Il est ressuscité !
N° 202 – Octobre 2019
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2019
De la dévotion de la religion de nos pères
à la place centrale de l’Immaculée Conception
Introduction par frère Michel de l’Immaculée Triomphante et du Divin Cœur.
C’EST avec une ardeur ravivée par le « réveil » de notre hiérarchie, dont témoigne une abondante correspondance, que se tint le camp de la Phalange, du 16 au 27 août. Frère Bruno, dans sa réponse à Mgr Pontier, a évoqué en six petites pages éblouissantes la doctrine “ totale ” de l’abbé de Nantes, notre Père, dressée au milieu des ruines conciliaires comme une « cathédrale de lumière », selon sa propre expression, en vue de la renaissance de l’Église.
Tel fut donc le thème des conférences du camp, longuement préparées en communautés. Ces dix jours de prière et d’étude furent l’occasion pour les cent soixante jeunes gens et jeunes filles participants de pénétrer plus avant dans la pensée de notre Père. Il ne s’agit pas d’un système intellectuel rigide, mais d’une doctrine vivante et vivifiante : héritée de la tradition millénaire de l’Église et enrichie des intuitions personnelles fulgurantes qu’il fit fructifier tout au long d’une vie de travail intense. Une telle œuvre, gigantesque, témoigne d’une grâce spéciale du Saint-Esprit !
Dès le premier soir, avant les complies, ce fut notre Père lui-même qui nous expliqua dans quel esprit nous mènerions cette étude. Nous écoutâmes l’enregistrement de la conclusion de la session de Toussaint 1992, où il rappelait la parole si encourageante que lui adressa un jour l’abbé Bourdier, l’ermite de Vidauban : « Seules les âmes mystiques vous suivront jusqu’au bout. » Qu’est-ce à dire ? Et le Père d’expliquer que dans notre CRC, l’intelligence est la faculté primordiale, afin d’atteindre la vérité. « Aime beaucoup l’intelligence », déclarait déjà saint Augustin. Mais elle ne suffit pas : touché par la grâce, le cœur doit ensuite prendre le relais, pour nous entraîner au-delà des limites de notre raison humaine, pour embrasser les mystères de notre sainte religion. Et cet amour, enfin, nous engage à servir Jésus et Marie. Tel était bien le programme proposé aux jeunes CRC pendant ce camp et tous, y compris les nouveaux venus, y adhérèrent avec un bon esprit roboratif.
Frère Bruno introduisit notre étude de la pensée de notre Père par son sermon du 17 août – bientôt publié dans les Logia – en nous rappelant cette vérité fondamentale : « Nous sommes les enfants de cette sainte Église catholique, apostolique et romaine, grâce à l’abbé de Nantes, notre Père. C’est lui, notre Père, qui nous a appris à servir l’Église et à travailler pour elle de toutes nos forces. Chacun de nous. Pour la défendre contre ceux qui voulaient la “ réformer ”, c’est-à-dire la déformer, la défigurer. »
C’est pour cela qu’étudier sa vie est vital pour chacun d’entre nous ! Et frère Bruno retraça alors en quelques minutes l’extraordinaire vocation de notre Père, au service de cette douce Vérité première « dont les frères chantent la gloire » (Règle provisoire des Petits frères du Sacré-Cœur, article n° 38), au moment où elle est universellement méprisée, et dans l’amour de l’Église tellement décriée, avec l’espérance inconfusible du triomphe du Cœur Sacré de Jésus par le Cœur Immaculé de Marie.
INTRODUCTION
Pour étudier la pensée de l’abbé Georges de Nantes, sujet d’autant plus vaste et passionnant que notre Père a abordé tous les domaines, nous n’en retiendrons que les principaux : la Sainte Vierge, la philosophie, la métaphysique, la théologie, celle de saint Thomas et celle du bienheureux Duns Scot, le concile Vatican II, la mystique, la politique et l’histoire...
Notre Père s’est d’abord nourri de ses traditions familiales et de ses maîtres, mais très rapidement, parfois même dès le séminaire, il a eu des intuitions qu’il a longuement mûries et travaillées et qui maintenant charpentent notre école de pensée, véritable cathédrale de lumière, fondée sur le Christ et sur la Vierge Marie.
Dans ce premier article, nous voulons voir la place qu’occupe la Sainte Vierge dans la pensée de notre Père. Le titre déjà nous oriente sur la direction et l’évolution prises : depuis sa période de formation, de 1924 à 1948 ; puis dans son apostolat et son combat (1948-1977) ; enfin, à partir de 1977 et jusqu’à sa mort, l’Immaculée s’impose peu à peu jusqu’à prendre toute la place.
1924-1948 :
LA DÉVOTION DE LA RELIGION DE NOS PÈRES
L’ENFANCE.
Notre Père a prêché à l’automne 1988 une retraite absolument merveilleuse intitulée : La religion de nos pères. Il explique que la religion de nos pères est celle des saints et de leur entourage qui vivaient tous de la même religion. Cette religion d’avant le Concile est tout simplement la foi en un credo professé par tous les catholiques comme une certitude intellectuelle à laquelle le cœur consent volontairement, sous la motion de la grâce de Dieu. Certitude intellectuelle, consentement du cœur, grâce de Dieu.
Où notre Père s’est-il nourri de cette religion ? Dans le cadre naturel de sa famille, de ses écoles, de sa paroisse, de son séminaire, c’est-à-dire dans le cadre des institutions de l’Église.
Notre Père écrit dans une Page mystique intitulée Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? La Foi (n° 46) que, sans pouvoir y mettre ces mots qui lui étaient inconnus, « son univers d’enfant était religieux et métaphysique ». Il écrit : « Dieu, mon Dieu, vous m’êtes un Père du Ciel que j’aime et dont je suis fier comme de mon papa, mon papa si doux, si beau, qui sait toujours tout, mon père que vous m’avez donné. Et maman, si sage, si sage, quand elle allume les bougies du mois de Marie et nous agenouille devant la statue de la Sainte Vierge pour le chapelet du soir, nous confie à une autre Mère si belle, si pure, si merveilleusement attirante que mon cœur déborde d’un rayonnant bonheur. » L’enfant apprend comme naturellement son credo, l’existence de Dieu le Père et de la Vierge Marie, ainsi que des pratiques, ses prières. On voit aussi que le petit Georges transfère l’amour pour ses parents aux habitants du Ciel. La bonté de son père lui parle de l’Amour de Dieu. La sagesse et le bon cœur de maman le conduisent à l’amour de notre Mère du Ciel.
Sa dévotion pour la Sainte Vierge naît de son amour pour sa maman, pour ses parents. Elle passe d’un cœur à l’autre, des parents à l’enfant.
La tendresse n’est pas tout. La dévotion est le fruit des prières elles-mêmes dont sa famille le nourrit. Un autre passage des Mémoires et Récits illustre cette idée. L’abbé de Nantes raconte comment pendant ses vacances à Glux, les oncles, les tantes, les cousins, toute la famille derrière la grand-mère, se rendaient chaque matin à la messe de l’abbé Bornet. Elle était le centre de toute leur vie, du village. « Je crois, sans rien transfigurer, que la messe était la raison profonde de la joie et des efforts de chacun, inaperçus, jour après jour, qui rendaient ces vacances à Glux merveilleuses. » (p. 41) La religion chrétienne s’apprend, se goûte, s’imprime dans l’âme des enfants par les bons exemples certes ! mais surtout par la grâce divine reçue des sacrements, de l’Eucharistie, de la piété. Elle irradie les âmes et transforme la vie sociale et familiale du château et du village.
Les écoles religieuses jouent également un grand rôle dans la naissance de sa dévotion. Notre Père l’évoque quand il parle de son amour pour les frères maristes de Toulon chez qui il a fait son école primaire. Ce long extrait nous fera aimer cette atmosphère religieuse surnaturelle, salie aujourd’hui :
« La clameur où domine par moments un appel, un cri perçant, qui jaillit par-dessus le mur et emplit la rue Peiresc, voici que pour la première fois j’y plonge, laissé là par ma mère après une rapide présentation à madame Favereau, professeur de neuvième. Je suis abasourdi par le mouvement, les voix, mais plus enivré qu’effrayé, dans cette cour ombragée de platanes, entourée de bâtiments honnêtes, largement ouverts, sans grâce et sans surprise. C’est autour d’elle et de ses récréations que pour des années va se construire l’ordre de mes amusements, de mes affections et de mes piétés. Mais je ne le sais pas encore.
« Quand à 8 heures la cloche sonne, les rangs se forment et s’engouffrent dans les classes. Je me trompe de rang, je cherche, et me retrouve bientôt seul dans un couloir, perdu. Je suis trop petit pour voir par les portes vitrées où est madame Favereau ! C’est un grand vieillard aux cheveux blancs, le Père Georges, qui, me trouvant errant en larmes, me conduisit dans son bureau, me consola avec un bonbon puis me fit ramener à la maison, considérant que j’avais eu d’assez fortes émotions pour cette première journée. C’était le Père supérieur ! »
Ensuite notre Père raconte qu’étant tellement heureux dans cette école des maristes, il ne s’en faisait pas. Insouciant, désinvolte, on le punissait, on le mettait à la porte. Mais cela lui était égal, tellement il était heureux. Et il en vient à dire ceci, qui est si beau :
« À Toulon, ce n’était pas une infamie d’être mal noté, les bons Pères étaient plus préoccupés de formation chrétienne et de piété. Je bute cependant sur ces grands mots de quinquagénaire. Disons qu’ils laissaient venir à eux les petits enfants. Et moi je les aimais, comment faire autrement ? Le Père Giraudé, que je n’ai jamais revu, dès que je le vis, je lui trouvai le visage de Jésus lui-même, et de ce jour je le respectai et l’aimai comme Jésus sur la terre. Le terrible Père Bousquet, qui avait une façon de vous tordre l’oreille pour vous traîner à genoux au coin, et on criait : aïe ! aïe ! avait des yeux si bons, si doux, que ses férocités lui étaient immédiatement pardonnées.
« Leurs chambres étaient un autre prolongement de la cour de récré. Le bureau recelait dans le premier tiroir à gauche les objets supprimés en classe, pistolets à bouchon, bagues à asperger les imbéciles, sifflets à roulette, canifs, billes... qui étaient rendus en fin de trimestre, évidemment ! Dans un autre, les belles images, bons points, récompenses. Un autre, les bonbons qui apprivoisent et attirent les gourmands, et vous savez que j’en étais. J’aimais bien aller voir les Pères. On parlait. Ils avaient beaucoup de livres sur leurs rayons et toujours un nouveau à nous prêter. Devant le crucifix un prie-Dieu attendait, pour les confessions, où, vu l’atmosphère, on était assuré du pardon du père et du Christ.
« Celui que j’ai le plus aimé, c’est le Père Nodet qui devait mourir de la tuberculose, la maladie de l’époque. Que je l’ai aimé ! et qu’il m’aimait bien ! Il s’intéressait à mes histoires et il m’intéressait à ses travaux. Il me montrait comment il dessinait et faisait imprimer ses images, qui connaissaient alors un grand succès. Comme il avait une immense et tendre dévotion à la Sainte Vierge, elle transfusa en moi.
« De l’affection des Pères nous allions à l’amour de Dieu qui est notre Père du Ciel. La chapelle, où l’on montait de la cour par un escalier extérieur, en devenait un prolongement de la récréation ; quand nous nous y rendions, cela me semblait un sursis pour la classe ! Tout ce qui s’y faisait était merveilleux. Nulle part la piété ne me fut si touchante, sans doute parce que les affections de la terre préparaient à comprendre et à recevoir l’amour des saints et des anges, et de la Vierge et de Dieu. J’ai toujours gardé un coin de mon cœur pour la chaleureuse ferveur de ma religion toulonnaise. Et j’aimais la messe du même amour dont j’aimais le Père qui la célébrait et la soutane parce que ceux qui la portaient étaient les objets de mes admirations incessantes comme d’un véritable culte. » (Mémoires et Récits, tome 1, p. 61-63)
Dans cette page, le monde naturel est transfiguré. Les professeurs, parce qu’ils sont de vertueux religieux, pleins de l’amour du Christ et de la Vierge Marie, et parce qu’ils font pratiquer les enfants, font littéralement passer leur amour de Notre-Seigneur, de la Vierge Marie dans le cœur de leurs élèves. Quelle simplicité ! Cela passe toujours d’un cœur à l’autre, du maître au disciple, mais dans le cadre d’une institution, que ce soit la famille ou une communauté religieuse.
C’est cela la religion de nos pères et pour mieux dire la dévotion de la religion de nos pères. La religion est le véhicule, le visible, les prières, les processions, les rites sacramentaux. La dévotion est la vie de la religion, le fond, l’amour du Bon Dieu, de la Vierge Marie, ce qui nous fait vibrer intellectuellement, cordialement, c’est l’intime des relations avec le Ciel. L’erreur dans laquelle il ne faut pas tomber, explique notre Père dans son Traité de la pureté positive, est d’opposer dévotion et religion, amour et pratique, foi et rite. Les deux sont nécessaires. La dévotion n’est pas un accessoire à la religion « elle en est l’intime, elle est le cœur battant, palpitant, de la religion ». La religion est l’expression de la dévotion : la pratique du chapelet conduit à l’amour de la Sainte Vierge, l’assistance à la messe fait grandir la foi en Jésus. On ne peut pas dire comme les luthériens ou les charismatiques : je n’ai pas besoin d’aller à la messe le dimanche, parce que seule la foi ou l’amour compte. Au contraire, « cette Foi implique la religion et cette religion, fortifiant notre Espérance, tourne à la joie, à la ferveur, qui s’appelle la dévotion. C’est cette dévotion qui engendre en nous la charité qui est la joie d’aimer. » (Pureté positive, p. 22)
Chez le petit Georges, l’amour pour sa maman, le chapelet récité chaque jour du mois de Marie et du mois du Rosaire, les pèlerinages au Folgoët, à Lourdes, à Chartres, à Notre-Dame de la Garde, les images du Père Nodet et le catéchisme des frères, constituent cette religion si belle que son cœur, comme tout bon petit garçon, fut enflammé de dévotion pour la Vierge Marie.
Seulement, à ce stade, il faut préciser que la dévotion à la Sainte Vierge demeure une affaire de goût personnel, de choix facultatif, selon les aspirations et les attraits intérieurs de chacun.
AU SÉMINAIRE.
Notre Père entre au séminaire d’Issy-les-Moulineaux en octobre 1943. Dans sa retraite intitulée Le Saint Cœur de Jésus et de Marie prêchée en 1982 à Josselin, notre Père consacre une conférence à Bérulle, où il explique ce qui lui fut enseigné au séminaire sur la Sainte Vierge.
Pierre de Bérulle est né en 1575. Il est le neveu de Madame Acarie, la bienheureuse carmélite Marie de l’Incarnation, fait partie de la noblesse et en impose par sa prestance et son prestige spirituel. En 1611, il groupe autour de lui des prêtres qui cherchent dans un institut, l’Oratoire, à vivre leur dignité sacerdotale dans une plus grande piété.
Pour cela, Bérulle écrit trois livres d’un style très dense, d’une piété très austère dont la théologie spéculative ne saurait provoquer directement la dévotion, le cœur à cœur que l’on trouve dans la religion de nos pères évoquée plus haut. Ces ouvrages ont néanmoins nourri le dix-septième siècle français. Bérulle est l’initiateur de ce qu’Henri Brémond a appelé dans les années 1920 l’École française de spiritualité et que l’on enseignait dans la plupart des séminaires français depuis le milieu du dix-septième siècle jusqu’au concile Vatican II, en particulier à Saint-Sulpice.
La doctrine de Bérulle est marquée par le pessimisme augustinien. Il a voulu contrer l’influence néfaste des humanistes qui mettaient sans cesse l’homme au centre par ce qu’on a appelé le théocentrisme bérullien qui consiste à faire contempler la grandeur de Dieu. Le fondateur de l’Oratoire insistait sur le néant de l’homme et la grandeur de Dieu. La religion consiste en ce que l’homme s’anéantisse devant Dieu, proclame son excellence, « consente à son origine », c’est-à-dire consente « à accepter sa servitude ». Puisque l’homme est créé par Dieu, il est comme un esclave, il doit se laisser manier par Dieu comme une chose.
Cela est vrai, mais même lorsque Bérulle expose l’anéantissement du Verbe Incarné pour sauver par amour ses créatures pécheresses, ses propos n’enflamment pas nos cœurs ! C’est vrai, mais si conceptuel, cérébral, qu’on n’entend pas battre le Sacré-Cœur de Jésus.
Chez Bérulle, l’honneur et la reconnaissance des devoirs envers Dieu paraissent plus importants que l’amour pour Dieu, que le désir d’union à Jésus et à Marie. Alors que l’idéal de la mystique est la voie de saint François de Sales, bien plus riche, plus équilibrée, plus cordiale, tout en étant pétrie de dogmes ; voie que les révélations du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie viendront consacrer.
Malheureusement, la prépondérance donnée par Bérulle à l’abaissement de la créature devant son Créateur imprègne aussi sa dévotion mariale. Pour lui, la Sainte Vierge est associée dans sa vie terrestre au Christ comme Servante de Dieu, pure capacité de Dieu. Ses privilèges ne sont que les conséquences du Service pour lequel elle a été choisie entre toutes les femmes : être la Mère de Dieu. Il ne s’attarde donc pas sur eux qui, au contraire, aux yeux d’un saint Louis-Marie Grignion de Montfort, la rendent plus divine qu’humaine. Bérulle, lui, est davantage porté à insister sur son humanité et sa soumission à la volonté divine et à souligner alors son anéantissement. Ce qui est vrai. Après, au ciel, Dieu l’exalte, ce qui est encore vrai, mais sa grandeur est précisément, continue Bérulle, de s’être livrée à Dieu, comme s’il n’y avait chez Elle aucune initiative, aucun retour, juste passive.
Chacun de nous, poursuit Bérulle, doit l’imiter : s’anéantir, faire vœu de servitude à Jésus par Marie ; mais il s’agit plus d’un devoir que d’un élan d’amour qui réponde à l’amour infini du Cœur de Jésus-Marie. S’il faut passer par Marie, c’est parce que nous avons besoin d’un modèle d’anéantissement !
Remarquons au passage que c’est certainement ce qui explique que le clergé formé à cette école accepta que le Concile n’accorde pas une constitution dogmatique propre à la Sainte Vierge, qui aurait défini ses privilèges, en particulier celui de Médiatrice de toutes grâces et de Corédemptrice. La constitution sur l’Église Lumen Gentium affirmant : « Ce rôle subordonné de Marie, l’Église le professe sans hésitation ; elle ne cesse d’en faire l’expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles » (n° 62), leur a paru s’inscrire dans la continuité de l’École française de spiritualité.
Voilà donc l’enseignement que le séminariste Georges de Nantes reçut de confiance au séminaire, même s’il n’était pas le parfait soutien dogmatique de la religion de nos pères, de la dévotion mariale que tout Français vivait au quotidien dans sa famille et dans sa paroisse. De cette formation on trouve même des traces dans notre Règle : à l’article 34e, notre Père écrit qu’entre autres spiritualités, celle de l’École française doit faire l’objet de l’étude constante des frères. Plus tard, notre Père se rendra compte du fossé qui sépare Bérulle de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul, de saint Jean Eudes, de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et il reconnaîtra s’être trompé en le recommandant. Il était important de le dire pour se rendre compte de l’évolution de sa doctrine et de sa dévotion mariales.
1948-1977 :
LA SAINTE VIERGE DANS L’APOSTOLAT ET LE COMBAT DE NOTRE PÈRE
PROFONDEUR DE SES MÉDITATIONS.
Après son séminaire, notre Père a une longue carrière de trente années, où son enseignement sur la Sainte Vierge reste classique dans le sens où il répète ce qu’il a appris, il poursuit la religion de ses pères.
À la lecture des Lettres à mes amis et des bulletins de Contre-Réforme catholique, on trouve à la fois dans cet enseignement de la grande théologie, du cœur et du réalisme, les trois composantes présentes dans un équilibre admirable. Notre Père se maintient sur une ligne de crête entre d’un côté une mystique romantique, qui peut vite devenir de la sensiblerie, voire de la sensualité, comme chez les quiétistes ou les charismatiques, et de l’autre, la théologie cérébrale d’un Bérulle, ou pire, d’un Ratzinger.
Cette période se distingue moins par l’originalité de la nouveauté, mais il y en aura quand même, que par la volonté de faire comprendre et aimer les mystères de Jésus et de Marie. Et sa profondeur même nous paraît être déjà celle d’un grand mystique.
Voici entre cent, quelques extraits de ses Lettres à mes amis sur la Sainte Vierge qui illustrent sa façon de méditer.
Dans sa Lettre à mes amis du 1er janvier 1963, l’abbé de Nantes s’arrête sur le dogme de la Maternité divine de Marie : « Tout au long de sa divine maternité, Marie ne souffrit rien, ni honte ni douleur. Dieu qui l’entourait de sa grâce et se la consacrait tout à la fois comme épouse et mère, ne permit pas que rien d’humain ne vienne outrager sa pudeur ni même meurtrir si légèrement que ce soit l’intégrité native de son corps virginal. Sollicitude inouïe, vraiment unique. Cette sainte enfant conçoit en son sein sans aucune de ces émotions des sens, à vrai dire honteuses, sans rien qui la profane ni la blesse. Oh ! comme déjà l’enfant d’une si aimable et si heureuse conception, toute spirituelle, devait être cher à sa mère, à bien des titres certes mais à celui-là particulièrement qu’il était venu en elle avec toutes les délicatesses d’un Père très bon. »
Notre Père a beaucoup médité sur la Sainte Famille à Nazareth, puisqu’il est dit à l’article 2 de notre Règle que les frères désireront « revivre auprès de la Sainte Famille tout le mystère de sa vie cachée ». Mais enfin ! Nazareth est peu de chose dans l’Évangile. Eh bien ! Notre Père en tire d’admirables pages. Dans sa Lettre à mes amis n° 22 (1957), il nous fait remarquer à la suite du Père de Foucauld que Nazareth n’est pas « une Sainte Famille sans plus de religion qu’un quelconque ménage européen moderne, un Saint Joseph, une Vierge Marie aussi ignorants que nous nous plaisons à croire les gens de ce temps lointain ! », mais c’est « l’adoration silencieuse et cachée de Jésus par les deux plus saintes âmes que la terre ait jamais portées ». La meilleure façon de revivre Nazareth aujourd’hui n’est pas de s’embaucher comme menuisier, comme ouvrier, comme c’était la mode chez certains progressistes, mais de contempler Jésus-Hostie au tabernacle avec notre père saint Joseph et notre Mère la Vierge Marie.
La Page mystique n° 52 développe avec une grande audace une idée chère à notre Père sur la ressemblance physique de Jésus avec sa Mère. Il s’en sert ici pour défendre la virginité perpétuelle de Marie. « Je jubile à la pensée de cet embrassement des trois divines Personnes vous tenant intimement unie dans un chaste et triple baiser, ô Femme en laquelle s’est formé le fruit de vie qui n’a d’autre Père que Dieu ! Je sais maintenant par la science tout le détail et l’humble ordonnancement de ce miracle auquel étaient prédisposées les lois de la nature. Je sais l’ovule singulier, portant votre code génétique, ô Marie, son ADN retenant tout l’héritage de votre race et tout votre caractère, prêt à repartir sous l’opération du Saint-Esprit dans la fantastique réplication qui formerait un nouvel être si parfaitement semblable à vous que nul fils jamais ne ressembla tant à sa mère. Je sais la modification des chromosomes XX en XY qui déterminerait le sexe masculin de l’enfant, imperceptible miracle de cette facile parthénogénèse...
« J’assiste comme au microscope électronique, à la minute bouleversante où ce fruit détaché de vous se fixe, se creuse un nid et réussit la première opération de son développement autonome. Alors l’âme de Jésus vit en votre sein, Dieu est parmi nous caché dans ce Sanctuaire pourpre, ô royal Emmanuel ! Ah, tout ce mystère est inconnu des humains et connu de Dieu seul. Aucun homme ne vous a approchée, ô Marie, aucun désir charnel ne vous a émue, ô Vierge, aucun sang étranger ne s’est mêlé au vôtre, Immaculée Mère de Jésus ! Cet enfant qui se nourrit amoureusement de votre substance, quand il quittera son premier abri terrestre n’en déflorera pas l’honneur. Miracle encore que le passage de votre fils aux fontaines scellées de votre sein, sans douleur, sans déchirures, sans effusion d’une seule goutte de votre sang. »
En voici une dernière tirée de la Lettre à mes amis n° 147 du 16 juillet 1963 : « “ Ô mon Jésus, je voudrais te manger ! ” Celle qui parle ainsi est la petite Marie de Nazareth qui, depuis qu’elle est mère, n’en est pas revenue de tant de joie. Magnificat ! Au plus fort de l’épreuve d’Égypte, au milieu des périls où elle a dû montrer un courage, un calme surhumains, il lui suffisait de revenir à son Enfant pour être aux anges et tout oublier. D’ailleurs, toutes les mères ne sont-elles pas ainsi ? et combien de pères, quand ils sortent de leur réserve habituelle, laissent paraître les mêmes trésors de tendresse ! Voilà bien le fonds humain de l’irrépressible amour de la chair pour son fruit [...]. La petite Marie a reçu du Bon Dieu son trésor, son bijou, son petit bébé à nourrir et bercer, son amour. C’est l’enchantement de toutes ses journées, et de ses nuits. Celui qui dira un jour “ la chair ne sert de rien ” s’abandonne en attendant aux tendresses charnelles de sa maman, et elle n’a garde de chômer en un si bel office. Chaque année a trois cent soixante-cinq jours et dans un jour il y a mille occasions pour elle de sourire à son petit, s’inquiéter de lui et encore trouver en lui joie nouvelle. Or, remarquez-le, chrétiens, c’est, en ce temps, le plus grand œuvre de Dieu dans l’univers. Le monde des étoiles roulait alors pour le bien de notre machine ronde et toute cette grande terre, ses peuples, ses empires, n’avaient de prix aux yeux du Père que pour ces tendresses câlines, ces rires d’enfant, ces baisers charmants, cette tétée bienheureuse d’une Vierge ignorée à son petit Jésus. Cela occupait tout au long en ce temps le Conseil Auguste des Trois Personnes divines... »
Méditations tout à fait merveilleuses où l’on trouve à la fois la pensée doctrinale la plus rigoureuse et la plus conforme aux dogmes, ici de l’Incarnation, de la maternité divine et même de l’Eucharistie ; la présence du sentiment, du cœur, de la dévotion ; le tout dans une représentation très réaliste à la Saint-Ignace qui n’est ni une élucubration, ni un étalement de merveilleux et de miraculeux, car notre Père contemple des Personnes divines et des mystères qui existent. Il dépeint une réalité. Cela fait vraiment, nous semble-t-il, l’originalité de ses méditations.
POLÉMIQUE.
Sa dévotion pour la Sainte Vierge l’entraîne à polémiquer, à s’opposer à l’erreur, à défendre contre ses adversaires l’honneur de sa Mère. La polémique est certes une chose secondaire par rapport à la prière, à l’oraison, mais elle est un devoir quand se lèvent des ennemis de la foi.
Quand notre Père était curé de Villemaur, il s’en prit dans ses Lettres à mes amis aux progressistes qui se moquaient des Légions de Marie, ou qui mettaient subtilement en question la virginité de la Sainte Vierge. Pendant le Concile aussi. Voici un extrait de la Lettre à mes amis n° 179 pour l’Assomption 1964 qui illustre bien l’opposition des deux partis progressiste et traditionaliste au sujet de la Sainte Vierge :
« Comment se fait-il que des hommes se lèvent, qui s’offusquent et se scandalisent de la dévotion que vous porte le bon peuple fidèle, de la tendresse et de la confiance inébranlable que vous manifestent vos filles et vos fils en tout lieu de la terre ? Que peut bien avoir d’exagéré cet enthousiasme, cette ferveur populaire ? [...]
« Je connais une paroisse de choc où l’on montre avec grande satisfaction une statue, de pauvre valeur artistique, mais de haute signification apostolique paraît-il. Un fichu sur la tête, le visage bien laid, une femme en tablier essuie une assiette ; un enfant est pendu à sa robe. “ Tu vois, disait le curé à un jeune ouvrier, la Sainte Vierge était comme toi, une prolétaire ”, et l’adolescent, après un moment, de répondre : “ Oui, mais elle est Reine aussi ! ”
« Je vous laisse à décider qui des deux avait le plus grand amour, la vraie piété et la solide théologie, mais ce qui est sûr, c’est que le plus pauvre des hommes n’ayant pour toute richesse que sa religion, est heureux de savoir que la Vierge Marie est sa Mère et qu’elle trône au-dessus des anges dans le Ciel où elle l’attend ! Quant à laver les assiettes, ô Notre-Dame, vous l’avez fait sans doute, et c’est pour nous un touchant exemple, mais il y a assez de bonnes chrétiennes pour le faire à votre place maintenant, ne serait-ce que dans les hôpitaux de Lourdes. Il vous appartient de régner... »
Dans sa Lettre à mes amis n° 200, du 25 mars 1965, notre Père s’en prend à la fausse piété des masduistes pour la Sainte Vierge. Ils ne cherchent pas à faire sa volonté, mais les énergies nécessaires qui éveilleront en leurs âmes l’amour du monde.
Le 14 juillet 1965, notre Père déplore que pour la première fois cette année-là, on donne si peu de relief au mois de Marie : « De divers côtés, le clergé semble avoir mis une crânerie provocante à en supprimer les exercices et à en railler la dévotion... infantile. Cette piété n’a évidemment point de proportion avec le sérieux du Masdu et la vitalité de l’expansion socialiste ! Les grands constructeurs de la Cité humaine récitent-ils le chapelet ? On ne l’a jamais entendu dire. » (Lettre à mes amis n° 208)
Dans la CRC de décembre 1967, cette simple phrase de commentaire sur l’encyclique Populorum progressio : « Enfin le coup de grâce, pour tous ceux que la piété n’a pas abandonnés : Marie n’est pas nommée dans cette encyclique. »
Ou bien cette Page mystique n° 41, écrite en janvier 1972, contre un journaliste, Georges Hourdin, qui avait écrit dans une revue catholique pour Noël des choses ignobles sur la Sainte Vierge.
« Il a fallu toute cette folle politique et cette fausse religion pour que, dans notre France, fille aînée de l’Église, quelqu’un vous morde au talon, avec un air dévot, et répande son blasphème dans le plus grand illustré de cette presse qu’on distribue dans nos paroisses à des millions de fidèles confiants et désarmés. Ils l’ont lu pour Noël : “ Et voici qu’éclate en nous, une fois encore, devant cette imagerie rassemblée, la certitude que Dieu est bien venu sur terre, que Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier. ” Né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier ! L’injure vous atteint tous les trois, Jésus, Marie, Joseph, en ce qu’il y a de plus intime, et de sublime, sublime, en votre sainte union, en votre incomparable et vraie famille. »
On pourrait multiplier les exemples, contre Paul VI, Congar, le cardinal Béa, contre tous les théologiens minimalistes, progressistes, du Concile, c’est-à-dire contre ceux qui prétendaient parler de la Sainte Vierge avec mesure, alors qu’en réalité c’était pour la détruire.
THÉOLOGIE PROPRE.
Nous avons dit plus haut que durant cette période l’abbé de Nantes n’avait fait que répéter et approfondir la pensée de ses maîtres. Il a fait part en réalité sur la Sainte Vierge de plusieurs intuitions nouvelles.
1. LE RÔLE CENTRAL DE LA VIERGE MARIE DANS L’ORTHODROMIE.
Très tôt, notre Père attribue à la Sainte Vierge un rôle central dans l’histoire du salut. Il la met au premier plan.
Nous avons retrouvé en 2011 dans les archives de notre Père une liasse de feuilles datée de 1956 sous le titre Bible et vie chrétienne. Le premier chapitre de ce recueil de méditations est intitulé : Le Cantique de la Femme. Le fil d’or, explique notre Père, qui traverse toute la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse, et qui explique l’orthodromie de la révélation divine, est la Femme, la Vierge Marie, l’Immaculée, dont toutes les femmes épisodiques sont les figures prophétiques, préparant, de siècle en siècle, l’annonce faite à l’Immaculée Conception.
2. LA VIERGE MARIE EST L’ÉGLISE À ELLE SEULE.
Une autre idée importante est celle qui est celle qui consiste à dire que la Vierge Marie est l’Église à elle toute seule.
Au Concile, Paul VI avait défini Marie Mère de l’Église. Pour une fois que le Pape allait plutôt dans le bon sens, notre Père l’avait soutenu. Mais une dizaine d’années plus tard, notre Père revient sur cette idée et démontre que c’est une erreur théologique. D’abord, il rappelle que Paul VI avait pris cette initiative pour qu’on ne lui reproche pas son refus de définir le dogme de Marie Médiatrice afin de ne pas contrarier les protestants. Ensuite, il soutient qu’il est faux de dire que Marie est Mère de l’Église, car la Vierge Marie fait partie de l’Église. Une maman n’est pas la mère de la famille, elle n’enfante pas la famille dans son entier, comme extérieure à la famille. Mais elle est mère de famille, elle fait partie de la famille. Notre Père affirme que la Sainte Vierge fait partie de l’Église et qu’Elle est la personnification de l’Église, la Femme parfaite, le modèle. « L’Église, c’est Elle, dans un point du temps et dans la dignité de la sainteté. Tout le mystère de l’Église, tout le mystère de l’Épouse de Dieu, toute cette “ Jérusalem dont l’Époux est ton Créateur ” (Is 60) est là dans ce sein virginal, dans ce Cœur très pur. Et nous, nous sommes tirés d’Elle. Nous sommes ses enfants. Nous sortons, nous jaillissons de son Cœur au pied de la Croix. Elle est notre Mère, nous sommes ses enfants, mais la Jérusalem nouvelle est la Vierge Marie par excellence. Il est vrai que l’Église est aussi notre Mère, parce que l’Église nous donne la vie par les sacrements. Il faut donc dire que la Vierge et l’Église sont notre Mère, l’une et l’autre. Et c’est pour cela que la Vierge est le type même et l’image de l’Église. »
3. MARIE, ÉPOUSE DU VERBE.
Une autre idée tout à fait originale de notre Père et qui aura des implications immenses est l’analyse qu’il fait des relations de la Vierge Marie avec les trois Personnes divines. Cette analyse découle de sa métaphysique relationnelle qu’il n’exposera qu’en 1981.
Dans sa retraite de communauté prêchée en 1965 intitulée Le monastère idéal, notre Père explique quelles sont les relations de la Sainte Vierge avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Jusqu’à notre Père, les grands dévots disent que la Vierge Marie est la Fille du Père, la Mère du Fils et l’épouse du Saint-Esprit. Notre Père a toujours contesté cette vision.
Fille du Père, oui elle l’est et plus que n’importe quelle autre créature comme créature comblée de toutes les perfections. Nous reviendrons sur cette réalité que notre Père a beaucoup approfondie et renouvelée.
Mère du Fils, Mère de Jésus, oui bien sûr elle l’est selon l’ordre de la chair. Mais pas seulement. Quand on lit les prophètes Osée, Ézéchiel, Isaïe, et tout particulièrement le Cantique des cantiques, nous voyons que cette fille de Dieu qu’est Israël est appelée à être son épouse. Israël appelle son époux avec ardeur, tout en constatant son indigence. L’humanité appelle son Dieu à descendre, à devenir son Sauveur, son frère, son Ami et vraiment son Époux, qu’Il se fasse son égal pour la prendre toute à lui. Lorsque le Verbe se fait chair dans le sein de la Vierge Marie, ce sont les épousailles du Verbe et de l’humanité, mais dans sa figure la plus sainte, la Vierge Marie. Le fiat de la Vierge Marie à l’Ange est le “ oui ” de l’épouse le jour de son mariage. « Et ainsi, il fallait que ce soit la Vierge qui, par son acte propre d’adhésion, de consentement, appelle le Dieu fait homme sur terre et lui donne une chair, lui donne sa vie humaine », explique notre Père. Plus tard au Calvaire, Jésus est le nouvel Adam, l’Époux par excellence, et Marie la nouvelle Ève, l’Épouse du Verbe, notre Mère à tous.
Quant au Saint-Esprit, il n’est pas l’Époux, mais l’âme de la Vierge Marie. La correction est importante. Le Saint-Esprit est l’âme de l’âme de la Vierge Marie, Il la sanctifie. Elle est le Temple du Saint-Esprit.
Cette vision théologique de notre Père des relations de la Sainte Vierge avec les Personnes de la Sainte Trinité est extrêmement importante. Elle est au fond de toutes ses explications du mystère de la Vierge Marie. Les apparitions mariales des deux derniers siècles prennent elles-mêmes sous ce jour un relief, une primauté, une priorité extraordinaires, car toutes les paroles de ces apparitions sont reprises et analysées par notre Père comme n’étant pas seulement des invitations à la dévotion, mais des paroles de l’Épouse du Christ, de la Reine des Cieux, de celle à qui le Christ a tout remis et de qui doit venir la victoire.
En 1965, notre Père ne se rend peut-être pas compte des implications qu’auront ses intuitions, mais on peut dire qu’elles le disposent à comprendre le dessein que le Bon Dieu a sur la Sainte Vierge pour nos derniers temps et qu’il exposera plus tard.
FATIMA.
En même temps, notre Père considère déjà Fatima comme l’événement majeur du vingtième siècle. C’est déjà une spécificité de notre Père. Notre-Dame de Fatima n’est pas simplement une dévotion particulière, mais la clef qui éclaire les combats des derniers temps. En 1958, notre Père écrit : les apparitions de Lourdes « me semblent comme celles de Fatima des aides extérieures, extraordinaires, mystérieusement liées aux combats et aux bouleversements de la fin des temps (...) » (Lettre à mes amis n° 38, juillet 1958).
En janvier 1960, notre Père rappelle les propos de Khrouchtchev qui déclare que 1960 sera l’an I de l’expansion du communisme mondial, mais il affirme que ce sera aussi l’année de la révélation du Secret de Fatima. L’élite et les masses catholiques sont tellement égarées, écrit-il, qu’il n’y a plus d’espoir que dans l’Église. « Sera-ce le troisième Secret de Fatima qui doit être dévoilé le 13 mai prochain ? Sera-ce le Concile ? » (Lettre à mes amis n° 63, janvier 1960) À l’époque, notre Père n’imaginait pas que le Concile ne dirait rien contre le communisme.
Dans cette optique, notre Père, qui était curé de Villemaur, avait préparé ses paroissiens à recevoir la troisième partie du Secret qui devait être révélée au plus tard en 1960. Mais un communiqué de presse du Vatican annonça qu’il ne serait « jamais » (sic) divulgué au monde. La déception des fidèles et le discrédit sur l’Église furent immenses. Mais pour notre Père, le plus grave était que le pape Jean XXIII manifestait son mépris pour Fatima, seul remède contre les hérésies et contre le communisme. Cela n’augurait rien de bon pour le Concile.
Indigné par ce refus de la hiérarchie d’obéir à la Sainte Vierge pour notre salut, l’abbé de Nantes demandera chaque année pendant quarante ans que Rome dévoile ce Secret.
Deux ans plus tard, notre Père eut une nouvelle occasion de prendre parti pour Fatima contre Rome infidèle. En effet, le Père Fuentes, qui se préparait à devenir le postulateur des causes de béatification de François et Jacinthe, avait obtenu d’interroger sœur Lucie en 1957. La voyante lui exprima alors son angoisse pour le salut des âmes face au refus de l’Église de répondre aux demandes de Notre-Dame : « N’attendons pas que vienne de Rome un appel à la pénitence », il faut réciter le rosaire, se vouer au Cœur Immaculé pour sauver son âme et celle de son prochain, les âmes se perdent en grand nombre. En 1959, la relation du Père Fuentes fut publiée au Portugal et fut immédiatement désavouée par la curie épiscopale de Coïmbre, et son auteur ne fut jamais nommé postulateur. Quant à sœur Lucie, Rome donna des consignes pour lui interdire de parler avec les gens de l’extérieur. Or, dès qu’il eut connaissance de l’entretien, notre Père en discerna avec une exceptionnelle clairvoyance l’importance et décida, en juin 1962, de le porter à la connaissance de tous les abonnés de ses Lettres à mes amis.
Très souvent, notre Père revenait sur Fatima car il considérait que c’était la pierre d’achoppement entre progressistes et traditionalistes. C’est ce qu’il fit encore au sujet du Concile. Il écrivait le 25 septembre 1964 : « Reconnaissons plutôt franchement que le Concile a été pour le progressisme un incomparable instrument de propagation ! » Et il expliquait que la solution était de mettre à l’ordre du jour « la condamnation du collectivisme et du laïcisme, la proclamation du message de Fatima et la consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie, l’analyse du progressisme et sa condamnation, la mise à l’Index de Teilhard et de quelques autres ».
À Noël 1966, notre Père installe la statue de Fatima dans notre chapelle, « signe de l’importance qu’ [il attachait] à cette dévotion et au message de la Vierge ».
Après tant d’occasions manquées, notre Père aurait voulu que le pape Paul VI profite de son pèlerinage à Fatima en 1967 pour se tourner enfin vers la Vierge Marie. Ce serait un signe céleste. Dans le Livre d’accusation qu’il adressera au Pape en 1973, notre Père dit son espérance : « Il me semblait que tous ces scandales, cette atmosphère de schisme, ces soupçons d’hérésie que nous portions comme une chape de plomb, se dissiperaient si vous alliez en pèlerinage à Fatima. D’un coup, nous retrouverions toute notre confiance et notre amour filial, lavés comme par un baptême de grâce. Et puis, là-bas, vous deviez, vous ne pouviez faire autrement que de prier la Sainte Vierge Marie avec l’immense foule catholique, loyale, traditionnelle, et ensuite laisser parler la Mère de Dieu, notre mère tutélaire, révéler son troisième secret et obéir à ses demandes. » Las ! après cette visite, nul espoir ne subsista plus. Il était trop visible, que le Pape était venu là « non pour implorer la paix de la Vierge Marie mais pour la demander aux hommes, non pour sanctifier votre cœur et le purifier de la souillure de Manhattan mais pour imposer ici même, dans le domaine de Marie, le Monde de Manhattan. Vous étiez venu pour profaner Fatima ! » (Liber accusationis I, p. 91) Le Pape refusa même d’accorder à sœur Lucie l’entretien particulier qu’elle lui demandait. « Sous l’objectif de la télévision et cent appareils de photos qui crépitent, aux yeux de tous, elle pleure. Elle ne pleure pas sur elle, mais sur nous et, soyons-en certains, le Ciel pleure avec la confidente de la Vierge Marie, éconduite. » (Lettre à mes amis n° 246)
Notre Père concluait le récit de cette profanation dramatique par cette accusation : « Alors, pourquoi être allé à Fatima ? Depuis votre Pèlerinage, c’est comme si Vous l’aviez tuée. Personne au monde n’en parle plus jamais, ni des volontés de Dieu qui y ont été signifiées, ni de la conversion de la Russie, ni du Secret, ni des pratiques de dévotion recommandées et surtout de “ la récitation du Saint Rosaire pour la paix ” que Lucie vous avait demandé d’ “ intensifier ” de vive voix ce fameux 13 mai. Comment avez-Vous fait ? La réponse est simple : Vous avez substitué votre Message à celui de la Reine de la Paix. »
Durant toutes ces années, notre Père ne cessa de revenir sur la question de Fatima. Voici par exemple un télégramme que notre Père envoya au Pape après la grande réunion de la Mutualité du 19 octobre 1974 : « 2 500 catholiques réunis à l’appel de la Contre-Réforme Catholique prient, supplient le Saint-Père de publier pour l’année sainte le troisième Secret de Notre-Dame de Fatima, pour la conversion des âmes, la réconciliation chrétienne, le salut du monde » (CRC n° 86). Ce message resta encore une fois sans réponse !
À cette époque déjà, notre Père ne manquait pas une occasion de demander au Pape de se tourner vers Notre-Dame de Fatima. Le salut ne pouvait venir que de là. Sauf que notre Père insistait surtout sur la révélation du troisième Secret, sur la consécration du monde et sur la dévotion que chacun doit avoir pour le Cœur Immaculé de Marie. Dans les années 1980, notre Père corrigera certains points et ira beaucoup plus loin. Mais il semble évident que la dévotion de notre Père pour Fatima sort du cadre intime pour se faire ecclésiale. La solution à la crise de l’Église et du monde réside dans la réponse aux demandes de Fatima. Dès cette époque, même sans qu’il y revienne chaque mois, Notre-Dame de Fatima occupe déjà une place centrale dans sa pensée.
1977 – 1985 :
RETRAITES MARIALES À JOSSELIN
Après la forfaiture du pape Paul VI en 1973 refusant de répondre aux accusations du premier Liber, et dans une France giscardienne de plus en plus décadente, notre Père n’espérait plus rien de Rome et de la politique. Il ne voyait de solution que dans la Sainte Vierge.
De façon providentielle, notre Père fut invité à cette époque à prêcher chaque année une session de deux jours à Josselin, en Bretagne, au mois de mai ou juin, chez monsieur Lévesque, un fidèle ami. De 1977 à 1985, ces Journées bretonnes sont toutes consacrées à la Sainte Vierge et marquent un essor de la pensée et de la dévotion de notre Père pour Elle.
En 1977, dans sa retraite intitulée Le dessein de Dieu, il expose le rôle central de la Sainte Vierge dans l’histoire sainte, dans l’histoire de nos vies particulières et dans l’histoire de l’Église. En 1978, il montre, à la suite de sa grande étude sur la mystique exposée tout au long de l’année à la Mutualité, en quoi la Vierge Marie fut la mystique (Mystique mariale). En 1980, dans Théologie mariale, il compare les doctrines traditionnelles et contemporaines des théologiens sur la Sainte Vierge. En 1981, il fait une étude complète et magistrale sur Fatima. En 1982, il prêche sur le Saint Cœur de Jésus et de Marie, dévotion suscitée par le cardinal de Bérulle, par saint Jean Eudes et par saint Louis-Marie. En 1983, il expose la vie et la doctrine de saint Louis-Marie Grignon de Montfort. En 1984, il montre la place centrale de la Sainte Vierge dans l’histoire de France, royaume de Marie. Et en 1985, il fait un commentaire littéral du livre de l’Apocalypse.
Deux points importants.
LA THÉOLOGIE DU MYSTÈRE DE MARIE.
La théologie, explique notre Père, consiste à introduire la raison dans le mystère pour essayer de comprendre les choses du point de vue de Dieu. Dans sa retraite de 1980, Théologie mariale, notre Père refait la théologie du mystère de la Vierge et se pose la question : quelle est l’idée majeure de Dieu sur la Sainte Vierge ? Voilà la question centrale ! Sur cette question, deux visions s’affrontent.
La première tourne autour du privilège de la Maternité divine de la Sainte Vierge. C’est le système qu’on apprenait au séminaire de Saint-Sulpice. Au commencement des temps, Dieu crée le genre humain sur la terre, Adam et Ève. Ceux-ci commettent le péché et tombent dans le néant. Dieu choisit de rétablir l’alliance et de sauver les hommes par la rédemption. Pour cela, il décide d’envoyer son Fils, de l’incarner et le faire mourir sur la Croix. Pour l’incarnation, le Père choisit la Vierge Marie à qui il donne le privilège de l’Immaculée Conception en vue d’être la Mère de Dieu.
Dans ce système, Marie reçoit toutes les grâces nécessaires parce qu’Elle doit être digne d’être la Mère du Sauveur. Étant la Mère de Jésus, Dieu lui donne de participer à toute l’œuvre divine et de monter au Ciel.
Dans ce système, tout s’explique par le privilège de la Maternité divine. C’est juste, mais imparfait, car si Dieu a aimé Marie parce qu’elle a accepté de devenir sa Mère, cela laisse supposer que Marie aurait pu refuser ou que Dieu aurait pu choisir une autre femme, ce qui nous paraît impossible. En outre, c’est donner au péché d’Adam un rôle déterminant dans le dessein divin ; sans le péché, pas de Vierge Marie Immaculée ?
Notre Père propose une autre solution. Selon lui, Dieu n’a pas aimé la Vierge Marie parce qu’elle est devenue sa Mère, mais c’est parce qu’Il a toujours aimé la Vierge Marie qu’Il en a fait sa Mère, ce qui est tout différent.
Pour aboutir à cette conclusion, notre Père ne prend pas le dogme de la Maternité pour principe, mais sa métaphysique relationnelle qui pose avant tout la filiation de la Vierge Marie à Dieu le Père. Dieu le Père a créé la Vierge Marie avec un amour sans pareil, Il l’a faite sa Fille plus qu’aucune autre créature. Il l’a aimée, Elle. Et Il l’a aimée de telle manière qu’il voulait en faire la Mère de son Fils. La Vierge Marie n’était pas un moyen pour permettre au Bon Dieu de nous sauver, mais Il l’a aimée elle, avant toute créature. Et Il lui a donné toutes les perfections possibles (l’Immaculée Conception, sa virginité absolue, son Cœur Immaculé...) parce qu’Il l’aimait. De ce point de vue, il est évident que la Sainte Vierge devait faire partie du plan de Dieu d’une manière éminente.
Dans le premier cas, Dieu choisit la Vierge Marie parce qu’il lui faut quelqu’un. Dans celui de notre Père, Dieu a continué son œuvre de Rédemption avec la Sainte Vierge, parce qu’Il l’aimait tellement qu’il ne pouvait pas en être autrement. Quelle révolution ! Cette théologie mariale nous ouvre sur une nouvelle compréhension du mystère de la Vierge Marie et sur une plus grande dévotion, car en pénétrant mieux son mystère, on l’aime davantage.
TOUT SUR FATIMA.
Au début de l’année 1981, la communauté écouta au réfectoire une conférence de l’abbé Pierre Caillon sur Fatima, intitulée L’épopée mariale de notre temps. Ce prêtre disait que « quand la Russie se convertira, tous les hommes, dans l´univers entier, se dresseront sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passe. Ce sera le triomphe du Cœur Immaculé de Marie. » Dans sa conférence, il parlait de l’importance des premiers samedis du mois et de la consécration de la seule Russie. Cela saisit beaucoup notre Père qui, sans attendre, décida de faire pour la première fois les exercices du premier samedi du mois en communauté le 7 février suivant.
Notre Père prépara également une étude complète sur Fatima pour la session de Josselin prévue le 30 mai, en s’appuyant sur l’excellente étude du Père Joaquin Maria Alonso, clarétain espagnol, devenu l’expert officiel de Fatima au début des années 1970. Ce dernier avait préparé une étude de vingt volumes de huit cents pages chacun sur les apparitions, mais que son évêque, Mgr do Amaral, refusait de publier. Le Père Alonso avait toutefois fait connaître sa pensée par divers articles.
Cette prédication de notre Père sur Fatima redoubla d’intérêt avec l’attentat qui eut lieu contre Jean-Paul II sur la place Saint-Pierre le 13 mai 1981. Notre Père vit cet attentat comme un avertissement du Ciel pour que le Pape fasse la consécration de la Russie voulue par la Sainte Vierge.
À partir de ce moment-là, notre Père insista sur Fatima bien plus souvent qu’avant. Il demandait toujours la révélation du troisième Secret, mais insistait aussi sur de nouveaux points :
Notre Père ne parla plus de « la consécration du monde et particulièrement de la Russie », mais de la Russie seule. « C’est stupéfiant ! On n’a jamais vu ça dans l’histoire passée du monde ! [...] Tout dépend dans l’histoire du monde du fait que le Pape obéira ou n’obéira pas à la demande que le Ciel lui fait de consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie [...]. » (Logia du 20 juin 1982)
Il voulut également que l’on pratique en communauté la dévotion réparatrice des premiers samedis et que l’on encourage nos amis à dire le chapelet tous les jours. « La petite chose que Dieu nous demande, nous ne la faisons pas, et beaucoup d’entre nous, en ce moment, doivent se frapper la poitrine (...). “ Moi, qu’ai-je fait, avant d’accuser les autres ? ” Il faut s’y mettre ! » (Tout sur Fatima, 31 mai 1981)
Notre Père insista très souvent sur ces pratiques qu’il fallait faire en esprit de réparation des offenses faites au Cœur Immaculé. Le salut du monde « est dans le chapelet, dans la consécration de nos âmes, de nos familles, au Cœur Immaculé de Marie. Le salut de la France est là et pas ailleurs. » (Logia, 27 juin 1982) En 1991, à la suite de la guerre du Golfe, notre Père décida d’ouvrir la maison Saint-Joseph chaque mois pour que les familles puissent suivre les exercices des premiers samedis.
Et enfin, convaincu par la démonstration du Père Alonso, il adopta l’idée que la troisième partie du Secret ne révélait sans doute pas des châtiments matériels, mais spirituels, à caractère religieux : l’annonce de l’apostasie moderne que nous vivons depuis 1960.
D’une certaine manière, notre Père prit la suite du Père Alonso dans la défense de Fatima, car celui-ci mourut en décembre 1981 et personne dans l’Église, à part notre Père, ne défendit l’intégralité du message de Notre-Dame. Deux ans après (1983), Toute la vérité sur Fatima sortait de nos presses.
1989 – 2000 :
LA PLACE CENTRALE DE L’IMMACULÉE CONCEPTION
Après le départ d’une partie de la communauté en 1989, notre Père se sentit beaucoup plus libre de parler, en particulier sur la Sainte Vierge, ce qui fait que les années 1990 furent d’une fécondité extraordinaire. Entre 1981 et 1989, on compte 110 sermons sur la Sainte Vierge dont 60 sur Fatima, tandis qu’à partir de 1989, notre Père prêcha 500 fois sur la Sainte Vierge dont 200 sur Fatima et le Cœur Immaculé de Marie. Dans ces sermons, notre Père ouvre véritablement son cœur à l’Immaculée. C’est d’une très grande richesse !
Toutefois, il faut bien se rendre compte que cette fécondité alla de pair avec des persécutions. Plus il s’engagea derrière l’Immaculée, plus il eut de lumières sur son mystère, mais plus aussi s’exercèrent sur lui les épreuves venant de Rome et de la République. Nous comptons parmi celles-ci les mensonges répétés de Rome au sujet de la consécration de la Russie de 1981, 1982, 1984, puis les lettres apocryphes de sœur Lucie en 1989 ; en 1986, la réunion d’Assise que notre Père dénonça violemment, ce qui lui valut de la part de l’épiscopat les premières accusations de secte pour le faire taire ; en 1987, son appel au jugement de Dieu contre Mgr Lustiger et en 1988, les trahisons de Le Pen et de Mgr Lefebvre, autant d’affaires qui furent la cause de nombreuses défections et d’opposition dans nos rangs ; en 1988 toujours, la mort de Mamine, sa mère, et le reniement du Saint Suaire par l’Église elle-même ; à partir de 1989, une série de départs de frères et de sœurs qui laissèrent une plaie vive au cœur de notre Père ; en 1993, la dénonciation des douze hérésies majeures du Catéchisme de l’Église catholique, suivie de la forfaiture du Saint-Office et de celle de la Signature apostolique quelques années plus tard ; en 1996, les nouvelles accusations de secte et l’exil de notre Père à Hauterive en Suisse, et enfin en 2001 les perquisitions de la gendarmerie.
Il n’y a pas une année où notre Père ait été épargné. Ces persécutions furent de plus en plus graves et violentes, et si notre Père a pu tenir, ce fut par un abandon toujours plus grand en l’Immaculée.
Il est impossible de reprendre le fil chronologique des pensées de notre Père sur l’Immaculée. On le retrouve très bien retracé dans le livre de frère Bruno Georges de Nantes, Docteur mystique de la foi catholique. Nous ne garderons ici que les idées majeures.
PURETÉ POSITIVE.
À la fin des années 1980, accusé ignominieusement d’avoir créé une secte et d’avoir prêché une “ fausse mystique ”, l’abbé de Nantes s’employa à expliquer ce qu’est la vraie mystique en enseignant l’humilité et la pureté, qui sont précisément les vertus propres à l’Immaculée, par le chemin bas de la perfection et la pureté positive. Arrêtons-nous sur cette dernière.
Notre Père explique que chez les meilleurs la pureté est une pureté négative qui consiste seulement à mortifier ses passions et ses mauvais désirs. Mais alors la pureté est une vertu qui n’est jamais très forte, car toujours tournée vers le mal qu’elle doit combattre.
Tandis que, pour notre Père, la pureté n’est pas simplement le rejet du péché, mais avant tout la perfection de l’Amour. Il faut d’abord regarder la Sainte Trinité. Il faut contempler cette magnificence de l’Amour que le Père a pour le Fils dans la Sainte Trinité. Le Père donne tout ce qu’il a à son Fils, mais ensuite par le baptême nous devenons fils de Dieu et nous sommes appelés à aimer tout ce que le Fils nous a donné de son Père : Lui-même, la Vierge Marie, le Ciel, l’Eucharistie, les vertus.
« La Vierge Marie nous donne une autre vue qui est d’imiter la pureté divine des trois Personnes divines. Cela consiste à ce que l’amour soit porté vers le prochain d’une manière généreuse, à se donner pour le servir, à le chercher pour son bien et non pour le nôtre. La poix, au contraire, si vous en prenez un peu dans votre main, elle s’y attache et vous arracherait plutôt la peau que de vous lâcher. Elle attire à soi, pour soi. C’est une impureté, une saleté. Mais les saints sont tellement absorbés dans l’amour du Christ et de la Vierge Marie que dans les rapports qu’ils ont avec le prochain, ils sont enclins à imiter cette vertu qu’ils voient dans la Vierge Marie, qui est une vertu de douceur, de service, de générosité sans fin, avec la joie d’aimer et d’être aimé. » (Pureté positive, p. 9)
Et dans la suite de son enseignement, notre Père explique ce que sont la pureté de l’esprit, celle du cœur et celle des œuvres. Par cette prédication merveilleuse, notre Père donne une nouvelle façon d’apprécier la vertu et de vivre en elle. Au lieu de regarder vers la terre, on regarde en haut les Cœurs de Jésus et de Marie. Cette prédication concrète est mariale, puisqu’elle nous engage à pratiquer la vertu de pureté en son esprit, son cœur et sa vie, en regardant l’Immaculée et en lui demandant ses grâces.
LA PRÉEXISTENCE DE L’ÂME DE LA SAINTE VIERGE.
Notre Père commençait de réfléchir sur ce mystère depuis quelques années. En 1984 et 1987, il médita sur la signification du Nom d’Immaculée Conception en lisant saint Maximilien-Marie Kolbe. En 1989, il eut des lumières sur la Sainte Colombe qui le conduisirent à conclure à la préexistence de la Sainte Vierge. Et le 8 décembre 1991, notre Père reçut de nouvelles lumières sur l’Immaculée Conception.
En méditant sur l’antienne « Qui est celle-ci qui s’avance ? » notre Père dit ces paroles stupéfiantes : « Elle est là, au milieu de nous, en tête. Radieuses apparitions au commencement des temps (...). Cette apparition est dès au commencement des temps. Toute la Sainte Écriture nous le proclame et tous les textes liturgiques, en particulier de cette fête de l’Immaculée Conception, nous le répètent avec insistance et nous le donnent à aimer. Les grands saints des temps modernes : saint Louis-Marie Grignion de Montfort, saint Jean Eudes, saint Maximilien Kolbe nous montrent à quel point l’Immaculée Conception est un mot secret, un mot sans fond. Elle est la Conception de Dieu, elle est l’Idée, la Pensée de Dieu, la plus profonde, la première et la dernière, relative à notre création.
« Elle est là au commencement des temps, pour ainsi dire en deçà d’Adam et Ève qui sont comme deux pauvres petits enfants perdus, surtout après leur chute, mais elle, elle est déjà là et Dieu fait allusion à elle en promettant un Sauveur qui sera le Fils de la Femme, de cette Femme d’avant et cette Femme des derniers temps. »
Et notre Père en venait à faire dans son sermon de la messe de ce même jour cette hypothèse merveilleuse :
« Dieu n’aurait-il pas créé l’Âme de la Vierge Marie au début des temps ? Évidemment, son corps est tout entier pris dans le temps, dans l’espace. Il est conçu dans le sein de sa mère et elle a vécu une existence terrestre et maintenant nous savons que son corps est éternellement dans le Ciel. Mais son âme ? (...) L’âme de la Vierge Marie n’aurait-elle pas pu être accordée par le Père et le Fils à l’Esprit-Saint pour cette expiration par laquelle Il manifeste leur Amour.
« Alors, au moins déjà au commencement des temps, avant d’avoir créé le ciel et la terre et même les anges, l’âme de la Vierge Marie, séparée, déjà possédée par la flamme de l’Esprit-Saint est visible au Christ et à son Père. Exultation. Quand les anges sont créés, ils admirent déjà cette âme, cette première de toutes les créatures, ils s’inclinent devant elle et ceux qui ne se sont pas inclinés devant elle, ce sont les démons qui sont tombés en enfer et qui n’en sortiront plus jamais. Cette âme de la Vierge a assisté à la création et les paroles que nous avons lues dans l’Épître nous deviennent extraordinairement instructives. » (Logia du 8 décembre 1991)
À partir de ce moment-là, notre Père ne parle plus que de l’Immaculée, même si sa doctrine mariale n’est pas encore pleinement achevée.
CIRCUMINCESSANTE CHARITÉ DIVINE.
Lors de la prise d’Habit de notre frère Gabriel de Saint-Jean au Canada, le 22 août 1993, fête du Cœur Immaculé de Marie, stimulé sans doute par l’exemple du saint frère Gabriel Mossier que notre Père avait donné comme patron à notre frère, notre Père prend la liberté de réciter le chapelet d’une manière plus tendre, en changeant “ Je vous salue ” en “ Je vous aime, ô Marie ! pleine de grâce... ” « Nos frères et sœurs de là-bas, et les amis présents à la cérémonie, écrit frère Bruno, se mirent à réciter le chapelet avec ce “ Je vous aime, ô Marie ! ” qui incendiait leur cœur, et nous de même. Autant d’Ave, autant d’actes d’amour, comme d’un enfant qui couvre sa mère de mille baisers pour la consoler de tant d’injures que lui font ceux qui ne l’aiment pas. »
Notre Père appellera cette nouvelle adresse à la Vierge Marie : « la plus pieuse invention de ma vie et la plus merveilleuse ».
Un autre exemple de cette nouvelle flamme qui embrase notre Père.
Dans sa retraite de 1993 intitulée Circumincessante charité divine, retraite reprise et développée en 1997 et en 1998, notre Père médita sur de nombreux textes de la Bible et de la mystique mariale chers à son cœur et développa l’idée que le centre de l’histoire du Salut, c’est la Sainte Vierge. Que si le Bon Dieu a créé le monde, c’était pour la Sainte Vierge ; que si nous avons été épargnés par la colère divine après le péché d’Adam, c’est parce que la Sainte Vierge était là auprès de Dieu intercédant pour nous rouvrir le Paradis perdu ; que si Jésus était mort sur la Croix, c’était en accord et avec la coopération de la Sainte Vierge ; et que si encore aujourd’hui nous voulons obtenir notre Salut, nous devons en demander la grâce à la Sainte Vierge.
Après cette retraite, notre Père confia : « Il me semble que cette retraite d’automne 1993, à l’automne de ma vie, est comme une vendange des meilleurs fruits de notre vigne. » En réalité, ce n’était que le début d’une vendange qui n’allait plus cesser jusqu’à ce que notre Père ne puisse plus parler.
LE CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS-MARIE.
La retraite d’automne 1994 sur la messe conduisit notre Père à prêcher tout au long de l’année suivante sur le Cœur Eucharistique de Jésus-Marie. Encore une nouveauté et un progrès dans la dévotion mariale ! Jusque-là on ne parlait que du culte du Cœur Eucharistique de Jésus qui consiste à honorer l’acte d’amour par lequel Jésus laisse déborder toutes les richesses de son Cœur en instituant le sacrement de l’Eucharistie.
Notre Père reprend cette dévotion, complètement abandonnée aujourd’hui, et y ajoute un nom, celui de Marie, « car, disait notre Père, Jésus et Marie sont inséparables en toutes choses » (Logia 29 juin 1995) et il explique, tout au long de ses prédications, que non seulement « toutes les richesses de prédications, de miracles, de mansuétude envers les bons, de délivrance des possédés » de Jésus, pendant sa vie terrestre, sont sorties du Cœur de Jésus et de Marie, comme d’un désir, d’un projet commun qu’ils avaient ensemble pour nous sauver, mais que ce qu’ils voulaient par-dessus tout était de nous offrir le Corps et le Sang de Jésus dans l’Eucharistie pour susciter dans nos cœurs un amour semblable et nous faire récolter ainsi des fruits de grâces et de sainteté. Notre Père dit même que c’est la Sainte Vierge qui eut l’idée de ce sacrement de l’Eucharistie et qui l’a demandé à Jésus pour nous... ce que Jésus a accepté de faire par amour pour Elle.
Notre Père ramène la Sainte Vierge au centre de tout, en toute occasion. Ici, Elle est non seulement aux côtés de Jésus, Corédemptrice, collaboratrice, épouse fidèle, participante active dans toutes les étapes de notre rédemption, mais Elle en est même l’initiatrice. À Cana, fait remarquer notre Père, n’est-ce pas Elle qui demande à Jésus d’avancer son Heure et de faire le miracle. Et Jésus obéit...
En 1995, notre Père se lança dans l’étude du bienheureux Jean Duns Scot. La pensée de ce docteur du Moyen âge est difficile et demande toute une étude que frère Jean Duns nous fera. Disons ici que la doctrine de ce saint franciscain encouragea beaucoup notre Père à suivre ses intuitions sur l’Immaculée. Plusieurs correspondants avaient émis des objections contre la préexistence de l’âme de la Sainte Vierge. Notre Père hésitait, ne voulant point forcer les gens. Mais en apprenant comment le bienheureux Jean Duns avait défendu le privilège de l’Immaculée Conception contre tous les théologiens de son époque, notre Père n’hésita plus et envisagea même de revoir toute notre doctrine à la lumière du mystère de l’Immaculée, selon son intuition. Une nouvelle étape était franchie.
LA PLACE CENTRALE DE L’IMMACULÉE CONCEPTION.
Au mois de mai 1994, une initiative de notre Père avait enflammé toute la Phalange. Notre Père avait décidé que la Ligue se rendrait en pèlerinage à Fatima le 13 octobre 1996. Il l’annonce comme une croisade à entreprendre « en toute sagesse, contre le démon, contre le monde et contre nous-mêmes, au Nom de l’Immaculée Mère de Dieu, médiatrice, auxiliatrice ». C’était, d’un coup, placer le Cœur Immaculé de Marie au centre de la Phalange et de nos pensées.
Pour nous préparer, notre Père entreprit une série de prédications sur le Pater, sur l’histoire de la Santa Casa de Lorette et sur plusieurs manifestations et sanctuaires marials desquels il tira de nombreuses leçons. Les leçons tirées de l’histoire de Notre-Dame des Victoires et de La Salette sont particulièrement importantes.
En effet, le 10 janvier 1996, le “ rapport Guyard ” sur “ les sectes en France ” était rendu public. Il dressait la liste des 172 mouvements pouvant « être qualifiés de sectaires » au sens fort, et présentant « une inquiétante dangerosité [sic] ». Parmi eux, la « Communauté des petits frères et petites sœurs du Sacré-Cœur », rangée parmi neuf « sectes pseudo-catholiques ». Notre communauté était ainsi désignée à la vindicte publique, notre mise à mort programmée.
Huit jours plus tard, notre Père confia cette grosse intention à Notre-Dame des Victoires et se rendit en pèlerinage en son sanctuaire parisien. Là, il découvrit l’histoire de l’abbé des Genettes qui, après avoir entendu une voix céleste le lui ordonner, consacra sa paroisse au Cœur Immaculé de Marie, le 3 décembre 1836, et vit aussitôt Notre-Dame des Victoires remplir le monde de ses miracles. Enthousiasmé, notre Père décida de faire de même : « J’ai confié l’affaire à ce pitoyable abbé des Genettes, à ce Monsieur “ Rude-Abord ”, et je ne me fais plus de souci : il nous obtiendra, à nous, plus misérables que lui, du Cœur Immaculé de Notre-Dame de Fatima, la victoire et la paix promises. » Au-delà de la protection demandée pour notre communauté, notre Père était saisi par la leçon surnaturelle de ce sanctuaire qui ressemblait tant à ce que nous attendions du Pape : qu’il consacre la Russie au Cœur Immaculé de Marie, et l’Église serait sauvée du drame de son écroulement postconciliaire. C’était toute l’espérance de notre Père : « Notre-Dame de la Victoire l’emportera demain sur tous les apostats, les faux chrétiens, les traîtres qui détruisent l’Église jour après jour. » (Logia du 27 mai 1996)
De l’apparition de Notre-Dame à La Salette le 19 septembre 1846, notre Père découvrit le message figuratif « du règne de Marie, Médiatrice seconde de l’humanité rachetée, passée première pour faire don de son beau Royaume à son Seigneur et Fils, Jésus-Christ, à l’honneur de leur très unique Cœur, fontaine de miséricorde et d’amour pour toute créature » (Lettre à la Phalange n° 59, des 21-22 septembre 1996). La Salette et Fatima s’éclairent mutuellement par leurs deux secrets tenus cachés, mais devinés dans leur annonce tragique de l’apostasie de la hiérarchie ecclésiastique : « Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist. » On ne peut pas perdre la foi quand on voit que la Sainte Vierge a prévu et annoncé cette apostasie.
Mais la leçon principale reste celle-ci :
« Il paraît que nous sommes obsédés par la dévotion à la Sainte Vierge. C’est vrai ! (...) Je méditais sur l’Immaculée Conception et, imprégné de l’importance du message de La Salette et des autres apparitions du dix-neuvième siècle, il se faisait une cohésion d’où il appert que la vérité révélée de l’Immaculée Conception est le mystère. Le mystère de l’Immaculée Conception est le mystère central de toutes les apparitions de la Vierge Marie au dix-neuvième siècle (...).
« Pie IX voulait proclamer l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, ce qu’il fait en 1854, et dix ans après, armé de cette nouvelle gloire reconnue à la Vierge, il écrase la tête du démon avec le Syllabus et la condamnation des erreurs modernes en 1864. Cette dévotion à l’Immaculée est véritablement une dévotion primordiale.
« Je continue ma réflexion. C’est la volonté centrale du Christ au dix-neuvième siècle de pousser sa Mère en avant pour qu’elle soit, elle, victorieuse du démon comme il est dit dans le Livre de la Genèse. La Vierge Marie doit faire l’œuvre principale du salut du monde à la fin des temps. Louis-Marie Grignion de Montfort l’a dit, Elle doit le faire. Et le Pape de Rome doit l’aider en lui mettant cette couronne qu’elle attend depuis tant de siècles, de sa Conception Immaculée, la glorifiant ainsi à la face de tous ses ennemis. » (Logia du 8 avril 1996)
« Oui, cette dévotion envers l’Immaculée Conception est primordiale, car c’est par Elle que Dieu veut accomplir le salut du monde, à la fin des temps », écrit frère Bruno dans Docteur mystique de la foi catholique (p. 401).
Et voyant que la hiérarchie permettait l’invention de Credo plus hérétiques les uns que les autres, notre Père décida que, dorénavant, nous affirmerions notre foi en l’Immaculée Conception en l’introduisant dans notre Credo. Ce serait comme une Croisade victorieuse contre tous ceux qui nient ce privilège de la Sainte Vierge, et contre l’Antichrist qui dévore le monde. À partir de ce moment, la communauté récita le Credo en disant : « Je crois en l’Esprit-Saint, à la Sainte Église catholique, à l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, à la communion des saints... »
Notre Père ajouta également une petite pratique. Pour être sûr qu’il pardonnait à ses calomniateurs, il inaugura une petite dévotion qu’il nous recommanda : « Faire le signe de croix et ajouter en mettant la main droite ouverte sur le milieu de la poitrine : “ Par l’Immaculée Conception, notre Mère à tous, à jamais ! ” » À chaque fois que notre Père le disait, il pensait à ses persécuteurs et demandait la grâce de leur pardonner.
Mais le démon allait chercher à abattre notre Père.
L’EXIL ET LA CONSÉCRATION À L’IMMACULÉE.
En septembre 1996, l’exil fut pour notre Père une très lourde croix. Mais là encore, dans son extrême solitude, la Sainte Vierge fut son seul soutien. Notre Père raconta à son retour : « Là, la Sainte Vierge, c’est le remède. Ce n’est pas : “ Prends ton fusil, Grégoire ”, c’est “ prends ta Vierge d’ivoire, prends ton chapelet, frère Georges ”, c’était mon nom, là-bas. On dit son chapelet jusqu’à ce qu’un peu d’eau vive coule dans le cœur. C’est la Sainte Vierge qui, par son chapelet, redonne comme des accumulateurs neufs à une auto exténuée. »
Notre Père ajoutait, dans une télécopie datée du 20 août 1997 :
« C’est ce qui a été ma grande joie dans ma solitude, et si j’avais dû y rester toute ma vie, c’est cela qui m’aurait soutenu (...). Attachons-nous à cette vie mystique qui réchauffera le monde quand Jésus voudra bien permettre à la Sainte Vierge de faire quelques miracles qui nous convertiront et sauveront le monde (...). »
À son retour d’exil en 1997, notre Père parla encore plus souvent de la Sainte Vierge et ne voyait de salut qu’en Elle. Mais en relisant les sermons de cette époque, on a l’impression que notre Père est sur son mont Alverne. Il contemple l’Immaculée Conception, mais il n’arrive pas à exprimer toutes les grâces qu’il perçoit.
En août 1997, au cours de son séjour annuel au Canada, notre Père priait devant la statue de Notre-Dame de Fatima dans la chapelle de la maison Sainte-Thérèse, quand lui vint cette pensée : « J’ai pensé devoir faire un acte de plus, justement devant cette statue qui semble regarder le pauvre pécheur agenouillé en grande foi à ses pieds, et je déterminai de lui promettre de me maintenir en cette exagération même de paroles et de pratiques. » Et notre Père eut la certitude d’avoir été entendu par « un rayon de lumière réfléchie d’un de ses yeux [qui me] donna l’illusion de son regard vivant ».
Il s’ensuivit un triduum tout consacré au Cœur Immaculé de la Vierge Marie, où il prit la décision « de placer dorénavant la Sainte Vierge Marie absolument au-dessus de toutes nos affections de cœur, de toutes nos convictions et pensées, de toutes nos œuvres extérieures et de tous nos désirs.
« Qu’on n’objecte pas l’amour de Dieu lui-même qui devrait de toute manière passer premier et prendre toute la place. C’est précisément dans le rejet de cette objection que consiste le caractère nouveau, surprenant, bouleversant, de cette dévotion qu’enfin je ne boude plus, que je veux faire mienne parce que c’est ce que notre doux Seigneur et Maître veut et attend de notre génération pour la sauver ! »
« Ainsi, confiait notre Père, je déménage chez la Sainte Vierge. »
« Tous nos 150 Points sont à réviser et à mettre sur cet axe. Et la restauration catholique de nos espérances ne sera pas affaire ecclésiastique, ni nationaliste, ni, bien entendu ! sociologique, écologique ou partisane, mais de Croisade mariale et eucharistique [...]. Ainsi je crois, j’espère et j’aime par Marie, en Marie, pour Marie, que notre très chéri Père Céleste remplit de sa Toute-Puissance, se faisant comme son Enfant, pour mieux nous toucher, nous vaincre, nous retourner et nous sauver. » (CRC n° 342, p. 2)
Et cette détermination se concrétisa de façon solennelle et publique par la consécration de la Phalange à l’Immaculée Conception au cours d’un nouveau triduum à la maison Saint-Joseph, du 6 au 8 décembre 1997. « Cette consécration totale de nos êtres à l’Immaculée [...] est une conversion au tout de la religion, une interpellation actuelle à entrer dans un mouvement dont la Bienheureuse Vierge Marie est la Mère et la Reine [...]. Le nouveau phalangiste, atteint par l’amour fou de l’Immaculée, le laisse voir, ne veut pas s’en cacher. »
Cela dicte notre résolution : « S’user jusqu’à la corde, aimés des bons, haïs des ennemis de Jésus-Christ et de sa Sainte Mère, prêts à toutes les croix, pour l’amour de l’Immaculée. À Elle l’amour de tous, l’admiration adorante, la confiance, les longues prières. À Elle de commander aux âmes qui lui sont dévouées, consacrées. À Elle d’être seule en vue, à la tête de nos Phalanges. »
C’est dire que notre Père “ passait la main ” à la Sainte Vierge, comme il nous l’annonça le 3 janvier 1998 : « Vous savez ce que cela veut dire, quand on est directeur d’une entreprise, on passe à quelqu’un d’autre toute la responsabilité et, quelquefois, toutes les conséquences épouvantables de son gouvernement. J’ai décidé de passer la main à l’Immaculée Conception. »
Dans la nuit de Noël précédente, notre Père reçut une lumière décisive sur le mystère de l’Immaculée Conception, présente, “ éternellement ” au Père, au Fils et au Saint-Esprit, dès l’aurore du monde.
LA CERTITUDE DU TRIOMPHE DE L’IMMACULÉE.
L’apostasie totale d’une Église qui ne dit rien, qui laisse la foi des prêtres et des fidèles mourir, et qui empoisonne les cœurs purs devient pour notre Père un vrai tourment intérieur : « Comme tout nous paraît de plus en plus “ effrayant ” dans le monde ! (...) Il est providentiel que nous ayons été attirés vers ce refuge et cette consolation de la dévotion à l’Immaculée. »
Le 31 mai 1998, en la fête de la Pentecôte, tandis qu’il récite son chapelet, notre Père comprend alors la prééminence de la Sainte Vierge sur l’Église :
« Elle est immaculée, Elle est l’Immaculée Conception. Quand vous comprendrez ce que cela veut dire, vous comprendrez qu’Elle passe avant toute l’Église, tout le reste : les curés, les évêques, les cardinaux et le Pape. Et quand Elle parle, pour dire qu’Elle veut sauver l’humanité, qu’Elle est envoyée par son Fils pour inaugurer son propre Royaume à Elle, qu’Elle dit : “ Je veux ceci, je veux cela ”, le Pape et les évêques n’ont qu’à dire : “ C’est vrai ou ce n’est pas vrai. ” Si c’est une illusion du diable, condamnez-la ! Si c’est la Sainte Vierge, inclinez-vous ! »
Et notre Père décide que, dans la récitation de notre Credo, nous nommerons dorénavant l’Immaculée avant l’Église : je crois au Saint-Esprit, à l’Immaculée Conception, à la Sainte Église catholique.
En raison même de cette prééminence, notre Père ne doutait pas qu’ « un jour viendra la victoire. Je suis sûr que tout cela finira en l’an 2000. » (13 juillet 1998) « On ne peut pas s’imaginer la rapidité avec laquelle s’effectuera le retour à la religion antique, pour peu que la Sainte Vierge fasse un petit geste. » (18 août 1998) Notre Père pensait qu’elle adviendrait pour l’an 2000. Mais un autre événement survint cette année-là.
LE SECRET DE FATIMA.
Pendant son voyage au Canada, en 1998, et à son retour en France, notre Père ressent une immense fatigue et se voit « accablé de misères ». Sa voix devient plus faible : il faut tendre l’oreille pour l’entendre. Et il n’a plus la même éloquence, ayant parfois du mal à trouver ses mots. Les frères ne savaient pas que c’était les premiers symptômes de la maladie de Parkinson.
À cause de son état maladif, notre Père n’a plus le ressort d’autrefois. Les mauvaises nouvelles ont plus de retentissement sur lui, alors qu’une suite impressionnante d’enquêtes judiciaires et de contrôles administratifs sont lancés contre lui et la communauté en juin-juillet 1999. La communauté subit un véritable lynchage médiatique.
Éprouvé mais nullement abattu, lors de la session de Toussaint 1999, notre Père s’adressa encore aux jeunes gens présents : « Je crois que nous allons vers des moments éprouvants, épouvantables, vers des déchaînements d’horreur (...). Il me semble que Dieu n’ira pas jusqu’à nous imposer des épreuves terribles, mais il nous poussera jusqu’aux limites du possible. Il faudra nous convaincre que la Vierge Marie écrase la tête du Serpent et qu’elle est Victorieuse de toutes les hérésies. Voilà qui doit être notre pensée habituelle. »
Lumière dans la nuit, le troisième Secret est enfin publié le 26 juin de l’année suivante. À première lecture, notre Père en fut très troublé. Puis, éclairé par frère Bruno, il s’enthousiasma. Il commenta plusieurs fois ce Secret, et la dernière fois qu’il prit la parole en public, ce fut ce sujet qu’il traita. Depuis, le troisième Secret éclaire toutes les conférences de frère Bruno. Nous ne cessons de revenir sur les prophéties qu’il contient.
Le 31 décembre 2000, notre Père dit dans un sermon : « Aujourd’hui, nous sommes au point de rencontre de deux armées : celle de la Vierge Marie contre celle de Satan ! L’issue du combat ne fait aucun doute : l’armée de Marie est soutenue par tant de martyrs dont Dieu agrée les souffrances, les reversant en torrents de grâces pour le salut du monde (...).
« Soyons dans la joie de servir la Vierge Marie, de servir un Pape martyr, de militer avec sœur Lucie, si maltraitée depuis quarante ans pour qu’elle ne parle pas ! Nous sommes à la croisée des chemins, et c’est la Vierge Marie qui sera notre salut. »
« HEUREUSEMENT QU’ELLE EST LÀ ! »
Atteint par la maladie, notre Père fut hospitalisé une première fois en octobre 2002, puis il fut de plus en plus dans l’incapacité de s’exprimer et resta paralysé sur son lit. À plusieurs paroles, on sait pourtant le fond de son cœur. En voici quelques-unes :
Frère Christian a raconté que notre Père montait souvent se reposer dans sa cellule au début de sa maladie. Il y avait sur la grande cheminée de sa chambre une statue de Notre-Dame de Lourdes vers laquelle notre Père aimait regarder pour dire son chapelet ou réciter l’Angélus ou méditer silencieusement.
« Une nuit, au cours d’une de ses insomnies, un frère l’a surpris se levant sans bruit, à grands risques et, s’approchant mystérieusement de ce petit autel improvisé, y demeurer quelques instants, y consulter l’heure, avant de se recoucher, toujours sans le moindre bruit. » Un autre jour « au frère qui lui tend son chapelet, il dit : “ Heureusement qu’Elle est là ! ” »
Une année frère Bruno installa une grande statue de Notre-Dame de Fatima qui restait éclairée toute la nuit et qui était en face du lit de notre Père. Notre Père l’avait toujours sous les yeux et la regardait très souvent.
Frère Christian lui demanda s’il offrait tout pour Jésus par Marie. Notre Père répondit : « Oh oui ! »
Les soins étaient pour notre Père très fatigants et très humiliants. Un jour que nous le conduisions dans la salle de bain, alors que notre Père parlait habituellement très peu et très faiblement, il chanta avec puissance : « Ô Marie, ô Mère chérie ! » Révélation de son cœur et de ses pensées !
Ces quelques exemples nous révèlent l’intention profonde de notre Père, d’autant plus sincère qu’elle se manifestait dans l’épreuve qui était d’offrir avec ardeur toutes ses peines à la Très Sainte Vierge pour réparer les outrages faits à son Cœur Immaculé et pour le salut de l’Église, comme il nous l’avait toujours prêché.
Quand le 15 février 2010, vint l’heure de sa mort vers 6 h 30, notre Père tourna légèrement son visage vers la statue de la Sainte Vierge, puis le laissa retomber en mourant avec une expression de joie. Au même moment, la communauté récitait le chapelet à la chapelle.
Deux citations de notre Père me semblent résumer ses dernières pensées sur la Sainte Vierge, elles nous serviront de conclusion. C’est un message de combat :
« Il est pour moi, pour nous, dès maintenant certain et d’une vérité qui ne passera pas, que tous ceux qui brûlent d’amour pour l’Immaculée, de dévouement eucharistique et marial, et de service de toutes les causes qu’Elle patronne, sont déjà par grâce inouïe de la très Sainte Trinité, prédestinés, élus et promis par sa Médiation à la Vie éternelle du Ciel. « Tandis que ceux qui ne veulent pas, ne désirent, n’acceptent ni ne reconnaissent rien de cet empire de Marie sur toutes créatures, par là même signent et anticipent leur propre réprobation ainsi que leur désespoir éternel. »
Mais aussi d’espérance :
« “ je suis l’immaculée conception ”.
« Il y a dans ce “ nom ” un trésor encore inexploité, une révélation formidable à répandre dans le monde entier. »
frère Michel de l’Immaculée Triomphante et du Divin Cœur.
L’IMMACULÉE CONCEPTION, FORCE DE VIE
NOUS avons dit que Dieu a créé la Vierge Marie pour la donner à son Fils de toute éternité et que c’est par Elle et à travers Elle que Dieu a voulu tout le reste de l’humanité que nous sommes et le monde tout entier.
Aussi, cette Reine a-t-Elle maintenant pour labeur d’enfanter son Royaume à la vie éternelle. C’est ainsi que saint Jean la décrit dans l’Apocalypse. Elle donne la vie, et donner la vie, ce n’est pas simplement enfanter, mais d’abord nourrir en son propre sein. Que fait une femme pendant neuf mois sinon donner de sa vie ? C’est l’énergie de son âme qui transmet à cet enfant qu’elle porte dans son sein toutes les formes de la nature, de l’espèce, du caractère héréditaire. C’est une âme qui enfante une autre âme à cette vie du corps. La Vierge Marie travaille au Ciel comme une mère en donnant cette vie qu’Elle a en abondance.
Et donc, il se fait un contre-courant dans l’histoire du monde entre le courant qui mène à la mort et ce courant qui mène à la vie. Voilà pourquoi le Cœur Immaculé de Marie – je vais vite, mais je vais à ma conclusion tellement ma conclusion est magnifique ! – est la grande révélation de Fatima au vingtième siècle. Parce qu’il faut, maintenant que les temps se font courts, maintenant que l’humanité doit aller jusqu’à son grand triomphe, le grand triomphe universel du Christ et de Marie avant le jugement de Dieu, il faut que cette humanité respire, que cette humanité progresse, que cette humanité soit sanctifiée, et comment le pourrait-elle sinon par la dévotion au Cœur Immaculé de Marie ?
C’est de ce Cœur de la Vierge, ce torrent d’amour de la Vierge que nos âmes, nos cœurs, nos corps eux-mêmes doivent être transfigurés ! L’Immaculée Conception ! Renversons les mots : c’est la Conception de Dieu au commencement des temps. Cette Conception, c’est une conception immaculée, c’est une conception inaltérable. Cette Immaculée veut dire que dans cette conception, il y a une force qui sera capable à travers la vie, la vie personnelle de la Vierge Marie jusqu’au sommet de la Croix, et la vie de l’humanité tout entière à sa suite, de l’Église qui lui est fidèle, une force qui sera capable d’écarter toutes les attaques du vice et du démon ; et que cette vie croisse, qu’elle grandisse et qu’elle coule en abondance et que, finalement, elle emporte notre humanité de la terre vers le Ciel, nouveau Paradis ! Nouveau Paradis où l’Adam et l’Ève de la nouvelle création sont déjà établis, où le Christ couronne perpétuellement sa Mère et lui donne toutes les énergies, toutes les fécondités nécessaires pour sauver l’humanité.
S’il y a un salut aujourd’hui, tant spirituel que physique, c’est-à-dire la paix des âmes qui conduit au Ciel et la paix du monde qui nous épargne les malheurs de la guerre et de l’anarchie universelle, c’est dans ce Cœur Immaculé que nous devons en trouver les énergies. L’Immaculée Conception est le grand secret de Dieu qui achève de se révéler, maintenant que nous sommes à la fin des temps. Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous !
(Sermon du 9 décembre 1984.)