Il est ressuscité !

N° 234 – Juillet 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Au pape François 
pour qu’il « revienne » (Luc 22, 32)

APRÈS avoir déclaré à ses cousins qu’elle ne viendrait pas au rendez-vous de la « Dame » parce que le curé de Fatima avait dit que « ce pourrait être le démon », le matin du 13 juillet 1917, « quand approcha l’heure à laquelle je devais partir, rapporte Lucie, je me sentis soudainement poussée à y aller par une force étrange à laquelle il m’était très difficile de résister. Je me mis alors en chemin et je passai par la maison de mon oncle pour voir si Jacinthe était encore là. Je la trouvai dans sa chambre avec son petit frère François, à genoux au pied du lit et pleurant.

« “ Vous n’y allez pas ? ” demandai-je.

 Sans toi, nous n’osons pas y aller. Allons, viens !

 Eh bien ! j’y vais ”, leur répondis-je.

« Alors, le visage joyeux, ils partirent avec moi. »

Ti Marto, lui, le papa de François et Jacinthe avait résolu de se trouver auprès de ses enfants. La chaleur était torride, et l’on se protégeait du soleil avec les parapluies. « Je me trouvai donc tout près de ma Jacinthe. Lucie, agenouillée un peu plus en avant, récitait le chapelet, et tous répondaient à haute voix. Le chapelet terminé, elle se leva si rapidement qu’elle ne sembla pas agir d’elle-même. Elle regarda vers le levant, et s’écria :

« “ Fermez les parapluies ! Fermez les parapluies ! ” qui servaient d’ombrelles, car il était midi et la chaleur était accablante : “ Notre-Dame arrive ! 

« Pour moi, avoue Ti Marto, j’avais beau regarder, je ne voyais rien. Cependant, en faisant plus attention, je vis comme un léger nuage cendré, qui planait sur le chêne-vert. Le soleil s’obscurcit et l’on sentit un souffle frais, agréable. Il ne semblait plus que nous étions au plus fort de l’été. La foule était tellement silencieuse qu’on en était impressionné.

« Alors, je commençai à entendre un son, un bourdonnement, quelque chose comme le bruit que ferait une grosse mouche dans une cruche vide. Mais je n’entendais aucune parole. »

Tous purent constater que le jour s’assombrissait, comme au moment d’une éclipse, tout le temps que dura l’extase des enfants. Tandis que la température diminuait sensiblement et que la teinte de la lumière se modifiait, l’atmosphère devint jaune d’or et une nuée blanchâtre, fort agréable à voir, enveloppa les voyants.

Non ! Ce ne pouvait être le démon ! En vérité la Très Sainte Vierge descendait du Ciel, une troisième fois, pour parler à ses confidents... et leur montrer « les démons et les âmes des damnés » plongés dans les flammes de l’Enfer, qui étaient « comme un océan de feu ».

Les enfants l’ont vu de leurs yeux, aussi réel que celui de la guerre qui embrase le monde depuis 1917... jusqu’aujourd’hui.

Cette vision nous fait prendre la mesure de l’horreur du péché, afin que nous n’en prenions pas notre parti : le péché définitif, le péché sans rémission, le péché sans mélange de miséricorde, enfin le péché dressé contre Dieu et lui faisant obstacle, lui portant ombrage, le défiant éternellement.

Parmi « les âmes des damnés » vues par les enfants, se trouve la personne de Judas, homme comme nous, choisi pour Apôtre par Jésus, l’un des Douze. Or, de cet intime, le Seigneur prononce la parole que des milliards d’hommes ne pourront lire sans frémir d’horreur : « Malheur à cet homme par qui est trahi le Fils de l’homme. Il eût mieux valu pour cet homme n’être pas né. » (Mt 26, 24 ; Mc 14, 21)

« Au soir du Vendredi saint, passé le voile, ayant quitté la scène du monde, Jésus se hâte vers les Enfers, et le bon larron le suit de près, ne voulant point s’en séparer. Et l’autre, le mauvais larron ? Sont-ils venus lui serrer la main en riant ? Allons, c’est fini, réconcilions-nous ! Inconcevable comédie. L’ont-ils laissé tomber dans l’abîme, sans un regard ? ou pis : Allez, maudit, au feu éternel ! Impossible tragédie. Alors ? » (CRC n° 128, avril 1978, p. 5)

« Ah ! luttons contre l’Enfer mais n’interrogeons plus Dieu sur l’œuvre de son Premier et Éternel chagrin ! » (ibid., p. 14)

« Consolez votre Dieu », avait déjà dit l’Ange du Portugal, précurseur de Notre-Dame. Mais celle-ci, après avoir montré aux enfants « l’Enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs », leur dit avec bonté et tristesse :

« Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » Donc, l’Enfer existe, qui est une damnation éternelle en châtiment du péché. Le péché est la révolte de la créature contre Dieu, le Père, son Créateur. Cette « Dame » est envoyée par lui, pour faire la paix, ici-bas et au-delà.

Ici-bas, il faut d’abord que l’on « cesse d’offenser Dieu », sinon « Dieu va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père. Pour empêcher cela, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis. Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix. »

La conversion de la Russie séparée de Rome depuis le schisme “ orthodoxe ” ? C’était promettre un bien grand miracle, comme on n’en avait encore jamais vu dans l’histoire de l’Église !

Lucie aura une nouvelle apparition le 13 juin 1929, douze ans plus tard, à Tuy, où elle était entrée au couvent des Dorothées, en Espagne. Elle avait reçu, avec le saint habit, le nom de sœur Maria das Dores. « Notre-­Seigneur m’avertit, raconte Lucie, que le moment était venu où il voulait que je fasse connaître à la sainte Église son désir de la consécration de la Russie et sa promesse de la convertir ”. »

Entre-temps, les « erreurs de la Russie » s’étaient aggravées. La « révolution d’octobre » l’avait mise à feu et à sang, et la foule rassemblée à la Cova da Iria pour assister au “ miracle ” promis par Notre-Dame pour que « tout le monde croie », le 13 octobre 1917, précisément, avait vu le soleil lui tomber sur la tête puis remonter à sa place dans le ciel, comme une figure du miracle sauveur à venir : celui de la double guérison des « erreurs de la Russie », orthodoxe et communiste, renvoyées au Diable dont elles venaient l’une et l’autre, et du retour à la civilisation ­chrétienne dont la Russie était née.

Mais le pape Pie XI ne voulut rien entendre de cette divine demande contraire à sa politique, et nous avons eu la Deuxième Guerre mondiale, dix ans après, 1929-1939. Les successeurs, de Pie XII à Benoît XVI, ont fait la sourde oreille, chacun à son tour. Le siècle achevé, un nouveau millénaire a commencé sans que le Saint-Père « daigne » répondre à la demande que lui faisait gracieusement la Mère de Dieu.

Les conséquences prévues, et confiées aux trois enfants le 13 juillet 1917 comme un suprême avertissement, ne furent publiées qu’en l’an 2000 au lieu de la date prescrite, de 1960. Elles achèvent de s’accomplir sous nos yeux à la lettre : le Saint-Père, « vêtu de Blanc », traverse la Cité sainte « à moitié en ruine », lui-même « à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine », priant pour « les âmes des cadavres qu’il trouve sur son chemin ». Afin qu’elles ne tombent pas entre les mains des démons de l’Enfer, comme celles que les enfants ont contemplées dans cet « océan de feu » ! Cette prière a précisément pour objet de « réparer » les insultes que schisme et hérésie répandent dans l’Église depuis le concile Vatican II, contre le Cœur Immaculé de Marie.

« Vois, ma fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler et dis que tous ceux qui, pendant cinq mois, le premier samedi, se confesseront, recevront la sainte Communion, réciteront un chapelet, et me tiendront compagnie pendant quinze minutes en méditant sur les quinze mystères du Rosaire, en esprit de réparation, je promets de les assister à l’heure de la mort avec toutes les grâces nécessaires pour le salut de leur âme. »

Cinq premiers samedis pour “ réparer ” cinq sortes de blasphèmes et indifférences qui blessent le Cœur Immaculé de Marie. Les trois premiers, pour méditer et contempler son Immaculée Conception (Il est ressuscité n° 233, juin 2022, p. 3-4), sa virginité perpétuelle et sa maternité divine.

II. « TOUJOURS VIERGE »

La Sainte Vierge est plus divine qu’humaine, puisqu’elle est l’Immaculée Conception. Cela bien établi, il nous reste à comprendre que Dieu veut que nous l’aimions, elle, d’un amour de préférence, l’emportant même sur l’amour que nous lui portons à lui.

Pourquoi ? Parce qu’elle est la Vierge Immaculée prédestinée à être la Mère de Dieu, non seulement au-dessus de toutes les femmes par sa beauté ravissante et pleine de grâce, mais parce qu’elle est vouée à être la mère de tout le peuple des sauvés.

Annoncée dès l’origine, dans le “ Protévangile ”, avant la sentence de condamnation qui chasse nos premiers parents du paradis terrestre, brille l’annonce de la maternité virginale de Marie. Dieu s’adresse au serpent : « Je mets une hostilité entre ta semence et la sienne. » (Gn 3, 15) La “ semence ” de la femme ? Oui ! sperma autès, la “ semence ” de l’Immaculée, en qui la puissance de ­l’Esprit-Saint opère une « facile parthénogénèse » par l’ « imperceptible miracle » de la modification des chromosomes XX en XY qui déterminerait le sexe masculin de l’enfant : « J’assiste comme au microscope électronique, à la minute bouleversante où ce fruit détaché de vous se fixe, se creuse un nid et réussit la première opération de son développement autonome. »  (G. de Nantes, Pages mystiques, Noël 1972)

Tout au long de l’Écriture, de saintes femmes annoncent l’accomplissement de cette vocation de la Vierge. Dès le chapitre vingt-quatrième de la Genèse, l’histoire du mariage d’Isaac est une véritable introduction au mystère de l’Annonciation, premier mystère joyeux de notre Rosaire.

Abraham envoie le régisseur de tous ses biens en Haute Mésopotamie, à Harân, pays de sa parenté : « Yahweh enverra son ange devant toi », ce doit être l’ange Gabriel ! « ... pour que tu prennes une femme pour mon fils. » Il s’agit de la Vierge Marie, afin qu’elle soit la Mère du Sauveur...

« En tout cas, ne ramène pas mon fils là-bas... » La parole de Dieu doit s’accomplir, Jésus doit venir d’ailleurs... du Ciel pour sauver les hommes.

Arrivé à Harân, l’envoyé d’Abraham voit sortir Rébecca « qui était fille de Bétuel, fils de Milka, la femme de Nahor, frère d’Abraham, et elle avait sa cruche sur l’épaule. La jeune fille était très belle, elle était vierge, aucun homme ne l’avait approchée. Elle descendit à la source, emplit sa cruche et remonta. Le serviteur courut au-devant d’elle et dit :  S’il te plaît, laisse-moi boire un peu d’eau de ta cruche.  Elle répondit : Bois, ­Monseigneur  et vite, elle abaissa sa cruche sur son bras et le fit boire. » C’était le signe qu’il avait demandé à Dieu pour savoir s’il était arrivé à bon port.

« Quand elle eut fini de lui donner à boire, elle dit : Je vais puiser aussi pour tes chameaux, jusqu’à ce qu’ils soient désaltérés.  Vite elle vida sa cruche dans l’auge, courut encore au puits pour puiser et puisa pour tous les chameaux. L’homme la considérait en silence, se demandant si Yahweh l’avait ou non mené au but. »

Quelle parole merveilleuse ! s’écriait notre Père. C’est une consultation du Saint-Esprit !

« La jeune fille courut annoncer chez sa mère ce qui était arrivé. » N’oubliez pas que c’est la figure de Marie. Cela nous la fait connaître. Ce texte est inspiré pour nous faire connaître par avance les vertus, le caractère, la silhouette même, de la Vierge Marie. Nous, nous manquons d’imagination... Mais l’Écriture sainte nourrit notre cœur et le réjouit.

Il se présenta alors : « Je suis le serviteur d’Abraham. Yahweh a comblé mon maître de bénédictions et Sara, la femme de mon maître Abraham, lui a, quand il était déjà vieux, enfanté un fils, auquel il a transmis tous ses biens. » C’est Isaac, l’enfant de la Promesse né miraculeusement de Sarah, figure de Jésus, fils de Marie.

« Mon maître m’a fait prêter ce serment : Tu ne prendras pas pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens dont j’habite le pays. Yahweh en présence de qui j’ai marché, enverra son Ange avec toi, il te mènera au but et tu prendras pour mon fils une femme de ma famille, de ma maison ­paternelle. ” »

Transposez : pour le salut du monde, il faut une Vierge pure, pas une païenne souillée de tous les crimes de la descendance d’Adam et Ève. La Vierge Marie est déjà, depuis les origines, de la famille de Dieu, elle habite déjà la maison paternelle : « Je suis du Ciel. » Le chemin de l’archange Gabriel est tracé. Va-t-il aboutir ? Le destin du monde est en suspens !

« La jeune fille qui sortira pour puiser, à qui je dirai : S’il te plaît, donne-moi à boire un peu d’eau de ta cruche et qui répondra : Bois toi-même et je puiserai aussi pour tes chameaux, ce sera la femme que Yahweh a destinée au fils de mon maître. Je n’avais pas fini de parler en moi-même que Rébecca sortait, sa cruche sur l’épaule. »

Ainsi, quand le Saint-Esprit inspire les âmes fidèles, tout converge à l’accomplissement des desseins de Dieu : « Laban et Bétuel prirent la parole et dirent :  La chose vient de Yahweh, nous ne pouvons te dire ni oui ni non. ” » C’est Rébecca qui dira :

« Ecce ancilla Domini. »

« Rébecca est là devant toi : prends-la et pars, et qu’elle devienne la femme du fils de ton maître, comme a dit Yahweh. »

« Qu’il me soit fait selon votre parole ! »

« Ils bénirent Rébecca et lui dirent :  Notre sœur, ô toi, deviens des milliers de myriades ! Que ta descendance conquière la porte de ses ennemis ! ” »

Telle était précisément la vocation d’Adam et Ève, de peupler le monde, et celle de « la Femme » d’être victorieuse de Satan. Et Jésus promettra que les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais contre son Église.

Au retour de la caravane de Rébecca en Canaan, « Isaac sortit pour se promener dans la campagne, à la tombée du soir, et, levant les yeux, il vit que des chameaux arrivaient. »

C’est le Fils de Dieu, dans les vergers du Ciel, qui attend depuis des siècles Celle qui lui est promise, dont il sera l’Enfant, et plus tard l’Époux.

« Alors, elle prit son voile et se couvrit. »

La nudité originelle d’Adam et Ève n’est plus de mise. “ La Femme ” protège sa virginité, son Immaculée Conception, en se couvrant d’un voile pudique pour se présenter à son époux. Ainsi de l’Immaculée et de son vœu de virginité. Dieu l’a pour agréable, et cependant elle sera la Mère du Messie.

MÈRE DE DIEU

Selon saint Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu. » Non pas qu’il se fasse lui-même Dieu, mais pour qu’il soit fait Dieu, c’est-à-dire que la divinité habite son corps, son sang, son âme, son cœur, toute sa pensée. Cela s’accomplit d’abord en la Vierge Marie, cette Rébecca nouvelle.

« Ne craignez pas Marie, parce que vous êtes pleine de grâce. » Notre Père soulignait toujours la suite : « Le Seigneur est avec vous. » Tellement est nécessaire l’habitation du Saint-Esprit dans cette chair fragile, dans cette tige délicate que nous chantons chaque jour à midi avant sexte et qui doit porter le fruit béni de ses entrailles virginales au risque de rompre sous le poids de la divinité : « Germinavit radix Jesse, orta est stella ex Jacob : Virgo peperit Salvatorem : te laudamus, Deus noster, Une tige nouvelle a paru sur la racine de Jessé, l’étoile s’est levée de Jacob ; la Vierge a enfanté le Sauveur : nous vous louons, ô notre Dieu ! »

Nous le savons, l’Immaculée Conception est à tout instant assistée de la Force divine du Saint-­Esprit. « Vous avez, en effet, trouvé grâce devant Dieu. » Saint Pierre Chrysologue commente : « En disant cela, l’Ange lui-même s’étonne de ce qu’une femme ait seule mérité, ou de ce que les hommes aient mérité la vie par une femme. »

Tout est étonnant ! Que cette “ Femme ” devienne ainsi la Corédemptrice du monde, la Médiatrice universelle de la grâce achetée par son divin Fils au prix de son sacrifice sur la Croix, ravit nos cœurs. Depuis que saint Jean a entendu Jésus lui dire, avant de rendre le dernier soupir : « Voici ta mère ! » elle nous presse d’entrer dans son Cœur, de renaître nous-mêmes de son sein par le baptême et devenir ainsi enfants de Marie, et de nous attacher à cette Mère. Elle est Vierge, elle est Immacuée, et cependant elle porte un enfant dans son sein, puis dans ses bras. Elle nous l’offre et nous demande de la reconnaître pour notre Mère. Ceux qui refusent lui causent un inconsolable chagrin parce qu’ils marchent à l’Enfer. Et nous pécheurs, si nous voulons surprendre la bénédiction de Dieu et obtenir miséricorde, imitons Jacob et consolons notre Rébecca en nous pliant à toutes ses exigences, ou plutôt aux conseils de notre Mère, la Vierge Marie, et nous serons sauvés.

Rébecca mit au monde deux jumeaux, Ésaü et Jacob. Ésaü était l’aîné. Il devint un habile chasseur, courant la steppe. Isaac préférait Ésaü, non pas qu’il l’aimât, mais parce que le gibier était à son goût. Rébecca préférait Jacob, qui demeurait auprès d’elle, faisait son jardin, lui apportait des carottes, des petits pois. Un jour, Ésaü rentra de la chasse bredouille, sale, exténué, affamé. Il y avait précisément un plat de lentilles qui mijotait. Ésaü réclame ce plat, Jacob ne veut pas le lui donner. Finalement, Ésaü échange son droit d’aînesse, dont il n’a que faire, contre ce plat de lentilles ! Il se vend ? Il se perd ! Il s’éloigne de son père, lui, l’aîné qui porte dans ses reins la promesse du Messie. Horrible sacrilège qui le met sur le chemin de la damnation. Un jour Isaac, son père, sentant venir sa fin prochaine, lui demande de lui servir un bon repas, rituel, avant de lui donner sa bénédiction finale. Rébecca qui a entendu le discours du patriarche à son fils Ésaü, dit à Jacob : « Cours au troupeau et apporte-moi deux beaux chevreaux et j’en préparerai un régal pour ton père, comme il l’aime. » Jacob comprend que sa mère veut surprendre la bénédiction d’Isaac, sourd et aveugle, à son profit à lui tandis qu’Isaac croira la donner à Ésaü. Il dit à sa mère : « Vois, mon frère Ésaü est velu et moi, j’ai la peau bien lisse, peut-être mon père va-t-il me tâter. Il verra que je me suis moqué de lui et j’attirerai sur moi la malédiction au lieu de la bénédiction. »

Rébecca répondit : « Je prends sur moi la malédiction, mon fils. Écoute-moi seulement et va me chercher les chevreaux. » Il ne s’agit donc pas d’un mensonge, mais d’un mystère. Jacob obéit à sa mère qui apprêta un régal comme son père aimait.

« Rébecca prit les plus beaux habits d’Ésaü, son fils aîné, qu’elle avait à la maison, et elle en revêtit Jacob, son fils cadet. Avec la peau des chevreaux, elle lui couvrit les bras et la partie lisse du cou. Puis elle mit le régal et le pain qu’elle avait apprêtés entre les mains de son fils Jacob. »

C’est elle qui fait tout : elle couvre son fils de la peau des animaux sacrifiés. Ainsi son fils est pour moitié dans sa peau, et il partage pour moitié la condition de son frère aîné.

« Il alla à son père et lui dit :  Mon père. Isaac répondit :  Oui, qui es-tu, mon fils ?

– Je suis Ésaü, ton premier-né. J’ai fait ce que tu m’as commandé.

– Comme tu as vite fait, mon fils !

– C’est que Yahweh, ton Dieu, m’a été propice.

« Jacob s’approcha de son père Isaac qui le tâta et dit :  La voix est de Jacob, mais les bras sont ceux d’Ésaü. ” »

Ainsi fera Jésus, Fils de Dieu, se couvrant de la mauvaise nature du fils d’Adam, à l’exception du péché. « Il ne le reconnut pas car ses bras étaient velus comme ceux d’Ésaü, son frère, et il le bénit. »

C’est ainsi que Dieu ne reconnut pas son Fils Jésus dans cette loque pendue à une croix et, pour ainsi dire, l’abandonna à son sort. Parce que Jésus avait voulu prendre en vérité nos péchés sur lui afin de nous sauver, et Dieu bénit la victime offerte.

FACILE PARTHÉNOGÉNÈSE

GLOIRE à Vous, ô Marie, inestimable, précieuse Chair en laquelle le Verbe divin s’est fait homme, Créature miraculeuse à la jonction des deux infinis, de la grandeur divine et de l’humaine pauvreté. Vous êtes ma Sœur par l’humain lignage que Jésus racheta de son sang. Vous êtes ma Mère par l’enfantement nouveau de la grâce, vous êtes ma Fille dans l’indicible humilité qui vous agenouille aux pieds du prêtre le plus misérable pour baiser ses mains consacrées.

Non, le Prophète n’a pas menti qui annonçait merveille plus belle que toutes, une Vierge qui devait concevoir et enfanter l’Emmanuel. Non, les Évangélistes ne nous trompaient pas dans leurs récits enchanteurs de l’Annonciation et de la Nativité où tout est dit par le menu pour notre joie. Non, les splendeurs de toutes les liturgies de l’Orient et de l’Occident ne dépassèrent pas la vérité en vous adressant leurs louanges comme à la très pure, l’inviolable, l’Immaculée, toujours Vierge et très Sainte Mère de Dieu. Non, les saints, toute la cohorte des cénobites et des vierges, n’ont pas erré en fondant leur vie plus angélique qu’humaine sur votre doux exemple, eux qui coururent dans le sillage de votre féconde virginité devenue la plus chaste maternité.

Non, non, non, la sainte Église ne m’a pas trompé en me donnant pour modèle votre admirable compagnon, saint Joseph, votre époux bien-aimé, et en me recommandant de remplir mon cœur de vos vertus, ô Marie, ô Toute Pure, pour courir à l’encontre de la chair, du monde et du démon, sans détresse, sans lassitude, sur le chemin du Ciel.

Le Père vous a aimée d’un amour jaloux, dès le premier instant de votre conception, détournant avec toute puissance l’aiguillon du péché, du désordre et du châtiment. Le Fils vous a élue et ornée de grâces, désirant d’un grand désir prendre chair en vos entrailles et se nourrir de votre sang. L’Esprit-Saint vous fut envoyé par le Père et le Fils en cette mission d’amour pour embraser et sanctifier sans mesure votre esprit et votre cœur, afin que votre saint corps produise à l’heure dite la cellule unique que l’âme du Seigneur devait faire sienne.

Je jubile à la pensée de cet embrassement des trois divines Personnes vous tenant intimement unie dans un chaste et triple baiser, ô Femme en laquelle s´est formé le fruit de vie qui n’a d’autre Père que Dieu ! Je sais maintenant par la science tout le détail et l’humble ordonnancement de ce miracle auquel étaient prédisposées les lois de la nature. Je sais l’ovule singulier, portant votre code génétique, ô Marie, son ADN retenant tout l’héritage de votre race et tout votre caractère, prêt à repartir sous l’opération du Saint-Esprit dans la fantastique réplication qui formerait un nouvel être si parfaitement semblable à vous que nul fils jamais ne ressembla tant à sa mère. Je sais la modification des chromosomes XX en XY qui déterminerait le sexe masculin de l’enfant, imperceptible miracle de cette facile parthénogenèse...

J’assiste comme au microscope électronique, à la minute bouleversante où ce fruit détaché de vous se fixe, se creuse un nid et réussit la première opération de son développement autonome. Alors l’âme de Jésus vit en votre sein, Dieu est parmi nous caché dans ce Sanctuaire pourpre, ô royal Emmanuel ! Ah, tout ce mystère est inconnu des humains et connu de Dieu seul. Aucun homme ne vous a approchée, ô Marie, aucun désir charnel ne vous a émue, ô Vierge, aucun sang étranger ne s´est mêlé au vôtre, Immaculée Mère de Jésus ! Cet enfant qui se nourrit amoureusement de votre substance, quand il quittera son premier abri terrestre n’en déflorera pas l’honneur. Miracle encore que le passage de votre fils aux fontaines scellées de votre sein, sans douleur, sans déchirures, sans effusion d’une seule goutte de votre sang. Toute l’Église, ô Mère, dans son immense vénération, l’a compris d’instinct. Celui qui a voulu résider dans votre sein sans blesser votre virginité ne devait, ne pouvait pas, lui-même, la rompre au jour heureux de son Noël ! C’est pourquoi vous êtes en toute vérité aujourd’hui encore et pour toujours LA VIERGE que chantent les siècles que louent les chœurs des anges répétant sans fin : Ave Virgo, Salve, Mater, Ave Maria ! Toute virginité s’enracine en celle de votre Fils et en la vôtre. Toute maternité s´efforce de retrouver quelque participation de celle qui fut votre gloire unique. Plus que toutes, la maternité spirituelle de l’Église continue votre engendrement du Christ, de l’Annonciation à la Nativité, et de la Passion à la Pentecôte ; car le Christ Fils de Dieu a donné à tous ses frères de renaître comme il est né de Vous, non du mélange des sangs, non de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu (Jean 1, 13).

Ah ! que nul ne touche à ce mystère, ne doute de ce miracle. Que nul ne rompe d’une seule pensée injurieuse la certitude limpide de votre enfantement virginal. Y toucher, c’est le violer, c’est atteindre nos vies en leur source, et frapper de mort toutes nos renaissances spirituelles ! Cela ne sera pas, cela ne sera jamais. La sainte Église ne sera pas longtemps en déshérence, privée de Pasteurs vigilants et de saints Docteurs. La sainte Église ne tardera plus longtemps à définir infailliblement votre Virginité Perpétuelle, ô Marie. Car il est écrit de l’Adversaire que Vous lui écraserez la tête.

(Page mystique n° 52, p. 257-260, Noël 1972)

PORTE DU CIEL

L’affirmation de la virginité perpétuelle de Marie est formulée en toutes lettres dans la description du porche du Temple restauré, prophétisé par le prophète Ézéchiel après la destruction de celui de Salomon par Nabuchodonosor : « Yahweh me dit : Ce porche sera fermé. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahweh, le Dieu d’Israël, y est passé. Aussi sera-t-il fermé. Mais le prince, lui, s’y assiéra pour y prendre son repas en présence de Yahweh. C’est par le vestibule du porche qu’il entrera et c’est par là qu’il sortira. ” » (Ez 44, 2-3)

C’est une extraordinaire description de l’incarnation du Verbe, dictée par l’Esprit-Saint qui en sera l’artisan : pour prendre chair, « le prince », Fils de Dieu, entre dans ce sanctuaire fermé que constitue le sein virginal de Marie, à la parole de la Sainte Vierge : « Ecce ancilla Domini. Fiat mihi secundum verbum tuum. »

Marie est aussi le Buisson ardent d’où Yahweh a dit son nom à Moïse, comme nous le lisons dans le livre de l’Exode et le chantons chaque jour avant tierce :

« Rubum quem viderat Moyses incombustum, conservatam agnovimus tuam laudabilem virginitatem : Dei Genitrix, intercede pro nobis. »

« Dans le buisson que Moïse voyait brûler sans se consumer, nous reconnaissons la préservation de votre admirable virginité. Mère de Dieu, intercédez pour nous ! »

Le buisson brûlait, mais ne se consumait pas. Vierge avant, pendant et après l’enfantement du Sauveur, l’Immaculée demeure à jamais le foyer incandescent de l’amour et de la miséricorde au milieu du buisson d’épines que nous sommes nous autres, pauvres pécheurs. La virginité de Marie n’est pas atteinte par la conception de l’Enfant-Jésus, comme le buisson ardent n’était pas atteint par le feu dont il brûlait, qui n’était autre que la Présence de « Je suis » !

L’antienne que nous chantons avant prime applique l’histoire de la toison de Gédéon que nous lisons dans le livre des Juges au mystère de l’Incarnation. Avant d’attaquer les Madianites « Gédéon dit à Dieu :  Si vraiment tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l’as dit, voici que j’étends sur l’aire une toison de laine : s’il y a de la rosée seulement sur la toison et que le sol reste sec, alors je saurai que tu délivreras Israël par ma main, comme tu l’as dit. ” »

Et il en fut ainsi. Gédéon se leva le lendemain de bon matin, il pressa la toison et en exprima la rosée, une pleine coupe d’eau, figure de Jésus descendu du Ciel dans le sein de la Vierge Marie : « Sicut pluvia in vellus descendisti et salvum faceres genus humanum, comme la rosée sur la toison, vous descendîtes pour sauver le genre humain. »

Mais au mystère de l’Incarnation succédera celui de la Visitation par lequel le salut atteindra en effet tout le genre humain.

« Gédéon dit encore à Dieu :  Ne t’irrite pas contre moi si je parle encore une fois. Permets que je fasse une dernière fois l’épreuve de la toison : qu’il n’y ait de sec que la seule toison et qu’il y ait de la rosée sur tout le sol !  Et Dieu fit ainsi en cette nuit-là. La toison seule resta sèche », figure d’Israël rebelle à la grâce, « et il y eut de la rosée sur tout le sol » (Jg 6, 36-40). Tout le genre humain recevra la rosée de la grâce divine par le mystère de la Visitation qui porta saint Charles de Jésus aux extrémités de notre Empire et de son désert saharien pour la verser dans les âmes les plus délaissées.

VIERGE ET MÈRE

Dans l’Office du Très Saint Cœur de Jésus et Marie, saint Jean Eudes cite saint Bernardin de Sienne qui a recensé les paroles de Notre-Dame conservées dans l’Évangile. Sept paroles. Pas une de plus !

La première exprime « un amour séparant ».

« Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme ? »

Cette première parole est d’un « amour séparant » parce qu’il donne à la Vierge Marie cette joie, ce privilège incomparable de demeurer loin du monde et de ses tentations ou turpitudes, et même de toutes ses joies naturelles pour être toute à Jésus, son Fils unique. C’est un amour “ transformant ”. Il était déjà dans son Cœur Immaculé par sa foi et son espérance toutes pleines de la pensée du Messie qui devait venir. Maintenant, il a pris chair dans son sein virginal. C’est une “ transformation ” unique et merveilleuse, par privilège incomparable propre à l’Immaculée Conception. Les autres femmes doivent choisir entre la virginité, par la consécration religieuse qui les exempte du mariage, et le mariage où elles perdent leur virginité dans une sorte de sacrifice pour avoir des enfants. Les unes sont vierges, les autres sont mères. La Sainte Vierge est leur patronne aux unes et aux autres, parce qu’elle est Mère tout en restant Vierge, avant, pendant et après l’enfantement de son Divin Fils.

« Fiat ! Qu’il me soit fait selon votre Parole. »

Saint Bernardin de Sienne a raison de dire que cette parole est “ transformante ” car elle a “ transformé ” non seulement une Vierge en Mère, mais encore le monde abandonné par Dieu en objet de son divin Amour en la personne de cette Vierge Marie et de son Enfant Jésus qui s’offrent tous deux pour son salut. (à suivre

Frère Bruno de Jésus-Marie