Il est ressuscité !

N° 234 – Juillet 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2021

Géopolitique et orthodromie catholique : 
Vers le triomphe du Cœur Immaculé de Marie 
la France, la France seule

« La France, la France seule ! » telle fut l’exclamation imprimée par l’Action Française en manchette durant tout le temps de la Révolution Nationale, de 1940 à 1944, en soutien au maréchal Pétain, chef légitime et sauveur de la patrie. Avant de conclure ce camp de la Phalange, il faut en revenir à la France seule, à la France d’abord. Nous avons peu parlé de la France dans notre étude de l’histoire contemporaine. Après la Première Guerre mondiale, elle apparaît reléguée au second plan dans l’affrontement des nouvelles grandes puissances. Pire, elle semble engagée sur la voie d’un inéluctable déclin...

Et pourtant, la France a reçu du Ciel, dont nous avons vu qu’il imprime à l’histoire sa « force axiale », des promesses irrévocables : « Les fautes ne resteront pas impunies, disait saint Pie X en 1911, mais elle ne périra jamais, la fille de tant de mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes... » Au Ciel, sainte Jeanne d’Arc et sainte Thérèse, la miniature de l’Immaculée, nouvelle Jeanne d’Arc, sont à genoux devant Dieu et font prière pour nous. Par les Francs s’est accomplie la geste divine dans l’histoire ; ainsi, le renouveau de la Chrétienté ne saurait se faire sans eux ; tel est l’acte de foi sur lequel se fonde un avenir possible pour notre patrie.

1. En proie à l’angor patriæ, c’est-à-dire à l’angoisse que nous a léguée notre Père pour la patrie menée à l’abîme par de mauvais bergers, étudions les causes de son déclin depuis l’année 1944 de sinistre mémoire, dans une première partie.

2. Attachons-nous ensuite, dans une deuxième partie à l’étude des voies de son salut. Car il faut « que France continue », c’est ce qui justifie la défense égoïste de nos intérêts nationaux. Néanmoins, il faut que ces intérêts nationaux soient correctement définis, à la lumière de l’histoire, la géographie et, plus largement, de la vocation de la France. La première condition qui commande cet intérêt au quotidien et dans la durée, c’est qu’elle retrouve une tête, c’est-à-dire un chef catholique, qui nous manque cruellement.

III. Enfin, cet égoïsme national n’est pas un chauvinisme ni un repli sur soi ; la France ne doit pas être seule contre tous, elle ne doit pas rester isolée : elle a des alliances à renouer, afin de restaurer la Chrétienté sous le signe de Fatima.

PREMIÈRE PARTIE 
BILAN DE QUATRE-VINGTS ANS 
DE RÉPUBLIQUE ATHÉE ET ANTINATIONALE 
(1944-2021)

DE GAULLE, NAUFRAGEUR DE « LA PLUS GRANDE FRANCE ».

La première vérité historique que notre Père nous a apprise alors que nous étions ses élèves au collège Saint-Martin de Pontoise, c’est que c’est de Gaulle le traître et le naufrageur de la France, et particulièrement de son magnifique Empire colonial, « la plus grande France », comme on disait alors. Par la conférence de Brazzaville, en 1944, le général félon a ouvert la voie de la décolonisation, en laissant entrevoir une indépendance possible à nos sujets d’outre-mer. À l’Empire français, succède l’utopie gaullienne de “ l’Union française ”, les colonies s’administrant elles-mêmes dans un chimérique « cadre français ». Même si le général de Gaulle se trouve écarté du pouvoir durant la décennie suivante, la quatrième République continue sur la lancée de ­Brazzaville et laisse les mains libres aux révolutionnaires dans tout l’Empire. Vous vous souvenez de l’éditorial d’AMICUS, “ Sur nos morts sans sépulture ”, au sujet de la guerre d’Indochine ? AMICUS était alors notre professeur, et il nous expliquait tous les événements. C’était clair ! La perte de notre Empire colonial signait le déclin irrémédiable de la France, recroquevillée sur elle-même en Europe, coupée de ses débouchés et de ses matières premières.

Mais l’imposture suprême aura lieu en Algérie, où de Gaulle va montrer à quel point il est un homme du diable, traître à sa patrie. En 1958, il revient sur le devant de la scène en se faisant passer pour le sauveur de l’Algérie française. Et la même année, en démocrate de doctrine et d’action, il crée la cinquième République, plébiscité par la nation souveraine. Bien vite, il laisse voir son vrai dessein, d’abandonner l’Algérie. Dans le discours télévisé du 23 avril 1961, tout animé d’une haine froide contre les généraux putschistes, il expose clairement son « grand dessein » qu’il présente – imposture suprême ! – comme un « immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l’abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite en dépit de tout jusqu’à ce que la victoire fût remportée, l’indépendance assurée, la république restaurée ; effort repris en 1958 afin de refaire l’État, de maintenir l’unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au-dehors, de poursuivre notre œuvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation. »

Voilà le mythe, le programme gaullien. L’Algérie doit lui être sacrifiée sans remords, sans retard, comme avant elle l’œuvre salvatrice du Maréchal et toute la droite nationaliste française. Notre Père avait raison d’écrire, dans sa Lettre à mes amis no 114, qu’en 1944 « nous sommes entrés dans un monde faux où non seulement les idéologies des partis sont trompeuses, mais encore, mais surtout l’analyse des événements, la description des faits sont mensongères ». De Gaulle est celui qui nous a plongés dans le mensonge. Et nous n’en sortons pas ! Tous nos hommes politiques, même à gauche, sont gaullistes... C’est vraiment le « mal français » que nous allons retrouver à chaque tournant de cette conférence, parce que toute la politique étrangère de la cinquième République est gaulliste et donc démocrate et anticolonialiste.

Et... européiste :

L’ABSURDE « CAGE DE FER » EUROPÉENNE.

Car nous devons à de Gaulle de nous avoir engagés à fond dans la construction européenne, ainsi que le rappelle notre Père dans la CRC qu’il a consacrée à la critique du traité de Maastricht en 1992. Déjà le 16 juin 1940, de Londres et par téléphone, le général félon avait fait accepter par Paul Reynaud le projet d’une union franco-britannique préparé par Jean Monnet et approuvé par Churchill. Ce “ ­condominium franco-anglais ”, sous autorité anglaise évidemment, revenait à leur livrer notre magnifique Empire colonial qu’ils convoitaient depuis longtemps. Première trahison, première abdication de notre souveraineté entre les mains de l’étranger.

L’année suivante, la prétendue Résistance française inscrit la construction européenne dans son programme. Après-guerre, cette construction européenne est lancée par une initiative gaulliste, avec la déclaration Schuman de 1950 proposant la constitution d’une Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (la CECA). AMICUS dénonçait dans Aspects de la France cette prématurée et aberrante réconciliation franco-allemande, sous le signe de l’économie. Le personnel de la Résistance, antigermaniste hier quand cela lui profitait, trouve désormais son compte à l’alliance allemande. Jean Monnet sera logiquement le premier président de la CECA... Lui et Schuman accomplissaient ainsi le vœu de leur maître qui, à Zurich en 1946, « suggérait à la France et à ­l’Allemagne de construire les États-Unis d’Europe »... Si la CECA est abandonnée, ce n’est que provisoirement, et les abandons de Maastricht seront dans la droite ligne de cette première tentative de gouvernement européen autonome. Ainsi, il est difficile aux gaullistes de ­préconiser, contre l’Europe fédérale oppressive – celle de Mitterrand et de Maastricht – les vues d’un général de Gaulle partisan d’une Europe des nations, confédérale. Notre Père met les choses au clair : ces projets ne s’opposent qu’en apparence, ils conduisent tous deux à la trahison de la France au profit de la technocratie européenne. C’est-à-dire à un « Sedan diplomatique » ; à une abdication sans précédent de notre souveraineté, alors que nous n’avons été battus par personne. Aussi notre Père n’hésitait pas à titrer : “ Mitterrand après de Gaulle, en Haute Cour ! ” La Haute Cour cela veut dire que de Gaulle et Mitterrand étaient passibles de destitution pour indignité nationale, prévue dans la Constitution de la cinquième République, mais en pure perte contre les méchants. Les institutions de la cinquième République ont tenté un moment de “ résister ” aux prétentions croissantes de l’Europe souveraine, mais elles ont fini par accepter de se laisser dépouiller et reléguer à un rôle subalterne. De l’Assemblée nationale au Conseil Constitutionnel, toutes ces institutions ont failli dans leur devoir de défense de la France. Voilà tout ce dont sont capables les prétendus « patriotes ­républicains », de gauche comme de droite. Jamais les rois de France n’avaient trahi pareillement leurs devoirs, mis à part la trahison d’Isabeau de Bavière et le traité de Troyes en 1420, et il a alors fallu une sainte Jeanne d’Arc pour nous rendre le Roi. Il faudra de nouveau que le Ciel nous donne un Roi pour que nous retrouvions la pleine maîtrise de notre vocation française et catholique.

LA FRANCE DE 2021 : MUTILÉE, DÉMORALISÉE, RUINÉE.

En attendant, la France privée de son Empire colonial, démoralisée par des décennies de lois immorales et par l’apostasie grandissante dans l’Église catholique, se retrouve ruinée. Les années folles, les « trente glorieuses », les mythes du progrès illimité et de la croissance économique continuelle que nous ont vantée nos démagogues d’un jour, sont derrière nous.

D’un point de vue stratégique, la question des moyens est décisive, c’est-à-dire la question du budget que l’État accorde à l’Armée. Or, notre budget militaire est trop faible. Le pacifisme y est pour beaucoup, mais plus encore la crainte que la République voue à l’Armée, foyer de réaction. Résultat : le budget militaire qui plafonne à 1, 5 % du PIB, n’est pas suffisant pour que l’Armée puisse remplir correctement les missions que lui confie l’État.

D’autant plus que, les menaces contre l’ordre et la paix de notre nation se multipliant, l’État en demande toujours plus à l’Armée, sans lui octroyer des crédits supplémentaires, voire en effectuant de nouvelles coupes budgétaires... Cette surutilisation de l’outil militaire, cette usure des hommes et du matériel, est très inquiétante. Notre retrait programmé du Mali n’est pas étranger au risque de « surchauffe opérationnelle » comme disent les analystes. Concrètement, cela veut dire que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions, ni même les moyens d’assurer la défense de notre nation si une menace de grande ampleur survenait soudainement. Il faudrait viser au moins un budget militaire équivalent à 2 % du PIB, le chiffre recommandé par l’OTAN... Mais c’est impossible en République où l’État prétend se mêler de tout et n’a plus que des miettes à accorder à nos soldats après avoir jeté des milliards dans le gouffre de l’Éducation Nationale, et payé les intérêts de notre colossale dette publique. Quant à la situation démographique, elle est catastrophique. Si nous avions la densité démographique de l’Allemagne, nous devrions compter 130 millions d’habitants... Un pays dont la faiblesse démographique « de souche » doit être compensée par l’apport de l’immigration et de sa démographie ­envahissante, est une nation menacée dans son existence même. La leçon de l’Empire romain décadent est là pour nous le rappeler.

Et ce n’est pas notre dissuasion nucléaire qui doit tellement nous rassurer. Certes, nous sommes toujours dans la course en termes de dissuasion nucléaire, et c’est ce qui nous permet de conserver notre siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, mais comme disait Alain Minc, l’arme nucléaire est une « ligne Maginot bis ». Certes, elle est indispensable, mais elle nous a servi de prétexte pour réduire à la portion congrue nos forces conventionnelles. Or, c’est avec ces forces que nous faisons la guerre et que nous devons faire face aux menaces quotidiennes contre la paix de la nation. Il ne faut pas se leurrer, le nombre compte, car la plupart des conflits, surtout les conflits ­asymétriques, nécessitent de contrôler le terrain plutôt que de simplement localiser et attaquer l’ennemi. Il ne s’agit pas seulement de disposer de petites unités surarmées et surentraînées, ou des technologies les plus performantes du moment, mais il faut des hommes pour tenir le terrain. Cette réalité n’a pas disparu. Et la nier nous conduit, à l’exemple des États-Unis, à être capables de gagner des batailles, mais pas la guerre...

Ainsi, le fond des choses est que nous manquons d’un chef. Il n’y a pas de grandeur ni de redressement national sans une « grande politique », qui pense le bien commun et qui se donne les moyens de l’assurer. Et il n’y a pas de grande politique en France, parce qu’il n’y a pas de chef. Les fanfaronnades des « présidents chef des Armées » seraient risibles si elles n’étaient pas tragiques. Chaque Président veut faire “ sa ” guerre, quitte à mettre la France en grand péril. Comme Nicolas Sarkozy en Libye, ou François Hollande qui voulait à tout prix faire la guerre à Bachar el-Assad. C’était en 2013, souvenons-nous, et nous étions résolus à frapper la Syrie avec les États-Unis et les Anglais. C’est le pape François, en faisant réciter le chapelet place Saint-Pierre, qui a sûrement évité alors l’embrasement du Moyen-Orient.

Enfin, il n’y a plus de grande diplomatie. La cinquième République a réduit à peau de chagrin le rôle de la diplomatie, au profit de l’action directe du Président. Notre Père considérait que c’était une chose très grave, très dangereuse. La diplomatie est un métier, une tradition, une corporation, avec ses codes, ses réseaux et ses moyens de négocier. Le Chef de l’État qui change tous les cinq ans n’y comprend rien et multiplie les bévues. Nous avons encore un des plus grands réseaux diplomatiques du monde, mais à quoi sert-il ? D’autant plus que le Quai d’Orsay, siège du ministère des Affaires Étrangères, est profondément divisé entre le camp des néoconservateurs, partisans de l’alliance inconditionnelle avec les États-Unis, et le camp des héritiers du gaullisme et du mitterrandisme, partisans affichés de l’autonomie stratégique de la France. Et cette lutte en interne a des conséquences dans la politique de la France. En Libye, on a vu jusqu’où pouvait mener l’aberration quand François Hollande a laissé le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius défendre Sarraj, tandis que le ministre de la Défense Le Drian prenait le parti de Haftar, jusqu’à engager nos forces spéciales. Mais les deux camps – atlantistes et gaullistes – là encore, ne s’opposent qu’en façade ; c’est-à-dire qu’ils sont d’accord sur le fond : la France ne doit pas intervenir pour faire valoir ses intérêts nationaux, jugés systématiquement « cyniques » ou « néocolonialistes » ; elle n’a le droit d’intervenir que pour la défense des droits de l’homme et des valeurs républicaines. Les républicains au pouvoir se croient toujours investis de la mission de diffuser les idéaux de la Révolution de 1789 : liberté, égalité, fraternité. S’ils défendent les intérêts de nos grandes entreprises ou même notre sécurité nationale, c’est dans le plus grand secret voire dans l’illégalité. Voilà dans quelle impasse nous laisse la République aujourd’hui... Nous pouvons donc légitimement nous demander si nous ne sommes pas définitivement relégués aux bas-côtés de l’histoire...

DEUXIÈME PARTIE 
LE DOULOUREUX ET SALVATEUR RETOUR DU RÉEL 
(1991-2021)

Il n’y a pas eu de « fin de l’histoire » à l’issue de la guerre froide, contrairement à ce que certains esprits faux avaient annoncé. Il n’y a pas eu de « monde nouveau » et il n’y a pas de monde nouveau à attendre : les nations ont toujours des intérêts à faire valoir et qui, parfois, entrent en contradiction avec les intérêts d’autres nations. Alors, elles se font la guerre et le plus fort l’emporte. Ce n’est pas une question de cynisme ou de morale : l’intérêt d’une nation, c’est d’abord de survivre ; ainsi, à l’État sont d’abord confiées la survie physique et la liberté de la nation. Les ressources étant limitées, l’intérêt stratégique d’une nation est de se les approprier, si besoin par la force : dans beaucoup de pays, on se bat pour l’accès à la mer, à l’eau potable, à des terres agricoles fertiles, pour le contrôle de mines ou de matières premières... La guerre est l’état naturel des peuples et il n’y a aucune raison pour que cela cesse.

La défense de l’intérêt d’une nation passe aussi par sa capacité à coopérer avec d’autres nations, à créer des alliances, pour faire face à des menaces communes. Là non plus, la « coopération » n’est pas une fin en soi, une valeur... Elle doit être dirigée vers des objectifs précis. Et pour être en mesure de contracter des alliances, il faut être pris au sérieux par les autres nations. Pour que nous soyons considérés comme des partenaires crédibles, il faut que notre armée soit forte et surtout que notre politique étrangère soit cohérente, lisible. C’est déjà ce qu’observait Charles Maurras dans Kiel et Tanger : l’alliance allemande est jouable, l’alliance russe est jouable aussi, mais il faut choisir et se tenir à son choix... En République, c’est impossible : telle était sa conclusion en 1910. Telle est encore la nôtre...

Ce bref rappel était nécessaire pour ne pas oublier que l’intérêt d’une nation ne se réduit pas à la défense de “ valeurs ” et qu’une nation qui ne lutte pas pied à pied pour la défense de ses intérêts réels est une nation qui se condamne à disparaître. Il n’y a que nous, Français, qui soyons assez orgueilleux pour croire que nous nous sommes accordé à nous-mêmes le « don de la paix ». Mais désormais la guerre menace de tous côtés, et nos conférences de géopolitique vont nous permettre de faire la lumière sur toutes ces illusions qui nous ont fait tant de mal.

D’ABORD, « L’ORDRE MONDIAL » DE L’APRÈS-GUERRE FROIDE EST CONTESTÉ.

En ce début de vingt et unième siècle, l’illusion wilsonienne semble enfin se dissiper. Selon les principes de Wilson fondant la “ Société des Nations ” en 1920, un ordre international rationnel devait remplacer et réguler les traditionnelles, mais chaotiques, relations entre les États. Mais la Société des Nations a échoué à empêcher la Seconde Guerre mondiale ; pire, elle a même permis aux nations membres de s’aveugler sur l’imminence d’un pacte germano-soviétique. Pourtant après la Guerre, on a remis ça avec la création de l’ONU en 1946. Pour les mêmes échecs...

L’ONU a tout de même dû revoir ses prétentions à la baisse après un interventionnisme universel et intempestif dans les années 1990. Elle s’est montrée incapable de résoudre aucun des conflits qui lui ont été confiés, et particulièrement en Israël. Désormais, la France n’envoie presque plus de “ Casques bleus ”. Sage retour au réel. La « communauté internationale » ? – « Je ne connais pas cette dame ! » Voilà ce que devrait dire un vrai Chef d’État.

Déjà monsieur Macron a raison quand il dit que l’OTAN est en « état de mort cérébrale ». Il disait cela après le refus de la coalition de prendre parti pour la France ou pour la Turquie après l’agression d’un de nos navires par un bâtiment turc en Méditerranée, en 2020. Mais il y aurait quelque chose de mieux à faire que des discours, pour le Chef de l’État : ce serait de quitter le commandement intégré de l’OTAN. Surtout que l’OTAN nous entraînera peut-être demain dans une guerre contre la Russie.

Nos études de géopolitique et la doctrine catholique que nous enseigne notre Père nous l’ont appris : il n’y a pas d’Empire universel qui vaille ; du moins dans l’ordre temporel. La seule internationale qui tienne est spirituelle, c’est l’Église, dont le Chef est à Rome. Mais l’illusion est ancienne, puisqu’elle remonte à saint Augustin et que Dante l’a rappelée au Moyen Âge. Et c’est toujours ce même « rêve humaniste d’un Empire politique universel subsistant parallèlement au Pontificat romain, comme sa réplique temporelle et son bras séculier » que l’on retrouve « sous une forme maçonnique, dans la S. D. N. puis dans l’O. N. U. qui sont des tentatives masquées d’institution d’un gouvernement mondial, rival de Rome et antichrist », comme écrit notre Père dans la CRC no 132.

Les États-Unis sont habités par cette folie depuis leur création, comme nous l’a montré frère Michel. Néanmoins, l’attitude de la France à leur égard ne doit pas être systématique. Il ne faut pas faire de l’anti­américanisme un absolu. Par exemple, nous n’aurions pas pu mener l’opération Barkhane sans leur soutien logistique et technologique. On peut certes regretter que les États-Unis profitent de notre dépendance à leur égard pour exercer un droit de veto abusif sur nos opérations, mais c’est un fait avec lequel il faut savoir manœuvrer au mieux afin d’en tirer profit.

La même réserve prudente doit s’appliquer à l’ONU elle-même. Là encore, notre Père nous a appris à penser en politiques réalistes. Il disait : « Je me souviens d’un article d’Aspects de la France où le journaliste expliquait que l’ONU était un  machin  comme dit de Gaulle, et que la France ne devait pas claquer la porte, qu’il y a toujours beaucoup d’orgueil à claquer la porte et s’en aller, mais y rester en disant : c’est un machin, c’est un désordre cette ONU, mais si nous avions de vrais diplomates, ils pourraient au sein même de ce machin faire triompher les intérêts français, viser à écarter des périls et à pousser les Américains dans une autre voie. Les Américains n’ont pas beaucoup de tête, mais ils se laissent facilement gouverner, encore faut-il que quelqu’un le fasse. » Leur déception et leur colère après notre refus de nous engager à leur côté en Irak en 2003 sont le signe que notre avis a encore une certaine valeur.

Mais pour ce qui est de tirer parti au mieux de tous ces grands “ machins ” internationaux, les Anglais sont nos maîtres et nous ferions bien de les imiter. Eux, ils savent défendre leur intérêt national.

LA « CONSTRUCTION EUROPÉENNE » EST ÉBRANLÉE.

Et justement, en 2017, les Anglais ont eu la prudence d’abandonner le navire européen en train de prendre l’eau de toutes parts... Car après de brèves années d’euphorie économique et d’enthousiasme européiste, les crises se multiplient au sein de l’Union européenne. La crise financière de 2008 a eu de très graves répercussions en Europe, spécialement dans la zone euro. Le décrochage des nations aux économies les plus faibles s’est accéléré : le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce se sont trouvés au bord de la ban­que­route. Et la “ solidarité européenne ” s’est révélée très fragile, l’Allemagne refusant de rem­bourser les dettes de ces pays du sud qu’elle méprise.

Cette « solidarité » de principe a également été mise à l’épreuve par la crise de l’immigration et par celle, qui lui est directement liée, du terrorisme djihadiste. L’aberration d’un espace Schengen allant de la Hongrie à la péninsule ibérique s’est révélée sous son jour le plus menaçant pour notre sécurité nationale... De nouveau, la Grèce, la Hongrie, l’Italie ou l’Espagne se retrouvent en première ligne face aux vagues de migrants. Le retour au nationalisme dans ces pays européens est remarquable, avec des hommes comme Victor Orban en Hongrie ou Matteo Salvini en Italie, conscients de la responsabilité de leur pays dans la défense de la civilisation face aux nouvelles invasions barbares, mais aussi conscients de l’incapacité de l’Europe technocratique à faire face et à leur procurer un soutien efficace.

Quant à la crise du Covid-19 : elle a marqué un nécessaire retour aux frontières nationales, qu’il a bien fallu se résoudre à fermer pour stopper la diffusion de l’épidémie. Là encore, le « chacun pour soi » a été la règle, surtout lorsque les stocks de matériel médical ont commencé à fondre...

Pas d’Europe de l’immigration, pas d’Europe de la santé, pas d’Europe de la défense non plus. Au Mali, les renforts « européens » ont été et restent marginaux. La “ task Force Takuba ” où les militaires venus de tous les pays de l’Union doivent parler anglais pour se comprendre est une incongruité à peu près négligeable en termes stratégiques.

Par ailleurs, il n’y a pas de politique étrangère commune en dépit des organes administratifs ad hoc créés par Bruxelles. Les attitudes contradictoires vis-à-vis de la Turquie l’ont suffisamment prouvé. À la mi-2020, Recep Tayyip Erdogan a multiplié les rodomontades en Méditerranée et a mis fin au statut laïque de la basilique Sainte-Sophie, la transformant de nouveau en mosquée. Un prédicateur, sabre à la main, a prononcé un discours à la gloire d’Allah en présence du Chef d’État turc. Devant toutes ces provocations, la Grèce voisine s’est mise en état d’alerte. Tableau saisissant : à l’heure où Sainte-­Sophie redevenait une mosquée, les cloches de toutes les églises grecques se sont ébranlées en même temps ! La menace ottomane est de nouveau une réalité en Méditerranée. Et dire que les dirigeants européens envisageaient, il y a encore peu de temps, l’adhésion de la Turquie laïque et démocratique, au « rêve européen »... Mais il faut noter que la Grèce s’est finalement retrouvée isolée, très peu soutenue. Car les Turcs peuvent compter sur la complaisance de l’Allemagne qui, en raison de son solde démographique négatif, accueille depuis des décennies des millions de travailleurs turcs pour faire tourner ses usines. L’Allemagne ne peut donc pas se mettre à dos les Turcs.

Finalement, il n’y a que la France, ou presque, qui a osé prendre la défense des Grecs. Et ce soutien s’est concrétisé il y a six mois par la vente de dix-huit “ Rafales ” aux Grecs. Ce n’est pas seulement une bonne opération pour notre industrie de Défense, c’est un signe que la France entend jouer un rôle en Méditerranée orientale, et c’est bon signe ! Donc, pas de politique étrangère commune, et c’est tant mieux pour nous !

La France dans le monde depuis 1944

Allons-nous donc vers l’implosion de l’Union ? Les Anglais semblent avoir donné une impulsion forte dans ce sens, ce qui explique le mépris et la colère des autorités européennes à l’égard du peuple anglais. Mais les Anglais ne s’étaient jamais vraiment engagés dans l’Union. Alors que la France peut revendiquer d’en avoir eu l’initiative. Et revenir d’un aveuglement de quatre-vingts ans est autrement difficile ; aussi, l’implosion n’est-elle pas pour tout de suite... Mais d’ores et déjà, un découplage semble s’effectuer entre les démocraties occidentales, membres fondateurs de l’Union, et les pays d’Europe centrale, issus des derniers élargissements. Un petit fait a récemment fixé une liste de ces deux groupes : en juin 2021, alors que les pays occidentaux réclamaient de Bruxelles une sanction de la politique hongroise de protection de la famille, neuf pays d’Europe centrale et orientale ont refusé de signer leur lettre collective : la Bulgarie, la Croatie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie (cf. carte). Il y a là une fracture géopolitique ancienne, de pays marqués par la culture slave et par la Contre-Réforme catholique. Ce n’est plus seulement une question d’économie ou de démocratie, c’est une ligne de rupture culturelle, mieux : religieuse, qui se cristallise sur la défense de la famille, et qui est vouée à s’accentuer. Bruxelles, pour se venger des Hongrois, retarde l’examen du plan de relance de sept milliards d’euros qui leur est destiné. La construction européenne nous semble ainsi de toute façon vouée à l’échec. C’est ce que prédisait notre Père, dès 1992, car c’est la leçon des siècles : de Sully à Jean Monnet, « l’idée de faire l’union des peuples européens, en vue d’un seul État, est une invention de fou, parce que depuis l’origine, l’Europe est rebelle et contraire à cette unité » (Vive la France, grande Mutualité du 15 novembre 1992, p. 61).

Ainsi, notre « Non » à l’Europe est total, puisque les gens de Bruxelles n’admettent qu’une « Europe laïque et athée, centralisatrice et maçonnique » (Vive la France, p. 10). Et nous, nous voulons la Chrétienté, « seule internationale qui tienne ». C’est ce que nous allons expliquer. Mais disons avant quelques mots de la situation de la France. Les leçons de la géopolitique, de l’histoire, se rappellent aussi à elle, parfois brutalement.

GÉOPOLITIQUE FRANÇAISE.

Qu’est-ce que la France ? Quel est son destin géopolitique ? Voyez sur votre carte. « Par sa surface, la France est, après la Russie, le plus grand pays d’Europe. En tant que finistère occidental du continent européen, elle est le pendant de la Russie, qui en constitue le contrefort oriental. Par sa situation surtout, la France est le seul pays d’Europe à vocation à la fois continentale et maritime, puisque l’Allemagne est essentiellement continentale et la Grande-Bretagne exclusivement maritime. Aussi la France est-elle concernée par tous les événements qui ont lieu sur le continent européen, et engagée par tous ceux qui se déroulent sur le théâtre des mers. Cette géographie lui impose un destin géopolitique à la fois maritime et continental, très difficile à assumer. Elle en fait de surcroît le pays-clef de l’Europe. Par la terre, la France fait le lien entre la masse du continent et son prolongement ibérique, et, depuis l’achèvement du tunnel sous la Manche, entre la Grande-Bretagne et les pays continentaux. Par sa façade maritime occidentale, elle est concernée par tous les mouvements de navires de la mer de Norvège à l’Atlantique sud ; par sa façade maritime orientale, elle est concernée par tous les transits par le Bosphore, le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, et en relation directe avec tous les pays riverains de la mer Noire et de la Méditerranée, de la Russie à l’Égypte, de l’Égypte au Maroc. La France est le lien entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, entre l’Europe continentale et l’Europe atlantique. Ce caractère de point nodal de l’Europe se reflète à l’intérieur même de la France et en fait une sorte de microcosme de l’Europe. Le Nord du pays est de culture flamande, l’Est de tradition germanique ; les mondes normand et celtique de l’Ouest le rattachent aux îles britanniques ; la Navarre est la porte de l’Espagne et la Provence celle de l’Italie. » (Pierre Béhar, Une géopolitique pour l’Europe. Vers une nouvelle Eurasie ? Paris 1992) Comme disait Bainville : la France, « c’est mieux qu’une race, c’est une nation ». S’il y a une culture européenne, c’est bien cette « unité dans la diversité » qui caractérise notre nation, et c’est l’œuvre de nos rois très chrétiens. La France, pour le dire d’un mot, est le pays latin par excellence, en tant qu’héritière fidèle du génie civilisateur de l’Empire romain et en tant que Fille aînée de l’Église.

Au Quai d’Orsay, on résume les intérêts majeurs de la politique étrangère française traditionnelle aux « trois A » : Allemagne, Algérie, Afrique.

D’abord, c’est la question des relations avec ­l’Allemagne voisine, avec laquelle nous nous sommes battus trois fois depuis cent cinquante ans ; et plus largement avec le bloc germanique européen dont elle est la tête. L’Allemagne est-elle encore une menace pour nous ? Les Allemands ne clament-ils pas désormais haut et fort leur pacifisme inconditionnel ? Certes, pour tout ce qui touche à la force militaire, mais non point dans le domaine économique. C’est là qu’il faut regarder de plus près. La réunification des deux Allemagne en 1989 et le rétablissement consécutif de la sphère de coprospérité germanique traditionnelle en Europe centrale qui a suivi, a permis la constitution d’une formidable puissance économique au cœur de l’Europe. L’Allemagne a été fortifiée par l’euro et par les réformes drastiques qu’elle a con­senties à partir de 2003 sous le chancelier Schröder. Or, à terme, la puissance économique se transforme en puissance politique et donc militaire. C’est déjà à partir de l’union économique, le Zollverein, que l’unité allemande a été réalisée au dix-neuvième siècle.

Il est désormais évident que l’Allemagne revient à la realpolitik : par exemple, en résistant aux États-Unis pour obtenir l’achèvement des travaux de North Stream 2, ou en envoyant une frégate dans l’Indo- Pacifique en juin dernier, afin de se positionner dans cette région stratégique. Cet emploi de la force armée en vue de la défense des intérêts al­lemands aurait été impensable il y a quelques années. Donc, méfions-nous tout de même de l’Allemagne, y compris quand elle nous fait signer le traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération transfrontalière.

En 1992, dans sa conférence contre Maastricht, notre Père regrettait que les nations européennes se marchent sur les pieds, se chamaillent inutilement. Il faudrait plutôt que chaque nation européenne prenne de nouveau en charge des territoires ultramarins, en vue d’y mener la mission, la colonisation, et d’y trouver par la même occasion des matières premières et des débouchés commerciaux. Il y en a pour tout le monde ! Et si l’Europe refuse de se charger de ses prolongements naturels en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine, d’autres dont ce n’était pas la vocation s’en chargeront : la Chine, la Turquie ou la Russie en tête.

Deuxième « A » : l’Algérie. C’est le grand crime de De Gaulle et de tous ses complices d’avoir livré l’Algérie au musulman assassin le 1er juillet 1962. Mais nos deux pays sont liés par mille liens que soixante années de haine officielle des deux côtés ne sont pas parvenues à trancher. Il est évident que nous y retournerons un jour, quand Dieu voudra. Mais d’ores et déjà, l’Algérie est pour nous LE pays prioritaire en Afrique. Car lorsque l’Algérie est en crise, de l’autre côté de la Méditerranée, nous en ressentons les conséquences, en particulier par une recrudescence des flux migratoires. Or, l’Algérie risque de connaître une crise majeure quand le pouvoir corrompu ne pourra plus acheter la paix sociale à coup de pétrodollars. Notre intérêt national est d’empêcher, de prévenir un effondrement de l’État en Algérie qui engendrerait une catastrophe aux conséquences incalculables.

Et au sud de l’Algérie, il y a le Mali, le Sahel et l’Afrique noire qui est notre troisième « A ». Nous avons eu raison d’intervenir au Mali, qui est le pays clef de l’arc sahélien, et qui est aussi l’État le plus défaillant de la région. Mais voilà que nous partons sans avoir rien réglé du problème interne de l’État malien : il faudrait obliger le pays à se réorganiser en fédération pour régler une fois pour toutes l’opposition entre le nord et le sud ; opposition sur laquelle prospèrent les groupes djihadistes et les trafiquants en tous genres. Enfin, la France devrait se préoccuper évidemment avant tout de l’Afrique francophone, notre ancien Empire colonial, qui nous est encore très lié. Elle devrait faire en sorte de contrer l’influence grandissante de la Chine et de la Turquie, mais à condition d’avoir de vrais projets politiques et économiques à proposer aux États africains. Après l’abandon des opérations Sangaris en Centrafrique et Barkhane au Sahel : que veut vraiment la France en Afrique ? En fait, la République n’a pas de politique. Alors tout va à vau-l’eau, au gré de l’opinion publique ou des caisses de l’État... Et nos ennemis ont beau jeu de nous calomnier et de nous décrédibiliser.

Voilà pour nos « trois A » : c’est déjà beaucoup de nous en occuper. Et notre Père rappelait souvent qu’il faut prendre garde à ne pas nous disperser dans notre politique étrangère, d’autant plus que nos moyens sont limités. Nous ne pouvons pas prendre en charge le monde entier... Ce n’est qu’avec un nombre restreint de pays que l’on peut établir de véritables partenariats. Aussi, même si le Moyen-Orient nous attend encore, en particulier les Libanais chrétiens, il faut avoir et la capacité et la volonté ferme d’inter­venir. Or, en démocratie, cela est difficile. Si déjà nous pouvions prendre garde à ne pas contracter ­d’alliances dangereuses, notamment avec les dissidents ou révolutionnaires aux financements douteux, tels ceux que nous avons soutenus inconsidérément à l’occasion des “ Printemps arabes ”. Les alliances avec les monarchies du Golfe sont aussi à ranger parmi les alliances dangereuses, particulièrement celles avec le Qatar ou les Émirats qui, certes, sont de gros clients de l’industrie d’armement française et de nos établissements de luxe parisiens, mais qui pour le coup ne partagent pas exactement nos « valeurs ». Ainsi du Qatar, soutien des Frères musulmans, du Hamas et du Front Al-Nosra syrien, non sans porosité avec Al-Qaida ou Daesh... Il faut tout de même agir avec prudence. Nous ferions mieux, certainement, de nous engager dans une alliance solide avec l’Égypte du maréchal Al-Sissi, car c’est en Égypte que se trouve la clef de la paix en Libye et donc dans l’ensemble de notre zone d’influence africaine ainsi que dans la Méditerranée orientale. Et l’Égypte aurait évidemment tout à gagner à retisser ses liens avec nous.

L’orientation vers la Méditerranée et au-delà, au sud et à l’ouest, est vraiment naturelle pour les Français. C’est là, plus qu’ailleurs, que se joue notre avenir : en Méditerranée, au cœur de l’Europe latine. La France est un pays latin, et elle devrait naturellement entretenir des relations privilégiées avec les autres pays latins, en Europe et au-delà, en vue de reconstituer une « union latine » source d’ordre et de paix mondiale, que les meilleurs esprits ont appelée de leurs vœux encore au siècle dernier. C’était déjà la politique de Louis XIV, de Louis XV renversant les alliances, et de Choiseul négociant le Pacte de famille pour unir les différents princes de la famille Bourbon régnant en France, en Italie, en Espagne et en Amérique. Le monde latin n’est pas autre chose que le monde catholique ; c’est la Chrétienté, à restaurer. Notre dernière partie est donc consacrée à la grande internationale de l’avenir sur laquelle régnera le Cœur Immaculé de Marie, ainsi que notre Mère du Ciel l’a promis à Fatima.

TROISIÈME PARTIE 
L’AVENIR DE L’EUROPE : UNE NOUVELLE CHRÉTIENTÉ 
SOUS LE SIGNE DE FATIMA

L’UNION DES PAYS LATINS.

C’est de Charles Maurras que notre Père tenait l’idée qu’un nouvel effort civilisateur catholique ne pourra repartir que là où il a commencé, c’est-à-dire de la Méditerranée sur les bords de laquelle les trois héritages de Jérusalem, d’Athènes et de Rome ont été réunis par la divine Providence en vue de la fondation de la Chrétienté, le Royaume de Dieu sur la terre. Mais la « Méditerranée » s’est étendue très loin, grâce à la mission et à la colonisation catholiques, ainsi que nous l’a rappelé frère Scubilion. Maurras le résume admirablement dans le Soliloque du prisonnier, en 1950. Vous pouvez suivre sur votre carte page 25. Alors qu’on vient de le traiter d’indé­crottable Méditer­ranéen, Maurras répond : « Soit, mais je suis un drôle de Méditerranéen ; ma Méditerranée ne finit pas à Gibraltar, elle reçoit le Guadalquivir et le Tage, elle baigne Cadix, Lisbonne et s’étend, bleue et chaude, jusqu’à Rio de Janeiro. Elle atteint le cap Horn, salue Montevideo, Buenos Aires et, sans oublier Valparaiso ni Callao, elle s’en va, grossie de l’Amazone et de l’Orénoque, rouler dans la mer des Caraïbes, caresser amoureusement nos Antilles, puis Cuba et Haïti, ayant reçu le Meschacébé [ancien nom du Mississippi] du grand enchanteur de Bretagne [référence au roman Atala de Chateaubriand] ; elle court au Saint-Laurent et, sauf de menues variations de couleur ou de température, va se jeter dans la baie d’Hudson où elle entend parler français. Le caprice de cette Méditerranée idéale la ramène alors à notre hémisphère, mais non pas nécessairement pour revoir Baléares, Cyclades, Oran ou Alger, car ni Anvers, ni Gydnia ne lui sont plus étrangers que les Polonais et les Belges ne lui apparaissent barbares : ma Méditerranée ne demande pas mieux que de devenir nordique ou baltique pourvu qu’elle rencontre, ici ou là, les deux lucides flammes d’une civilisation catholique et d’un esprit latin [c’est-à-dire romain]. »

Voilà l’axe des pays latins, tel que souvent notre Père nous l’a présenté. En Europe, il court du Portugal à la Roumanie en suivant le Danube par l’Autriche et la Hongrie, ralliant au passage les provinces rhénanes, la Bavière, la République tchèque et même l’admirable Suisse romande. Là est la seule force capable de faire face aux blocs prussien et anglo-saxon, ennemis de la civilisation chrétienne. Le renforcement prudent de cette latinité, les rapprochements progressifs entre nations latines étaient pour Maurras – à la suite de Mistral – l’unique point de départ de l’unité du genre humain.

LES SLAVOPHILES.

Notre Père remarquait qu’à la même époque, en cette fin du dix-neuvième siècle, dans l’empire tsariste russe, Vladimir Soloviev réalisait, dans ses écrits et dans sa vie, la réplique catholique slave aux vues catholiques latines de Maurras. Soloviev définissait ainsi le nationalisme : « Participer à la vie de l’Église universelle, au développement de la grande civilisation chrétienne, y participer selon sa force et ses capacités particulières, voilà le seul but véritable, la seule vraie mission de chaque peuple. » Soloviev s’inscrivait dans la lignée des slavophiles qui, à partir de 1830, à l’instar de nos contre-révolutionnaires français rejetaient les influences germaniques et anglo-saxonnes, ferments de révolution sociale et politique, pour retrouver l’amour de la patrie (cf. carte, p. 25).

Le mouvement slavophile et l’union latine, tous deux contre-révolutionnaires et profondément chrétiens, auraient dû lutter victorieusement contre la révolution qui commençait à l’emporter dans le monde entier. Soloviev espérait que le retour de la Russie à la communion catholique donnerait le signal du grand triomphe de la foi dans le monde entier. Il n’en a rien été. Bien pire, non seulement ces deux nationalismes ont été pervertis de l’intérieur, mais ils ont été finalement anéantis au vingtième siècle.

Pourquoi un tel échec ? Notre Père l’a expliqué clairement, dans sa CRC sur La Russie avant et après 1983 et dans l’approfondissement de sa critique de Charles Maurras au cours des mêmes années 1980. Ces deux mouvements ont péché par orgueil, se coupant de la source de la grâce.

L’ÉCHEC DE CES DEUX NATIONALISMES.

Commençons par Maurras. Maurras, certes, entreprend loyalement de dénoncer les contrefaçons de « l’union latine » qui a été pervertie par la franc- maçonnerie au dix-neuvième siècle dans un sens anti­catholique et révolutionnaire : « C’est Hugo et Gambetta en France, c’est Mazzini, c’est Garibaldi en Italie. » Réaliste, Maurras sait que la « latinité » n’existe pas sous une forme organisée. S’il ne s’agit que de la langue ou de la culture commune, ce n’est pas grand-chose, cela ne suffit pas à fédérer. Le partage d’idéaux révolutionnaires communs encore moins... Maurras sait que la grande force organisée et organisatrice, c’est l’Église catholique. Et pourtant, il ne croyait pas, n’adorait pas, n’espérait pas, n’aimait pas Dieu. « L’Église de l’ordre » n’est pas le tout de l’Église catholique... La religion n’est pas une simple affaire de mœurs, de culture, de sociologie. C’est la grâce du Christ et de sa Mère co­rédemptrice qui irrigue les nations catholiques. Sans cette source d’eau vive, rien ne saurait réussir. Ainsi, l’Action Française restée paradoxalement laïque, fut finalement stérile. Et ce sont les démagogues qui l’ont emporté.

Mais le grand obstacle est venu de l’Église catholique elle-même, dont la hiérarchie a renoncé, à partir de Léon XIII, à défendre la Chrétienté. C’est le pire qui pouvait arriver. Et frère Pascal nous a bien montré quelle catastrophe ce fut. Ensuite, malgré le règne de saint Pie X, les papes Pie XI et Pie XII et les papes conciliaires après eux, n’ayant point tenu compte des avertissements de Notre-Dame, ont définitivement lâché la Chrétienté au profit d’un MASDU antichrist. Sans une Église catholique sûre de sa foi et conquérante, point d’union latine qui vaille.

Sous le même pontificat de Léon XIII, Soloviev va lui aussi échouer à rallier ses frères slaves à la communion catholique. Les meilleurs des slavophiles avaient compris que seule l’unité catholique sous l’égide du pontife romain et du tsar de toutes les Russies, leur permettrait d’éviter la chute dans l’athéisme et le nihilisme. La visite du tsar Nicolas Ier au Vatican en 1846 et sa prière auprès du tombeau de saint Pierre avaient soutenu leur espérance. Malheureusement, ce sont les préjugés antiromains, ceux du « Grand Inquisiteur » de Dostoïevski, qui ont prévalu. C’est l’orgueil slave, la « haine slave » qui l’ont emporté, dans un nationalisme clos sur lui-même.

Ainsi, rien n’empêchera la Révolution mondiale de parvenir à son stade terminal de totalitarisme athée, ainsi que nous l’a retracé frère Guy. En Occident, ce sont deux guerres mondiales et près de quatre-vingts ans de « construction européenne » destructrice des nations latines. La suppression de l’Empire catholique austro-hongrois en 1919, source de stabilité dans toute l’Europe centrale, a plongé cette dernière dans le chaos. En Russie, c’est la Révolution de 1917 et la chape de plomb soviétique qui tombe sur tout le monde slave pour soixante-dix ans. Néanmoins Soloviev, à la suite de son grand ami Dostoïevski, avait aussi prédit que la Russie devrait passer par le feu de l’épreuve, pour consentir au « podwig », c’est-à-dire au sacrifice du renoncement intérieur à toutes ses « erreurs », les « erreurs de la Russie », à tout son orgueil. Le châtiment est venu, comme sur le peuple hébreu qui fut envoyé en exil à Babylone pendant quarante ans.

Le bloc soviétique a certes disparu dans les années 1990, mais peut-on dire que nous voyons déjà poindre l’aurore du monde nouveau ; ce monde où la Russie convertie s’unira au monde latin sous l’égide du Saint-Père, réconciliant ainsi l’Orient et l’Occident ?

VERS LA RÉCONCILIATION DE L’ORIENT ET DE L’OCCIDENT.

Aujourd’hui, la menace imminente semble plutôt celle d’un affrontement entre un bloc prorusse, slave, farouchement orthodoxe et nationaliste, et un bloc occidental laïque, démocrate, matérialiste. Ces deux blocs se sont déjà affrontés en Ukraine, pays tampon, à la ligne de fracture bien nette entre l’ouest uniate et tourné depuis longtemps vers l’Occident, et l’est, tourné vers la Crimée et le « grand frère » russe incontesté. Et aujourd’hui plus que jamais, un affrontement semble sérieusement envisageable... Pourtant en France, beaucoup de diplomates et d’hommes politiques ont tout à fait conscience qu’il est absolument dans notre intérêt de renouer avec la Russie. Cela est possible, même en Afrique, de travailler ensemble. Au début de l’opération “ Serval ”, Poutine avait envoyé ses gros avions porteurs “ Antonov ” pour appuyer notre intervention. Comme quoi c’est possible. Et au Moyen-Orient aussi, évidemment, nous pourrions faire des merveilles si nous coopérions avec les Russes qui détiennent les clefs de la paix là-bas depuis leur intervention réussie du sauvetage de l’État syrien.

Mais toutes les mauvaises institutions dans lesquelles nous sommes empêtrés pourraient nous conduire à la guerre sans que nous le voulions. C’est ce qui rend notre situation dramatique... C’est déjà à cause de l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne que les positions s’étaient raidies après 2014... Autre fait significatif : le 25 juin dernier, alors que monsieur Macron et madame Merkel étaient décidés à reprendre un dialogue constructif avec Moscou en organisant un sommet européen, ils se sont heurtés à l’opposition inconditionnelle – entre autres – de la Pologne et de la Suède, ennemies héréditaires de la Russie. Ainsi chacun restera braqué sur ses positions, en Europe, mais aussi en Afrique et partout où nous nous retrouverons face aux Russes... Faire la guerre pour la Pologne ça nous est déjà arrivé, et pour quelles conséquences !

Alors, c’est Fatima qui est toute notre espérance, parce que Fatima nous donne la clef de lecture orthodromique de ce qui, humainement, semble un désastre. Le fait que Notre-Dame ait choisi le Portugal pour descendre sur notre terre en 1917 est bien le signe qu’elle aime les pays latins, les pays catholiques et qu’elle désire les sauver, ce qu’elle a fait au Portugal et en Espagne au vingtième siècle. Néanmoins, dans ses apparitions successives à la Cova da Iria puis à Tuy en 1929, Notre-Dame a semblé n’avoir le souci que de la conversion d’un seul pays, la Russie, liant son sort à celui du monde entier. Les apparitions et le message de Notre-Dame à Fatima, au Portugal, en 1917 nous apparaissent ainsi comme le point de rencontre, de convergence de ces deux nationalismes admirables, hélas limités et finalement abolis par l’humaine faiblesse. En associant le Portugal et la Russie, la Sainte Vierge fait le lien, la rencontre entre la slavo­philie d’un Soloviev et la latinité d’un Maurras ou d’un Mistral qui en exprimait l’idéal dans sa langue provençale : « s’afreita souto la Crous », « fraterniser sous la Croix ». C’est l’Immaculée médiatrice, apparue « sous la Croix » à Tuy, qui réconciliera l’Occident et l’Orient ; et dans cette grande paix qui sera miraculeusement offerte au monde par sa médiation, les Anglo-Saxons et même les Allemands pourront trouver leur place, puisqu’ils se convertiront. Les plus graves menaces, aussi bien la guerre sainte musulmane que les ambitions chinoises, seront d’un coup relati­visées par cette restauration de la Chrétienté et de la Croisade qui en est le mouvement spontané.

Tout est entre les mains du Saint-Père, preuve que Rome est bien toujours le centre du monde – puisque telle était la question que nous nous posions au début de ce camp, si vous vous souvenez. Et cela nous oblige à redoubler de prières pour le pape François.

CONCLUSION

Comment allons-nous conclure ce camp sur l’étude de l’orthodromie divine ? Simplement en disant que le terme de l’orthodromie catholique, c’est le Ciel. Cela signifie que sur la terre, nous ne sommes pas encore au Ciel : il y aura toujours des combats et la victoire n’est jamais assurée. L’impor­tant est de prendre parti pour la bonne cause... et d’y rester fidèle ! Chacun à la petite place que Dieu nous a donnée, à l’imitation de ces saints de la Nouvelle-France que nous avons appris à connaître et à aimer. Nos pères dans la foi et l’amour de la patrie étaient grands : soyons fiers d’eux, de leur œuvre immense à reprendre, soyons-leur fidèles. Ainsi soit-il !

Frère Bruno de Jésus-Marie