Il est ressuscité !

N° 214 – Octobre 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Notre écologie communautaire
sous le regard de l’Immaculée

PREMIÈRE PARTIE : POINTS 101 À 120

EN pleine débâcle de nos forces armées, le  maréchal Pétain prononça le 20 juin 1940, un discours, aussi bref que précis, pour annoncer au peuple de France qu’il avait demandé à nos adversaires de mettre fin aux hostilités. « J’ai pris cette décision, dure au cœur d’un soldat parce que la situation militaire l’imposait. » Défaite militaire dont les causes sont d’abord politiques. Nous nous étions jetés dans la guerre, en 1939, avec « trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés », par rapport aux forces que la France fut encore capable de déployer en 1917 et en 1918, malgré plusieurs années de combats meurtriers.

Mais le Maréchal va plus loin : « Le peuple français ne conteste pas ses échecs. Tous les peuples ont connu tour à tour des succès et des revers. C’est par la manière dont ils réagissent qu’ils se montrent faibles ou grands. Nous tirerons la leçon des batailles perdues. Depuis la victoire, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort, on rencontre aujourd’hui le malheur. »

La raison profonde de ce malheur dans lequel la France plongea en 1940 était donc aussi morale : il n’était plus possible de demander à son peuple les sacrifices que les poilus de la Grande Guerre furent capables de consentir avec un héroïsme sans égal et qui nous valut in extremis la victoire en 1918, qui leur fut d’ailleurs aussitôt ravie par un armistice trop précoce et un traité de paix qui ouvrait les voies d’un nouvel embrasement mondial.

Le Maréchal, au moment même où il se voyait confier le gouvernement d’une France en pleine déroute militaire, était lucide quant à la responsabilité qu’il endossait. Il ne suffisait pas de faire vivre au jour le jour un pays occupé par une armée allemande victorieuse. Il lui incombait d’entreprendre une ­Révolution nationale, c’est-à-dire une rupture avec des principes qui gouvernaient jusqu’alors le pays et qui ont fait son malheur, renouer avec d’autres, plus anciens, pour préparer les voies durables d’un redressement politique, mais également moral de la France.

Redressement politique. C’est ce que nous étudierons tout au long des points 51 à 100 de notre doctrine avec d’abord une critique de la démocratie, du libéralisme, des droits de l’homme qui sont au politique une transposition de la religion du culte de l’homme, et ensuite une description des institutions capables de restaurer l’ordre et la paix de la nation.

Mais quel peut être le redressement moral d’un pays ? C’est tout simplement donner à chacun le souci du bien commun, lui donner le goût, lui faire comprendre la nécessité de se dévouer au service des différentes communautés auxquelles il fait nécessairement partie... et non pas seulement à se limiter à remplir les obligations “ légales ” qui lui sont positivement imposées sous peine de sanction, à se contenter – et à n’importe quel prix, c’est-à-dire au détriment de tous – de défendre son petit intérêt individuel et “ portatif ” à l’encontre de ceux propres à ces mêmes communautés.

Il est vrai que les institutions politiques telles que l’enseignement, l’armée ou même la justice, pour ne citer que quelques exemples, devraient appeler chacun au service utile du pays, et parfois jusqu’aux plus grands sacrifices. Si le pouvoir royal, dans son exercice, est le rappel constant et nécessaire des exigences souveraines du bien commun de la nation et, au premier chef, de sa sécurité, ce rappel sera-t-il suivi d’effet si chacun n’apprend pas d’abord à se dévouer dans le dur labeur du travail quotidien ? Et peut-on sérieusement se dévouer dans son entreprise si cet effort ne se manifeste pas déjà au sein de sa propre famille ?

Évidemment non, et c’est pour cela que l’abbé de Nantes, notre Père, allant d’ailleurs plus loin que Charles Maurras qui s’était limité à la seule question politique, certes capitale, prioritaire même, s’est préoccupé de jeter les bases doctrinales d’un nouvel ordre fraternel, d’une écologie fondée en premier lieu sur la famille et visant à assurer une harmonie, un équilibre entre la terre non pas seulement préservée, mais cultivée, soignée, l’habitat distribué dans l’espace selon une densité raisonnable et le travail conçu en vue de la civilisation et non l’inverse. Et que tout se fasse sous le regard de l’Immaculée.

Ce nouvel ordre fraternel est en opposition radicale avec le capitalisme libéral ou, pour mieux dire, le capitalo-socialisme, ce système qui semble l’avoir emporté pour organiser la vie économique des pays dits industrialisés. Il est même le remède point par point à tous les désordres, les déséquilibres écologiques que ce capitalisme libéral engendre depuis deux siècles, avec ces trois maux ou fléaux que sont : l’individualisme, l’impiété et l’imprudence. Ce sera le sujet de ce premier article : la critique de ce système et de son pendant qu’est le socialisme, mais après avoir exposé les fondements de notre écologie tels que notre Père les a posés aux points 101 à 104.

LES FONDEMENTS DE NOTRE ÉCOLOGIE
POINTS 101 À 104

Notre Père a repris le mot d’écologie à ceux qui en font un usage délirant de protection de la nature au point d’en faire une poésie de l’eau, de l’air, de la terre, des plantes, des animaux et tout spécialement des petits oiseaux... quand cette poésie n’est pas une idéologie tout simplement au service du communisme. Écologie vient du grec oïkè qui veut dire “ maison ”. L’écologie, c’est la science de la maison, de la maisonnée, donc une science plus humaine que simplement végétale et animale. C’est par excellence « la science et l’art de la vie commune familiale, interfamiliale, humaine ».

Tout commence avec la métaphysique relationnelle de notre Père qui définit « l’être individuel comme une créature à qui Dieu donne l’existence pour répondre à une vocation au sein de l’univers. Dieu nous fait fils de tel père et de telle mère, membres du genre humain, au sein de telle société, de telle nation, avec la tâche de recevoir, conserver et transmettre l’héritage de la lignée. » (101) Avant chaque personne existe donc nécessairement une famille, comprise dans un sens élargi, avec tout son héritage d’expériences, de traditions, de civilisation. Nous ne naissons pas comme des êtres venant de nulle part, n’ayant aucun passé et ayant tout à découvrir et à apprendre par la seule force de notre esprit. C’est tout le contraire. À la différence du petit animal dont la conduite est guidée par des instincts, le petit homme a absolument besoin, dès sa naissance et pour de longues années, d’un entourage protecteur et éducateur.

Le phalangiste pose donc en principe que « la famille est la base de la vie humaine fraternelle et que le bien familial, fondement du bonheur social, est un bien spécifique, distinct du salut éternel des personnes, de la sécurité nationale, de l’intérêt individuel comme de tout intérêt collectif ou étatique. » De ce premier principe fondamental en découlent trois autres.

Notre écologie est humaniste (102). Elle est « la science spéculative, l’art pratique des conditions idéales et des réalisations possibles de la prospérité des familles, par le moyen de la vertu de prudence, en vue de la vie heureuse des communautés humaines fraternelles. »

Cette écologie et sa mise en œuvre pratique que l’on appelle économie, s’opposent « aux définitions individualistes et collectivistes de la réalité sociale, et à toute conception matérialiste de la fin recherchée ». La famille n’est pas une réalité matérialiste. Si on est matérialiste alors il n’y a plus de frère, de sœur, de père, de mère ou d’épouse. Tout le monde se bat pour se partager les biens, il n’y a plus de famille. « Au contraire, souligne notre Père, la famille implique une compréhension spirituelle de la réalité humaine, faisant place au corps, mais aussi à l’esprit, et qui voit combien le corps et l’esprit ne font qu’une personne. Et cette personne-là se trouve être membre d’une entité qui est réelle, existentielle : c’est la famille ».

Et sa loi suprême, c’est-à-dire celle à laquelle il sera fait appel en dernier ressort pour que la famille soit bien gérée, bien gouvernée, afin qu’elle parvienne à la perfection de son être pour le meilleur bien de ses membres, de ses composants, et aussi de son entourage, ce n’est pas une loi biologique, mathématique, métaphysique, morale, ni même religieuse. Non, cette loi suprême qui est propre à la famille, qui lui est spécifique : c’est la vertu de prudence. Ce mot, cette notion de prudence domine les 50 points de notre écologie communautaire.

Mais qu’est-ce que la vertu de prudence ?

Notre Père la définit comme une « vertu naturelle, une sagesse pratique appliquée à la création, à l’extension et à la conservation du patrimoine matériel et spirituel des familles, objet premier dans l’ordre temporel du désir des hommes ». Il ne s’agit pas là de répondre à une nécessité purement individuelle, instinctive, animale même, comme boire, manger et dormir. Le désir, lui, se situe à un niveau supérieur. Après avoir fait face aux nécessités premières de sa condition, quel peut être le désir de l’homme ? Rencontrer une femme pour l’épouser, fonder une famille et laisser une trace de son existence sur la terre. Là est le désir vraiment humain, fondamental.

Et pour parvenir à la réalisation de ce désir, il faut la prudence. Un exemple entre mille ? L’idéal des époux est de mettre des enfants au monde. C’est apparemment très bien, mais ce n’est pas forcément prudent. Au moins, il faut qu’ils réfléchissent à la manière dont ils vont les nourrir, les vêtir, les éduquer. Il y a un problème et la prudence de notre écologie lui sera appliquée et c’est difficile. Tous les problèmes de famille sont difficiles. “ Dois-je, avec l’argent que j’ai, acheter une résidence secondaire ? Dois-je m’endetter pour nous construire une petite maison dans la banlieue plutôt que d’être en étage dans le dixième ou le onzième arrondissement ? Je vais m’endetter pour vingt ans. Est-ce prudent ? Dois-je déménager, changer de ville ? ” etc. Perpétuellement le père et la mère de famille, prenant leurs décisions en commun, doivent peser le pour et le contre. Mais ils ont, avec la grâce de Dieu, la sagesse, la prudence nécessaire.

Aussi, avant le souci du devenir de l’Église, qui concerne en premier lieu le Pape et les évêques, ou celui de la patrie qui regarde les gouvernants, les hommes politiques ou ceux appelés à régner en vertu de leur droit dynastique, notre écologie communautaire, pour nous phalangistes, consiste d’abord à nous occuper de notre famille. Et elle est humaniste en ce que l’Église reconnaît aux communautés naturelles en général, à la famille en particulier, une grande autonomie pour déterminer par elles-mêmes, par la seule prudence, leur fin et les moyens pour y parvenir, leurs droits et leurs obligations.

Notre écologie n’en demeure pas moins profondément catholique (103). « Le catholicisme, notre catéchisme, explique notre Père, par sa foi, par ses sacrements, par les commandements disciplinaires de l’Église, par tout son appareil qui vient au secours des pauvres hommes est un moyen irremplaçable de bien guider sa famille. » La bonne vie familiale trouve son modèle dans la Sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph ; et la lumière supérieure de la foi, les énergies de l’espérance et de la charité, le recours aux prières et aux sacrements de l’Église, sont autant de puissants secours « pour que l’égoïsme individuel et toutes les frénésies des passions le cèdent à l’intérêt de la famille, à l’idéal de la vie communautaire heureuse que définissent et imposent l’écologie et l’économie scientifiques ! Preuve nouvelle qu’il n’y a d’humanisme que chrétien ! »

Notre Père fait remarquer que « la nature de la famille aide par elle-même à son bien. Nous n’avons qu’à être bon père, bon fils, bon époux pour réaliser le bien de la famille, pour atteindre la plénitude de la vie familiale. Mais l’Église aura tout de même son mot à dire pour nous aider. C’est la modification évangélique, à savoir que celui qui ne croit pas en Dieu, celui qui ne pratique pas les sacrements, aura beaucoup de peine à régler les problèmes familiaux. Même s’il voit, par une saine écologie, comment faire, lorsque viendra le moment de décider, il n’en aura pas l’héroïsme ni la vertu »... à défaut de la grâce.

Comme pour l’Église, le Roi reconnaît aux familles et à leurs associations spontanées leur antériorité, leur valeur de fin immédiate, leur autonomie d’action (104). Il ne serait pas bon que l’autorité publique, souveraine, cherche à dominer et régir entièrement les familles. Pour autant, celles-ci ne sauraient définir par elles-mêmes l’idéal écologique général ni déterminer les conditions économiques de leur prospérité. Elles ont besoin de la force, de l’autorité, de la protection, de la sollicitude de l’État, des institutions politiques et même du Roi, père des pères de famille du royaume. « Ce que l’autorité publique ne crée pas, il faut cependant qu’elle le protège en lui garantissant et lui imposant l’ordre, la stabilité, l’indépendance et la paix politiques, intérieurs et extérieurs. »

D’où ces deux conditions pour clore cette partie de notre étude. Premièrement, à la différence de la prétendue “ doctrine sociale de l’Église ”, notre écologie catholique ne sépare pas la question sociale de celle des institutions politiques. L’une va nécessairement avec l’autre. Et, deuxièmement, « l’idéal est que toute famille se conserve, croisse et prospère spontanément, habituellement, heureusement, selon ses propres lois, mais sous le couvert lointain et bienveillant de l’Église et du Roi ».

Armés de ces quatre fondements de notre écologie communautaire, posés aux points 101 à 104 de notre doctrine, mais tirés tout à la fois de la connaissance, de l’intelligence des choses du passé et de la réalité du présent, nous pouvons entreprendre une critique du système économique dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le système capitaliste libéral.

LE CAPITALISME LIBÉRAL
POINTS 105 À 113

L’essence même du système capitaliste libéral est contraire à tout esprit de bien commun. Et cela vient de son origine qui remonte à la Révolution de 1789, destructrice de la religion, de la monarchie, des élites civiles et militaires et même des communautés de métier et de village.

Cette analyse est singulièrement confortée par celle de Joseph Schumpeter, économiste autrichien, professeur à Harvard à partir des années 1930. Il est à l’origine de la théorie dite de “ destruction-création ” selon laquelle les moteurs du système capitaliste sont l’innovation et le progrès techniques. Cet économiste s’est singularisé par sa capacité à embrasser d’un seul regard toute la réflexion économique tout en manifestant une curiosité intellectuelle pour d’autres disciplines telles que la sociologie, la psychologie ou, évidemment, la science politique. La maturité de cette démarche est manifeste dans son ouvrage Capitalisme, Socialisme et Démocratie qu’il publia en 1942. Notre Père en cite un large extrait en lui consacrant entièrement le point 105.

Schumpeter a bien compris cette symbiose, propre à la société monarchique, entre la bourgeoisie et la noblesse terrienne et même le clergé, la première assurant le soutien économique, tandis que les deux autres classes assuraient à la société d’Ancien Régime soutien et protection politiques et religieux. Et « le roi, pièce centrale du système, était roi par la grâce de Dieu, et pour considérables que fussent les avantages qu’il retirait des possibilités économiques inhérentes au capitalisme, la racine de son pouvoir restait féodale, non seulement au sens historique, mais encore au sens sociologique du terme. » Ce n’était pas l’économique qui gouvernait le royaume, mais le politique, avec un pouvoir exercé au dernier degré par le Roi, lequel le tenait... de Dieu.

Or l’abolition des privilèges en 1789, la constitution civile du clergé, l’anéantissement des corporations et finalement de la monarchie en 1792 permirent de briser autant d’entraves à l’action économique de la bourgeoisie, libre désormais de développer un capitalisme tourné vers ses seuls intérêts, libre de plier la nation à sa volonté.

Mais Schumpeter fait également remarquer, et l’idée est importante, que « la classe bourgeoise est mal équipée pour affronter les problèmes tant intérieurs qu’internationaux, auxquels doit désormais faire face tout pays de quelque importance. Les bourgeois eux-mêmes sentent bien cette insuffisance, nonobstant toute la phraséologie mise en œuvre pour la dissimuler, et il en va de même des masses. À l’intérieur d’un cadre protecteur non constitué avec des matériaux bourgeois, la bourgeoisie peut cueillir des succès politiques... spécialement dans l’opposition... Mais à défaut d’être protégée par quelque groupe non bourgeois, la bourgeoisie est politiquement désarmée et incapable non seulement de diriger la nation, mais même de défendre ses intérêts de classe : ce qui revient à dire qu’elle a besoin d’un maître. »

Elle aura besoin d’un Napoléon en 1799 pour tout à la fois échapper aux désordres de la république naissante et à un retour des Bourbons, et confirmer les acquis de la Révolution. Elle aura besoin d’un Louis-Philippe usurpateur pour reprendre possession de postes officiels et consolider sa fortune menacée par la Restauration et poursuivre son enrichissement par le développement de la banque et de l’industrie. Elle aura besoin d’un Louis-Napoléon Bonaparte qui sache plaire au peuple, mobiliser l’armée, mais sans déranger le moins du monde leurs affaires. Elle aura besoin d’un maréchal Pétain en 1940 pour échapper aux pires conséquences de la défaite avant de se rallier à de Gaulle pour remettre le régime républicain sur ses rails et détourner, dix ans plus tard, le soulèvement d’Alger du 13 mai 1958 qui menaça alors le gouvernement républicain de Paris, puis liquider l’Algérie française et ouvrir les frontières et les horizons de la France à l’Europe des affaires.

La démocratie politique est impie, absurde et ruineuse pour les nations. C’est ce que nous verrons plus en détail dans l’étude des points politiques de notre doctrine. Mais la démocratie économique, de son côté, l’est plus encore pour la prospérité et la stabilité des communautés humaines fondamentales. C’est le mal et la mort des familles ainsi que notre Père le montre sous trois angles.

D’abord la démocratie économique est asociale (106) en ce qu’elle tend à insuffler dans l’esprit de chacun la revendication à un bien-être, à un bonheur matériel aussi immédiat qu’utopique. Nous vivons aujourd’hui dans une société où il est absolument impossible, pour le moindre geste que nous ayons à faire, la moindre pensée qui surgisse dans notre esprit, la moindre activité que nous ayons à accomplir, de ne pas trouver “ le ” produit, “ le ” service fait pour nous, c’est-à-dire pour “ nous ” aider, pour “ nous ” soulager, pour “ nous ” embellir, pour “ nous ” organiser, pour “ nous ” nourrir, pour mincir même, pour “ nous ” divertir, pour rêver, pour travailler... Bref, chaque individu est placé continuellement devant son miroir où, se contemplant, se prend continuellement la température, se tâte, se jauge pour finalement céder à tous ses caprices et choisir ce dont il pense avoir besoin ou envie, selon ce qui “ lui ” fait plaisir

Cette démocratie économique pousse ainsi chaque individu à choisir « pour règle suprême de tirer parti de tout et pour lui seul, sans respect de rien ni crainte d’aucune sanction, sans amour de personne ». C’est l’individu autonome qui n’accepte que sa loi, en l’occurrence celle de satisfaire tous ses besoins matériels, forcément au détriment de l’intérêt de la famille qui voit les liens entre ses membres se déliter. « Si monsieur, madame et les enfants ont chacun leur auto, leur argent et leur liberté de manœuvre, ça serait bien rare que jamais cette famille ne vive ensemble une bonne journée de dimanche. Chacun sera pris de son côté. »

Mais le point 106 va encore plus loin dans l’analyse en soulignant l’imprudence majeure de cette démocratie économique qui transfère « la béatitude de Dieu en l’homme, du Ciel à la terre, du futur au présent, du spirituel au charnel. Et du Corps mystique du Christ, fraternité des fils de Dieu et de Marie, à l’individu, divinité solitaire, accaparante et jalouse. »

La démocratie économique est asociale comme nous venons de le voir, elle est aussi apatride comme il est indiqué au point 107.

D’une part, « la dissolution des liens familiaux et, par suite, des communautés naturelles et des sociétés traditionnelles, sous la poussée de l’individualisme, ne peut aller sans une totale désaffection pour la communauté politique même la plus parfaite, œuvre des vertus séculaires, la nation ». Si les individus n’ont aucun souci de leur famille, on ne voit pas pourquoi il en serait autrement vis-à-vis de la France.

D’autre part, un monde économique qui s’organise selon des principes de profit, de production, de consommation, crée une société sans frontières, sans lois, sans destin. Le libéralisme économique exige même que les États soient complètement dépassés, de telle manière que les productions, distributions et consommations ne subissent aucun barrage étatique et soient simplement l’objet du libre-échange préconisé comme l’ultime perfection d’une vie économique délivrée de toute entrave. Tel est bien le but de l’Union européenne fondée sur un affairisme illimité qui ne doit être empêché, gêné par aucune frontière, qu’elle soit physique, juridique ou douanière. D’où son obsession d’organiser entre les États un seul et même marché intérieur assuré par la liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

Enfin, cette volonté d’organiser une circulation, une distribution des biens, peu importe en définitive qu’ils soient d’origine française, allemande, ou chinoise... avec en parallèle un circuit financier, cause première et dernière de toute cette activité... est foncièrement destructrice de la nation, l’économie démocratique entraînant la disparition de tout sens du bien commun véritable. Elle méconnaît la vocation réelle du pouvoir politique et lui refuse même l’intervention de toute autorité publique souveraine.

Mais attention, elle n’en exclut pas pour autant l’intervention de l’État. Par exemple l’intrusion des pouvoirs publics dans le domaine fiscal, le droit du travail, la sécurité sociale, le droit de la consommation, le droit de la concurrence, etc., intrusions qui n’ont pas d’autre effet que d’intensifier le dirigisme de l’État dans le domaine économique, à son service et « toujours dans la négation du pouvoir politique, comme fonction souveraine du gouvernement de la nation en vue du bien commun ».

« L’État n’y doit être qu’un exécutant du système économique, au service de l’individu qui est le centre d’intérêt exclusif. L’État est le pilote savant, omnipotent, de la croissance économique, le fonctionnaire exact de la gestion des biens individuels et collectifs. » L’État vient de garantir toute une série de prêts de plusieurs milliards d’euros consentis à de très grandes entreprises françaises comme Renault par exemple, du fait de la crise sanitaire. Parfait ! L’intérêt supérieur de la nation exigeait peut-être un tel service financier de la part de l’État. Mais est-ce bien là son rôle ? En contrepartie de quel service à la nation ? Finalement qui est au service de qui ?

Cette question est très importante et nous ne sommes pas les seuls à la poser. Vladimir Poutine a dû donner une réponse dès les premiers mois de son accession au pouvoir, en juillet 2 000, en rappelant aux principaux capitaines de l’industrie et de la finance russes – qui contrôlaient près de la moitié de l’économie nationale au point de former entre eux une véritable oligarchie venant en concurrence de l’État – qu’il leur appartenait de gérer seuls leurs groupes industriels, mais au service de leur pays et non plus l’inverse.

À partir du moment où l’on considère que l’objet de l’économie est la science du bonheur matériel et immédiat sur terre pour chaque individu, il n’y a plus de place pour Dieu. « L’émancipation de tout cadre social pour la satisfaction souveraine de son égoïsme provoque chez l’homme moderne un rejet radical et définitif et même haineux, dur, bétonné, de Dieu, de Jésus-Christ et de l’Église. » (108) D’où ce caractère foncièrement athéiste de la démocratie économique qui fait obstacle à l’intervention dans son monde de la religion, « par enseignement doctrinal et moral ». L’homme libéré de Dieu est « rendu esclave des superstructures de l’économie moderne ». Devenu « un ventre sans cerveau ni cœur, sans pensée autre que technicienne, sans décision autre que commerciale, il est devenu animal irréligieux ». Ajoutons que le progrès technique, moteur de cette démocratie économique et qui doit être continuel afin de remplir un tel office, est non seulement très flatteur à l’orgueil humain dispensé de demander au Bon Dieu sa grâce, mais il est très absorbant au point d’en rendre esclave l’esprit des individus pour lequel le Bon Dieu, ses affaires et sa Gloire n’ont plus de place ici-bas.

Affranchis par la révolution de 1789 de Dieu, des rois et de toute obligation traditionnelle des communautés humaines, les bourgeois furent libres de mener leurs petites et grandes affaires. C’est la liberté... de s’enrichir que dénonce le point 109. C’est le Talmud qui le dit, ainsi que la doctrine protestante. C’est le plus insensé manifeste de révolution sociale qui a produit une frénésie de liberté économique impliquant la négation, la destruction radicale de tous les facteurs naturels d’équilibre écologique. Les usines se sont créées n’importe où, n’importe comment, dans une laideur sans nom, une promiscuité terrible, avec de surcroît, au dix-neuvième siècle, le travail en masse des enfants pour presque rien.

« Et voilà comment le capitalisme a commencé à ravager la société française, ne faisant qu’imiter la société anglaise qui, comme protestante et maçonnique, était bien pire que la nôtre au dix-huitième siècle », commente notre Père. Ainsi, toute prudence familiale, communautaire, corporative est bannie en même temps que tout ordre politique et toute mystique de charité fraternelle.

Et par-dessus les millions, les milliards d’hommes affranchis de toute retenue morale et appelés à organiser leur vie comme ils l’entendent, guidés par leur seul intérêt matériel immédiat, se hisse « une classe possédante, toute-puissante que ce système autorise à s’enrichir toujours davantage et à dominer l’économie, à s’établir en solides dynasties, en coalitions, en sociétés multinationales ». Seule cette classe, que Maurras désignait sous le nom de “ ploutocratie ”, profite « des cadres sociaux, des forces et des prudences écologiques qu’elle conserve pour elle et qu’elle refuse aux autres, aux pauvres, pour garantir sa seule prospérité » !

La force de cette ploutocratie est d’entraîner chacun, à sa suite, dans son sillage, à participer à cet immense marché libéral et universel où tout se vend et s’achète, et toujours à la condition de produire plus et de consommer plus... et, en définitive, de gagner toujours plus. Mais la force de la classe possédante c’est aussi, tout en maîtrisant la science des mécanismes du marché, de disposer de la liberté effective d’entrer ou non dans ce jeu de l’offre et de la demande, uniquement lorsqu’elle sait pouvoir en orienter la partie à sa convenance, à son seul profit, n’étant contrainte par aucune nécessité de temps ni liée par aucune forme d’emploi (111).

Tandis que le consommateur a besoin, ou croit avoir besoin d’acheter tel produit, tel service et tout de suite. Le commerçant, l’ouvrier, le paysan ont besoin de trouver pour tel travail qui est le leur, un salaire ou profit immédiat. Ainsi cette science économique est-elle mise au service exclusif de cette ploutocratie. Elle la renseigne sur les voies du profit maximum de l’argent fluide dans un marché non protégé et sans obstacle. De telle sorte qu’enfin la grande banque dirige tout le jeu et conduit selon son intérêt la concentration des capitaux, la production industrielle, le commerce et jusqu’à la consommation des biens. Cette science qu’on prétend orientée vers la plus grande prospérité générale est en réalité l’instrument d’accélération du processus fatal par lequel l’argent domine toute la vie économique “ libérée ” de toute autre contrainte, et l’asservit aux lois de son profit.

Ce système n’est pas sans graves conséquences.

La démocratie économique a brisé toutes les barrières qui freinaient son expansion, liquidé tous les obstacles et détruit toutes les tentatives réactionnaires. « Ainsi, la vie rurale, communale a été la première sacrifiée aux exigences du progrès industriel : par la suppression violente de l’exploitation familiale (...), par l’exode rural et la concentration urbaine amplifiant immensément le marché du travail au détriment de l’écologie familiale et de sa prudence domestique. » (110) À l’intérêt familial prudemment ménagé, force vitale de la société traditionnelle, le capitalisme a substitué une libre recherche individuelle du profit maximum dans un marché sans contrainte où l’argent décide, en dernier ressort, absolument de tout.

La réussite matérielle de la démocratie économique est indéniable avec un accroissement fantastique de la production, des moyens de production, du volume et de la mobilité du capital d’investissement, du progrès des mécanismes de marché et, en fin de course, de la satisfaction croissante des besoins individuels. Mais cette prodigieuse accélération de la production des biens, de la mobilisation de l’épargne, de la commercialisation de toutes choses, a entraîné corrélativement une augmentation fantastique de la consommation et finalement un gaspillage, une combustion et un anéantissement des richesses naturelles mondiales (112). On pense ici, au pétrole, au gaz, aux ressources naturelles en général, dont la ­possession, l’exploitation, le commerce, l’évolution des prix, l’acheminement vers les zones de production sont devenus, depuis un siècle, de plus en plus des enjeux économiques et même géostratégiques absolument majeurs.

Mais l’imprudence capitaliste la plus grave est ailleurs : c’est son aveugle obstination à détruire toutes les forces qui ne sont pas d’argent et à écraser, exploiter, consumer toutes les faiblesses dont il se croit le maître.

Ainsi, la grande faiblesse de cette démocratie libérale, comme le souligne le point 113, est son incapacité à s’approprier un « supplément d’âme », un esprit d’héroïsme militaire, un sens civique, une solidarité... bref, autant de forces et de vertus qu’elle a tuées et qui lui seraient pourtant bien nécessaires pour contrer les idées et les armes révolutionnaires, contre ces chocs exogènes qui la menacent, à commencer par le socialisme qui lui est son pendant et apparemment une réponse radicale à ses défauts.

LE SOCIALISME ÉGALITAIRE
POINTS 114 À 120

Le point 114 présente le socialisme comme une utopie égalitaire. Cette doctrine est une réponse à une revendication d’égalité dans la distribution des biens acquis par le travail humain, à l’encontre de l’injuste inégalité entre les classes capitaliste et ouvrière que la démocratie libérale suscite et accroît inexorablement. « L’intuition socialiste première du désordre caché, de la triche du système libéral, est d’une clarté absolue. Mais ensuite, elle se brouille dans la recherche des causes de l’injustice qu’elle dénonce, et elle se perd dans le rêve de solutions tout aussi matérialistes et libérales, mais qui, de surcroît, se prétendent innocentes, égalitaires et fraternelles. »

Le socialisme préconise tout simplement la suppression de la propriété privée en faveur d’une propriété collective des grands et petits moyens de production, des capitaux, des terres, mais aussi l’auto­gestion des entreprises par les travailleurs, et ce à tous les échelons, y compris celui de l’économie du pays (115). Et l’égalité des biens exige une juste répartition des richesses et une continuelle redistri­bution des revenus.

D’où la suppression du marché, de l’argent, des rapports marchands entre les hommes lesquels ainsi ne sont plus conduits par l’intérêt égoïste individuel, mais par le sens de l’intérêt collectif. Mais le marché, l’argent fluide, l’intérêt individuel sont les moteurs primordiaux de la vie économique. Si on les supprime, il ne subsiste plus rien des rapports humains traditionnels. Et donc si le socialisme a raison contre le capitalisme lorsqu’il stigmatise son injustice foncière, ce dernier reprend son avantage en défendant l’inévitable marché et en mettant au défi les socialistes de nourrir tout le monde aussi bien et même mieux que lui... et par quels moyens ? Évidemment pas de réponse à une telle question, le socialisme se révélant totalement illusoire.

Alors quelle est la solution ? L’étatisme !

C’est l’État qui devient propriétaire de tous les moyens de production. Il se constitue administrateur de la richesse publique et, devenu unique pouvoir social, il est le gestionnaire de toute l’activité économique. Il récolte et classe les informations à partir desquelles il détermine les besoins de la collectivité, fixe les objectifs et les modalités de production par une série de plans. Bref, l’État planifie tout de manière à satisfaire les nécessités, sans pénurie, sans excédents, sans gaspillage.

Mené jusqu’au bout de sa logique, le socialisme tourne à la révolution marxiste qui dissipe l’illusion socialiste et fait payer aux peuples le prix de la liberté et de l’égalité pour tous : la famine et la mort (116). L’État-Parti, l’État-Patron, l’État-Profiteur universel s’assure le monopole de la richesse et de la liberté, donnant aux peuples l’ordre et la paix d’un total esclavage, tout en se révélant incapable d’assurer le développement et la prospérité économique du pays. « Les défauts du système sont trop connus : rigidité et sclérose des structures, inadaptation de l’offre à la demande, ici excédent et là pénurie, marché parallèle, concussions à tous les étages, irresponsabilité. Et pour combattre les tentations qui naissent de la misère et du désespoir, pression idéologique, xénophobie et savante terreur en envoyant les éléments réactionnaires en camp de concentration ou à la mort. Le communisme, foncièrement inhumain et satanique, c’est l’enfer. »

« Originellement et radicalement, il est un athéisme féroce, écrivait notre Père en 1982 dans le numéro spécial de la Contre-Réforme catholique consacré à la Russie, et il s’accompagne d’une fureur permanente, illimitée, contre tout ce qui n’est pas lui, qui existait avant lui et qui s’essaie à survivre à côté de lui, sans lui, malgré lui. C’est la terreur jacobine radicalisée, universalisée, éternisée (...). Radicalement différent de tout État normal, de toute pensée politique humaniste, de toute sensibilité nationale, même russe ! de toute civilisation, le communisme est d’abord et uniquement destructeur. » Notre Père écrivait ces lignes pour la Russie d’hier, du temps de la période communiste. Mais elles valent tout aussi bien pour la Chine d’aujourd’hui.

L’échec de l’organisation économique de la Russie soviétique... donc communiste... fut patent. La lourdeur et l’arbitraire du système de planification à caractère centralisé et impératif étouffaient tout esprit d’initiative et d’adaptation aux situations particulières d’un immense territoire. La priorité fut systématiquement accordée au développement sans précédent d’un complexe militaro-industriel et d’une force militaire démesurés, condamnant tout le reste de l’économie à une obsolescence endémique irrémédiable. La situation s’aggrava au début des années 1980 lorsque les États-Unis prirent enfin la décision de répondre au renforcement des forces militaires soviétiques. La guerre en Afghanistan, le programme Initiative de défense stratégique dit “ guerre des étoiles ” et même la première guerre en Irak révélèrent avec acuité que l’économie soviétique n’était plus en mesure de fournir les ressources nécessaires à un développement y compris et surtout dans le domaine militaire.

Voilà l’un des résultats désastreux de ce régime communiste russe. Un autre ? Soixante millions de morts, sans compter les persécutions, les détentions, les déportations et les victimes de la Seconde Guerre mondiale.

Mais notre Père ne se contente pas d’opposer radicalement le système capitaliste au système socialiste, chacun dans sa sphère étant prétendument voué à se combattre l’un l’autre. Il montre, au contraire, qu’au-delà de leurs différences contraires, certes bien réelles, il existe entre les deux systèmes une base commune qui explique leurs liens de complicité, de collusion que notre Père est le seul à dénoncer.

La démocratie qu’elle soit libérale ou populaire repose sur les principes de la Révolution française de 1789 qui a valeur d’exemple et de modèle. Le système capitaliste et le système socialiste ont donc la même origine et les mêmes ennemis : le Roi, l’Église, l’Armée. Il est donc logique que ces deux adversaires se liguent pour abattre les seuls opposants capables de l’emporter sur le matérialisme athée et apatride que défendent ces deux doctrines. Notre Père dénonce comme une gravissime erreur de croire à l’opposition irréductible du capitalisme et du socialisme et finalement du communisme.

Depuis la Révolution, « partout l’argent, devenu le dieu et le roi d’une certaine puissance sociale organisée, s’est voulu maître et non point serviteur. Il a dès lors engagé une lutte à mort, une révolution permanente contre toute autorité naturelle et traditionnelle, contre toutes mœurs et ordre sacrés. » (117) Mais ces bourgeois très forts pour industrialiser et faire de l’argent se retrouvent démunis face aux mouvements de foule. Et en cela ils trouvent dans les socialistes prêts à tendre la main pour recevoir leur argent des alliés de choix. C’est la triple fonction du parti socialiste : il est anticlérical, antimilitariste et républicain. Il dévie régulièrement la colère populaire et les insurrections nationales de leur objet véritable, la ploutocratie et la démocratie maçonnique, pour les jeter au secours même de leurs exploiteurs contre les forces sociales qui sont les défenseurs naturels, légitimes et sacrés du peuple.

Sur le plan économique, l’avenir du capitalisme paraît infini (118). Fort de sa puissance, il a pu se faire du communisme un allié sûr dans sa guerre de toujours contre Dieu, contre les rois, contre les colonies, contre les gouvernements de sécurité nationale, contre l’homme. C’est la face cachée de l’histoire du vingtième siècle. Là encore, notre Père, dès 1982, a bien montré que le communisme est l’allié, le rabatteur, l’exécuteur des hautes et basses œuvres, le terroriste, le garde-chiourme de l’Occident juif, anglo-saxon, germanique, dominateur et maître des peuples libres, civilisés et chrétiens du monde.

Or « seule la dénonciation courageuse de l’accord de la finance internationale avec l’impérialisme soviétique aurait pu provoquer un réveil sauveur, une réaction religieuse et politique des peuples, des nations historiques contre leurs dominateurs d’hier et de demain, contre leur commun athéisme, leur matérialisme. Elle aurait assuré l’heureuse concertation politique et sociale avec l’obéissance des Papes au message de Notre-Dame de Fatima capable de triompher dès 1917 des erreurs de la Russie. »

Aujourd’hui nous assistons à un apparent triomphe universel du système capitaliste. Et ce triomphe porte un nom : la mondialisation (119).

Déjà en 1990, notre Père faisait observer que ce système présente des perspectives d’avenir infini. « Cette société industrialisée (...) a les moyens nécessaires de sa défense contre tout ennemi intérieur et extérieur. Et on le voit bien aujourd’hui. Parce que depuis que les progressistes et les communistes nous annoncent la consomption du capitalisme par ses propres excès, que voit-on ? Le capitalisme ne cesse de se développer, il décuple de puissance de décennie en décennie, et rien ne semble l’arrêter. Demain il s’emparera des immenses marchés de la Chine, des immenses marchés de la Russie et des pays d’Europe centrale ; ensuite il a un ample développement possible en Amérique latine. Bref, le capitalisme peut décupler, centupler sa puissance. »

De fait, à partir de l’année 1978, à l’initiative du dirigeant chinois Deng Xiaoping, la Chine a connu un incroyable développement économique. En 2010, elle devint la deuxième économie mondiale. Le produit intérieur brut, alors essentiellement d’origine agricole, est passé de 217 milliards de dollars en 1978 à 10 865 milliards de dollars en 2015, représentant une production industrielle diversifiée et, dans certains secteurs, à haute valeur ajoutée. Ainsi que le note Jean-Paul Tchang, « on peut dire que malgré les hésitations et les soubresauts politiques des années 1980, à partir des années 90 et, de manière plus évidente, après 2001, date de son entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce, la Chine a choisi d’adapter son économie à la première phase de la mondialisation, celle de la mondialisation des échanges de marchandises.

« Exploitant le coût modeste de sa main-d’œuvre, elle attira les délocalisations, notamment dans ses régions côtières et donc les investissements étrangers qui les accompagnaient, devenant progressivement le sous-traitant puis l’usine du monde. Cela s’est traduit aussi par l’émergence d’une économie privée de plus en plus importante dans l’industrie de la transformation... Sur le plan des structures économiques intérieures, ce furent la réforme des prix, la première réforme des entreprises d’État de 1999, la réforme du secteur bancaire, l’émergence du secteur privé, etc. »

Cette économie de marché, dont la population semble avoir quelque peu profité avec 700 millions de Chinois passés au-delà du seuil de pauvreté, n’en demeure pas moins sous la domination serrée de l’État-parti communiste. Ayant réalisé un système capitalo-socialiste parfaitement intégré à l’intérieur même de ses frontières, rivalisant dangereusement avec les économies occidentales et asiatiques de premier ordre, le régime reste ouvertement marxiste exerçant aujourd’hui plus que jamais une surveillance et une répression policière sans relâche sur ses populations, sur l’Église... sur Dieu même...

En Europe de l’Est, en 1989, l’étau soviétique se desserra. Le 9 novembre, le mur de Berlin s’effondre ouvrant la voie d’une réunification des deux Allemagnes, la démocratie libérale avec la démocratie populaire, la première intégrant la seconde dans le système capitaliste occidental. Et finalement tout le rideau de fer se déchira libérant les autres satellites de l’Union soviétique les uns après les autres, avant de renforcer les rangs de l’Union européenne.

Puis vint le tour de l’Union soviétique où la perestroïka initiée par Gorbatchev occasionna une désarticulation complète de l’économie tout en permettant l’instauration d’un parallèle de type capitaliste, très lucratif, échappant au contrôle de l’État quand il ne constituait pas un moyen pour détourner les biens publics. C’est sous la perestroïka que “ montèrent en puissance ” les Berezovski, Khodorkovski et autres.

Enfin les événements s’enchaînèrent inexorablement. L’unité entre les quinze Républiques soviétiques se fissura avec naturellement le soutien inconditionnel des démocraties libérales. Le coup de grâce fut donné par la Russie soviétique elle-même. Alors dirigée par Boris Eltsine aux ordres pour supprimer les derniers obstacles à l’intégration du pays dans l’économie mondiale capitaliste, elle annonça à la fin de l’année 1991 son retrait pur et simple de l’Union soviétique entraînant derrière elle toutes les autres républiques soviétiques.

Avec l’appui de la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI), Boris Eltsine mit en place, pour la Russie, dès le 1er janvier 1992, un programme économique ultralibéral comportant, du jour au lendemain, la libéralisation des prix et la privatisation en masse des entreprises y compris dans les secteurs clefs de l’énergie et de l’industrie. Résultat : une inflation exponentielle qui ruina tous les épargnants et plaça une grande partie de la population dans une grande pauvreté et une dette publique qui mit le pays en état de cessation des paiements en août 1998.

Le point 119 en tire cette conclusion que la décennie des années 1990 a connu « un bouleversement profond de la gouvernance, présenté comme un progrès inéluctable pour la prospérité de la planète. Ce qui restait de l’autonomie des nations a été anéanti par la constitution d’ensembles régionaux politiques, comme l’Union européenne, ou simplement économiques comme les zones de libre-échange. Sous ce régime, la structure économique des pays historiquement prospères fut profondément modifiée par le phénomène de la délocalisation, tandis que dans le tiers monde ou dans l’ancien bloc communiste, des économies émergentes ont connu de prodigieux développements. Il s’ensuivit une formidable augmentation des échanges financiers devenus une activité économique à part entière, plus productive de richesses que l’économie réelle. »

Le point 120 présente enfin les différentes synarchies contre lesquelles il faut engager un combat sans merci comme l’avait fait le maréchal Pétain.

D’abord, les grands industriels qui historiquement sont les premiers à avoir ouvert les hostilités au dix-­neuvième siècle en offrant aux ouvriers de leurs ateliers des conditions de travail très pénibles et des salaires très bas. Ces ouvriers sont dès lors entrés dans une lutte quand ils obtinrent le droit de se regrouper pour défendre leur pain quotidien et celui de leurs enfants. « Mais faute d’autorités sociales reconnues, leurs syndicats n’ont plus mesuré leurs revendications et ont lancé les masses ouvrières contre la religion, la patrie, l’armée, la société bourgeoise et contre leur propre gagne-pain. »

La classe politique, quant à elle, a bien profité de cet antagonisme entre les classes, en faisant des organisations syndicales les marchepieds de leur conquête du pouvoir et des bonnes places à partager discrètement avec les mandataires du gros argent. La grande banque, quant à elle, en symbiose plus ou moins étroite avec l’État républicain, se fait le grand pourvoyeur, le grand souteneur financier de ce système capitaliste.

Et l’Église ? « C’est aussi le péché des gens d’Église dont  la doctrine sociale  soutient le principe de cette économie capitaliste, quitte à la faire évoluer vers le capitalo-socialisme, jusqu’à finalement approuver la mondialisation. Ce faisant, ils ont béni la domination de l’argent sur le monde, au lieu de défendre et de prêcher les principes de l’écologie catholique qui régissent le cadre temporel du règne du Christ et de la Sainte Vierge ici-bas. »

Toutefois si l’impiété et le matérialisme du capitalisme semblent triompher partout, c’est sans compter sur la victoire du Cœur Immaculé de Marie qui surviendra d’une façon aussi certaine qu’inattendue et qui apportera au monde un certain temps de paix, seul propice à l’instauration, à la restauration d’un ordre fraternel nouveau qu’il nous faut préparer dès aujourd’hui en étudiant ses grands principes. Ce sera le sujet de notre deuxième étude. (à suivre)

frère Pierre-Julien de la Divine Marie.