergents recruteurs de l’ennemi. » Il n’était donc pas question de jugement. Les faits dénoncés étant présumés véridiques, le suspect était un coupable qui se voyait refuser toute possibilité de prouver son innocence. Paul Rivet, directeur du Musée de l’Homme, écrivait dans son journal clandestin : « Lorsque le gouvernement arrivera, il se trouvera face à un fait accompli : Déat, Doriot, Laval et même le maréchal Pétain auront été liquidés car il ne s’agira pas d’une révolution, mais d’une liquidation. » Et les communistes renchérissaient: « La haine est un devoir envers la nation. »
Comme le fait remarquer justement Robert Aron : « L’insurrection n’est pour aucun combattant de la Résistance, qu’il soit partisan du gaullisme ou adepte du stalinisme, un accident de l’histoire, ou une fatalité regrettable. Elle est nécessaire : elle est fondée en doctrine. » (Histoire de l’épuration, Fayard, 1967, t. II, p. 436-440) À savoir la doctrine révolutionnaire, celle des Droits de l’Homme et de la démocratie, que le Maréchal avait bannie de la vie politique française. Que d’iniquités et de crimes ont été perpétrés en France de 1943 à 1953, au nom de la Justice et de la Liberté ! Ce fut comme une nouvelle prise de possession de notre doulce et sainte France par les “ Diaboliques ”.
...ET PROGRAMMÉE DE LONGUE DATE
Quelques jours après son arrivée à Alger, en mai 1943, de Gaulle créait, de conserve avec Giraud, le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN), qui, à son tour, instituait des Comités Départementaux de Libération (CDL), chargés d’épurer les administrations, de neutraliser les “ traîtres ” désignés, et de prévoir la formation de conseils municipaux provisoires. Les communistes prirent rapidement la direction de ces CDL, mais on y trouvait aussi des prêtres, des religieux comme dom Sortais, Père général des cisterciens ! Furent également nommés dix-huit Commissaires de la République, sorte de superpréfets censés incarner la loi et jouissant pour cela de pouvoirs illimités. (...) En même temps, ils préviendront le projet anglo-américain d’installation d’un gouvernement militaire en territoire occupé (AMGOT).
Le Comité d’Alger édicta ensuite une série d’Ordonnances, destinées à amnistier les fonctionnaires, anarchistes ou communistes, qui s’étaient opposés à la mobilisation de 1940, à réintégrer ceux que Vichy avait « révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés », à rétablir des Écoles normales d’instituteurs, bastions de la laïcité et de la franc-maçonnerie supprimés par le Maréchal, et surtout à « rendre légitimes, même s’ils ont violé le Code pénal, tous actes commis depuis le 16 juin 1940, pourvu qu’ils aient été commis “ pour la Libération ” ».
L’ordonnance du 18 août 1943 institua officiellement une Commission d’Épuration, que présidera le démocrate-chrétien François de Menthon, et qui sera chargée de « traduire en justice, dès que les circonstances le permettront, le maréchal Pétain et ses ministres, ceux qui avaient capitulé ou porté atteinte à la Constitution, ceux qui ont collaboré avec l’ennemi ».
Le 15 octobre 1943, le Comité Central des Mouvements de Résistance Française publiait une circulaire indiquant les consignes à observer au moment de la Libération : « Il n’y a pas de libération sans insurrection... Il s’agit de garantir, en quelques heures, la répression révolutionnaire de la trahison, conforme aux aspirations de représailles des militants de la Résistance. Les éléments hostiles doivent être arrêtés ou abattus en cas de résistance. Il s’agit des fonctionnaires d’autorité vichyssois, des collaborateurs notoires, et notamment des membres des organisations fascistes. Le plan d’insurrection doit comporter une liste complète de ces individus, avec adresse personnelle, bureaux, propriété à la campagne, etc. » (Les consignes gaullistes pour l’insurrection de 1944, inÉcrits de Paris, n° 70, août 1950)
Dès le mois de janvier 1944, les communistes réclamaient « une épuration réelle et rapide » au moyen de « comités de vigilance », pouvant « armer les citoyens pour s’assurer de la personne des traîtres ». Cette chasse aux “ Kollabos ”, – écrit avec un “ K ” pour faire plus vrai ! – entreprise dès l’automne 1941 par l’Organisation Spéciale (OS) communiste, s’intensifia en 1943. Elle allait culminer au moment du débarquement allié avec la ruée des “ résistants ” de la onzième heure.
Le texte juridique légitimant leur action, rédigé par les communistes, fut accepté tel quel par Menthon. Il était vague à souhait : « Tombent sous le coup de mise hors la loi les individus qui, directement ou indirectement, chargés de fonctions officielles ou non, ont d’une manière quelconque préconisé ou aidé la trahison dénommée collaboration. La trahison d’un individu mis hors la loi étant constatée, il sera immédiatement passé par les armes ou puni exemplairement ; ses biens seront saisis et mis au service de la nation. » (cité par Laurent Dingli, Louis Renault, Flammarion, 2000, p. 487)
La machine à épurer les adversaires politiques de ces messieurs d’Alger était donc prête dès le printemps 1944, et Maurice Schumann scandait chaque jour à la BBC : « Miliciens, assassins, fusillés de demain. » (...)
Il était impossible que de telles consignes répétées à longueur de jours ne produisent pas leurs effets.
L’ÉPURATION « SAUVAGE »
Certains historiens distinguent savamment entre épuration “ spontanée ” ou “ sauvage ” et épuration “ légale ”. Cette distinction est factice. L’Épuration de 1944 forme un tout : si elle fut “ sauvage ” par sa férocité, elle n’eut rien de “ spontanée ”, comme nous venons de le voir, et quand elle revêtit des “ formes légales ”, ce fut une mascarade de justice.
Il est un aspect de l’épuration “ sauvage ”, que nous n’évoquerons ici que brièvement à cause de son caractère lâche et ignoble : la punition de la “ collaboration horizontale ” dont furent accusées des femmes à travers toute la France. « Près du métro Danube (19e arrondissement de Paris), une foule suivait une femme entièrement nue. Elle avait le crâne rasé, et, sur les seins, deux croix gammées tatouées à l’encre de Chine. Sur le dos, elle avait, tatoué également, le portrait d’Hitler. La foule, déchaînée, lui jetait des pierres, la bousculait, l’insultait. » (Fabrice Virgili, La France virile, Payot, 2000, p. 175) Une autre fut « battue comme plâtre » à coups de ceinturon, torturée, marquée au fer rouge, avant qu’on s’aperçoive qu’elle était vierge...
Une simple dénonciation suffisait à livrer ces malheureuses à la vindicte populaire, alors que beaucoup d’entre elles n’avaient rien à se reprocher, sinon d’être l’épouse d’un fervent maréchaliste, ou d’avoir été secrétaire ou femme de ménage au service des Allemands, ou encore de jouir d’une autorité morale jalousée par quelques mégères “ résistantes ”.
La tonte des femmes se produisit à travers toute la France dès le premier jour de la Libération, ce qui supposait un mot d’ordre général. La scène se déroula plusieurs fois devant des photographes ou des cinéastes, et en présence des autorités publiques. De telles ignominies eurent lieu jusqu’en 1946 : il ne peut donc s’agir d’une simple “ explosion due à la Libération ”. Philippe Bourdrel estime à vingt mille le nombre de ces femmes tondues, tatouées, emprisonnées, torturées, violées, assassinées (L’épuration sauvage, Perrin, 2002).
Le Père Bruckberger, aumônier des FFI, écrivait froidement à leur sujet : « Si ces filles étaient enduites de poix et brûlées en place publique, cela ne m’affecterait pas plus qu’un feu de cheminée chez mon voisin. » Ah ! les bons apôtres de la démocratie chrétienne !
Quant à notre Père, il s’est plusieurs fois scandalisé non seulement de ce que, « en 1944, en sainte et doulce France, des femmes aient été promenées dans nos villes, tondues, rasées de tout le corps et nues, avant d’être tuées », mais surtout de ce que pas un seul évêque, pas un seul prêtre de France n’osa prendre leur défense publiquement.
L’ÉPURATION “ LÉGALE ”
Le 26 août 1944, le général de Gaulle défilait sur les Champs-Élysées, entouré des membres du Conseil national de la Résistance, présidé par Georges Bidault. À ce dernier qui le pressait de rétablir la République, il avait répondu sèchement la veille, à l’Hôtel de ville : « La République n’a jamais cessé d’être. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. La France Libre, la France combattante, le Comité de Libération nationale l’ont tour à tour incorporée. Moi-même je suis le Président du Gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? »
Le préfet de police de Paris fut pressé par lui d’activer l’épuration, afin « d’en finir en quelques semaines ». Dans la semaine qui suivit la Libération, on dénombrait déjà plus de quatre mille arrestations en région parisienne. Au début d’octobre, les prisons étant pleines, dix mille prévenus étaient enfermés au Vél’ d’Hiv., ou parqués dans le camp de concentration de Drancy. En France, la Libération entraîna plus de quatre-vingt mille arrestations “ légales ”. L’historien américain Peter Novick constate que, dans la plupart des cas, « on aboutissait “ par instinct ” à une décision et on ajustait ensuite les critères en bonne et due forme, pour doter la jurisprudence de la Commission d’un semblant de système. La nature des délits n’était définie qu’une fois la décision concernant la culpabilité d’un individu prise. »
En réalité, près d’un million de Français ont été touchés par l’épuration de 1944. Et, sur ce million, un dixième furent exécutés sommairement. Adrien Tixier, ministre socialiste de l’Intérieur, avouait en 1946 en se fondant sur les renseignements de ses services, qu’il y avait eu, entre juin 1944 et février 1945, 105 200 exécutions sommaires. Des historiens récents réduisent ce chiffre à 30 000 ou 40 000, tout en signalant que ce ne sont là que des estimations.
Les Cours de Justice et les Chambres civiques entendirent 158 000 causes, elles prononcèrent :
• 2 853 condamnations à mort en présence de l’accusé et 3 910 par contumace,
• 38 266 “ peines privatives de liberté ”,
• 2 777 condamnations aux travaux forcés à perpétuité,
• 10 434 peines aux travaux forcés à temps,
• 2 173 condamnations au régime cellulaire,
• 24 116 peines d’emprisonnement.
• Il y eut aussi 49 723 “ dégradations nationales ” auxquelles il faut ajouter les 46 145 condamnations à la dégradation nationale prononcées par les Chambres civiques.
Qu’on nous pardonne tous ces chiffres, froids et impersonnels, mais on imagine combien de drames personnels et familiaux ils cachent, encore aujourd’hui...
Les lois existantes ne suffisant pas, on créa une juridiction spéciale : des Cours de Justice présidées par un “ magistrat ” assisté par quatre jurés “ résistants ”, tous membres du Conseil de Libération Départemental. Ces Cours prononcèrent des sanctions allant de l’indignité nationale à la peine de mort, en passant par de fortes amendes : confiscation des biens, emprisonnement, travaux forcés. Des Chambres civiques ou Jurys d’honneur (sic !) furent également institués, qui siégeront jusqu’au 31 décembre 1949, intervenant « quand il n’y avait pas crime ». Troisième institution “ libératrice ” : des Cours martiales dont il est impossible de distinguer celles qui étaient présidées par de véritables militaires et celles qui étaient livrées aux mains de FFI ou FTP. Faute d’archives à leur sujet, on ne peut même pas dénombrer aujourd’hui leurs victimes.
Enfin, une Haute Cour de Justice fut créée pour juger le maréchal Pétain, ses ministres et les hauts fonctionnaires ayant servi sous Vichy. Composée de trois magistrats et de vingt-quatre jurés choisis en partie parmi les parlementaires qui n’avaient pas voté la remise des pleins pouvoirs au Maréchal, en partie parmi les Résistants : tous des adversaires !
Ces juridictions d’exception reposaient sur trois postulats : 1° Le gouvernement de Vichy était illégitime. 2° L’armistice n’avait aucune valeur. 3° Les lois nouvelles peuvent être rétroactives du moment qu’elles s’appliquent à des délits nouveaux.
Les historiens estiment à 350 000 le nombre des personnes atteintes par ces mesures d’épuration des Cours de Justice et des Chambres civiques, mais ils sont obligés de constater que 60 % des dossiers étaient vides (H. Rousso, L’épuration en France, une histoire inachevée, in Vingtième siècle, janvier 1992, p. 93).
UN CRIME DE LÈSE-RÉPUBLIQUE
Pour pallier la carence de motifs, on inventa un nouveau délit : l’indignité nationale, sanctionné par une nouvelle peine, la dégradation nationale. C’était une innovation juridique comme il n’y en pas eu depuis la Monarchie de Juillet. La dégradation nationale n’était qu’une forme aggravée de la dégradation civique inventée par les Constituants de 1791 ; encore et toujours la Révolution ! Au-delà du Droit français qui sanctionne comme traîtres « ceux qui ont entretenu des intelligences avec l’ennemi » (article 75), on inventa « une nouvelle catégorie de coupables, inédite par essence, le vichyste, défini comme “ celui qui a servi activement ou spontanément la politique intérieure ou extérieure du gouvernement de Vichy ” » (Marc-Olivier Baruch, Une poignée de misérables, Fayard, 2003, p. 544).
Dès lors, tout Français fidèle au Maréchal pouvait être mis en accusation et condamné au vu de son« attitude générale erronée » sous l’Occupation, même en l’absence de griefs précis. (...) Témoignage chrétienexpliquait sans ambages : « L’Épuration n’est pas la Justice... Elle a sa fin en elle-même, elle se justifie d’abord par sa propre nécessité actuelle. L’Épuration est une mesure de défense républicaine. »
Les conséquences étaient redoutables pour les victimes de cette véritable mort civile : exclusion du droit de vote et d’éligibilité, élimination de la fonction publique, perte de son rang dans l’armée et interdiction de porter ses décorations, exclusion des fonctions de direction dans les entreprises, les banques, la presse et la radio, exclusion de toute fonction syndicale ou professionnelle, exclusion des professions de droit, d’enseignement (même dans les écoles privées), de journalisme ; exclusion des entités liées à l’État comme l’Institut de France, ou l’Académie française, interdiction de garder ou porter des armes, interdiction de résidence dans certains lieux, suspension des pensions ou retraites. Le condamné ne pouvait plus faire partie d’un Conseil de famille, ni être tuteur. Les communistes poussèrent l’aberration jusqu’à exiger la confiscation non seulement des biens passés et présents mais aussi des biens futurs.
Et on condamne Vichy pour ses lois discriminatoires ! « Près de 50 000 personnes furent déclarées indignes nationaux, soit de 200 000 à 250 000 personnes directement touchées, réduites à la pauvreté, parfois à la misère par la perte de travail de celui qui les faisait vivre. » (Dominique Venner, De Gaulle, la grandeur et le néant, 2004, p. 191)
RÉTROACTIVITÉ DES LOIS D’EXCEPTION
De Gaulle et ses amis communistes et démocrates-chrétiens ne s’en tinrent pas là. Bien que l’article 4 du Code pénal français déclare très clairement : « Aucun délit, infraction, crime ne peut être châtié par des peines instaurées après que l’acte a été commis », le CFLN imposa la rétroactivité des lois d’épuration. On pouvait condamner un acte qui n’était pas qualifié comme crime au moment où il avait été commis.
Sans compter que la confiscation des biens, même futurs,de ce “ mauvais citoyen ” créait « un monstre juridique, une sorte de rétroactivité dans le futur puisque tout bien acquis par le condamné après sa condamnation devient immédiatement propriété de l’État » (Baruch, p. 57) !
En trois mois, six textes vinrent encore aggraver ces décisions, le gouvernement de la République manifestant ainsi la permanence de sa volonté d’épuration en adaptant cette nouvelle législation à chaque cas !
Voyons quelques exemples de cette Épuration “ légale ”, sans prétendre à l’exhaustivité car, en vérité, tous les secteurs de la vie nationale furent touchés.
I. LES MAGISTRATS MIS AU PAS
Moins de deux semaines après la Libération, une Commission centrale d’épuration de la magistrature était créée. Il s’agissait de frapper vite et fort, pour que la machine à épurer se mette rapidement en branle. Pas moins de 20 % du corps judiciaire passa devant cette commission. (...) Le président de ladite commission était ancien administrateur de la Chambre des députés sous la Troisième République, et ses collègues appartenaient tous au Front National, à la CGT ou au Mouvement de Libération Nationale : tous des résistants ! On devine selon quels critères les dossiers furent examinés. Or la plupart étaient vides. Cela n’empêcha pas qu’en janvier 1945, 266 juges étaient suspendus de leur fonction avant d’être, pour la plupart, révoqués.
II. LA PRESSE SPOLIÉE
Dès le printemps 1943, le Comité d’Alger prenait des mesures pour juguler la presse de la métropole. Pascal Copeau traçait la voie à suivre : « Tous les journaux, à des degrés divers, ont trahi. Empêcher leur parution est une œuvre de salubrité publique. »
Le Comité Général des Études ainsi que des commissions du Comité National des Journalistes et de la Fédération nationale de la Presse Clandestine décidèrent que les journaux “ collaborateurs ” seraient interdits et leurs imprimeries cédées à la Résistance. Francisque Gay, directeur de l’Aube, avec son slogan : « La presse au service du peuple », et Albert Bayet, ancien secrétaire de la Ligue des Droits de l’Homme,furent les promoteurs de cette nouvelle presse.
Le 21 août 1944, le communiste Marcel Willard, ministre de la Justice du Gouvernement Provisoire de la République Française, recevait une liste de 93 noms de directeurs, rédacteurs en chef, administrateurs de journaux et rédacteurs de la radio à épurer. Ce qui fut fait.
Le 30 septembre, le GPRF édictait une ordonnance sur la presse : tous les journaux ayant paru après le 25 juin 1940 pour la zone Nord, et après le 26 novembre 1942 pour la zone Sud, étaient interdits, leurs imprimeries et leurs dépôts de papier confisqués. Seuls La Croix, dirigée par Alfred Michelin, sur demande personnelle du général de Gaulle, et intervention de Menthon et Teitgen, l’Humanité, intouchable malgré sa “ collaboration ” avec les nazis en 1940, le Figaro et deux ou trois autres furent autorisés à reparaître.
Pourquoi avoir choisi cette date du 26 novembre 1942, qui ne correspondait à aucun fait politique marquant ? Tout simplement parce que le CNR avait décidé d’installer son propre journal dans les locaux du Temps. Comme celui-ci s’était sabordé le 29 novembre 1942, on fixa la date d’interdiction au 26, soit trois jours avant, et le tour était joué !
Dès le premier jour de la Libération, parfois même avant le départ des Allemands, FFI et FTP envahissaient, mitraillette au poing, les locaux des journaux, chassant les légitimes propriétaires pour s’installer à leur place. C’est ainsi qu’au mépris de tout droit de propriété, Combat et Défense de la France remplacèrent L’Intransigeant ; L’Humanité et Le Parisien libéré s’installèrent en lieu et place du Petit Parisien ;Libération et Front National s’emparèrent de Paris-Soir. Ce Matin, organe du MRP, remplaça Le Matin ;Le Monde... Le Temps, etc. (...)
Alors qu’en 1939, la presse de gauche représentait seulement 11 % des lecteurs, en 1944 elle en comptait 48 %, grâce aux bons offices du MRP !
Vinrent ensuite les règlements de compte : Albert Lejeune, patron du Journal de l’Auto, directeur du Petit Niçois et du Républicain de Lyon, fut condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi et exécuté ; Georges Suarez, directeur d’Aujourd’hui, biographe de Briand, fusillé ; Stéphane Lauzanne, rédacteur en chef du Matin de 1901 à 1944, condamné au bagne de l’île de Ré.
Le 5 mai 1945, le gouvernement publiait une nouvelle ordonnance sur la responsabilité criminelle des sociétés de presse. On ne jugeait plus les directeurs mais la société de presse elle-même, avec, à la clef, la dissolution et la confiscation des biens. C’est que les journaux résistants craignaient d’avoir à rendre les imprimeries volées ! La loi du 11 mai 1946 consacrait l’expropriation des anciens journaux, en créant la Société Nationale des Entreprises de Presse (SNEP) présidée par Pierre-Bloch, qui se chargeait de revendre ou louer à bail les locaux confisqués. La priorité fut donnée, comme on pouvait s’y attendre, aux occupants du moment. L’argument avancé était sans réplique : « Nous avons les mêmes titres à occuper les locaux de ces journaux, que le général de Gaulle à occuper l’hôtel de la rue Saint-Dominique. »
La SNEP se trouva d’un coup gérante de 165 immeubles, 286 imprimeries, et liquidataire de 482 journaux ! On ne s’étonne plus du pesant silence de cette presse serve du pouvoir autour des procès de la Libération.
III. INTELLECTUELS ET ÉCRIVAINS
En septembre 1944, le Conseil National des Écrivains (CNE), contrôlé par les communistes, demanda l’épuration des écrivains “ Kollabos ”. 160 écrivains et journalistes furent ainsi frappés d’interdiction professionnelle. Simone de Beauvoir, membre du CNE, aura ce mot terrible : « Certains hommes n’avaient plus leur place dans le monde qu’on tentait de bâtir. » Parmi les membres de ce conseil d’épuration, on trouvait : Louis Aragon, Albert Camus, Georges Duhamel, André Malraux, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, et même, pendant un temps, Gabriel Marcel.
Il nous faut citer, au premier rang des victimes, Charles Maurras qui, lors de son procès, arborait la francisque pour marquer sa fidélité au Maréchal. (...) Le vieux lutteur se battit pied à pied, démontrant l’inanité de pareilles accusations. « C’est la revanche de Dreyfus », s’exclama-t-il à la lecture du verdict de condamnation à mort et à la dégradation nationale, peine commuée en réclusion à perpétuité. Les démocrates-chrétiens prenaient aussi leur revanche sur celui qui n’avait cessé de les dénoncer comme “ des factieux malfaisants ”, pacifistes avant la guerre mués en “ bellicistes acharnés ”. Maurice Pujo écopa, lui, de cinq ans de prison, aggravés d’une amende de vingt mille francs et de la dégradation nationale.
Henri Béraud, prix Goncourt 1922, avait été polémiste dans le journal Gringoire. « Son dossier est à peu près vide ou pleins d’erreurs, mais la pression des journaux issus de la Résistance est forte sur les jurés. (...) » (Assouline, p. 42) Mais il avait critiqué les bombardements anglo-américains et brocardé tous les ténors de la IIIe République. Il lui fallait payer cette liberté (cf. Yves-Frédéric Jaffré, Les procès de l’épuration, p. 168). Béraud fut condamné à mort, peine commuée en travaux forcés au bagne de l’île de Ré.
Robert Brasillach s’était livré lui-même à la police pour sauver sa mère. Il fut condamné à mort et fusillé. Les communistes ne lui pardonnaient pas d’avoir révélé les véritables auteurs du massacre de 4 000 officiers polonais à Katyn.
Le capitaine de vaisseau Paul Chack était un fidélissime du Maréchal qui, disait-il, « commande le cuirassé France ». Tour à tour canonnier, torpilleur, hydrographe, commandant de sous-marin et de contretorpilleur durant la Grande Guerre, il était l’auteur de livres remarquables sur les exploits de la Marine française qui lui valurent la médaille d’or de la Ligue maritime et coloniale en 1926. Devenu vice-président de la Société des Gens de Lettres et président de l’Association des Écrivains anciens combattants, il présida aussi le Comité d’action antibolchevique et, pour ce motif, fut accusé de “ félonie ” et fusillé le 9 janvier 1945.
Jean Hérold-Paquis fut condamné à mort et exécuté. Il avait osé attaquer « le général Leclerc et ses soudards qui assassinent tous les jours en Alsace », et dire la vérité... sur Oradour-sur-Glane.
Jean Luchaire, républicain de gauche et coopérateur de Briand dans les années 30, soutint devant ses juges être resté fidèle à la politique de réconciliation franco-allemande de son maître, ce qui était bien vrai, tout en dénonçant de Gaulle “ le félon ” et “ nos ennemis ” : les Américains, les Anglais et les Russes. Condamné à mort, il fut exécuté le 22 février 1946, après s’être confessé et avoir communié.
Le Conseil National des Écrivains publia une liste noire d’auteurs interdits, parmi lesquels figuraient René Benjamin, Jacques Benoist-Méchin, Georges Blond, André Castelot, Louis-Ferdinand Céline, Bernard Faÿ, Jean Yole, etc. Leurs livres furent interdits et mis au pilon parce qu’ils « s’inspiraient des principes de la révolution nationale ou de l’idéologie pétainiste ».
On s’en prit aussi aux éditeurs. Grasset, « le Gauleiter de l’édition », dut son salut à l’intervention personnel de Mauriac, Gallimard au fait d’avoir publié les œuvres de Jean-Paul Sartre et de Camus. Quant à Robert Denoël, il fut assassiné alors qu’il s’apprêtait à faire des révélations sur les compromissions de certains éditeurs, dits “ résistants ”, avec l’occupant (...). Hachette, au contraire, en dépit de ses liens avec la Propaganda allemande, échappa au règlement de comptes, grâce à son directeur, Robert Meunier du Houssoy, qui faisait parti du Comité d’Épuration...
IV. L’ARMÉE DÉCIMÉE
L’épuration de l’Armée avait commencé à Alger. Le 21 juillet 1943, de Gaulle profitait d’un voyage de Giraud aux États-Unis pour limoger quatre cents officiers de l’Armée d’Afrique, jugés encore trop maréchalistes malgré leur ralliement. Une deuxième épuration fut opérée par André Le Troquer, une crapule devenue ministre de la Défense nationale du GPRF, atteignant 1 500 militaires. Le même Le Troquer créait des régiments spéciaux pour ceux qui « n’étaient pas dignes de servir avec de bons Français » mais qui pourraient se racheter en payant leur dette de sang !
Cependant, ces premières mesures épuratoires ne furent pas radicales, car les combats n’étaient pas terminés. Le commissaire à la Guerre André Diethelm attendit le 27 août 1944 pour signer à Paris une circulaire mettant en disponibilité l’ensemble des officiers de l’Armée d’Armistice, à l’exception de ceux qui avaient fait de la Résistance ou rallié les FFI au moment de la Libération. Cinq mille officiers furent ainsi destitués. Le 22 septembre 1944, une Commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires était créée sous la présidence du général Matter. Tous les FFI qui le désiraient étaient intégrés dans les cadres de l’armée régulière avec leur grade de la résistance.
Le 12 mars 1945, la Haute Cour de Justice se réunissait sous la présidence du président Mongibeaux pour juger l’amiral Estéva, résident général de Tunisie ; le 18 avril, c’était au tour du général Dentz, ancien Haut-Commissaire en Syrie et commandant en chef des armées du Levant, deux magnifiques serviteurs de l’Empire français et de la Révolution nationale. Ces deux procès annonçaient celui du Maréchal. Estéva fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, à la dégradation militaire et nationale avec confiscation de ses biens. Dentz fut condamné à mort et sa peine commuée en détention perpétuelle, ainsi qu’à la dégradation militaire. Il mourut de froid et de mauvais traitements en prison en décembre 1945.
De son côté, le général Weygand, libéré le 5 mai 1945 des camps allemands par les Américains, fut mis en état d’arrestation par le général de Lattre sous l’inculpation de “ trahison et d’indignité nationale ”. Incarcéré à Fresnes, puis transféré pour raison de santé au Val-de-Grâce, par trois fois de Gaulle exigera sa réincarcération. Comme il fallait laisser la place aux “ résistants ”, 26 779 officiers des trois armes furent dégagés des cadres ou admis à la retraite. Simultanément, 10 000 officiers FFI ou FFL étaient titularisés.
V. LA ROYALE DÉCONSIDÉRÉE
Les chefs de la Marine française, ayant largement servi sous le Maréchal, furent les cibles privilégiées de la passion épuratrice des libérateurs.
Les arrestations commencèrent à Alger, lorsque le CFLN fit jeter en prison, avec les condamnés de droit commun, le vice-amiral Derrien, commandant en 1942 le camp retranché de Bizerte. (...) Puis cela continua en métropole, avec Abrial, de Laborde, Bléhaut, de Marquis, Robert... qui se retrouvèrent sous les verrous. Et l’on apprit avec stupeur, de la bouche même de M. Edmond Michelet, ministre des Armées, qu’il avait fallu, d’une façon ou d’une autre, éliminer 97 % des officiers généraux de la Marine (J. O. du 4 avril 1946). Ainsi, 119 des chefs que des générations de marins avaient appris à vénérer étaient des traîtres ou des incapables ?
Derrien mourut au bagne, Laborde fut condamné à mort et sa peine commuée en quinze ans de détention. Quant au vice-amiral Platon, l’héroïque commandant d’armes de Dunkerque, et l’énergique ministre des Colonies à Vichy, il n’eut pas à comparaître, puisqu’il fut assassiné par un maquis FTP de Dordogne, le 17 août 1944.
VI. L’ÉPISCOPAT TERRORISÉ
Sur ce chapitre encore, dès septembre 1943, une liste d’ecclésiastiques à épurer était établie dans la clandestinité. Plusieurs d’entre eux, comme l’abbé Sorel, curé de la Grâce-de-Dieu à Toulouse, l’abbé Bonnet, chef de la Légion de Périgueux, ou encore l’abbé Mandaroux, curé de Saint-Privas, furent assassinés par la Résistance en raison de leur soutien au Maréchal.
Au moment de la Libération, ce fut un déchaînement. L’abbé Niort, curé de Tautavel, âgé de 65 ans, eut le thorax enfoncé et les côtes cassées. On lui arracha les ongles, les cheveux et des lambeaux de chair avec des tenailles. Condamné par une “ Cour martiale ”, il fallut lui faire des piqûres pour qu’il tienne jusqu’au poteau. Dès qu’il s’effondra, la foule se précipita sur son cadavre. Des femmes le frappèrent, des hommes urinèrent sur lui... Quelques mois plus tard, il sera réhabilité à titre posthume (cf. D. Venner, Histoire critique de la Résistance, Pygmalion, 1995, p. 427).
En janvier 1944, Joseph Hours, le théoricien impénitent des catholiques résistants lyonnais, écrivait dans ses Cahiers politiques : « À la France renouvelée, il faut un épiscopat neuf. (...) » (Jacques Duquesne, Les catholiques français sous l’occupation, Grasset, 1966, p. 438)
Dès le mois de juillet, une liste fut établie de vingt-sept évêques sur quatre-vingt-sept, plus un coadjuteur et deux auxiliaires, dont les résistants chrétiens demandaient la démission. Georges Bidault disait alors : « Il faut me bazarder tous ces gens-là. » (Michèle Cointet, L’Église sous Vichy, Perrin, 1998, p. 346)
Ce furent les catholiques du Gouvernement provisoire qui se montrèrent les plus opiniâtres partisans de l’épuration épiscopale : Bidault, ministre des Affaires étrangères, Menthon, ministre de la Justice et Teitgen, ministre de l’Information. Le Père Chenu fut lui aussi parmi les plus acharnés. Ces bons apôtres dénonçaient le christianisme “ défiguré ”, l’attitude “ naturaliste ”, c’est-à-dire mêlant politique et religion, des évêques sous la Révolution nationale. Quelle hypocrisie de la part de ces esclaves du nouveau pouvoir !
En décembre 1944, mandaté par le gouvernement, Mgr Théas, évêque “ résistant ” de Montauban, se rendit à Rome en compagnie de Charles Flory, l’ancien président de l’ACJF, gendre de Maurice Blondel. Ils étaient chargés par Bidault d’obtenir du Vatican le départ du nonce, Mgr Valerio Valeri. Officiellement, de Gaulle n’avait rien à lui reprocher, exigeant seulement son départ à cause de son accréditation auprès du Maréchal. En réalité, il ne pardonnait pas à Mgr Valeri d’avoir fait état de la protestation du Maréchal, lors de son arrestation par les Allemands en août 1944. Son témoignage ruinait la thèse de la prétendue “ fuite ” du Maréchal sous la protection du IIIe Reich.
UN NOUVEAU RALLIEMENT
Sur la recommandation conjuguée de Mgr Théas et de Flory, chaleureusement reçus par Mgr Montini, substitut à la secrétairerie d’État, Pie XII accepta de reconnaître le Gouvernement provisoire et de remplacer Mgr Valeri par Mgr Roncalli. Le discours que ce dernier prononça à son arrivée à Paris était, sous des phrases anodines, une nouvelle déclaration de ralliement de l’Église à la République française :
« Grâce à votre clairvoyance politique et à votre énergie, ce cher pays a retrouvé sa liberté et sa foi dans ses destinées... La France reprend ainsi sa traditionnelle physionomie et la place qui lui revient parmi les nations... Avec son amour de la Liberté... elle saura montrer le chemin qui, dans l’union des cœurs et dans la justice, amène finalement notre société vers des périodes de tranquillité et de paix durable. » (Peter Hebblethwaite, Jean XXIII, le pape du Concile, Le Centurion, 1988, p. 224)
Fort du soutien de Mgr Montini et de Jacques Maritain, nommé ambassadeur de France auprès du Vatican, Mgr Roncalli obtint du Pape « qu’il accepte le principe du départ de quelques évêques : il recevra la démission spontanée, ou plutôt raisonnée, des plus compromis » (P. Dreyfus, Jean XXIII, Fayard, 1979, p. 111).
La liste des indésirables fut réduite à sept, et le prétexte avancé fut l’odium plebis, c’est-à-dire la haine des fidèles rendant impossible l’exercice du ministère. Citons les noms de ces glorieux épurés, fidèles jusqu’au bout au Maréchal : Mgr de La Villerabel, archevêque d’Aix, Mgr Dutoit, évêque d’Arras, qui, comme son collègue d’Aix, avait dénoncé « les rapines et les vengeances des bandits » de la Résistance et « la guerre civile excitée par ces assassins » ; Mgr Auvity, évêque de Mende, qui avait interdit à ses séminaristes d’entrer dans la Résistance ; Mgr Beaussart, évêque auxiliaire de Paris, Mgr Vielle de Rabat, Mgr Poisson de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Mgr Grimaud de Dakar. Quant à l’évêque de Saint-Brieuc, Mgr Serrant, qui avait critiqué le débarquement allié en Normandie, il se vit imposé un coadjuteur.
Fort de sa victoire, le gouvernement exigea la nomination au cardinalat des prélats gaullistes : Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, Mgr Roques, de Rennes, et Mgr Petit de Julleville, archevêque de Rouen.
UN SILENCE ACCABLANT
À notre connaissance, un seul homme d’Église osa élever la voix contre les crimes de l’épuration : ce fut le R. P. Panici. Lors de son sermon de Carême à Notre-Dame de Paris, le 25 mars 1945, il prononça ces paroles : « Hélas ! Que de disciples les Allemands ont-ils trouvé ! Nous attendions avec ferveur notre libération des Allemands, et quelle joie l’accompagna. Hélas ! notre joie d’être délivrés des Allemands fut vite en partie gâchée par l’évidence que nous restions loin d’être affranchis en entier des procédés et des cruautés à l’allemande... Quel horrible avenir appellent sur nous ces sadiques, ces hommes de sang et de mort, ces tigres à face humaine : des années d’assassinats légaux ou privés, de tortures et de haine ; un régime d’abattoir. Oui, un avenir effroyable, oui, un régime d’abattoir, car, ici encore les témoignages abondent, la contagion existe ; le mal se propage, des gens deviennent sanguinaires. » (Le Christ et la Révolution, Spes, tiré à part du 25 mars 1945, p. 9)
François de Menthon, le garde des Sceaux, fit savoir au cardinal Suhard que le R. P. Panici coucherait le soir même sur la paille d’un cachot de Fresnes. Le cardinal défendit le prédicateur : « Cette mesure sera plus préjudiciable au ministre qu’au prédicateur. J’ai entendu le discours dont on prétend lui faire crime. Ce qu’il affirme est malheureusement exact. »
Le Père Panici ne fut pas jeté en prison, mais, l’année suivante, le R. P. Riquet, bon “ résistant ” et courtisan, le remplaçait. Comme le constate le chanoine Desgranges, ex-député démocrate populaire : « Jamais un ministre communiste n’aurait obtenu, aussi vite et aussi discrètement, la disparition, comme dans une trappe, d’un prédicateur éminent, et il fut beaucoup plus adroit de la part des communistes d’opérer par personnes dévotes interposées. » (Les crimes masqués du résistantialisme, Paris, 1948, p. 123)
Comment expliquer ce silence de l’épiscopat de France, « le corps social le moins touché par l’épuration » (F. Rouquet) ? L’effet de terreur suffit. La condamnation de quelques-uns conduisit les autres à se taire ou à se rallier ouvertement au nouveau pouvoir. Il faut dire aussi que « Pie XI s’était livré, depuis la condamnation de l’Action française, à un sérieux ménage : 49 sièges touchés sous la nonciature de Mgr Maglione (1926-1936) et 12 du début de la nonciature de Mgr Valeri à la déclaration de guerre, soit 70 % du total » (Étienne Fouilloux, Les chrétiens français entre crise et libération, 1977, p. 178).
N’oublions pas non plus les consignes données par Pie XII à son nonce, dès 1942, de ne pas se compromettre avec le gouvernement du maréchal Pétain jugé “ instable ”. Dans son discours de Noël 1944, le même Pie XII exaltait les vertus de la démocratie. « Héritier de l’esprit de Léon XIII, écrit l’abbé de Nantes, Pie XII avait une répugnance à neutraliser le traître, voulant croire à l’honnêteté fondamentale et aux promesses des hommes, ayant fait carrière exclusivement à la secrétairerie d’État, et principalement sous Pie XI, il était imbu de démocratie sociale, politique et internationale. » (CRC n° 97, octobre 1975, p. 5)
VII. L’ADMINISTRATION ÉPURÉE
En septembre 1943, le Comité d’Alger programmait l’épuration de l’administration « du sinistre Pétain et de ses odieux complices ». Comme Roosevelt était déjà intervenu en faveur de Pierre Boisson, Marcel Peyrouton et Pierre-Étienne Flandin, anciens ministres et gouverneurs du Maréchal, Emmanuel d’Astier de La Vigerie déclara au nom du Comité : « Ni le ciel, ni la Grande-Bretagne, ni l’Amérique ne pourront empêcher la purge. »
On trouva une première victime dans la personne de Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur à Vichy en 1941-1942. Il était venu, le malheureux, se placer sous la protection du général Giraud à Alger. Trahissant la parole donnée, Giraud le mit en résidence surveillée, puis consentit à l’ouverture de son procès. Les communistes avaient juré qu’ils auraient sa peau, car Pucheu leur avait mené la vie dure à Vichy. Après un simulacre de procès, il fut condamné à mort et de Gaulle refusa sa grâce, en termes gaulliens : « Dans la tragédie à laquelle nous participons, alors que le monde entier souffre, les individus ne comptent pas ; notre seul guide doit être la raison d’État. »
Le jour venu, après avoir assisté à la messe, il demanda que lui soit présenté le commandant du peloton d’exécution, lui serra la main et lui dit : « Monsieur, je prends votre place. C’est moi qui donnerai les ordres. Vous allez me présenter vos hommes, je tiens à leur serrer la main. » Puis il s’adressa aux douze militaires du peloton : « Messieurs, je vous pardonne d’avance. Vous obéissez à des ordres, vous n’êtes pour rien dans cet assassinat politique, je ne vous en veux pas. Je vous garde toute mon estime. » Il baisa le crucifix, embrassa l’aumônier et vint se placer devant le poteau. « Êtes-vous prêts, Messieurs ? » Et, levant le bras droit : « En joue ! Feu ! » Il tomba les bras en croix.
Deux semaines plus tard, le 4 avril 1944, les communistes entraient au CFLN. De Gaulle avait scellé dans le sang de ce Français patriote son alliance avec les communistes. Le plus scandaleux était que François de Menthon avait présidé à cette parodie de justice. L’avocat de Pucheu, Me Buttin, eut le courage de lui écrire : « Vous êtes chrétien comme moi. Oh ! je sais qu’il y a des jours où il est dur d’être chrétien. Mais si nous, chrétiens, nous nous conduisons exactement comme les autres, de qui sommes-nous les témoins ? Si, comme les autres, nous obéissons à toutes les passions partisanes sans chercher à les dominer, à quoi sert-il d’être chrétien ? »
L’ordonnance du 27 juin 1944 appliqua la législation d’Alger à la métropole. Les premiers atteints furent les préfets : tous furent démis de leur fonction pour crime de fidélité au Maréchal. Un certain nombre le payèrent de leur vie. 11 343 fonctionnaires furent condamnés et 5 000 d’entre eux démissionnés.
Pour ne prendre que l’exemple des PTT, 3 528 dossiers furent transmis devant la Commission centrale de l’Épuration pour les Communications. LesComités de Libération avaient comme consigne de rechercher « ceux qui ne présentent pas les garanties de dévouement, de courage civique et de moralité indispensables pour servir dignement et sans défaillance les institutions républicaines » (F. Rouquet, L’Épuration dans l’administration française, p. 42). Un receveur fut ainsi condamné pour « avoir tenu des propos désobligeants à l’égard des alliés », après un bombardement particulièrement meurtrier ; un autre pour « collaboration avec l’ennemi », un officier allemand l’ayant, sous la menace d’un revolver, obligé à réparer une ligne téléphonique coupée. La CGT en profita pour éliminer tous les syndicalistes non communistes.
VIII. POLICIERS ARRÊTÉS
Deux semaines après la Libération, 700 policiers parisiens furent arrêtés par la cellule communiste de leur propre brigade. Vers la fin de l’année, 5 000 étaient suspendus de leur fonction. Les historiens estiment qu’un policier sur cinq fut sanctionné.
Rotté, chef des Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris, fut condamné à mort et exécuté. Il avait eu sous ses ordres directs les brigades spéciales anticommunistes. Le commissaire David, chef d’une de ces brigades, subit le même sort. Pour sa défense, David affirma n’avoir jamais poursuivi des résistants en tant que tels, mais exclusivement les communistes en vertu du décret pris en 1939 par Daladier. En disant cela, il signait son arrêt de mort. Son avocat, Me Louis Guitard qui, lors de sa plaidoirie, s’en était pris au parti communiste, fut mis en prison ! Martin, le directeur général de la gendarmerie, fut lui aussi condamné, alors qu’il avait su conserver l’indépendance de la gendarmerie vis-à-vis des Allemands, réussissant même à faire hisser le drapeau tricolore et chanter l a Marseillaise par ses hommes le 14 juillet 1942 dans Paris occupé !
IX. MÉDECIN POURSUIVI
Comment ne pas évoquer ici le souvenir de notre cher docteur Petit, qui fut, sous le Maréchal, médecin-chef au camp n° 6 des Chantiers de Jeunesse ? Alors qu’il cherchait à se créer une nouvelle clientèle près de Boulogne-sur-mer, il apprit qu’il venait d’être condamné à mort par contumace, en conséquence d’une dénonciation de l’abbé Lemaître, ancien aumônier des Chantiers avant de l’être du Maquis ! Le “ crime ” de notre ami était d’être maurrassien, c’était la seule accusation que contenait son dossier. Proscrit pendant quatre ans, il dut vivre de la charité de ses amis.
X. LE MARXISME À L’ÉCOLE
Des commissions d’épuration se formèrent dans les universités, les lycées, les collèges et même dans les écoles primaires. 5 091 dossiers furent ensuite transmis au Conseil supérieur d’enquête pour l’éducation.
C’est ainsi qu’Henri Boegner, le grand ami de notre Père, fondateur des Cercles Fustel de Coulanges, comparut le 23 août 1944 devant le Comité du Front National du lycée Molière où il enseignait comme professeur agrégé de philosophie. Ce Comité était composé de deux collègues féminins ainsi que de femmes de ménage ! On lui reprocha son soutien indéfectible au Maréchal, sa participation au Congrès du Mont-Dore en avril 1944, mais surtout son opposition motivée et combative à “ l’école unique ” que les communistes Langevin et Wallon entendaient imposer à la faveur de la Libération. Cette réforme commença à produire ses méfaits sur les enfants de France à partir de 1947. Elle « s’inscrivait dans une tradition instaurée par la Révolution française : faire de l’école l’outil de la transformation de la société, par l’apprentissage de la démocratie » (P. Boutang et S. Etya, Le plan Langevin-Wallon, une utopie vivante, PUF, 1998, p. 38).
En un mot, il s’agissait de faire de chaque enfant un bon citoyen, entendez : un bon électeur. Sous prétexte du « droit égal de tous les enfants au développement maximum de leur personnalité, sans autre limite que celle de leurs aptitudes », on supprima le latin et le grec au profit des sciences et des mathématiques, on imposa la méthode globale de lecture, etc. L’enfant devait tout découvrir par lui-même, « les interventions des adultes étant réduites au minimum, les maîtres n’ayant qu’un rôle de témoins et de conseillers ». L’État omnipotent a pris la place. C’était « le marxisme à l’école », comme le dénonçait en 1948 Jean Rolin.
Briser l’influence familiale considérée comme facteur d’inégalité sociale, détacher l’école du métier et de la société locale, tel était le programme de ces démons ! « En changeant toute la pédagogie, on allait empêcher les parents de s’y retrouver, puisqu’ils seraient confronté à un univers qui leur était complètement inconnu. Les parents devaient alors faire totalement confiance à l’école et, partant de là, les parents se retrouvaient hors circuit. Ainsi, tous les enfants se retrouvaient sur un plan d’égalité ! » (Ghislaine Wettstein-Badour,Étude de la méthode globale, 1999)
Plus profondément, cette réforme visait à contrecarrer l’influence de l’Église au moyen d’une laïcité offensive et déclarée. Et nos évêques acceptèrent cela en 1945 ! Après le silence sur l’Épuration, c’était, en germe, leur ralliement à la Révolution marxiste !
XI. ÉPURATION ÉCONOMIQUE
L’ordonnance du 18 octobre 1944 instaurait des Comités Départementaux de Confiscation des profits illicites (!), des Comités régionaux Interprofessionnels d’Épuration et une Commission Nationale Interprofessionnelle d’Épuration, chargés de mettre en œuvre les nationalisations prévues dès 1943 par le CNR. (...)
Ce fut d’abord la nationalisation des usines dirigées par des “ Kollabos ”, tels que Renault, Berliet (automobiles), Gnome et Rhône (moteurs d’avions), Francolor (produits chimiques). Curieusement, sur les dix-sept industriels de l’automobile qui avaient travaillé pour les Allemands, seuls Renault et Berliet étaient accusés. Marius Berliet et ses quatre fils furent condamnés et leurs usines confisquées pour avoir livré « toute leur production » à l’ennemi. En réalité, ils détenaient « le record de la plus faible production en faveur de l’Allemagne : 2 239 unités en tout et pour tout » (Anne de Malet, Marius au poteau, Historia n° 41, 1975, p. 136).
Quant à Louis Renault, il fut inculpé pour “ atteinte à la sûreté de l’État ”, le 2 septembre 1944. Bien que son dossier fût vide, il sera maintenu en prison. Comme le gouvernement avait décidé la nationalisation de l’usine, le procès avait pour but de proclamer sa déchéance et de confisquer ses biens. Pour étoffer un dossier désespérément vide, l’inspecteur Guy fut nommé pour mener une enquête sur place. Après interrogatoire des cadres et des ouvriers, surtout des communistes, il dut conclure à l’innocence de Renault. (...)
Louis Renault n’en fut pas moins mis au secret à Fresnes. Âgé de 67 ans, il souffrait d’urémie. Durant la nuit, ses gardiens venaient le frapper. Son calvaire dura un mois. Il expira le 24 octobre 1944 de « complications cérébrales d’origine vasculaire ». C’est du moins ce que conclut officiellement le rapport du médecin légiste. Christiane Renault, sa femme, restera persuadée que son mari avait été assassiné. (...)
Dans un premier temps, les usines furent confiées à un administrateur, résistant et socialiste, Pierre Lefaucheux, dont le premier souci fut de constituer à l’intérieur de l’entreprise un comité d’épuration. Les gaullistes du gouvernement, parmi lesquels figurait André Diethelm, un ancien de chez Renault renvoyé pour incompétence, cherchèrent à nationaliser Renault sans indemniser les actionnaires. (...)
Ce fut ensuite la nationalisation ou plutôt la réquisition de la société Gnome et Rhône qui fabriquait des moteurs d’avions. (...) Furent également nationalisées les sources d’énergie (Charbonnages, Gaz et Électricité de France), les moyens de transports urbains (RATP), les usines d’armement... Le projet de nationalisation des grandes banques du Front populaire fut repris :Crédit Lyonnais, Société générale, BNP, Paribas. Craignant la réaction des déposants, la loi fut présentée un vendredi après la fermeture de la Bourse. Une procédure d’urgence fut adoptée par l’Assemblée, si bien que, le dimanche après-midi, la loi était votée. La Bourse pouvait rouvrir ses portes le lundi matin sans crainte de crash !
XII. DES SAVANTS REJETÉS
Le physicien Georges Claude fut accusé d’avoir livré aux Allemands le secret des V1. Il n’en était rien ; mais le véritable motif de son inculpation était celui-ci : « Au lendemain de la guerre de 14-18, s’est déclaré l’adversaire de la démocratie parlementaire », en adhérant à l’Action française. Lors du procès, le procureur général Vassart ne put retenir sa fureur : « Issu du peuple, vous avez trahi ces lois démocratiques dont vous avez profité, comme vous deviez plus tard, et pour les mêmes raisons, trahir votre patrie. La République n’a pas besoin de savants comme vous, acquis aux forces de réaction, de régression, de ténèbres. Votre réputation de savant, vos titres, vos décorations, vos cheveux blancs, tout cela doit peser sur vous à charge dans la balance. » (cité par Jaffré,p. 184-185) Georges Claude fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
XIII. L’AGRICULTURE SACRIFIÉE
Évoquons pour terminer la Corporation paysanne, la plus belle réalisation de la Révolution nationale, aboutissement de cinquante ans de syndicalisme agricole. Dès la Libération, le nouveau ministre de l’Agriculture, Tanguy-Prigent, supprima cette institution au profit d’une Confédération Générale de l’Agriculture, qui ne dura pas deux ans. Un mandat d’arrêt fut lancé contre Guébriant, qui avait été l’un des plus efficaces promoteurs de la Corporation paysanne, et qui fut interné neuf mois durant dans un camp, sans aucun jugement.
Pierre Caziot, ministre de l’Agriculture du Maréchal, fut lui aussi frappé d’indignité nationale par l’arrêt du 21 mars 1947. Son crime était d’avoir servi à Vichy. On ne lui tint aucun compte d’avoir nourri pendant quatre ans des millions de Français ! Et tant d’autres furent emprisonnés, dépossédés de leurs biens et de leur honneur, dont le seul crime était de représenter la France traditionnelle, paysanne et catholique.
LEQUEL EST CATHOLIQUE ?
À la mort de l’amiral Estéva, en 1951, l’abbé de Nantes publiait un article dans Aspects de la France, intitulé : « Qui des deux est catholique ? » (2 février 1951) De l’amiral, dégradé par une inique sentence, mais dont la loyauté et la pratique « furent celles de tous les saints du passé », ou de François Mauriac, le parangon du catholicisme moderne, qui s’était fait complice de cette vilenie ? L’un est mort condamné par le parti de l’autre. Mais celui-ci, dans une confession publique sur les ondes, révéla l’inconsistance de sa foi.
Amicus commentait :
« Le déshonneur qui reste attaché, par la servilité du grand nombre et leur peur durable d’un Pouvoir révolutionnaire, à la personne des notables de notre pays sape les convictions, nous jette dans le dédale des hésitations d’un Mauriac. Un tel état mental met en danger chez nos jeunes chrétiens les sentiments les plus vifs. Quand le doute et les choix tortueux encombreront leurs âmes, les vertus s’envoleront sans retour ! L’irréparable drame de la Libération est là ; la cascade des injustices, des rébellions, des retournements étend l’immoralité, des hautes sphères des illégitimes partis jusqu’aux moindres citoyens contraints de taire leur indignation, d’accepter la forfaiture, finalement d’y mettre la main !... Quatre ans de Révolution nationale ont démontré amplement que tout un monde chrétien, représentant bien des nuances doctrinales, était d’une loyauté et d’une fidélité au-delà de tout soupçon : c’est lui qui devrait être montré, désigné comme la couronne de l’Église, l’élite de ses fidèles... La vertu de l’Église est de préférer les persécutions, et à travers celles-ci la victoire. »
Extraits de Il est ressuscité ! n° 40, novembre 2005, p. 19-30