Il est ressuscité !

N° 228 – Janvier 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Circumincessante charité

LE plus inquiétant, à lire l’ « Avertissement » que la “ Commission doctrinale de la conférence des évêques de France ” (CEF) nous a fait l’honneur de nous adresser l’an dernier, est de tomber sur cette déclaration : « Nous n’aborderons pas ici le débat sur la théologie de la Trinité et la formule malheureuse présentant le Père, le Fils et l’Esprit-Saint comme  trois êtres divins ”. » Référence ? Blanc sur la fréquence... Peut-être un auteur que cite notre Père pour le réfuter ?

Au moment où ils abolissent la traduction post­conciliaire du Symbole de Nicée-Constantinople, par lequel nous professons notre foi, traduction qui nous imposait depuis des années de confesser Jésus-Christ non pas « consubstan­tiel » au Père, mais de « même nature » ! Le Père, le Fils et le Saint-Esprit « de même nature » (divine) ? comme Pierre, Paul et Jean sont trois « êtres » de même nature « humaine » ! Après des années de reniement du concile de Nicée, notre épiscopat est revenu à la « consubstantialité » qui, seule, exprime sans altération le mystère de la circumincessante charité unissant ces trois “ Personnes ” en une seule « substance » ; c’est pourquoi on les dit « consubstantielles ». Le courant d’eau vive qui coule du Cœur du Père dans le Sacré-Cœur de son Fils retourne au Père comme un “ retour de flamme ”. Cette “ Flamme ” d’Amour est le Saint-Esprit.

La prière enseignée par l’ange précurseur de Marie à trois enfants au Portugal en 1916 les a introduits dans ce mystère, et les a laissés prosternés jusqu’à terre, répétant la prière qu’il leur avait apprise :

« Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément, et je vous offre les très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels Il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs. »

Les conséquences de cette incertitude de la foi de nos évêques dans le mystère de la circumincessante charité divine s’aggravent au paragraphe suivant :

« Plus désolante est la doctrine concernant la Vierge Marie qui serait dotée d’une âme éternelle ayant précédé non seulement sa naissance mais la création d’Adam et Ève à laquelle l’âme de Marie aurait participé, par son union mystique avec l’âme éternelle du Christ. Ces théories sont absurdes et sont tout à fait contraires à l’anthropologie chrétienne qui voit dans la conception naturelle d’un enfant le début de l’existence de sa personne (corps, âme et esprit) et jamais une préexistence d’une âme sans corps. Ces théories se rapprochent d’anthropologies païennes ou extrême-orientales, incompatibles avec l’anthropologie biblique. »

Vraiment ? C’est bien vite dit ! La question mériterait un examen plus approfondi que cet anathème lancé à la légère. Dans son étude du Mystère de Jésus (CRC n° 64, janvier 1973), notre Père avait envisagé l’hypothèse selon laquelle l’âme de Jésus a été créée avant son corps : « Peut-être Dieu avait-il déjà créé, tout premiers, cette Âme, cet Esprit humain, ce Cœur individuel en attente d’incarnation, afin que tout se réalise comme par son Ordre et selon un arrangement historique auquel il présidât ? Il ne paraît pas tout à fait insensé de le soutenir. De toute manière le Christ, grandissant en âge et en sagesse, aura inventorié l’héritage qu’il assumait et se le sera approprié par volonté humaine. Ainsi tout le passé du monde est en lui récapitulé et par ses mérites reconquis. » (op. cit., p. 14)

Vingt-cinq ans plus tard, au retour de son exil que lui infligea Mgr Daucourt, évêque de Troyes, il nous disait dans un sermon, le 11 février 1997, en la fête de Notre-Dame de Lourdes : « Tout ce qui convient à Dieu par nature convient à Marie par grâce, disent les saints. Grignion de Montfort par exemple : “ Jésus-Christ l’ayant choisie pour compagne indissoluble de sa vie (cela commence à sa naissance à Bethléem ou à Nazareth avec sa conception) et de sa mort, de sa gloire, de sa puissance ”, il semble que c’est à partir de l’Annonciation par Gabriel quand Jésus est conçu, mais avant ?

« Avant, c’est compliqué, avouait notre Père. Voilà que je me trouve, de mois en mois, contraint de parler de ces choses qui mettent tellement en rage mes adversaires. Justement, chaque fois que l’on fait un progrès, on est l’objet d’une persécution de Satan.

« Il est connu que sœur Marie-Aimée de Jésus, carmélite très sainte, a écrit une vie de Jésus au moment où Renan écrivait la sienne, pour contrer Renan par l’inspiration divine. Cette religieuse montre comment Jésus, de toute éternité, a son âme humaine. L’âme humaine de Jésus a une très grande importance. Il y avait déjà une existence spirituelle de Jésus avant son Incarnation. C’est très délicat parce que quelle est la différence entre l’âme de Jésus qui est sa nature humaine créée, qui est spirituelle, et sa nature divine, l’Esprit divin qu’est Jésus dans sa Personne ? C’est un mystère qui englobe aussi celui de la préexistence de l’âme de la Sainte Vierge dans ce mouvement de la circumincessante charité divine.

« Il semble que, de toute manière, la nature humaine de Jésus ait été non seulement “ conçue ” de toute éternité par son Père, mais qu’elle ait acquis, déjà partagé quelque chose de l’existence de l’être même de Jésus. Il n’y a pas de nouveauté en Dieu. Dieu est éternel. C’est insondable. Il n’y a pas de changement en Dieu, dit saint Thomas. Donc, Jésus est de toute éternité, Dieu, oui, évidemment. Mais alors, comment Jésus a-t-il commencé d’exister ? Il a commencé à exister dans le temps, mais déjà il existait de toute éternité. Si on pousse, on nie la réalité de l’Incarnation, puisque Dieu est toujours le même. Mais saint Jean nous rapporte les paroles du Christ : qu’il est venu d’auprès de Dieu et qu’il y retournera. Le Fils de Dieu est dans l’éternité, et, au moment où il entre dans le temps, il y avait déjà, de toute éternité, au moins cette présence de sa nature humaine, selon l’esprit. Je m’arrête là. »

Notre Père ajoutait néanmoins :

« La parole de Louis-Marie Grignion de Montfort semble aller dans le sens du mystère de la préexistence de l’âme de la Vierge Marie. Ou, si vous admettez la division tripartite qu’on trouve une fois dans saint Paul : l’âme, l’esprit, le corps, on dirait que, si Dieu s’est fait pour compagne et épouse de son Fils chéri, la Vierge Marie, qu’il lui a donné d’avance tous les privilèges que son Fils lui-même possède, il faut penser qu’il y a une existence antérieure de Marie auprès de Dieu et que ce n’est pas son corps, ce n’est pas son âme, forme de son corps, car les deux sont liés l’un à l’autre, c’est son esprit.

« À Lourdes, quelque nouveauté nous est révélée quand la Vierge Marie se dit l’Immaculée Conception. C’est une préparation de son épiphanie finale, de son ultime apparition, la plus parfaite, qui sera la dernière apparition promise à Fatima. »

En tout cas, cette controverse nous fait comprendre l’importance que Notre-Dame donne à la récitation du chapelet : « Récitez le chapelet tous les jours afin d’obtenir la paix pour le monde et la fin de la guerre. »

ANNONCIATION.

Le premier mystère joyeux de notre rosaire est celui de la conception virginale qui a suivi immédiatement le “ Oui ” de la Vierge : « Qu’il me soit fait selon votre parole. » Cet instant est le plus important, le plus grandiose de toute l’histoire humaine pour l’éternité. Notre Père le décrit ainsi :

« La Vierge a été fécondée par l’intervention de Dieu, Un, c’est-à-dire tout ensemble du Père, du Fils et du Saint-Esprit [...]. Admirons comment cette créature est l’objet d’une nouvelle création, si l’on peut dire, d’une intervention miraculeuse que la science peut expliquer et qui n’est pas grand-chose, mais ce miracle, c’est Dieu qui l’a fait dans son être pour susciter une vie nouvelle c’est-à-dire un corps qui puisse recevoir immédiatement une âme et cette âme, c’est une âme de Dieu fait homme. » (sermon du 27 mars 1993)

Quel rapport avec les « anthropologies païennes ou extrême-orientales » ?! Quant à la préexistence de l’âme de la Sainte Vierge, cette pensée est si peu “ absurde ” qu’elle est venue à l’esprit de sainte Louise de Marillac, comme « une pensée toute sienne de la Conception de l’Immaculée » qu’il me faut citer intégralement en l’accompagnant du commentaire « extasié » signé frère Georges de Jésus-Marie :

IMMACULÉE CONCEPTION

« La veille de la Conception de la Sainte Vierge ayant entendu la lecture de l’épître de ce jour [« Le Seigneur m’a créée au début de ses desseins, avant ses œuvres les plus anciennes. Dès l’éternité, je fus sacrée, dès le commencement, avant l’origine de la terre » (Pr 8, 22-23)], j’eus en songe la vue d’une grande obscurité en plein midi, ne paraissant que peu au commencement et suivie d’une nuit très obscure qui étonnait et effrayait tout le monde. Je sentais seulement soumission à la divine Justice. Cette obscurité passée, je vis le plein jour venir, et en quelque partie de l’air fort élevée, j’y vis comme une figure de celle qui nous représente la Transfigu­ration, qui me semblait être figure de femme.

« Néanmoins, mon esprit fut surpris de grand étonnement qui me portait à re­connaissance vers Dieu, mais telle que mon corps en souffrait, et m’éveil­lant sur cela, je souffris quelque temps encore ; et la représentation m’en est toujours de­meurée en esprit, contre l’ordinaire de mes songes, me représentant cette pre­mière grâce en la Vierge être le com­mencement de la lumière que le Fils de Dieu devait apporter au monde.

« En ma méditation sur le sujet de l’épître, voyant que la Sainte Église appliquait à la Sainte Vierge son être devant la Création du monde, mon esprit y a acquiescé, pensant que non seulement elle était de toute éternité en l’idée de Dieu par sa prescience, mais encore préférablement à toute autre créature pour la dignité à laquelle Dieu la destinait de Mère de son Fils. Il a su être voulu avant la création de toutes choses terrestres qui pouvaient être témoins du péché de nos pères. Dieu a voulu faire un acte de sa volonté spécifiée pour la création de l’âme de la Sainte Vierge, et ce pourrait aussi avoir été un acte effectif, ce que je soumets entièrement à la Sainte Église, ne m’en servant que pour en honorer davantage la Sainte Vierge, et lui re­nouveler notre dépendance en général de la ­Compagnie, comme ses plus chétives filles, mais la regardant aussi comme notre très digne et unique Mère.

« Que soient aimés Jésus et Marie !

« Adorez la Vierge que Dieu a voulu racheter avant la créer, et lui repré­sentez l’état de votre conscience, et lui demandez qu’elle obtienne l’amendement de votre vie, et le délivrement de vos plus urgentes nécessités, comme un plus grand amour à son Fils et une plus forte liaison à sa divinité humanisée. » (Écrits ­spirituels de Louise de Marillac, éd. 1983, p. 730 ; cf. CRC n° 353, février 1999, p. 33)

UN SONGE PROPHÉTIQUE

Commentaire “ extasié ” de notre Père, signé frère Georges de Jésus-Marie.

« L’épître de ce jour » est la prosopopée de la Sagesse qu’on lit au Livre des Proverbes, chapitre 8, appliquée par la liturgie de cette “ fête de la Conception ” à la Vierge Marie.

La sainte a rêvé sur ce texte dont elle avait entendu la lecture avant de se coucher et de s’endormir. Le songe se déroule en plusieurs phases. Elle a vu d’abord une « obscurité » inhabituelle « en plein midi », comme serait un début d’éclipse, grandissant lentement jusqu’à « une nuit très obscure », comme serait une éclipse totale. Étonnement « de tout le monde » : on n’avait jamais vu pareille noirceur, en plein midi ! Effroi, comme il arrive toujours aux animaux les jours d’éclipse. Mais ici, il s’agit de ténèbres spirituelles.

La sainte, pour sa part, en éprouve plutôt une disposition de soumission intime « à la divine Justice ». Ce songe vient de Dieu, comme une vision d’Apocalypse, avertissement d’un châtiment mérité. Soumission : que Sa volonté soit faite !

Un autre tableau succède au premier, dans une cohérence qui montre bien l’origine surnaturelle de ce songe. Comme à la fin d’une éclipse, la clarté du jour revient et paraît, en un ciel « fort élevé », qui est le séjour de Dieu (2 Co 12, 2 ; Ep 4, 10), « comme une figure de celle qui nous représente la Transfiguration » : point de frayeur cette fois, mais surprise « de grand étonnement » et action de grâces, accompagnée d’une souffrance physique cause de son réveil. Comme il arriva aux disciples, témoins de la Transfiguration du Seigneur sur le mont Thabor, annonçant sa glorifi­cation à venir, mais par la souffrance (Mt 17, 12).

« Contre l’ordinaire » des songes qui se dissipent au contact de la réalité, celui-là impose l’identité de la « figure de femme » aperçue en rêve, et l’interprétation de sa « Transfiguration » comme « le commencement de la lumière que le Fils de Dieu devait apporter au monde ».

LA PRÉEXISTENCE DE LA SAINTE VIERGE

La Transfiguration de la Mère annonce celle du Fils avec une antériorité qui ramène la méditation de la sainte à la pro­­so­popée de la Sagesse, l’  « épître » du jour, où cette antériorité est marquée par rapport à toute la création. L’application qu’en fait la Sainte Église à la Vierge Marie se conjugue avec la vision du songe de sainte Louise pour imposer l’idée de la préexistence de la Sainte Vierge, formulée par la sainte religieuse avec une précision admirable. Elle marche d’un bon pas dans ce sentier si étroit, si élevé... comment ne pas la suivre lorsqu’elle pousse la barrière des théories abstraites, scolastiques ?

Rien ne distingue la Vierge des autres créatures dans la pensée de Dieu si elle ne s’y trouve que par la « prescience » en laquelle Dieu connaît tout, dans son éternel présent, de ce qui est sur terre, au ciel et dans les enfers. Mais la Sainte Église fait davantage : elle applique à la Sainte Vierge « son être devant la Création du monde ». Qu’est-ce à dire ? Pour le comprendre, il suffit de redire, avec la liturgie des fêtes de la Sainte Vierge, les textes inspirés : « Le Seigneur m’a créée au début de ses desseins, avant ses œuvres les plus anciennes. » (Pr 8, 22) Le latin dit possedit me, « m’a pos­sédée », mais le verbe hébreu qanani est traduit par le grec : « m’a créée ». Et d’ailleurs, le Livre de l’Ecclésiastique dit bien qu’  « avant toutes choses fut créée la Sagesse » (Si 1, 4) ; c’est cette Sagesse personnifiée qui se trouve si souvent identifiée à la Sainte Vierge par la liturgie, disant : « Celui qui m’a créée m’a fait dresser ma tente. Il m’a dit : Installe-toi en Jacob, entre dans l’héritage d’Israël.  Avant les siècles, dès le commencement, il m’a créée, éternellement je subsisterai. » (Si 24, 8-9) Au propre de la messe du 8 décembre, la lecture, empruntée au Livre des Proverbes, continue : « Dès l’éternité, je fus sacrée, dès le commencement, avant l’origine de la terre. » (Pr 8, 23) Le verbe hébreu nâsak est le même que celui du Psaume 2, touchant le Messie : « C’est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte. » (Ps 2, 6)

« Le chaos primitif n’existait pas encore et j’étais déjà enfantée (et ego jam concepta eram). » (Pr 8, 24) Le même verbe hébreu hûl revient au verset suivant : « Quand il n’y avait point de sources jaillissantes, avant que ne fussent implantées les montagnes, avant les collines je fus enfantée (ego parturiebar). » (Pr 8, 25)

Appliqué à l’  « être » de la Sainte Vierge, ce texte lu en latin par sainte Louise évoque successivement sa « conception » (et ego jam concepta eram) puis sa naissance (ego parturiebar) ; saint Jérôme a introduit cette nuance entre les deux emplois du même verbe hébreu.

À tout cela, l’esprit de la sainte religieuse a « acquiescé » avec une vigueur extraordinaire, « pensant que non seulement elle était de toute éternité en l’idée de Dieu par sa prescience, mais encore préférablement à toute autre créature pour la dignité à laquelle Dieu la destinait de Mère de son Fils ». Ce n’est donc pas tant par une antériorité temporelle qu’elle précède les autres créatures, mais c’est par la place qu’elle tient dans la pensée de Dieu. Toutes les autres créatures ensemble ne sont rien en comparaison de la Vierge Marie choisie par Dieu pour être la Mère de son Fils. Sa dignité est l’expression de cette vocation, de ce rôle qu’Elle va jouer, Dieu le sait. Et Elle aussi le sait.

« Il a su... » Qui “ il ” ? « Son être » : mot choisi entre mille avec un merveilleux à-propos métaphysique, pour désigner « son être » dans son existence concrète, tellement parfait qu’il était déjà existant, consistant : elle a su qu’elle avait été voulue « avant la création de toutes choses terrestres qui pouvaient être témoins du péché de nos pères ». La Vierge Marie est l’Immaculée Conception parce qu’elle est venue avant la création, avant que le péché originel n’apparaisse, et même avant qu’aucune créature ne survienne qui pourrait un jour en être témoin. Elle est tout à fait séparée, antérieure donc dans sa venue auprès de Dieu, chez Dieu, à tout ce qui va être abîmé, souillé par le péché.

« Dieu a voulu faire un acte de sa volonté spécifiée pour la création de l’âme de la Sainte Vierge » : dès le moment où Dieu a décidé de la faire exister, il l’a vue, il l’a “ conçue ”, il lui a donné d’être, comme Celle qui saurait être la Mère de Dieu. Elle est venue à l’être d’une manière tout à fait particulière, création de cette âme avant même qu’il soit question de son corps.

« Et ce pourrait aussi avoir été un acte effectif. » C’est véritablement un acte divin particulier, qui fait venir à l’existence l’âme de la Vierge Marie avant même qu’au­cune autre créature n’apparaisse, ange, homme, terre ou ciel. En raison de sa vocation de Mère de Dieu qui la met au-dessus de tous et de tout. Et donc, la Vierge Marie est avec Dieu, existentiellement, bien avant le péché originel ; avant le commencement du monde, elle est coéternelle à Dieu. Saint Thomas lui-même n’y saurait contredire, lui qui admet comme métaphysiquement plausible, sur la foi d’Aristote, l’éternité de la matière !

« Ce que je soumets entièrement à la Sainte Église » : admirable réserve ! couronnant une extraordinaire au­dace ! N’y ayant là aucune curiosité indiscrète, ni vanité... mais seulement le désir d’  « honorer davantage la Sainte Vierge », par sublime tendresse et dévotion envers notre Mère plus divine qu’humaine, comme infinie par participation ; elle est dans l’amour infini, elle est la liberté de l’amour infini, de toute éternité, parce qu’elle a toujours existé et qu’elle existera toujours. Voilà ce qu’on osera peut-être dire un jour, dans le sillage de sainte Louise de Marillac... et de l’abbé de Nantes.

« Et lui renouveler notre dépendance », dans les termes proposés par la “ pensée ” qui vient ensuite, comme l’expression de la consécration, renou­velée chaque 8 décembre, par la « Compagnie des Filles de la Charité », depuis sa fondation et jusqu’au­jourd’hui.

« Adorez la Vierge » : comme on adore la Croix, à cause de Jésus qui y est attaché ; ou le Saint Suaire en raison du Précieux Sang dont il est empreint. Sachant qui Elle est, quoi de plus légitime ? (CRC n° 353, p. 33-34)

MÉDIATRICE UNIVERSELLE

Au concile Vatican II, la Vierge Notre-Dame fut un signe de contradiction. Au terme de furieux débats, elle fut reléguée au dernier chapitre de la cons­titution Lumen gentium sur l’Église. Le chapitre premier, qui traite du dessein de salut de Dieu Père, de la mission du Fils, et de la sanctification de l’Église par le Saint-Esprit, la passe sous silence ! Sans elle, pourtant, il n’y aurait pas d’Église parce qu’il n’y aurait pas de Christ... Et ce Christ nous est donné selon le dessein du Père dans l’Esprit, par Marie. Cette vérité, soulignée par saint Irénée et tous les Pères bien avant saint Louis-Marie Grignion de Montfort, aurait dû conduire le Concile, s’il avait opéré dans la “ continuité ” de la Tradition vivante, comme le prétendait le pape Benoît XVI, à définir la médiation universelle de la Vierge Marie, Mère de Dieu. Au lieu de cela, on lit au numéro 62 de Lumen gentium :

« Ce rôle subordonné de Marie, l’Église le professe sans hésitation ; elle ne cesse d’en faire l’expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles », etc.

Alors que la prière millénaire de l’Église, citant l’Écriture, ne cesse de la mettre au commencement et à la fin des œuvres du Très-Haut.

Dès lors, ce qui réveille notre espérance de l’éternité à venir, du Ciel bienheureux où nous allons, tandis que, tels Noé et ses enfants, nous sommes seuls à y croire et à mépriser les plaisirs et les désolations de cette vie, ce qui nous fait prendre la mesure de cette éternité réelle du Ciel, c’est l’Éternité antérieure de la très Sainte Trinité, parce que nous percevons que quelqu’un des nôtres en était déjà témoin, et convive, et bienheureuse Reine couronnée.

CIRCUMINCESSANTE CHARITÉ.

Il faut placer ici, en conclusion du commentaire de notre Père, cette admirable “ protestation ” filiale :

« Je ne veux pas disputer avec les théologiens, disait-il dans une ultime méditation, pour savoir de cette présence de Marie dans les siècles des éter­nités divines, si elle est de toujours à toujours, ou de l’origine des temps à la fin des temps et des jours, ou du moment de la création du premier homme et de la première femme, je n’en saurais discuter savamment, et encore moins sais-je, comme eux tous le savent indubitablement ! si cette présence de Marie au Père, au Fils, au Saint-Esprit, et son amour d’elle, répondant au leur, est encore une simple conception idéale, une pensée de Dieu, oui ! si Marie est éternellement et à jamais une première et merveilleuse idée divine, figée dans l’immuable éternité de la sagesse divine, là où, sans le savoir, le sentir ni le vivre, nous sommes aussi, et toutes choses, des idées... ou si Marie est dès l’aurore du monde, dès avant le lancement du balancier de la grande horloge cosmique, le big-bang initiateur, si elle est déjà esprit et cœur, âme vivante, déjà notre Reine, avant notre autorisation d’exister, éternellement saisie d’admiration, ado­rante, et dans une pureté supérieure à celle d’aucune créature décevante de ce Dieu qui se propose à son regard et à ses lèvres spirituelles comme Père, Époux et Roi, Esprit infus en elle, en plénitude d’amour mutuel, trinitaire, éternel.

« Je ne sais ! Qui le sait ? Je ne sais même pas ce que veulent dire les sages et les savants, quand ils pensent qu’en Dieu sont des Idées éternelles, et des Amours de ces Idées, et des vouloirs être de ces Idées aimées, sans que pourtant rien n’en existe vraiment, pas même une miette, laissant pendant une éternité d’avant ce qui sera plus tard, dans les années d’après, le monde et toute son histoire, des myriades d’anges bien chantant, et des multitudes d’êtres humains, saints et saintes bien vivants pour une destinée bienheureuse, laissant mon esprit écartelé entre la pensée d’un Dieu d’avant, éternellement et nécessairement solitaire en ses trois Personnes se réjouissant l’une l’autre et la troisième sans aucun témoin, ni aucune confidente, ni fille, ni épouse, ni mère – mon Dieu, quel ennui pour vous ! – et passant d’un saut-en-longueur-record, à l’avenir du monde, après sa fin, à la pensée de ce même Dieu d’après, éternellement et gracieusement comblé de multitudes d’anges et de saints remplissant, enfin ! toutes les immenses salles et chambres de son céleste palais !

« Il me vient alors une demi-mesure. Une modeste manière d’intermédiaire entre le Tout d’avant, absolument dépourvu de cadeau de Noël, ni mère, ni enfant nouveau-né dans la crèche, et le Tout d’après, absolument encombré de milliards d’adorateurs, et cet intermédiaire, c’est une Imma­culée Idée des Personnes divines faite Vierge vivante, adorante, aimante... si petite qu’Elle ne porte aucune ombre à la solitude, à l’unicité, à la perfection ni à l’altière béatitude du Dieu d’Aristote, l’Acte pur... et cependant qu’en Elle déjà se trouve créée une telle merveille et perfection de sagesse, de soif d’adoration, et de vaillant amour, que tout le poids et le volume et le nombre et la figure du reste de l’univers n’y ajoutent pas le moindre surcroît d’être, de vie, de vertu.

« Au point que, si seulement les théologiens et les métaphysiciens me donnaient la permission d’imaginer la toute sage et belle, et espérante et aimante Immaculée Conception : Marie toujours Vierge, dans les embrassements éternels du Père et du Fils l’envahissant de leur Esprit d’amour saint et créateur, il me semble qu’avant le monde tout le monde était déjà en Elle, en son Cœur Immaculé et, qu’après, tout ce monde s’y retrouvera sans que rien en Dieu n’ait vraiment changé, cependant que pour nous autres, changement inouï, d’une seule fois et pour toujours, enfantés de Marie, créés pour Elle par la divine triade, nous serions en ce court intervalle passés du néant à l’être et de l’être terrestre à la béatitude céleste.

« La différence n’est pas grande, et c’est pourquoi je ne retiendrai même pas l’attention de nos vrais philosophes et de nos grands théologiens dont je ne suis même pas le dernier. La différence n’est émouvante que pour les simples et les pauvres, les ignorants et les martyrs de la vie, parce qu’ils espèrent fortement, immensément aller la voir un jour au Ciel dans la patrie ! mais ils n’en ont vraiment la certitude qu’en pensant d’Elle que depuis toujours, évidemment, elle est, Elle, dans les bras du Bon Dieu, qu’ils se connaissent et s’aiment absolument depuis toujours ! et qu’enfin si Jésus est, il a bien fallu qu’éternellement elle ait été sa mère terrestre et qu’elle soit toujours de même, Marie Immaculée, la Mère du Bon Dieu ! Alors, elle nous connaît bien, elle sait bien ce que nous sommes, que nous n’étions que misère et même rien du tout, que nous sommes devenus à travers les milliards d’années, à sa prière, sous son regard, objets de miséricorde et donc que bientôt nous serons transformés de misère en miséricorde, en gloire et béatitude auprès d’Elle dans le sein du Père, de notre bon Père Céleste.

« Tout cela dit par manière de louange à Marie, comme en un prologue de pauvre à l’Évangile de Marie, sans prétention, et faites comme si c’était du délire sans consistance d’un esprit simplement dérangé... ! » (25 décembre 1997)

LA MÈRE DU BEL AMOUR.

L’Ancien Testament dessinait déjà, sous le voile des figures, ce que révèle le Nouveau : le mystère surnaturel d’un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Très sainte et très auguste Trinité, éternelle, antérieure aux trois personnes qui l’annoncent et la préfigurent dès le premier chapitre de la Genèse, Yahweh Dieu, Créateur, « Adam, fils de Dieu » (Lc 3, 38), et Ève.

Le baptême nous introduit dans cette Famille de Dieu que le péché nous avait fait renier, nous rendant le pouvoir d’appeler notre Créateur “ Notre Père ”, à l’imitation du Fils, Verbe de Dieu, qui était au commencement avec Dieu, qui était Dieu (Jn 1, 1) ; et, près de lui, que découvrons-nous ? Une troisième Personne, procédant du Père et du Fils, le Saint-Esprit qui conçoit l’Immaculée, que le Père veut donner à son Fils pour Épouse, et à tous les baptisés pour Mère.

Dès lors, comme l’enfant connaît d’abord sa mère, et ne connaît qu’elle, apprenant d’elle à se tourner vers son père, la première personne que rencontre le baptisé, nouveau-né de la divine Famille, c’est la Vierge Marie, et il adhère à cette Mère Immaculée d’un élan spontané d’enfant. Créature parfaite, inaccessible au mal, à la chair, au monde et à Satan, touchante par sa beauté et sa grâce, sa tendresse et sa douceur, sa virginité, sa ferveur et sa piété, compagne de Dieu aujourd’hui et de toute éternité, elle tient visiblement la place de l’Esprit invisible qui l’habite et la remplit de ses sept dons. Elle nous montre le Fils béni de ses entrailles, notre Chef et notre Sauveur Jésus-Christ.

Devenir enfants de Marie, c’est être sauvés par Elle, lumière de nos yeux, c’est entrer dans une vie nouvelle, de circumincessante charité, pure de tout mélange mondain. Elle est la Porte du Ciel, par où l’on entre dans la vie intime des Personnes divines, dans ce circuit d’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit. En effet, dans la bouche de Marie, le témoignage de saint Jean prend une force singulière : « Le Verbe s’est fait chair et nous avons contemplé sa gloire. » (Jn 1, 14) Bien avant l’Apôtre, elle se savait « en communion avec le Père » (1 Jn 1, 1-3). Non pas le Dieu des gnostiques, ni celui des païens, ni même celui des juifs qui s’obstinent à le reléguer dans une solitude sans Fils ni Esprit. Mais « le Père » qui ne fait qu’un seul Dieu « avec son Fils Jésus-Christ » (ibid.). Dans le Cœur Immaculé de cette Vierge Mère de Dieu, il est une joie (Lc 1, 28), fruit de cette « communion » qui déferle, encore aujourd’hui, jusqu’à nous, portée par ces lignes ardentes de Jean l’Évangéliste devenu son Fils par adoption. Elles nous invitent à marcher « dans la lumière » qui est ­Jésus-Christ comme Lui-même l’a proclamé pendant sa vie ici-bas (Jn 8, 12).

Il est vrai que cette théologie mystique est d’une hardiesse inouïe. Pour celui qui se met à telle école, la “ vie surnaturelle ”, la grâce ne sont plus de simples notions scolastiques juxtaposant je ne sais quel facultatif couronnement de l’édifice de l’ordre naturel achevé en soi et pour soi, tel qu’on l’étudie dans la philosophie d’Aristote et de saint Thomas. Au contraire, l’ordre naturel n’a été créé que pour être le piédestal de l’ordre surnaturel : « Il est insuffisant de dire que Jésus a choisi ce qu’il y avait de plus beau dans le destin des hommes. Ce serait croire vraiment qu’il n’était pas encore né au temps de la création du monde et que la Sagesse divine avait décidé de la vie humaine sans prévoir son Incarnation. Bien au contraire, Dieu ne mit des lois si nobles dans sa créature, au jour où il la forma de l’argile primitive, qu’en vue de la ­manifestation de son Fils Bien-Aimé. » (Georges de Nantes, Lettre à mes amis n° 5, Noël 1956)

Ainsi a-t-il créé en l’homme le besoin d’aimer une femme pour lui donner la faculté d’aimer la Vierge Marie d’un amour irrésistible et, en elle, son Hôte mystérieux, l’Esprit-Saint, Dieu lui-même. Et par elle vaincre le diable, échapper au monde, garder la pureté de la chair et l’humilité de l’âme, l’ardeur du cœur.

« JEUX DE LANGAGE ET RUPTURE AVEC L’ÉGLISE »

Je soupçonne Mgr Alexandre Joly, docteur en ecclésiologie, membre de la “ commission doctrinale ” de la CEF, signataire de son “ Avertissement ”, d’être le rédacteur de la troisième partie du document.

Sous ce titre, je comprends que l’auteur nous accuse de cacher notre schisme, « rupture avec l’Église », en jouant avec les mots, « jeux de langage ».

Par exemple, « en déplorant une soi-disant incapacité du Magistère et des théologiens à résoudre les problèmes auxquels ils prétendent proposer, eux, des solutions [...], ils sont capables d’affirmer ensuite, en cas de difficulté, que ce qu’ils ont dit reste dans le champ de la recherche théologique et qu’ils attendent même avec sérénité la contradiction et la souhaitent, sûrs qu’elle aidera à la manifestation de la vérité.

« Or, dans l’ensemble des textes publiés par la CRC, on trouve une manière fausse de se situer en Église, devant le Magistère. L’enseignement de l’Église sur les vérités de la foi n’est pas accueilli religieusement mais jugé ou déformé. »

Non pas “ jugé ” mais accusé : les Actes du concile Vatican II, et des papes Paul VI et Jean-Paul II sont accusés d’avoir substitué à « l’enseignement de l’Église sur les vérités de la foi », des erreurs qui sont contraires à l’enseignement de tous les Conciles et pontificats qui les ont précédés, de saint Pierre à Pie XII.

Accusation d’hérésie, de schisme et de scandale développée en trois livres que la commission doctrinale de la CEF ignore, et qui en appellent au magistère infaillible du Souverain Pontife.

La commission doctrinale de la CEF rappelle, citation du Code de droit canonique à l’appui, « l’obéissance due aux Pasteurs sacrés en ce qui concerne la foi et les décisions prises en tant que chefs de l’Église ” ». Elle précise : « L’opinion à exprimer ne peut en aucun cas prévaloir sur ce qui est contenu dans la Parole de Dieu écrite ou transmise par la Tradition, en même temps proposé par le magistère solennel ou ordinaire et universel de l’Église. ” »

Toute la question est précisément de savoir si oui ou non les Actes du concile Vatican II contredisent « la Parole de Dieu écrite ou transmise par la Tradition proposée par le magistère solennel ou ordinaire et universel de l’Église ».

Le point focal de cette contradiction est la proclamation de la liberté religieuse. « Proposée solennellement par le magistère » au concile Vatican II, certes, mais « condamnée par le magistère solennel et ordinaire et universel », c’est-à-dire toujours et partout, jusqu’au concile Vatican II exclusivement où cette étrange liberté a été proclamée comme une nouveauté sans le moindre fondement.

L’abbé de Nantes en a fait la démonstration sans réplique : « Je dis qu’il y a eu brigandage et forfaiture. Je regrette que personne n’ait alors quitté le Concile pour se laver de toute complicité avec l’hérésie ainsi proclamée. »

ÉTRANGE LIBERTÉ AU FONDEMENT INTROUVABLE

Il est insensé de déclarer l’homme libre de penser, de parler et d’agir comme il veut en toutes matières, et plus que partout ailleurs en matière de religion. Car Dieu commande souverainement en ce domaine ! Et l’Église du Christ aussi commande ! Et la liberté de l’un faisant obstacle à celle de l’autre, la liberté de la vérité l’emporte, enlevant tout droit à l’erreur ! Et l’État ne peut admettre toute liberté individuelle, surtout de caractère prétendument sacré, sous peine de se détruire lui-même...

Il fallut, sous les coups de boutoir de la “ minorité ” traditionaliste, délimiter cette fameuse liberté religieuse qu’on avait d’avance promise au monde. Pour éviter l’idée de « liberté morale » « qui pourrait valoriser l’indifférentisme ou un faux irénisme ou encore le laïcisme des pouvoirs publics et des écoles », on « fera usage de l’expression liberté civile et sociale en matière religieuse ”... » Il ne s’agit déjà plus de liberté dans « les rapports de l’homme avec Dieu »,... ni dans « les relations entre fidèles et autorité ecclésiastique » car, si l’Église proclame l’anarchie partout ailleurs, elle n’en veut pas chez elle !

Bien plus, pour tenter de rallier la minorité au projet, dans le désir que manifeste Paul VI d’obtenir l’unanimité, « une substantielle addition a été introduite dans le n° 1. On y trouve les éléments suivants ; a) Il n’y a qu’une seule religion vraie, qui subsiste dans l’Église catholique et apostolique ; b) Les hommes sont tenus de rechercher la vérité, et d’y adhérer ; c) Ces devoirs touchent et obligent la conscience des hommes ; d) La liberté religieuse confinée au domaine civil, n’interfère pas avec la doctrine de l’unique vraie religion qu’elle laisse intacte ; e) Toutefois cette déclaration entend développer la doctrine des Souverains Pontifes sur les droits inviolables de la personne humaine et sur l’organisation juridique de la cité temporelle. »

Après de telles limitations et contradictions, que restait-il logiquement de la “ liberté religieuse ” ? Rien, rien que le contenu de l’ancienne notion plus loyale de “ tolérance ”. D’où le ralliement de nombreux opposants. Mais, en fait, les rappels d’orthodoxie n’étaient là que pour la montre, pour égarer les esprits vraiment catholiques. L’erreur qui leur était contradictoire allait passer sous ce pavillon mensonger. L’erreur, c’est l’affirmation du droit strict et universel de l’Homme et de toute communauté humaine à la liberté religieuse dans le domaine des activités civiles et sociales. « Que nul ne soit empêché, que nul ne soit forcé », c’était le refrain de nombreuses allocutions pontificales, c’est l’essentiel de notre Déclaration : immunité de l’individu et des associations en matière de religion.

Sur quel fondement asseoir ce droit nouveau ? Qui veut la fin veut les moyens. Autant le Concile voulait la Liberté, autant il ne savait lui trouver de fondement valable ; il alla de l’un à l’autre et finalement se contenta de faux-semblants.

1. Doctrine de la liberté de conscience. On crut très simple tout d’abord de s’appuyer sur la théorie classique du droit de l’homme de suivre sa conscience même erronée, car chacun doit toujours vouloir ce que lui dicte sa conscience. On citait un passage de Pacem in terris, sur « le droit d’honorer Dieu suivant la juste règle de sa conscience – ou, selon le texte italien, suivant la règle de sa droite conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique».

On jouait sur le velours. Mgr Pavan explique l’équivoque merveilleuse de cette phrase ambiguë, et il sait bien de quoi il parle, lui qui est l’auteur réel de l’encyclique ! C’est désopilant de le voir supputer les sens possibles et choisir le sens hérétique pour lequel il a lui-même conçu ce texte ! Et le Père Hamer de conclure donc que « les deux thèses ont droit de cité » ! Voilà l’erreur moderne introduite à égalité avec la vérité classique. La conscience faussée a maintenant le droit de gouverner, non seulement la conviction intime du sujet mais son action civile et sociale. Toutes les autorités humaines (hiérarchie catholique exceptée !) doivent rester au garde-à-vous devant toute expression publique et communautaire de la religion individuelle ! Ce subjectivisme incontrôlable réglant la vie objective de la société humaine était un délire... Les cardinaux Otta­viani et Browne, entre autres, s’y opposèrent. Le Père de Broglie donna par la suite une leçon de théologie morale élémentaire aux Pères conciliaires.

L’argument dut être abandonné. On chercha autre chose !

2. Doctrine de lavocation divine”. Chacun est libre de répondre à sa “ vocation divine ”. Le terme est édifiant et vague à souhait, on se précipita. Comme un “ fondu ” au cinéma, il permettait de passer insensiblement de l’argument faux d’hier à un autre : « Les hommes ont le devoir et l’honneur de suivre en matière religieuse la volonté du Créateur et du Sauveur selon le dictamen de leur conscience » ! Astuce de faire de tout “ acte religieux ” un acte de conscience individuelle, donc une réponse à l’appel de Dieu ! Mais c’est faire trop aisément endosser par Dieu, à titre de réponse à son appel, les erreurs et les crimes des hommes ! La supercherie fut dénoncée, mise en pleine lumière.

« Parler de vocation divine pour une conscience erronée, constitue le dernier stade d’une déplorable évolution de l’idée de vocation divine », s’exclama le supérieur des maristes. De fait ! On laissa tomber l’argument et on chercha désespérément autre chose.

3. Doctrine de larecherche de la vérité”. Celui qui trouverait une bonne raison rendrait un service signalé au Concile qui... ne pouvait décevoir l’attente du Monde !! On ne serait donc pas très regardant.

On en revint alors à la théorie déjà exposée par le cardinal Montini le 5 décembre 1962 (Laurentin, Bilan troisième session, p. 68). Son théologien, Mgr Colombo, proposa en termes bien montiniens « le droit naturel de tout homme à rechercher la vérité, ce qui se fait par le dialogue et comporte donc ( !) le droit d’exposer son opinion ». Au moment critique, Mgr Ancel reprendra ce montinisme au nom de plus de cent évêques de France.

Le sophisme est pourtant grossier... Comment fonder sur le droit de rechercher la vérité par le dialogue, la liberté de dire et faire n’importe quoi en matière religieuse ! De telles rêveries dans un Concile...

Mais peu importaient les arguments ni leur valeur. Tous – sauf les 250 minoritaires irréductibles – faisaient de la liberté un droit de l’homme résultant de sa dignité, « droit naturel et absolu » dont le Père Congar, qui n’en craint pas, ira chercher une première affirmation dans saint Albert et saint Thomas d’Aquin qui, déjà, « avaient dégagé et fondé une consistance de la nature, indépendamment de sa condition de justice surnaturelle ou de péché, et conséquemment une validité de l’ordre naturel indépendante de la foi et de la charité ».

Nous sommes bien là en pleine proclamation naturaliste de l’indépendance de l’homme vis-à-vis de son Créateur, constituant son droit à la Liberté que tout pouvoir humain doit reconnaître. C’est le culte de l’homme individuel, antireligieux et antisocial !

Les nos 1-4 de la Déclaration affirment donc le droit intérieur et extérieur, de l’individu et des sociétés à la pleine liberté religieuse, sans coaction d’aucune sorte qui en empêche ou en restreigne l’exercice, qui la retienne ou la sollicite en quoi que ce soit.

« C’est donc faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société » ( n° 3) !

EXTENSION DE CETTE NOUVELLE LIBERTÉ RELIGIEUSE

Cette doctrine d’anarchisme sacré ne peut être qu’hy­pocrite et destructrice des libertés réelles. L’État au service de la liberté des personnes ( n° 6), on connaît ça depuis 1789 : « Liberté, Égalité, Fraternité,... ou la mort ! » Le Concile lui-même va donc arbitrairement restreindre et confisquer ou anéantir par astuce la liberté qu’il vient de proclamer neuve et entière.

1. Liberté de la famille ? ( n°5) La liberté est ici reconnue aux parents contre l’État. C’est la doctrine classique du droit naturel des parents sur leurs enfants. Mais dans le contexte nouveau de la liberté absolue de toute personne, pourquoi la liberté religieuse n’est-elle pas reconnue plutôt aux enfants eux-mêmes contre leurs parents ? Parce que le Concile n’ose pas aller jusque-là. Mais d’autres iront jusqu’au bout de cette logique, tel Mgr Pavan :

« Mais il n’y a pas de doute que la proclamation de la liberté en matière religieuse, droit fondamental de la personne, postule qu’au sein de la famille également, les parents ne puissent imposer la foi religieuse à leurs enfants ; qu’ils usent au contraire de tous les procédés délicats que la sagesse paternelle et l’amour maternel peuvent suggérer pour que les enfants puissent assimiler la religion avec une conscience croissante, de telle façon qu’ils atteignent un degré suffisant de maturité hu­maine, au sein de laquelle la religion puisse devenir conviction personnelle, et le devienne en vertu du devoir qu’ils ont de chercher la vérité, de l’accueillir dans leur esprit au fur et à mesure qu’ils la découvrent, de l’aimer et de la traduire dans leur vie. »

Toutes ces circonlocutions visent à affranchir les enfants de l’autorité des parents. Les postconciliaires iront sans tant de manières à la conclusion : les enfants ont le droit de choisir leur religion, les parents n’ont pas le droit de la leur imposer. D’où la contestation du baptême des enfants, dans le droit fil de Vatican II !

2. L’École catholique contestée. C’est ici qu’il faut analyser la Décla­ration sur l’Éducation chrétienne, Gravissimum educationis momentum (sigle : ec). Le Père Vandermeersch, dans l’introduction aux éditions du Centurion, la déclare fort justement « une étape importante» (155). Elle conserve, en effet, la doctrine clas­sique sur “Les Écoles catholiques ” – titre primitif du schéma, rejeté par la suite –, mais elle introduit déjà une théorie libérale de « l’Éducation chrétienne », selon laquelle l’enfant peut être laissé au milieu du monde et en climat neutre, en école laïque, pour y épanouir ses convictions personnelles dans la pleine liberté du pluralisme moderne. Ce n’est pas une évolution, c’est une étape... dans l’apostasie. Lisez :

« La Déclaration part de l’homme et de sa vocation de fils de Dieu... Elle innove en ce qu’elle organise son argumentation à partir de ce principe premier, tandis que... les grands textes antérieurs des Souverains Pontifes... y aboutissaient comme au terme normatif des différentes institutions, Église, famille, école, qui trouvaient dans leur mission le fondement de leur devoir d’éducation. L’encyclique Divini Illius Magistri, de Pie XI, organisait son développement à partir des institutions ; la Déclaration part de l’homme et de sa vocation de fils de Dieu.

« Ce renversement de perspective a pour conséquence de mettre toutes les institutions, famille, écoles, pouvoirs publics et Église au service du droit à l’éducation qui est attaché à la dignité de la personne. » (ec, 162).

Tout venait de Dieu, par les institutions naturelles et surnaturelles, qui participaient de son Autorité et de ses Droits. Ce Concile d’apostats renverse cet ordre divin pour tout agenouiller, à quatre pattes, aux pieds de l’enfant-roi, l’enfant-dieu, idole moderne. Tout doit concourir à son service en vue de « l’épanouissement de sa personnalité » (163). Si quelque autorité devait subsister et contrôler pareille éducation, le Concile penserait, plutôt qu’à sa propre Église, à l’État national et so­cialiste. Il incline à immoler l’École catholique, pour la fin des “ vieilles querelles ”, sur l’autel du pluralisme et de la socialisation.

On retiendra de cette Déclaration, parmi d’autres textes qui disent le contraire, celui-ci, solennel, pour sa teneur d’apostasie. Il s’agit d’  « exclure n’importe quel monopole scolaire » :

« Tout monopole de ce genre est en effet opposé aux droits innés de la personne humaine, au progrès et à la diffusion de la culture elle-même, à la concorde entre les citoyens, enfin au pluralisme qui est aujour­d’hui la règle dans un grand nombre de sociétés. » ( n° 6)

Même le « monopole » de l’Église catholique ? Voilà qui serait anathème !

3. Liberté contrôlée par l’État ! La liberté de la personne est absolue, l’État aura donc pour devoir primordial de la garantir. Mgr Pavan l’établit par trente-six raisons, toutes définitives (us, 165-188). L’État doit d’ailleurs pour cela cesser d’être monarchique ou aristocratique, pour être démocratique, socialiste et populaire... Voilà les hautes notions politiques qui inspi­rèrent le Concile ! Le pouvoir politique se fait ainsi promoteur de l’anarchie, et de la pire, l’anarchie religieuse.

Cette théorie libérale est, à notre avis, la conséquence de l’affaissement démocratique et de la désa­cralisation du pouvoir depuis 1789. Qu’un Roi très chrétien, ou un sultan, ait l’idée d’une mission religieuse à remplir, c’est à la mesure de la légitimité divine de son pouvoir. Un président, élu par une faction dans le mensonge du suffrage universel, n’a aucune mission religieuse, ni paternelle ni éducatrice, pas plus qu’il n’a de légitimité réelle. Et voilà qui explique, sans le jus­tifier, le libéralisme religieux de « la tradition américaine » (us 72-73) ou anglaise (78) dont le cardinal Heenan a remarqué la cause et la conséquence : l’indifférence religieuse massive du peuple anglais...

L’État dont Vatican II trace le profil sera donc démocratique et neutre : indifférent à Dieu et serviteur de la liberté individuelle. Toutefois, le Concile va lui rendre d’une main ce qu’il lui ôtait de l’autre : il en fera bientôt le répresseur de l’anarchie religieuse ! Il lui ôte le contrôle de la religion du point de vue de la vérité, mais il le lui rend du point de vue de l’ordre public ! Et nul ne paraît se rendre compte que c’est asservir la Religion à l’État !

La Déclaration multiplie les allusions aux « justes limites » qu’il faut fixer à la liberté individuelle. Les limites que fixe « la loi morale », ou plutôt la théorie philanthropique du respect de la liberté des autres, sont inopérantes car c’est à chacun qu’il revient de se les dire et de se les imposer ! Donc, « c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer la protection de la société... contre les abus qui pourraient naître sous prétexte (sic !) de liberté religieuse ».

Cet écœurant étatisme, théorie selon laquelle il appartient à l’État seul, et souverainement, de limiter la liberté religieuse, se cherchera lui aussi, sans le trouver, un fondement acceptable : “ bien commun ” paraîtra trop métaphysique ; “ paix publique ”, trop vague ; “ ordre public ” enfin ralliera les suffrages, et c’est le pire. Il remet les choses divines à la décision du gardien de l’ordre !

Vatican II aura beau conclure ce numéro 7 : « Au demeurant, il faut observer la règle générale de la pleine liberté dans la société, selon laquelle on doit re­connaître à l’homme le maximum de liberté et ne restreindre celle-ci que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure où c’est nécessaire », puis invoquer selon Jean-Jacques Rousseau « la formation à l’usage de la liberté » comme un principe efficace et suffisant de “ self-control ”, en définitive il aura soustrait l’homme individuel et social à la souveraineté de Jésus-Christ pour l’abandonner cruellement à la tyrannie de l’État-Gendarme.

C’est une honte et une apostasie. Il est temps d’en juger par l’Écriture et par la Tradition.

DÉCLARATIONS CONCILIAIRES CONTRAIRES 
À L’ÉCRITURE ET À LA TRADITION !

Comme on sait, ce Concile devait revenir à la seule Parole de Dieu, sans pour autant s’éloigner des enseignements de la Tradition vivante ni du Magistère, c’était juré ! Eh bien, quand il s’agit des Droits de l’Homme et de la Liberté, on ne consulta ni l’Écriture ni la Tradition ni le Magistère. On ausculta l’Opinion, le Monde, l’Onu. Et quand tout fut décidé, on songea à se munir du renfort de la Révélation !

1. MENSONGE SUR LA RÉVÉLATION (Nos 9-11).

Aveu de Congar : « Le point précis de la liberté religieuse telle que l’entend notre Déclaration,... ne se trouve pas tel quel dans la Sainte Écriture. »

La « liberté psychologique » s’y trouve, « la liberté chrétienne, li­berté à l’égard du mal et de tout ce qui peut inciter au mal, fondée dans l’action du Saint-Esprit » s’y trouve. Mais « la liberté sociale et civile », non ! « Montrer la place de la liberté religieuse dans le déroulement de l’histoire du salut et dans la suite des paroles et des actes par lesquels Dieu a progressivement éduqué les hommes à un usage personnel responsable de la liberté », présente « des difficultés insurmontables ».

Dieu a voulu que la grâce vienne au secours de la volonté de l’homme et lui procure la liberté intérieure. Mais il a voulu que la loi lui vienne aussi en aide ­extérieurement, par des obligations et sanctions.

Comment le texte conciliaire ruse avec les Évangiles pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils enseignent divinement, il serait facile mais fastidieux de le montrer. Par exemple, le Christ dans l’Évangile ne contraint personne ? Mais Jésus n’était pas investi de l’autorité publique ! Les Apôtres ne craignirent pas de désobéir à un ordre injuste des autorités ­religieuses du judaïsme ? Mais ils ne les contestèrent pas ! etc. Tout cela est ­piégé.

« L’Église, donc ( !), fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Ré­vélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des Apôtres, elle l’a, au cours des temps, gardée et transmise. » ( n° 12)

Autant de paroles, autant de mensonges. C’est mentir sur le Christ et sur les Apôtres, c’est mentir plus effrontément encore sur le Magistère.

2. MENSONGE SUR LA TRADITION (N° 12).

Prétendre que cette liberté religieuse est contenue dans les Écritures, c’est aboutir à condamner aussitôt comme infidèle au Christ la pratique de l’Église de toujours et de partout, qui n’a rien su ni voulu savoir de ce libéralisme ! Le Concile louvoie : « Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, voire même con­traires à l’esprit évangélique ( !!), l’Église a cependant toujours enseigné... » Quoi ? Tout l’élan du texte porte à croire que l’Église a toujours enseigné, sans la pratiquer toujours, cette doctrine du droit de l’homme à la liberté religieuse ! Mais le texte n’ose le dire ! Il tourne court : « ... a toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi » !

Mais cela, on le sait depuis toujours, il n’est pas question de cela ! Ce que l’Église n’a jamais enseigné, en revanche, ni pratiqué, c’est la théorie dont raffole le Concile, d’une liberté des religions et de l’irréligion, sans contrôle, obligation ni sanction.

Les rédacteurs de pareils textes forment une belle brochette de menteurs savants, évêques, cardinaux, experts, cela ne change rien au fait. Et le fait ne se dissimule pas. Pavan explique comment l’Église a dit et fait le contraire, jusqu’à Vatican II. Précieux aveux ! Le Père Hamer avoue que la thèse d’une « évolution historique » de l’enseignement du ­Magistère sur cette question, thèse échafaudée par le cardinal Garrone, s’est avérée insoutenable et qu’il valait mieux renoncer à cette preuve par l’histoire ou ruser davantage. Alors, le Concile déclare :

« Ainsi, le ferment évangélique a-t-il longtemps agi dans l’esprit des hommes et beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement, au cours des temps, la dignité de la personne humaine, et à faire mûrir la conviction qu’en matière religieuse cette personne doit, dans la cité, être exempte de toute contrainte humaine. » (12, in fine) Admirable astuce : la doctrine nouvelle, qu’on ne peut faire émerger de la tradition catholique après 1 900 ans d’ignorance et de condamnation, on la donne comme un « ferment évangélique » à l’œuvre dans la Contre-Église et récupéré enfin par l’Église comme son propre bien.

L’Église était sourde à la voix du Christ quand les “ philosophes ” et les francs-maçons l’entendaient mieux qu’elle. Aujourd’hui, l’Église retrouve l’Évangile chez les francs-maçons et les athées, à l’état de « ferment évangélique » !

Vatican II contredit l’Écriture et la Tradition, c’est net, c’est clair, c’est démontré et certain. Si Paul VI et nos évêques, Benoît XVI et François aujourd’hui ! veulent nous faire croire à ce Droit de l’Homme issu de la tradition antichrist et toujours abhorré par la Sainte Église, qu’ils en fassent l’objet d’une définition solennelle, infaillible donc, et qu’ils l’accompagnent à notre intention d’irréfragables anathèmes. Nous les défions solennellement devant Dieu et devant le saint peuple fidèle de mener à son terme pareil propos. D’ici là, qu’ils nous fichent la paix avec leur hérésie et leur Concile !

RENIEMENT ET SUICIDE DE L’ÉGLISE

« Il est manifeste qu’aujourd’hui l’homme ­souhaite pouvoir librement professer la religion, en privé et en public ; bien plus, que la liberté religieuse est main­tenant proclamée dans la plupart des Constitutions comme un droit civil et qu’elle est solennellement reconnue par des documents internationaux. » ( n° 15)

L’Église renonce à sa vérité, à sa dignité, à son droit, pour reconnaître à l’homme et aux États la liberté qu’ils revendiquent. Elle espère ainsi coopérer à une « concorde » et à une « paix » de toute « la famille humaine », qui se feront au-delà des divergences religieuses considérées comme accessoires.

« La liberté religieuse demande, en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. » ( n° 4)

On va bâtir un monde fraternel sans le fonder sur le Christ, mais avec le concours de toutes les religions et idéologies humaines, fraternellement associées. Voilà l’idée majeure de cette Déclaration, l’idée mère du Masdu !

Congar a raison d’écrire, sans peser ses mots : « On ne proclame pas impunément (sic !) des choses pareilles, la loyauté envers ce qu’on a ainsi soi-même proclamé entraîne bien des conséquences. »

L’Église hiérarchique elle-même, octroyant la liberté au monde, ne l’accorde pas à ses fidèles à l’intérieur de ses frontières ? La logique l’y contraint ! La licence pénétrera aussi dans l’Église, quand elle l’aura pro­clamée partout ailleurs. L’anarchie vient. Comme l’intolérance l’accompagne toujours, le Pape et les évêques, devenus de simples gardiens de l’ordre public ”, ne toléreront plus ceux qui “ créent la division ” en s’insurgeant contre la liberté, contre leur démission, contre leur Concile et toute sa ruine. Aujourd’hui dans l’Église, c’est la Liberté ou l’Anathème !

Que tout cela soit un fruit de l’Esprit, croyez-le si vous voulez. Le cardinal Lefebvre l’a dit, le cardinal Koenig l’a écrit, et Mgr de Smedt en a fait l’expérience : « Ceux qui ont travaillé à l’élaboration de ce texte ont la conviction que le Saint- Esprit soutenait leurs efforts. »

Illuminisme ! Si on considère la contradiction de ce texte avec toute notre sainte doctrine catholique et les ravages qui ont résulté de cette nouveauté dans les familles, dans les écoles, dans les nations catholiques et dans l’Église, il faut aller chercher plutôt l’inspiration de ce complot contre Dieu et contre son Christ, dans un autre Esprit, celui-là même qui soutint la Contre-Église dans sa revendication obstinée des Droits de l’Homme et de l’État à la liberté et qui enfin triompha au Concile.

Et depuis, Satan règne dans l’Église.

LA LIBERTÉ DU CHRÉTIEN ET DE L’ÉGLISE 
SERA PROCLAMÉE PAR VATICAN III

Qu’il faille de toute nécessité un Vatican III pour abolir les erreurs de Vatican II paraît maintenant évident. Il faudra nécessairement que la papauté et l’épiscopat universel abjurent le libéralisme religieux que la Déclaration du 7 décembre 1965 a prétendu introduire dans la doctrine de la foi à l’encontre de toute la Tradition et des Écritures. Cette abjuration paraît bien impossible à obtenir, mais ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et il est plus impossible à l’Église de vivre selon de tels principes qui la livrent à Satan, que de revivre en les anathématisant.

Mais comme il s’est fait une énorme conjuration, depuis plus d’un siècle, entre les ennemis extérieurs de l’Église et ses ennemis de l’intérieur que sont les “ catholiques libéraux ”, la doctrine de la Liberté chrétienne a été savamment et opiniâtrement déformée, caricaturée, dans le but de la rendre absurde et odieuse à tous. Le saint concile Vatican III devra donc la restaurer dans une parfaite clarté afin de désarmer toutes les préventions et de lui reconquérir les esprits et les cœurs.

Avant tout, la plus grande franchise sera nécessaire. Que cette doctrine soit « dure à entendre » pour les autres hommes, incroyants ou fidèles des fausses religions, c’est certain. Du moins l’Église donnera-t-elle la preuve qu’elle dédaigne de ruser pour se concilier ses adversaires ou pour trouver grâce aux yeux des indifférents. Actuellement, les peuples d’Occident se félicitent de leur liberté et surtout de leur liberté religieuse, proclamées comme des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen. Ils n’ont pas encore vu que cette liberté sape toute autorité et donc détruit tout ordre social et toute paix. Et ils n’ont pas remarqué non plus qu’elle donne licence à toutes erreurs, toutes impiétés, toutes immoralités, mais qu’elle est intolérante jusqu’au fanatisme contre la vérité et le bien sous leur forme la plus pure, la plus absolue. Quand l’Église leur aura fait toucher du doigt ce mal et cette injustice, ces peuples chrétiens et civilisés feront retour à la vraie conception de la liberté, qui est divine dans sa source et sa mesure.

A) LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE

Le concile Vatican III posera en principe que tout membre de l’Église, unique et vraie, est régénéré intérieurement par la grâce et libéré du joug des passions charnelles, des sollicitations du monde et de la Puissance du démon. Devenu “ fils de Dieu ” par adoption, il va au vrai, au bien, au beau de toute son âme, par un attrait intime et souverain. Il est libre. Dans la mesure même où il suit cet attrait, les lois bonnes, divines et humaines, ne lui pèsent point, les lois mauvaises n’ont plus d’emprise sur lui. Préférant obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, il subira le martyre plutôt que de céder à une obéissance criminelle. En cela même, il affirme sa pleine liberté !

Le païen n’a pas de liberté, ni intérieure ni sociale – à moins de lumières et de grâces intimes invisibles –, puisqu’il est asservi au Prince de ce Monde par ses passions comme par les principes et les lois de son idolâtrie. Le juif, ayant la Loi mosaïque, n’a pas de liberté intérieure – sauf le cas de dons extraordinaires – qui le rende capable de répondre à l’appel libérateur de cette Loi divine. Il est écartelé, selon saint Paul, et il demeure esclave de la Loi, son dur « pédagogue », comme l’a rappelé le pape François dans sa catéchèse sur l’Épître aux Galates, le 11 août 2021.

Tandis que le chrétien reçoit la liberté intérieure qui lui fait embrasser avec amour la loi évangélique.

1. Liberté dans la communion catholique. Fils de Dieu, uni à Dieu par les liens de la foi, de l’espérance et de l’amour, le fidèle catholique accepte volontiers toutes les doctrines et toute la discipline de la sainte Église. Ce n’est pas là servitude humaine mais obéissance filiale à l’autorité qui en­seigne et gouverne au Nom même de Dieu. Le bon chrétien accepte et demande même, pour venir providentiellement au secours de sa faiblesse, que les Pasteurs de l’Église enseignent la doctrine et proscrivent l’erreur avec clarté, avec force, et qu’ils gouvernent le peuple fidèle sans relâche et sans faiblesse. Leur “libéralisme” ne profite qu’aux prophètes d’erreur et aux agents de désordre.

En revanche, après les excès d’arbitraire que le li­béralisme actuel a répandus dans l’Église, le Concile devra établir la juste liberté des personnes à l’égard des pouvoirs ecclésiastiques eux-mêmes, prévaricateurs. Les mêmes Pape et évêques qui accordent toute liberté à l’erreur et au crime, se sont prémunis contre toute réaction du peuple fidèle par une théorie abusive de l’obéissance aveugle et sans limite à leurs personnes, à leurs opinions et leurs caprices. La servitude ecclésiastique est aujourd’hui le mal jumeau de l’anarchie, toutes deux filles de la liberté religieuse proclamée droit de l’homme et non plus don de Dieu.

Notre obéissance catholique au Pape et aux évêques est un fruit de notre liberté spirituelle, elle n’est pas un esclavage. Les survivants du despotisme actuel sauront le dire et le proclamer au prochain Concile.

2. Liberté vis-à-vis de l’État. Entraînés par l’esprit dépravé de notre temps, une telle expression peut nous paraître “contestataire”. C’est le contraire qui est vrai. La soumission au pouvoir civil en tout ce qui concerne le bien commun temporel et le bien spirituel de la société, est directement inspirée au chrétien par la charité et elle lui est facilitée par la grâce de Dieu. C’est donc librement qu’il sera bon citoyen, dans la condition temporelle où la Providence l’a établi. Sa soumission naît de sa liberté.

L’Église de Vatican III proclamera cette obéissance politique, sans ruse ni crainte, au lieu que les hommes d’Église actuels font preuve de servilité vis-à-vis des régimes despotiques, communistes, musulmans,... et d’esprit contestataire vis-à-vis des régimes démocra­tiques et des derniers États catholiques dont ils n’ont rien à redouter. C’est dans le cadre d’une obéissance loyale aux pouvoirs légitimes que s’inscrit la doctrine classique de la désobéissance aux lois injustes et de la révolte même violente contre une autorité tyrannique et oppressive. On espère que Vatican III verra surgir une nouvelle génération d’évêques capables de prêcher l’obéissance aux pouvoirs légitimes et la révolte contre toutes les tyrannies, au lieu de pantins qui s’écrasent devant les pouvoirs forts, même persécuteurs, et prêchent la sédition contre les faibles.

3. Liberté vis-à-vis des fausses religions. Enfin, le disciple du Christ, en possession de la plénitude de la grâce et de la vérité, se trouve libre de toute servitude par rapport aux religions humaines et aux idéologies dangereuses. Il n’a rien à y chercher, il n’a point de “dialogue” à mener avec l’erreur, et il ne craint pas la persécution. Après le temps de folie collective d’une Église “ en recherche de dialogue et de coopération œcuménique ”, Vatican III libérera les catholiques de tant de prétendus “ devoirs ” qui tous conduisent à l’asservissement des masses à toutes les erreurs et les dépra­vations du moment. De cette “ recherche de la vérité par le dialogue ” nous n’avons rien à gagner.

Le catholique vit dans la vérité de sa foi, il la prêche, il la défend par la controverse, il y gagne les autres par sa prière, son exemple, sa parole et, s’il y est conduit, par le témoignage suprême du sang, par le martyre.

B) LA LIBERTÉ DE L’ÉGLISE

Le concile Vatican III proclamera d’abord la liberté de Dieu. Cette liberté souveraine et sans borne anéantit toute liberté, tout droit, toute autorité humaine qui prétendraient s’ériger contre elle. Quant aux libertés, droits et autorités qui prétendent s’ériger en dehors d’elle, neutres, laïques, Dieu peut dans sa liberté les tolérer avec patience, mais elles n’existent pas davantage que les autres. Seuls existent, réels, légitimes et sacrés, les libertés, droits et autorités qui sont établis par Dieu et participent de sa propre bonté.

L’Église de Jésus-Christ, Dieu fait homme, est donc libre de la liberté même de Dieu. Son autorité est souveraine par rapport à toutes les créatures mais elle est dépendante de Celui qui lui a donné tous pouvoirs. Relative à Dieu, elle est absolue vis-à-vis de tous les hommes. Dieu lui a donné autorité pour sauver les âmes, autorité unique et directe sur leur vie spirituelle, autorité suprême mais indirecte sur la vie temporelle...

1. Liberté de l’Église, exclusive de toute autre religion. Vatican III proclamera que la liberté de l’Église de Dieu ôte toute liberté, tout droit, toute autorité, comme toute valeur surnaturelle aux autres religions et confessions dites chrétiennes. N’est religion, n’est communauté chrétienne que l’Église dont le Christ est fondateur et que Dieu agrée.

L’Église ignore tout de ces fausses religions et malheureuses communautés. Elle ne leur concède rien. Elle peut en tolérer l’existence, elle n’en reconnaît pas l’existence de droit. Pas plus que le professeur de mathéma­tiques ne tolère des formules fausses. Toute entente, tout dialogue, toute coopération entre l’Église et les fausses religions ou communautés dissidentes est en abomination à Dieu. Vatican III le proclamera franchement.

2. Liberté de l’Église par rapport aux États. L’Église, souveraine dans le domaine des choses di­vines, échappe à toute servitude temporelle, c’est trop clair. Cependant, se reconnaissant membre de la communauté politique par toute son infrastructure temporelle, l’Église offre spontanément sa collaboration, son dévouement, sa participation matérielle et culturelle au bien commun social.

Mais l’indépendance de l’Église exige bien plus : la reconnaissance et la protection de l’État. Voilà ce que tous les libéralismes, et surtout le “ libéralisme catholique ”, détestent plus que tout. Le pouvoir civil doit pourtant reconnaître lui aussi et honorer le vrai Dieu, fondateur et légis­lateur suprême de la société humaine, et la seule vraie religion, reconnais­sable à des signes indiscutables. Il doit donc rendre un culte au vrai Dieu, imposer en tout sa loi et se mettre lui-même au service de l’Église. Vatican III devra rappeler aux pouvoirs po­litiques cette obligation d’être publiquement chrétiens, de reconnaître ainsi la souveraineté de l’Église, et de se soumettre à sa loi comme de servir ses intérêts et aider à la perfection de ses fidèles.

Cette reconnaissance de l’Église comme “ religion d’État ” ou mieux comme “ religion de la nation ” doit inspirer la définition même du bien commun national et les lois qui en découlent. Étant donné la liberté intérieure des consciences voulue par Dieu, elle ne conduit pas cependant à la coercition à l’égard des non-catholiques ni à l’intolérance de principe. Au contraire, les justes notions de la ­liberté de l’Église et de la tolérance civile ont permis l’établissement d’une paix durable dans les États ­catholiques.

3. Liberté de l’Église, protectrice des personnes et des peuples. La liberté de l’Église, c’est la toute-puissance de sa Vérité pour le bien temporel et spirituel des personnes et des peuples. Seule, elle est la base de cette édification nouvelle d’un genre humain pacifique et prospère : la Chrétienté. Le Concile proclamera la valeur unique du mariage et de la famille catholiques, de l’École catholique, de la doctrine sociale et politique puisée par l’Église dans l’Évangile du Christ.

Son unique vérité bien haut proclamée est à la source de toute justice et de toute charité, à la seule condition que lui soit reconnue pleine liberté...

La liste des bienfaits que répand l’Église quand elle est parfaitement libre suffit à expliquer la guerre qui lui est faite au nom de “ la Liberté ” par les puissances infernales qui tiennent les peuples asservis. En rendant odieux le joug du Christ et de l’Église, elles luttent pour maintenir leur domination. Le libéralisme catholique y prête la main, c’est sa honte. On ne fait pas de concessions aux ennemis de Dieu. Vatican III brisera avec cette compromission dont les petites gens et les pauvres peuples font les frais.

Avec une franchise qui lui fait honneur, le Père Martelet, jésuite, très en cour à Rome, avouait sans ambages aux Pères conciliaires :

« Si vous voulez fonder la Liberté religieuse sur Dieu, vous n’y arri­verez évidemment pas, puisque de Dieu au Christ et à l’Église la ­filiation est directe et qu’elle exclut le laïcisme d’État comme l’œcuménisme. Il faut donc mettre Dieu entre parenthèses (sic) et fonder votre schéma sur la dignité humaine. »

Ce que tous ont trouvé acceptable (Témoignage du Père Joseph Hamon, eudiste, qui avait assisté au Concile comme traducteur, cité dans la CRC n° 352, janvier 1999, p. 34).

« CULTE DE L’HOMME QUI SE FAIT DIEU »

La commission doctrinale de la CEF écrit :

« La CRC reproche souvent à saint Paul VI d’avoir dit : Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme !  Ces mots ont été prononcés depuis la basilique Saint-Pierre, du berceau de la foi chrétienne, lieu symboliquement parmi les plus chargés au monde de signification religieuse, à la fin du Concile œcuménique ayant été célébré par le plus grand nombre d’évêques de toute l’histoire de l’Église. Ces mots s’adressaient, depuis ce lieu précis, au monde des années 1960, marqué par l’humanisme athée en plein essor. Épingler ce bout de phrase pour faire comme s’il signifiait un reniement de l’unique culte rendu au Père par le Christ dans l’Esprit qui caractérise la célébration chrétienne, n’est-ce pas faire preuve d’une mauvaise foi certaine ? »

Quel renversement des rôles ! « Épingler ce bout de phrase » n’est pas l’effet de l’abbé de Nantes qui, lui, citait ce texte du discours de clôture du Concile intégralement à qui voulait l’entendre. Par exemple à Mgr Lallier, évêque de Marseille, qui n’en crut pas ses oreilles. « C’est le texte exact ? » demanda-t-il, incrédule. « Oui, Monseigneur, et vous y étiez ! »

Dans son Livre d’accusation qu’ignore, apparemment, le comité doctrinal de la CEF, l’abbé de Nantes interpellait le Saint-Père lui-même :

« Oui, oui, Très Saint Père, c’est Vous qui avez prononcé devant toute l’Assemblée Conciliaire, dans la journée historique du 7 décembre 1965, ce Discours dont il est certain qu’il n’y en a jamais eu de tel dans les annales de l’Église et qu’il n’y en aura jamais, ce Discours qui culmine dans la proclamation, à la face du monde et à la Face de Dieu, du culte de l’homme :

« “ L’Église du Concile, il est vrai, s’est beaucoup occupée de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque, l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité...

« “ L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.

« “ Qu’est-il arrivé ? un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. La découverte des besoins humains – et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre (sic) se fait plus grand – a absorbé l’attention de ce Synode.

« “ Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque nous avons le culte de l’Homme. ” »

« On mesure ici le glissement forcé de votre hétéropraxie à l’hétérodoxie pleine et entière, je ne dis même plus de l’hérésie, mais de l’apostasie. Dans votre bonté, apostolique ! à l’encontre des conseils de prudence et des enseignements infaillibles de tous vos Prédécesseurs, vous voulez être le Samaritain évangélique, affectueusement penché sur tout homme, son frère... Et voilà que ce sentiment d’amour immodéré vous conduit à vous réconcilier avec le Goliath du Monde Moderne, à Vous agenouiller devant l’Ennemi de Dieu qui vous défie et vous hait. Au lieu de prendre courage et de lutter, comme David, contre l’Adversaire, vous vous déclarez plein d’amour pour lui, vous l’adulez et vous allez bientôt vous ranger à son service exclusif ! Votre charité se fait culte et service de l’Ennemi de Dieu et, pour le flatter, vous allez jusqu’à rivaliser avec lui dans son erreur, dans son blasphème même.

« Vous pactisez avec l’homme qui se fait Dieu ! Vous prétendez les dépasser tous, ces humanistes athées de notre temps, fous d’orgueil, en fait de culte de l’homme. Tenez, relisez cet hymne à la gloire de l’homme que vous entonniez à l’occasion d’un voyage de la terre à la lune, plagiat blasphématoire de l’hymne au Christ Roi des siècles :

« “ Honneur à l’Homme ; Honneur à la pensée ; Honneur à la science ; Honneur à la technique ; honneur au travail ; Honneur à la hardiesse humaine ; Honneur à la synthèse de l’activité scientifique et du sens de l’organisation de l’homme qui, à la différence des autres animaux, sait donner à son esprit et à son habileté manuelle des instruments de conquêtes ; Honneur à l’Homme roi de la terre et aujourd’hui prince du ciel. Honneur à l’être vivant que nous sommes, dans lequel se reflète l’image de Dieu et qui, en dominant les choses, obéit à l’ordre biblique croissez et dominez. ” »

« Dans une autre occasion, en 1969, vous disiez pareillement : “ L’homme est à la fois géant et divin, mais dans son principe et dans son destin. Honneur donc à l’homme, honneur à sa dignité, à son esprit, à sa vie. ” »

EFFACEMENT DU DIEU FAIT HOMME 
DEVANT L’HOMME QUI SE FAIT DIEU

« Sans doute est-il question de Dieu et même, en passant, du Christ Fils de Dieu fait homme, dans ce Discours formidable du 7 décembre 1965. Mais il n’est pas question de la Croix du Christ, du don de l’Esprit-Saint, de la grâce baptismale, de tout le mystère de foi qui est le trésor de Vérité, de Vie, de Vertu de l’Unique Église Catholique.

« L’homme est le terme... “ le premier terme dans la montée vers le terme suprême et transcendant, vers le principe et la cause de tout amour. ” Le visage de l’homme vous révèle le visage du Christ, dites-vous en citant, bien à tort certes, Matthieu 25, 40... et donc, en celui-ci, le visage du Père céleste. Ainsi vous voyez Dieu en l’homme. Et vous exultez : “ Notre humanisme devient christianisme, et notre christianisme se fait théocentrique, si bien que nous pouvons également affirmer pour connaître Dieu il faut connaître l’homme. 

« Mais, Très Saint Père, sauf votre respect, c’est de l’idolâtrie ! Et je vous demande n’avez-vous pas succombé à la troisième tentation, celle du Pacte avec Satan, celle à laquelle Jésus répondit par cette parole qui condamne tous vos propos : “ Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, c’est à Lui seul que tu rendras un culte ” ? (Mt 4, 10) La traduction n’est pas suspecte, elle est de la Bible de Jérusalem. Jésus refuse, même dans le but avantageux de se voir soumis tous les royaumes de la terre, de rendre à quiconque un culte qui n’appartient qu’à Dieu seul. Et Vous, pour gagner le monde, pour le disposer sans doute à la conversion nécessaire, Vous osez proclamer, au nom de l’Église et en présence du plus grand Concile de tous les temps, votre sympathie pour l’homme qui se fait Dieu et votre culte de l’Homme ?

« Comparez ce Discours à celui que tenait saint Pie X dans sa première encyclique, elle aussi véritable Charte de son pontificat :

« Qui pèse ces choses a le droit de craindre qu’une telle perversion des esprits ne soit le commencement des maux annoncés pour la fin des temps et comme leur prise de contact avec la terre, et que véritablement le Fils de Perdition dont parle l’Apôtre n’ait déjà fait son avènement parmi nous. Si grande est l’audace et si grande la rage avec lesquelles on se rue partout à l’attaque de la religion, on bat en brèche les dogmes de la foi, on tend d’un effort obstiné à anéantir tout rapport de l’homme avec la divinité ! En revanche, et c’est là, au dire du même Apôtre, le caractère propre de l’Antéchrist, l’homme, avec une témérité sans nom, a usurpé la place du Créateur, en s’élevant au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu. C’est à tel point que, impuissant à éteindre complètement en soi la notion de Dieu, il secoue cependant le joug de sa majesté et se dédie à lui-même le monde visible en guise de temple, où il prétend recevoir les adorations de ses semblables...

« Et c’est pourquoi le but vers lequel doivent converger tous nos efforts, c’est de ramener le genre humain à l’emprise du Christ. Toutefois, pour que le résultat réponde à nos espérances, il faut par tous les moyens et au prix de tous les efforts, déraciner entièrement cette monstrueuse et détestable iniquité propre au temps où nous vivons et par laquelle l’homme se substitue à Dieu. »

« C’est une tout autre doctrine, de tout autres sentiments, une tout autre inspiration, bref un autre esprit, n’est-ce pas ? Saint Pie X, que vous n’aimez pas, que vous omettez de citer même quand ce serait pour Vous une obligation, une nécessité, saint Pie X prêche le Christ selon la plénitude de la foi et de la loi catholiques. Il refuse la tentation de Satan et engage courageusement le combat contre lui... Et Vous, Très Saint Père ? Votre libéralisme s’est fait de pastoral doctrinal, de pratique théorique, était-ce délibéré ? était-ce prémédité ? Il y avait déjà de votre part témérité immense à enfreindre toutes les condamnations de vos Prédécesseurs pour adopter un comportement libéral, fût-ce sous les meilleures intentions apostoliques. Mais pris dans l’engrenage, entraîné de la deuxième tentation, qui consiste à tenter Dieu par l’extravagance, à la troisième qui abandonne Dieu pour suivre Satan, Vous êtes tombé dans le culte de l’Homme qui se substitue à Dieu, culte luciférien auquel se reconnaît l’Antéchrist.

« Vous avez proclamé ce nouveau Credo le 7 dé­cembre 1965 en présence de tous les Évêques du monde, inattentifs, complices, envoûtés, je ne sais. Mais la Sainte Église ne peut, ne pourra jamais souscrire à de tels propos. De ce jour, il est certain que vous deviez être retranché de l’Église du Christ pour aller à l’Église qui est la Vôtre, la Contre-Église, la Synagogue de Satan où l’homme se fait dieu. Vous êtes encore, par l’inertie, par la lâcheté des hommes, sur le Siège de Pierre, dans les fonctions de Juge ­Suprême de l’Église. Notre Accusation Capitale porte sur votre libéralisme et votre culte de l’Homme qu’elle déclare blasphématoires, hérétiques, schismatiques et, pour tout dire, apostats. La Décision vous appartient. Vous êtes toujours le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Jugez Vous-même et, si j’ai menti, retranchez-moi. Vous savez que je ne mens pas. Si j’ai dit la Vérité, retranchez-Vous de cette Communauté Sainte que Vous avez trahie ! »

« Jugez Vous-même » : l’abbé de Nantes ne juge pas, Excellence, il accuse, et en appelle au jugement du Souverain Pontife.

L’Avertissement épiscopal s’achève sur une interrogation : « Aujourd’hui, la CRC n’a plus de prêtre, et se comporte de manière ambiguë dans son rapport à ses propres membres et à l’Église catholique. Les membres de la CRC insérés dans des paroisses ordinaires font-ils de l’entrisme idéologique ou cherchent-ils simplement à vivre leur foi ? Dieu le sait. »

Non, ce n’est pas de “ l’entrisme ” puisque nous sommes déjà « dedans », au Cœur de l’Église, pour en recevoir chaque jour la vie de la grâce et la miséricorde qui coulent des deux bras de la Croix et du Cœur transpercé de l’Immaculée, debout au pied de la Croix. Telle est notre foi, inchangée, inchangeable pour cause de perfection divine.

frère Bruno de Jésus-Marie

Dès 1971, le cardinal Suenens, archevêque de Malines, primat de Belgique, déclarait Vatican II “ dépassé ” et réclamait la réunion d’un concile Vatican III. « Déjà ? » s’étonnait l’abbé de Nantes.

Mais il saisit la balle au bond :

« Nous, Ligue de la Contre-Réforme catholique au xxe siècle, tout bien pesé, nous sommes pour. Nos Pères ont perdu Vatican II parce qu’ils dormaient pendant la bataille, d’un lourd sommeil dogmatique qu’une volte-face du Pape a surpris et défait. Il faut qu’on en finisse une bonne fois dans ce match qui oppose depuis cent cinquante ans catholiques intransigeants et libéraux, leur donnant alternativement la victoire aux uns et aux autres. Les premiers exaltent le culte de Dieu, les droits de Dieu et de l’Église. Les seconds rêvent d’associer aux droits de Dieu les droits de l’Homme, à la liberté de l’Église l’autonomie du monde moderne et de sa culture humaniste, ils instaurent dans le sanctuaire le culte de l’Homme... Nous en avons assez. Il faut que l’Église se prononce ­infailliblement, définitivement. C’est une question de foi, une question d’honneur, de vie ou de mort. »

(Conférence du 13 mai 1971, Préparer Vatican III, grande salle de la Mutualité, à Paris, parue in CRC n° 46, juillet 1971.)