Il est ressuscité !

N° 255 – Mai 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2023

L’Évangile de Jésus-Marie (7) 
« Le testament du Christ Roi »

DE LA RETRAITE À ÉPHRAÏM (février  30) À LA CÈNE (mardi 4 avril  30)

DANS le précédent article (il est ressuscité   n° 254, avril 2024, p. 19), nous avons vu Notre-Seigneur marcher résolument vers sa Passion en affrontant ses ennemis, de vrais fils de Satan (Jn 8, 44), qui ne peuvent supporter sa Vérité, sa Sainteté. À Jérusalem, lorsqu’Il a donné son plus limpide témoignage : « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10, 30) ces Archontes ont voulu le lapider. En Judée, le mauvais esprit des pharisiens fut tel que Jésus a préféré se retirer au-delà du Jourdain, dans une région plus calme, car l’heure de se livrer entre leurs mains n’était pas encore venue. Malgré l’hostilité des chefs, les foules sont attirées par sa majesté, et un groupe de disciples fidèles le suivent partout. L’enseignement qu’il leur délivre est tragique, exigeant : la persécution va être terrible, il faut être prêt à renoncer à tout : « Qui ne porte pas sa Croix et ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple. » (cf. Lc 14, 27 et 14, 33)

Notre-Seigneur a donc montré un dernier « signe » aux juifs de Jérusalem en ressuscitant son ami Lazare. À la vue de ce miracle éclatant, beaucoup de Juifs crurent en lui, c’est pourquoi les grands prêtres et les pharisiens tinrent conseil : pour eux ça ne peut plus durer, il faut le tuer ! (cf. Jn 11, 45-53) Mais il faut d’abord le discréditer aux yeux de la foule, et pour cela lui faire un procès afin de l’exécuter, prétendument au nom de la Loi. Jésus, le sachant, cesse de paraître en public parmi les Juifs, et se retire à Éphraïm, dans la région voisine du désert (Jn 11, 54).

RETRAITE À ÉPHRAÏM 
(février - mars 30)

Dans cette retraite, Jésus continue d’enseigner ses disciples, qui lui ont donné leur foi, mais ne comprennent pas encore ce qu’est le Royaume spirituel qu’Il instaure ni la nécessité de passer par l’épreuve de la Croix. La Vierge Marie, Elle et Elle seule, saisit toute l’ampleur du drame qui advient, et épouse tous les sentiments de son Fils.

Selon saint Luc, Notre-Seigneur entretient ceux qui le suivent de son Règne, qui doit advenir dans un temps d’impiété, comme le déluge ou la destruction de Sodome et Gomorrhe : « Viendront des jours où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas. 23 On vous dira : Le voilà ! Le voici ! N’y allez pas, n’y courez pas. 24 Comme l’éclair en effet, jaillissant d’un point du ciel, resplendit jusqu’à l’autre, ainsi en sera-t-il du Fils de l’homme lors de son Jour. 25 Mais il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération. » (cf. Lc 17, 20-37)

En vue de ces temps d’épreuve pour l’Église, Notre-Seigneur exhorte ses disciples à prier sans cesse et ne pas se décourager, dans la parabole du juge inique, qui ne craignait pas Dieu et n’avait de considération pour personne, au point de refuser de faire justice à une veuve, mais qui cède enfin pour que sa plaignante ne l’importune plus. Et il conclut : si même ce juge inique a exaucé cette veuve, « Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu’il patiente à leur sujet ! 8 Je vous dis qu’il leur fera prompte justice. Mais le Fils de l’homme quand il reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? ” » (Lc 18, 1-8) Notre-Seigneur laisse échapper cette confidence, douloureuse à son Cœur. Dans ces derniers temps, restera-t-il même quelques âmes pour prier encore ? Grand mystère, il semble ne pas le savoir.

Une autre leçon sous forme de parabole, qui vise « certains qui se flattaient d’être des justes, et qui n’avaient que mépris pour les autres ». Ce pouvait être le cas même parmi ses disciples. « 10 Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était pharisien, et l’autre publicain. » C’est-à-dire collecteur d’impôt, méprisé par les pharisiens, car, non seulement leur profession était très propice à la corruption, mais ils étaient en contact fréquent avec les païens, dont, selon la Loi mosaïque, ils contractaient l’impureté. « 11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Mon Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain, je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers. ” » Il se complaît en lui-même, en son observance des préceptes, non sans s’aveugler sur ses vices, et en méprisant tous les autres. Les pharisiens mettaient leur orgueil dans la pratique de la Loi, mais notre Père expliquait qu’aujourd’hui l’autolâtrie trouve d’autres motifs... jusqu’à la considération d’une prétendue “ infinie dignité intrinsèque ”...

« 13 Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux vers le ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : Mon Dieu, ayez pitié du pécheur que je suis. ” – En confessant ses péchés, il s’unit à Dieu qui les connaît bien. – Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » (Lc 18, 9-14)

Notre-Seigneur arrive au terme de son ministère public, plus que jamais, la Pâque, la fête des Juifs est proche (Jn 6, 4). Frère Bruno pense que c’est à ce moment que Notre-Seigneur a révélé en toute clarté le moyen sublime qu’il a inventé pour distribuer les fruits de son Sacrifice, c’est l’objet de la deuxième partie du Discours sur le Pain de Vie, relaté par saint Jean après la multiplication des pains. Par cet enseignement, Jésus prépare ses disciples à ce qu’il va accomplir le soir de la Cène.

Il leur dit : « 53 En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la Chair du Fils de l’homme et ne buvez son Sang, vous n’aurez pas la vie en vous. 54 Qui mange ma Chair et boit mon Sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. 55 Car ma Chair est vraiment une nourriture et mon Sang vraiment une boisson. » Quel grand mystère ! C’est par une union charnelle que Jésus va donner la vie, union qui a pour but l’adhésion parfaite de notre cœur au Sien, et de notre esprit au Sien. « 56 Qui mange ma Chair et boit mon Sang demeure en Moi et Moi en lui. 57 De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par Moi. » (Jn  6, 53-57)

Notre-Seigneur offre à ceux qui mangent sa Chair une union aussi intime que celle qu’Il entretient avec son Père. Dans la communion, par les mérites de son Sacrifice, nous échappons à la mort, et nous sommes admis dans la famille de la Sainte Trinité, pour vivre de sa Vie, avoir part à son Amour.

CHASTETÉ, OBÉISSANCE ET PAUVRETÉ.

Nous retrouvons ici le récit de saint Marc, en synopse à celui de saint Luc. Ils racontent comment Notre-Seigneur répond en Créateur et divin Législateur à un piège tendu par les pharisiens sur la question du divorce : « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » ; alors que dans la Loi de Moïse, la répudiation était tolérée, en raison de la dureté de cœur des juifs (Mc 10,  2-12). La perfection étant encore de se rendre eunuque à cause du Royaume des Cieux (Mt 19, 12) pour être tout au Divin Époux qui vient s’unir son Église dans une Alliance scellée dans son propre Sang (cf. Mt  26, 28) par la Médiation de sa Sainte Mère (cf. Jn 2, 3-5).

Autre événement, si vivant dans le récit de saint Marc. Il advint un jour « qu’on présentait à Jésus des petits enfants, pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. 14 Ce que voyant, Jésus se fâcha. – Le mot est rare dans l’Évangile ! Saint Pierre devait garder un chaud souvenir de la réprimande. – Et il leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. 15 En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Règne de Dieu en petit enfant n’y entrera pas. »

Bonne leçon d’humilité et de docilité pour ses disciples, à rebours de toute ambition humaine. Il ne s’agit pas de vouloir régner à Jérusalem avec Jésus, mais d’être soumis, confiant, aimant envers Lui, comme le sont ces enfants. « 16 Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. » (Mc 10, 13-16)

Jésus mon bien-aimé, rappelle-toi

« Rappelle-toi des divines tendresses,
Dont tu comblas les plus petits enfants.
Je veux aussi recevoir tes caresses,
Ah ! donne-moi tes baisers ravissants.
Pour jouir dans les Cieux de ta douce présence,
Je saurai pratiquer les vertus de l’enfance.
N’as-tu pas dit souvent :
“ Le Ciel est pour l’enfant ?... ”
Rappelle-toi. »

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte-Face.
(Poésie n° 24)

Dernière leçon, sur la pauvreté. L’occasion en fut donnée par la question d’un jeune homme qui se jeta aux pieds de Notre-Seigneur, tandis qu’il se mettait en route : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Jésus lui répond qu’il faut pratiquer les commandements de la Loi et l’autre lui dit, simplement : « Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse. »

Saint Pierre, dont le témoignage nous est transmis par saint Marc, n’en perdait pas une miette : il a vu Notre-Seigneur regarder profondément ce jeune homme et, dit-il, Il l’aima. « Jésus lui dit : Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le Ciel ; puis viens, suis-moi  . ” 22 Mais lui, à ces mots, s’assombrit, et s’en alla contristé, car il avait de grands biens ». Il a raté sa vocation, il est passé à côté de la grâce, et peut-être même de la vie éternelle !

« 23 Alors Jésus, regardant autour de Lui, dit à ses disciples : Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! [...] Mes enfants, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. ” » Stupéfaction des disciples : pour un juif, la richesse est le signe de la bénédiction divine. Ils se disaient entre eux : « “ Qui peut être sauvé ? 27 Fixant sur eux son regard, Jésus dit : Pour les hommes, c’est impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu. ” » (Mc  10, 17-27) C’est pour cela qu’il va mourir, et fonder son Église, dans laquelle ce miracle du salut sera offert à tous les hommes. Il demeure que l’argent est un obstacle sur le chemin du salut, tant il est difficile de s’en détacher pour aimer et suivre Jésus qui n’a pas même une pierre pour reposer sa tête (Lc  9, 58).

Pierre, toujours spontané, dit alors : « “ Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi. ” 29 Jésus déclara : En vérité je vous le dis, nul n’aura laissé maisons, frères, sœurs, mères, pères, enfants ou champs à cause de Moi et à cause de l’Évangile 30 qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, – Dans la grande famille de l’Église – avec des persécutions, et dans le monde à venir, la vie éternelle. ” » (Mc 10, 28-30) Paroles qui ont suscité le renoncement de milliers de chrétiens à travers les siècles, qui ont tout quitté pour entrer au monastère.

JÉSUS MARCHE VERS SON SACRIFICE 
(vendredi 31 mars 30)

Pendant ce temps, à Jérusalem, la fête de la Pâque se prépare, déjà beaucoup de gens y montent pour se purifier. La nouvelle de la résurrection de Lazare passe de bouche en bouche. On ne parle que de Jésus : « Qu’en pensez-vous ? Qu’il ne viendra pas à la fête ? » En effet, « Les grands prêtres et les pharisiens avaient donné des ordres : si quelqu’un savait où il était, il devait l’indiquer, afin qu’on le saisît. » (Jn 11, 55-57)

Alors le vendredi 31 mars de l’an  30, Notre-­Seigneur se met en route. Il appelle ses Apôtres auprès de Lui et leur dit : « 33 Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, 34 ils le bafoueront, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront, et après trois jours il ressuscitera. » (Mc 10, 33-34) Mais « eux ne saisirent rien de tout cela ; cette parole leur demeurait cachée, et ils ne comprenaient pas ce qu’il disait. » (Lc 18, 34)

Les Apôtres sont sourds à ces avertissements, parce qu’ils sont tout à fait dans une autre perspective ; ainsi, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, accompagnés de leur mère, viennent demander à Jésus : « Maître, accorde-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ta gloire. 38 Jésus leur dit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? ” » Dans la Bible, la coupe évoque l’épreuve envoyée par Dieu, et aussi l’offrande du sacrifice. Les deux, Jacques et Jean, fils du tonnerre, comme Jésus les avait nommés ! répondent qu’ils peuvent la boire. Mais « 41 les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean ». Ils sont en train de perdre les premières places ! Que Jésus est patient envers ses serviteurs...

Les appelant près de lui, Il leur explique alors la grande Loi de son Royaume : « Celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, 44 et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l’esclave de tous. 45 Aussi bien, le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et pour donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10, 35-45)

Ces derniers mots, qui évoquent le mystère de notre rédemption par les souffrances de Jésus, sont d’une importance capitale, soulignait notre Père. Ils font référence au chapitre  53 d’Isaïe, où il est prophétisé que le Messie offrirait sa vie en expiation : « Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur Lui, et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris. » Voilà le service que Jésus va accomplir pour le genre humain, pour lequel son Père va le glorifier ; alors la seule ambition de ses disciples doit être de le suivre dans la souffrance et l’humiliation, par amour du prochain.

Telles sont les pensées du Sacré Cœur de Jésus pendant cette montée à Jérusalem. Il serait absolument seul sur terre si la Vierge Marie, Elle, n’embrassait tous ses sentiments : le désir de souffrir pour l’Amour de son Père et pour sauver les âmes de l’enfer, mais aussi l’appréhension, l’angoisse de cette terrible épreuve.

ÉTAPE À JÉRICHO CHEZ ZACHÉE.

Tandis qu’ils approchent de Jéricho, Notre-Seigneur est tiré de ses pensées par une agitation devant Lui : c’est un aveugle, nommé Bartimée, qui implore sa pitié en criant, et que les disciples cherchent à faire taire. Jésus s’arrête : « Appelez-le. » Avec bienveillance et majesté, il le guérit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Au moment même où il aurait pu attendre quelque consolation de son entourage, c’est Lui qui fait cet acte de charité dont il devra payer le prix, comme pour tous ses miracles qui sont toujours une rémission du châtiment du péché originel, qu’il va souffrir Lui-même.

Mais pour ses disciples, qui ne comprennent pas, cette montée est une marche triomphale vers Jérusalem. Ainsi ils arrivent à Jéricho, à quelque vingt-cinq kilomètres de la Ville sainte, et la foule se précipite sur son passage. C’est là que saint Luc attire notre regard sur un riche chef des publicains, Zachée. Il tenait à voir Jésus, mais, petit de taille, dans cette foule, il n’y arrivait pas. Comment faire ? Il a la simplicité de courir en avant, et de grimper dans un sycomore. Jésus approche, Zachée, du haut de son arbre, se réjouit de le voir si bien sans être vu, quand, parvenu auprès de lui, Notre-Seigneur lève les yeux – encore cet inénarrable regard du Fils de Dieu ! – et lui dit : « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. » Jésus le connaît, il l’appelle par son nom, et il lui fait cette grâce ! « Vite, il descendit, et il le reçut avec joie. » Dans la foule, on ne manque pas de murmurer : « Il est allé loger chez un homme pécheur... »

Mais Zachée, lui, touché au cœur par cet Amour particulier, ne s’enorgueillit pas, il se convertit : « “ Voici Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. ” 9 Et Jésus lui dit : Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham. 10 Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. ” » (Lc  19, 1-10)

Notre-Seigneur demeure donc à Jéricho chez Zachée cette fin de journée du 31 mars. Là, il enseigne : « Comme les gens écoutaient cela, il dit encore une parabole, parce qu’il était près de Jérusalem, et qu’on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même. » C’est la parabole des mines que notre Père intitulait “ la parabole du Christ Roi ”, car elle révèle que Notre-Seigneur monte à Jérusalem pour y conquérir la Royauté. Ce n’est pas du tout à la manière dont les juifs l’attendent, mais en réalité, à la fin, il rendra à chacun sa juste part : « 27 Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence. » (Lc 19, 27)

ÉTAPE À BÉTHANIE
(samedi 1er avril).

Le lendemain, « Jésus partait en tête, marchant vers Jérusalem. » (Lc 19, 28) Il va faire encore une étape à Béthanie ; nous sommes « six jours avant la Pâque » (Jn 12, 1) officielle, qui commencera au soir du vendredi suivant. Un repas lui est offert chez un certain Simon le Lépreux : ses amis, Lazare, Marthe et Marie sont du nombre. Les juifs de Jérusalem, apprenant que Jésus est là, viennent auprès de lui, se joignant à la troupe de ses disciples, et aussi pour voir Lazare le ressuscité (cf. Jn 12, 9). Tous sont fiévreux, disait notre Père, « comme dans une soirée électorale », parce qu’ils sentent que bientôt, Jésus va prendre le pouvoir. C’est alors que paraît Marie-Madeleine, qui, elle, comprend que Jésus va offrir sa vie, et lui rend ses derniers et amoureux hommages (cf. encart, p. 21).

le cœur brisé de Marie-Madeleine

QUAND elle entra, elle, Marie-Madeleine qui avait disparu, elle n’était pas assise à ses pieds. Elle entre et elle vient vers Lui, directement, comme au premier jour de sa conversion. Elle a revêtu ses habits les plus beaux. C’est un moment solennel. Elle porte dans les mains un alabastron, c’est-à-dire un vase de parfum, l’albâtre est de grand prix et le parfum qui remplit ce vase scellé est d’un prix plus grand encore. C’est une petite fortune. Ce parfum, dans son amour incroyable, elle l’avait mis de côté. Elle l’avait acheté avec son argent, en pensant que, quand Il mourrait, elle serait heureuse d’avoir un parfum de grand prix à répandre sur son corps.

Ce soir-là, mue par une intuition, ces intuitions que des femmes pleines d’amour et de sagesse peuvent avoir, elle sait que Jésus va mourir. Mue par l’Esprit-Saint, elle voit, elle sent, elle frémit à la pensée de ce Cœur de Jésus, de ce Cœur qui bat encore, plein d’un sang généreux, elle voit ce Cœur comme déjà rompu, comme déjà transpercé et tout ce Sang qui va bientôt couler. Elle sait que les ennemis sont là, elle les connaît avec une lucidité analogue à celle de saint Jean. Elle sait que les ennemis ne le toléreront plus, que bientôt ils vont le supprimer. D’ailleurs, Jésus l’a annoncé souventes fois et les prophéties l’ont annoncé bien des siècles auparavant. Jésus va mourir de mort violente, violemment et douloureusement tué.

Elle voit déjà ce Cœur s’arrêter de battre, vidé de son Sang. Elle n’y peut tenir, cette femme, elle veut aussi que tout le sang de son cœur jaillisse d’elle. Elle veut donner tout l’amour de son cœur et elle trouve ce moyen symbolique, ce vase : elle le brise – fracto alabastro –. Ces vases n’avaient pas de bouchon, ils étaient scellés, d’un seul tenant. On en brisait le col et on en répandait le parfum, en une seule fois. Cela ne se gardait pas. Elle est là, elle brise ce vase sur les pieds de Jésus, nous dit saint Jean. Sur la tête, nous disent Marc et Matthieu. Il faut que ce soit vrai pour que Marc et Matthieu mettent en scène une femme dans une telle position, avec une telle hardiesse !

Elle est là, elle rompt ce vase, elle commence à répandre le parfum sur les pieds de Jésus. Puis, audacieuse, elle monte jusqu’à sa tête. Elle répand ce parfum de grand prix sur la tête de Jésus, sur sa chevelure. Imaginez la scène ! Puis, se mettant à genoux à ses pieds, elle essuie ses pieds avec ses cheveux. C’est qu’elle ne veut plus faire qu’un avec Lui. Puisqu’Il s’en va vers la mort, elle veut aller avec Lui à la mort. Elle anticipe la mort de son Époux, de son Époux spirituel. Elle veut manifester qu’elle lui donne aussi tout son amour, tout l’amour de son cœur, parce qu’elle sait qu’Il va douloureusement donner tout le Sang de son Cœur.

Ce geste qu’elle fait, c’est une affirmation qu’elle sera avec Lui, qu’elle sera avec Lui jusqu’à la fin et c’est bien ce qui arrivera.

Jésus anticipera sa Passion à la Cène du Mardi saint. Il se mettra dans l’état d’âme de souffrir la Croix du lendemain. Elle, elle le fait déjà et c’est quelques jours avant la Passion.

Jésus voudra que ses Apôtres aient les pieds lavés par Lui, parce que dans ce geste, il les unit d’avance à son Sacrifice. Saint Pierre ne voudra pas, Jésus l’y contraindra. Voyez, saint Pierre, Marthe et les autres ont toujours des objections à faire. Ils ne comprennent pas. Elle, Marie-Madeleine, ses pressentiments la font courir au-delà du mystère.

(Sermon de notre Père, 24 mars 1985.)

Mais Judas, le traître, proteste : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu’on aurait donnés à des pauvres ? » (Jn 12, 5) Saint Jean note alors que Judas se moquait bien des pauvres, mais il disait cela parce qu’il tenait la bourse, et se servait dedans. C’est cet événement, ce repas, qui va le résoudre à aller voir les grands prêtres pour leur livrer Jésus contre de l’argent : trop heureux, ceux-là sautent sur cette opportunité inespérée (cf.  Mc 14, 10-11). Dans leur impuissance à détourner les foules de Notre-Seigneur, ils en étaient venus à vouloir tuer Lazare (cf.  Jn 12, 10-11), sans penser qu’Il aurait bien pu le ressusciter de nouveau !

Jésus sait bien que Judas est en train de le trahir, mais pour le moment, il lui répond avec calme, pour défendre Marie-Madeleine : « Laisse-la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. Les pauvres en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » (Jn 12, 7-8) « En vérité, je vous le dis, partout où sera proclamé l’Évangile, au monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire. » (Mc 14, 9) Prophétie réalisée jusqu’aujourd’hui. Ce geste a tellement consolé Notre-Seigneur qu’il veut que tous en fassent mémoire, pour que les âmes mystiques prennent comme exemple cet amour débordant et cette compassion de Marie-Madeleine.

L’AMER TRIOMPHE DU ROI D’ISRAËL

Ils passent une nuit à Béthanie et lendemain, dimanche 2 avril, Jésus monte à Jérusalem ; Il envoie chercher par ses disciples un ânon, la monture royale en Israël. Une foule l’accompagne, formée de ses disciples et des Juifs qui étaient venus voir Lazare. De plus, selon saint Jean : « La foule nombreuse venue pour la fête apprit que Jésus venait à Jérusalem ; 13 ils prirent les rameaux des palmiers et sortirent à sa rencontre et ils criaient : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le Roi d’Israël !  ” » (Jn 12, 12-13) Cette foule, encore indécise après la fête des Tabernacles, n’est pas sans craindre les menaces des grands prêtres et des scribes. Mais la résurrection de Lazare est un signe trop éclatant : pour l’instant, ils sont enthousiastes.

Le cortège autour de son Roi descend la pente du mont des Oliviers et Jésus entre dans Jérusalem, toujours sous les acclamations, insupportables aux pharisiens qui protestent : « “ Maître, mets tes disciples à la raison ! Et il leur répondit : Je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront ! ” » (Lc 19, 39-40)

Même si les disciples et la foule ne le comprennent pas pleinement, ils proclament la Vérité en acclamant Jésus comme le Messie annoncé à Israël. C’est pourquoi Il agrée ce triomphe, mais en souffrant de cet enthousiasme superficiel qui cédera bientôt devant la haine des pharisiens et des grands prêtres, qui parviendront à détourner le peuple de Lui, et à le faire crucifier. C’est déjà une situation fausse, qui porte en germe le drame de la Passion. Au milieu des acclamations, Jésus a le Cœur broyé d’insatisfaction, disait notre Père. Les objections des pharisiens y mettent le comble, et, bouleversé, il pleure sur Jérusalem :

« Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux. 43 Oui, des jours viendront sur toi, où tes ennemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront de toute part. 44 Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! » (Lc 19, 41-44)

Mais ses disciples, loin de le comprendre, font de plus en plus de bruit. « Toute la ville fut en émoi », écrit saint Matthieu (21, 10). Notre-Seigneur parvient au Temple, sur la première esplanade, le parvis des Gentils. Les enfants l’acclament, on lui amène des aveugles et des boiteux pour qu’Il les guérisse, les pharisiens sont de plus en plus furieux (Mt 21, 14-16).

Sont là quelques Grecs, des païens attirés par la religion révélée, qui viennent adorer pendant la fête. Pleins de respect, ils demandent à Philippe : « “ Seigneur, nous voulons voir Jésus. ” 22 Philippe vient le dire à André ; André et Philippe viennent le dire à Jésus. 23 Jésus leur répond – révélant le fond de son Cœur en cet instant – : “ L’Heure est venue, où doit être glorifié le Fils de l’homme ”. » (Jn 12, 20-23) Humainement, c’est ce qui semble arriver, Jésus triomphe. Mais comment va-t-il être glorifié ?

« 24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »

Les Grecs, les disciples, tous, à l’exception de la Vierge Marie, ne pourront comprendre ces paroles que quand les événements auront eu lieu, quand Jésus sera mort et enseveli comme une semence jetée dans la terre. Alors, avec l’assistance du Saint-Esprit, qui est le fruit de son Sacrifice, ils comprendront que Jésus avait annoncé sa Passion, qu’il y marchait volontairement pour le salut du monde, et ils croiront. Telle est la pensée qui a animé Notre-Seigneur durant toute sa vie : mourir, pour porter du fruit. Et il a hâte que ses disciples le suivent sur cette voie de la Croix :

« 25 Qui aime sa vie la perd, et qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle. 26 Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »

« 27 Maintenant mon âme est troublée – écartelée, en agonie – Et que dire... Père, sauve-moi de cette heure ! » À cette pensée de sa mort qu’Il veut souffrir en châtiment du péché originel et de nos péchés, se revêtant Lui-même de ces crimes, Jésus est saisi d’effroi, d’horreur. Mais il implore son Père et surmonte son angoisse pour son Amour :

« Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure... 28 Père, glorifie ton Nom ! Du ciel vint alors une voix – Son Père lui répond – : Je l’ai glorifié et de nouveau je le glorifierai. ” 29 La foule qui se tenait là et qui avait entendu, disait qu’il y avait eu un coup de tonnerre ; d’autres disaient : Un ange lui a parlé. ” 30 Jésus reprit : Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. 31 C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant, le Prince de ce monde va être jeté dehors. » (Jn 12, 24-31)

Paradoxe évangélique : Jésus va être condamné, châtié par les Juifs, qui représentent le monde, c’est-à-dire les forces de Satan, mais en cela même ce seront les juifs et le monde qui mériteront le châtiment de l’enfer éternel. Quand Jésus sera écrasé par la souffrance, puis enseveli au tombeau, ce sera en fait Satan qui sera vaincu, jeté dehors. La Croix est le chemin vers la Gloire.

« 32 Et moi, élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » C’est tout son désir, et la soif du Cœur Immaculé de Marie : attirer à Lui tous les cœurs, pour tous les conduire au Ciel. Jésus exhorte une dernière fois la foule à croire en Lui, puis « s’en allant, il se déroba à leur vue » (Jn 12, 32-36). Il disperse la manifestation, comme après la multiplication des pains, et retourne à Béthanie, avec les Douze (cf. Mc 11, 11).

LUNDI SAINT, ULTIMES CONTROVERSES

Le lendemain, lundi 3 avril 30, « 12 comme ils étaient sortis de Béthanie, Jésus eut faim. 13 Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il y trouverait quelque fruit, mais s’en étant approché, il ne trouva rien que des feuilles : car ce n’était pas la saison des figues. 14 S’adressant au figuier, il lui dit : Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! Et ses disciples l’entendaient.

« 15 Ils arrivent à Jérusalem.  Étant entré dans le Temple, Jésus se mit à chasser les vendeurs et les acheteurs qui s’y trouvaient : il culbuta les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes. » (Mc 11, 12-15) Il réitère le geste spectaculaire, prophétique, de la Pâque précédente (cf. Jn 2, 13-17). Puis au vu et au su de ses ennemis, sachant très bien qu’ils veulent le tuer, il s’adresse de nouveau à la foule présente sur le parvis du Temple, pour l’enseigner.

« 1 Il se mit à leur parler en paraboles : Un homme planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour ; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage. ” » (Mc 12, 1) Souvent dans l’Ancien Testament, la figure de la vigne est appliquée au peuple d’Israël (Is 5, 1 ; Ez 17, 7 ; Ps 80).

« 2 Il envoya un serviteur aux vignerons, le moment venu, pour recevoir d’eux une part des fruits de la vigne. 3 Mais ils se saisirent de lui, le battirent et le renvoyèrent les mains vides. 4 De nouveau, il leur envoya un autre serviteur : celui-là aussi, ils le frappèrent à la tête et le couvrirent d’outrages. 5 Et il en envoya un autre : celui-là, ils le tuèrent ; puis beaucoup d’autres : ils battirent les uns, tuèrent les autres. » Cela résume toute l’histoire de leur peuple, qui sans cesse a rejeté les envoyés de son Seigneur.

« 6 Il lui restait encore quelqu’un, un Fils bien-aimé ; il le leur envoya le dernier, en se disant : Ils respecteront mon Fils. ” » C’est trop clair : Jésus est ce Fils de Dieu envoyé pour récolter enfin du fruit dans sa vigne. Et les vignerons, les chefs des juifs, n’ont qu’à se soumettre, faire ce qu’il demande, c’est leur dernière chance pour se convertir et rentrer dans l’amitié de Dieu.

« 7 Mais ces vignerons se dirent entre eux : Celui-ci est l’héritier ; venez, tuons-le, et l’héritage sera à nous. ” Et le saisissant, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne. 9 Que fera le maître de la vigne ? » Il les regarde. Alors, que pensez-vous que Dieu mon Père fera, quand vous m’aurez tué ? « Il viendra, fera périr les vignerons et donnera la vigne à d’autres. » (Mc 12, 2-9) « “ C’est pourquoi je vous le dis, le Royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en portera les fruits. ” » (Mt 21,  43) De telles paroles sont insupportables à l’orgueil racial juif, bien que dans l’Ancien Testament, l’ouverture du salut aux nations soit annoncée à maintes reprises.

« Les grands prêtres et les Pharisiens, entendant ses paraboles, comprirent bien qu’il les visait. 46 Mais, tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète. » (Mt 21, 43-46)

Pour l’instant, ils sont coincés. Déjà, Judas est allé les voir pour leur proposer de leur livrer son Maître, contre de l’argent. Mais, pour le mettre à mort, ils ont besoin d’un chef d’accusation religieux, qui fasse effet sur le peuple, ou bien d’une infraction à la Loi romaine qui leur permette de le conduire devant Pilate.

C’est ce qu’ils vont chercher à obtenir en envoyant « quelques-uns des Pharisiens et des Hérodiens pour le prendre au piège dans sa parole ». Ils lui demandent : « Est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? » (Mc 12, 13-14)

Si Jésus répond qu’il ne faut pas payer, ils pourront le dénoncer à Pilate comme un agitateur, un révolutionnaire. Mais s’il prend parti pour César, il se discrédite aux yeux de la foule, et les pharisiens ne manqueront pas de le traiter de “ collaborateur ”. Ils ont bien monté leur piège pour que Jésus ne puisse pas s’en sortir... Le peuple est suspendu. Dans la foule, les espions des grands prêtres sont aux aguets, prêts à surprendre la moindre parole. Que va-t-il répondre ?

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mc 12, 17) Cette courte phrase est parfaite, elle va régler la vie de la Chrétienté pendant des siècles. C’est dire : « César gouverne l’ordre public, payez-lui en retour ce dont il a besoin pour assurer cet ordre dont vous profitez. C’est justice humaine. Mais avant tout, rendez à Dieu ce qui est à Dieu, craignez-le en Vérité, et obéissez-lui en me donnant votre Foi, à moi qui suis son Fils, son Envoyé. »

Ses ennemis sont à quia. Ils s’éloignent, mais leur haine ne fait que grandir, avec leur résolution de le supprimer.

Notre-Seigneur s’est imposé en Maître, en Roi à Jérusalem, à la face de ses ennemis : telle est la grande leçon de ces récits du ministère à Jérusalem selon les synoptiques, qui ont regroupé à la veille de la Passion, après le triomphe des Rameaux, des événements qui ont pu avoir lieu au cours des montées précédentes que nous connaissons par saint Jean (cf. Il est ressuscité n° 243, mai 2023, p. 31).

Et « quand il se fit tard Jésus sortait hors de la ville » (Mc 11, 19) pour aller dans les jardins de la vallée du Cédron : de nuit, personne ne pouvait les trouver là, à moins de connaître leurs habitudes.

MARDI SAINT,  LE TESTAMENT DU SEIGNEUR

Mardi 4 avril : Jésus et ses disciples retournent dans la ville. « 20 Passant au matin, ils virent le figuier desséché jusqu’à la racine. 21 Et Pierre, se ressouvenant, lui dit : Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit est desséché. ” » (Mc 11, 20-21)

Notre-Seigneur a fait une allégorie en action. Ce figuier figure le peuple d’Israël, et particulièrement Jérusalem, dont Il attendait des fruits d’amour et de conversion. Malgré l’année de grâce de sa prédication, ils n’ont rien produit : ils seront terriblement châtiés. Le figuier fut desséché jusqu’à la racine, Jérusalem sera dévastée.

Il retourne au Temple et de nouveau la foule se rassemble autour de Lui. Au terme de son récit des controverses, saint Matthieu raconte : « 1 Jésus alors s’adressa aux foules et à ses disciples en disant : 2 Sur la chaire de Moïse sont assis les scribes et les pharisiens : 3 faites donc, et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas. 4 Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. 5 En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes... » Puis Notre-Seigneur les maudit, en face : « 13 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le royaume des Cieux ! Vous n’entrez certes pas vous-même, et vous ne laissez pas entrer ceux qui voudraient ! 15 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez mers et continents pour gagner un prosélyte, et, quand vous l’avez gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous ! [...] 33 Serpents, engeance de vipère ! Comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? 34 C’est pourquoi, voici que j’envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes : vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et pourchasserez de ville en ville, 35 pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang de l’innocent Abel jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel ! 36 En vérité je vous le dis, tout cela va retomber sur cette génération ! » (Mt 23, 1-36)

Saint Luc (11, 37-52) raconte de semblables malédictions lors du festin chez un pharisien... Notre-­Seigneur devait user de cette violence pour libérer la foule de la tyrannie de ces hommes, et faire en sorte qu’à travers les siècles, ceux qui exerceront une telle perfidie tombent sous ses malédictions.

LES SIGNES PRÉCÉDANT LE RETOUR DU CHRIST.

Ensuite, tandis qu’Il sortait « du Temple, un de ses disciples lui dit : Maître, regarde, quelles pierres ! quelles constructions ! 2 Et Jésus lui dit : Tu vois ces grandes constructions ? Il n’en restera pas pierre sur pierre qui ne soit jetée bas. ” » Ils sortent donc de la ville. « 3 Et comme il était assis sur le mont des Oliviers en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogeaient en particulier. » (Mc 13, 1-3) « Dis-nous quand cela aura lieu, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde. » (Mt 24, 3)

Notre-Seigneur va leur répondre par une grandiose révélation de l’histoire universelle, axée sur deux événements : le châtiment du peuple juif et le Jugement dernier. Il va bien leur annoncer un signe, bien précis, de son avènement ; et avant cela, les événements à venir, mais qui ne seront pas encore ce signe de son Triomphe. Comme le préconisait notre Père, suivons le texte de saint Luc, qui est plus clair que Marc et Matthieu.

« 8 Il dit : Prenez garde de vous laisser abuser – sur cette question, précisément – car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront : C’est moi ! et Le temps est tout proche. ” N’allez pas à leur suite. 9 Lorsque vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne vous effrayez pas ; car il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas de sitôt la fin. ” » (Lc 21, 8-9)

« Ce sera le commencement des douleurs » (Mc 13, 8). C’est-à-dire que tous ces événements ne seront pas encore le signe attendu, mais ils précéderont quoi qu’il en soit, la venue du Royaume des Cieux. Souvent notre Père a pu appliquer ces prophéties à notre actualité.

« 10 Alors il leur disait : On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume. 11 Il y aura de grands tremblements de terre et, par endroits, des pestes et des famines ; il y aura aussi des phénomènes terribles et, venant du ciel, de grands signes. 12 Mais, avant tout cela, on portera les mains sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom, 13 et cela aboutira pour vous au témoignage. ” » (Lc  21, 10-13)

C’est-à-dire au martyre. C’est précisément ce qui arrivera à Pierre, Jacques et Jean qui l’écoutent, mais cette prophétie peut aussi s’appliquer aux derniers temps précédant le retour du Christ.

Saint Matthieu, ici, est plus précis : « 10 Et alors beaucoup succomberont ; ce seront des trahisons et des haines intestines. 11 Des faux prophètes surgiront nombreux et abuseront bien des gens. 12 Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. » (Mt 24, 10-12)

Notre-Seigneur annonce la grande apostasie qui atteindra son Royaume, de telle manière que ses disciples ne soient pas scandalisés en voyant ces événements s’accomplir... C’est pour nous qu’il parle, commentait notre Père. « 13 Mais celui qui aura tenu jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. » Donc le malheur dans lequel nous sommes aura une fin, en vue de laquelle il faut tenir coûte que coûte.

Tous ces événements effrayants, ces guerres, ces cataclysmes, les persécutions, le martyre, tout cela doit venir, mais ce n’est pas là encore le signe de l’avènement du Christ.

« 20 Mais, lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, alors comprenez que sa dévastation est toute proche. » (Lc 21, 20) Voilà le signe demandé par les Apôtres, soulignait notre Père : c’est la chute de Jérusalem. « 23 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! Car il y aura grande détresse sur la terre et colère contre ce peuple. »

C’est la vengeance de Dieu contre ce peuple incrédule et, finalement, déicide. Ce ne peut être que le Fils de Dieu qui parle ainsi : pensez, cet homme seul qui annonce le châtiment de son peuple, à qui les événements obéiront à la lettre quarante ans plus tard ! « 24 Ils tomberont sous le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par des païens jusqu’à ce que soient accomplis les temps des païens. » (Lc 21, 23-24)

Il annonce donc que la ruine de Jérusalem ouvrira le temps des païens, le temps de la conversion progressive de l’Empire romain, qui sera une première instauration de son Règne. Mais ce temps des païens, dans lequel nous sommes toujours, aura une durée déterminée et s’achèvera par le retour glorieux de Notre-Seigneur :

« 25 Et il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les nations seront dans l’angoisse, inquiètes du fracas de la mer et des flots ; 26 des hommes défailliront de frayeur, dans l’attente de ce qui menace le monde habité, car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Et alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée... »

Il y a tout de même dans ces prophéties comme un interstice où Notre-Dame de Fatima est passée. Jésus ne dit pas précisément que son Retour aura lieu immédiatement après les cataclysmes qu’Il annonce. Puisque ces événements s’accomplissent aujourd’hui, le retour du Seigneur est proche, mais auparavant la Sainte Vierge est apparue, accomplissant ces signes dans le soleil, pour offrir le salut par la dévotion à son Cœur Immaculé, afin de Lui préparer un peuple bien disposé. « 27 Et alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec puissance et grande Gloire. 28 Quand cela commencera d’arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance est proche. »

Nous sommes les seuls au monde à connaître l’avenir, disait notre Père. Par cette promesse de Notre-Seigneur, que Notre-Dame de Fatima est venue nous rappeler, nous avons la certitude de leur victoire, de leur Triomphe à venir. Plus le monde paraît sombrer dans la catastrophe, plus il faut nous rappeler cette promesse, pour demeurer fidèles.

Notre-Seigneur conclut : « 34 Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la vie, et que ce Jour-là ne fonde soudain sur vous 35 comme un filet ; car il s’abattra sur tous ceux qui habitent la surface de toute la terre. 36 Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. » (Lc 21, 8-36)

LE JUGEMENT DERNIER.

Saint Matthieu, en conclusion de ces discours, rapporte la grandiose annonce du Jugement dernier :

« 31 Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. 33 Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. 34 Alors le Roi dira à ceux de droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, 36 nu et vous m’avez vêtu, malade, et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir [...]. En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ” » (Mt 25, 31-40)

Par quel mystère la charité exercée envers les pauvres peut-elle être perçue par Notre-Seigneur comme faite à Lui-même ? Parce que, selon saint Paul, l’Église est son Propre Corps mystique, dont chaque fidèle est un membre. La Charité le sert donc dans la mesure où elle sert à la croissance, à la sanctification de ce Corps, en lui unissant les âmes. Non pas si elle n’est qu’un humanitarisme prétendument “ évangélique ” destiné à rendre les gens heureux ici-bas.

« 41 Alors il dira encore à ceux de gauche : Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire. – Cela rappelle le riche laissant mourir le pauvre Lazare à sa porte (Lc 16, 19-31). –  En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. ” » Preuve que la foi sans les œuvres ne sert de rien. « 46 Et ils s’en iront, ceux-là à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle. » (Mt 25, 41-46)

Notre-Seigneur est le Souverain Juge, le Maître de l’histoire, et le révélateur de notre destinée. En ayant ainsi témoigné, Il peut achever son œuvre par le martyre, le don total, le Sacrifice expiatoire d’un Dieu fait homme et venu mourir pour rendre aux hommes la vie, écrivait notre Père.

Jésus a donc entretenu ses disciples sur le mont des Oliviers, d’où ils regardaient le Temple, nous sommes toujours dans la journée du Mardi 4 avril. Pour les disciples de Jésus, c’est la veille de la Pâque, qu’ils célébraient le mercredi selon l’ancien calendrier, différent de celui que suivaient les prêtres du Temple. Ses disciples lui demandent donc où ils doivent aller faire les préparatifs pour manger la Pâque. Jésus envoie Pierre et Jean avec pour unique consigne : « Allez à la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le, et là où il entrera » (cf. Lc 22, 7-12), le propriétaire mettra une salle à ma disposition. Il ne dit pas clairement où il les envoie, car Judas est là, qui guette la première occasion pour le livrer aux grands prêtres. Notre-­Seigneur veut être encore libre pendant ce repas.

LA CÈNE SELON LES QUATRE ÉVANGÉLISTES.

Saint Matthieu, saint Marc et saint Luc s’accordent à dater le dernier repas de Jésus avant sa Passion du « premier jour des Azymes, où l’on immolait la Pâque » (Mc 14, 12, cf. Lc 22, 7) « L’expression crée une inextricable difficulté si elle désigne le jeudi, c’est-à-dire l’avant-veille de la Pâque officielle (13 Nisan). Mais elle est parfaitement claire pour le mardi, veille de la Pâque selon le calendrier de Qumrân, où, dès le matin, il n’était plus permis de manger du pain fermenté », écrit frère Bruno (cf. La Passion du Christ, dans Bible, archéologie, histoire, t. 1, p. 42).

Le récit de saint Matthieu, de même que celui de saint Marc qui lui ressemble beaucoup, est concis : annonce de la trahison de Judas, institution de l’Eucharistie, annonce du reniement de saint Pierre. Saint Luc apporte plusieurs discours qui lui sont propres, notamment des précisions sur l’institution de l’Eucharistie, et un ordre qui lui est propre.

Saint Jean date ce repas « avant la fête de la Pâque » (Jn  13, 1) et son témoignage sur cet événement est d’une précision incomparable, par exemple sur la trahison de Judas, bien qu’il ne mentionne pas l’Eucharistie. Selon Annie Jaubert, c’est « pour ne pas répéter un épisode connu dont il exploite par ailleurs la signification doctrinale », à savoir dans son chapitre sixième. Il a, de plus, inséré dans son récit du dernier repas de Jésus avant de souffrir de nombreux et longs discours prononcés le jour de l’Ascension, selon la lumineuse thèse du Père Thibaut (s. j.) et de l’abbé Ernst, que notre Père a fructueusement exploitée (cf. frère Bruno de Jésus-Marie, L’ultime témoignage de Jésus, dans Bible, archéologie, histoire, t. 3, p. 29).

LE DÉSIR DU CŒUR DE JÉSUS-MARIE.

« 14 Lorsque l’heure fut venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui. » Les saintes femmes sont là aussi, autour de la Vierge Marie, silencieuse, mais très attentive. « 15 Et il leur dit : J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir ; 16 car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu ”. » (Lc 22, 14-16)

Cette phrase dévoile le secret du Cœur eucharistique de Jésus-Marie. Avant sa Passion donc, Notre-Seigneur a beaucoup désiré que vienne l’heure de ce repas : c’est qu’il va y faire quelque chose de grand, de salutaire, qui anticipe déjà la Gloire du Royaume des Cieux.

Voici : « Prenant du pain, il rendit grâces, le rompit, et le donna à ses disciples en disant : Ceci est mon Corps, donné pour vous, faites cela en mémoire de Moi. ” » (Lc 22, 19)

Le pain disparaît, ne demeure dans les mains de Jésus que sa propre Chair, qu’il donne en nourriture à ses Apôtres ainsi qu’à la Vierge Marie et aux saintes Femmes. C’est Lui, bien vivant, qui se donne à manger, transférant par sa Chair sa Vie, son Esprit, son Amour, en eux. C’est ainsi que, mystérieusement unis, ils poursuivent le repas. Notre-Seigneur est en eux aussi bien qu’Il est là, visible, devant eux.

Par cette consécration de son Corps seul, au début du repas, Jésus commence cette grande histoire nouvelle, disait notre Père, cette nouvelle et éternelle Alliance par laquelle il restera parmi les siens, corporellement présent, se donnant par Amour, pour vivre en nous, et que nous ne soyons jamais séparés de Lui. Et s’il a grandement désiré se donner ainsi avant de souffrir, c’est parce que ce don qu’il veut nous faire est le fruit de son Sacrifice, la fin de tout son labeur, la perspective pleine de joie dans l’amour qui l’engage à subir sa Passion.

Cependant, à peine son Corps est-il mangé par les disciples, que Notre-Seigneur sent une réticence, disait notre Père : c’est Judas, qui a communié, si l’on suit littéralement le récit de saint Luc. Il a reçu ce don d’amour, cette ultime tentative après bien d’autres, pour toucher son cœur, pour le convertir, mais il reste froid, dur, haineux. Jésus le regarde, pour surprendre sur son visage un mouvement de regret, de conversion, qui l’aurait sauvé de l’enfer. Mais Judas reste fermé dans son orgueil, son âme est déjà morte.

L’ABAISSEMENT DU « SERVITEUR ».

Le repas continue, sans que les Apôtres ne perçoivent le drame qui se noue. « Il s’éleva aussi entre eux une contestation : lequel d’entre eux pouvait être tenu pour le plus grand ? » (Lc 22, 24)

Jésus alors « se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s’en ceignit. 5 Puis il met de l’eau dans un bassin et commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. » (Jn 13, 4-5)

Jésus fait là, au cours du repas, devant ses disciples stupéfaits, un geste d’esclave. Simon-Pierre, dans une complète incompréhension, en est révolté :

« “ Seigneur, toi, me laver les pieds ?   7 Jésus lui répondit : Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite, tu comprendras. ” 8 Pierre lui dit : Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! ” » À cette obstination, Jésus répond : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. »

L’inintelligence de Pierre nous donne de comprendre le sens de cette “ parabole en action ”. Alors que ce soir même, Jésus va se livrer entre les mains de ses ennemis, Il montre ce que sera un service fait par amour pour ses disciples, pour les purifier, en accomplissement du Poème du Serviteur : « Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes » (Is 53, 5). Il leur avait bien dit, cinq jours auparavant : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10, 45, cf. supra p. 20) « Ce lavement des pieds n’est pas un sacrement, mais le symbole du sacrifice fondateur de tous les sacrements », commente frère Bruno. Si le Fils de Dieu va ainsi s’abaisser, s’humilier, c’est que les hommes en ont besoin et ceux qui refusent d’être servis par Lui ne seront pas purifiés.

Tout au moins Simon-Pierre comprend qu’il s’agit d’un rite de purification ; mais alors, dit-il, « “ Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! 10 Jésus lui dit : Qui s’est baigné tout entier n’a pas besoin de se laver ; il est pur tout entier. » Pierre a déjà été purifié, avant ce geste qui n’est qu’un symbole : « Vous aussi, vous êtes purs ; mais pas tous. ” 11 Il connaissait en effet celui qui le livrait ; voilà pourquoi il dit : Vous n’êtes pas tous purs. » (Jn 13, 6-11)

« 12 Quand il leur eut lavé les pieds, qu’il eut repris ses vêtements et se fut remis à table, il leur dit : Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? 13 Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis. » Ô mystère ! Il mérite d’autant plus d’être reconnu comme le Maître et Seigneur qu’il s’est abaissé comme un esclave, car Dieu seul peut, en s’abaissant, purifier et élever ceux qu’Il sert. C’est ce que notre Père appelait la “ modification évangélique ”.

« 14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 Car c’est un exemple que je vous ai donné pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. »

L’humiliation de Jésus engage ceux qui en bénéficient à le suivre en l’imitant : il n’y a pas de plus grand amour que de porter sa Croix chaque jour pour ses frères. C’est un signe de contradiction, comme la protestation de Pierre l’a bien montré : ceux qui ne veulent pas, eux-mêmes, s’abaisser, sont scandalisés par l’abjection que le Seigneur embrasse, car ils perçoivent bien que « 16 le serviteur n’est pas plus grand que son Maître » et donc qu’ils devront bien en passer par là...

« 17 Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. 18 Ce n’est pas de vous tous que je parle ; je connais ceux que j’ai choisis ; mais il faut que l’Écriture s’accomplisse : Celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon.  19 Je vous le dis dès à présent, avant que la chose n’arrive, pour qu’une fois celle-ci arrivée, vous croyiez que JE SUIS. » (Jn 13, 12-19)

Jésus prévient ses disciples du scandale imminent de la trahison de l’un des leurs : comment, le Messie avait un traître auprès de Lui, et il ne l’a pas empêché de nuire ? Oui, répond Notre-Seigneur, je sais tout, je connais les pensées intimes des cœurs, et rien ne nous adviendra sans ma permission : quand donc vous verrez s’accomplir ce que je vous annonce, croyez que JE SUIS !

« MALHEUR À CELUI PAR QUI LE FILS DE L’HOMME EST LIVRÉ. »

« 21 Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et dit : En vérité, en vérité je vous le dis, l’un de vous me livrera. ” » (Jn 13, 21)

Il est troublé par cette présence toute proche d’un homme en voie certaine de damnation malgré tout ce qu’Il a fait pour lui, jusqu’à lui laver les pieds...

« 22 Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. 23 Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table, couché sur le sein de Jésus. »

Annie Jaubert explique : « Il faut remonter ici à l’arrière-plan juif où des repas d’adieu sont aussi des “ testaments ” : le “ testament ” est un genre littéraire dans lequel un personnage important fait, avant de mourir, des recommandations à ceux qu’il va quitter. Il leur transmet ainsi son message essentiel. » Par exemple, dans le Livre des Jubilés (exhumé à Qumrân), Abraham meurt en serrant Jacob sur son sein, après lui avoir donné, au cours d’un repas, la bénédiction de l’Alliance et les promesses (cf. frère Bruno de Jésus-Marie, dans Bible, Archéologie, Histoire, t. 3, p. 30). Ainsi, Jean a reçu sur le Cœur de Jésus l’onction, l’autorité, la grâce d’être l’interprète de son Maître, expliquait notre Père, pour délivrer son ultime révélation, celle de sa relation filiale ; l’Apôtre se nomme lui-même désormais le disciple que Jésus aimait.

C’est pourquoi « 24 Simon-Pierre lui fait signe et lui dit : Demande quel est celui dont il parle ”. 25 Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ? ” »

Les convives étaient allongés sur des coussins (cf. Lc 22, 12) : Jean, qui était déjà sur le sein de Jésus, se retourne vers lui dans un face à face très intime, à l’insu des autres et surtout du traître... Ce qui explique la précision de son témoignage, comparé aux trois autres évangélistes.

« 26 Jésus répond : C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper. ” Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote. » Ce qui est encore un dernier geste d’amitié, de miséricorde qui aurait dû toucher son cœur. Mais au contraire, il s’endurcit encore davantage : « 27 Après la bouchée, alors Satan entra en lui. Jésus lui dit donc : Ce que tu fais, fais-le vite [...]. 30 Aussitôt la bouchée prise, il sortit ; il faisait nuit. » (Jn 13, 22-30)

Notre-Seigneur a vu que son Apôtre se livrait au démon ; il en a eu horreur, sachant bien que cette infestation et la trahison qui s’en suivra étaient le commencement de sa Passion. Il l’accepte et envoie lui-même Judas faire sa sombre besogne.

La Vierge Marie voit tout cela, elle comprend tout, elle souffre du mépris et de l’ingratitude que son Fils reçoit en réponse à son Amour ; déjà les épines transpercent son Cœur Immaculé.

« Jésus leur dit : [...] Le Fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré ! Il eût mieux valu pour cet homme-là qu’il ne fût jamais né ! ” » (Mc 14, 21)

C’est une grande peine pour le Cœur tout uni de Jésus et de Marie. Car il faut affirmer, à l’encontre de Jean-Paul  II, de Benoît  XVI et de François, que, selon le sens obvie de cette phrase, Judas est en enfer. S’il avait échappé à la damnation et était donc entré au ciel, alors il rendrait grâce à Dieu pour le jour de sa naissance et autant dire que Notre-Seigneur a menti, ou bien s’est trompé !

« 31 Quand Judas fut sorti, Jésus dit : [...] “ 33 Petits enfants, c’est pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je l’ai dit aux Juifs : où je vais, vous ne pouvez venir, à vous aussi je le dis à présent. ” 36 Simon Pierre lui dit : Seigneur, où vas-tu ? Jésus lui répondit : Où je vais, tu ne peux me suivre maintenant ; mais tu me suivras plus tard. ” 37 Pierre lui dit : Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi. 38 Jésus répond : Tu donneras ta vie pour moi ? En vérité, en vérité je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. ” » (Jn 13, 31-38)

Pierre, racontant cela, avouait qu’il se croyait plus fort que les autres Apôtres : « Même si tous succombent, du moins pas moi ! » (Mc 14, 29)

« Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez. » (Jn 14, 29) Comme pour la trahison de Judas, Jésus prévient le scandale de ses disciples devant le reniement du chef des Apôtres, du successeur du Christ : dès lors, ces abandons deviennent autant de témoignages de la prescience de Notre-­Seigneur, de sa Souveraineté sur les événements, et de sa miséricorde car Il prévoit bien de conserver à Pierre sa primauté : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment ; mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22, 31-32)

LE SANG DE L’ALLIANCE.

Ce n’est qu’après le repas, selon saint Luc (22, 20), maintenant que Judas est parti chercher ceux qui veulent l’arrêter, que Notre-Seigneur achève l’institution de son Eucharistie :

« Ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il la leur donna en disant : Buvez en tous, car ceci est mon Sang, le Sang de l’alliance, répandu pour la multitude en rémission des péchés. » (Mt 26, 27-28)

Le vin disparaît, et il ne reste dans cette coupe que le Sang de Notre-Seigneur, le Précieux Sang de son Cœur et de ses artères qu’il verse en rémission des péchés.

Il annonce, et déjà réalise sacramentellement son proche sacrifice, où il se laissera déchirer, transpercer, jusqu’à la mort. Ses paroles consécratoires expliquent le sens de cette Passion : Il va donner sa Vie pour ceux qu’Il aime, verser son Sang pour nous, en expiation de nos péchés, c’est-à-dire en en souffrant dans son Corps le châtiment, par Amour. Et, chose inouïe ! Jésus donne ce même Sang en breuvage, pour nous purifier et nous communiquer sa Vie : alors l’horreur de la souffrance devient source de joie, car si le Sang versé évoque la douleur et les larmes, le vin offert est celui de l’allégresse des noces, disait notre Père.

Et Notre-Seigneur ordonne à ses Apôtres de réitérer ce même miracle de la transsubstantiation du pain et du vin, par les mêmes gestes et les mêmes paroles, en vertu du pouvoir qu’Il leur donne (cf. Lc 22, 19). Alors l’Église renouvellera sans cesse l’oblation sacrificielle de Jésus, son immolation rédemptrice qu’il a accomplie une fois pour toutes sur la Croix, afin d’en distribuer les fruits de Grâce et de Miséricorde à la multitude.

C’est là tout le dessein du Cœur eucharistique de Jésus-Marie, et maintenant qu’il a institué ce sacrement de la Rédemption du monde, il court vers la souffrance et la mort pour que, vite, la messe puisse être dite par ses Apôtres, puis par leurs successeurs, enfin en tout temps et en tous lieux, pour que le salut des âmes satisfasse son Amour miséricordieux.

PER CRUCEM AD LUCEM.

« 30 Je ne m’entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde ; sur moi, il n’a aucun pouvoir, 31 mais il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé. Levez-vous ! Partons d’ici ! » (Jn 14, 30-31)

Jésus sort donc avec ses disciples, il descend vers le torrent du Cédron, pour se rendre au jardin de son Agonie afin d’y affronter Satan, et de le vaincre.

La Vierge Marie, Elle, reste au Cénacle, commençant son labeur de souffrance dans la solitude, et de Compassion à l’agonie de son Fils, en compagnie de sainte Marie-Madeleine. Elle sait bien que les Apôtres, et Pierre en particulier, sont présomptueux, et abandonneront leur Maître. Elle, et Elle seule comprend et admire l’Amour de son Fils pour son Père et la force qu’il va montrer pour témoigner de sa divine obéissance, qui méritera la Rédemption du genre humain.

En chemin, ne pensant pas tant à son angoisse qu’à la foi de ses disciples, Jésus leur dit : « 16 Encore un peu et vous ne me verrez plus et puis un peu encore et vous me verrez. » Comme ils ne comprennent pas, il explique : « 20 En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira ; vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie. »

Annonce d’un prodigieux renversement des sorts qu’aux premiers jours de l’Incarnation la Vierge Marie chantait déjà dans son Magnificat. Peut-être Jésus pense-t-il à Elle qui, précisément, commence à souffrir au Cénacle, pour que les hommes naissent à la vie éternelle : « 21 La femme, sur le point d’accoucher, s’attriste parce que son heure est venue : mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde. 22 Vous aussi, maintenant vous voilà tristes ; mais je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera. » (Jn 16, 16-22) En saint Matthieu et saint Marc, il leur donne même rendez-vous : « Après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » (Mt 26, 32)

S’il veut et va souffrir, c’est pour mériter à ceux qu’il aime le don de l’Esprit-Saint et de sa grâce qui les réconciliera avec son Père céleste. Cela annonce un temps merveilleux :

« 23 Ce jour-là, vous ne me poserez aucune question » parce que l’Esprit-Saint vous fera tout comprendre. « En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon Nom », par les mérites de mon Sacrifice. « 24 Jusqu’à présent, vous n’avez rien demandé en mon Nom ; demandez et vous recevrez, pour que votre joie soit complète. 25 Tout cela, je vous l’ai dit en figures. L’heure vient où je ne vous parlerai plus en figures, mais je vous entretiendrai du Père en toute clarté. 26 Ce jour-là, vous demanderez en mon Nom et je ne vous dis pas que j’interviendrai pour vous auprès du Père, 27 car le Père lui-même vous aime, parce que vous m’aimez et que vous croyez que je suis sorti d’auprès de Dieu. » (Jn 16, 23-27)

Comme les disciples croient déjà tout comprendre, Jésus les ramène à la réalité :

« 32 Voici venir l’heure – et elle est venue – où vous serez dispersés chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi. 33 Je vous ai dit ces choses pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde. » (Jn 16, 32-33)

Et ils entrent dans le jardin de Gethsémani, où déjà rôde Satan. (à suivre)

frère Joseph-Sarto du Christ Roi.