Le bienheureux Pie IX
pape et docteur de l’Immaculé
SE trouvant un jour en butte à de fortes pressions de la part de gouvernements francs-maçons, le pape Pie IX déclara à l’un de ses proches : « J’ai la Sainte Vierge avec moi, j’irai de l’avant. » Cette confidence en dit long sur la mystérieuse alliance avec l’Immaculée qui fit de son pontificat l’un des plus grands.
Jean-Marie Mastaï est né le 13 mai 1792, à Senigallia, près de Lorette en Italie. Chaque année, toute sa famille participait, le10 décembre, à la veillée de prières pour commémorer la translation de la Santa Casa.
L’âme de l’enfant fut profondément marquée par la piété de sa mère qui se rendait tôt matin à l’église des Pères servites pour assister à la Messe et prier devant un tableau de Maria Santissima Addolorata. Elle lui enseigna, parmi d’autres sacrifices, à toujours refuser, au cours des repas, les premiers fruits qu’on lui proposait, pour les offrir à la Vierge Marie. Devenu Pape, il confiera : « Voilà une pratique que j’ai apprise sur les genoux de ma mère. J’y suis encore fidèle. » Il conserva précieusement l’image de la Sainte Espérance, reçue lors de sa Première Communion, car elle lui rappelait « la félicité de ce jour béni ».
Au collège Saint-Michel de Volterra, sa dévotion pour l’Immaculée s’affermit. « Dès Nos plus tendres années, écrira-t-il, Nous n’avons rien eu de plus cher, rien de plus précieux que d’honorer la bienheureuse Vierge Marie d’une piété particulière, d’une vénération spéciale et du dévouement le plus intime de notre cœur, et de faire tout ce qui nous paraîtrait pouvoir contribuer à sa plus grande gloire et louange, et à l’extension de son culte. » (Ubi primum)
En 1815, Jean-Marie Mastaï ambitionna d’entrer dans la garde noble reconstituée. Mais il souffrait depuis plusieurs années d’une grave infirmité. Un soir de novembre, le carrosse du cardinal Gregorio Fontana s’arrêta brusquement devant un corps étendu sur le pavé : le prélat s’aperçut avec stupeur qu’il s’agissait du jeune Mastaï, frappé d’une crise d’épilepsie. Quelques semaines plus tard, Jean-Marie, accablé, se rendit en pèlerinage « au sanctuaire de Lorette pour épancher son âme dans le Cœur de Celle qui sera toujours sa force. De ce pèlerinage, date la guérison effective et définitive de sa terrible maladie. » (Pierre Fernessole, Pie IX, Lethielleux, 1960, t. 1, p. 26)
Après ce miracle qui l’avait délivré de son infirmité, il considéra ces longues années d’épreuve comme la marque d’une bienveillante attention de la Divine Providence. Car « cette maladie, en l’écartant de “ la société ” jusqu’à l’âge de vingt-six ans, avait préservé sa jeunesse des périls du monde » (ibid., p. 30).
SAINT PHILIPPE RESSUSCITÉ
Pendant sa préparation au sacerdoce, il prend en charge les orphelins, apprentis ou petits ouvriers, de l’hospice Tata Giovanni. De tout son cœur, qu’il avait si bon, il se penche sur la misère de ces enfants avec une totale abnégation.
Ordonné prêtre le 10 avril 1819, il manifeste un tel zèle en toutes sortes d’œuvres de piété et de charité, qu’on l’appellera bientôt saint Philippe [Néri] ressuscité. Aussi est-ce un déchirement d’avoir à quitter ses chers pauvres pour accomplir une mission pontificale au Chili !
Sacré évêque de Spolète, en avril 1827, il touche les cœurs par sa prédication, intarissable pour exalter les privilèges et la puissance de l’Immaculée Médiatrice. « En fait, tout est glorieux en Marie. Sa conception, sa naissance, sa vie, sa mort, et enfin son tombeau. Dans ce tombeau, elle gît sans corruption, et bientôt elle en sortira triomphante... Fils très aimés, voulons-nous mourir comme la Vierge, sans crainte ? Vivons donc comme la Vierge, ayant le péché en haine et abomination... Souvenez-vous que Marie est, dans le Ciel, la Médiatrice puissante, la miséricordieuse avocate, votre Mère. »
UN ÉVÊQUE LIBÉRAL
Les témoignages concernant ses charités, recueillis pour son procès de béatification, sont innombrables. « Il avait les mains trouées », disait-on.
« Bien des familles, à Spolète, bénéficièrent de ses largesses, ceux-là mêmes qui, politiquement, étaient des adversaires du Saint-Siège. »
Grégoire XVI, qui a discerné ses vertus et ses mérites, lui confie l’évêché d’Imola, puis lui confère la pourpre cardinalice. Le cardinal Lambruschini, secrétaire d’État, s’étonne : « Chez les Mastaï, tout le monde est libéral, même les chats.
– Va là ! Va là ! lui répond le Pape, c’est un bon évêque. »
Très ouvert aux progrès des sciences et de l’industrie, le cardinal Mastaï n’avait qu’une passion : le bien de son peuple, non seulement spirituel, mais aussi temporel. S’impatientant des lenteurs du gouvernement et de l’administration pontificaux, il les jugeait trop en défiance envers certaines nouveautés :
« Je ne puis comprendre l’attitude querelleuse de notre gouvernement, qui mortifie, par ses tracasseries, la jeunesse qui respire le souffle de son siècle. Il faudrait voir un peu à la contenter et à s’en faire aimer. Je ne puis même imaginer l’opposition du gouvernement aux chemins de fer, à l’éclairage au gaz, aux ponts suspendus, aux congrès scientifiques. La théologie ne s’oppose pas, que je sache, au progrès des sciences, des arts et de l’industrie... Mais évidemment, je n’entends rien en politique et peut-être que je me trompe. »
Le cardinal Mastaï semblait ignorer que les congrès, prétendument “ scientifiques ”, étaient infiltrés de carbonari. « Les congrès des savants italiens, tenus à Pise en 1839, à Turin en 1840, à Florence en 1841, et tous autres, sous couleur de travaux scientifiques, renforçaient les agitations politiques. » (Fernessole, t. 1, p. 112)
LA CONVERSION DU PAPE
À la mort de Grégoire XVI, l’archevêque d’Imola, totalement démuni à cause de ses trop larges aumônes, doit emprunter trois cents écus pour pouvoir se rendre au conclave. Il y est élu Pape le 16 juin 1846, et prend le nom de Pie IX. Quand il paraît, de blanc vêtu, au balcon du palais du Quirinal pour donner sa première bénédiction, le peuple romain est subjugué.
Les débuts furent dramatiques : « Le jeune et merveilleux pape Pie IX, intrépide docteur de la foi, sur le plan des idées politiques dites modernes s’était laissé quelque peu convaincre. Il ouvrait son pontificat par une encyclique très ferme sur la foi, mais se hâtait d’introduire dans ses États des progrès matériels souhaitables et des nouveautés constitutionnelles aventureuses. Le tout donnait au pontificat un petit air de changement et de libéralisme excitant. » (Georges de Nantes, Pour une nouvelle Chrétienté, CRC n° 87, décembre 1974, p. 5-6)
Montalembert exultait : « Le pape Pie IX, en dix-huit mois de temps, a accordé des réformes si considérables et si fécondes qu’il serait peut-être impossible de trouver, dans les annales d’aucun pays, d’aucun règne, l’exemple d’une générosité si spontanée et si complète. »
Cependant, les esprits clairvoyants s’étaient vite alarmés de ces concessions à l’esprit nouveau. Dès le 1er novembre 1846, le futur cardinal Pie, alors vicaire général à Chartres, écrivait au comte de l’Estoile : « Les affaires du Pape vont mal. Je ne sais qu’en penser. Je crois qu’il fonde une confiance extrême sur l’empire de la bonté pour rapprocher les hommes, et qu’il ne sera détrompé qu’après de cruels mécomptes. En attendant, j’ai peur qu’il n’essaie de l’entente cordiale avec ses plus irréconciliables ennemis. (...)
« Ce bon Pape n’a pas de mission plus évidente, selon moi, que celle du martyre. Je ne puis me défendre de juger ainsi l’œuvre de Pie IX : je crois plus à sa Passion qu’à ses réformes pour le salut de l’Église et de la société. » (cité par Baunard, Histoire du cardinal Pie, Poitiers, t. 1, 1887, p. 182)
« En quoi consistait son erreur, se demande notre Père, cette illusion dont le futur cardinal Pie prévoyait les pires conséquences pour l’Église ? En ceci que Pie IX croyait séparer les peuples de leurs meneurs révolutionnaires, se rallier les uns en démasquant les desseins criminels des autres, par une concession large et spontanée aux désirs universels de modernisation du régime politique des États. » (Lettre à mes amis n° 190 du 8 décembre 1964)
1848. La Révolution se propage en Italie. À Rome, la situation se dégrade. Pie IX maintient un régime politique libéral et choisit comme chef de son gouvernement le comte Rossi qui prend des mesures sévères pour assurer l’ordre public. Mais il est assassiné le 15 novembre ! Les émeutiers exigent du Pape l’abandon de son pouvoir temporel et la proclamation de la République. Sans plus tergiverser, il leur répond : « Ce serait abdiquer. Je n’en ai pas le droit. »
Huit jours plus tard, contraint de s’enfuir en direction du royaume de Naples, il exhorte ses compagnons : « Courage ! Je porte avec moi le Très Saint-Sacrement, dans le ciboire que portait Pie VI quand il fut emmené en France. Le Christ est avec nous ; il sera notre bouclier et notre Sauveur ! » Le 25 novembre, il arrivait à Gaète. Il y resta deux ans.
L’EXIL À GAÈTE
Ainsi éclairé par les événements, Pie IX revint dans les larmes, de son “ libéralisme politique. ” En exil, il se confie totalement à l’Immaculée pour qu'Elle répare les erreurs des premières années de son pontificat. Le 9 septembre 1849, à Naples, il laisse, dans une petite chapelle dédiée à l’Immaculée, un billet avec ces quelques mots : « Pie IX déclare se mettre sous la protection de Marie Immaculée. » (Chiron, Pie IX, p. 206)
Dès lors, il accélèra la procédure déjà engagée pour la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Dans l’encyclique Ubi primum, il exprime toute sa confiance dans la protection de Celle qui sauva toujours l’Église des plus graves périls et qui la sauvera encore :
« Nous nous confions surtout dans cette espérance que la bienheureuse Vierge nous prendra en pitié,avec cette immense tendresse qui est l’effusion habituelle de son Cœur maternel. Elle daignera écarter de nous, par son instante et toute-puissante intercession auprès de Dieu, les tristes et lamentables infortunes, les cruelles angoisses, les peines et les nécessités dont nous souffrons, détourner les fléaux du courroux divin qui nous affligent à cause de nos péchés, apaiser et dissiper les effroyables tempêtes de maux dont l’Église est assaillie de toutes parts, à l’immense douleur de Notre âme, et changer enfin notre deuil en joie. »
Après son retour à Rome, en février 1852, un mouvement intérieur inclina Pie IX à associer, dans un même document, la définition de l’Immaculée Conception et la condamnation explicite des erreurs modernes. S'il dut renoncer à cette idée, celle-ci demeure très révélatrice de son souci et de ses intentions. Pour combattre tant d’erreurs et de forces conjurées contre l’Église, il faut faire appel à l’Immaculée.
LE DOCTEUR INFAILLIBLE
Le pape Pie IX proclama le dogme de l’Immaculée Conception par la bulle Ineffabilis Deus, en la basilique Saint-Pierre, le 8 décembre 1854 :
«(...) “ Nous déclarons, Nous prononçons et définissons que la doctrine qui enseigne que la bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception, a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel, est révélée de Dieu, et par conséquent qu’elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. ”
« C’est pourquoi, si quelques-uns avaient la présomption, ce qu’à Dieu ne plaise, de penser contrairement à notre définition, qu’ils apprennent et qu’ils sachent que condamnés par leur propre jugement ils ont fait naufrage dans la foi et cessé d’être dans l’unité de l’Église ; et que, de plus, ils encourent par le fait même les peines de droit, s’ils osent exprimer ce qu’ils pensent de vive voix ou par écrit, ou de toute autre manière extérieure que ce soit. (...) »
LES FRUITS ESPÉRÉS
« Nous avons la plus ferme espérance et la confiance la plus assurée que la Vierge bienheureuse qui, toute belle et tout immaculée, a écrasé la tête venimeuse du cruel serpent et apporté le salut au monde. (...) Nous espérons qu’elle voudra bien faire en sorte, par sa protection toute-puissante, que toutes les difficultés écartées, toutes les erreurs vaincues, la Sainte Église catholique, notre mère, soit de jour en jour plus forte, plus florissante chez toutes les nations et dans tous les lieux ; qu’elle règne d’une mer à l’autre, et depuis les rives du fleuve jusqu’aux extrémités du monde ; qu’elle jouisse d’une paix entière, d’une parfaite tranquillité et liberté ; que les coupables obtiennent leur pardon, les malades leur guérison, les faibles de cœur la force ; les affligés la consolation, ceux qui sont en danger le secours ; que tous ceux qui sont dans l’erreur, délivrés des ténèbres qui couvrent leur esprit, rentrent dans le chemin de la vérité et de la justice, et qu’il n’y ait plus qu’un seul bercail et qu’un seul pasteur.»
Ainsi, dans les combats qu’il menait contre les ennemis de l’Église, Pie IX avait recours à l’Immaculée et il affirmait : « C’est une vraie miséricorde de Dieu que cette fermeté qu’il daigne m’accorder au milieu de tant de contradictions, de tant de maux, et spécialement de ces efforts continuels que l’on fait pour m’introduire à une conciliation qui, de par sa nature, est impossible, le mensonge ne pouvant jamais être confondu avec la vérité. »
« DES DÉLICES INÉNARRABLES... »
Pendant la proclamation du dogme, il pleuvait abondamment. Or, « précisément au moment où le Pontife prononça les paroles de la définition, le ciel se découvrit et un rayon de lumière vint l’illuminer. »
Bouleversé par la grandeur de l'acte qu’il accomplissait, il dut arrêter un moment sa lecture, n'arrivant plus à parler : « Je n’ai eu, alors, ni extase ni vision de cette sorte ; mais quand je commençai à publier le décret dogmatique, je sentis ma voix impuissante à se faire entendre de l’immense multitude (50 000 personnes) qui se pressait dans la basilique vaticane, mais quand j’arrivai à la formule de la définition, Dieu donna à la voix de son Vicaire une telle force et une telle surnaturelle vigueur que toute la basilique en résonna. Et je fus si impressionné d’un tel secours divin que je fus contraint de suspendre un instant la parole pour donner libre cours à mes larmes.
“ Pendant que Dieu proclamait le dogme par la bouche de son Vicaire, Dieu lui-même donna à mon esprit une connaissance si claire et si large de l’incomparable pureté de la Très Sainte Vierge que, abîmé dans la profondeur de cette connaissance qu’aucun langage ne pourrait décrire, mon âme resta inondée de délices inénarrables, de délices qui ne sont pas de la terre et qu’on ne pourrait éprouver qu’au Ciel.
“ Aucune prospérité, aucune joie de ce monde ne pourrait donner de ces délices la moindre idée ; et je ne crains pas d’affirmer que le Vicaire du Christ eut besoin d’une grâce spéciale pour ne pas mourir de douceur sous l’impression de cette connaissance et de ce sentiment de la beauté incomparable de Marie Immaculée.» (...)
L’Immaculée accordera, en plusieurs circonstances, une protection quasi miraculeuse à son fils privilégié.
Quelques mois après la proclamation du dogme, le 12 avril 1855, au couvent des chanoines du Latran, Pie IX recevait l’hommage des cent dix séminaristes de la Propaganda fide. Il allait leur donner la bénédiction pontificale quand le plancher de la salle où ils se trouvaient s’effondra.
« Vierge Immaculée, s’écria-t-il, venez à leur secours ! »
Las ! la poutre maîtresse s’était rompue et entraînait déjà dans sa chute les autres poutres et les murs. Tous se trouvèrent ensevelis sous cet amoncellement. Or, voici que le Pape, et avec lui trois cardinaux, en sortit indemne. Comme on s’attendait à retrouver, sous les décombres, de nombreux morts et des blessés graves, le Saint-Père dit avec assurance :
« J’ai confiance en l’Immaculée : personne ne perdra la vie. » Ce qui arriva : on ne déplora aucun mort !
LA TRAHISON DES FAUX FRÈRES
Les combats de Pie IX pour défendre l’Église contre les agressions des pouvoirs laïcs et francs-maçons furent d’autant plus difficiles qu’il était trahi par les libéraux. Néanmoins, il n’a jamais transigé.
Son pouvoir temporel fut attaqué avec un acharnement sans pareil. (...)
Les ultramontains soutenaient fermement le Pape dans son héroïque combat contre les erreurs modernes et notamment contre le libéralisme. Dans un Mémoire adressé à Pie IX en 1863, le cardinal Pitra dénonçait les libéraux comme un « parti » au caractère sectaire :
« Ce parti connaît la science des subterfuges, des demi-rétractations, des réclames, des fausses nouvelles et des rectifications de gazette, des interventions officielles et officieuses, et des manœuvres diplomatiques. »
Dom Pitra insistait sur la nécessité d’une condamnation claire et forte.
Le congrès de Malines fut l’un des événements qui décidèrent le pape Pie IX à hâter la publication du Syllabus.
« En 1863, note l’abbé de Nantes, Montalembert au congrès de Malines proclame la charte des temps modernes : “ l’Église libre dans l’État libre ”. Il faudra que l’Église s’accommode de la liberté, économique, sociale, philosophique et religieuse, aujourd’hui, comme du socialisme collectiviste de demain. Les libéraux ont confiance en l’Homme, et en l’État. Paraissant lutter pour les droits de Dieu, dans la démocratie, ils luttent plus encore pour contraindre l’Église de Dieu à reconnaître les droits de l’Homme.
« Telle est “ la réconciliation de l’Église et de la Révolution ” qu’ils préconisent. Dans le respect égal de toutes les croyances, l’État moderne, laïque dans ses principes, souverain dans tous les domaines de la vie publique, saura faire régner l’ordre, la justice, la paix. Sans Dieu. Voilà toute la vie sociale arrachée au Christ et à l’Église, mais soumise à la religion de l’Homme. L’étape de l’apostasie est franchie. » (Lettre à mes amis n° 236 du 25 octobre 1966, p. 3)
L’ACTE SAUVEUR : LE SYLLABUS
Pie IX voulut dresser la liste des erreurs modernes les plus répandues afin de les condamner solennellement. Ce labeur aboutit finalement aux quatre-vingts propositions du Syllabus, véritable synthèse des enseignements doctrinaux de Pie IX.
Il le publia le 8 décembre 1864, dixième anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, afin de le placer sous la protection de « l’Immaculée et très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie qui a détruit toutes les hérésies dans le monde entier. Notre Mère très aimante à tous, “ est toute suave... et pleine de miséricorde... se montre exorable à tous, très clémente à tous, compatit aux misères de tous avec la plus large affection ”. Comme Reine, debout à la droite de Son Fils Unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout enveloppée dans un vêtement d’or, il n’y a rien qu’Elle ne puisse obtenir de Lui. »
Pie IX faisait appel au zèle et à la sollicitude pastorale des évêques pour « terrasser » les très graves erreurs qu’il dénonçait, notamment les erreurs des catholiques libéraux :
« Ces opinions trompeuses et perverses sont d’autant plus détestables qu’elles visent principalement à entraver et renverser cette puissance de salut que l’Église catholique, en vertu de la mission et du mandat reçus de son divin Auteur, doit exercer librement jusqu’à la consommation des siècles, non moins à l’égard des individus que des nations, des peuples et de leurs chefs. Elles cherchent à faire disparaître cette mutuelle alliance et cette concorde entre le Sacerdoce et l’Empire, qui s’est toujours avérée propice et salutaire à la Religion et à la société.
« Et de fait, vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, il s’en trouve beaucoup aujourd’hui pour appliquer à la société civile le principe impie et absurde du “ naturalisme ”, comme ils l’appellent, et pour oser enseigner que “ le meilleur régime politique et le progrès de la vie civile exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la Religion que si elle n’existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie et les fausses religions ”.»
« Là où la religion a été mise à l’écart de la société civile, la doctrine et l’autorité de la révélation divine répudiées, la pure notion même de la justice et du droit humain s’obscurcit et se perd, et la force matérielle prend la place de la véritable justice et du droit légitime. » (...)
La publication du Syllabus demeure l’un des événements majeurs du pontificat de Pie IX :
« À vrai dire, écrit l’abbé de Nantes, depuis l’explosion révolutionnaire de 1789, les Papes n’avaient cessé de dresser contre cet esprit de révolte, “ satanique dans son essence ”, le rempart de leur Magistère, l’obstacle de leur autorité tout engagée au service de la foi. Mais le Syllabus donnait à tant d’enseignements épars une force ramassée, claire, implacable. Tous les dogmes de la maçonnerie, toute la théorie des droits de l’Homme, de l’État, du Peuple-Dieu s’y trouvaient définis et rejetés. Dès lors, était dressé à l’entour de l’Église assiégée un rempart, un système de défense qui en devait interdire l’assaut, la trahison, l’épuisement. » (Lettre à mes amis n° 190)
UNE ÉGLISE CONQUÉRANTE
Pie IX n’a pas seulement fait barrage à « l’apostasie » qu’il voyait venir, il a aussi entrepris un grand labeur de rénovation. « C’est sous son règne que l’Église est devenue moderne dans son administration, pleine de vitalité, et enfin apte à s’étendre pour la première fois au monde entier. » (Georges de Nantes, Prélude à l’apostasie, CRC n° 96, sept. 1975, p. 5)
Il donna une impulsion universelle aux missions, érigeant plus de deux cents évêchés ou vicariats apostoliques. Il imposa, peu à peu, dans toute l'Église latine, la liturgie romaine et le chant grégorien. il approuva et recommanda de nouvelles dévotions.
Donnons un seul exemple, bien connu des paroissiens du Mesnil-Saint-Loup.
Le 5 juillet 1852, l’abbé André, le futur Père Emmanuel, sollicite du Saint-Père une audience particulière. « Elle lui fut gracieusement accordée. Alors, à genoux, avec son ami, au pied et tout près du cœur du Saint-Père, il formula sa demande :
– Très Saint-Père, voulez-vous donner à la Très Sainte Vierge honorée dans notre église le nom de Notre-Dame de la Sainte-Espérance ?
« À ces mots, le Saint-Père, qui jusque-là se tenait tourné vers les deux prêtres, releva la tête, regarda en haut d’un autre côté de sa chambre, parut réfléchir comme s’il eût cherché à comparer deux pensées pour saisir le rapport de l’une avec l’autre ; puis, se retournant après un moment de solennel silence, il parut rempli de joie et, avec un accent de satisfaction bien marquée, il dit :
– Notre-Dame de la Sainte-Espérance, oui !
« Le nom une fois acquis, tout était gagné. L’institution de la fête fut accordée d’emblée, pour le quatrième dimanche d’octobre. Puis une indulgence plénière fut concédée pour la première fête. Le pieux solliciteur réclama humblement la concession à perpétuité.
– Oui, à perpétuité pour la fête de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, répondit Pie IX qui paraissait tout rayonnant. » (dom Maréchaux, Le Père Emmanuel, Mesnil-Saint-Loup, 1935, p. 54)
UN REMÈDE EXTRAORDINAIRE :
LE CONCILE VATICAN I
Dès l’annonce officielle de la convocation du Concile, Pie IX le plaça sous le « patronage de Celle qui, de son pied, au commencement du monde, a écrasé la tête du serpent et qui, depuis, seule a détruit toutes les hérésies » (allocution du 30 juin 1867).
Les manœuvres des catholiques libéraux se heurtèrent à l’inébranlable résolution du Pape de l’Immaculée qui se savait pourtant très menacé, à Rome même, par les armées piémontaises. « Le Concile se tiendra, Dieu le veut ! Dussions-nous sortir de l’Europe, dussions-nous, s’il le faut, nous transférer à Pékin ! » (Baunard, t. 2, p. 368)
Pie IX voulait « remédier d’une manière extraordinaire aux maux immenses» de la société: impiété, corruption des moeurs, violation des lois divines et humaines.
Le Pape ouvrit solennellement le premier concile du Vatican le 8 décembre 1869, en la fête de l’Immaculée Conception. Mais il fut malheureusement suspendu à l'automne, à cause de la guerre franco-prussienne. Le 20 septembre 1870, l’armée piémontaise investissait la Ville éternelle et se livrait à toutes sortes d’exactions. Victor-Emmanuel décréta alors l’abolition des États pontificaux et rattacha Rome au royaume d’Italie. Le Pape devenait le “ prisonnier du Vatican ”.
Pie IX lance l’excommunication majeure contre les spoliateurs du Siège apostolique et réaffirme « que le principat civil du Saint-Siège a été donné au Pontife romain par un particulier dessein de la Divine Providence ; qu’il est nécessaire que ce même Pontife romain, jamais soumis à aucun prince ou aucune puissance civile, puisse exercer en parfaite liberté le pouvoir suprême et l’autorité de paître et de régir l’universel troupeau du Seigneur, pouvoir et autorité divinement reçus du Christ lui-même. » (encyclique Ubi Nos arcano Dei consilio, 15 mai 1871)
Malgré toutes les tentatives, ruses et promesses du Prince de ce monde, le bienheureux Pape ne fléchira jamais. « Pie IX n’est pas chargé, écrivait Louis Veuillot, de procurer le triomphe de la vérité méconnue, il est chargé de confesser cette vérité jusqu’à la mort ; car c’est par là qu’au temps fixé de Dieu, elle surgit vivante du tombeau de ses martyrs. »
En ces temps d’épreuve, Pie IX ne perdait sa bonhomie charmante, mais le caractère surnaturel de ses réflexions et directives devenait saisissant. Un prêtre, reçu en audience, lui déclare :
« – Saint-Père, je prie pour votre prompte délivrance et pour la cessation des persécutions.
« Il l’interrompt :
« – Priez pour que la volonté de Dieu s’accomplisse car nous ne savons, ni vous ni moi, s’il est bon que l’orage s’apaise si vite. La persécution pour l’Église, c’est la santé. »
Les tribulations du Saint-Père lui valurent un surcroît de prestige dans toute la Chrétienté. Il jouissait alors d’une incontestable réputation de sainteté. On savait combien ses aumônes étaient abondantes en faveur des monastères spoliés par le gouvernement piémontais.
Ses sujets rebelles furent souvent bouleversés, voire convertis, par sa magnanimité. À l’hôpital du Saint-Esprit, un prisonnier garibaldien refuse de lui montrer son visage. Le Pape lui parle de sa voix la plus douce : « Moi, je te pardonne, maintenant demande pardon à Dieu. » Le jeune homme fond en larmes.
Pie IX chargea le professeur Tonello de la mission suivante : « Dites à Garibaldi que ce pauvre vieillard qu’il appelle le vampire du Vatican lui pardonne, prie pour lui et, ce matin même, a dit la Messe pour lui. » (Fernessole, t. 2, p. 419)
On ne compte pas les miracles accomplis par le pape Pie IX, de son vivant, relatés dans les Semaines religieuses de l’époque. Quand on venait l’en remercier, il écourtait la conversation par une aimable plaisanterie. À un jeune Parisien, le fils de Christian Desperrins, qui lui dit avoir été miraculé en 1866 par le seul contact de l’un de ses bas, il répondit : « C’est en effet bien surprenant. Moi qui les porte tout le long du jour, je ne cesse pas d’avoir mal aux jambes. » (Villefranche, 1878, p. 425 )
« L’IMMACULÉE ME SOUTIENT »
Aux heures les plus tragiques, le pape Pie IX venait implorer le secours de l’Immaculée, devant la représentation de la grotte de Lourdes édifiée sur son ordre dans les jardins du Vatican.
Lorsqu’en février 1874, Mgr Langénieux lui offrit un cadre de bronze doré, enrichi de cinq émaux représentant l’Apparition et le sanctuaire de Lourdes, le Pape, en contemplant l’Immaculée, confia à l’évêque : « Voilà toute mon espérance, car des espérances humaines, il n’y en a pas. Salut donc, Étoile de la mer, salut donc, Mère de notre Dieu, Marie toujours Vierge, Marie, Porte heureuse du Ciel. »
Je le mettrai dans mon oratoire, là où je vais plusieurs fois chaque jour adorer le Divin Sacrement. Et si mon âme est désolée, s’il me semble que Dieu est sourd à notre voix, je lèverai mes yeux vers l’Immaculée. Elle priera avec Nous, Elle priera pour Nous. » (Fernessole, p. 271)
Quand Mgr Langénieux quitta l’évêché de Tarbes pour l’archevêché de Reims, le Pape lui dit : « Mon fils, nous sommes soldats, et il faut aller aux postes où il y a le plus à combattre. Vous l’aimez bien, notre bonne Mère, la Vierge Marie. Ayez donc confiance. Moi, elle me soutient. Elle ne vous abandonnera pas. » (Villefranche, p. 400)
Dans le mouvement même de sa dévotion pour l’Immaculée Conception, Pie IX honora d’un culte fervent saint Joseph, son chaste époux. Le 8 décembre 1870, il proclama officiellement saint Joseph « patron de l’Église catholique ».
Le 2 février 1878, très malade, alité depuis plusieurs mois, il confia à un religieux qui s’étonnait de sa sérénité : « Ah ! cela tient à ce qu’aujourd’hui saint Joseph est plus connu. » Et le Souverain Pontife exprima sa confiance dans le triomphe à venir de l’Église, puisqu’elle était officiellement placée sous ce haut et puissant patronage.
Le Pape de l’Immaculée s’éteignit cinq jours plus tard, dans la soirée du 7 février, alors que les cloches de l’Angelus tintaient les premières notes de l’Ave Maria.
Frère François de Marie des Anges
Extraits de la CRC n° 370, Septembre 2000, p. 13-24