Saint Michel Garicoïts (1797-1863)
Saint Michel Garicoïts est né en 1797, dans un petit village du pays basque, Ibarre. D’une famille de paysans, pauvres et ardemment catholiques et, par le fait même, contre-révolutionnaires. Ses parents ont traversé les Pyrénées pour aller recevoir en Espagne le sacrement de mariage de la main d’un prêtre non jureur ; ils ont caché dans leur ferme des prêtres réfractaires, au péril de leur vie.
Le petit Michel a du caractère. Dans ce pays de basse montagne, le climat rigoureux, les travaux de la ferme et l’éducation stricte de ses parents, ont tôt fait de l’aguerrir. « Sans ma bonne et pieuse mère, dira-t-il, je sens que je serais devenu un scélérat. » Avec cela, une crainte de l’enfer, un attrait irrésistible pour le Ciel. Un jour, voyant le bleu du ciel toucher le sommet de la colline à laquelle la maison familiale était adossée, il s’imagina qu’on y pourrait entrer par-là. Toujours prompt à réaliser l’idée qui lui venait, il y grimpa laissant les moutons de son père à la garde du chien. Déception ! le ciel avait reculé jusqu’au pic voisin. Il y courut et, de là, jusqu’au troisième. L’aventure s’acheva en pleines ténèbres : sans qu’il y prît garde, la nuit déjà submergeait la montagne. L’enfant redescendit, désenchanté. Mais sa cuisante déception grava plus profondément encore dans son âme le désir du Ciel, le vrai !
Affamé de l’Eucharistie, il voulait être prêtre, mais ne put commencer ses études qu’à l’âge de quatorze ans, et encore en s’employant comme domestique, un peu comme don Bosco. Doué d’une vive intelligence, il travailla avec tant d’acharnement, qu’il rattrapa son retard, devint au séminaire un sujet d’élite et fut ordonné prêtre en décembre 1823. Pendant deux ans, il fut vicaire à Cambo, grosse bourgade du Pays basque. La source cachée de son ministère, déjà à cette époque, était la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, dont il établit une confrérie, et au Cœur Immaculé de Marie. À l’automne 1825, il est nommé professeur de philosophie au grand séminaire de Bétharram. Il a la confiance de son évêque qui confie à son secrétaire : « L’abbé Garicoïts est un saint que je vénère ; je veux en faire le directeur de toutes nos religieuses, et vous verrez qu’il ravivera dans le diocèse la sève de l’esprit chrétien et religieux. »
De fait, il réussit en très peu de temps à restaurer à Bétharram la discipline, la piété et le zèle des études, jusqu’au jour où l’évêque de Bayonne décide en 1832 de ramener ses séminaristes près de lui, à Bayonne, et laisse le Père seul. Entre-temps, deux événements capitaux se produisent : un qui le touche intimement, et l’autre qui a trait aux affaires de France et de l’Église.
D’abord, ce que saint Michel appela sa “ conversion ”. Il avait été nommé aumônier des Filles de la Croix, qui viennent de s’installer au couvent d’Igon, à quatre kilomètres de Bétharram. C’est là que, en 1828, il rencontre Jeanne-Élisabeth Bichier des Âges, leur sainte fondatrice. À son contact et à celui de ses sœurs qui pratiquent avec tant de joie et de simplicité la pauvreté évangélique, il comprend que le Cœur de Jésus l’appelle au radicalisme des saints. De ce jour, commence sa course de géant vers la sainteté.
Deuxième épisode : la révolution de 1830, qui chasse le roi légitime Charles X et met à sa place l’usurpateur Louis-Philippe. Pour les saints, pour le Ciel lui-même, comme on le voit dans les apparitions à sainte Catherine Labouré, ce n’est pas une simple révolution politique, c’est Notre-Seigneur en Personne, vrai Roi de France, qui est détrôné. L’Église elle-même est atteinte, puisqu’un prophète s’est levé en son sein, qui a pour nom Lamennais, prêchant la réconciliation de l’Église avec la Révolution au nom de l’Évangile avec pour devise : Dieu et la Liberté.
L’abbé de Nantes a dénoncé dans cette folle doctrine la grande hérésie des temps modernes, prélude à l’apostasie que nous vivons. Dès 1830, elle provoque dans le clergé, partant chez les fidèles eux-mêmes, une fièvre de revendication, d’autonomie, de révolte.
Saint Michel Garicoïts mesure le danger et monte aux remparts : l’Église souffre d’un grand mal appelant un puissant remède. « Oh ! se disait-il à lui-même, si l’on pouvait réunir une société de prêtres ayant pour programme le programme même du Cœur de Jésus, le Prêtre éternel, le serviteur du Père Céleste : dévouement et obéissance absolus, simplicité parfaite, douceur inaltérable ! Ces prêtres seraient un véritable camp volant de soldats d’élite, prêts à courir, au premier signal des chefs, partout où ils seraient appelés, même et surtout dans les ministères les plus difficiles et dont les autres ne voudraient pas. »
« Malgré sa profonde humilité, dira de lui son fils de prédilection, le Père Etchécopar, lui-même un saint, il croyait à une œuvre de spéciale création ayant son but, son organisation, son esprit, ses moyens à elle. Il croyait que le Dieu des petits et des pauvres l’avait choisi à cette fin [servir l’Église de Dieu si ébranlée par la révolution du siècle dernier et par les ravages de l’esprit moderne] et qu’il lui avait dit : “ Va fonder dans mon Église un nouvel institut. Il a sa raison d’être. Voici votre drapeau et le cri de votre ralliement : tu marcheras en tête avec le drapeau du Sacré-Cœur, en poussant le cri Ecce venio de mon Fils, et vous serez la joie et le soutien de mon Église. ” »
LES PÈRES DU SACRÉ-CŒUR, MISSIONNAIRES DE L’IMMACULÉE
Et il le fut en vérité. Un “ camp volant de missionnaires ” se constitua à Bétharram, dès 1834, et de la Bigorre à l’est au Pays basque à l’ouest, la foi et les mœurs de ce pays furent préservées grâce au Père Garicoïts et à ses missionnaires : par leurs missions populaires, leurs collèges, et par le charisme extraordinaire de directeur d’âme du fondateur lui-même. Il leur disait souvent : « En avant, en avant toujours, jusqu’au Ciel ! » Et aussi : « Jésus-Christ ne veut pas des soldats fainéants, mais des combattants et des vainqueurs. »
On peut dire qu’ils ont préparé le terrain, pour qu’au jour de ses apparitions à Lourdes, en 1858, l’Immaculée trouve un peuple bien disposé, prêt à entrer dans ses vues. Les Pères du Sacré-Cœur ont été les hérauts, les porte-paroles, les missionnaires de ce grand dessein “ orthodromique ” du Cœur Immaculé de Marie.
Sainte Bernadette vint en pèlerinage à Bétharram et acheta ce chapelet de deux sous qu’elle égrenait pendant les apparitions. Saint Michel Garicoïts, le premier peut-être parmi le clergé de la région, adhéra aux apparitions de 1858 et se fit le garant de la petite voyante auprès de Mgr Laurence, l’évêque de Tarbes. (...)
LA VIERGE MARIE, MAÎTRESSE DE LA MAISON
En 1832, nous l’avons dit, les séminaristes retournent à Bayonne et leur directeur, l’abbé Garicoïts, se retrouve supérieur d’une grande maison vide. Depuis plusieurs années, il mûrit son projet de fondation. Il va donc faire retraite à Toulouse auprès d’un saint jésuite, le Père Leblanc, qui lui dit : « Vous suivrez votre inspiration que je crois venue du Ciel, et vous serez le père d’une famille qui sera notre sœur... »
Comme écrasé par ces paroles, Michel Garicoïts va se jeter, sitôt son retour à Bétharram, au pied du tabernacle et de la Vierge en bois doré qui tient son Enfant sur un bras, un sceptre dans l’autre main, et se relève réconforté. « Je sentis alors au plus profond de mon être un mouvement extraordinaire, qui me confirmait dans mon dessein et qui m’encourageait à l’exécuter. »
À dater de ce jour, il appela la Sainte Vierge la « Maîtresse de la maison » et une pensée ne le quitta plus : de même que le Sacré-Cœur fut conçu dans le sein de la Vierge en sa maison de Nazareth, ainsi la petite société des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus est enfantée par elle en sa maison de Bétharram.
Il restaure la chapelle, en faisant appel à un artiste de talent, Alexandre Renoir, qui sculpte la Vierge du Beau-Rameau qui trône maintenant au-dessus du maître-autel. Il introduit les confréries du Saint-Rosaire, du Cœur Immaculé de Marie refuge des pécheurs et du Saint-Scapulaire. Pour les frères coadjuteurs qui aident aux tâches matérielles du sanctuaire et des missions, il achète une ferme dans les environs qu’il baptise Ferme Sainte-Marie. La première école qu’il fonde est l’École Notre-Dame. Devant l’affluence des élèves, on lui propose de bâtir un collège dans un endroit plus aéré, de l’autre côté du Gave, mais il s’y oppose résolument. Où l’on voit la délicatesse de son amour pour la “ Maîtresse de la maison ” : « La Sainte Vierge a choisi Bétharram, nous devons y rester... Au besoin, Notre-Dame nous tiendra lieu de tout. »
Toutes les fêtes de la Sainte Vierge et tous les premiers samedis du mois sont célébrés à Bétharram par le chant de la messe et des vêpres, avec assistance de la communauté entière, religieux et élèves. Le chapelet est récité quotidiennement, en commun, et le soir, toute la famille religieuse se regroupe aux pieds de Notre-Dame pour chanter l’Ave maris Stella et le Sub tuum præsidium...
Pour son compte personnel, le saint ne se contente pas de ces exercices communs. Il est affilié à l’Association du Rosaire perpétuel, et s’acquitte de ses obligations de 3 à 4 heures du matin. C’est avec Elle qu’il commence sa journée. Il est touchant de voir qu’il est mort le jour de l’Ascension, 14 mai 1863, à 3 heures du matin, c’est-à-dire à l’heure où il se levait pour réciter ses Ave.
Il n’est donc pas étonnant qu’il ait compris tout de suite l’importance des événements de Lourdes, et qu’il leur ait donné, d’abord en secret, puis publiquement, son assentiment.
Au mois de juillet 1858, Mgr Laurence qui avait en grande estime le supérieur de Bétharram, lui envoya Bernadette. De leur entretien, rien n’a filtré. Les témoins se souviennent seulement du visage rayonnant du saint et de la petite voyante, qui reviendra plusieurs fois à Bétharram recevoir les conseils du saint. (...)
« Que Dieu est bon ! disait saint Michel Garicoïts, comme il comble de grâces nos Pyrénées. » (...) Il soutiendra de ses deniers, et Dieu sait qu’il n’était pas riche ! la construction de la basilique de l’Immaculée Conception à Lourdes et, à plusieurs reprises, se mêlera humblement à la foule des pèlerins.
« Sa tendresse pour la Sainte Vierge était inexprimable », rapporte son premier biographe. Comme sa dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, elle était nourrie d’une forte et claire doctrine. Il contemplait et méditait sans fin le mystère de l’Incarnation et la réponse de la Sainte Vierge : Ecce ancilla Domini, voici la servante du Seigneur, le ravissait car elle correspondait parfaitement à l’Ecce venio, me voici, du Fils de Dieu.
« Du Cœur du Père dans le sein de la Vierge, disait-il, quel chemin s’ouvre devant nous ! Jésus est descendu par Marie. Levons la tête vers notre médecin. Et montons nous aussi par Marie. »
« ME VOICI, SANS RETARD, SANS RÉSERVE,
SANS RETOUR, PAR AMOUR ! »
Saint Michel reçut sur ce mystère ineffable de l’Incarnation des lumières particulières. Dans la nuit de Noël 1830 par exemple, on le vit tout transfiguré au moment de l’Incarnatus est du Credo et, d’autres fois, on le vit s’élever du sol après la consécration. (...)
En tête de ses écrits, saint Michel écrit ces trois lettres : FVD , Fiat voluntas Dei. (...)
Jésus, notre Modèle unique, « entra dans la carrière par ce grand acte qu’il ne discontinua jamais. Dès ce moment, il demeura toujours en état de victime, anéanti devant Dieu, ne faisant rien par lui-même, agissant toujours par l’Esprit de Dieu, constamment abandonné aux ordres de Dieu pour souffrir et faire tout ce qu’il voudrait.
« (...) Cependant, les hommes sont de glace pour Dieu ! Et parmi les prêtres mêmes, il y en a si peu qui disent, à l’exemple du divin Maître : “ Nous voici !... Ita, Pater ! Oui, Père ! ” »
Et comment est venu ce grand mal ?
« (...) Le souci du moi, le moi devenant la fin des choses, des meilleures choses. Et alors, comme tout est abaissé, dégradé dans le sensualisme ! Tout tombe et s’avilit, la philosophie, la théologie, les caractères, les ministères les plus relevés. On ne voit que soi et, de là, toutes ces préoccupations terrestres où se perdent les gens du monde. Quelle perte de temps, quelle monstruosité, et aussi quel scandale ! On met l’homme à la place de Dieu, nous nous matérialisons, nous nous humanisons au lieu de nous diviniser, au lieu d’être les uns pour les autres les images de Notre-Seigneur Jésus-Christ rapportant tout à son Père, afin que, nous voyant les uns les autres, nous vissions Dieu pour le glorifier.
« Le règne de l’humanité, c’est l’oubli de Dieu ; la révolte contre lui, c’est le crime de Lucifer, le crime qui a précipité le tiers des anges dans l’enfer. C’est ce crime même qui amènera le règne de l’Antéchrist. Oui, quand l’humanité aura chassé Dieu dans une certaine mesure, alors viendra la fin du monde, l’Antéchrist sera le fruit de cet amour de soi, égoïste, monstrueux, horrible. »
Pour restaurer le règne de Dieu, « les prêtres de Bétharram se sont sentis portés à se dévouer, pour imiter Jésus anéanti et obéissant, et pour s’employer tout entiers à procurer aux autres le même bonheur ».
« Me voici, pour faire votre volonté, sans retard, sans réserve, sans retour, par amour. »
Jusqu’au dernier jour, saint Michel a pratiqué cette maxime, héroïquement. (...)
Il s’éteignit paisiblement le 14 mai 1863.
Extrait de Il est ressuscité ! n° 69, mai 2008, p. 15-19