Le général de Sonis

Soldat du Christ et de l’Immaculée

LOUIS-GASTON de Sonis est né en Guadeloupe en 1825, d’un lieutenant et d’une jeune créole qui eurent cinq enfants. De ses premières années, Gaston garda des souvenirs enchanteurs qui gravèrent en son cœur l’amour de Dieu et de ses parents. Il buvait avec avidité toutes les leçons paternelles, dont l’attachement à la Monarchie. Cependant lorsqu’il eut sept ans, son père rentra en France pour les nécessités du service et le prit avec lui. Sa chère maman, retenue auprès de son vieux père mourant, décèdera à son tour d’une fièvre maligne trois ans plus tard, avant d’avoir pu rejoindre son mari.

Colonel de Sonis
Colonel de Sonis

Ne pouvant suivre son père dans sa vie de garnison assez mouvementée, Gaston fut confié d’abord aux soins de sa grand-mère, puis mis en pension chez les Jésuites et les Oratoriens. Années difficiles pour ce petit oiseau des îles, mais il y prit « grand goût » à l’instruction religieuse et fut reçu dans la Congrégation de la Sainte Vierge. Il fit sa première communion « avec un sérieux au-dessus de mon âge, avec une foi et un amour de Dieu ardents ». Il était apprécié par tous, comme l’écrit un ancien élève : « Sonis était par excellence le camarade sympathique, celui auquel on s’attachait tout de suite et pour la vie... Dignité, aménité et simplicité parfaite, une piété véritable, forte, modeste et douce. »

Il prépara ensuite les grandes Écoles, séjournant dans plusieurs pensions où régnaient l’immoralité et l’irréligion. Abandonné à lui-même, il traversa alors une période difficile. Après avoir passé les vacances de 1844 en famille autour de leur père tant admiré, les enfants de Sonis apprirent bientôt que ce père bien-aimé, victime d’une hémorragie, se mourait... Gaston se précipita, juste à temps pour recevoir la bénédiction paternelle. Nuit terrible, passée avec ses sœurs au chevet du mort : « Ô mon Dieu ! Vous savez ce que j’ai souffert alors... »

Au petit matin, les orphelins éplorés virent entrer un prêtre qu’ils ne connaissaient pas, mais qui leur adressa des paroles d’infinie compassion. « Chacune de ses paroles portait ; pas un mot qui n’eût un sens pénétrant. Dès le commencement, mon cœur s’était ouvert à deux battants, avide d’entendre ces accents dont j’étais déshabitué depuis plusieurs années. Quand il nous quitta, j’étais converti. Jésus-Christ avait repris possession de mon cœur. » Quinze jours plus tard, Gaston de Sonis entrait à Saint-Cyr. Il serait soldat, certes, mais “ soldat du Christ ”, comme l’indique ces seuls mots qu’il fera graver plus tard sur sa tombe !

Ses trois années d’apprentissage militaire ne furent pas faciles. Sans fortune et bénéficiant d’une bourse, il avait à charge ses frères et sœurs. À Saint-Cyr régnait à l’époque un fort esprit voltairien. Ceux qui avaient choisi de s’afficher ouvertement comme catholiques étaient l’objet des railleries de leurs camarades. Ayant terminé 89e sur 280, il choisit la cavalerie à Saumur, d’où il sortit avec cette appréciation étonnante : “ Officier capable, cavalier artiste, timide et mélancolique. « C’est la première et la dernière fois, écrit Patrick de Ruffray, que la “ timidité ” du cavalier Sonis nous est signalée. Pendant quarante ans, ses notes ne parleront plus que de sa hardiesse. Quant à sa mélancolie, qu’explique la solitude morale dans laquelle il se trouve pour conserver sa pureté d’enfant dans un milieu passablement dépravé, lui-même n’a cessé de la pourchasser comme son principal défaut. » (Le procès du centurion, p. 32)

Un jour de permission, il s’échappa de l’école de cavalerie et se rendit à Solesmes pour une retraite d’une journée. Le soir venu, au moment de repartir, un jeune moine lui demanda à brûle-pourpoint : « Pourquoi ne restez-vous pas avec nous ? » Il répondit modestement : « Parce qu’il n’y a pas en moi l’étoffe d’un bénédictin. » Il s’était néanmoins engagé ce jour-là : « Je promis au divin Maître que, aidé par sa grâce, je ne lui refuserai rien. Il ne faut pas marchander avec Dieu. »

LA DOUCE RENCONTRE

Gaston de Sonis et AnaïsIl fallait à cette âme d’élite une âme sœur. En avril 1848, Sonis, nommé sous-lieutenant au 5e Hussards, gagnait Castres. Tout le monde était aux fenêtres pour voir passer les beaux hussards. Sonis et un ami caracolaient l’un à côté de l’autre en devisant sur une jeune personne de la garnison : mademoiselle Anaïs Roger, fille du notaire-avocat. Elle apparut précisément à la fenêtre, juste au moment où passait l’escadron de Sonis. Celui-ci leva les yeux... Il suffit d’un regard pour que les deux cœurs bondissent et se donnent l’un à l’autre. Il avait vingt-trois ans, elle dix-sept. « Nos sentiments étaient purs, confiera-t-elle, et nous demandions à Dieu de bien vouloir les bénir. »

Malgré les qu’en-dira-t-on d’une sagesse tout humaine (ou plutôt mondaine !), le mariage fut célébré un an plus tard. De cet admirable foyer chrétien naîtront douze enfants en l’espace de dix-neuf ans. Chaque jour qui passait était un anneau de plus à la chaîne qui unissait ces deux cœurs aimant Dieu par-dessus tout et gravissant ensemble le chemin de la perfection : « Tous les jours, nous remerciions Dieu de nous avoir donnés l’un à l’autre, écrira Anaïs. Nous n’avions vraiment qu’un cœur et qu’une âme. Celui de mon cher Gaston était un trésor de bonté et de tendresse, un cœur d’une exquise sensibilité, avec une âme des plus viriles et d’une fermeté rare. »

Anaïs de Sonis
Anaïs de Sonis

Anaïs avait épousé un saint. Dans ce cœur qu’elle aurait voulu tout à elle, elle s’aperçut rapidement qu’il y avait déjà... Quelqu’un : « Quelquefois, je rougis de le dire, j’ai éprouvé comme un peu de jalousie. Mon mari m’en reprenait doucement, me disant qu’il ne fallait point être jalouse du Bon Dieu, et que plus nous l’aimerions, plus aussi notre attachement mutuel serait durable ; que tant d’unions ayant commencé comme la nôtre n’avaient pas été longtemps heureuses, parce que Dieu n’en était point le lien et le centre. Je l’admirais et j’essayais de le suivre de loin. » Elle y parviendra, et on ne sait qu’admirer le plus, de son élan à lui vers la sainteté (irrésistible !), ou de sa douce et héroïque obstination à elle, à le suivre partout et à tout accepter de ce qu’il voulait et même désirait.

Après la Bretagne, puis Paris, il fut muté à Limoges. Gaston de Sonis était déjà “ le saint de l’armée ”. Dès son arrivée, il s’inscrivit à la conférence de Saint-Vincent-de-Paul, aimant pratiquer, sans respect humain, cette « charité organisée ». Sa prière favorite était alors : « Seigneur, imprimez sur mon front le signe de votre croix. Consacrez-moi votre serviteur et que je ne vive que pour mieux vous connaître, vous aimer et vous servir. » Il fut pris au mot : en mai 1852, à la suite d’une chute de cheval, il fut un mois entre la vie et la mort, acquérant au cours de cette épreuve meurtrissante ce qu’on appelle le don de science, qui permet de « comprendre le peu d’importance de bien des choses ».

L’Eucharistie était devenue le centre de sa vie et il organisa, en liaison avec le saint homme de Tours, Monsieur Dupont, des nuits d’adoration du Saint-Sacrement. « Nous sommes huit chrétiens qui nous réunissons sans bruit, à peu près comme des conspirateurs. Nous passons ainsi des nuits délicieuses », écrivait-il à un ami. En 1854, promu capitaine, il apprit la constitution d’un corps expéditionnaire pour la Crimée et demanda à partir. À sa grande surprise, c’est en Afrique qu’il fut envoyé. Commença alors sa carrière africaine, qui allait en l’espace de seize ans faire de lui l’un de nos meilleurs officiers coloniaux.

SONIS L’AFRICAIN

Dès son débarquement, il écrivait à Anaïs ce qui le frappa le plus à Alger : « un sentiment de grande tristesse à la vue de la profonde immoralité qui règne ici, et du peu de place que Dieu occupe dans la vie de cette multitude de soldats et de marchands. »

Le général de Sonis en tenue de colonel des chasseurs d’Afrique.
Le général de Sonis en tenue de colonel des chasseurs d’Afrique.

Son sens de l’observation, uni à sa foi ardente qui guidait tous ses jugements, lui firent d’emblée comprendre l’entreprise coloniale et s’inscrire d’enthousiasme dans la lignée des catholiques légitimistes qui entendaient le rôle civilisateur que la France pouvait jouer en Algérie. Et il notait : « Le seul moyen d’affermir la conquête est de montrer à cette race arabe, pour qui la religion est le tout de l’homme, qu’elle n’a pas affaire à des vainqueurs sans prière et sans culte. »

Sonis, que les Arabes appelleraient bientôt Moula-ed-Dine, “ Maître en religion ”, ne cachait pas sa foi chrétienne. Ami de Mgr Pavy, l’évêque d’Alger, ainsi que des Pères lazaristes et jésuites, il fréquentait assidûment la conférence de Saint-Vincent-de-Paul et visitait les pauvres, les orphelins. « J’espère, écrivait-il, qu’ils seront le principal élément de la régénération des campagnes de l’Afrique, et qu’un jour viendra où Dieu sera aimé sur cette terre où il est si blasphémé... » Il apprit aussi l’arabe au point de devenir le meilleur officier arabisant de toute l’Armée d’Afrique, et il s’initia aux coutumes indigènes.

Dans le même temps, il établissait l’adoration nocturne des hommes à Alger. Avec l’accord de son colonel et encouragé par son curé, il fit même dresser une grande croix de fer au sommet de Mustapha, son quartier de garnison. Anaïs et les enfants l’y rejoignirent bientôt. Ce furent alors quatre ans de pérégrinations pénibles et aventureuses, avec eux ou sans eux : Alger, Miliana, Blida, Alger de nouveau, Tizi-Ouzou. En 1857, à l’issue de la campagne en Kabylie qui terminait la conquête proprement dite de l’Algérie, le 7e Hussards où il servait fut rappelé en France. Sonis demanda à rester en Algérie. Il fut alors muté au 1er Chasseurs d’Afrique. Parmi les officiers qui l’accueillirent, l’un d’eux témoignera de la profonde impression qu’il produisit à son arrivée : « Le héros chrétien était jeune alors, svelte de taille, très brillant cavalier, officier instruit, modeste, très affable, très bienveillant envers tout le monde, mais très sévère pour lui-même et strict observateur de la discipline. Il eut bientôt fait notre conquête à tous. »

En campagne, il ne voulait pour lui que le strict nécessaire, se réjouissant d’être “ fiancé à la sainte pauvreté ”. Mais pour ce qui est de l’intérieur de son âme, quelle richesse ! « Je cherche de plus en plus à me donner à Dieu, et je n’ai pas grand-peine. Je n’ai donc aucun mérite à me réfugier dans le Cœur de Jésus qui m’est une source de consolation, et je puis dire que plus j’y entre, plus j’y veux entrer. Je suis en quelque sorte inondé de tant de grâces, que je suis confus des prévenances de Dieu et de ses bontés pour moi. Je comprends bien qu’il ne faut pas être à Dieu à demi. »

Une telle sainteté ne pouvait que rayonner autour de lui. Au témoignage du curé de Mustapha, qui l’a bien connu, « son apostolat consistait particulièrement à rendre la religion aimable à ses camarades, par toutes sortes de bons services. C’était un des chrétiens des premiers âges. Sa vie intérieure était celle d’un religieux. L’oraison assidue et la communion fréquente l’élevaient de plus en plus vers la perfection. Chaque fois que mon ministère me faisait pénétrer dans le fond de cette âme, je me sentais ranimé dans mon devoir de prêtre et de missionnaire. »

CAMPAGNE D’ITALIE

Au printemps de 1859, le 1er Chasseurs d’Afrique prit une part active à la Campagne d’Italie. Cela n’enchantait pas Sonis : soutenir le Piémont révolutionnaire contre l’Autriche, protectrice traditionnelle des États pontificaux, lui paraissait contraire aux intérêts conjugués de l’Église et de la France. Mais il fit son devoir et s’illustra héroïquement au cours de la sanglante bataille de Solferino.

L’escadron fut décimé, mais l’infanterie fut sauvée, et l’honneur de la cavalerie également. Ce fut comme une préfiguration de Loigny... À sa sœur carmélite, Sonis écrivit : « Durant toute cette terrible journée, je ne crois pas avoir perdu de vue un seul instant la présence de Dieu. » Il passa ensuite la soirée auprès des blessés et des mourants, plein de compassion et de tristesse au spectacle de tant de misères : « Sur ce champ de bataille, je n’ai pas vu la robe d’un prêtre et mon cœur a saigné. »

De retour en Afrique, sans même revoir les siens, Sonis se porta volontaire pour partir avec le Corps expéditionnaire chargé de rétablir l’ordre sur la frontière marocaine. Ils y furent victime d’une terrible épidémie de choléra, et Sonis se dépensa alors sans compter, sans crainte du danger. Sa charité fut héroïque : « J’avais fait le sacrifice de ma vie, quoiqu’il m’en coûtât beaucoup à cause de ma femme et de mes enfants. » De retour à Alger, il fut nommé chef d’escadron au 2e Spahis, puis après un séjour bien mérité en France, promu au gouvernement du Cercle de Ténès, puis à celui de Laghouat, en novembre 1860.

La maison du gouverneur était belle, mais l’église, qui était une ancienne mosquée, était misérable. Ce contraste blessa d’autant plus Sonis que la nouvelle mosquée donnée aux Arabes était monumentale ! On aurait voulu cultiver le mépris que les Arabes entretiennent vis-à-vis des roumis sans religion, qu’on n’aurait pas agi autrement. Le nouveau chef de Cercle réserva sa première visite au Saint-Sacrement, la seconde au prêtre desservant, la troisième aux communautés religieuses. Le monde officiel s’étonna, la population indigène musulmane admira, et le commandant de Sonis acheva de conquérir la tribu des Larbâa en se montrant un incomparable cavalier.

LA JUSTICE DE DJELFA

Nos territoires d’Algérie étaient pourtant encore en proie aux menées de musulmans fanatisés. C’est ainsi que le poste avancé de Djelfa fut attaqué, et une trentaine de ses habitants sauvagement massacrés... Dès qu’il l’apprit, Sonis accourut. Il connaissait trop bien la mentalité des indigènes pour hésiter sur la décision à prendre : justice devait être faite sans délai. Il se sentait responsable devant Dieu et devant ses supérieurs des populations que la France s’était engagée à protéger.

Une cour martiale fut promptement réunie. « En faisant exécuter immédiatement les auteurs de ce crime inouï, j’ai la conscience de remplir un devoir, écrivit Sonis à ses supérieurs. Je suis en présence d’une population frappée de stupeur, je dois la rassurer. Je veux aussi prouver aux fanatiques qu’ils ne peuvent pas compter sur l’impunité de leurs crimes, pas plus que sur les chances d’une évasion ou d’une habile défense. » C’était net et clair, tranchant comme le glaive de la justice. Le calme revint aussitôt.

Mais les choses n’en restèrent pas là, car à Alger un obscur journaliste s’empara de l’affaire. Les loges maçonniques s’agitèrent, et le maréchal Pélissier (qui était gouverneur d’Alger) eut la lâcheté de blâmer Sonis et de le relever de son commandement. Cette injustice, heureusement temporaire, fut une épreuve crucifiante pour Sonis, qui avait conscience de n’avoir accompli que son devoir. Sans parler d’un avancement compromis, il lui fallut, alors qu’il était installé depuis six mois à peine, déménager de nouveau avec une épouse enceinte de sept mois et six enfants, pour entreprendre un voyage de plus de mille kilomètres afin de rejoindre Mascara sur des pistes épouvantables, dans la chaleur et la poussière. Il ne laissa point cependant l’amertume ternir son sacrifice ; n’avait-il pas promis « de ne jamais rien refuser à Dieu » ? Avec ce demi-sourire qui lui allait si bien, il chercha à voiler sa peine sous un rien d’humour : « Je m’y attendais... mais ces messieurs d’Alger devraient penser que je voyage à mes frais ! » La politique d’Alger et de Paris eut les funestes conséquences que l’on pouvait aisément prévoir, et de nouveaux troubles éclatèrent bientôt dans la région de Laghouat.

Pour l’heure, le commandant de Sonis accomplissait son travail à la perfection. En 1864, il fut envoyé en mission à Mostaganem pour effectuer le « partage de propriétés » entre tribus indigènes et colons européens. Au milieu de toutes ces occupations, Jésus et Marie ne quittaient pas le cœur religieux de l’officier des Affaires indigènes, qui souffrait cependant à l’intime de voir la religion exclue de la politique coloniale française.

Apprenant le massacre d’une colonne française, il écrivait : « On ne veut pas voir clair. On ne comprend pas qu’il y a, au fond, une querelle de religion et que les Arabes ne nous pardonneront jamais de ne pas être musulmans. Nous avons pris les choses à l’envers et nous nous sommes faits professeurs de fanatisme. Nous avons bâti des mosquées qu’on ne nous demandait pas, nous chrétiens qui n’avons pas d’églises. Nous recueillons ce que nous avons semé. Je crains bien que le bras de Dieu ne s’appesantisse sur ce pauvre peuple français qui n’était pas venu sur cette terre des Cyprien, des Augustin sans un secret dessein de la divine miséricorde et qui, hélas ! a si complètement failli à sa mission. »

En mai 1865, l’empereur ayant manifesté le désir de venir en Algérie visiter son “ royaume arabe ”, Sonis fut pressenti pour être l’officier interprète chargé de l’accompagner dans ses déplacements. Il refusa, au grand dam de certains officiers qui n’auraient pas, eux, laissé passer une si belle occasion d’entrer dans les grâces de l’empereur et d’obtenir un avancement rapide. « Je me sens fidèle, expliqua-t-il. Fidèle à Dieu, à nos Princes [le comte de Chambord], à tout ce qui mérite fidélité. Je me sens fidèle à mes amis, qui ne seraient point tels s’ils n’étaient d’abord les amis de Dieu. Je me prends chaque jour davantage d’un grand amour de l’Église ; et la haine que lui portent, en ce triste siècle, ses ennemis aussi cruels qu’impuissants, ravive encore mon amour. » Napoléon III venait en effet de trahir la cause du Pape en signant avec le roi du Piémont une convention réglant la “ question romaine ”, sans même avoir consulté Pie IX, premier concerné !

Cette même année 1865, Sonis réintégrait néanmoins ses fonctions de gouverneur du Cercle de Laghouat. Pendant quatre ans il fut souvent en opérations sur le terrain, faisant l’admiration des officiers qui avaient quelque expérience des combats dans le désert. D’une abnégation peu commune, d’une droiture sans faille, il déployait une intense activité : « Le bon Dieu multiplie le temps pour ceux qui le servent », répondait-il à ceux qui s’en étonnaient. Il eut, dès l’année suivante, à faire face à une nouvelle insurrection fomentée par le terrible Si-Lalla. Une première bataille à Metlili donna la victoire à nos armes, refoulant les rebelles au-delà de la frontière marocaine et assurant trois années de tranquillité au sud-algérien.

On raconte qu’un jour, en opération, sa colonne devait franchir un oued. Comme un orage menaçait et qu’une crue subite risquait de tout emporter, on vit le colonel de Sonis descendre de cheval, se mettre à genoux et prier saint Joseph, son protecteur ordinaire en campagne... À peine le dernier chameau et le dernier soldat avaient-ils traversé l’oued que des trombes d’eau s’y déversaient, emportant tout sur leur passage !

Au terme de cette campagne couronnée de succès, Sonis fut décoré de la croix d’officier de la Légion d’honneur, qu’il s’empressa de déposer aux pieds de Notre-Dame d’Afrique. Quelques temps après, il n’hésitait pas à monter à Alger pour y plaider auprès du gouverneur la cause des Lazaristes et des sœurs de la Charité de sa circonscription. Leur supérieur, qui l’avait supplié de ne pas se compromettre, s’entendit répondre par le colonel : « Je mets toujours le cap de mon navire vers le bon Dieu. Quels que soient les vents, je maintiens ma direction, car, après tout, c’est à ce port-là que je veux aborder. »

Général de SonisLes traits de sa charité, de sa piété et de sa sainteté se multipliaient, irrigués par une intime dévotion envers le Sacré-Cœur de Jésus, renouvelée chaque matin à la communion. « Quand bien même ce Dieu ne nous ferait aucune grâce, il n’en serait pas moins doux de l’aimer pour les amabilités infinies de son divin Cœur. Devenons plus fidèles, ma bien chère sœur, c’est un grand commandement et une grande douceur ». Il disait lui-même que cette dévotion au Sacré-Cœur était dans le sien un feu dévorant, une source inépuisable de dévouement pour l’Église, l’armée, ses amis, sa famille bien-aimée, les jeunes officiers de sa garnison (dont plusieurs revinrent à la pratique de la vie chrétienne à son exemple et vaincus par ses prévenances), pour les vivants et pour les morts, pour les chrétiens et pour les musulmans... les malheureux surtout, car il y en eut beaucoup durant les années de sécheresse et de famine 1867-1868.

Père exemplaire, il n’avait de cesse de communiquer à ses enfants son amour de Dieu et sa fidélité aux traditions d’honneur et de service de leur famille. Quelle joie pour lui de recevoir un jour une lettre de son fils Henri, lui demandant la permission de s’engager, malgré son jeune âge, dans les rangs des zouaves pontificaux ! « Oui, mon fils, lui répondit-il, je vous permets de partir pour Rome, d’aller grossir ce bataillon sacré, refuge de la vertu, abri de ce vieil honneur français aujourd’hui rajeuni dans des poitrines d’enfants... Préparez-vous à tant d’honneur. Qu’à partir de ce moment le vieil enfant (sic) disparaisse, et revêtez-vous de l’homme nouveau ; renaissez à la vie de la grâce, soyez saint pour monter à la hauteur de la cause que vous allez servir. » Et pour lui-même, il écrivait à un ami : « Puissé-je travailler avec courage et avec fruit à l’œuvre de Dieu, aider selon mon pouvoir ceux qui ont mission de le faire connaître et aimer, répandre quelque peu le bon exemple autour de moi, prouver qu’il n’y a point de haine dans nos âmes, que l’on peut nous mépriser et nous calomnier, mais que nous ne savons que prier pour ceux qui nous font du mal. Puissé-je, en un mot, me rendre plus digne chaque jour de ce nom de chrétien qui est notre divine noblesse, suivre de loin le divin Martyr dans la voie douloureuse, et porter ma croix sans jamais me plaindre de la trouver trop lourde ! »

UN EXEMPLE POUR L’ARMÉE

Héros chrétien, Sonis doit aussi être compté parmi nos plus grands chefs militaires qui, par leur génie, ont su anticiper les conflits à venir suivant attentivement l’évolution des techniques militaires et l’art de la guerre professé en métropole.

Il ne fut pas écouté et la France fut défaite. Il dira ensuite : « Nous vivions trop sur les gloires du passé, et nous ne travaillions plus. Au temps où nous vivons, ce n’est pas assez de savoir se faire tuer le front haut, il faut prodiguer sa vie avec profit pour le pays. »

Il eut encore à livrer un combat d’envergure contre le rebelle Si-Lalla, et remporta sur lui en 1869 une victoire éclatante qui lui valut d’être appelé par le ministre de la guerre lui-même « un des hommes les plus exemplaires de l’Armée ». Le coup d’œil rapide de la situation, le choix du meilleur emplacement, la disposition de ses troupes en carré contre des hordes quatre fois supérieures en nombre, le mépris du danger, le souci d’épargner ses hommes, la compassion enfin pour les blessés, rien ne manqua à ce chef militaire exemplaire, qui racontait l’événement en ces termes : « Chacun a fait son devoir, ce sont les seuls termes qui puissent convenir à des troupes françaises. On nous croyait perdus, et cette multitude nous a salués d’un hourra frénétique, vrai cri de cannibales. Dieu a combattu pour nous ; et c’était réellement beau à voir, le silence au milieu de cris étourdissants, l’ordre au milieu du désordre, avec le canon pour point d’orgue. C’est une des plus belles fêtes de ma vie. »

DIEU NE CAPITULE JAMAIS !

La guerre vint, comme Sonis s’y attendait et le craignait, car, disait-il, « la France n’est pas prête ni moralement ni matériellement ». Dès la déclaration de guerre, il demanda à revenir en France. Mais sa présence ayant été jugée nécessaire en Algérie, il demeura à son poste tandis que trois de ses fils, mobilisés ou volontaires, partaient pour la frontière. Après nos premiers revers, il renouvela sa demande et essuya un nouveau refus. En octobre, apprenant qu’il était nommé général de brigade, il télégraphia que, s’il n’était pas rappelé sur-le-champ, il démissionnerait de son grade pour s’engager comme simple soldat !

Enfin, l’autorisation arriva. Sonis s’embarqua aussitôt avec sa petite famille, qu’il quitta à Marseille pour gagner Tours, où siégeait le gouvernement provisoire. Il y constata la plus absurde confusion des pouvoirs doublée d’un désordre indescriptible. Nommé général de division, mais ne sachant où se trouvaient ses troupes, il télégraphiait à Gambetta, le 18 novembre : « Quel est le commandant du XVIIe corps stationné autour de Châteaudun ? C’est vous. – Pour combien de temps ? Agissez comme si c’était pour toujours. » Le général croyait rêver...

Il se mit cependant à la tâche immédiatement, et eut bientôt la consolation d’apprendre que la vaillante petite troupe des Volontaires de l’Ouest (autrement dit : les Zouaves pontificaux ramenés d’Italie) était affectée au corps d’armée qu’il commandait. Les Zouaves de Charette s’en réjouirent aussi beaucoup de leur côté ; mais soupçonnaient-ils jusqu’où les mènerait ce chef incomparable, qui avait promis de ne rien refuser à son Maître et Seigneur ?

Depuis plusieurs années déjà, ce soldat du Christ (2 Tm II, 3) récitait sa consécration au Sacré-Cœur de Jésus ; il allait en être, au cours de ces jours dramatiques, comme la vivante image jusque sur le champ de bataille... Soldat de l’Immaculée, il l’était aussi depuis longtemps, comme membre du tiers-ordre carmélitain. Il récitait donc tous les jours, autant qu’il le pouvait, le Petit Office de la Sainte Vierge. Peu avant la bataille lui revint en mémoire le message de l’Immaculée qu’il avait longuement médité à Lourdes : « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! ». Soldat de Dieu enfin, il écrivait en novembre 1870 :

« Lorsque Dieu se mêle de donner des leçons, Il les donne en maître. Rien ne manque à celle que la France reçoit en ce moment... Pour nous, demandons à Dieu qu’il ne nous quitte pas et qu’il nous fasse la grâce de savoir mourir comme un chrétien doit finir, les armes à la main, les yeux au ciel, la poitrine face à l’ennemi en criant : “ Vive la France ! ” En partant pour l’armée, je me condamne à mort. Dieu me fera grâce, s’il le veut, mais je l’aurai tous les jours dans ma poitrine et vous savez bien que Dieu ne capitule jamais, jamais ! »

LOIGNY, LE SACRIFICE RÉDEMPTEUR

Sonis et Charette
Sonis et Charette

Dès qu’il eut pris contact avec les troupes placées sous son commandement, le général de Sonis se dépensa sans compter, pour faire de ces 40 000 hommes une formation cohérente et capable de combattre. Au dire d’un témoin, il était partout à la fois, dictant ses ordres, veillant à leur application, prévoyant les opérations à venir, tâchant de communiquer l’ardeur dont il brûlait et partageant les mêmes conditions de vie que ses soldats. Le froid était intense, le ravitaillement difficile, et les ordres reçus de Tours le plus souvent incohérents. Sa force d’âme, il la puisait dans la sainte communion, reçue avant l’aube dans l’église du village.

Sur la foi d’un faux renseignement qui avait confondu Épinay-sur-Seine (situé au nord de la capitale) avec Épinay-sur-Orge (situé au sud !), l’Armée de la Loire reçut l’ordre de marcher à l’ennemi pour tenter de faire sa jonction avec les troupes de Paris. Sonis fit route en compagnie des Zouaves, s’entretenant des choses de Dieu avec leur colonel et leur aumônier : « Nous sentions que nous allions remplir un grand devoir, nous nous préparions au combat. Le seul moyen de salut qui reste à la France, c’est de redevenir franchement chrétienne. » Le colonel de Charette parla alors de la bannière du Sacré-Cœur qui lui avait été remise providentiellement à Tours, et la proposa au général de Sonis qui accepta avec grande foi et enthousiasme.

La charge de Loigny

Les combats commencèrent dès le lendemain, 1er décembre. Le XVIIe Corps, placé en réserve du XVIe (du général Chanzy), n’y participa pas. Mais ce dernier avait présumé de ses forces. Quand ses troupes commencèrent à se débander, il demanda à Sonis de le rejoindre. Sonis allait être sacrifié par celui qu’il était venu sauver. Et quand, dans une charge magnifique au cri de : « Vive la France ! Vive Pie IX ! Vive le Sacré-Cœur ! », les zouaves réussirent à prendre Loigny, le renfort immédiat qui aurait permis de sauvegarder cette victoire... ne vint jamais, par une faute grave des généraux Chanzy et Deflandre.

Par leur sacrifice volontaire, le général de Sonis et ses zouaves avaient néanmoins réussi à retarder l’avance de l’armée prussienne (de quelques heures seulement), ce qui permit à l’Armée de la Loire de se ressaisir à temps et de se replier en ordre. L’honneur de l’Armée, entaché par la défection de troupes lâches et inexpérimentées, avait été sauvé par les Zouaves pontificaux... mais à quel prix (deux cent morts sur trois cents) !

Le général de Sonis sur le champ de bataille
Le général de Sonis sur le champ de bataille

Quant au général de Sonis, blessé grièvement, il dut assister impuissant à la fin de la mêlée. Alors commença pour lui une nuit atroce sous la neige par un froid de moins vingt degrés, sa jambe fracturée en vingt-cinq morceaux ! Offrant sa vie en sacrifice expiatoire pour le salut de la France, il révélera plus tard ce que fut cette nuit d’agonie et de délices : « Cette nuit si longue et si noire, je l’ai passée dans la tranquillité la plus douce avec le secours de l’Immaculée, ayant remis mon âme entre les mains du Créateur, lui offrant ma vie pour la patrie si malheureuse. »

« La pensée des douleurs que ma mort allait causer aux miens vint navrer mon âme de tristesse, mais je fus tiré de mon abattement par la contemplation de l’image de Notre-Dame de Lourdes ; elle ne me quitta plus. »

LE SACRIFICE AGRÉÉ

Un aumônier le trouva au matin du 3 décembre, à demi-gelé dans la neige. Son calvaire ne faisait que commencer. Après l’amputation des deux tiers de sa jambe gauche, « je souffris, dit-il, pendant 45 jours jusqu’à en devenir fou. »

Dès qu’Anaïs apprit que son cher Gaston était blessé, elle traversa la France et parcourut, le cœur serré d’angoisse, les champs de bataille de la Beauce. Après dix-neuf jours de recherches, elle parvint enfin à Loigny : « Je le revis enfin, mais dans quel état, ô mon Dieu ! Pâle, défait, mutilé. « Pauvre enfant, me dit-il, qu’êtes-vous venue faire ici ? » Souffrir avec lui, le consoler. J’aurais traversé le feu pour le rejoindre, si cela eût été nécessaire. Je passais bien des jours dans cette petite chambre de Loigny, témoin des atroces souffrances de mon mari et ne sachant pas si j’aurais le bonheur de le sauver. Il souffrait avec un si héroïque courage que tout le monde était dans l’admiration. M. le Curé lui apportait la sainte communion, dans laquelle la pauvre victime puisait sa force. »

Il fut ainsi « sur la croix » durant 45 jours, nous dit-il, et le 45e jour (ô merveille !) la Sainte Vierge apparaissait dans le ciel de Pontmain pour annoncer que le sacrifice était agréé, que son Fils faisait grâce à notre malheureux pays : « Mais priez, mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher. » Le Cœur de Jésus s’était laissé toucher par les prières des enfants de France jointes au sacrifice des Zouaves. En effet, sur la robe constellée d’étoiles de la Reine du Ciel, apparaissait la petite croix rouge que ces derniers portaient sur la poitrine.

LE « MARTYR DE LOIGNY »

« Le retour à Castres fut bien triste, raconte Anaïs, je ramenais à mes enfants leur père. Dieu m’avait accordé la conservation de sa vie, mais il était mutilé et à partir de ce jour son existence devint un martyre, une lutte presque continuelle avec la douleur. »

À son passage, une foule accourut pour serrer la main du martyr de Loigny. La Commission d’enquête parlementaire écouta avec soin la déposition que Sonis fit sur les événements de 1870, dans laquelle il eut la grandeur d’âme de ne pas mettre en cause les généraux Chanzy et Deflandre, ainsi que les politiciens de rencontre qui s’étaient follement attribué la conduite des opérations de l’Armée de la Loire. Il fut maintenu dans son grade de général de division, mais le gouvernement de M. Thiers se méfiait de lui ; car Sonis, tout loyal qu’il était, ne cachait pas ses sentiments monarchistes et disait ouvertement que seule la restauration d’une Monarchie très-chrétienne sauverait la France.

Général de SonisL’avenir de son pays l’inquiétait, et plus encore que les souffrances physiques, cette angor patriæ [cette angoisse pour la Patrie] devint au fil des années un véritable martyre du cœur. « Nous sommes sourds à la voix de Dieu qui parle cependant si fort », écrivait-il dès 1871. « Ce qui nous manque, c’est un chef, c’est une tête indiscutable et indiscutée. Un gouvernement basé sur l’opinion mobile ne peut imposer assez de respect envers des hommes, nos égaux, nés de nos votes d’hier, et tués par nos votes de demain. Et quand ces hommes sont ceux qui donnent à l’Armée l’impulsion dirigeante, comment y éviter les incohérences de direction d’un côté, et la libre discussion de leurs actes de l’autre ? »

Par l’énergie avec laquelle, infirme, il remonta à cheval sans regarder à la souffrance endurée pour  servir encore , le général de Sonis devint rapidement un modèle pour toute l’Armée. Dans le même élan, l’exemple de sa piété et de sa sainteté allaient entraîner dans son sillage les catholiques français qui comprenaient que la défaite avait été un châtiment divin, et qu’il leur fallait témoigner publiquement de leur repentir et de leur dévotion au Christ Sauveur.

Encore une fois, les Zouaves furent au premier rang en se consacrant au Sacré-Cœur de Jésus. Le général de Sonis, n’ayant pu se déplacer, avait composé la prière de consécration et alla lui-même porter sa propre consécration à Lourdes où il passa toute la journée à la grotte. Cet acte de foi public eut en France un grand retentissement.

Cependant, le général ne se berçait pas d’illusions sur la possibilité d’une restauration monarchique : « Je voudrais bien partager la confiance de mes amis ; mais je crois que le Bon Dieu est encore trop outragé, bafoué, insulté, pour qu’Il ne nous fasse pas sentir le poids de son bras. Pour nous, chère enfant, écrivait-il à sa fille, prions et devenons chaque jour meilleurs. Prions pour tous ceux qui ne prient pas ; hélas ! leur nombre est si grand ! Aimons cet adorable Maître pour tous ceux qui ne l’aiment pas ; il y en a tant qui l’outragent de leurs blasphèmes ! » Le général participa en juin 1873 au grand pèlerinage qui attira des dizaines de milliers de catholiques à Paray-le-Monial. Comme on criait sur son passage : « Vive Sonis ! » il se fâcha : « Non, non, criez : Vive Jésus ! »

Général de SonisPère de famille nombreuse, il a laissé à l’intention de ses enfants des conseils d’éducation et de conduite dans la vie d’une solide sagesse et d’une merveilleuse élévation, leur apprenant surtout « à se défier des eaux du catholicisme libéral ».

Depuis plusieurs années, il sentait venir les persécutions. « La politique va de mal en pis, écrivait-il en juin 1878, et nous ne sommes pas loin du moment où les gens de notre bord seront traqués comme des bêtes fauves par messieurs les radicaux... Je reconnais volontiers que j’ai droit à toute leur haine, et je me fais honneur de la qualification de “ blanc ” et surtout de celle de “ clérical ” qui désigne aujourd’hui les catholiques à la vengeance des impies. »

En 1880, au moment des premiers décrets d’expulsion des religieux, c’était chose faite : « Les chrétiens sont livrés aux bêtes, rien de nouveau sous le soleil. Mais il y aura encore de beaux jours pour l’Église et, Dieu aidant, il y aura des lèvres humaines qui rendront témoignage à la Vérité tant qu’il restera un peu de sang dans le cœur de la France. »

Quand il apprit qu’il devait mettre ses troupes à la disposition du préfet pour l’application de ces décrets, il demanda à être relevé de son commandement. Il le fit en conscience avec calme, avec un parfait abandon en la divine Providence « qui l’avait toujours traité en enfant gâté », disait-il, n’obligeant personne à suivre son exemple, conseillant même à certains de rester à leur poste et d’appliquer les ordres, même injustes. Mais cette mise en disponibilité était un déchirement intime, pour les siens comme pour lui-même. Il vint cependant l’annoncer joyeusement à sa famille : « J’ai dû sacrifier notre bien-être à mon honneur de chrétien. Là, nous apprendrons ensemble à aimer et pratiquer madame la pauvreté : c’est une vieille amie. »

Il fut réintégré quelques mois plus tard dans l’Armée au titre d’inspecteur permanent de la cavalerie, puis à la Commission mixte des travaux militaires. Il accepta ces postes obscurs comme des croix.

COMME LE GRAIN DE SABLE OBSCUR...

Quoique son âme ardente ne soit pas abattue, c’est dans l’anéantissement et l’abaissement que le général de Sonis allait passer les dernières années de sa vie. « Ô mon Dieu, soyez béni quand vous m’éprouvez. J’aime à être brisé, consumé, détruit par vous. Anéantissez-moi de plus en plus. Que je sois à l’édifice non comme la pierre travaillée et polie par la main de l’ouvrier, mais comme le grain de sable obscur, dérobé à la poussière du chemin... », écrivait-il dans une admirable prière d’abandon que l’on retrouva sur lui après sa mort.

L’année 1887 fut une longue agonie pour lui ; on aime à se le représenter au bras de sa fille Germaine (la future carmélite), qu’il appelait affectueusement son “ aide de camp ”. Il mourut comme un saint en la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, Reine de France.

Avant qu’il ne rende son dernier soupir, on vit briller dans ses yeux comme un éclair de joie intense : était-ce un renouvellement de la vision de Loigny qu’il avait été fidèle à commémorer chaque année, le 2 décembre, par une nuit de prière ? Après sa mort, ses traits prirent une expression de beauté surhumaine qui frappa tous ceux qui l’approchèrent. Anaïs pouvait alors écrire à leur fille religieuse : « Ma bien chère Marie, il est parti notre bien-aimé, notre saint. La Sainte Vierge qu’il a tant aimée est venue le chercher, pour le conduire au ciel en ce jour de son Assomption glorieuse. Nos deux vies étaient si liées l’une à l’autre, nous avons été si unis toute notre existence, que le déchirement de la séparation est immense... Mais Dieu est bon pour moi. Il me montre ce cher ami dans la gloire, en possession de la récompense qu’il a si bien méritée. Tout mon désir est d’aimer Dieu davantage, afin d’obtenir d’aller bientôt rejoindre mon bien-aimé au Ciel. Là, il n’y aura plus de séparation. » La vive flamme de cet amour devait brûler encore quarante ans sur la terre, avant d’aller s’unir au ciel à celle de son “ saint ”. Lorsqu’en 1927, on descendit le cercueil d’Anaïs dans la tombe de la crypte de Loigny, on remarqua l’étrange poids de celui de Louis-Gaston de Sonis... De fait, deux ans plus tard, lorsqu’on procéda à la reconnaissance des restes, le corps apparut intact, la chair et les membres flexibles, les yeux ayant gardé leur coloris. Mère Germaine de Sonis était si persuadée de cette conservation miraculeuse, qu’avant même l’exhumation elle lui avait préparé... un uniforme neuf !

« Il a aimé Dieu de tout son cœur, et Dieu lui a donné la force en face de l’ennemi... » C’est en lui appliquant cette parole de l’Ecclésiastique (47, 10) que Mgr Freppel avait commencé, le 22 septembre 1887, son magnifique éloge funèbre du général de Sonis. On peut dire de ce “ saint de l’armée ” ce que l’abbé Huvelin dira un jour du vicomte Charles de Foucauld : il a fait de sa religion un amour. « Je ne connais pas d’autre vocation que celle d’aimer Dieu, disait-il. Quand une fois on a commencé à l’aimer, on ne peut plus aimer que Lui, et l’aimer sans mesure. »

Extraits de Résurrection n° 5, mai 2001

  • Le général de Sonis, soldat du christ et de l'Immaculée, Résurrection tome 1, n° 5, mai 2001, p. 17-30
Audio/vidéo :
  • PC 62 : Le siècle de l'Immaculée, IIe partie : 1848-1900, Camp de la Phalange août 2000, 27 h (aud./vid.)
    • 12e conférence : Le général de Sonis, soldat du Christ
    • 13e conférence : Les zouaves pontificaux à la bataille de Loigny

Références complémentaires :

Un exemple donné aux phalangistes :
  • PC 34 : La morale phalangiste à l'heure du Sida, Pentecôte 1987, 14 h 30
    • 2e conférence : Le général de Sonis, « Miles Christi »
    • 5e conférence : Anaïs de Sonis
    • 8e conférence : Gaston de Sonis, Anaïs et leurs 12 enfants